Chapitre 7
Le développement de la force dans les sports à dominante aérobie comme facteur d’individualisation
p. 120-125
Entrées d’index
Mots-clés : triathlon, sports d’endurance, entraînement de la force
Texte intégral
Introduction du chapitre 7. De la force-vitesse à la force-endurance
par Claude Colombo
Après avoir évoqué les relations force-vitesse dans la contribution précédente, celle de Thibaut Ledanois aborde l’intérêt qu’il y a à développer la force dans un sport à dominante aérobie comme le triathlon. Dans une première partie il relate des travaux portant sur les aspects positifs de l’entraînement de force pour les sportifs d’endurance. Des éléments d’intérêt d’ordre physiologique, biochimique et biomécanique sont notamment rapportés. Au passage, il évoque les problèmes de compatibilité des formes d’entraînement aérobie et de musculation dans le temps. La seconde partie de sa contribution évoque l’aspect préventif du travail musculaire et de l’amélioration de la force pour le sportif d’endurance.
Introduction
1La force, est décrite par J. Weineck comme l’une des cinq qualités physiques inhérentes à la performance sportive (1997). Le paradoxe de celle-ci est qu’elle est mise en opposition directe à l’endurance, ce qui de premier abord laisse à penser que le développement de la force serait antagoniste au développement des qualités d’endurance. Cependant dans de nombreux sports à dominante aérobie (triathlon, cyclisme, athlétisme…) la préparation physique dite spécifique passe par un travail de développement de la force.
2De plus, le travail de musculation et notamment de l’amélioration de la force a mauvaise réputation dans les sports de fond. Il est vu par un grand nombre comme directement lié à la prise de masse (hypertrophie) qui est défavorable à la performance, car le travail musculaire est antigravitaire pour certains de ces sports. Parfois même, ce type d’exercice est considéré comme générant un risque important de blessure pour l’athlète…
3Dans des conditions de terrain, il a été récemment suggéré que dans des disciplines telles que le triathlon ou le cross-country, les évolutions réglementaires ainsi que les adaptations technico-tactiques modifiaient l’effort. Récemment dans le colloque fédéral d’entraîneur de triathlon, il était mis en évidence qu’une majorité du temps d’effort est passée à de hautes intensités (~60 %), avec une nécessité d’aller dans des régimes de très hautes intensités, supérieures au seuil anaérobie demandant des capacités de recrutement de l’ensemble de la masse musculaire (~20 %).
Le travail de force au service de l’endurance
4Le développement de cette qualité a fait l’objet de multiples études depuis plusieurs années, Paavolainen mettait en évidence chez des coureurs de 5 000 m une amélioration des performances en couplant un travail de force et d’endurance fondamentale (Paavolainen et al., 1999). Le résultat serait une meilleure économie de course et un maintien de la VO2max, ce qui amènerait à un geste plus efficace avec un renforcement des facultés neuromusculaires, soit pour un même coût énergétique une augmentation de la vitesse maximale aérobie (VMA).
5Il a également été mis en évidence qu’un travail de force amène à des améliorations du recrutement spatial et temporel des fibres musculaires, ainsi qu’à une consolidation neuromusculaire (Paavolainen et al., 1999). Si l’on se souvient de la loi du tout ou rien, la cinétique de recrutement est bonifiée par le travail de force, car on diminue le temps d’atteinte d’un pic de force sous maximale. Cela, couplé à une augmentation des fibres I aux dépens des fibres IIx (Aagaard et Andersen, 2010). De plus, suite à un protocole de prise de force individualisé, des progrès dans la coordination de contraction intra et extra-musculaire chez les cyclistes lors du pédalage ont été mis en avant, ce qui amène à une diminution du coût énergétique du mouvement. On peut également noter, grâce aux travaux d’Inigo Mujika, une augmentation de la rigidité musculo-tendineuse qui entraîne une transmission de force plus efficace, notamment lors de l’appui en course à pied (Rønnestad et Mujika, 2014). Le protocole individuel de prise de force pour développer l’endurance défini dans leurs conclusions serait pour un cycliste de haut niveau. Un travail qui porterait sur l’entraînement en force (charge lourde) à vitesse maximale, préférentiellement pendant la phase concentrique, serait bénéfique. L’entraînement en force avec vitesse maximale pendant la phase concentrique et en force explosive aurait des effets additifs sur les performances de course.
6Une attention particulière est à porter aux interférences du travail mixte qui peut générer des adaptations contradictoires voire altérer les processus d’adaptation physiologique (Coffey et Hawley, 2017). Le développement de la force qui amène à la synthèse de facteur de croissance, via entre autres la stimulation de la voie de signalisation AKT-mTOR, responsable de l’hypertrophie musculaire, inhibe en partie la voie AMPK (facteur de croissance mitochondriale), qui se trouve stimulée par la dette et l’augmentation du ratio ADP/ATP. De fait, lors de la planification des blocs d’entraînement, des délais sont à prévoir entre le travail de prise de force et celui de développement ou de maintien des capacités aérobies. Le défi est de bien définir l’effet dose : il faut savoir attribuer une quantité suffisante pour avoir un bénéfice sans que cela empiète sur les autres régimes travaillés. La temporalité est de mise avec une séparation des séances d’entraînement de 3, 6 voire 24 heures, même si cela n’est pas toujours pratique dans le monde de l’entraînement. Il faut connaître l’intérêt du cycle, pour un développement axé sur la force. L’entraîneur aura un ratio de séance (musculation/endurance) de 2/1 ou 3/1. De plus, il ressort de la littérature scientifique que cette séance doit être réalisée en premier dans la journée. Bien entendu, ces délais standardisés sont assujettis aux variations individuelles et nécessitent d’être confrontés aux adaptations de chacun afin de tendre vers une véritable individualisation et, par là même, vers une plus grande efficacité (Methenitis, 2018 ; Robineau et al., 2016).
Le travail de force comme prophylaxie pour l’athlète d’endurance
7L’entraînement sous ce régime de contraction est une médication pour le moins efficace dans la diminution du risque de blessure. Etxebarria a récemment affirmé que l’intégration du travail de la force maximale dans la préparation physique est primordiale pour diminuer les blessures consécutives au surentraînement (Etxebarria et al., 2019).
8Une partie du travail de force de l’athlète d’endurance a un intérêt pour le maintien de la posture. L’amélioration de cette qualité sur les muscles profonds permet une meilleure résistance aux contraintes extérieures et donc un maintien de la vitesse de déplacement. Hoppes et al. montrent qu’un travail de musculation de force chez des soldats devant porter un équipement lourd toute la journée tout en maintenant une position debout permet un gain de maintien de la posture, significativement plus long (Hoppes et al., 2016). De même, une étude réalisée chez des jeunes nageurs en endurance (Manske et al., 2015) a montré qu’un travail de musculation sur les muscles entourant les articulations, telle que la coiffe des rotateurs permettait d’augmenter la force sur ce groupe musculaire, offrant plus de stabilité à l’articulation.
Conclusion
9Le travail du développement de force est donc inhérent à l’amélioration des performances sportives à dominante aérobie. Mais ce travail doit être réalisé dans une programmation réfléchie au préalable, en diagnostiquant les besoins de l’athlète, mais aussi en tenant compte du cycle d’entraînement. Ce genre de travail engendre de la fatigue pour un athlète qui n’est pas initié à ce type d’exercice. Alors la progressivité et l’adaptation du reste du temps de travail sont des clefs de la réussite. Cela peut être contre-productif sur les deux plans, il en va donc de la responsabilité de l’entraîneur de gérer sa planification.
10La règle d’or serait donc de travailler sur un état de fraîcheur (Robineau et al., 2016), mais aussi de le faire, pour un rendement optimal, dans l’ordre : séance de musculation puis séance aérobie (Bell et al., 2000).
11Le développement de la force permet d’améliorer directement les qualités aérobies, notamment par une amélioration du rendement, mais aussi de protéger l’athlète du risque de blessure (approche prophylactique). Dans un contexte de préparation de haute performance, il semble donc que le développement de la force soit un travail en soi non négligeable.
Bibliographie
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Aagaard, P. et Andersen, J. L. (2010). Effects of strength training on endurance capacity in top-level endurance athletes. Scandinavian Journal of Medicine & Science in Sports, 20 Suppl 2, 39‑47. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1111/j.1600-0838.2010.01197.x
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10.1113/JP272270 :Etxebarria, N., Mujika, I. et Pyne, D. B. (2019). Training and competition readiness in triathlon. Sports (Basel, Switzerland), 7(5), E101. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3390/sports7050101
10.3390/sports7050101 :Hoppes, C. W., Sperier, A. D., Hopkins, C. F., Griffiths, B. D., Principe, M. F., Schnall, B. L., Bell, J. C. et Koppenhaver, S. L. (2016). The efficacy of an eight-week core stabilization program on core muscle function and endurance: a randomized trial. International Journal of Sports Physical Therapy, 11(4), 507‑519.
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Methenitis, S. (2018). A brief review on concurrent training: From laboratory to the field. Sports (Basel, Switzerland), 6(4), E127. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3390/sports6040127
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10.1152/jappl.1999.86.5.1527 :Robineau, J., Babault, N., Piscione, J., Lacome, M. et Bigard, A. X. (2016). Specific training effects of concurrent aerobic and strength exercises depend on recovery duration. Journal of Strength and Conditioning Research, 30(3), 672‑683. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1519/JSC.0000000000000798
10.1519/JSC.0000000000000798 :Rønnestad, B. R. et Mujika, I. (2014). Optimizing strength training for running and cycling endurance performance: A review. Scandinavian Journal of Medicine & Science in Sports, 24(4), 603‑612. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1111/sms.12104
10.1111/sms.12104 :Weineck, J. (1997). Manuel d’entraînement : physiologie de la performance sportive et de son développement dans l’entraînement de l’enfant et de l’adolescent (4. éd. rév. et augm). Vigot.
Auteur
Thibaut Ledanois réalise une thèse au sein de la fédération française de triathlon et de l’IRMES. Ses travaux portent sur les stratégies d’adaptation de course à partir des profilages des athlètes, des typologies de parcours et des interactions de ces paramètres.
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