Préface de l’édition de 1987
p. 9-11
Texte intégral
1Les mentalités évoluent. De nouvelles sensibilités apparaissent. Le principe de la recherche en éducation physique et en sport, tourné en dérision il y a vingt ans, s’affirme aujourd’hui comme un recours indispensable. Le sympathique accueil accordé à ce Lexique, pourtant orienté résolument vers le contenu d’une recherche exigeante, témoigne parmi beaucoup d’autres de cette heureuse évolution.
2Comment la connaissance scientifique des pratiques motrices et du sport peut-elle se développer ? Schématiquement, deux grandes voies paraissent pouvoir être empruntées.
3En premier lieu, chaque science déjà constituée peut s’intéresser aux activités corporelles, en toute légitimité. Il est de la nature de chaque discipline d’aborder, sous l’angle de sa pertinence, le maximum de phénomènes possibles et d’agrandir ainsi son domaine d’étude. Les sciences biologiques y ont, depuis longtemps, fait la preuve de leur talent. La physiologie et les neurosciences poussent actuellement les feux ; leurs résultats sont incontestablement convaincants, et même prometteurs d’avancées peut-être encore plus déterminantes. Tout aussi légitimes apparaissent une histoire des pratiques motrices, une psychologie des activités physiques, une sociologie du sport ou une anthropologie des pratiques corporelles.
4Jusqu’à nos jours, le jeu physique et le sport ont été dédaignés par les disciplines en place. Il y a fort à parier qu’à cette période de mépris hautain va succéder une phase d’engouement, qui pourrait même devenir envahissante. Les pratiques corporelles représentent en effet un champ riche et diversifié où s’inscrivent, de façon complexe et révélatrice, aussi bien les caractéristiques d’une personnalité que les traits d’une société ou d’une culture. En outre, ce domaine est neuf et peu exploré. Compte tenu de la saturation des autres sujets déjà arpentés par des générations de chercheurs, le sport surgit comme une aubaine. Une promesse de thèmes neufs. Psychologues, sociologues et historiens ne vont pas tarder à se rendre compte de l’immense potentiel de ce domaine de recherche. Et ce sera tant mieux.
5Les avancées des quinze dernières années sont déjà spectaculaires. Les travaux des sciences biologiques, cognitives et sociales portant sur les activités physiques et sportives sont, dans certains cas, passionnants. C’est une véritable re-naissance qui s’amorce. Le monde de l’éducation physique et du sport connaît aujourd’hui les prémices d’un développement scientifique pluriel sans précédent.
6Il faut s’attendre, dans un proche avenir, à un déferlement de recherches dans le domaine des pratiques corporelles. Pour des raisons externes de débouchés et d’institutions, et pour des motifs internes d’approfondissement d’un secteur de connaissances. Emportées par cet élan, les activités physiques et sportives accompliront à coup sûr un bond en avant. Mais il convient d’être lucide : qui va gérer ces connaissances ? Élaborés dans des secteurs extérieurs à l’éducation physique, ces apports seront constitutivement dépendants de leur matrice d’origine marquée du sceau biomécanique, éthologique ou psychologique. Chaque discipline avance dans le fil de sa pertinence et l’on ne saurait le lui reprocher. On assistera donc à l’enrichissement des connaissances de type biologique, psychologique ou ethnologique à propos, et à propos seulement, des pratiques physiques. Sans plus.
7Initialement flattée, mais finalement mise hors jeu, l’éducation physique s’agrippera aux basques de ses aînées. Réduite à la politique de la main tendue, elle sera condamnée à quémander quelque obole à la sortie du temple.
8En second lieu, il semble possible de développer un champ de connaissances propre aux activités physiques et sportives, une discipline dont l’objet serait l’action motrice. Le contenu de ce Lexique tend précisément à mettre en œuvre cette pertinence nouvelle qui explore les pratiques motrices sous l’angle de leur logique interne.
9Bien entendu, il convient souvent de s’appuyer sur des données provenant de disciplines classiques telles la sociologie, les mathématiques ou la sémiologie, mais en les réinterprétant selon une synthèse nouvelle (parfois même, l’analyse fait surgir des données qui s’opposent aux résultats classiques, décelant a contrario l’originalité du champ exploré). Ces interdépendances sont constitutives des disciplines scientifiques. Que serait la biologie sans la chimie, la chimie sans la physique et la physique sans les mathématiques ? Les multiples liaisons de discipline à discipline n’interdisent aucunement l’affirmation d’un point de vue original, d’une pertinence détenue en propre par chacune de ces branches.
10De même dans le domaine des activités physiques. Le recours aux apports des autres secteurs n’obère en rien le capital d’originalité que recèle le champ des pratiques corporelles. La voie est ouverte : il s’agit de développer une science de l’action motrice.
11Bien entendu, les réalités institutionnelles imposeront quelques débats, sinon quelques combats. L’apparition d’une discipline nouvelle dérange toujours quelque peu le voisinage, et conduit inéluctablement à une défense des territoires. La psychologie a connu ces confrontations, de même que l’ergonomie, l’éthologie ou la géographie. D’un point de vue épistémologique, ces disciplines ne s’imposent pas plus que la praxéologie ! Elles n’en ont pas moins réussi à creuser leur niche dans la citadelle scientifique. Aux spécialistes des activités physiques et sportives, aidés par leurs institutions, de prendre en charge leur propre domaine et d’en prouver la fécondité. Il y faudra une certaine ascèse, conceptuelle et méthodologique.
12Dans le domaine à peine défriché des activités physiques, où le public est encore peu préparé à l’étude critique, le danger est grand de céder aux spéculations intuitives, littéraires ou idéologiques. La métaphore habile se substitue alors à l’administration de la preuve et l’auteur est tenté de n’extraire des réalités que les illustrations favorables à son discours. À coup sûr, moins faciles d’accès et moins flatteuses sont les analyses qui se soumettent aux exigences d’une méthodologie. Mais que serait une recherche scientifique sans méthodologie ?
13À ce titre, l’accueil favorable qui a été réservé à ce Lexique est particulièrement encourageant. Nous sommes bien conscient en effet du caractère ingrat et parfois rugueux de cet ouvrage. Mais peut-on continuer à gémir sur son sort, à revendiquer des statuts, des crédits et des reconnaissances institutionnelles sans accepter les contraintes normalement associées à la satisfaction de ces demandes ? L’approfondissement épistémologique à visée spécifique et la mise en œuvre d’une méthodologie scientifique rigoureuse représentent les impératifs catégoriques d’une reconnaissance universitaire.
14Si les spécialistes des activités physiques et sportives ne développent pas un corpus scientifique original, leur intégration universitaire, ès qualité, ne possède plus guère de fondement. Parallèlement, les instances institutionnelles, les corps d’instructions, les programmes et les examens doivent résolument s’orienter vers une conception spécifique. Quel serait le sens d’une agrégation dite d’éducation physique et sportive qui serait composée, pour l’essentiel, d’épreuves d’histoire, de sociologie et de biologie ? Dans un tel émiettement, l’agrégation ne risquerait-elle pas d’entraîner me désagrégation de l’éducation physique ?
15S’il ne se forge pas un corpus de connaissances spécifiques, les UER d’EPS pourraient alors parfaitement confier tout le contenu scientifique de leur formation aux UER des autres disciplines. S’il s’agit en effet d’enseigner la physiologie ou la psychologie, qui pourrait prétendre le réussir mieux que les physiologistes et que les psychologues ? L’alternative est donc claire : ou les activités physiques ne recèlent aucune spécificité scientifique et dans ce cas les postulants se contenteront de fréquenter les disciplines biologiques et sociales classiques ; ou les activités physiques détiennent une originalité indéclinable et il convient alors de forger le corpus scientifique correspondant. Seul ce dernier terme de l’alternative justifie la création d’un secteur universitaire nouveau à part entière, qui ne se réduise pas à l’application technologique de connaissances venues de l’extérieur. C’est dans cette voie périlleuse mais stimulante de la spécificité que ce Lexique s’est résolument engagé.
16Reconnaissons que cette option ne va pas sans un certain risque. Toute recherche de ce type se présente un peu comme un pari. Les dernières années écoulées semblent cependant indiquer que ce pari est de plus en plus jouable. Un nombre grandissant de jeunes chercheurs travaille dans cette direction et les résultats probants s’accumulent.
17Finalement, n’est-ce pas la conception conservatrice, refusant une recherche en dehors des disciplines et des cadres académiques anciens, qui commence aujourd’hui à s’essouffler ? Par un renversement heureux, cette conception frileuse et surannée qui juge les activités physiques et sportives indignes de l’autonomie scientifique n’apparaît-elle pas, de plus en plus, comme le pari le plus risqué ?
18Novembre 1987
Auteur
Ancien professeur à l’INSEP. Professeur à la Sorbonne (Université Paris V) Sciences Humaines et Sociales - Sorbonne.
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