Introduction de la partie 6
Construction collective, épanouissement individuel, une question d’alchimie
p. 226-227
Texte intégral
1L’addition seule des compétences, aussi pointues, pertinentes ou conséquentes soient elles, ne suffit pas à fabriquer la meilleure des équipes ou le plus performant des groupes.
2Cet objectif d’absolu, cette plénitude espérée qui peut conduire le tout à devenir progressivement supérieur à la somme des parties, ne s’obtient pas de fait. C’est une dynamique qui se réfléchit, s’organise, se pense, s’anticipe et se régule au gré du projet et de son évolution.
3Florian, Claude, Guy et Patrice, contributeurs plus qu’éclairés, s’astreignent à décrire, démontrer, expliquer et même décortiquer ce qui, pour eux, relève de la figure imposée, du passage obligé au moment de construire, faire évoluer et accompagner un groupe de sportifs vers la performance.
4Ce qui me frappe en premier lieu, au travers des anecdotes et des prises de positions simples dénuées de toute forme de simplisme, c’est l’évidence, le « satané bon sens » qui émane clairement et systématiquement de leurs propos respectifs. Spontanément, le terme qui s’impose est celui de cohérence. Cohérents avec eux-mêmes, en adéquation manifeste avec ce qu’ils dégagent, avec ce que sont leurs valeurs, leurs idéaux sans doute et, de fait, leurs convictions.
5Cohérents et alignés avec ce qu’ils sont au plus profond d’eux-mêmes !
6La suite, comme une évidence, est l’empreinte de leur caractère !
7L’implication personnelle est manifeste, l’engagement total, l’authenticité éclatante !
8Leurs propos sont le reflet de leurs convictions profondément ancrées et patiemment mûries. Le verbe est simple, posé, audible. Il laisse peu de place à l’équivoque. C’était et c’est sans doute toujours leur cas quand il s’agit de convaincre et d’expliquer. Leurs idéaux prennent de la force par le biais de l’engagement et de la certitude maîtrisée qui transpirent de l’exposé. On lit au travers des propos et du choix des mots, la conception du groupe, de sa vie, des statuts et des rôles de chacun. On devine la définition de l’équipe, les contours souhaités du rapport entre les athlètes et l’idée qui prédomine au moment de penser celui entre entraîneurs et sportifs. Les sensibilités s’affirment, les définitions sincères, personnelles et affinées se décryptent. Elles disent beaucoup du projet ; elles disent aussi beaucoup des hommes. La méthodologie apparaît, la façon de percevoir, de concevoir et de penser le climat d’entraînement se dessine, l’atmosphère souhaitée pour le collectif transparaît. Les différences pointent, parfois notables d’un témoin à un autre, mais le caractère incontournable, indispensable, vital même de ces éléments et de leur importance font consensus. Pour tous sans exception, point de salut sans prise en compte de ce qui relève de la dynamique de groupe. Point d’aboutissement sans organisation de la vie collective, ou de performance sans réflexion préalable, de la constitution de l’ensemble jusqu’à sa régénération. Pour eux, point de synergie, point de valeur ajoutée sans réflexion permanente autour du cadre. Ce dernier, indispensable, est seul susceptible de donner au collectif les repères essentiels à sa vie quotidienne. Pour ces quatre immenses entraîneurs, pas de réussite sans un climat porteur de l’aptitude du groupe à se bâtir une culture propre, une identité, un socle de valeurs communes, un désir de performance dans le respect de l’intégrité de chacun de ses membres.
9Il y a comme un air de projet de vie commune à tout cela ! Projet qu’il convient de placer en tête des conditions propices à l’émergence de la performance, si chères à Claude Fauquet. Alors que retenir des points communs de ces accompagnateurs de succès ?
10En ce qui me concerne, des silhouettes, des profils, des hommes de projet, entiers, déterminés, cohérents, constants, portés par une vision et forts de leurs convictions. Je devine également les entraîneurs passionnés, habités par l’idée selon laquelle du collectif, du groupe, peut jaillir une énergie capitale pour générer de la performance. Je perçois enfin l’idée partagée de l’intégration pleine et entière de cette dimension dans le projet de performance. Elle se traduit pour tous par l’intervention.
11Le mode, lui, leur appartient. Ce coup de patte si personnel donne tout son sens à la conclusion de Patrice : « Il n’existe pas de vérité ! » pour ne pas dire « il en existe tant… » La conclusion claque comme un rappel « il est très important de connaître le modèle adapté à ta philosophie… » Cohérent et aligné, et je serais tenté de dire, si possible, en tout point.
12Le groupe s’impose, transcende, prévaut, contraint même, mais pour tous il respecte la personne et son intégrité : permettre au groupe de s’épanouir par le biais de ses individus en permettant à ces derniers de s’affirmer et de se révéler par et pour le groupe. Le précepte paraît simple, net, sonne comme une évidence. Il semblerait presque banal. L’exercice, lui, est subtil. Loin d’être exhaustifs, les exemples évoqués par les experts et retenus par les rapporteurs abordent les questions simples et complexes à la fois de la complicité, des échanges, des relations interpersonnelles. Ces dernières construisent, cimentent, donnent à l’entreprise commune son sens et sa force. Rôles, statuts, postes, âge, expérience, tout sans exception renvoie à l’individu, à sa singularité, à sa différence. Tout renvoie à la prise en compte de ce qu’il est, de ce à quoi il aspire, de sa capacité à faire don de sa richesse au groupe et à ce qu’il en tirera en retour de satisfaction et de réalisation personnelle. Se faire confiance, s’entendre, se comprendre, débattre, s’opposer, s’oublier pour mieux se trouver, se retrouver, se connaître. Comment faire en sorte que le cadre libère, qu’il génère et encourage les échanges et prépare aux bons moments, mais également à ceux qui s’avèreront plus délicats. Comment faire en sorte qu’il émancipe, libère la créativité, que la garantie d’expression laissée à l’individu respecte celle laissée aux autres, au groupe. Comment faire – et je rejoins entièrement Claude là-dessus – pour que, malgré les progrès en matière d’analyse de la performance, malgré les outils modernes, nous acceptions tous la fameuse et glorieuse incertitude du sport comme un incontournable absolu de nos fonctions. Se centrer et porter toute son attention sur le peu que l’on maîtrise pour voir enfin l’entraînement comme le développement, tant de la capacité à s’adapter personnellement, que de l’intelligence collective. Et enfin, accepter et faire accepter le temps comme l’ingrédient indispensable d’une construction réelle…
13Si en conclusion j’ajoutais quelques mots, je dirais que, pour moi, le métier d’entraîneur relève réellement de l’artisanat (appellation totalement adaptée empruntée à mon collègue et ami de la FFR Julien Piscione) et à ce titre, il me semble intimement lié au compagnonnage et à l’éthique. Le Chapitre 13, « De la singularité humaine à l’individualisation » – rédigé par Hélène Joncheray – pousse, tout comme le précédent, au cheminement personnel, incontournable me semble-t-il, au long duquel les sciences humaines au sens le plus large qui soit peuvent nourrir progressivement le parcours de l’entraîneur et, à mon sens, celui de l’athlète. Créer du commun, connecter les individus, prendre en compte leur bien-être au sens large demeure aujourd’hui un immense défi dans une société dont les transformations s’accélèrent et font sans cesse évoluer les codes. Sociologie, philosophie, psychologie, histoire, sciences de l’éducation, etc., toutes ces sciences dites humaines qui aident à la compréhension de soi, de l’autre et du monde sont elles aussi à mon sens de puissants leviers potentiels de la performance. Leur investigation par le monde du sport, déjà conséquente, recèle encore de nombreuses richesses pour l’avenir, car la source est par essence inépuisable et les avancées permanentes.
Auteur
Entraîneur et sélectionneur de l’équipe de France de rugby à 7 féminin
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