Chapitre 19
Sécularisation ou regain religieux : la religiosité des immigrés et de leurs descendants
p. 559-582
Texte intégral
1Le grand mouvement de sécularisation1 qui a affecté la plupart des sociétés dans le monde, et en Europe de façon plus profonde et plus durable, a connu un ralentissement à partir des années 1970, au point que l’idée même de sécularisation a été contestée (Gorski et Altinordu, 2008). Balayant l’évolution religieuse en Europe à partir des enquêtes sur les valeurs européennes, Yves Lambert identifie un « regain religieux » chez les jeunes générations dans la plupart des pays d’Europe de l’Ouest et évoque un possible « retour de balancier » (Lambert, 2004). Alors que ce ralentissement de la sécularisation est encore peu perceptible en France, le paysage religieux français connaît néanmoins d’importantes transformations. Si le catholicisme reste la principale religion en France, le nombre de fidèles s’en réclamant baisse régulièrement, tandis que la fraction majoritaire des « catholiques culturels » (se définissant comme catholiques par héritage familial sans pratiquer ni même se considérer spirituellement comme engagés dans la religion) suit une évolution parallèle. L’apparition d’une « religiosité sans appartenance », selon le concept avancé par Grace Davie (2002), correspond assez bien au modèle chrétien. Contrastant avec l’affaiblissement continu de l’influence du catholicisme, l’émergence de l’islam comme religion minoritaire, à côté du judaïsme, du protestantisme et du bouddhisme, est l’une des principales nouveautés dans le paysage religieux français et européen de l’Ouest. Phénomène peu commenté jusqu’au milieu des années 1990, la présence de l’islam est ainsi devenue centrale dans les débats de société sur l’intégration des immigrés (Laurence et Vaïsse, 2007) et a provoqué une réaffirmation du principe de laïcité (Cohen, 2000).
2Les réactions suscitées par la visibilité de la religion musulmane ne sont cependant pas sans précédent. Le catholicisme des immigrés italiens et polonais a, en son temps, été perçu comme très exotique, suscitant des réactions d’hostilité venant non seulement du monde laïc mais également des catholiques français perturbés par les formes d’organisation et de pratiques religieuses développées par ces communautés immigrées (Schor, 1993). De même, les arrivées en France des communautés juives d’Afrique du Nord, et plus généralement du monde arabe, au cours de la décolonisation ont également contribué à transformer le judaïsme français (Benbassa, 2004). Si l’immigration modifie les structures religieuses de la société française, le processus inverse de transformation de la religiosité des immigrés dans le nouveau cadre de vie est également observable. Comme les autres dimensions sociales et culturelles, le sentiment et les pratiques religieuses se modifient en situation de migration, d’autant plus que le cadre séculier de la société française – néanmoins sous forte influence catholique – pousse à renvoyer la religion dans la sphère privée.
3La plupart des immigrés viennent de pays où la religion structure la vie quotidienne et occupe une place sinon centrale, du moins plus importante qu’en France. L’imprégnation religieuse y est relativement élevée, au sens où elle constitue une référence morale et une pratique active pour les personnes. En situation de migration, les références religieuses et les pratiques tendent à se modifier au contact du nouvel environnement (Van Tubergen, 2006). Dans quelle mesure ce processus « d’accommodement » réciproque des pratiques des immigrés et de la société dans son ensemble opère-t-il pour les vagues d’immigration venues après 1945 ? Le rapport à la religion des immigrés et de leurs descendants se distingue-t-il de celui de la population majoritaire ? Comment s’effectue la transmission religieuse intra-familiale et observe-t-on des variations de la transmission entre les religions selon la confession et l’origine ? Le maintien du sentiment religieux est-il plus fréquent dans les religions minoritaires, en particulier dans le cadre de la migration ?
4La première partie de ce chapitre s’intéresse à la religiosité des immigrés et de leurs descendants en suivant les avancées contrastées de la sécularisation. La seconde partie étudie les formes de sécularisation, de reproduction ou de renforcement du sentiment religieux d’une génération à l’autre en suivant l’hypothèse d’une cristallisation des sentiments religieux en réaction au contexte social et politique (Connor, 2010). L’enquête ne permet certes pas d’élucider les motivations des fidèles des différentes confessions, mais la comparaison avec les résultats de l’enquête MGIS réalisée en 1992 sert de support à la reconstitution d’une pseudo-cohorte suivie sur 16 ans (entre 1992 et 2008). Les niveaux de sécularisation observés aux deux points d’enquête expliquent une partie des évolutions et seront discutés. La troisième partie s’intéresse à la formation des frontières sociales entre le groupe confessionnel et le hors groupe. Assiste-t-on à un « repli communautaire » ? On testera cette question en détaillant la composition du groupe amical et le choix du conjoint, deux dimensions où la religiosité peut conduire à privilégier les affinités confessionnelles. Nous verrons alors si la religion fonctionne comme une clôture dans les relations sociales.
I. Religion et religiosité dans l’immigration
1. Immigration et panorama des religions en France
5La diversification du panorama religieux en France est marquée par deux évolutions parallèles. D’une part, la sécularisation se poursuit et concerne désormais près de la moitié de la population qui se déclare sans religion. D’autre part, l’islam s’installe durablement comme la principale religion minoritaire à côté du catholicisme qui reste le culte majoritaire chez les croyants en France. La dynamique démographique des cultes est alimentée par deux sources distinctes : l’abandon des affiliations religieuses au cours de la vie et dans les transmissions intergénérationnelles, et l’apport différentiel des migrations aux confessions religieuses. Pour le christianisme, c’est la dynamique de déperdition de la transmission des parents aux enfants qui prévaut depuis plusieurs décennies et qui alimente la progression continue de la sécularisation. L’immigration en provenance de pays européens majoritairement catholiques (Pologne, Espagne, Italie et Portugal) n’a ralenti cette sécularisation qu’à la marge, notamment parce que les effectifs des immigrés n’étaient pas suffisants pour inverser l’évolution observée dans la population majoritaire, mais également parce que la religiosité des immigrés et surtout de leurs enfants tend à s’ajuster sur la norme séculière dominante.
6Ce contexte a changé depuis le milieu des années 1970. Les principaux pays d’émigration ne se situent plus dans l’orbite du catholicisme et, en conséquence, le profil religieux des immigrés se différencie très nettement de celui de la population majoritaire. Non seulement la plupart des immigrés viennent de pays où le catholicisme est minoritaire ou pratiquement résiduel mais, dans ces pays d’origine, la religion continue à imprégner la vie quotidienne et, pour nombre d’entre eux, occupe une position officielle reconnue par les institutions publiques. La faible proportion d’immigrés se déclarant athées ou agnostiques reflète cette imprégnation religieuse : 19 % des immigrés se déclarent sans religion, à comparer aux 49 % dans la population majoritaire2.
7Le panorama des religions que permet de retracer l’enquête TeO montre ainsi que l’islam constitue la principale religion déclarée par les immigrés, loin devant le catholicisme (tableau 1). Sur la base des religions auto-déclarées dans TeO par les enquêtés âgés de 18-60 ans, on peut ainsi estimer qu’environ 4,1 millions de musulmans (de tous âges) vivent en France métropolitaine (voir annexe en fin de chapitre). Les autres religions restent minoritaires même si orthodoxes, protestants et bouddhistes sont davantage représentés parmi les immigrés que dans la population majoritaire (tableau 1). On observe globalement une forte homogénéité religieuse par pays d’origine, l’Afrique guinéenne et centrale et l’Asie du Sud-Est faisant exception. Cela reflète autant la diversité des pays couverts par ces regroupements que la diversité religieuse interne à ces régions (Simon et Tiberj, 2010). Les immigrés venant du Maghreb, de Turquie et d’Afrique sahélienne sont musulmans dans plus de 90 % des cas lorsqu’ils déclarent une religion, tandis que les immigrés d’Europe du Sud sont catholiques. Les originaires des DOM sont majoritairement catholiques, avec une forte minorité de protestants.
Tableau 1. Confessions religieuses selon le lien à la migration (%)

Champ : personnes de 18 à 50 ans (voir annexe 1 sur https://teo1.site.ined.fr/fr/donnees_et_resultats/tableaux-statistiques/, pour les effectifs pondérés).
Lecture : 19 % des immigrés ont déclaré ne pas avoir de religion et 26 % se sont déclarés de religion catholique.
Source : enquête TeO, Ined-Insee, 2008.
8La prédominance de l’islam se retrouve parmi les descendants de deux parents immigrés. Ces derniers reproduisent en grande partie l’homogénéité religieuse par origine observée pour les immigrés. On retrouve néanmoins des traces de l’ancienne diversité religieuse des pays d’origine, notamment avec la présence de catholiques parmi les descendants d’immigrés d’Afrique sahélienne et d’une minorité juive chez les descendants d’immigrés du Maroc et de Tunisie. L’épicentre de l’immigration en France des juifs d’Afrique du Nord remonte à la fin des années 1950 et au début des années 1960 ; celle-ci n’est quasiment plus repérable parmi les immigrés âgés de moins de 51 ans (donc nés après 1958)3. La trace de la communauté juive d’Afrique du Nord est essentiellement perceptible dans l’enquête parmi les descendants d’immigrés originaires du Maroc et de Tunisie (6 % se déclarent de religion juive). Des minorités catholiques sont également relevées chez les deuxièmes générations d’origine maghrébine. Elles concernent essentiellement les descendants de couple mixte : il s’agit donc le plus souvent de l’adoption de la religion du parent catholique plutôt que d’une conversion personnelle.
2. Abandon de la religion : l’impact différencié de la socialisation familiale
9Au sein de la population âgée de 18 à 50 ans et résidant en France métropolitaine, 45 % des individus se déclarent agnostiques ou athées (tableau 1). Cette prise de distance vis-à-vis de la religion se rencontre surtout dans le groupe majoritaire et chez les descendants de couple mixte. En revanche, plus des trois-quarts des immigrés et de leurs descendants déclarent avoir une religion, et pour plus de la moitié d’entre eux la religion joue un rôle important dans leur vie. À origine comparable, on observe bien un abandon de la religion plus marqué chez les descendants, mais celle-ci est principalement due à ceux issus de couples mixtes. De fait, alors que les descendants de deux parents immigrés ont un profil comparable à celui des immigrés, les descendants de couple mixte se rapprochent du rapport à la religion de la population majoritaire. La faible variation de religiosité entre les immigrés et les descendants de deux parents immigrés constitue une première indication de l’impact relatif du contexte sociétal séculier et d’une plus grande influence du milieu familial sur le rapport à la religion.
10L’influence du milieu familial se mesure directement par la religiosité des parents (voir encadré 1, page suivante). Si les personnes élevées dans une famille athée ou agnostique conservent dans 93 % des cas la même distance à la religion, on enregistre des taux de désaffection relativement contrastés selon la confession des parents (tableau 2). Les enquêtés élevés dans une famille dont l’un des parents est catholique sont 31 % à rompre avec la religion, un niveau de désaffection relativement proche de celui observé pour les familles protestantes ou juives. Les enfants élevés par un ou deux parents chrétiens orthodoxes ou musulmans connaissent une plus grande reconduction religieuse puisqu’ils sont respectivement 13 % et 12 % seulement à abandonner la religion de leurs parents. Ces taux de désaffection sont nettement plus faibles lorsque les deux parents ont la même religion : 25 % pour les familles catholiques et 9 % dans les familles musulmanes ou juives. Ils sont extrêmement élevés dans les familles religieusement mixtes. Dans les cas de mixité avec un parent sans religion déclarée, la non-transmission de la religion du parent affilié touche 62 % des catholiques et 51 % des musulmans. Ainsi, plus grande est la mixité religieuse des couples et plus rare est la transmission d’une religion. Les cas de mixité religieuse chez les parents sont beaucoup plus fréquents parmi les personnes ayant des parents d’origines géographiques différentes (33 %) que parmi les immigrés et descendants de deux immigrés d’une même origine (respectivement 10 % et 8 %).
Tableau 2. Proportion de personnes sans religion selon la religion des parents et le lien à la migration (%)

* Effectifs insuffisants (voir annexe 2 sur https://teo1.site.ined.fr/fr/donnees_et_resultats/tableaux-statistiques/). Champ : personnes de 18 à 50 ans. Note : lorsqu’un parent est athée et l’autre a une religion, c’est la modalité de la religion qui a été choisie. Dans le cas de mixité religieuse, c’est la religion du parent minoritaire (quantitativement) qui a été choisie.
Lecture : 31 % des personnes ayant eu un parent catholique se déclarent sans religion. Ce n’est le cas que de 17 % des immigrés ayant eu un parent catholique, et de 9 % de ceux qui ont eu un parent musulman.
Source : enquête TeO, Ined-Insee, 2008.
Encadré 1. L’enregistrement de la religion et de la religiosité dans TeO
La religion des personnes est enregistrée dans l’enquête au moyen d’une question directe (« Avez-vous une religion ? »), suivie de la confession dans le cas d’une réponse positive conformément à la pratique des enquêtes européennes comme la European Social Survey. Certaines enquêtes françaises posent directement une liste de choix, dont celui de ne pas avoir de religion, avec pour résultat principal de gonfler la part des catholiques « culturels ». Les mêmes questions sont posées également au sujet du père et de la mère de l’enquêté. Les « non-réponses » et « ne sait pas » concernent moins de 1 % des réponses à la question sur la religion personnelle, 2 % pour celle de la mère d’ego et 4 % de son père.
Pour les personnes ayant déclaré une religion, des questions portent sur l’importance que revêt la religion dans leur vie (« Quelle importance accordez-vous aujourd’hui à la religion dans votre vie ? » et les réponses se situent sur une échelle à 4 modalités de « pas du tout d’importance » à « beaucoup d’importance ») et sur certains indicateurs de pratiques (fréquentation d’un lieu de culte, port de signes religieux, respect d’interdits alimentaires4).
Les questions sur la religion et sur l’importance de celle-ci dans la vie d’ego sont utilisées pour construire un indicateur de religiosité en quatre positions résumant l’information sur l’intensité de la religiosité :
- « sans religion » correspond aux personnes n’ayant pas déclaré de religion ;
- « détachés » regroupe les personnes qui tout en ayant déclaré une religion considèrent qu’elle n’a pas du tout d’importance pour eux ;
- « religiosité modérée » regroupe les personnes ayant déclaré accorder un peu ou assez d’importance à la religion ;
- « forte religiosité » correspond aux personnes pour qui la religion joue beaucoup d’importance dans leur vie.
La prise en compte de la religiosité du milieu familial dans l’enquête est assurée par des questions sur la religion du père et de la mère, d’une part, et par une question sur l’importance de la religion dans l’éducation familiale. Il est dès lors possible de mesurer la désaffection religieuse parmi les personnes élevées dans des familles de différentes confessions.
11L’autre facteur important tient à l’association entre immigration et religion. La religion garde dans les communautés immigrées une fonction culturelle et sociale qu’elle a en partie perdue pour la population majoritaire (Cadge et Ecklund, 2007). Le sens même de l’affiliation religieuse n’est donc pas tout à fait comparable pour les différents groupes et, de ce point de vue, islam et judaïsme combinent des dimensions spirituelles, culturelles, sociales et identitaires plus imbriquées que dans le cas du catholicisme. Les variations de transmission s’expliquent enfin par le statut minoritaire des religions qui produit un contexte favorable à leur préservation, sinon comme ensemble de normes et de pratiques actives, du moins comme référence culturelle. On relèvera que les descendants d’au moins un parent immigré musulman ne sont ainsi que 12 % à se dire sans religion, bien en dessous des 22 % des descendants d’immigré(s) catholique(s).
3. Une religiosité nettement différenciée selon l’origine et la religion
12Immigrés et descendants d’immigrés déclarent plus souvent une affiliation religieuse, mais présentent également des taux plus élevés de religiosité que les personnes de la population majoritaire et que les descendants de couple mixte. Près de 30 % des premiers témoignent d’une forte religiosité pour moins de 10 % des seconds (tableau 3). La prise de distance vis-à-vis de la religion est ainsi très prononcée pour la population majoritaire et les descendants de couple mixte : si l’on ajoute les agnostiques et athées à ceux qui n’y accordent pas d’importance, ce sont près de 60 % qui ont rompu avec la religion. À l’inverse, les trois-quarts des immigrés comme des descendants d’immigrés ont un rapport modéré ou fort à la religion.
13Parmi les immigrés, les hauts niveaux de religiosité concernent surtout les originaires du Maghreb, d’Afrique subsaharienne et de Turquie (voir annexe 3, sur https://teo1.site.ined.fr/fr/donnees_et_resultats/tableaux-statistiques/). Contrastant avec cette relative proximité de religiosité entre immigrés et descendants, la baisse de religiosité est patente pour les descendants d’immigrés d’Europe du Sud et d’Asie du Sud-Est (voir annexe 4 sur https://teo1.site.ined.fr/fr/donnees_et_resultats/tableaux-statistiques/). En conséquence, deux « régimes » de religiosité se détachent, l’un marqué par le rôle important joué par la religion et son maintien chez les descendants et l’autre par une relative diminution de la religiosité, dans un contexte où, même déclarée, la religion est moins souvent considérée comme importante dans la vie des personnes. La distribution des groupes d’origine entre ces deux « régimes » assez schématiques recoupe fortement les confessions religieuses.
Tableau 3. Religiosité selon le lien à la migration (%)

Champ : personnes de 18 à 50 ans. Lecture : 19 % des immigrés disent ne pas avoir de religion et 7 % déclarent avoir une religion mais que celle-ci n’a pas du tout d’importance dans leur vie (« détachés », voir encadré 1 pour la signification de ces modalités).
Source : enquête TeO, Ined-Insee, 2008.
Tableau 4. Religiosité selon la confession religieuse (%)

Champ : personnes de 18 à 50 ans ayant déclaré avoir une religion. Lecture : 25 % des catholiques considèrent que la religion n’a pas du tout d’importance dans leur vie (« détaché », voir encadré pour la signification de ces modalités) et 9 % ont une forte religiosité.
Source : Trajectoires et Origines, Ined-Insee, 2008.
14Les niveaux de religiosité selon la confession religieuse ne sont calculés que pour les personnes ayant déclaré une religion. Dans une gradation régulière, moins de 10 % des catholiques déclarent une forte religiosité, près du quart des orthodoxes et protestants et un peu moins de la moitié des musulmans et juifs (tableau 4). L’écart est spectaculaire entre les catholiques et les autres confessions. Il reflète la dissociation plus marquée du lien entre appartenance et croyance dans la religion majoritaire, qui plus est dans le contexte de laïcisation propre à la France. Il est ainsi plus fréquent aujourd’hui de se définir comme « catholique culturels » (25 %), c’est-à-dire de se déclarer catholique mais ne pas y accorder d’importance, que comme « musulman culturel » (4 %) (Venel, 2004 ; Hervieu-Léger, 2012).
15Le déclin de la religiosité chez les catholiques s’explique, en partie, par le fait que ces derniers appartiennent largement à la population majoritaire (dans 85 % des cas). Ainsi, les catholiques immigrés sont 29 % à avoir une religiosité forte, pour 7 % de ceux de la population majoritaire. Cette prise de distance à l’égard de la religion est moins affirmée parmi les catholiques venant des DOM (29 % de forte religiosité) et d’Afrique centrale (55 %), tandis que ceux venant d’Europe (Europe du Sud et UE27) ont un profil assez proche de celui de la population majoritaire. Les variations en fonction de l’origine migratoire sont nettement moins significatives pour les musulmans. Les écarts entre population majoritaire et immigrés suggèrent que le maintien de la religiosité s’explique en partie par la fonction sociale de la religion.
II. Sécularisation et transmission intergénérationnelle de la religiosité
16Les résultats précédents invitent à explorer plus avant l’hypothèse d’un renforcement religieux dans les jeunes générations liées à l’islam, et à l’inverse d’une désaffection des jeunes générations liées au catholicisme. Dans le cas des musulmans, la thèse d’une (ré) islamisation des jeunes d’origine immigrée, par contraste avec leurs parents, a été avancée par plusieurs auteurs (Cesari, 1997 ; Lagrange, 2010). Elle a été nuancée par d’autres qui y ont vu plutôt un « usage circonstancié de la religion musulmane » pour contrer la stigmatisation des origines et les parcours d’échec scolaire (Kakpo, 2005). Dans cette partie, nous utilisons diverses mesures pour rendre compte de l’évolution du sentiment religieux chez les descendants d’immigrés. Les descendants d’immigrés les plus jeunes en 2008 sont-ils plus religieux que leurs aînés ? Le diagnostic est ensuite complété par une comparaison des résultats de TeO avec ceux de l’enquête MGIS (Mobilité géographique et insertion sociale, 1992), réalisée 16 ans plus tôt. Enfin, le processus de sécularisation est analysé à l’échelle des familles par une comparaison de la religiosité des enquêtés avec celle de leurs propres parents.
1. Un retour religieux chez les plus jeunes ?
17La figure 1 indique que la forte religiosité fluctue avec l’âge, mais dans des directions différentes selon les origines. On observe une religiosité plus importante chez les 35-50 ans dans la population majoritaire, ce qui est cohérent avec l’idée d’une diminution du sentiment religieux au fil des générations. La variation suit en revanche une pente inversée pour les immigrés et surtout les descendants de deux parents immigrés, la religiosité se faisant plus intense dans les classes d’âges les plus jeunes.
Figure 1. Variation des proportions de forte religiosité selon l’âge et le lien à la migration

Champ : personnes de 18 à 50 ans. Lecture : 36 % des immigrés âgés de 17 à 25 ans déclarent avoir une religion et que celle-ci joue un rôle très important dans leur vie (forte religiosité), ce qui n’est le cas que de 3 % du même groupe d’âges de la population majoritaire.
Source : enquête TeO, Ined-Insee, 2008.
18Les variations par origine recouvrent une structure liée aux religions comme le montre la figure 2. Les effectifs des groupes religieux autres que les catholiques et musulmans sont relativement faibles, ce qui fragilise l’analyse des variations (voir annexe 1, sur https://teo1.site.ined.fr/fr/donnees_et_resultats/tableaux-statistiques/). Nous avons étendu l’indicateur de forte religiosité à la religiosité moyenne pour réduire les écarts dus à la faiblesse des effectifs. Mais les courbes sont à prendre à titre indicatif pour les besoins de la comparaison. Une forte opposition ressort entre les catholiques d’un côté, dont la religiosité varie peu avec l’âge et tend plutôt à baisser pour les jeunes générations, et les musulmans et juifs pour qui la religiosité, déjà élevée par rapport aux autres confessions, est supérieure de plus de 10 % pour la classe d’âges des 18-25 ans par rapport aux plus de 35 ans.
19L’hypothèse d’un renforcement de la religiosité dans les jeunes générations n’est donc confirmée que pour certaines confessions. En revanche, la remontée du sentiment religieux chez les chrétiens, observée entre 1990 et 1999 par Y. Lambert (2002) à partir des résultats des enquêtes européennes sur les valeurs, qu’il attribue essentiellement à un changement d’attitudes des jeunes, n’est pas patente dans nos résultats. La plus grande religiosité attestée des descendants d’immigrés, et plus généralement des jeunes musulmans par rapport à leurs aînés, tranche avec la relative progression de la sécularisation relevée pour la population majoritaire, et pour les personnes de milieu familial catholique en particulier.
Figure 2. Variation des proportions de religiosité forte et moyenne selon l’âge et la confession religieuse

Note : les effectifs des groupes protestants, juifs et chrétiens orthodoxes sont très limités et les courbes sont fournies à titre indicatif. Champ : personnes de 18 à 50 ans ayant déclaré une religion. Lecture : 85 % des musulmans âgés de 17 à 25 ans déclarent que la religion joue un rôle plutôt ou très important dans leur vie (religiosité forte ou moyenne), ce qui n’est le cas que de 22 % du même groupe d’âges des catholiques. Source : enquête TeO, Ined-Insee, 2008.
2. De 1992 à 2008 : une montée contrastée de la religiosité
20On peut vérifier l’évolution de la sécularisation en comparant les résultat issus de l’enquête TeO avec ceux obtenus il y a un peu plus de 15 ans dans l’enquête MGIS5. Pour mémoire, l’enquête MGIS ne couvrait pas l’ensemble de la population immigrée, mais uniquement 7 groupes, et seules trois origines de descendants d’immigrés étaient enquêtées (Algérie, Espagne, Portugal). Les groupes d’âges différaient de ceux couverts par l’enquête TeO, mais nous avons produit des résultats sur des champs d’âges comparables.
21Toutes origines confondues, la progression de la sécularisation en France entre les deux enquêtes est spectaculaire avec un doublement pour les deux sexes (tableau 5). Dans ce contexte général, la variation est beaucoup plus limitée pour les immigrés du Maghreb, d’Afrique subsaharienne et de Turquie. Les immigrés d’Europe du Sud suivent en revanche la même tendance que pour l’ensemble de la population. La situation des descendants d’immigrés d’Algérie est particulièrement intrigante. À rebours de la tendance générale, la proportion des sans religion diminue entre les deux enquêtes pour les deux sexes, et tout particulièrement pour ceux dont les deux parents sont immigrés. Les écarts avec la population générale changent même de sens. Alors que dans MGIS l’agnosticisme des descendants d’immigré(s) d’Algérie était supérieur à la moyenne de la population, on observe un renversement spectaculaire 16 ans plus tard. Bien que moins marquée, on note une tendance similaire de renforcement du religieux chez les femmes immigrées originaires d’Algérie, au contraire des hommes chez lesquels l’agnosticisme progresse.
Tableau 5. Évolution des sans religion déclarés (1992-2008) par sexe et origine (%)

Champ : immigrés de 20 à 59 ans et descendants d’immigrés de 20 à 29 ans. « France entière » correspond à la population totale sur ces deux champs d’âges. Note : les descendants d’immigrés sont distribués selon le pays d’origine de leurs parents. Algérie-France désigne les personnes dont l’un des parents est né en France et l’autre en Algérie. Lecture : 15 % des hommes immigrés d’Algérie se disaient sans religion en 1992, ils sont 19 % dans ce cas en 2008. En revanche, 60 % des descendants d’un couple mixte franco-algérien se disaient sans religion en 1992 et ils ne sont plus que 40 % à le faire en 2008.
Source : enquête MGIS, Ined, 1992, tableau 73 p. 237 et tableau 81 p. 247 (Tribalat et al., 1996) et enquête TeO, Ined-Insee, 2008.
22On peut essayer de prendre la mesure de l’effet du contexte en reconstituant une évolution longitudinale. Les descendants d’immigrés de l’enquête MGIS, âgés de 20 à 29 ans en 1992, auraient eu 36 à 45 ans au moment de l’enquête TeO. Il n’est d’ailleurs pas impossible que certains des enquêtés de TeO aient déjà répondu à MGIS, mais dans la pratique on appelle pseudo-longitudinale cette reconstitution artificielle du devenir d’une cohorte composée à partir de deux plans de coupe à 16 ans d’intervalle. Avec toutes les précautions dues à la comparaison de deux sources différentes qui induit forcément des variations non contrôlées, les résultats indiquent globalement une progression de l’abandon de la religion avec l’avancement en âge (tableau 6). Les enquêtés se déclarent en quelque sorte croyants à 20 ans et athées à 40 ans. Cette évolution correspond également au changement de contexte entre 1992 et 2008, les deux dynamiques ne pouvant être démêlées dans les données obtenues. Les secondes générations portugaises et espagnoles se calquent sur le schéma global de la sécularisation, avec une progression plus soutenue pour les premiers par rapport aux seconds. À l’inverse, les descendantes d’immigré(s) d’Algérie sont moins nombreuses à se déclarer sans religion 16 ans plus tard, surtout quand l’un de leurs parents est né en France. Les hommes connaissent une augmentation des « sans religion », mais moins importante que l’évolution moyenne. Les différences entre origines caractérisent ici des différences entre religions : c’est bien une évolution différenciée entre l’islam et le catholicisme qui est illustrée par ces dynamiques contrastées. Les écarts par sexe sont par ailleurs intéressants et sont peut-être à rapprocher de la surexposition des femmes (voilées) dans les débats sur la laïcité. On peut notamment émettre l’hypothèse que le contexte sociopolitique qui entoure l’islam en France et en Europe tend à favoriser le renforcement de l’expression religieuse chez les femmes d’origine algérienne, de première et deuxième générations.
Tableau 6. Sans religion déclarés dans une pseudo-cohorte de descendants d’immigré(s) (MGIS et TeO, %)

Champ : descendants d’immigré(s) de 20 à 29 ans dans MGIS et de 36-45 ans dans TeO. Population totale sur ces deux champs d’âges. Lecture : 60 % des hommes âgés entre 20 et 29 ans en 1992 descendants d’un couple mixte franco-algérien se déclarent sans religion. 64 % des hommes âgés entre 36 et 45 ans en 2008 descendant d’un couple mixte franco-algérien se déclarent sans religion.
Source : enquête MGIS, Ined, 1992, tableau 81 p. 247 (Tribalat et al., 1996) et enquête TeO, Ined-Insee, 2008.
3. Transmissions intergénérationnelles
23Pour poursuivre l’analyse du processus de sécularisation, nous comparons la religiosité des descendants d’immigrés à celle des immigrés, la religiosité des parents étant mesurée par l’importance de la religion dans l’éducation familiale de l’enquêté6. En première approche, nous avons comparé, pour chaque groupe d’origine, les niveaux de religiosité des première et deuxième générations. Sans surprise, la corrélation entre la religiosité de l’enquêté et celle prévalant dans sa famille d’origine est extrêmement forte (coefficient de corrélation de Pearson de 0,6, p < 0,0001)7. Les immigrés d’Afrique subsaharienne occupent la position maximale sur les deux indicateurs : 83 % de forte religiosité dans la famille pendant l’enfance et 78 % pour ego aujourd’hui. La population majoritaire occupe l’autre extrême de la distribution avec 23 % de religiosité familiale élevée et 12 % de forte religiosité pour l’enquêté. L’analyse de la transmission intergénérationnelle de la religion peut être raffinée en comparant, pour chaque individu, son niveau de religiosité avec celui de ses propres parents. La mise en relation de ces deux variables donne lieu à une typologie de transmission intergénérationnelle que nous avons simplifiée en trois types :
sécularisation : abandon de la religion des parents ou niveau de religiosité inférieur à celui du milieu familial ;
reproduction : même niveau de religiosité ;
renforcement : niveau de religiosité supérieur par rapport à celui des parents.
24La typologie a été établie uniquement pour les personnes venant d’une famille dont au moins un parent a déclaré une religion. Cette restriction s’est imposée pour neutraliser le poids très fort joué par les familles sans religion dont les enfants se déclarent également sans religion, ce qui aboutissait à augmenter très fortement le pôle « reproduction » de la typologie. Bien que cette transmission de l’absence de religion soit un cas de figure important dans l’analyse des mobilités du sentiment religieux, nous avons préféré nous concentrer sur les évolutions qui concernent les personnes venant de familles qui s’inscrivent initialement dans l’espace religieux. Ainsi, la désaffection ou au contraire le renforcement du sentiment religieux s’apprécie dans un cadre où il existe déjà, ce qui permet de mieux lire les tendances à la sécularisation, ou le renversement éventuel de tendance vers un plus grand investissement dans la religion.
25La figure 3 montre sans ambiguïté que la situation du renforcement religieux d’une génération à l’autre est nettement moins fréquente que la sécularisation – situation dominante pour la population majoritaire et les descendants de couple mixte – ou que la reconduction du sentiment religieux, principal cas de figure chez les immigrés et les descendants de deux parents immigrés.
26Un peu plus de la moitié des 18-50 ans vivant en France métropolitaine se considèrent moins religieux que leurs parents ne l’ont été, 40 % se situent dans la continuité avec le sentiment religieux familial et autour de 7 % se voient plus investis dans la religion que la génération précédente. Une religiosité plus marquée n’est observée que pour 10 % environ des différents groupes d’origine. Si la sécularisation est moins prononcée pour les immigrés et leurs descendants, elle atteint malgré tout des proportions bien supérieures à celles du renforcement religieux. Ce constat vaut pour les origines spécifiques : les descendants d’Algériens présentent avec 17 % les taux de renforcement religieux les plus élevés de tous les descendants d’immigrés, alors que leur proportion de sécularisation est de 38 % (voir annexe 5 sur teo.site. ined.fr/annexes).
27La transmission intergénérationnelle selon l’affiliation religieuse familiale confirme le résultat (figure 4). Le renforcement religieux culmine à 15 % pour les musulmans, soit deux fois plus que pour les catholiques ou les juifs, mais la sécularisation concerne encore deux fois plus de « musulmans d’origine ». La sécularisation des catholiques et des protestants se lit clairement dans la typologie. Non seulement les personnes venant d’une famille catholique se disent plus souvent sans religion que dans les autres confessions, mais même lorsqu’ils se déclarent catholiques, leur religiosité est moins importante que celle qu’ils attribuent à leurs parents. Ce processus de sécularisation s’observe dans tous les groupes d’âges, quelle que soit la confession. Au final, le regain religieux ne concerne qu’une petite minorité des jeunes musulmans8. Ces musulmans plus religieux que leurs parents se rencontrent dans toutes les catégories sociales ou niveaux d’éducation, ils ne vivent pas plus souvent en ZUS ou dans des quartiers à forte concentration d’immigrés, ce qui relativise quelque peu l’hypothèse d’une (ré) islamisation autonome des enfants en rupture avec leurs parents.
28Dans un contexte dominant de sécularisation, il est incontestable que le sentiment religieux a progressé parmi les musulmans. Cette évolution n’est pas le résultat d’une rupture intergénérationnelle. Elle est à mettre en relation avec les transformations géopolitiques de l’islam dans les pays d’émigration, transformations qui produisent également un impact sur les immigrés déjà installés en France (Roy, 2002). Elle est aussi à relier au contexte social et politique français. La politisation du débat sur l’islam depuis une vingtaine d’années a changé considérablement la visibilité de cette religion et les conditions de sa réception dans la société française. Le durcissement du cadre laïque produit sans doute des effets pour toutes les religions et en particulier pour l’islam qui est au centre des débats (Baubérot, 2012). La vision péjorative de l’islam et les contraintes posées aux manifestations publiques de religiosité ont sans doute contribué à renforcer le statut identitaire de la religion et à lui conférer une dimension qui déborde la seule spiritualité ou son caractère traditionnel (Hajjat et Mohammed, 2013). En quelque sorte, la montée de la religiosité chez les jeunes musulmans serait réactive. Le maintien du sentiment religieux également observé dans les autres confessions (non catholiques) suggère d’ailleurs que la religiosité est attachée au statut de minorité.
Figure 3. Typologie de transmission religieuse selon le lien à la migration

Champ : personnes âgées de 18 à 50 ans, ayant grandi dans une famille avec une religion déclarée. Lecture : parmi les personnes du groupe majoritaire, 56 % sont dans une dynamique de sécularisation par rapport à la religiosité de leurs parents, 37 % ont la même religiosité et 8 % développent une plus grande religiosité que celle de leurs parents.
Source : enquête TeO, Ined-Insee, 2008.
Figure 4. Typologie de transmission religieuse selon la religion familiale

Champ : personnes âgées de 18 à 50 ans, ayant grandi dans une famille avec une religion déclarée. Lecture : parmi les personnes ayant grandi dans une famille musulmane, 28 % sont dans une dynamique de sécularisation par rapport à la religiosité de leurs parents, 57 % ont la même religiosité et 15 % développent une plus grande religiosité que celle de leurs parents.
Source : enquête TeO, Ined-Insee, 2008.
III. Religiosité et frontières sociales
29Le maintien ou le renforcement de la religiosité se traduit-il par la formation des frontières sociales entre « communautés » ? Si les communautés religieuses n’ont certes pas le privilège de la recherche d’un entre-soi dans les relations sociales (comme le démontrent régulièrement les études sur l’homogamie sociale), le débat public fait régulièrement apparaître des critiques sur la tendance au « repli communautaire » des musulmans et parfois des juifs, repli qui se manifesterait par la fréquentation préférentielle de structures associatives à obédience religieuse (sinon strictement religieuses), par la formation de réseaux relationnels centrés sur le groupe religieux et par l’union préférentielle avec une personne de la même religion (ou sa conversion le cas échéant). Il ne s’agit pas ici de statuer sur le caractère dommageable ou non des entre-soi sociaux ou religieux. L’enquête TeO permet de fournir quelques éléments sur le profil des amis fréquentés et sur les affinités électives religieuses dans le choix du conjoint. L’éventuelle rigidité des frontières sociales construites par la religion peut ainsi être testée à l’aulne de la diversification du cercle relationnel et la plasticité des affinités électives religieuses dans les alliances matrimoniales.
1. Des amis choisis, selon quels critères ?
30On considèrera ici que la composition du groupe d’amis reflète des choix affinitaires construits par les préférences sociales et idéologiques, mais également des structures d’opportunité définies par les tailles différenciées des groupes d’amis potentiels. En effet, les tailles relatives des groupes d’amis selon leur origine ou leur religion varient considérablement et conditionnent en partie les possibilités de rencontres. On sait cependant que les affinités se construisent de manière sélective et ne dépendent pas mécaniquement de l’offre. La composition du cercle relationnel est approchée à partir des questions posées dans l’enquête sur les amis rencontrés au cours des quinze derniers jours. Il était demandé aux enquêtés de définir si, parmi ces amis, plus de la moitié, moins de la moitié ou autour de la moitié étaient du même niveau d’étude, de la même religion, de la même origine ou du même sexe. Il était possible à chaque fois de refuser de répondre ou de ne pas savoir répondre à ces questions. On qualifiera d’homophiles les relations amicales qui se tiennent principalement avec des personnes ayant les mêmes caractéristiques d’origine (homophilie ethnique), de religion (homophilie religieuse), de niveau d’étude (homophilie d’éducation) ou de sexe (homophilie sexuée) que soi (tableau 7).
31L’homophilie d’éducation est la moins prononcée et elle varie peu selon les religions. Elle est beaucoup plus marquée pour les diplômés du supérieur, dépasse les 50 % chez les cadres, et ce quelles que soient la religion ou l’origine. Ces amis choisis le sont encore plus du point de vue de leur origine : l’homophilie ethnique est la plus forte des quatre critères. À l’inverse de ce qui aurait été attendu, cette homophilie ethnique est moins marquée chez les musulmans que chez les catholiques, mais la situation de la population majoritaire brouille toute comparaison9. En restreignant l’indicateur aux seuls immigrés et descendants d’immigrés, on observe pour les premiers une homophilie ethnique supérieure pour les musulmans (35 %) par rapport aux catholiques (27 %) ou aux athées (15 %), et pour les seconds des niveaux comparables entre musulmans (25 %) et catholiques (24 %), tous deux supérieurs à ceux des sans religion (17 %). L’influence de la religion est cependant associée à d’autres caractéristiques, comme l’origine, le niveau d’éducation, la catégorie sociale ou le quartier de résidence. Une analyse multivariée montre cependant que les musulmans et les catholiques ont une probabilité significativement plus élevée (odds ratio respectivement de 1,55 et 1,65, significatifs à moins de 0,0001) d’avoir un réseau amical homophile sur l’origine que les personnes sans religion. En revanche, la religiosité ne modifie pas cette influence. Il semblerait donc que l’affiliation religieuse soit associée à une plus grande densité des réseaux amicaux ethniques10.
Tableau 7. Niveau d’homophilie (composition du groupe d’amis) selon la religion déclarée (%)

Champ : personnes de 18 à 50 ans ayant rencontré des amis au cours des 15 derniers jours. Note : sont homophiles les relations amicales qui se tiennent principalement avec des personnes ayant les mêmes caractéristiques d’origine (homophilie ethnique), de religion (homophilie religieuse), de niveau d’études (homophilie d’éducation) ou de sexe (homophilie sexuée). Lecture : 35 % des personnes s’étant déclarées musulmanes ont plus de la moitié de leurs amis ayant le même niveau d’étude qu’eux et 42 % de ces amis sont également musulmans ; 2 % des musulmans ne savent pas situer la religion de leurs amis et 28 % des sans religion sont dans ce cas.
Source : enquête TeO, Ined-Insee, 2008.
32L’homophilie religieuse reproduit sensiblement les mêmes structures que l’homophilie ethnique, avec une nuance qui tient à l’importance des non-réponses. En effet, un nombre plus élevé d’enquêtés ont éprouvé des difficultés à répondre à cette question, en particulier les athées qui sont 28 % à ne pouvoir (ou vouloir) qualifier la religion de leurs amis, alors que les musulmans ne sont que 2 % dans ce cas. On peut concevoir que les personnes sans religion ne considèrent pas la religion (ou son absence) comme une information utile pour décrire leurs relations sociales. Les taux d’homophilie religieuse calculés pour les seuls réponses exprimées montrent que des trois groupes étudiés, les musulmans sont les moins homophiles. Les athées fréquentent ainsi plus souvent des personnes sans religion comme eux. D’une certaine façon, les plus « communautaires » ne sont pas ceux que l’on croit.
33En revanche, la composition sexuée du cercle relationnel fait apparaître une plus forte différenciation parmi les musulmans que pour les catholiques ou les athées. Les deux tiers des femmes musulmanes ont principalement des amies féminines, comme les deux tiers des hommes musulmans ont des amis masculins. Cette spécialisation des réseaux amicaux reflète la forte ségrégation genrée de l’espace social des musulmans, une spécificité qui se renforce avec la religiosité (cf. annexe 6, sur https://teo1.site.ined.fr/fr/donnees_et_resultats/tableaux-statistiques/). La comparaison de l’effet de la religiosité sur l’homophilie religieuse et sexuée entre musulmans et catholiques souligne les mécanismes différenciés entre les deux religions. Alors que la religiosité n’affecte pas la composition du cercle amical des catholiques, l’homophilie religieuse des musulmans double presque en fonction de l’intensité de la religiosité. Cependant, même pour les musulmans les plus engagés dans la religion, les fréquentations amicales sont encore diversifiées pour plus de la moitié d’entre eux.
34La diversité sociale, ethnique et religieuse des cercles de relation des musulmans invalide les représentations médiatiques d’une communauté repliée sur elle-même. Par comparaison avec les catholiques et les athées, leurs amis sont plus fréquemment choisis en dehors de la communauté d’orientation religieuse. En revanche la ségrégation sexuée du cercle amical est beaucoup plus prononcée pour les musulmans que pour les autres religions. Elle concerne plus les immigrés du Maghreb ou de Turquie que ceux d’Afrique subsaharienne et elle est plus élevée parmi les jeunes de la seconde génération qui ont grandi en France.
3. Unions et religion
35Le choix du conjoint est l’un des domaines privilégiés pour une observation des préférences ou barrières religieuses. La plupart des doctrines religieuses réprouvent, sinon interdisent, les unions entre conjoints de religions différentes ou sans religion. Les restrictions aux mariages mixtes religieux peuvent être asymétriques, donnant plus de latitude aux hommes qu’aux femmes à choisir un conjoint en dehors de la communauté. Les prescriptions de la doctrine sont par ailleurs secondées par des normes sociales qui tendent à valoriser l’endogamie, plus encore pour les femmes que pour les hommes. Le chapitre 10 de cet ouvrage analyse en détail la mise en couple des immigrés et de leurs descendants selon les origines et le sexe des partenaires. Outre l’origine du conjoint, l’enquête enregistre sa religion. Les unions qui sont traitées ici concernent des couples cohabitant ou mariés.
36Le premier facteur d’influence de la religion sur la mise en couple porte sur la forme de l’union (tableau 8). On sait que la cohabitation hors mariage est moins fréquente pour les personnes très religieuses qui se montrent plus traditionnelles que les athées. Cette relation est vérifiée dans l’enquête, les taux de cohabitation ou de Pacs restant plus faibles pour tous les groupes religieux, sauf les juifs, par rapport aux sans religion. Les musulmans se montrent les plus attachés au mariage. Alors que moins de 10 % des moins de 26 ans sont mariés, 40 % des musulmans de ce groupe d’âges ont officialisé leur union. Le mariage est donc non seulement la forme d’union la plus répandue chez les musulmans, mais elle est précoce.
37Le type de mariage pratiqué – qu’il soit seulement civil, civil et religieux combinés ou seulement religieux –, traduit l’influence de la religion et des traditions familiales sur les choix de vie. Il est ainsi singulier de relever que 44 % des personnes se déclarant sans religion en union avec un conjoint également sans religion se sont mariées religieusement. Seulement la moitié de ces athées ont grandi dans une famille avec une religion, l’autre moitié disant que leurs parents n’avaient pas non plus de religion11. Pour l’essentiel ces couples athées mariés religieusement viennent de la population majoritaire (à 92 %). On mesure là la prégnance des structures culturelles du catholicisme en France qui influencent encore le rituel du mariage alors même que les couples ne se considèrent plus attachés à la religion.
Tableau 8. Formes d’union selon la confession religieuse (%)
Mariage | Pacs | Cohabitation | Effectifs non pondérés | |
Sans religion | 42 | 4 | 54 | 3 937 |
Champ : personnes de 18 à 50 ans en couple. Lecture : 42 % des personnes en couple se déclarant sans religion sont mariées.
Source : enquête TeO, Ined-Insee, 2008.
38Les membres des différentes confessions religieuses choisissent très majoritairement de combiner un mariage civil et un mariage religieux. Une petit minorité de musulmans ne se marient que religieusement (8 %). Cette pratique n’est pas réservée aux seuls immigrés et s’observent dans des proportions comparables chez les descendants d’immigrés musulmans. Environ un quart des croyants mariés ne font qu’un mariage civil. De façon inattendue, les immigrés ont plus souvent contracté un mariage civil que les descendants nés en France, qu’ils soient catholiques ou musulmans. Si le choix de faire un mariage religieux témoigne de l’influence de la religion sur les valeurs et les convictions, il nous faut constater une progression de cette influence chez les descendants d’immigrés, notamment les moins de 35 ans (voir annexe 7, sur https://teo1.site.ined.fr/fr/donnees_et_resultats/tableaux-statistiques/).
39Mais l’influence de la religion se mesure plus encore au moment du choix du conjoint, lorsque se mettent en jeu les stratégies d’alliance familiale et se manifestent les frontières sociales, ethno-raciales, culturelles et religieuses. La figure 5 permet d’en prendre la mesure : l’endogamie religieuse est une norme qui s’impose avec force. À l’exception des bouddhistes et, dans une moindre mesure des juifs, près des trois-quarts des croyants et des sans religion ont un conjoint de même conviction philosophico-religieuse. Ces hauts niveaux d’endogamie religieuse tendent à réduire les différences de genre par rapport à ce qui était constaté pour l’endogamie ethnique. Les femmes catholiques ne sont que légèrement moins endogames que les hommes (respectivement 76 % et 80 %), tandis que les écarts sont inversés pour les musulmans (respectivement 85 % et 78 %). Les hommes juifs se montrent nettement moins homogames que les femmes juives (49 % et 76 %), ce qui reflète bien l’influence de la définition rabbinique de la transmission du judaïsme par la lignée maternelle12.
Figure 5. Choix du conjoint selon la confession religieuse

Champ : personnes de 18 à 50 ans en couple cohabitants ou mariés. Lecture : 78 % des catholiques sont en union avec un conjoint catholique, 2 % avec un conjoint d’une autre religion, 17 % avec un conjoint sans religion et 3 % ne connaissent pas la religion de leur conjoint.
Source : enquête TeO, Ined-Insee, 2008.
40Le croisement des deux types de mixité permet de comparer la rigidité des frontières matrimoniales selon la religion ou l’origine ethnique. Ainsi, les unions ethniquement endogames sont très rarement mixtes du point de vue de la religion : 9 % pour les immigrés, 8 % pour les descendants d’immigrés et 20 % pour la population majoritaire (principalement entre athées et chrétiens). Les unions mixtes du point de vue de l’origine donnent lieu à plus de mixité religieuse, mais celle-ci reste contenue autour de 30 % des unions avec de faibles variations entre groupes religieux ou athées. Cela signifie que la mixité des origines s’inscrit dans un cadre d’endogamie religieuse, dans un tiers des cas entre athées et dans 40 % des cas dans la même religion. En schématisant un peu les résultats, nous pouvons tracer le cadre de la mixité des unions dans lequel les intermariages ethniques se font à l’intérieur du même environnement religieux ou a-religieux : les migrants et descendants de migrants catholiques ou culturellement catholiques (principalement européens, mais également originaires des DOM ou d’Afrique centrale) tendent à se mettre en couple avec des conjoints de la population majoritaire de même culture religieuse, sinon de religion ; les immigrés et descendants d’immigrés de religion musulmane connaissent de très faibles taux de mixité et lorsqu’ils sont en couple avec un conjoint de la population majoritaire, ils se définissent alors comme athées. Un tel cadre n’est pas sans rappeler le « triple creuset religieux » entre protestants, catholiques et juifs avancé par Will Herberg (1955) pour les États-Unis13, à la nuance près que le creuset français est plus multiple que triple et qu’il fonctionne avec un pôle d’athéisme/agnosticisme qui sert de point d’appui au franchissement des frontières religieuses et ethniques.
Conclusion
41Le rapport à la religion occupe une place importante dans la formation des valeurs et attitudes personnelles et façonne les pratiques sociales. Il est soumis à de fortes évolutions dans le contexte de sécularisation croissante spécifique à l’Europe de l’Ouest et du Nord qui contraste avec la situation de nombreux pays du Sud et d’Amérique du Nord. Les immigrés et les descendants d’immigrés vivant en France sont confrontés à ce contexte de laïcité qui s’est politisé ces dernières années et il est intéressant d’étudier la reconfiguration de leur religiosité dans une perspective de convergence ou de spécificité par rapport à la population majoritaire (Foner et Alba, 2008).
42Les résultats de l’enquête confirment la forte sécularisation de la population en France. La population majoritaire se distingue de ce point de vue assez nettement des immigrés et de leurs descendants. Non seulement la proportion d’athées et d’agnostiques y est beaucoup plus élevée, mais la religiosité des catholiques, qui forment l’essentiel des personnes religieusement affiliées de la population majoritaire, est plus faible que celle observée pour les musulmans ou les juifs. À l’inverse, la religion joue un rôle plus important dans la vie des musulmans aussi bien en tant que référence spirituelle, culturelle ou sociale, que comme trait identitaire. La désaffection pour la religion qui prévaut chez les personnes ayant grandi dans une famille catholique n’est pas (encore ?) observée pour les musulmans. La transmission intergénérationnelle est ainsi plus directe dans les familles musulmanes ou juives. On relève cependant l’expression d’une forme atténuée de sécularisation et de baisse de la religiosité qui signale un processus de transformation du rôle de la religion : dépassant la seule dimension spirituelle, elle devient un marqueur culturel et identitaire. L’émergence d’un islam de France, souvent chroniquée, se dessine dans ces transmissions et réappropriations (Venel, 2004 ; Brouard et Tiberj, 2005).
43Le regain religieux, ou retraditionnalisation, voire la radicalisation autour de l’islam trouvent-ils confirmation dans l’enquête ? Nos données ne permettent pas de traiter directement de la radicalisation, mais les éléments obtenus sur l’évolution de la religiosité et les frontières sociales construites autour de la religion tendent à relativiser les thèses de repli identitaire. S’il est vrai que la religiosité est plus manifeste parmi les musulmans de moins de 26 ans, comme pour les juifs mais contrairement à ce qui est observé pour les catholiques, ce phénomène relève d’abord d’une évolution qui concerne toutes les familles musulmanes. Autrement dit, les jeunes nés en France dans des familles musulmanes ne se montrent pas plus religieux que leurs parents, c’est un glissement général d’affirmation plus grande de la religion qui est observé. Quels en sont les ressorts ? L’enquête ne fournit pas d’éléments probants permettant de relier l’affirmation religieuse au contexte politique et social des années 1990 et 2000, mais la baisse sensible des proportions de jeunes d’origine algérienne (20 à 29 ans) se déclarant sans religion entre 1992 (MGIS) et 2008 (TeO) montre qu’il y a bien eu une césure sur la période considérée. L’hypothèse d’une religiosité réactive n’est donc pas à écarter. Enfin, on ne relève pas de « communautarisme » qui serait spécifique aux musulmans, mais des tendances aux affinités électives entre groupes religieux ou athées qui recoupent les formes d’homogamie sociale observées dans la société française. Dans le contexte de ces préférences pour le semblable, les musulmans se montrent même plus hétérophiles dans leurs cercles amicaux. Cette ouverture contraste avec l’endogamie en matière d’union affichée par toutes les confessions. À voir les taux de désaffiliation dans les familles où l’un des parents est sans religion, on comprend l’enjeu que revêt le choix du conjoint pour la transmission religieuse. D’une certaine façon, il s’agit du principal paramètre décidant de la poursuite ou non du processus de sécularisation.
Bibliographie
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Références bibliographiques
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Annexe
Annexe. Estimation du nombre de musulmans
Le nombre de musulmans en France fait l’objet de nombreuses conjectures. La principale estimation de 5 millions de musulmans, fréquemment évoquée par les médias, a été proposée par le ministère de l’Intérieur sans que la base du calcul ne soit très claire. Les effectifs de musulmans de 18 à 60 ans déclarés dans TeO peuvent servir à une extrapolation sur l’ensemble de la population. La définition retenue pour qualifier les « musulmans » est l’affiliation religieuse auto-déclarée : 2,4 millions personnes âgées de 18 à 60 ans se sont déclarées musulmanes. Nous avons construit des estimations pour les âges inférieurs (moins de 18 ans) et supérieurs (plus de 60 ans) à partir des effectifs des pays d’origine des personnes ou de leur(s) parent(s), corrigés par un coefficient d’affiliation calculé selon plusieurs jeux d’hypothèses qui sont décrits ci-dessous. On obtient alors des estimations variant entre 4,3 millions de musulmans et 3,98 millions, soit, pour reprendre l’hypothèse moyenne, 4,1 millions en France tous âges confondus.

Hypothèse haute : les 18-60 ans s’étant déclarés musulmans + les plus de 60 ans avec taux de déclaration des 18-60 ans + les moins de 18 ans vivant dans une famille dont l’un des parents est musulman + les futurs musulmans ayant grandi dans une famille sans religion.
Hypothèse moyenne : les 18-60 ans s’étant déclarés musulmans + les plus de 60 ans avec taux de déclaration des 50-60 ans + les moins de 18 ans vivant dans une famille dont l’un des parents est musulman modulés par le % de musulmans déclarés entre 18 et 24 ans + les futurs musulmans ayant grandi dans une famille sans religion.
Hypothèse basse : les 18-60 ans s’étant déclarés musulmans + les moins de 18 ans vivant dans une famille dont l’un des parents est musulman modulés par le % de musulmans déclarés entre 18 et 24 ans selon la mixité religieuse des parents.
Notes de bas de page
1 Le concept de sécularisation couvre plusieurs dimensions relevant (1) de la sphère institutionnelle avec le découplage entre institutions politiques et religieuses (ce qui peut aussi être qualifié de « laïcisation »), (2) de la perte de l’influence sociale de la religion sur le fonctionnement du système social et (3) d’une baisse sensible des pratiques et croyances religieuses, et par conséquent de la capacité des religions à contrôler les représentations et à fournir des références morales aux comportements (Willaime, 2006). Ce chapitre ne traite pas des évolutions de la sphère institutionnelle ni du débat sur la place des religions dans la société en général et l’espace public en particulier. Il traite de la sécularisation en tant qu’affaiblissement de la religiosité déclarée par les enquêtés, pouvant aller jusqu’à l’abandon de l’affiliation religieuse (se déclarer sans religion).
2 À noter que la proportion d’immigrés sans religion ne change pas beaucoup selon la période d’arrivée en France, mais qu’elle est en revanche très sensible à l’âge à l’arrivée en France. Les immigrés venus jeunes en France avant 1980 présentent ainsi des proportions d’athées supérieures à ceux venus plus récemment.
3 Du fait de leur naturalisation collective en 1870 par le décret Crémieux, les juifs d’Algérie sont citoyens français, contrairement aux juifs marocains et tunisiens qui, pour leur grande majorité, étaient de nationalité marocaine ou tunisienne (Benbassa, 2004). Les juifs d’Algérie ont donc été traités dans l’enquête comme tous les autres Français d’Algérie et sont regroupés dans l’échantillon de la population majoritaire, dont ils forment une petite minorité aux effectifs très réduits.
4 Voir Dargent (2010) pour une discussion sur les indicateurs de religiosité des musulmans.
5 Les questions sur la religion sont identiques dans les deux enquêtes : « Avez-vous une religion ? ». Dans MGIS, la confession religieuse n’était pas enregistrée et la pratique était appréciée par l’enquêté sur un mode subjectif : « Pratiquez-vous : régulièrement, occasionnellement, pas du tout ? ».
6 La religiosité des parents est donc déclarée par ego, ce qui produit un biais dont il est difficile d’estimer les conséquences sur les indicateurs que nous utilisons.
7 Myers (1996) met en évidence la prépondérance de la socialisation religieuse familiale pour expliquer les niveaux de religiosité individuelle.
8 Résultats disponibles auprès des auteurs.
9 En raison de la dissymétrie de taille entre les groupes, les membres de la population majoritaire rencontrent principalement des personnes de même origine qu’eux. L’homophilie ethnique tend à décroître pour la population majoritaire dans les grandes agglomérations et plus encore dans les quartiers à forte concentration d’immigrés. La structure d’opportunité détermine en partie ce résultat (la cohabitation avec une population diversifiée accroît les possibilités de contacts interethniques), mais la plus grande diversité des cercles relationnels en secteur urbain dense renvoie également à une morphologie de la vie sociale moins segmentée que ce que véhiculent les représentations communes de la ségrégation spatiale.
10 Résultats non montrés, disponibles auprès des auteurs.
11 On ne connaît pas la religion des parents du conjoint.
12 Les effectifs distingués par sexe des personnes se définissant comme juives sont relativement faibles et ces résultats restent purement indicatifs.
13 L’observation avancée par Herberg est que le mélange des différents groupes d’origine des immigrés aux États-Unis se fait à l’intérieur des frontières religieuses entre catholiques, protestants et juifs, les Afro-américains étant tenus à l’écart de ce système d’échange du fait de la prohibition des mariages interraciaux.
Auteurs
Patrick Simon est sociodémographe, directeur de recherche à l’Ined et chercheur associé au CEE à Sciences Po. Ses recherches portent sur les processus d’intégration des immigrés et de leurs descendants dans les sociétés multiculturelles et sur les discriminations ethno-raciales. Outre la co-coordination de l’enquête TeO, il a participé à de nombreux projets européens sur la citoyenneté multiculturelle, les politiques d’intégration, les secondes générations en Europe et les dimensions spatiales de l’intégration sociale. Il préside l’Alliance de Recherche sur les Discriminations (ARDIS) dans le DIM « Genre, Inégalités, Discriminations » de la région Île-de-France.
Vincent Tiberj est chargé de recherche FNSP à Sciences Po depuis novembre 2002. Diplômé et docteur en science politique de l’Institut d’études politiques de Paris, il a aussi été visiting scholar à Stanford University et à Oxford University. Spécialisé dans les comportements politiques et la psychologie politique, il étudie le vote, la sociologie des valeurs et des préjugés, la sociologie politique des inégalités sociales et ethniques, la sociologie de l’immigration et de l’intégration et les méthodes quantitatives. Il est aussi chercheur associé au Centre Emile Durkheim.
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2016
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L’enquête Étude des relations familiales et intergénérationnelles
Arnaud Régnier-Loilier (dir.)
2009
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Résultats d’un observatoire de population urbaine au Burkina Faso
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Violences et rapports de genre
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Trente ans d’enquêtes démographiques en milieu rural
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2024