Annexe 6. Arrêt Meca-Medina, 18 juillet 2006 (extraits)
p. 251-256
Texte intégral
1Dans l’affaire C-519/04 P, ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduit le 22 décembre 2004, David Meca-Medina, demeurant à Barcelone (Espagne), Igor Majcen, demeurant à Ljubljana (Slovénie),
2les autres parties à la procédure étant la Commission des Communautés européennes
[...]
3Arrêt (extraits)
41. Par leur pourvoi, MM. Meca-Medina et Majcen (ci-après, pris ensemble, les « requérants ») demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 30 septembre 2004, Meca-Medina et Majcen/Commission (T-313/02, Rec. p. 11-3291, ci-après l’« arrêt attaqué »), par lequel celui-ci a rejeté leur recours tendant à l’annulation de la décision de la Commission des Communautés européennes, du 1er août 2002, rejetant la plainte déposée par les requérants à l’encontre du Comité international olympique (ci-après le « CIO »), visant à faire constater l’incompatibilité de certaines dispositions réglementaires adoptées par celui-ci et mises en oeuvre par la Fédération internationale de natation (ci-après la « FINA »), ainsi que certaines pratiques relatives au contrôle du dopage, avec les règles communautaires de concurrence et de libre prestation des services (COMP/38158 – Meca-Medina et Majcen/CIO, ci-après la « décision litigieuse »).
[...]
Appréciation de la Cour
522. Il convient de rappeler que, compte tenu des objectifs de la Communauté, l’exercice des sports relève du droit communautaire dans la mesure où il constitue une activité économique au sens de l’article 2 CE (voir arrêts du 12 décembre 1974, Walrave et Koch, 36/74, Rec. p. 1405, point 4 ; du 14 juillet 1976, Donà, 13-76, Rec. p. 1333, point 12 ; du 15 décembre 1995, Bosman, C-415/93, Rec. p. 1-4921, point 73 ; du 11 avril 2000, Deliège, C-51/96 et C-l91/97, Rec. p. 1-2549, point 41, et du 13 avril 2000, Lehtonen et Castors Braine, C-l 76/96, Rec. p. 1-2681, point 32).
623. C’est ainsi que lorsqu’une activité sportive a le caractère d’une activité salariée ou d’une prestation de services rémunérée, ce qui est le cas de celle des sportifs semi-professionnels ou professionnels (voir, en ce sens, arrêts précités Walrave et Koch, point 5, Donà, point 12, et Bosman, point 73), elle tombe, plus particulièrement, dans le champ d’application des articles 39 CE et suivants, ou des articles 49 CE et suivants.
724. Ces dispositions communautaires en matière de libre circulation des personnes et de libre prestation des services ne régissent pas seulement l’action des autorités publiques, mais s’étendent également aux réglementations d’une autre nature visant à régler, de façon collective, le travail salarié et les prestations de service (arrêts précités Deliège, point 47, ainsi que Lethonen et Castors Braine, point 35).
825. La Cour a cependant jugé que les interdictions qu’édictent ces dispositions du traité ne concernent pas les règles qui portent sur des questions intéressant uniquement le sport et, en tant que telles, étrangères à l’activité économique (voir, en ce sens, arrêt Walrave et Koch, précité, point 8).
926. S’agissant de la difficulté de scinder les aspects économiques et les aspects sportifs d’une activité sportive, la Cour a reconnu, dans l’arrêt Donà, précité, points 14 et 15, que les dispositions communautaires en matière de libre circulation des personnes et de libre prestation des services ne s’opposent pas à des réglementations ou pratiques justifiées par des motifs non économiques, tenant au caractère et au cadre spécifiques de certaines rencontres sportives. Elle a cependant souligné que cette restriction du champ d’application des dispositions en cause doit rester limitée à son objet propre. Dès lors, elle ne peut être invoquée pour exclure toute une activité sportive du champ d’application du traité (arrêts précités Bosman, point 76, et Deliège, point 43).
1027. Au vu de l’ensemble de ces considérations, il ressort que la seule circonstance qu une règle aurait un caractère purement sportif ne fait pas pour autant sortir la personne qui exerce l'activité régie par cette règle ou l’organisme qui a édicté celle-ci du champ d'application du traité.
1128. Si l’activité sportive en cause entre dans le champ d’application du traité, les conditions de son exercice sont alors soumises à l’ensemble des obligations qui résultent des différentes dispositions du traité. Il s’ensuit que les règles qui régissent ladite activité doivent remplir les conditions d’application de ces dispositions qui, notamment, visent à assurer la libre circulation des travailleurs, la liberté d’établissement, la libre prestation des services ou la concurrence.
1229. C’est ainsi que, pour le cas où l’exercice de cette activité sportive doit être apprécié au regard des dispositions du traité relatives à la libre circulation des travailleurs ou la libre prestation des services, il y aura lieu de vérifier si les règles qui régissent ladite activité remplissent les conditions d’application des articles 39 CE et 49 CE, c’est-à-dire ne constituent pas des restrictions interdites par lesdits articles (arrêt Deliège, précité, point 60).
1330. De même, pour le cas où l’exercice de ladite activité doit être apprécié au regard des dispositions du traité relatives à la concurrence, il y aura lieu de vérifier si, compte tenu des conditions d’application propres aux articles 81 CE et 82 CE, les règles qui régissent ladite activité émanent d’une entreprise, si celle-ci restreint la concurrence ou abuse de sa position dominante, et si cette restriction ou cet abus affecte le commerce entre Etats membres.
1431. Aussi, à supposer même que ces règles ne constituent pas des restrictions à la libre circulation parce qu’elles portent sur des questions intéressant uniquement le sport et sont en tant que telles, étrangères à l’activité économique (arrêts précités Walrave et Koch ainsi que Donà), cette circonstance n’implique ni que l’activité sportive concernée échappe nécessairement au champ d’application des articles 81 CE et 82 CE, ni que lesdites règles ne rempliraient pas les conditions d’application propres auxdits articles.
1532. Or, au point 42 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que le fait qu’une réglementation purement sportive soit étrangère à l’activité économique, avec pour conséquence que ladite réglementation n’entre pas dans le champ d’application des articles 39 CE et 49 CE, signifie, également, qu elle est étrangère aux rapports économiques de concurrence, avec pour conséquence qu elle n entre pas non plus dans le champ d’application des articles 81 CE et 82 CE.
1633. En estimant qu’une réglementation pouvait ainsi être écartée d’emblée du champ d application desdits articles au seul motif qu’elle était considérée comme purement sportive au regard de l’application des articles 39 CE et 49 CE, sans qu’il soit nécessaire de vérifier au préalable si cette réglementation répondait aux conditions d’application propres aux articles 81 CE et 82 CE, telles que rappelées au point 30 du présent arrêt, le Tribunal a commis une erreur de droit.
1734. Dès lors, les requérants sont fondés à soutenir que c’est à tort que le Tribunal a, au point 68 de l’arrêt attaqué, rejeté leur demande au motif que la réglementation antidopage litigieuse ne relevait ni de l’article 49 CE ni du droit de la concurrence. Il y a lieu, par suite, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres branches du premier moyen, ni davantage les autres moyens soulevés par les requérants, d’annuler l’arrêt attaqué.
Sur le fond
1835. Conformément à l’article 61 du statut de la Cour de justice, l’affaire étant en état d’être jugée, il convient de statuer au fond sur les conclusions des requérants tendant à l’annulation de la décision litigieuse.
1936. Il y a lieu de rappeler à cet égard que les requérants ont soulevé trois moyens à l’appui de leur recours. Ils ont reproché à la Commission d’avoir considéré, d’une part, que le CIO n’était pas une entreprise au sens de la jurisprudence communautaire, d’autre part, que la réglementation antidopage litigieuse ne serait pas une restriction de concurrence au sens de l’article 81 CE, enfin, que leur plainte ne contenait pas de faits permettant de parvenir à la conclusion qu’il pourrait y avoir une violation de l’article 49 CE.
Sur le premier moyen
2037. Les requérants soutiennent que la Commission aurait eu tort de ne pas qualifier le CIO d’entreprise pour l’application de l’article 81 CE.
2138. Il est cependant constant que, pour statuer sur la plainte dont elle était saisie par les requérants au regard des dispositions des articles 81 CE et 82 CE, la Commission a entendu se placer, comme il ressort explicitement du point 37 de la décision litigieuse, dans la situation où le CIO devait être qualifié d’entreprise et, au sein du mouvement olympique, comme une association d'associations internationales et nationales d’entreprises.
2239. Ce moyen étant fondé sur une lecture erronée de la décision litigieuse, il est inopérant et doit, par suite, pour ce motif, être rejeté.
Sur le deuxième moyen
2340. Les requérants soutiennent que c’est à tort que, pour rejeter leur plainte, la Commission a considéré que la réglementation antidopage litigieuse ne serait pas une restriction de concurrence au sens de l’article 81 CE. Ils font valoir que la Commission a fait une application erronée des critères établis par la Cour dans son arrêt Wouters e.a., précité, pour justifier les effets restrictifs de la réglementation antidopage litigieuse sur la liberté d’action des requérants. Selon ces derniers, d’une part, ladite réglementation ne serait en effet, contrairement à ce qu’a estimé la Commission, nullement inhérente aux seuls objectifs visant à préserver l’intégrité de la compétition et celle de la santé des athlètes, mais chercherait à garantir les intérêts économiques propres au CIO. D’autre part, cette réglementation, en fixant un taux maximal de 2 ng/ml d’urine ne répondant à aucun critère de sécurité scientifique, présenterait un caractère excessif et irait ainsi au-delà de ce qui est nécessaire pour lutter efficacement contre le dopage.
2441. Il y a lieu de relever d’abord que si les requérants soutiennent que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en assimilant le contexte global dans lequel le CIO a adopté la réglementation en cause à celui dans lequel l’ordre néerlandais des avocats avait adopté le règlement sur lequel la Cour était appelée à se prononcer dans l’arrêt Wouters e.a., ils n’assortissent ce moyen d’aucune précision permettant d’en apprécier le bien-fondé.
2542. Il importe de relever ensuite que la compatibilité d’une réglementation avec les règles communautaires de la concurrence ne peut être appréciée de façon abstraite (...). Tout accord entre entreprises ou toute décision d’une association d’entreprises qui restreignent la liberté d’action des parties ou de l’une d’elles ne tombent pas nécessairement sous le coup de l’interdiction édictée à l’article 81, paragraphe 1, CE. En effet, aux fins de l’application de cette disposition à un cas d’espèce, il y a lieu tout d’abord de tenir compte du contexte global dans lequel la décision de l’association d’entreprises en cause a été prise ou déploie ses effets, et plus particulièrement de ses objectifs. Il convient ensuite d’examiner si les effets restrictifs de la concurrence qui en découlent sont inhérents à la poursuite desdits objectifs (arrêt Wouters e.a., précité, point 97) et sont proportionnés à ces objectifs.
2643. S’agissant du contexte global dans lequel la réglementation litigieuse a été prise, la Commission a pu considérer à juste titre que l’objectif général de cette réglementation vise, ce qui n’est contesté par aucune des parties, à lutter contre le dopage en vue d’un déroulement loyal de la compétition sportive et inclut la nécessité d’assurer l’égalité des chances des athlètes, leur santé, l'intégrité et l’objectivité de la compétition ainsi que les valeurs éthiques dans le sport.
2744. Par ailleurs, étant donné que des sanctions sont nécessaires pour garantir l’exécution de l'interdiction du dopage, l’effet de celles-ci sur la liberté d’action des athlètes doit être considéré comme étant, en principe, inhérent aux règles antidopage.
2845. Aussi, à supposer même que la réglementation antidopage litigieuse doive être regardée comme une décision d’association d’entreprises limitant la liberté d’action des requérants, elle ne saurait, pour autant, constituer nécessairement une restriction de concurrence incompatible avec le marché commun, au sens de l’article 81 CE, dès lors qu’elle est justifiée par un objectif légitime. En effet, une telle limitation est inhérente à l’organisation et au bon déroulement de la compétition sportive et vise précisément à assurer une saine émulation entre les athlètes.
2946. Si les requérants ne contestent pas la réalité de cet objectif, ils soutiennent néanmoins que la réglementation antidopage litigieuse a également pour finalité de garantir les intérêts economiques propres au CIO et que c’est en vue de préserver cette finalité que des règles excessives, comme celles contestées en l’espèce, sont adoptées. Ces dernières ne sauraient donc, selon eux, être considérées comme inhérentes au bon déroulement de la compétition et échapper aux interdictions de l’article 81 CE.
3047. À cet égard, il y a lieu d’admettre que le caractère répressif de la réglementation antidopage litigieuse et l’importance des sanctions applicables en cas de violation de celle-ci sont susceptibles de produire des effets négatifs sur la concurrence car elles pourraient, pour le cas où ces sanctions s’avéreraient finalement infondées, conduire à l’exclusion injustifiée de l’athlète de compétitions, et donc à fausser les conditions d’exercice de l’activité en cause. Il s’ensuit que, pour échapper à l’interdiction de l’article 81, paragraphe 1, CE, les restrictions ainsi imposées par cette réglementation doivent être limitées à ce qui est nécessaire afin d’assurer le bon déroulement de la compétition sportive (...).
3148. Une telle réglementation pourrait en effet s’avérer excessive, d’une part dans la détermination des conditions permettant de fixer la ligne de partage entre les situations relevant du dopage passible de sanctions et celles qui n’en relèvent pas, et d’autre part dans la sévérité desdites sanctions.
3249. En l’occurrence, cette ligne de partage est déterminée dans la réglementation antidopage litigieuse par le seuil de 2 ng/ml d’urine au-delà duquel la présence de nandrolone dans le corps de l’athlète est constitutive de dopage. Les requérants contestent cette règle en soutenant que le seuil ainsi retenu serait fixé à un niveau excessivement bas qui ne reposerait sur aucun critère de sécurité scientifique.
3350. Toutefois, les requérants n’établissent pas que la Commission aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant cette règle comme justifiée.
3451. dans le corps des athlètes est susceptible d’améliorer leurs performances et de fausser le déroulement loyal des compétitions auxquelles les intéressés participent. Le principe de l’interdiction qui frappe cette substance est dès lors justifié au regard de l’objectif de la réglementation antidopage.
3552. Il est également constant que cette substance peut être produite de façon endogène et que, pour tenir compte de ce phénomène, les instances sportives, et notamment le CIO par le biais de la réglementation antidopage litigieuse, ont admis que le dopage ne serait considéré comme constitué que lorsque la présence de ladite substance dépasse un certain seuil. Ce n’est donc que dans l’hypothèse où, compte tenu de l’état des connaissances scientifiques au moment de l’adoption de la réglementation antidopage litigieuse ou même au moment de l’application qui a été faite de celle-ci pour sanctionner les requérants, en 1999, le seuil de tolérance serait fixé à un niveau tellement bas qu’il devrait être considéré comme ne prenant pas suffisamment en compte ce phénomène, que ladite réglementation devrait être considérée comme n’étant pas justifiée au regard de l’objectif qu’elle visait.
3653. Or, il ressort des éléments du dossier qu’au moment pertinent, la production endogène moyenne observée dans toutes les études alors publiées était vingt fois inférieure à 2 ng/ml d’urine et que la valeur maximale de la production endogène observée était inférieure de près d’un tiers. Si les requérants soutiennent que, dès 1993, le CIO ne pouvait ignorer le risque signalé par un expert que la simple consommation d’une quantité limitée de porc mâle non castré pouvait amener des athlètes parfaitement innocents à dépasser le seuil en cause, il n’est en tout état de cause pas établi qu’au moment pertinent ce risque ait été confirmé par la majorité de la communauté scientifique. En outre, les résultats des études et des expériences menées sur ce point postérieurement à la décision litigieuse sont, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité de cette dernière.
3754. Dans ces conditions, et dès lors que les requérants ne précisent pas à quel niveau le seuil de tolérance en cause aurait dû être fixé au moment pertinent, il n’apparaît pas que les restrictions qu’impose ce seuil aux sportifs professionnels iraient au-delà de ce qui est nécessaire afin d’assurer le déroulement et le bon fonctionnement des compétitions sportives.
3855. Les requérants n’ayant par ailleurs pas invoqué le caractère excessif des sanctions applicables et infligées en l’espèce, le caractère disproportionné de la réglementation antidopage en cause n’est dès lors pas établi.
3956. Il y a lieu, par suite, de rejeter le deuxième moyen.
Sur le troisième moyen
4057. Les requérants soutiennent que la décision litigieuse est entachée d’une erreur de droit en ce qu’elle rejette, en son point 71, leur argument selon lequel les règles du CIO violent les dispositions de l’article 49 CE.
4158. Il doit être, toutefois, relevé que la demande formée par les requérants devant le Tribunal porte sur la légalité d’une décision prise par la Commission à l’issue d’une procédure diligentée sur la base d’une plainte déposée au titre du règlement no 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (..). Il en résulte que le contrôle juridictionnel de cette décision doit nécessairement être circonscrit aux règles de concurrence telles qu’elles résultent des articles 81 CE et 82 CE, et qu’il ne saurait par conséquent s’étendre au respect des autres dispositions du traité (voir, en ce sens, ordonnance du 23 février 2006, Piau, C-l71/05 P, non publiée au Recueil, point 58).
4259. Dès lors, quel que soit le motif par lequel la Commission a rejeté l’argument invoqué par les requérants au regard de l’article 49 CE, le moyen qu’ils soulèvent est inopérant et doit, par suite, être également rejeté.
4360. Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient donc de rejeter le recours introduit par les requérants contre la décision litigieuse.
44Par ces motifs, la Cour déclare et arrête :
L’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 30 septembre 2004, Meca-Medina et Majcen/Commission (T-313/02) est annulé.
Le recours introduit devant le Tribunal de première instance sous le no T-313/02, et tendant à l’annulation de la décision de la Commission, du Ier août 2002, portant rejet de la plainte de MM. Meca-Medina et Majcen est rejeté.
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