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p. 37-45
Texte intégral
ACTION MOTRICE
1 ■ Processus d’accomplissement des conduites motrices* d’un ou de plusieurs sujets agissant dans une situation motrice* déterminée.
2Un athlète qui lance le javelot, deux épéistes qui s’affrontent, un barreur et un focquier qui manœuvrent leur voilier, des enfants qui jouent au basket ou à la Balle au chasseur1 accomplissent une action motrice. Celle-ci se manifeste par des comportements moteurs* observables, liés à un contexte objectif, comportements qui se déploient sur une trame crépitante de données subjectives : émotion, relation, anticipation*, décision*.
3Le hasard de l’ordre alphabétique place « action motrice » en tête de ce lexique. Cette position semble justifiée dans la mesure où ce concept joue un rôle fondateur, instaurant la spécificité* de la praxéologie motrice. Mais c’est aussi une place redoutable pour un concept encore peu exploré et qu’il s’agit précisément ici de construire. Car nos ignorances à propos de l’action motrice sont à l’origine même de la constitution de ce lexique. On reconnaîtra par là que le signifié de ce concept ne peut être qu’effleuré par sa définition : en profondeur, l’ensemble des termes du lexique en éclaire le contenu.
4Dans l’univers de l’action motrice, on peut discerner des points de vue très variés, par exemple considérer l’accomplissement physique de la tâche*, les aspects techniques et tactiques déployés sur le terrain ; on peut aussi prendre en compte les mécanismes de préaction* sollicités ou bien encore les interactions motrices* et le réseau de communication* mis en jeu. La décision motrice est à coup sûr l’un des thèmes majeurs de cette problématique ; elle peut être appréhendée au niveau du sujet agissant, mais aussi au niveau d’une équipe ou encore du système constitué par l’affrontement de plusieurs groupes. On peut également envisager les conditions sociales de production de l’action motrice, dont l’un des aspects principaux est le système de norme imposé par le code de jeu. S’ensuivront des modélisations* très diverses.
5La mise en évidence de la logique interne* de la situation, qui définit les contraintes et les possibilités du système d’interaction global dans lequel se manifeste l’action motrice, est au centre de notre réflexion. Dans le cas du jeu sportif, cette logique interne détermine les propriétés de l’espace d’intervention, les modalités du contact et de la communication, les catégories praxiques* dont dispose le participant, les types de messages moteurs échangés... Sont ainsi mis en évidence les universaux* du jeu sportif dont on recherchera une représentation rigoureuse, si possible mathématique, sous forme de modèles opérationnels.
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6Le concept d’action motrice est plus large que celui de conduite motrice, directement associé aux caractéristiques subjectives de la personne agissante (ce qui est capital dans l’approche des situations concrètes d’éducation physique*, mais trop orienté pour aborder tous les angles d’attaque possibles de la motricité*). Le point de vue du sujet agissant symbolisé par la notion de conduite motrice est à coup sûr au cœur de la problématique de l’action motrice ; mais la perspective de l’action-phénomène, de Faction-système observée de l’extérieur est tout aussi capitale. À vrai dire, ces deux approches sont profondément solidaires et indissociablement complémentaires pour qui souhaite appréhender de façon non restrictive l’action motrice. On comprendra que la position de fond ainsi choisie rejette tout à la fois l’attitude psychologiste qui sacralise le vécu subjectif au détriment des conditions du contexte, et l’attitude sociologiste qui réduit la conduite humaine à une pure résultante de mécanismes de pressions socio-institutionnels.
7Une partie des termes du lexique porte l’accent soit sur la perspective de la personne agissante (conduite motrice, empathie*, inconscient moteur*, ludivité*, anticipation motrice...), soit sur la perspective de l’action-phénomène (domestication/sauvagerie*, logique interne, ethnomotricité*, duel*, universaux, modèle...), mais chaque dominante est toujours compatible avec la prise en compte complémentaire de l’autre pôle. L’association de ces deux points de vue devient centrale dans la présentation de nombreux concepts dont le sens impose de ces deux pôles une saisie simultanée : décision motrice, stratégie*, rôle sociomoteur*, décentration*, décodage sémioteur*, indice*, praxème*... La subjectivité, le projet et l’initiative individuels sont d’évidence sur le devant de la scène mais ne s’expriment que dans la mesure même où ils s’accordent aux contraintes objectives du système d’interaction. Les termes « décision » et « stratégie motrice », par exemple, privilégient manifestement l’autonomie et la capacité d’auto-détermination du sujet ; cependant, ce pouvoir de choix ne prend sens que replacé dans le contexte extérieur qui définit précisément les conditions « systémiques » qui président aux choix individuels. Tout le champ de la sémiotricité* en est l’éclatante illustration. Se dessine ainsi un troisième niveau d’étude omniprésent dans ce lexique : le niveau de l’interaction motrice qui, dans l’effervescence, ici et maintenant, de la rencontre ludomotrice, accorde la conduite subjective du joueur au canevas commun de la logique objective du jeu.
8Un point d’épistémologie* semble important à souligner : Faction motrice peut être reliée aux déterminants biomécaniques, psychologiques et sociaux qui conditionnent son déploiement, mais ne doit en aucun cas, sous peine de perdre sa spécificité*, s’abolir en eux. Une science de l’action motrice semble autorisée, de façon légitime, à proposer son propre principe de pertinence*.
9 ► Praxéologie motrice, conduite motrice, pertinence, spécificité, logique interne.
ALGORITHME MOTEUR❀
10 ■ Schéma d’organisation d’une action motrice* qui se traduit par une succession ordonnée et automatisée de comportements moteurs* programmés, aboutissant à l’accomplissement de la tâche motrice* visée.
UNE PROCÉDURE D’EXÉCUTION
Un terme péri-mathématique
11La notion d’algorithme est à mi-chemin entre le champ scientifique et l’application technique. Il s’agit d’une procédure d’exécution menant à la solution d’un problème. Terme plutôt péri-mathématique, cette notion ne se définit pas d’une façon aussi rigoureuse que les termes mathématiques classiques. Aussi sa transposition sera-t-elle favorisée dans le secteur moins exigeant des sciences du comportement. Dans ce cas, un algorithme moteur correspond à une connaissance procédurale*.
12Ce n’est que pure coïncidence si ce terme est l’anagramme de logarithme ; il est dû en réalité à la déformation du nom arabe Al Khwarismi (latinisé en Algorismus), nom du bibliothécaire d’un calife du IXe siècle, qui écrivit – et ce fut là l’origine de sa notoriété – des livres d’arithmétique.
13Les procédures apprises à l’école primaire pour additionner, multiplier ou diviser les nombres entre eux sont des algorithmes (on pose le chiffre des unités, puis on reporte le chiffre des dizaines au haut de la colonne suivante, puis...). Le développement des calculs d’une formule mathématique, c’est aussi un algorithme. L’un des plus célèbres, bien connu des écoliers, est celui d’Euclide, qui permet de calculer le PGCD de deux nombres. L’algorithme repose sur un enchaînement prédéterminé d’opérations élémentaires : identifier et poser les données, effectuer un premier calcul simple sur celles-ci, puis utiliser ce résultat dans un nouveau calcul simple (en ce cas, décomposition des nombres en facteurs premiers...), et ainsi de suite de telle sorte que la succession de ces opérations aboutisse à la solution recherchée. Bien entendu, cela n’est réalisable que si le problème posé est lui-même décomposable en actes élémentaires qu’on puisse considérer comme les atomes de l’ensemble. Dans ce cas, la démarche est déterministe et totalement automatisable : une machine, correctement programmée, pourra, sans coup férir, résoudre le problème posé. On comprend que cette notion ait connu un tel succès en informatique et dans le domaine de l’intelligence artificielle, là où le raisonnement de l’individu peut être remplacé par des automates dont les procédés de traitement assurent la simulation des opérations humaines.
Transposition dans l’ordre des comportements
14La notion est aisément transposable dans le domaine des actes de la vie quotidienne ; le choix d’un itinéraire de métro pour se rendre d’un endroit à un autre par exemple, peut s’appuyer sur un algorithme : pour retenir le plus court chemin on prendra telle ligne, on changera à telle correspondance, puis à telle autre... Les recettes de cuisine, elles aussi, peuvent être considérées comme des algorithmes : faire bouillir une casserole d’eau à petit feu, puis mettre une pincée de sel, ajouter une noix de beurre, puis... ; une recette est une suite d’instructions qui se succèdent dans un ordre précis et qui permettent (ou sont censées permettre !) d’obtenir le plat désiré.
15Cette rapide présentation appelle quelques remarques, d’ailleurs dépendantes les unes des autres.
1 - L’analyse de l’action peut se situer à des niveaux fort variables
16On a choisi, avons-nous vu, les lignes et les stations de métro ; on pourrait tout aussi bien se préoccuper des trajets effectués dans les couloirs, des allures de déplacement, du nombre de pas, des façons de monter dans les voitures et d’en descendre, des rencontres avec des marchands ambulants... Selon le niveau adopté, les actes élémentaires seront très différents et l’algorithme aura une autre intelligibilité. Ce sera l’un des points déterminants de l’analyse des pratiques motrices.
2 - La définition des actes élémentaires, à un niveau donné, reste assez floue
17Que veut-on dire exactement par une pincée de sel ou une noix de beurre ? De même, courir quatre foulées de prise d’élan, puis quatre foulées d’accélération, sont des instructions qui acceptent des réalisations fort diverses... au point que l’athlète posera des marques intermédiaires sur le sol, afin d’indiquer des zones de tolérance. Cependant, l’action motrice n’étant pas réductible à de strictes opérations formelles, ce flou que l’on cherche à éliminer reste inévitable.
3 - L’ensemble de l’action est considéré comme une succession d’actes discontinus
18Ce découpage en unités discrètes est justifié dans le cas d’un calcul ou même d’une recette de cuisine dans lesquels on peut isoler clairement des opérations élémentaires ; il ne l’est plus dans le cas d’une action motrice au cours de laquelle tous les micro-mouvements se chevauchent, se préparent les uns les autres et s’interpénètrent en un flux praxique continu. Un triple saut, une figure à la barre fixe ou un slalom de ski reposent sur des enchaînements moteurs où chaque micro-séquence est profondément influencée à la fois par la précédente et par la suivante. La décomposition en unités discontinues relève donc d’une convention d’analyse, certes légitime, mais dont il ne faut pas être dupe.
ILLUSTRATIONS DANS LES JEUX ET LES SPORTS
La situation psychomotrice
19Parmi les cas les plus illustratifs d’algorithme moteur, on peut citer certains sports psychomoteurs* qui se déroulent en milieu stable : le saut à la perche, le lancer de javelot ou le saut en longueur s’accomplissent par une suite d’actions élémentaires automatisées dont l’exécution enchaînée obéit à une configuration d’impératifs techniques soigneusement pris en compte (course d’élan, impulsion, renversement, esquive...). La liaison entre les unités élémentaires est telle que le saut ou le lancer, en fin d’apprentissage, s’accomplissent en bloc, en une séquence d’un seul tenant. On obtient ce que l’on appelle un stéréotype moteur*.
20Même une séquence motrice aussi prolongée et aussi complexe qu’une course de 110 m haies tend à devenir un stéréotype moteur pour l’athlète en compétition. Le coureur ne place pas au hasard les pieds dans les blocs de départ ; longuement répétée à l’entraînement, cette disposition a été prévue de longue date, et c’est avec la même jambe d’impulsion que l’athlète franchira toutes les haies. Entre deux obstacles successifs, son nombre de foulées est toujours identique. Tout son comportement obéit à de minutieuses instructions techniques intériorisées, « mises en corps » et planifiées au cours de l’entraînement.
21Un contre-exemple pourra illustrer le caractère despotique de cette programmation motrice (caractère d’autant moins évident que l’athlète et le gymnaste accomplis donnent l’impression, à l’opposé, d’une aisance souveraine, et non d’une motricité rigide et empesée). Après les Jeux de Montréal, en 1976, l’élite des coureurs de haies avait été invitée à une compétition en Italie. La télévision renvoya une stupéfiante image de cette course : après la troisième haie, le champion olympique, médaillé d’or, Guy Drut, roula à terre en même temps que deux autres coureurs, et les cinq autres ne purent franchir la haie suivante. Une telle maladresse était-elle concevable à ce niveau ? Que s’était-il passé ? La cause de cette mésaventure était on ne peut plus simple : le préposé avait placé la quatrième haie avec un décalage d’un mètre par rapport à la distance réglementaire. Les coureurs avaient pourtant eu tout loisir d’observer la disposition des haies avant la compétition et, dès le départ de la course, ils avaient bel et bien vu cet obstacle qui se profilait devant eux. En réalité, ils le voyaient mais ils ne le percevaient pas, car ils n’avaient pas à le faire. La logique interne* de cette épreuve instaurant des conditions de course immuables dans un environnement totalement standardisé, ils n’avaient qu’à dérouler l’algorithme moteur méticuleusement monté à l’entraînement. Un tel stéréotype praxique qui s’accomplit dans un milieu dénué d’incertitude* ne requiert aucune prise d’information ni aucune prise de décision. L’athlète déploie une action motrice qui, une fois prises en compte les contraintes imposées (place et hauteur des haies, longueur de la piste...), s’accomplit de façon autonome. La vue ne joue plus alors qu’un rôle de régulation non dénué de réassurance affective. Aussi n’y a-t-il pas à s’étonner que des athlètes soient déroutés par le simple déplacement d’une haie. Plus l’algorithme pilote des actions motrices sophistiquées et affûtées, plus son exécution devient sensible à de légères modifications. L’extrême finesse entraîne la vulnérabilité ; plus le geste est finement adapté, moins il devient adaptable.
22Cet échec, à première vue étonnant, des spécialistes des haies témoigne a contrario de l’automaticité des processus moteurs gérée par l’algorithme monté au cours de l’entraînement.
En situation sociomotrice
23Un algorithme d’action motrice peut mettre en scène plusieurs acteurs. Ainsi l’organigramme des décisions stratégiques d’un joueur de Quatre coins, présenté dans le commentaire du terme stratégie motrice, illustre-t-il un tel algorithme sociomoteur : dans ce jeu de type spatial où l’on peut clairement identifier les opérations d’autrui, le participant qui veut gagner déclenche son intervention en fonction de règles d’action précises et pré-déterminées, issues d’une modélisation préalable de la situation (cf. l’arbre des décisions). Les décisions du joueur rationnel sont en réalité pré-programmées dans les procédures de l’organigramme ; elles ne demandent au pratiquant que d’identifier les comportements des autres joueurs, afin de s’y ajuster au mieux, selon le schéma pré-établi.
24On observe des stratégies de ce type en sports collectifs : sur balle arrêtée – coup franc ou corner en football, sortie de mêlée en rugby – mais aussi en pleine phase de jeu, au volley-ball par exemple, où l’interdiction de pénétrer sur le terrain adverse favorise une bonne exécution de règles d’action pré-établies. Après réception de la balle, un joueur lance le signal d’une combinaison mûrement répétée à l’entraînement ; c’est le déclenchement d’un algorithme sociomoteur qui déploie une configuration d’attaque bien rodée, avec permutations, croisements, balle courte et feintes de smash selon le cas.
ALGORITHME, TÂCHE ET MÉCANISMES COGNITIFS
25À vrai dire, l’utilisation du terme algorithme dans les activités ludosportives est quelque peu abusive. En effet, un algorithme est une connaissance procédurale qui aboutit toujours, par définition même, à la résolution du problème envisagé. Or, ce n’est pas nécessairement le cas dans les pratiques motrices : la réussite est ici continuellement soumise à des conditions corporelles d’exécution, et non à de simples contraintes logiques abstraites. La possession d’un bon algorithme de résolution de la tâche ou d’un excellent schéma tactique ne suffit pas : il y faut la compétence praxique convertissant les principes opérationnels* en conduites motrices harmonieusement ajustées aux impératifs de la situation. Et comme cet ajustement se joue souvent au centimètre et au centième de seconde près, l’algorithme ne trouve pas toujours sa mise en corps, sa mise en action pertinentes.
26Souligner, comme nous l’avons fait, la part réduite des mécanismes cognitifs dans la réalisation des hautes performances athlétiques ou gymniques peut surprendre. C’est pourtant là une caractéristique indéniable et constitutive de ce domaine d’action*. C’est aussi le lot des milliers d’actes de la vie quotidienne : marcher, courir, écrire, prendre ses repas, descendre et monter un escalier correspondent à des actions effectuées sans que l’individu ait pleinement conscience des mécanismes complexes ainsi mobilisés. À ce sujet, Jean Piaget avait souligné l’existence d’un inconscient cognitif, et nous avons suggéré l’intervention d’un inconscient moteur* exerçant son influence, d’ailleurs, tant sur le plan affectif que sur le plan cognitif.
27On peut cependant noter que la période d’apprentissage des stéréotypes sportifs peut, sous la houlette d’un motricien* averti, solliciter de façon intense les processus mentaux du pratiquant : appréciation des distances et des vitesses, coordination inter-segmentaire, découplage des actions, respect des intervalles temporels, synchronisation d’actions élémentaires, prises de conscience multiples... Le paradoxe du stéréotype moteur, c’est de ne pouvoir manifester son excellence que lorsque l’effervescence kinesthésique et réflexive suscitée par son apprentissage laisse la place au silence cognitif de son déroulement programmé.
28 ► Connaissances (déclaratives et procédurales), domaine d’action motrice, logique interne, opérationnel, stéréotype moteur.
ANTICIPATION MOTRICE
29 ■ Conduite motrice* d’un pratiquant qui, dans le déroulement spatial et temporel de son intervention*, prend activement en compte l’évolution potentielle de la situation* afin de se préparer à agir dans les meilleures conditions possibles.
30Anticiper, c’est prendre ses dispositions en vue d’intervenir efficacement à l’instant et à l’endroit favorables (par exemple se démarquer de façon offensive pour favoriser le jeu d’un partenaire) ; c’est parfois aussi différer une première réaction au profit d’un acte retardé plus opportun (au hand-ball par exemple, refuser de « monter » sur un attaquant dont on devine qu’il veut provoquer le contact afin de pouvoir plus facilement « déborder »).
31Sur le plan de l’organisation interne d’une même conduite, on observe des anticipations intersegmentaires étonnantes ; ainsi du handballeur dont les appuis, le buste, la tête et le regard sont déjà orientés ou « embarqués » vers le but adverse avant même que ses mains n’aient capturé la balle, ce qui lui évitera tout temps mort au moment opportun ; de même du volleyeur qui préagit en organisant une partie de son comportement vers la frappe du smash (prise d’élan, impulsion, armé du buste et du bras, orientation de la tête et du regard) avant que la balle ne soit sur sa franche trajectoire et, mieux encore, avant que le partenaire duquel il attend la passe n’ait lui-même reçu la balle ! Dans l’ensemble des pratiques sportives, c’est lors de l’exécution des stéréotypes moteurs* que se manifestent avec le plus de finesse et de sécurité les anticipations gestuelles qui sont, dans ce cas, des anticipations pré-programmées (lancer du disque, saut à la perche, barre fixe...).
32Dans les situations à incertitude*, l’anticipation fait appel à des processus perceptivo-moteurs et décisionnels, à des processus sémioteurs parfois très complexes : évaluation des distances et des trajectoires, estimation des forces et des accélérations, décodage des comportements d’autrui ; elle s’appuie sur des phénomènes de construction mentale, de pré-perception, de pré-décision, bref de préaction*. Elle se manifeste par des comportements moteurs* qui vont « au-devant » des événements à venir : anticiper, c’est introduire le futur dans le présent moteur.
33L’anticipation motrice est l’un des phénomènes majeurs des conduites motrices d’adaptabilité. Dans les activités collectives, elle est à la racine des interactions tactiques tant vis-à-vis des partenaires que des adversaires et représente un facteur important de réussite : le jeu sans ballon, par exemple (communication indirecte*), conditionne l’efficacité du jeu direct du porteur de balle.
34L’anticipation motrice est de nature très différente selon qu’elle se rapporte :
35 – aux objets de l’environnement physique : elle tient alors compte d’une incertitude associée au monde des objets « inertes » de la « nature », c’est-à-dire à un monde dépourvu d’intentions et de projets. Le pratiquant est le seul centre de décision et sa connaissance du milieu est un des garants d’anticipations judicieuses (rallye automobile, voile, deltaplane, canoë, kayak, alpinisme, ski...). Parmi la myriade de stimuli qui l’assaillent, il doit reconnaître les indices* pertinents et effectuer le décodage sémioteur* dont dépendra sa réussite. Ce décodage de l’environnement permet au skieur, au pilote, au barreur, au céiste, de se préparer corporellement et de prendre à temps les décisions motrices* opportunes au cours d’une action où un dixième de seconde est précieux (préparation tonique, sollicitation des synergies musculaires, position d’avancée ou de recul, « embarqué » favorable et toutes amorces de gestes techniques).
36Quand le milieu physique est stable et standardisé, l’anticipation ne se réfère qu’au propre déroulement interne de l’action entreprise ; elle conditionne ce qu’on appelle « l’enchaînement » des gestes, gestes qui tendent alors à devenir des stéréotypes moteurs. Ainsi, par exemple, au 110 m haies, les foulées intermédiaires préparent-elles le franchissement dont la phase finale de réception conditionne elle-même les foulées ultérieures. De même, l’exécution de toute figure gymnique est-elle, du point de vue de la réalisation technique, profondément interdépendante de la figure qui la précède et de la figure qui lui succède. Dans ces situations d’athlétisme et de gymnastique, les actes d’anticipation font alors partie d’un stéréotype moteur qu’ils peuvent rendre hautement performant.
37 – aux sujets du monde humain : dans ce cas, le pratiquant doit identifier et interpréter les indices pertinents qu’il prélève sur les comportements d’autrui : position des appuis, orientation du buste, inclinaison des segments, vitesse de déplacement, tenue de la raquette au tennis ou de l’épée à l’escrime : dans ces deux derniers exemples, il s’agit exclusivement d’adversaires ; il s’y ajoute parfois des partenaires (sports collectifs, jeux sportifs traditionnels, tennis en double...). Anticiper suppose alors la prise en compte d’indices faisant partie d’un code sémioteur* global, lui-même articulé aux catégories d’action (notamment aux sous-rôles sociomoteurs) dont disposent les protagonistes.
38Face au pratiquant, s’imposent d’autres centres d’action et de décision. L’activité anticipatrice du joueur porte notamment sur les attentes ; et les intentions des autres participants, sur leurs anticipations vis-à-vis de lui-même, c’est-à-dire sur des anticipations d’anticipations. Le joueur perçoit autrui le percevant, il perçoit autrui percevant qu’il est perçu : il anticipe vis-à-vis d’un joueur lui-même anticipant. Cette fois-ci, l’incertitude est liée à des facteurs humains prodigieusement complexes reposant sur des phénomènes de signification et de communication. Cette dimension sociomotrice* transforme radicalement la motricité* et renvoie à une analyse sous l’angle de la sémiotricité* (communication praxique indirecte* : appel de balle, tactique de démarquage, feinte, contre-pied...).
39L’anticipation motrice est le facteur majeur de la stratégie* du participant.
40 ► Interaction motrice, incertitude, préaction, fonction sémiotrice, indice.
Notes de bas de page
1 Il est rappelé qu’afin de distinguer les jeux sportifs traditionnels des jeux sportifs institutionnels, les premiers seront toujours, par pure convention, écrits avec une capitale initiale.
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Dopage et performance sportive
Analyse d'une pratique prohibée
Catherine Louveau, Muriel Augustini, Pascal Duret et al.
1995
Nutrition et performance en sport : la science au bout de la fourchette
Christophe Hausswirth (dir.)
2012