Introduction
p. 11-13
Texte intégral
1« Personne ne peut sortir de son individualité » Cette citation d’Arthur Schopenhauer (1880) pose à la fois le caractère unique de chacun et ouvre à l’indispensable considération et adaptation au regard de nos particularités et individualités.
2Si le consensus est établi quant à la nécessité d’individualiser dans un dessein de performance et de bien-être de tout un chacun, le dire est simple, le faire demeure compliqué. Cette difficulté de mise en œuvre génère de la confusion. Nombre de situations adaptées, différenciées par typologie ou groupe sont trop souvent considérées comme individualisation.
3Cet ouvrage dresse un constat simple : nous sommes tous différents. À stimuli équivalents, les adaptations sont différenciées. Ce constat, via un prisme scientifique, est investi à la fois par champs disciplinaires puis au travers d’approches élargies, étant donné que la performance, la santé, le bien-être des athlètes, de haut niveau ou non, ne peuvent dépendre que d’une ou de quelques disciplines. Ce contexte posé, des encadrés réalisés par les femmes et les hommes de terrain viennent éclairer et offrir des exemples de prise en charge de ces particularismes dans le sport de haut niveau. Au travers des différents chapitres, deux angles sont abordés dans cet ouvrage (Fig. 1) :
- l’individualisation de l’entraînement,
- l’individualisation du processus d’entraînement.
4Individualiser c’est respecter le caractère personnel de chacun. Parce qu’il n’est plus possible d’entraîner chacun comme on entraîne tout le monde, cet ouvrage traite de l’individualisation. Chaque être est singulier et possède ses caractéristiques propres : il devient inacceptable de ne pas vouloir les prendre en considération. Le plaidoyer est important, tenir compte des tendances préférentielles des sportifs pour les aider à construire leur(s) réponse(s), toutes fruit d’adaptations différentes mais qui en surface peuvent produire des résultats proches en termes de performance. Une menace se niche ici car les interactions complexes sous-jacentes peuvent faire croire à un lissage des différences individuelles. Or l’action d’individualiser, c’est-à-dire de différencier par des caractères individuels se doit d’être au centre de tout programme d’entraînement. En effet, chacun de nous a conscience d’être unique. Cette unicité est réelle et nécessite la mise en place de processus d’individualisation. L’enseignement a compris et a, en partie, opérationnalisé cette démarche d’individualisation via la pédagogie différenciée, méthode adaptant l’enseignement au niveau et au rythme personnel de chaque enfant. Pour autant l’individualisation de l’éducation et de l’enseignement se confronte à la difficulté de sa mise en œuvre face à l’organisation collective d’une classe. Cet aspect se retrouve au sein d’équipes de sports collectifs ou de groupes d’entraînement de sports individuels. C’est pourquoi ce livre propose non seulement un riche corpus de connaissances théoriques, mais surtout des exemples concrets de terrain illustrant comment traiter, adapter et finalement comment individualiser dans le sport de haut niveau.
5Les dernières années ont vu l’accompagnement scientifique de la performance se renforcer. Au-delà de la difficulté de transfert, d’adaptation, de mise en place de recherches translationnelles, un problème de temporalité persiste : le temps de la médaille reste différent du temps de la recherche. L’accompagnement scientifique est à l’intervalle des deux et si ce n’est pas encore le cas, doit être un vecteur d’individualisation. Même si les méthodes et les outils peuvent être homogènes ou identiques, la mise en place de cet accompagnement doit faciliter l’individualisation. Cependant, cette conception et cet effort pour tendre vers l’individualisation à partir d’outils homogènes ou communs ne sont pas innés : une démonstration est à faire, à la fois de son utilité et de sa faisabilité. D’autant qu’en médecine comme en sciences du sport, le nombre, l’effectif de la cohorte sont des facteurs déterminants dans les phases de validation. Les cas d’étude de suivi individuel ne sont que peu mis en avant. Les allers-retours entre validation par le nombre et utilisations individuelles nécessitent des adaptations et ne peuvent présenter une quelconque plus-value si des raccourcis sont pris. Il n’est pas aisé de passer d’incidence ou d’une prévalence de blessure éminemment collective, ne serait-ce que par leur construction, à une transposition à l’échelle individuelle. Naturellement, dans la gestion de groupes d’entraînement, des comparaisons aux moyennes sont réalisées, mais la mise en parallèle à sa propre variabilité individuelle n’est malheureusement que peu appréhendée. Ces exemples sont transférables à de nombreuses situations, ce qui fait de la mise en pratique de l’individualisation un challenge considérable.
6Parler d’individualisation implique une certaine vigilance pour ne pas franchir la limite parfois ténue avec l’individualisme, valeur opposée à celles véhiculées par le sport. Dans une société où l’individualisme s’enracine dans un terreau fertile à l’hypertrophie du soi (exacerbé par les réseaux sociaux), être conscient du revers de l’individualisation demeure important.
7Dans un premier temps, individualisme et holisme pourraient sembler en opposition, pour autant, l’approche systémique doit être perçue comme une association vertueuse à l’individualisation. C’est pourquoi l’ouvrage interroge les déclinaisons, freins et écueils liés à l’individualisation à travers la génétique, la physiologie, la biomécanique, la psychologie, la sociologie, la nutrition, mais aussi par des approches élargies sur le suivi ou monitoring des athlètes, le profilage du risque de blessure, la place des individus dans un collectif. Sont également évoquées nos capacités à considérer les particularismes individuels, non seulement de la personne, de la cellule de performance, mais aussi des systèmes fédéraux, soulignant les paradoxes de l’individualisation. L’approche de l’individualisation au sein du paralympisme constitue une preuve manifeste de la complexité et des interactions à multiples échelles que nécessite une réelle prise en compte des individus. Ces allers-retours conceptuels sont ici essentiels car « l’individualité est un apanage de la complexité, et un corpuscule isolé est trop simple pour être doué d’individualité » (Bachelard, 1934).
8Vous l’aurez compris, il n’est donc pas ici question de « sortir de son individualité » mais bien de partir de chacune d’elle.
Auteur
Chercheur à l’IRMES
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