Éléments pour l'analyse du comportement décisionnel du défenseur dans les sports de raquette
p. 43-60
Texte intégral
1De nombreuses situations sportives peuvent être présentées comme une série de duels où l'un des joueurs est en attente du coup délivré par son adversaire. La notion d'attente reflète la dépendance d'un des joueurs (le défenseur) vis-à-vis de l'initiative d'un adversaire (l'attaquant). C'est le cas, par exemple, du gardien de but au football, au handball, au hockey ou du joueur défenseur en sports de raquette. Ces situations ont fait l'objet de plusieurs travaux expérimentaux, sans doute en raison de leur proximité avec les paradigmes de temps de réaction utilisés en laboratoire. En effet, le joueur en attente est aussi confronté à une situation de temps de réaction dans laquelle il doit produire une réponse exacte en réaction à l'attaque de son adversaire. Son temps de réaction, c'est-à-dire le temps qui s'écoule entre le déclenchement de l'attaque de l'adversaire et l'amorce de la réponse correspondante du défenseur, détermine en grande partie la performance de ce dernier.
2Le but de cet article est de montrer que la compréhension du comportement du joueur en attente peut s'appuyer sur l'analyse des caractéristiques de la tâche à réaliser mais également sur l'analyse du contexte dans lequel elle se déroule (fatigue, score...). En simulant les contraintes produites par le joueur qui a l'initiative, il est possible d'étudier expérimentalement les processus de traitement mis en oeuvre par le joueur en attente pour réaliser efficacement la tâche. Ces travaux peuvent être effectués en laboratoire ou dans des situations réelles aménagées. Ils donnent une idée assez précise des effets des différents paramètres de la tâche sur la performance lorsque le sujet se comporte de façon rationnelle.
LA TACHE DU JOUEUR EN ATTENTE
3Pour analyser la tâche du joueur en attente, considérons un échange en squash, en racquetball ou en tennis. Il s'agit de l'intervalle de temps compris entre la frappe d'un des joueurs et le moment où le même joueur entre à nouveau en contact avec la balle renvoyée par son adversaire. Les principaux événements qui se déroulent entre ces deux moments sont illustrés à la figure 1.
4On peut d'abord y observer que les deux joueurs alternent entre les rôles d'attaquant et de défenseur. Le joueur est à l'attaque quand il est sur le point d'exécuter son coup. Dès qu'il a frappé la balle, le joueur devient défenseur. Il est alors en attente du coup que son adversaire s'apprête à exécuter. Une fois le coup de l'adversaire frappé, le joueur en défense doit réagir pour aller récupérer la balle. Il devient alors, à nouveau, le porteur de l'attaque. Un point peut être obtenu à la suite d'un ou de plusieurs échanges consécutifs et, dans son ensemble, le match peut être vu comme étant une série d'échanges.
5Revenons à la figure 1, au moment où le joueur à l'attaque exécute son coup et passe maintenant du rôle d'attaquant à celui de défenseur (premier contact balle-raquette). Les recherches en sports de raquette permettent de fournir un compte rendu relativement détaillé des opérations de traitement de l'information que le joueur en défense doit réaliser pour réagir correctement, et dans les meilleurs délais, à l'attaque imminente de l'adversaire. Elles sont décrites ci-dessous.
Formulation des attentes et évaluation de la pression temporelle
6Au fur et à mesure que le temps s'écoule après le premier contact balleraquette, le joueur en défense a accès à plusieurs sources d'information qui lui sont révélées tour à tour : la force avec laquelle la balle a été frappée, la position respective des joueurs sur le jeu quand le coup a été exécuté, la direction et la vitesse du déplacement du joueur adverse pour aller récupérer la balle, l'angle formé par le corps de l'adversaire et le mur avant ou le filet quand il s'apprête à exécuter son coup, le ou les coups préférés de l'adversaire.... Alain et Sarrazin (1985, 1990) et Alain et Proteau (1978) ont montré que le joueur en défense utilise ces informations pour identifier les coups ayant la plus grande probabilité d'être frappés par l'adversaire.
7Les résultats de ces travaux (Alain et Sarrazin, 1985 ; 1990 ; Alain, Sarrazin et Lacombe, 1986) ont aussi mis en évidence le fait que les joueurs en défense évaluent la pression temporelle résultant de l'exécution de l'une ou l'autre des attaques attendues. La pression temporelle est définie comme étant le rapport de deux valeurs subjectives. La première est le temps accordé (TA) au joueur en défense pour réagir à l'attaque et se déplacer jusqu'à la balle. De façon plus précise, le TA est le temps qui s'écoule entre le contact balle-raquette de l'adversaire et le moment estimé où la balle projetée touchera le sol pour une deuxième fois. La valeur estimée du TA n'est pas la même pour chacun des coups susceptibles d'être exécutés par l'adversaire. Par exemple, le TA associé à un lob sera long tandis que celui évalué pour un smash en tennis ou un coup de débordement latéral en squash sera court. La valeur estimée du TA peut aussi varier en fonction de l'habileté technique de l'adversaire, c'est-à-dire sa capacité à diriger la balle là où il le veut. La deuxième valeur subjective servant à évaluer la pression temporelle est le temps requis (TREQ) par le joueur en défense pour réagir à l'attaque présentée et se rendre à la balle avant que le TA ne soit expiré.
8En résumé, les sources d'information révélées au joueur en défense, à partir du premier contact balle-raquette (figure 1) sont utilisées pour formuler des expectatives pour les attaques de l'adversaire et évaluer la pression temporelle à laquelle le joueur en défense serait soumis si une ou l'autre attaque était effectivement utilisée. Cela peut être considéré comme la première opération significative de traitement de l'information réalisée par le joueur en défense après le premier contact balle-raquette. Comme nous le verrons ci-après, la formulation d'expectatives et l'estimation de la pression temporelle guideront le joueur en défense pour effectuer les opérations subséquentes de traitement, faites dans le but de maximiser ses chances de se rendre à temps à la balle que l'adversaire est sur le point de frapper.
Mouvements anticipatoires
9L'identification des coups attendus, le niveau d'expectative et la pression temporelle associés à chacune des attaques potentielles conduisent souvent le joueur en défense à s'engager dans ce que Alain et Proteau (1978) ont appelé des mouvements anticipatoires. Quand ils se produisent, les mouvements anticipatoires sont exécutés avant que l'attaquant ne fasse contact avec la balle. De façon typique, le mouvement anticipatoire consiste en un ou deux pas exécutés dans une direction choisie afin de mieux se positionner avant la frappe de l'adversaire. Alain et Proteau (1978) ont montré que plus l'expectative pour une attaque particulière était grande, plus la fréquence des mouvements anticipatoires faits pour se positionner en fonction de cette attaque augmentait. Comme ces auteurs l'ont souligné, si l'attaque attendue s'avérait être celle qui était exécutée par l'adversaire, l'utilisation de mouvements anticipatoires aurait pour conséquence de réduire le TREQ en s'approchant de l'endroit où la balle serait dirigée. En d'autres termes, ce déplacement aurait comme effet de diminuer la pression temporelle associée à cette attaque particulière.
10Plusieurs expériences menées en laboratoire ont montré que les sujets utilisent des mouvements anticipatoires pour augmenter leurs chances de compléter à temps la réponse appelée par le signal de réaction.
11Par exemple, Proteau et Laurencelle (1982) et Proteau, Teasdale et Laurencelle (1983) ont utilisé une situation de temps de réaction à deux choix dans laquelle les sujets devaient faire glisser un curseur manuel sur un rail. Le curseur devait être déplacé vers la droite ou vers la gauche en réponse au signal de réaction présenté et était arrêté par un butoir en fin de course. Deux facteurs étaient manipulés. Le premier était le TA, c'est-à-dire le délai en deçà duquel le mouvement demandé devait être exécuté. L'autre facteur était la probabilité respective associée à chacune des directions possibles du mouvement. Avant chacun des essais, le curseur était positionné au centre à une distance de 30 cm de chacune des extrémités du rail. Les sujets étaient alors informés de la probabilité associée à chacune des directions du mouvement et du temps qui leur était accordé pour compléter le mouvement appelé par le signal de réaction. Après avoir reçu ces informations, mais avant que l'essai ne débute, les sujets avaient l'option de garder le curseur à sa position centrale ou de le déplacer à un autre endroit sur le rail, vers une des deux directions de leur choix. En d'autres termes, on permettait aux sujets de s'engager dans un mouvement anticipatoire, avant la présentation du signal de réaction. Quand le sujet décidait qu'il était prêt à recevoir le signal de réaction, il en informait l'expérimentateur. Un signal préparatoire était alors présenté, suivi du signal de réaction. Les résultats de ces deux expériences ont révélé que la fréquence d'utilisation des mouvements anticipatoires, de même que la distance qu'ils couvraient, augmentaient significativement quand le temps accordé pour répondre était réduit et quand la probabilité d'une des directions du mouvement devenait de plus en plus grande.
12Deux points méritent d'être soulignés ici. Le premier est que les sujets tiennent compte de leurs expectatives et de la pression temporelle pour décider de s'engager ou non dans des mouvements anticipatoires et pour jauger la distance que ces mouvements devraient couvrir. Le deuxième point est qu'en choisissant d'utiliser des mouvements anticipatoires, les sujets réduisent leur TREQ, soit le temps qu'ils prendront pour réagir et compléter la réponse qui correspond au signal attendu. Ce faisant, ils diminuent la pression temporelle à laquelle ils auraient été assujettis et augmentent ainsi leurs chances de compléter leur réponse en deçà du temps qui leur est imparti.
13Pour ces raisons, la décision de s'engager ou non dans un mouvement anticipatoire constitue la deuxième operation significative de traitement de l'information complétée par le joueur en défense.
Choix de l'état de préparation
14Il faut bien comprendre qu'en s'engageant dans un mouvement anticipatoire, le joueur en défense n'a pas encore réagi à l'attaque de son opposant. Il a uniquement choisi une position plus favorable sur le court pour laquelle les valeurs de pression temporelle associées à chacune des attaques potentielles, avant son déplacement, sont maintenant modifiées. C'est à partir de cette nouvelle position sur le court que le joueur fait face à une situation de temps de réaction. Le contact balle-raquette de l'opposant (voir figure 1) constitue le stimulus auquel le joueur doit réagir en produisant comme réponse un déplacement global du corps vers l'endroit où la balle aura été dirigée.
15Le point important à souligner ici est que le temps pris pour réagir après la frappe de balle est largement tributaire de l'état préparatoire institué avant la frappe de l'adversaire (Alain, 1992 ; Holender, 1980). Plus la préparation investie dans la réponse appelée par l'attaque de l'adversaire aura été élevée, plus le temps de réaction du joueur en défense sera écourté. En contrepartie, plus la préparation est élevée en faveur d'une attaque particulière, plus les chances de réagir à temps à une attaque différente diminuent. A ce moment, la tâche du joueur en défense est donc de choisir l'état préparatoire qui lui garantirait les meilleures chances de réagir correctement et dans les meilleurs délais à l'attaque imminente de son adversaire.
16Pour y arriver, les sources d'information utilisées par le joueur en défense sont les mêmes que celles qui l'ont conduit à décider ou non de s'engager dans un mouvement anticipatoire. Tout comme pour le mouvement anticipatoire, ces informations auront été utilisées pour formuler des expectatives quant aux différentes attaques possibles et pour évaluer la pression temporelle associée à chacune d'elles. Si le joueur a opté pour un mouvement anticipatoire, il va de soi que les valeurs de pression temporelle de chacune des attaques ont été modifiées et ce sont ces nouvelles valeurs qui seront considérées pour choisir l'état préparatoire à adopter.
17Selon les études menées sur cette question (Alain et Sarrazin, 1985 ; 1990), il s'avère que le joueur en défense perçoit trois catégories de préparation : préparation totale, partielle et neutre.
18La préparation totale peut être instituée lorsque le joueur en défense se rend compte qu'il devra réagir extrêmement rapidement à l'attaque que son adversaire est sur le point de lui présenter. L'exemple suivant permet d'illustrer le type de situations qui peut amener le joueur en défense à choisir cet état préparatoire. En badminton, le joueur qui vient d'exécuter son coup et qui se retrouve en position de défense s'aperçoit, en raison des positions respectives des joueurs sur le terrain, que l’attaque logique et probable de son adversaire est le smash à gauche. Parce que l'exécution de ce coup n'offrirait que peu de temps au joueur en défense pour y réagir, ce dernier pourrait choisir de se préparer totalement pour ce coup à l'exclusion des autres attaques possibles. Dans ce cas, le joueur en défense ne considérerait qu'une seule réponse possible dont il tenterait de synchroniser le déclenchement avec l'attaque de l'adversaire. Si l'attaque présentée était celle qui avait été prévue, le choix de ce type de préparation se traduirait par un temps de réaction très court, augmentant ainsi les chances de produire la réponse requise en deçà du temps imparti pour le faire. Par contre, l'utilisation d'une attaque différente par l'adversaire se traduirait par un point marqué.
19Si, par contre, le joueur décidait d'adopter une préparation partielle, il préparerait plusieurs réponses plutôt qu'une seule, en en préparant une plus que toutes les autres. Si la réponse la plus préparée devait être celle qui est appelée, le temps de réaction du joueur serait plus court que celui associé à une réponse moins préparée. Pour la préparation partielle, le temps de réaction associé à la réponse la plus préparée serait plus long que celui qui résulterait du choix d'une préparation totale. Cependant, comparativement à la préparation totale, l'avantage de la préparation partielle est que le joueur en défense conserve ses chances de produire à temps la réponse moins préparée si cette réponse était requise par l'attaque de son adversaire. La préparation partielle pourrait être préférée à la préparation totale quand le joueur en défense constate que ce type de préparation lui offre autant de chances que la préparation totale de réagir à temps si la réponse préparée est exigée.
20Finalement, le joueur pourrait opter pour une préparation neutre. Dans ce cas, aucune des réponses n'est préparée plus que les autres. Cela se traduirait par un temps de réaction plus long que celui résultant d'une préparation totale ou partielle. Ce type de préparation pourrait être choisie quand le joueur en défense juge que la pression temporelle associée à chacune des attaques préparées est relativement faible. Dans ce cas, même si le temps de réaction du joueur était plus long que celui qui résulterait d'une préparation totale ou partielle, la réponse du joueur en défense pourrait être complétée à temps, quelle que soit la nature de l'attaque présentée. Cela pourrait ne pas être le cas si une préparation totale ou partielle avait été choisie.
21Le choix de l'état préparatoire ne dépend pas uniquement de la pression temporelle associée à chacune des attaques non plus qu'il ne dépend exclusivement des expectatives du joueur vis-à-vis des attaques potentielles. Alain, Sarrazin et Lacombe (1986) ont montré que, dans certaines situations, le facteur déterminant du choix de la préparation était les expectatives du sujet. La pression temporelle l'était pour d'autres. Aucun des deux facteurs ne domine l'autre dans toutes les situations.
22La figure 2 présente toutes les situations possibles pour lesquelles les expectatives du sujet et la pression temporelle peuvent interagir pour spécifier l'état de préparation choisi. Les expectatives sont exprimées ici en termes de probabilité subjective (Ps) associée à chacune des attaques. La pression temporelle de chaque attaque est représentée par le rapport temps accordé/temps requis (TA/TREQ). A l'examen de cette figure, on peut constater que lorsque la probabilité subjective assignée à chacune de deux attaques est la même (les neuf cases de la section supérieure de la figure) l'état de préparation du sujet pourra changer en fonction de la pression temporelle associée à chacune des attaques. Dans ce cas, la pression temporelle de chacune des attaques constitue le facteur dominant dans le choix de l'état préparatoire. Dans cette partie de la figure, considérons toutes les cases marquées du symbole ?. Pour toutes ces situations, chacune des attaques véhicule une pression temporelle différente. Dans ces conditions, le joueur en défense pourrait trouver avantageux d'opter pour une préparation partielle ou totale en faveur de l'attaque présentant la plus grande pression temporelle. Examinons maintenant la case marquée par les symboles X et $. Elle représente une situation où les deux attaques équiprobables présentent une pression temporelle faible. Dans ce cas, le joueur pourrait opter pour une préparation neutre, sachant qu'il aura tout le temps voulu pour réagir à l'une ou à l'autre des attaques. Finalement, pour les deux cases marquées du symbole $, la pression temporelle est égale pour les deux attaques. Cependant la pression temporelle des deux attaques est plus élevée pour une des deux cases. Cette augmentation de la pression temporelle, de façon équivalente pour les deux attaques, pourrait inciter le joueur à opter pour une préparation partielle ou même totale pour une ou l'autre des deux attaques.
23Comparons maintenant les deux cases marquées du symbole X à celle marquée des symboles X et $. dans les trois cas, la pression temporelle des deux attaques est la même. Les trois cases se distinguent par la probabilité respective assignée à chacune des attaques. Dans ce cas, le joueur pourrait décider d'opter pour une préparation partielle en faveur de l'attaque la plus probable.
24Finalement, plusieurs des cases marquées du symbole ? représentent des situations conflictuelles où l'attaque de faible probabilité pourrait être celle pour laquelle le joueur choisit de se préparer davantage. Cela peut se produire quand l'attaque la plus probable, aux yeux du défenseur, présente une pression temporelle faible tandis que la pression temporelle associée à l'autre attaque est forte. L'inverse peut aussi être vrai : l'attaque présentant la pression temporelle la plus faible des deux pourrait être celle qui fait l'objet d'une préparation partielle ou même totale si la probabilité de cette attaque est très élevée. Le choix du type de préparation adopté résulte de la considération conjointe des expectatives et de la pression temporelle, aucun des deux facteurs ne dominant l'autre dans toutes les situations.
LE TEMPS DE REACTION DU JOUEUR EN DEFENSE
25Le temps de réaction du joueur en défense débute avec le contact balleraquette de l'adversaire pour se terminer avec le début de la réponse émise. Bien sûr, si un état de préparation totale a été choisi avant le contact balleraquette, une réponse aura été programmée à l'avance et elle sera déclenchée presque en même temps que le contact balle-raquette, au risque de ne pas être la réponse requise. Le joueur qui s'est engagé dans un état de préparation totale n'attend pas l'arrivée du signal pour l'analyser et y réagir. Il a opté pour un mode de prédiction plutôt que pour un mode de réaction. Il prend le pari que la réponse qu'il produira sera celle qui sera appelée et il la déclenche au moment même où l'adversaire fait contact avec la balle A l'inverse, quand un état de préparation partielle ou neutre est choisi, le joueur se place dans un mode de réaction. Il attend l'arrivée du signal impératif pour réagir, c'est-à-dire pour identifier le signal et choisir la réponse qui lui correspond. Dans le cas de la préparation partielle, une réponse est plus préparée que les autres sans toutefois exclure la possibilité qu'une autre réponse soit requise et doive être produite. Contrairement à la préparation totale, le choix définitif de la réponse qui sera exécutée se fait après l'arrivée du signal impératif de façon à ce qu'elle corresponde au signal présenté. La même chose se produit quand un état de préparation neutre est choisi. Toutefois, dans ce cas, aucune des réponses n'est plus préparée que les autres. Pour cette raison, le temps de réaction du joueur sera plus long que celui résultant d'une préparation partielle pour laquelle la réponse la plus préparée s'avère être celle qui est requise.
26Le temps de réaction au contact balle-raquette de l'adversaire peut être considéré comme étant la quatrième et dernière opération de traitement de l'information exécutée par le joueur en défense.
27Une fois le mouvement vers la balle déclenché, le joueur en défense reprend son rôle d'attaquant. Sa tâche est alors de choisir l'attaque qu'il présentera à son opposant. En particulier, il peut s'agir pour lui de déterminer la vitesse et la durée d'exécution du mouvement de frappe. Les travaux de Proteau et coll. (1986) ont montré que les caractéristiques temporelles du mouvement constituent un paramètre important pour définir la stratégie de réponse du joueur (voir aussi Proteau et Girouard, 1987). En effet, celui-ci peut moduler la vitesse et/ou la durée du mouvement pour répondre dans les délais, lorsque la réduction du temps de réaction ne suffit pas. Cette modélisation considère que le temps de réaction et le temps de mouvement sont indépendants. De fait, ils n'envisagent pas les répercussions de la vitesse et de la durée du mouvement sur la rapidité de déclenchement de la réponse. Dans une série de travaux récents, nous avons étudié ce problème spécifique (Temprado, 1992a). Les résultats montrent que les caractéristiques temporelles du geste peuvent modifier le temps de réaction.
Effet des caractéristiques temporelles du mouvement sur la rapidité de déclenchement de la réponse et sur la performance
28La vitesse d'exécution a deux effets distincts sur la performance. D'une part, elle détermine la difficulté de programmation de la réponse (Spijkers, 1989 ; Temprado, 1992a) et, d'autre part, elle modifie la précision temporelle et spatiale du mouvement. (Schmidt et coll., 1979 ; Newell, 1980 ; Meyer et coll., 1988).
29Dans les mouvements d'atteinte manuelle d'une cible ou les gestes de frappe sans contrainte spatiale (Temprado, 1992a), l'augmentation de la vitesse d'exécution a des répercussions différentes sur la précision spatiale et temporelle. La variabilité spatiale du mouvement augmente lorsque la vitesse d'exécution s'élève (Schmidt et coll., 1979) alors que la précision temporelle s'améliore. Il semble que les processus responsables de la précision temporelle et de la précision spatiale soient distincts (Temprado, 1992a).
30Concernant le déclenchement de la réponse, lorsque les sujets ne peuvent pas préparer la réponse avant le signal, la diminution de la vitesse d'exécution provoque une élévation du temps de réaction (Falkenberg et Newell, 1980 ; Spijkers, 1989 ; Temprado, 1992a). En revanche, l'augmentation de la durée du mouvement, pour une vitesse d'exécution constante, n'a pas d'effet sur le temps de réaction (Spijkers, 1989 ; Temprado et Rousselle, 1992 ; Temprado, Alain et Rousselle, 1992 ; Temprado, Proteau et Rousselle, 1992).
31De fait, lorsque le joueur est pressé par le temps, il peut avoir intérêt à déterminer, avant le signal de réponse, quelle sera la vitesse et/ou la durée d'exécution de la réponse à produire. En effet, la connaissance préalable de la vitesse d'exécution du mouvement peut conduire le joueur à préparer cette caractéristique temporelle de la réponse. Nous avons réalisé une étude afin de vérifier si la préparation d'une réponse dont la vitesse est connue permet de diminuer le temps requis pour déclencher le mouvement et d'améliorer la précision temporelle du mouvement (Temprado, 1992a).
32Dans cette expérience, la tâche utilisée consistait à frapper un palet statique à la suite d'un mouvement glissé sur un plan horizontal. La vitesse d'exécution était manipulée en modifiant l'amplitude du mouvement. Deux vitesses (60 et 180 cm/s) étaient présentées. Les sujets étaient confrontés à une situation de choix où deux signaux pouvaient être présentés. Un signal correspondait au déclenchement d'une réponse à vitesse fixée et l'autre signal à aucune réponse. La probabilité d'avoir à déclencher une réponse, dont la vitesse d'exécution était connue, était manipulée (0.5, 0.7, 0.9, 1.0). Les résultats montrent que les mouvements lents présentent des temps de réaction plus longs que ceux des mouvements rapides dans toutes les conditions de probabilité sauf lorsque les sujets sont certains de la vitesse d'exécution à produire. Cela signifie que la rapidité de déclenchement de la réponse dépend de la valeur de la vitesse d'exécution, lorsque celle-ci doit être programmée après le signal de réponse. Cependant, lorsque la probabilité d'avoir à produire une réponse augmente, le temps de réaction diminue, quelle que soit la vitesse d'exécution. Cette diminution est plus importante pour les mouvements lents que pour les mouvements rapides. Cela montre qu'il est possible de préparer la vitesse d'exécution de la réponse et que cette préparation entraîne un gain de temps de réaction d'autant plus important que la réponse est difficile à programmer.
33Un autre résultat intéressant de cette étude réside dans le fait que la précision temporelle du mouvement s'améliore lorsque la probabilité d'avoir à produire une réponse à vitesse fixée augmente. Au cours d'une autre expérience nous avons étudié les effets de la préparation à réagir sur la précision spatiale du mouvement (Temprado, 1991b, 1992b). Les sujets devaient lancer une balle en direction d'une cible verticale située à droite ou à gauche en effectuant une rotation de 90 degrés. La probabilité d'avoir à lancer la balle vers une des deux cibles était manipulée (0.5, 0.9, 1.0). Les résultats ont montré que, pour une vitesse d'exécution constante, le nombre de cibles atteintes augmentait avec la probabilité de la réponse. Il semble donc que, dans certaines conditions, la préparation de la réponse peut avoir pour effet de diminuer la variabilité spatiale de l'exécution du geste. Ainsi, dans les situations d'attente, la préparation de la vitesse d'exécution du mouvement pourrait augmenter la rapidité de déclenchement de la réponse et améliorer la performance (figure 3).
ROLE DU CONTEXTE DANS LA STRATEGIE DE PREPARATION
34Les travaux revus montrent que le problème de décision posé au défenseur réside dans le choix d'un état de préparation à réagir. Le joueur a trois choix possibles : préparation neutre, partielle ou totale. Ce choix s'effectue en combinant la probabilité subjective et l'estimation de la pression temporelle. Dans ce cas, c'est le principe de maximisation de la valeur de rendement attendu (VRA) de chaque état de préparation possible qui guide la décision. La valeur de rendement attendu fait référence à l'efficacité objective de chaque option de décision pour résoudre le problème posé. En s'appuyant sur le principe de maximisation de la valeur de rendement attendu, le joueur calculerait les valeurs respectives de chaque option de préparation et choisirait celle dont la valeur est la plus élevée. Il s'agit d'une démarche hypothétique dont un exemple est donné par la figure 4.
35Cette démarche s'appuie sur l'hypothèse de la rationalité du sujet et ne tient pas compte du contexte dans lequel se déroule la tâche. En effet, l'analyse des réponses verbales données par les joueurs lors de la description des éléments qui conduisent au choix de l'état de préparation montre que d'autres paramètres comme le score, l'enjeu ou la fatigue peuvent influencer le choix de l'état de préparation. Dans ce cas, ce choix dépend de la valeur d utilité assignée à chaque option. La valeur d'utilité subjective représente l'intérêt, pour le joueur, de choisir une des options compte tenu du contexte dans lequel il se trouve. Suivant le principe de maximisation de la valeur d utilité, la valeur de rendement attendu de chaque option de préparation serait pondérée par son utilité subjective. Le sujet choisirait l'option correspondant à la valeur d'utilité subjective la plus élevée (figure 5).
36Il s'agit d'une théorie normative de la décision (Coombs, Dawes et Twersky, 1970 ; Hammond, McLelland et Mumpower, 1980) qui a fait l'objet d'une simulation informatique (Alain et Sarrazin, 1990 ; Sarrazin, Alain et Lacombe, 1983). Le but de ces travaux était de simuler un algorithme hypothétique des opérations cognitives utilisées pour aboutir au choix de l'état de préparation. Cet algorithme serait préformé, stocké et activé en mémoire à court terme par le joueur. La simulation informatique de la séquence des opérations utilisées pour choisir l'état de préparation montre qu'il s'agit d'un modèle logique pour décrire le processus de décision du joueur en attente. Cependant, cela ne signifie pas que ce modèle reproduise les opérations effectivement utilisées par le joueur pour décider. En effet, Alain, Sarrazin et Lacombe (1986) ont pu montrer qu'il existe des décalages entre les décision prédites par le modèle algorithmique et les décisions effectives des joueurs. En particulier, le principe de maximisation de la valeur d'utilité subjective ne semble pas être la seule règle applicable pour parvenir à la décision. Tel serait le cas parce que cette règle repose sur une série de combinaisons additives et multiplicatives qui excèdent les capacités du système cognitif. Ainsi, il est possible que, dans les conditions réelles de jeu, le joueur utilise d'autres règles de décision - par exemple, choix de la première solution satisfaisante - dont la nature exacte reste à déterminer.
CONCLUSION
37Le comportement décisionnel du défenseur dans les sports de raquette illustre l'importance des relations entre la tâche, les processus de traitement et le contexte de réalisation dans l'analyse de la performance sportive. La stratégie utilisée par le joueur pour optimiser la performance repose toujours sur une représentation subjective du problème qui lui est posé. Cependant, le comportement observable demeure incompréhensible si l'on ne tente pas d'analyser les processus qui permettent de répondre aux contraintes de la tâche et les paramètres qui conduisent les joueurs à adopter des stratégies particulières. Cette analyse présente un double intérêt pour l'entraîneur. Le premier est qu'elle permet de comprendre les modalités de fonctionnement cognitif du joueur en situation. Le deuxième intérêt est qu'elle dorme des indications sur les habiletés qui doivent être développées au cours de l'entraînement. En premier lieu, il convient de favoriser le décodage des indices qui conduisent à formuler des probabilités subjectives et à estimer la pression temporelle. La démarche peut consister à repérer des indicateurs décisionnels et à élaborer des situations d'entraînement où la présence et la difficulté d'identification des indicateurs sont manipulées systématiquement (Temprado, 1991a). Le deuxième aspect de l'entraînement concerne la réalisation des mouvements anticipatoires qui permettent d'optimiser l'exécution de la réponse. Les indicateurs qui déclenchent leur utilisation et les modalités de leur réalisation (choix du moment de départ, type de déplacement, amplitude,...) peuvent faire l'objet d'un apprentissage spécifique. Enfin, la connaissance des stratégies adaptées aux différents contextes de réalisation doit être développée. Cela suppose l'utilisation d'indicateurs de contexte (score, fatigue des joueurs, stratégie de jeu de l'adversaire,...) auxquels peuvent être associées des règles de décision particulières. Les modalités d'organisation de ces apprentissages dans le système d'entraînement pourraient faire l'objet de recherches spécifiques qui permettraient d'optimiser l'intervention de l'entraîneur.
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Auteurs
Docteur en STAPS.
Professeur agrégé d'éducation physique et sportive.
Membre du Laboratoire de psychologie du sport de l'INSEP. INSEP, 11 avenue du Tremblay - 75012 Paris.
Ph. D. Responsable du Laboratoire des apprentissages moteurs.
Directeur du Département d'éducation physique.
Université de Montréal, boîte postale 6128, succursale A, Montréal, Québec, Canada - H3C 3J7.
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