Chapitre 16
L’habitat des immigrés et des descendants : ségrégation et discriminations perçues
p. 471-497
Remerciements
Nous tenons à remercier amicalement Solenne Robello qui a effectué une partie de l’exploitation statistique de cet article.
Texte intégral
1L’accès au logement est difficile pour une partie des immigrés et de leurs descendants, notamment en raison des discriminations dont ils peuvent faire l’objet. Confusément, pour de nombreuses personnes la discrimination au logement serait à même d’expliquer la ségrégation des populations ethnicisées, dans une démarche volontaire de mise à distance (voir encadré 1). Cependant, la ségrégation peut aussi être la simple résultante de décisions individuelles ou institutionnelles, plus ou moins neutres, et refléter les inégalités d’offres de logement. Ainsi, les disparités territoriales de la distribution du parc d’HLM dans les villes (auxquelles la loi SRU est censée remédier1) d’une part, et les restrictions de location du parc privé aux immigrés d’autre part, amènent indirectement à leur concentration dans les communes et dans le parc de bailleurs qui leurs sont plus ouverts. Il peut par ailleurs y avoir une discrimination directe lorsque les politiques d’attribution de logements sociaux contribuent volontairement à réserver les parties les moins attractives du parc de logements aux ménages africains, maghrébins et turcs (Genest et al., 1996 ; Tanter et Toubon, 1999 ; Kirszbaum, 1999 ; Masclet, 2005 ; Sala Pala, 2005 ; Tissot, 2005). La ségrégation peut aussi dériver de comportements d’agrégation et d’évitement se situant à la frontière de la discrimination : la recherche d’un entre-soi résidentiel social et/ou ethnique, et notamment l’évitement d’établissements scolaires à forte mixité sociale et ethnique pour la scolarisation de ses enfants, se font au détriment de la diversité des quartiers d’habitat.
2Si la discrimination au logement participe à la ségrégation spatiale, d’autres éléments interfèrent, soit en l’aggravant, soit à l’inverse, en la minorant. Six domaines fondamentaux interagissent de façon complexe dans la concentration socio-spatiale des immigrés et de leurs descendants. Premièrement, le contexte économique joue un rôle important : en modulant les possibilités d’embauche et de promotion des migrants salariés, il exerce une influence sur les conditions d’incorporation résidentielle des ménages de migrants. Deuxièmement, les caractéristiques sociodémographiques (isolé versus famille nombreuse, diplômes, expérience et catégorie socioprofessionnelle) et culturelles des migrants (maîtrise de la langue du pays d’accueil, incorporation des habitus urbains) déterminent à la fois leurs besoins en logement et leurs capacités à trouver un emploi, les amenant à arbitrer entre taille du logement et localisation. Il faut ajouter l’existence d’un réseau de coethniques, la localisation géographique de ses membres et les mobilités résidentielles motivées par les événements du cycle de vie. Troisièmement, les particularités de l’habitat social (morphologie, importance du nombre d’unités locatives, concentration ou dispersion de celles-ci) jouent un rôle crucial dans la localisation des migrants. Quatrièmement, l’ancienneté des flux migratoires a aussi un impact sur les conditions d’habitat car les nouveaux migrants qui démarrent leur carrière résidentielle dans le pays d’installation peuvent être plus concentrés que ceux déjà installés. Cinquièmement, les politiques publiques – qu’elles soient d’intégration et de lutte contre les discriminations, ou de peuplement, à travers les choix des bailleurs sociaux et des acteurs politiques locaux – ont des effets souvent plus importants que celui provenant du seul choix des immigrés eux-mêmes (Uitermark, 2003). Sixièmement, l’augmentation de la ségrégation peut se produire de façon endogène par un solde démographique (naissances-décès) favorable aux immigrés en raison d’une structure par âges plus jeune. Enfin, tous ces éléments évoluent de façon dynamique selon leur logique (par exemple, les flux peuvent baisser et changer de pays de provenance, les caractéristiques individuelles se modifient favorablement vis-à-vis de l’emploi, etc.), et les impacts attendus sur la ségrégation peuvent être variables et contradictoires selon ces paramètres.
3Le parti pris de ce chapitre n’a pas été de tenter de concurrencer les évaluations de la ségrégation des migrants tirées des recensements de la population. Ces derniers constituent des sources privilégiées d’estimation grâce à des données individuelles incomparablement plus nombreuses que les enquêtes, y compris l’enquête TeO qui dispose pourtant d’un échantillon fourni. Notre ambition est ici de décrire l’habitat et les territoires des immigrés et de leurs descendants directs à partir des données originales fournies par cette enquête. Après avoir présenté la situation du logement des immigrés, et notamment la place prépondérante du logement social, la ségrégation est abordée à partir de sa perception par les habitants, enregistrée dans l’enquête par une question directe (voir encadré 1). Cette information originale, dotée d’une subjectivité certaine, peut être rapprochée des indicateurs descriptifs construits à partir de la proportion d’immigrés résidant dans le quartier. Les données de contexte local (taux de chômage, d’HLM dans le parc d’habitat, d’immigrés du quartier) permettent d’établir une typologie de quartiers dont l’un des types est celui de la ségrégation. Avec les informations de l’enquête TeO, il est possible d’estimer les parts des immigrés et de leurs enfants dans ces quartiers. Enfin, leurs mobilités résidentielles effectuées au cours des cinq années précédant l’enquête sont observées. La dernière partie revient sur la perception de la discrimination au logement des diverses populations immigrées et de leurs descendants.
Encadré 1. Ségrégation, ségrégation perçue, quartiers et discrimination perçue
La ségrégation peut se définir comme la concentration de populations ayant des caractéristiques (sociales, ethniques, familiales ou autres) communes en des lieux circonscrits3. Ségrégation et concentration sont alors synonymes. La ségrégation s’accompagne de l’idée implicite de mise à l’écart, de traitement inégalitaire et pénalisant. Pour cette raison, nous préférons ajouter que la ségrégation correspond à la concentration de populations défavorisées en des lieux circonscrits (quartiers, zones urbaines, découpage socioadministratif infra-urbain, etc.). Les quartiers sont dotés de particularités sociales plus ou moins favorables : concentration de logements sociaux, de chômeurs, d’immigrés. Le chômage agrégé au niveau du quartier ou le taux d’HLM approximent leur degré de précarité, et les taux d’immigrés leur concentration spatiale.
Ségrégation perçue
La concentration de migrants estimée par les habitants (immigrés ou autres) peut être interprétée comme un indicateur de ségrégation perçue. Ce terme utilisé dans ce sens précis sera toujours accompagné dans le reste du texte de ce qualificatif. L’indicateur de la ségrégation perçue par les immigrés sur le lieu de vie est tiré des réponses à la question : « Vous diriez des habitants de votre quartier que… : 1. Presque tous sont d’origine immigrée, 2. Plus de la moitié est d’origine immigrée, 3. La moitié est d’origine immigrée, 4. Moins de la moitié est d’origine immigrée, 5. Presque pas ou aucun est d’origine immigrée, 6. Ne sait pas ». À cette fin, l’indicateur utilisé regroupe les deux premières modalités. La ségrégation perçue est dissociée de tout jugement qualitatif et rien ne permet de dire qu’il y aurait une corrélation entre celui-ci et un éventuel sentiment de pénibilité ou au contraire de satisfaction (Voir annexe méthodologique).
Quartier
La notion de quartier est intuitive, bien comprise par les enquêtés sans être rigoureusement définie. Elle est dotée d’une élasticité certaine. Ainsi, l’étendue du quartier est sujette à des variations selon les caractéristiques individuelles des enquêtés (âge, mobilité, activités locales, réseau relationnel, etc.). Il est donc nécessaire de conserver cela à l’esprit lors de la lecture des résultats et particulièrement de la comparaison entre quartier au sens de l’enquêté et quartier au sens de l’Insee (Iris2).
Discrimination perçue
La discrimination au logement repérée dans l’enquête TeO est celle perçue par les enquêtés au cours de leurs recherches de logement : accès à la propriété, location dans le parc privé ou social en raison de leur sexe, de leur origine ou de leur couleur de peau, de leur handicap, de leur âge, de leur apparence vestimentaire et autres raisons. Il correspond à la réponse affirmative à la question : « Au cours des cinq dernières années, est-il arrivé qu’on vous refuse sans raison valable un logement, à la location ou à l’achat ? »3 4
Zones urbaines sensibles (ZUS)
En 1996, 751 zones urbaines sensibles sont venues se substituer à divers dispositifs de classement économique des quartiers prioritaires (loi 96-987 de novembre 1996 du Pacte de Relance pour la Ville). Les quartiers prioritaires forment un système de classement emboîté. Par ordre croissant des difficultés, on dénombre 751 ZUS dont 416 zones de redynamisation urbaine (ZRU) et 100 zones franches urbaines (ZFU). Les ZUS regroupaient 4,4 millions d’habitants au recensement de 2006, soit 7 % de la population en France (Observatoire national des zones urbaines sensibles, 2004).
(1) Voir Grafmeyer (1994) pour les différentes définitions de la ségrégation.
(2) Voir la note 11 du chapitre 14.
(3) Sur les indicateurs de discrimination dans l’enquête TeO, voir le chapitre 13.
(4) Voir De Rudder, 1995, pour une discussion théorique des liens entre discrimination et ségrégation.
I. La place centrale du logement social chez les immigrés
4Le statut d’occupation (être propriétaire, locataire d’HLM ou d’un logement du parc privé) donne des indications relativement grossières de la position sociale occupée dans la société française, que ce soit par la capacité à se constituer un patrimoine immobilier ou par le recours à l’habitat social. Les variations de proportion de propriétaires entre les immigrés des différentes origines relèvent de trois ordres de facteurs imbriqués. Elles proviennent d’abord de durées différenciées d’installation, les durées plus longues permettant davantage de constituer un patrimoine immobilier. Elles s’expliquent ensuite par des stratégies résidentielles, des rapports à l’habitat et à la propriété immobilière diverses. Ainsi, la propriété immobilière possède culturellement une importance plus grande pour les Européens du Sud. Enfin, les disparités d’accès à la propriété signalent les inégalités de ressources entre les diverses origines d’immigrés. Les deux derniers types de facteurs s’appliquent également aux descendants d’immigrés. Cependant, à la différence des immigrés, les descendants bénéficient, comme la population majoritaire, de l’éventuelle transmission du patrimoine immobilier de leurs parents (certes constitué depuis moins longtemps).
5La propriété immobilière fait ressortir deux groupes (figure 1). Le premier, aux proportions proches de la population majoritaire (57 %), est constitué de propriétaires immigrés d’Europe du Sud et d’Asie du Sud-Est. Ces immigrés combinent une présence plus ancienne en France et un âge moyen plus élevé. À cela s’ajoute le fait qu’une plus grande proportion d’entre eux sont arrivés jeunes et ont, par conséquent, un parcours plus proche des secondes générations. Ces déterminants démographiques sont relayés par un investissement immobilier plus marqué (Simon, 1996). Dans le second groupe, l’accès à la propriété est moins fréquent. On y rencontre les immigrés d’Afrique subsaharienne (avec 13 % de propriétaires) et du Maghreb (27 %). Les immigrés de Turquie se situent entre ces deux groupes, avec 38 % de propriétaires. Ces écarts se retrouvent parmi les descendants d’immigrés, mais les effets d’âge sont plus importants et expliquent une partie des écarts (la faible proportion de propriétaires chez les descendants de Turcs s’explique ainsi par leur relative jeunesse)2. En outre, les taux de décohabitation sont également plus élevés à âge égal pour les descendants d’immigrés d’Europe du Sud par rapport à ceux d’origine maghrébine3.
6Le logement social est fréquemment associé à un environnement où les immigrés sont surreprésentés par rapport à leur part sur le territoire national. Cette surreprésentation s’explique d’abord par leur position sociale : il est cohérent de les retrouver davantage dans le logement social dont la fonction initiale est bien d’héberger des populations modestes. Au cours des quarante dernières années, la part des immigrés en HLM a fortement progressé pour devenir la source principale d’hébergement des immigrés du Maghreb et d’Afrique subsaharienne (Verdugo, 2011). Selon l’enquête TeO, le logement HLM représente environ 56 % de l’habitat des immigrés d’Afrique subsaharienne et d’Algérie, puis viennent les immigrés du Maroc et de Tunisie, les originaires des DOM et les immigrés de Turquie vivant à plus de 40 % dans l’habitat social (figure 1). Enfin, les parts en logement social décroissent nettement pour les immigrés d’Asie du Sud-Est, d’Espagne et d’Italie, du Portugal, de la population majoritaire et des autres Européens de l’UE27 (moins de 10 %).
Figure 1. Statut d’occupation du logement selon l’origine

Champ : France métropolitaine. Individus de 18 à 50 ans, qui ne vivent plus chez leurs parents et qui ne sont pas logés gratuitement.
Source : enquête TeO, Ined-Insee, 2008.
7L’observation des proportions de propriétaires, locataires du privé ou d’HLM parmi les descendants d’immigrés montre qu’il y a une forte reproduction des statuts d’occupation du logement des parents par les enfants, avec cependant de légères évolutions à l’instar de la mobilité sociale. Enfin, on constate l’augmentation de la part des immigrés d’Afrique et de leurs descendants dans le parc social. Ils sont près d’un quart à y vivre alors qu’ils représentent seulement 8 % de la population âgée de 18 à 50 ans. En dépit de cette surreprésentation due à la modestie de leurs statuts sociaux, la fonction spécifique que joue l’habitat social pour les immigrants et descendants d’immigrants d’Afrique, de Turquie et des DOM ne doit pas masquer le fait que les résidents d’HLM sont constitués à plus de 60 % par la population majoritaire.
8La part du logement social des Maghrébins et des Africains n’a cessé de progresser entre 1982 et 1999, au cours des crises économiques et d’un marché de l’emploi moins vorace en main-d’œuvre non qualifiée. Cette évolution est d’autant plus spectaculaire que leur accès a été tardif puisque les décrets ouvrant l’accès des HLM aux migrants datent de la fin des années 1960 pour la région parisienne et du début des années 1970 pour les autres grandes villes (Blanc-Chaléard, 2006). Les immigrés d’Afrique subsaharienne logeaient à 26 % en HLM en 1982, 44 % en 1999 selon les données du recensement (Verdugo, 2011) et 54 % en 2008 selon l’enquête TeO (avec un champ limité aux 18-60 ans pour les immigrés et 18-50 ans pour les descendants). La part du parc social progresse pour les Maghrébins de 34 % en 1982 à 48 % en 1999 et 51 % en 2008 selon les mêmes sources. En 2008, Africains et Maghrébins logent donc en majorité en logements sociaux.
9S’en tenir aux seuls taux de résidence en habitat social est insuffisant car les logements sociaux ne constituent pas un parc homogène. Ils se distinguent en termes de qualité, de localisation, de peuplement et de niveau des loyers. Ainsi, dans une étude monographique portant sur Gennevilliers, Olivier Masclet rapporte que certains bailleurs sociaux « sacrifiaient » les secteurs les moins attractifs de leur parc de logements uniquement peuplés d’immigrés non européens. Ce segment du parc « sacrifié » est éloigné des centres urbains, des lieux d’activité, mal desservi par les transports publics, et réservé aux Africains, aux Maghrébins et aux Turcs (Masclet, 2005). Un temps de trajet plus long entre le domicile et le travail, particulièrement pour les Africains subsahariens et, dans une moindre mesure, les Maghrébins par rapport à la population majoritaire, révèle une localisation éloignée ou/et peu desservie par les transports en commun (voir le chapitre 7 dans cet ouvrage). Ces logements sont parfois peuplés par une origine nationale unique, produisant de la sorte une ségrégation « ethnique » au niveau de l’immeuble ou d’un segment de rue comme ce qui a déjà été observé à Bruxelles (Kesteloot, 1986). Les loyers sont parfois élevés, l’entretien des logements – comme celui des immeubles – est minimaliste, cela dans un pur souci de rentabilisation et de profit maximum (Masclet, 2005). Le constat du filtrage et de la retenue des immigrés africains et maghrébins dans la partie du parc de logements sociaux la moins valorisée et périphérique a été confirmé par d’autres chercheurs (Genest et al., 1996 ; Tanter et Toubon, 1999 ; Kirszbaum, 1999 ; Sala Pala, 2005).
10S’il est difficile d’identifier les critères de hiérarchisation du parc social car l’enquête TeO ne dispose pas de détails sur le niveau de loyer, la qualité d’entretien des immeubles ou le type d’immeuble dont il s’agit, des informations ont néanmoins été collectées sur la proportion de logements HLM dans l’Iris de résidence (petit quartier). On peut rencontrer des exceptions notables mais globalement, plus le quartier est composé de logements sociaux et plus il correspond à un type de cités ou de grands ensembles, habitats regroupant les fractions les moins attractives du parc social. Alors que la population majoritaire vit, à près de 51 %, dans les quartiers situés dans les 6 premiers déciles des taux d’HLM des quartiers, à l’inverse, 51 % des Africains et des Maghrébins résident dans le dernier décile des pourcentages d’HLM (tableau 1). Les Africains et les Maghrébins ne résident tendanciellement pas dans le même parc HLM que la population majoritaire. Les descendants sont, là encore, moins concentrés que leurs parents mais proportionnellement surreprésentés par rapport à la population majoritaire. Cependant, ces diverses proportions entre natifs, descendants et migrants portent sur des effectifs très différents et la population majoritaire demeure malgré tout la plus importante dans les quartiers de forte concentration des logements sociaux (9e décile) même en tenant compte des descendants de migrants.
Tableau 1. Peuplement des quartiers selon le taux d’HLM (%)

Champ : France métropolitaine. Individus de 18 à 50 ans, qui ne vivent plus chez leurs parents.
Lecture : 51 % de la population majoritaire vit dans 60 % des quartiers où les taux d’HLM sont les plus faibles, 51 % des immigrés du Maghreb et d’Afrique subsaharienne logent dans les 10 % des quartiers aux taux d’HLM les plus élevés.
Source : enquête TeO, Ined-Insee, 2008.
11Ces résultats sont cohérents avec les constats dressés par Tanter et Toubon (1999, p. 83) : « les politiques de peuplement telles qu’elles ont été définies, qui relativisent le rôle (voire la vocation) du logement social en fonction des configurations sociales, ont aggravé la spécialisation ethnique des espaces qu’elles étaient supposées combattre. En délégitimant les familles immigrées là où elles étaient accueillies, ces pratiques ont contribué à faire qu’elles ne soient pas accueillies ailleurs, notamment dans le parc social neuf à la localisation peu ou moins périphérique, et à renforcer ainsi leur concentration dans les lieux stigmatisés ». À partir des réflexions et constats précédents, il faut s’attendre – dans les phénomènes ségrégatifs français – à des interactions sensibles entre discrimination au logement, logement social et ségrégation. Et, comme évoqué en début de chapitre, d’autres phénomènes sont parties prenantes dans la concentration socio-spatiale des migrants.
II. Une ségrégation perçue importante en logement social, mais davantage en quartiers sensibles
12Comment ces distributions par type d’habitat se traduisent-elles en termes de ségrégation perçue (encadré 1 et annexe méthodologique) ? Les immigrés déclarent près de trois fois plus souvent (47 %) que la population majoritaire (16 %) résider dans un quartier dont au moins la moitié des habitants est d’origine immigrée (figure 2). Leurs descendants se situent, là encore, entre la population majoritaire et les immigrés. Ils ne sont plus que 36 % à avoir cette perception de leur environnement. À l’inverse, les immigrés (26 %) et leurs descendants (35 %) déclarent vivre près de deux fois moins souvent dans un quartier où presqu’aucun autre habitant n’est d’origine immigrée, contre 60 % pour la population majoritaire.
13La ségrégation perçue se distribue inégalement selon le statut d’occupation, renvoyant en cela aux différences de composition des espaces. Le logement social est toujours plus fréquemment associé à un environnement où les immigrés sont surreprésentés. Parmi la population majoritaire, les locataires dHLM déclarent 3,5 fois plus souvent (36 %) que les propriétaires (10 %) vivre dans un quartier composé d’au moins la moitié d’immigrés. Ce même rapport est environ 2,5 fois pour les immigrés (71 % contre 29 %) ainsi que pour leurs descendants (62 % contre 25 %). Les immigrés en HLM gardent cependant un taux de ségrégation perçue 2 fois plus fort que celui de la population majoritaire vivant en HLM. Enfin, le niveau de la ségrégation perçue est plus resserré en zones urbaines sensibles (ZUS) : 74 % pour la population majoritaire, 86 % pour les immigrés et 82 % pour leurs descendants. Cela indique une homogénéité des perceptions du peuplement plus forte en quartiers sensibles, correspondant à l’évidence à une plus forte concentration de migrants en ZUS. Il faut donc prendre la ségrégation perçue comme un indicateur relatif et subjectif permettant de comparer diverses populations et territoires et non comme une mesure stricte du niveau de la ségrégation.
Figure 2. Perception de la ségrégation selon le statut d’occupation et le lien à la migration (%)

Champ : 18-50 ans résidant en France métropolitaine qui ne vivent plus chez leurs parents et ne sont pas logés gratuitement. Note : l’indicateur de ségrégation perçue regroupe les réponses « presque tous » et « plus de la moitié » à la question sur la proportion d’immigrés dans le quartier. Lecture : 72 % des immigrés locataires d’HLM déclarent vivre dans un quartier dont au moins la moitié des habitants est d’origine immigrée. Source : enquête TeO, Ined-Insee, 2008.
III. Les immigrés d’Afrique, du Maghreb et de Turquie sont plus nombreux en quartiers précarisés
14Une autre façon d’approcher la ségrégation des immigrés est de s’intéresser au degré de précarité des quartiers dans lesquels ils vivent. Ici, l’indicateur de précarité des quartiers est construit à partir de la distribution des taux de chômage. Par ailleurs, les concentrations d’immigrés prennent un sens différent selon qu’il s’agit des groupes les plus visibles et les plus défavorisés ou de ceux qui possèdent des ressources et sont moins stigmatisés. Dans la suite du texte, nous nous intéresserons aux immigrés d’Afrique subsaharienne, du Maghreb et de Turquie (par la suite, on adoptera la notation AMT pour alléger la rédaction), qui représentent les minorités les plus exposées aux discriminations4 en France et, comme on le verra, les plus ségréguées.
15Si l’on distribue en décile les Iris où résident les enquêtés en fonction des taux de chômage observés et que l’on qualifie de « précarisés » les Iris des déciles supérieurs, on relève que la population majoritaire est nettement moins représentée dans les quartiers précarisés (figure 3). À l’inverse, les immigrés d’AMT se concentrent principalement en quartiers précarisés et modestes. Leurs proportions se réduisent ensuite à mesure de l’aisance des quartiers. L’amélioration du statut des quartiers de résidence de leurs descendants est relativement réduite : s’ils sont moins fréquemment concentrés en quartiers précarisés, leur accès aux quartiers « moyens-aisés » et « aisés » reste très limité. Si l’amélioration résidentielle des G2 reste modeste, cela résulte de l’interaction de plusieurs éléments : relative inertie des mobilités sociales et donc résidentielles, discriminations à l’emploi et au logement, localisation parentale jouant le rôle de corde de rappel, etc.
Figure 3. Peuplement des quartiers en fonction des taux de chômage en 2008 (%)

Champ : 18-50 ans résidant en France métropolitaine, qui ne vivent plus chez leurs parents. Lecture : en 2008, presque 10 % de la population majoritaire vivait dans les 10 % des quartiers les plus précarisés (9e décile des taux de chômage des quartiers) contre près de 42 % pour les immigrés d’Afrique subsaharienne, du Maghreb et de Turquie et 35 % pour leurs descendants de parents immigrés des mêmes zones géographiques. Source : enquête TeO, Ined-Insee, 2008.
IV. L’occupation différenciée des espaces résidentiels et sociaux
16Bien sûr, les immigrés ne sont pas tous ségrégués, loin s’en faut, même parmi les originaires les plus discriminés ou les plus socialement défavorisés comme les Subsahariens et les Maghrébins. Ils se répartissent dans l’ensemble du spectre social des quartiers et seule une minorité est très ségréguée (Pan Ké Shon, 2013 ; Pan Ké Shon et Verdugo, 2014). Une classification simplifiée des différents espaces résidentiels et sociaux permet d’affiner le profil socio-spatial des quartiers dans lesquels ils résident. Cette typologie représente un outil d’intelligibilité, parmi d’autres, des quartiers où logent les immigrés. Les données contextuelles, sur lesquelles repose cette analyse, proviennent des données du recensement de 2006 (encadré 1).
17La typologie est réalisée au moyen d’une classification hiérarchique ascendante des quartiers (CAH). Elle porte sur l’ensemble de la population vivant en France métropolitaine, et non sur les seuls immigrants et leurs descendants. Elle permet ainsi de voir comment se situent ces derniers dans un tableau général des types d’habitat en métropole. Elle est effectuée à partir des distributions en déciles des quartiers (Iris) selon une série d’indicateurs : taux de chômage, proportion d’immigrés, proportion d’immigrés maghrébins, d’immigrés africains et des autres origines, taux d’HLM dans les logements de l’Iris, proportion de cadres parmi la population active de l’Iris et proportions d’immigrés et taux de chômage au niveau de la commune. Le principe statistique général des CAH est de maximiser la variance inter-classes, c’est-à-dire accentuer les écarts entre les classes de la typologie, afin de les distinguer nettement, et de minimiser la variance intra-classes, autrement dit, rechercher l’homogénéité maximum de chaque classe. Les caractéristiques des quartiers sont ensuite projetées sur un plan factoriel et les classes des quartiers obtenues par la CAH sont projetées en variables illustratives, c’est-à-dire sans influence statistique sur la partition, révélant ainsi cinq types de quartiers (tableau 2 et figure 4).
18Le type « Mixité des métropoles urbaines » : c’est le plus courant. Il se situe dans le cadran sud-ouest du plan factoriel (figure 4). Il représente la part principale des habitants (37,5 %) et correspond aux espaces de mixité des grandes métropoles urbaines (72 % dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants), dont Paris-Île-de-France (32 %) où la population majoritaire est dominante (72 %)5. Les taux de concentration des immigrés se situent plutôt dans les 7e et 8e déciles, ce qui signale une présence significative, mais en deçà des seuils habituellement enregistrés dans les grandes métropoles. Dans ces quartiers, le chômage dépasse plus souvent la médiane (pour dominer dans les 7e et 8e déciles des taux de chômage). Les taux d’HLM sont relativement importants mais les habitants du type vivent rarement en zones urbaines sensibles (1 %), ce qui indique par-là que le type « Mixité des métropoles urbaines » exclut les quartiers les plus défavorisés. Cela, ajouté à la surreprésentation des cadres dans les métropoles, explique que 53 % des cadres vivent dans ce type de quartier.
Tableau 2. Caractéristiques des types de quartier (Classification Ascendante Hiérarchique) où résident les enquêtés de TeO (%)

Champ : 18-60 ans pour les immigrés. Lecture : le type des habitants « Mixité des métropoles urbaine représente 37,5 % de la population (col. 1) ; 72 % de ce type est constitué par la population majoritaire (col. 2) ; les immigrés sont à 60 % dans les 7e et déciles (D7-8) 8 e de la distribution des migrants de France (col. 3) ; dans ces types de quartiers, 21 % de la population se situe dans les 5e et 6e déciles et à 34 % dans les quartiers du 7e au 8e décile selon leurs taux de chômage (col. 4) ; 21 % et 28 % des habitants de ce type résident dans les quartiers du 8e et 9e déciles du taux d’HLM (col. 5) ; 40 % du type est situé dans des agglomérations urbaines (Unités urbaines) supérieures à 100 000 habitants, plus 32 % en Île-de-France (IDF) (col. 6) ; Les catégories socioprofessionnelles (CSP) sont mélangées et 19 % sont des cadres (col. 7) ; Enfin, 1 % de cette population vit en zones urbaines sensibles (ZUS). Signification des abréviations : D est utilisé pour décile et les chiffres immédiatement suivants désignent leur rang, le nombre après les « : » le pourcentage de la population dans cette tranche. D9 + signifie 9e décile des taux d’immigrés du quartier et où simultanément les enquêtés ont déclaré vivre dans un quartier où la moitié des habitants est immigrée. D9 ++ : 9e décile des taux d’immigrés du quartier et où simultanément les enquêtés ont déclaré vivre dans un quartier où la quasi-totalité des habitants est immigrée. AMT : Africains, Maghrébins, Turcs. DAMT : descendants d’Africains, de Maghrébins, ou de Turcs. OQ : ouvrier qualifié ; ONQ : ouvrier non qualifié ; Empl. : employé ; PI : profession intermédiaire.
Sources : colonnes 1 et 2 : enquête TeO, Ined-Insee, 2008 ; colonnes 3 à 8 : données contextuelles tirées du recensement 2006 pour l’enquête TeO, Ined-Insee, 2008.
19Le type « Mixité en villes moyennes en région » : moins mixte que le type précédent, il représente 20 % de la population française. Il concerne majoritairement une population vivant hors de l’Île-de-France dans des villes moyennes mais parfois aussi dans les métropoles régionales. Le type est situé dans la partie sud-est du plan. Il est constitué à 83 % par la population majoritaire, puis par les différents descendants d’immigrés, les immigrés de l’UE27 et, en moindre part, par les autres originaires. Leurs habitants sont davantage favorisés, avec un chômage qui se situe très en dessous de la médiane du taux de chômage des quartiers. Ce type d’habitant occupe plus rarement les quartiers où les taux d’HLM sont les plus élevés et loge très rarement en ZUS (0,3 %). Les catégories sociales sont mélangées ainsi que les origines des habitants. De fait, les habitants du type « Mixité en régions » vivent majoritairement dans les quartiers aux taux d’immigrés médians et un peu plus d’un quart dans les déciles supérieurs.
20Le type « Moyen-populaire hors Île-de-France » : il représente 6,1 % de la population. Il se distingue des autres types par son absence d’habitants d’Île-de-France et une quasi-absence de cadres. La répartition de ses habitants est relativement équilibrée dans les autres tranches des agglomérations urbaines. Les immigrés y sont en plus faible part que dans les types précédents. La présence en ZUS est relativement plus élevée (2,5 %) que pour les autres types, en dehors du type « Ségrégué », et une localisation fréquente dans des quartiers d’habitat social.
21Le type « Homogène, rural » : il est situé à l’extrémité nord-est du plan et représente 26,5 % des habitants. La population majoritaire y est présente à 92 %, soit la plus forte représentation de tous les types. Les 8 % restants sont principalement des immigrés européens et des descendants d’immigrés. Les migrants d’AMT y sont rares. Ce type recouvre surtout des espaces ruraux (57 % de la population du type) et des villes de moins de 20 000 habitants (26 % de la population du type), où les catégories sociales sont mélangées et le chômage résiduel. L’habitat social se rencontre plus rarement et aucun de ses habitants ne réside en ZUS. On remarquera que selon les études précédentes, « c’est traditionnellement dans les régions où les étrangers sont peu nombreux, là où les probabilités de contact sont les plus faibles, que les attitudes sont, tendanciellement les plus réservées » (De Rudder, 1991, p. 158).
22Le type « Ségrégué » : il représente près de 10 % de la population. Il est, sans ambiguïté, celui de la concentration des caractéristiques les plus défavorables. Il occupe la partie nord-ouest du plan factoriel. La population majoritaire est de fait minoritaire dans ce type (47 %), mais domine en proportion les autres origines. Les Africains subsahariens, les Maghrébins, les Turcs ainsi que leurs descendants représentent 32,6 % de la population. Le reste des résidents se répartit entre les originaires des DOM, leurs enfants et les immigrés asiatiques, portugais, etc. Les habitants se situent à 90 % dans les 10 % des quartiers où le taux d’immigrés est le plus élevé et où 74 % des habitants ont déclaré que plus de la moitié des résidents du quartier étaient immigrés. 60 % des habitants du type « Ségrégué » vivent en ZUS. Et près de 73 % résident dans les quartiers où les HLM sont les plus concentrés. Ce type de quartier défavorisé incarne les espaces de relégation régulièrement mis en avant dans l’actualité sociale, et où convergent à la fois une ségrégation ethnique et sociale, un fort chômage des habitants, une importante concentration de logements sociaux et une quasi-absence de cadres.
Figure 4. Projection factorielle des espaces résidentiels et sociaux où résident les enquêtés de TeO

Champ : Individus de 18 à 60 ans de métropole. Signification des abréviations : les préfixes des libellés « Chom, HLM, Maghr, Afr, QuartIm » correspondent aux déciles des taux de chômage, d’HLM, de Maghrébins, d’Africains subsahariens, d’immigrés toutes origines confondues des quartiers. Plus le décile est élevé et plus la concentration est importante. ComCho correspond au taux de chômage de la commune. Les déciles sont précisés en fin de libellé. Maghr5-6 correspond aux quartiers des 5e et 6e déciles des taux d’immigrés maghrébins. D9 + signifie 9e décile des taux d’immigrés du quartier et où simultanément les enquêtés ont déclaré vivre dans un quartier où la moitié des habitants est immigrée D9 ++, la presque totalité. AMT : Africains, Maghrébins, Turcs. DAMT : descendants d’Africains, de Maghrébins, ou de Turcs.
Les libellés « Africain, Turc, DOM, Majoritaire, Asie SE, Portugal », etc. correspondent à l’origine des enquêtés. UU020 = unité urbaine de – de 20 000 habitants, UU-100 de 20 000 à 100 000h, UU +100 plus de 100 000 h sauf l’unité urbaine de Paris-Île-de-France. Les libellés de la forme suivante AMTchonn ou Majchonn ou DAMTchonn, par exemple AMTcho4-6, correspond aux enquêtés immigrés Africains subsahariens, Maghrébins ou Turcs vivant dans un quartier au taux de chômage se situant du 4e au 6e décile. Cette variable, les unités urbaines et les types de quartiers sont projetés en variables illustratives.
23Le type « Ségrégué » demeure malgré tout hétérogène et recouvre des situations diverses. Si la population majoritaire n’y est plus présente qu’à 47 %, il serait incorrect de les qualifier de ghettos ou de quartiers mono-ethniques. Le fait que même dans les quartiers parmi les plus ségrégués, les immigrés d’AMT et leurs descendants vivent avec des immigrés d’autres origines et des personnes issues de la population majoritaire, montre que la constitution de quartiers formés uniquement par des minorités de même origine ne se rencontre pas en France (Pan Ké Shon, 2011), comme ce peut être le cas aux États-Unis avec les quartiers d’Afro-Américains (black ghettos) ou d’Hispaniques (barrios). Les mécanismes qui déterminent la ségrégation dépendent de nombreux paramètres : discrimination ethnique, inégalités sociales dans l’accès au logement, morphologie du parc local d’HLM, marché local et national de l’emploi, stock et flux de migrants, etc. (Pan Ké Shon et Verdugo, 2014). En la matière, il n’y a évidemment pas d’opposition entre la question sociale et la question ethnique (celle des discriminations et des inégalités structurelles), mais une ségrégation sociale aggravée par une ségrégation ethnique. Enfin, cette classification montre la diversité des territoires occupés par les immigrés, même si l’on observe une surreprésentation significative dans le type « Ségrégué », notamment des Maghrébins, des autres Africains et des Turcs.
V. Une forte mobilité qui contredit l’image convenue d’enfermement spatial
24Jusqu’à présent, la concentration spatiale a été examinée de façon statique à partir d’indicateurs construits sur une année donnée. Cependant, la ségrégation résulte des déséquilibres entre entrées et sorties de groupes sociaux spécifiques dans un espace résidentiel. L’analyse des mobilités vers et hors des quartiers permet de mieux saisir les dynamiques de formation de la ségrégation et d’identifier les facteurs qui y contribuent. Les mobilités résidentielles sont quantitativement et qualitativement importantes : en l’espace de cinq ans, entre 2003 et 2008, 55 % des immigrés de l’enquête TeO et 57 % de leurs descendants avaient déménagé. Ces mobilités résidentielles s’avèrent, en moyenne, plus élevées que celles de la population majoritaire (41 %) principalement à cause du plus jeune âge des migrants et de leurs descendants qui est corrélé positivement avec les mobilités. On peut reconstituer les trajectoires résidentielles selon les types de quartier en comparant le quartier occupé en 2008 et celui où résidait l’enquêté en 2003 (tableau 3). Le profil des quartiers où résident les Africains subsahariens, les Maghrébins et les Turcs (immigrés et descendants d’immigrés) ayant déménagé entre 2003 et 2008 s’est légèrement amélioré : les quartiers les moins favorisés en termes des taux de chômage (8e et 9e déciles) ne représentent plus que 52 % des quartiers occupés contre 57 % avant déménagement (tableau 3). Cette réduction est néanmoins observée pour tous les groupes et correspond à une redistribution plus générale vers des quartiers aux taux de chômage moins élevés. La matrice de mobilité pour les immigrés AMT montre qu’ils tendent à rester dans les quartiers « précarisés » plus que les autres groupes : 68,2 % de ceux qui habitaient dans un quartier de ce type ont déménagé pour un quartier similaire, alors que cette circulation interne à la zone précarisée ne concerne que 52,2 % des autres immigrés et 44,1 % de la population majoritaire. Les immigrés d’AMT qui résidaient dans des quartiers plus favorisés (déciles sous la médiane du chômage, de 1 à 5), en déménageant, se sont installés dans des quartiers plus modestes pour 45 % d’entre eux (16,1 + 29,1), et 30 % pour la population majoritaire. Pour autant, il ne faudrait pas conclure trop rapidement à la mise au jour d’une spirale ségrégative. De fait, c’est l’inverse qui est observé dans deux études récentes portant sur l’exploitation des recensements de 1968 à 2007 au niveau infra communal et utilisant des méthodologies différentes (Pan Ké Shon et Verdugo, 2014 ; Pan Ké Shon et Verdugo, 2015). Ce que l’on constate probablement ici est une dynamique de concentration/déconcentration des primo-arrivants qui sont hébergés chez un membre de leur réseau relationnel dans des quartiers qui ne sont pas forcément défavorisés et qui, au bout de quelques années, en devenant autonomes, « démarrent » leur carrière résidentielle à un niveau plus modeste6. D’où cette impression de dynamique ségrégative qui n’est pas confirmée par les recensements (Pan Ké Shon et Verdugo, 2015), ni par les données longitudinales de l’Échantillon démographique permanent (Pan Ké Shon, 2009, 2010).
Tableau 3. Matrice des mobilités résidentielles selon le niveau de chômage dans le quartier habité et le groupe d’origine (2003-2008, %)

Note : le millésime du taux de chômage des quartiers utilisé ici dans la distribution des quartiers quittés et d’installation est celui de 2006. Champ : 18-50 ans résidant en France métropolitaine, qui ne vivent plus chez leurs parents. Les descendants sont exclus. Lecture : parmi les personnes ayant déménagé entre 2003 et 2008, les résidents majoritaires qui vivaient dans les quartiers socialement les plus favorisés en termes du taux de chômage (1er au 5e décile du chômage des quartiers) habitent encore à 70,7 % dans ces types de quartiers, ce qui n’est le cas que de 55 % pour les AMT et de 72 % pour les « autres » immigrés. Inversement, dans les 20 % des quartiers aux taux de chômage les plus élevés (8e et 9e déciles) et parmi les personnes ayant déménagé, 44,1 % de la population majoritaire, 68,2 % des AMT et 52,2 % des immigrés des autres pays résidaient à nouveau dans ces mêmes types de quartiers.
Source : enquête TeO, Ined-Insee, 2008.
25Les mobilités descendantes viennent fréquemment de la nécessité d’un logement plus grand de la part de familles qui s’agrandissent, de jeunes qui s’installent au cours de leurs premières étapes résidentielles, de familles monoparentales et de personnes se retrouvant seules après une rupture, etc. Les résultats antérieurs portant sur les mobilités des habitants de quartiers sensibles entre 1990 et 1999, quartiers où les problèmes sociaux sont davantage concentrés, ne dévoilaient pas ces mobilités descendantes de la part des Subsahariens et Maghrébins (Pan Ké Shon, 2009). Toutefois, les quartiers du 8e au 9e décile du chômage sont majoritairement des quartiers populaires et ce n’est que dans la partie située à partir du 99,5e centile que se situe la très grande majorité des quartiers sensibles et des difficultés sociales aggravées. En ce sens, il ne faut pas établir de véritable équivalence entre ces quartiers populaires et les quartiers de la politique de la ville.
VI. La discrimination au logement est particulièrement sensible pour les immigrés d’Afrique et du Maghreb
26Dans le rapport 2009 de la Halde consignant les réclamations reçues pour tous les motifs de discriminations, les origines sont le premier motif de plainte (30 %), devant le handicap (20 %), et le sexe ou l’âge (6 %) (Halde, 2009). Mais le résultat important pour notre propos est que seules 6 % des plaintes adressées à la Halde concernent les discriminations au logement, loin derrière l’emploi. Ce chiffre, très modeste, ne reflète probablement pas l’importance des discriminations dans le logement. En effet, les discriminations qui parviennent jusqu’à la Halde sont celles qui sont jugées suffisamment injustes et graves pour motiver à entamer une procédure administrative, toujours difficile, coûteuse en temps et en stress. Enfin et surtout, les discriminations au logement sont difficiles à identifier et plus encore à prouver : la procédure et les critères de sélection sont opaques et rendent difficile l’expression des griefs. Toutes ces raisons concourent à minimiser le niveau de ces plaintes reçues par la Halde jusqu’en 2011 et par le Défenseur des Droits depuis lors.
27Dans l’enquête, la question relative à la discrimination au logement dévoile un niveau perçu de la discrimination au logement, tous motifs confondus, également limité par rapport à l’emploi7 puisqu’il concerne environ 13 % des immigrés et 9 % de leurs descendants nés en France (figure 5). De tous les immigrés, ce sont ceux du Maghreb et d’Afrique subsaharienne qui déclarent, le plus souvent, avoir vécu une situation discriminatoire dans l’accès au logement. À l’inverse, ceux du Sud-Est asiatique, du Portugal, de l’UE27 comme ceux de la population majoritaire se montrent les moins exposés. Les descendants conservent globalement cet ordonnancement. Dans le détail, les descendants des immigrés d’Europe et particulièrement d’Europe latine semblent s’être « invisibilisés » et ils ne se démarquent plus de la population majoritaire. En revanche, les discriminations déclarées ne diminuent pas significativement d’une génération à l’autre parmi les Subsahariens, les Algériens ou les originaires des DOM. Elles progressent même fortement parmi les Turcs, peut-être du fait que les immigrés turcs sont souvent propriétaires, alors que leurs descendants, qui entament leur parcours résidentiel, sont plus souvent exposés aux discriminations potentielles du marché locatif.
Figure 5. Sentiment d’avoir été discriminé dans l’accès au logement au cours des cinq dernières années selon l’origine détaillée (en %)

Note : le pourcentage estimé correspond au point central figurant sur le segment du graphique. Le segment indique l’intervalle de confiance à 95 % de cette estimation. Champ : France métropolitaine ; 18-50 ans qui ne vivent plus chez leurs parents.
Source : enquête TeO, Ined-Insee, 2008.
Conclusion
28Les immigrés connaissent globalement des situations résidentielles plus modestes et ils sont proportionnellement surreprésentés en HLM par rapport à la population majoritaire. Leurs caractéristiques sociales sont – en moyenne – plus modestes, ils ont de plus faibles revenus qui les reportent vers les segments plus pécuniairement abordables du parc de logements, et principalement les HLM. Par ailleurs, les discriminations au logement dans le parc privé contribuent également à diriger les migrants dans le parc social (Combes et al., 2012).
29De fait, dans les logements sociaux, la présence des immigrés originaires d’Afrique subsaharienne, du Maghreb et de Turquie (les AMT) s’est progressivement renforcée au fil du temps d’après les données censitaires (Verdugo, 2011). Ce n’est pas une particularité hexagonale puisque cette même tendance a été observée au Royaume-Uni, en Suède et en Hollande (Forrest et Murie, 1990 ; Musterd et Deurloo, 1997). Ces éléments viennent rappeler que l’ethnique et le social sont étroitement imbriqués dans la ségrégation française et plus largement européenne. La structure de l’habitat des immigrés et de leurs descendants est fortement différenciée selon l’origine et elle s’accompagne de formes accusées de ségrégation pour les AMT. Alors que les immigrés européens et leurs descendants sont majoritairement propriétaires de leur logement et résident dans des quartiers à faible concentration d’immigrés, les AMT sont, eux, largement logés dans le parc social et connaissent de fortes concentrations dans les quartiers à forts taux de chômage où les proportions d’immigrés sont également élevées. On constate que la population majoritaire logeant dans le parc social vivait dans des quartiers où la part des logements HLM était faible. À l’inverse, les Africains et les Maghrébins habitent majoritairement dans les 10 % des quartiers où les HLM sont les plus concentrés (≥ 25 % d’HLM).
30La typologie des quartiers que nous avons constituée à partir des données décrivant les Iris de résidence des enquêtés de TeO montre que les immigrés et leurs descendants connaissent effectivement des concentrations dans les quartiers les plus défavorisés, mais qu’ils logent également dans tout le spectre des types de quartiers. Inversement, aucun type ne concentre uniquement des immigrés, ce qui signifie que les situations de peuplements complètement homogènes, socialement ou ethniquement, ne se rencontrent pas dans la structure socio-spatiale française. Cependant, une ségrégation significative des immigrés AMT tend à perdurer, alimentée par les primo migrants (Pan Ké Shon et Verdugo, 2014, 2015), et sous une forme moins prononcée, pour les descendants d’immigrés.
31Il faut donc davantage concevoir la ségrégation des habitants comme un continuum de la concentration spatialisée des immigrés et de la précarité plutôt qu’une simple opposition binaire ségrégué versus non ségrégué. Les situations et les problèmes sociaux ont tendance à être pensés à partir du schéma grossier reposant sur les situations extrêmes rencontrées dans certaines banlieues d’Île-de-France et des grandes métropoles régionales8. Les types de quartiers montrent que la mixité ethnique9 prend des aspects différents à Paris ou dans les autres centres urbains mais que cette situation est majoritaire en France. En termes de peuplement des immigrés, le rural particulièrement « blanc » s’oppose aux espaces ségrégués (notamment les quartiers sensibles) où ils sont surreprésentés par rapport à la moyenne nationale de leur groupe. Le type de quartier « Ségrégué » représente moins de 10 % de la population avec une part dominante de la population majoritaire (47 %) et une présence significative des Subsahariens, Maghrébins, Turcs, de leurs enfants (33 %) et des migrants d’autres origines. Un degré ségrégatif est franchi si l’on se concentre sur les seules zones urbaines sensibles, et un autre encore pour les zones franches urbaines. De fait, 60 % des habitants du type « Ségrégué » vivent en zones urbaines sensibles, dont 20 % en zones franches urbaines. Il reste que le peuplement de ces quartiers est hétérogène : s’y côtoient différentes origines d’immigrés ainsi que la population majoritaire.
32Dans l’état des lieux dressé ici, deux mouvements apparemment antagonistes se dessinent : des mobilités résidentielles ascendantes au fil des déménagements et, pour une part des AMT, une mobilité de rétrogression. En effet, contrairement à ce qui s’observait dans les zones sensibles, les mobilités descendantes sont relativement fréquentes pour les Subsahariens, Maghrébins et Turcs par rapport à la population majoritaire. Peut-être faut-il relever que cette mobilité descendante s’effectue principalement dans les espaces populaires mais très peu dans les quartiers les plus défavorisés. Il y a probablement plusieurs raisons aux mobilités de rétrogression et notamment les multiples événements rencontrés au cours du cycle de vie : décohabitation, ruptures, première mise en couple, mais aussi des migrants qui étaient accueillis par des membres de leur réseau de relations, qui s’autonomisent et démarrent leur carrière résidentielle à un niveau plus modeste.
33Ces mobilités résidentielles ascendantes réalisées au cours des déménagements indiquent une incorporation résidentielle progressive mais encore modeste. Le constat d’une « intégration résidentielle », initialement établi par l’École de Chicago (Park, 1926), trouve des échos au Royaume-Uni (Simpson, 2004) et en Suède (Bråmå, 2006), semblant esquisser un modèle européen de ségrégation des ressortissants des anciennes colonies et un modèle de déségrégation, à travers les mobilités sociales et résidentielles au cours du temps (Pan Ké Shon, 2013 ; Pan Ké Shon et Verdugo, 2015). L’intégration résidentielle des immigrés par le biais de leurs mobilités constitue une tendance de fond qui vient tempérer des jugements sans nuance à propos d’un séparatisme ethnique, notamment dans les banlieues, de la sécession des territoires, d’auto-ségrégation, voire de leur ghettoïsation ou d’un apartheid (Lapeyronnie, 2008 ; Maurin, 2004). À l’instar des ethnic clusters des immigrés aux États-Unis, la ségrégation française joue davantage comme « un mécanisme d’isolement flexible et provisoire à l’intérieur d’un périmètre poreux qui fonctionne comme une chambre d’acclimatation et un relais d’étape vers l’assimilation culturelle et l’intégration socio-spatiale dans le reste de la société » (Wacquant, 2010, p. 167).
34Les discriminations au logement déclarées pour motifs racistes (couleur de peau, origine ou nationalité) s’élèvent à 9 % pour les Subsahariens et les Maghrébins, et à 6 % pour leurs descendants contre 3 % et moins de 1 % pour les immigrés des autres origines et leurs enfants. En réalité, ces discriminations sont sous-évaluées : elles concernent principalement les discriminations directes, perceptibles à « vue d’œil ». Si le testing est l’outil de révélation des discriminations directes, la statistique peut mettre en lumière – quand les sources le permettent – les discriminations indirectes. Par exemple, l’attribution d’un logement social dans une zone défavorisée ne peut être vue comme une discrimination. Néanmoins, attribution après attribution, la statistique révèle que les locataires de ces logements se situent en quartiers défavorisés et partagent une caractéristique commune, celle d’être immigré ou assimilé comme tel et que ce déséquilibre n’a rien d’aléatoire. De fait, nos résultats indiquent clairement une surreprésentation statistique des immigrés et particulièrement des Africains subsahariens, des Maghrébins et des Turcs dans les quartiers les plus défavorisés, dont les ZUS et les ZFU. Toutefois, les études débouchent souvent sur d’autres perspectives de recherche et le pas suivant serait de poursuivre les analyses pour « contrôler » les effets de structure sociodémographique. Ceci afin de ne pas confondre les inégalités sociales qui apparient les individus en bas de l’échelle sociale aux lieux du bas de l’échelle socio-spatiale. Enfin, il reste un élément dont il est rarement tenu compte, à savoir, la discrimination à l’emploi (embauche, promotion, rémunération) qui joue en amont sur les revenus des immigrés et de leurs descendants et au final sur leur choix des possibles résidentiels.
Bibliographie
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Annexe
Annexe méthodologique. Ségrégation perçue et ségrégation effective
Pour tenter de comprendre les interactions entre ségrégation perçue et ségrégation objective, il est nécessaire de les confronter simultanément tout en contrôlant par d’autres éléments pouvant influencer la perception des enquêtés tels que, par exemple, leur niveau de diplôme, leur âge, leur sexe, leur origine nationale, leur habitat en quartier sensible, en HLM, etc., soit toutes variables susceptibles de modifier leur jugement ou d’être corrélées avec le taux d’immigrés du quartier. Pour cela, l’instrument statistique adéquat est la régression logistique évaluant les effets des variables simultanément. La variable à expliquer du modèle est définie par la réponse à la question « Vous diriez des habitants de votre quartier que : … »« Presque tous sont d’origine immigrée ». Implicitement, le modèle présuppose que la déclaration d’un fort taux d’immigrés dans le quartier est soit redevable à la subjectivité de l’individu, par exemple par une surdéclaration afin de « dramatiser » les conditions résidentielles des habitants, soit une corrélation effective avec cette forte concentration.
En première analyse, le taux d’immigrés effectif du quartier montre que cette perception paraît exagérée. De fait, ce n’est qu’au 10e décile (cela correspond à la valeur maximum du taux d’immigrés) que certains quartiers (Iris) pourraient avoir une population de 100 % d’immigrés et il est légitime de supposer que ces quartiers seraient sûrement de très petite taille en termes de population et très spécifiques pour autoriser une telle représentation. Par ailleurs, la définition d’immigré10 pour le commun des habitants interrogés est floue. Pour certains, elle peut se restreindre aux étrangers et pour d’autres s’étendre aux descendants d’immigrés, voire à toute personne présentant des caractéristiques perçues comme liées à l’immigration. Les données contextuelles ne tiennent pas compte de leurs enfants qui, bien que Français, peuvent être perçus comme immigrés aussi bien par la population majoritaire que par les immigrés eux-mêmes.
Les risques de déclarer un quartier composé presque entièrement d’immigrés s’ordonnent en fonction de la progression des taux d’immigrés réellement observés dans ces espaces. Par rapport aux 2 premiers déciles des quartiers (1,4 % d’immigrés), résider dans un quartier du 7e décile conduit à le percevoir quatre fois plus souvent comme ségrégué, et 18,6 fois plus souvent en quartiers du 9e décile (tableau A). Il y a donc à la fois une forte cohérence dans l’ordonnancement des risques de ségrégation des quartiers selon leur taux d’immigrés et le fait qu’en dehors d’une partie des habitants des quartiers les plus ségrégués (9e décile), ces témoignages portent sur des quartiers où les immigrés sont en grande partie minoritaires. Qu’est-ce qui conduit à déclarer habiter dans ces quartiers où la ségrégation perçue est extrême ?
Tableau A. Régression logistique. Risques de déclarer « Presque tous les habitants du quartier sont d’origine immigrée »

Champ : 18-60 ans résidant en France métropolitaine et ne vivant plus chez leurs parents
Source : enquête TeO, Ined-Insee, 2008.
Intuitivement, on peut être amené à penser que la perception de la présence des immigrés dans le quartier pourrait être plus aiguisée parmi la population majoritaire que chez les Subsahariens et les Maghrébins à cause de possibles réflexes xénophobes. Or, il n’en est rien et c’est même l’inverse qui se produit. Toutes choses étant égales par ailleurs, ces derniers comme les « Autres immigrés » (autres Européens, Asiatiques, Turcs, Américains et ressortissants d’autres pays) déclarent 1,5 fois plus souvent que leur quartier est presque uniquement constitué d’immigrés. Quant aux immigrés latins, d’Italie ou de la péninsule ibérique, leurs réponses ne se distinguent pas de la population majoritaire11. Dans l’affirmation « Presque tous les habitants du quartier sont d’origine immigrée », il peut être vu une exagération de la présence des immigrés provenant d’une déformation due à la subjectivité des individus. Plus simplement, il peut être perçu une corrélation entre la concentration effective des immigrés et les origines ethniques des répondants. La population majoritaire étant moins ségréguée, il est alors logique qu’elle déclare moins souvent résider dans des quartiers dont la presque totalité des habitants est immigrée. Visiblement, c’est dans ce second cas que s’inscrit la lecture du risque.
Les statistiques descriptives (tableau B) montrent la nette corrélation entre la déclaration d’une plus forte présence d’immigrés et résider en HLM comme en zone urbaine sensible. Malgré le contrôle des informations sociodémographiques du modèle, ceux qui résident dans une zone urbaine sensible et a fortiori en zone franche urbaine affirment 1,8 et 2,7 fois plus souvent que les habitants hors ZUS qu’ils vivent dans un quartier où la concentration des immigrés est proche de 100 %. De surcroît, les quartiers sensibles sont loin d’être homogènes. Ainsi par exemple, leur taux de chômage varie de 1 à 3 et leur composition en termes de pourcentage d’immigrés varie également. Cela revient à dire que les résultats de la régression relatifs aux quartiers sensibles les plus spécifiques en termes de peuplement sont « moyennés » comme peuvent l’être ceux des locataires d’HLM à cause de l’hétérogénéité des situations de ce type de logements et de quartiers.
Tableau B. Déciles du taux d’immigrés et perception du peuplement des quartiers

Champ : 18-60 ans résidant en France métropolitaine et ne vivant plus chez leurs parents.
Source : enquête TeO, Ined-Insee, 2008.
En première approche, cette affirmation abusive de presque tous sont immigrés dans le quartier est limitée au minimum aux 8 premiers déciles, soit près de 20 % des personnes qui ont affirmé cela (tableau B, 1e ligne). Mais dans l’ensemble, cet indicateur est loin d’être déconnecté de la réalité, surtout si l’on accepte que l’expression « le quartier est presque entièrement constitué d’immigrés » contient forcément une part interprétative et approximative d’une stricte réalité qui ne peut précisément être évaluée de visu à cause des confusions entre les notions d’étrangers et d’immigrés, entre celles d’immigrés et de descendants, entre immigrés et parfois même certaines personnes de la population majoritaire (3e génération, personnes dont les phénotypes amènent à les assimiler aux personnes d’origine étrangère, port de signes extérieurs d’une religion autre que chrétienne, port de vêtements « ethniques », etc.). La part des habitants qui affirmait vivre dans un entourage constitué presque uniquement d’immigrés représente 2,9 % de la population. En ne retenant parmi eux que ceux du 9e décile pour davantage de rigueur, cette part est réduite à 2,3 % (2,9 % x 0,805).
Notes de bas de page
1 Loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains. Un autre type de contournement de certaines municipalités qui est la construction de logements sociaux « hauts de gamme » qui exclut de fait les populations précarisées et les immigrés du Maghreb et d’Afrique.
2 Voir le chapitre 1 pour une description des structures par âge des différents groupes d’origine.
3 Voir le chapitre 12 pour une analyse plus détaillée sur la décohabitation des descendants d’immigrés.
4 Voir le chapitre 14 de cet ouvrage.
5 On se reportera avec bénéfices au travail d’Edmond Préteceille, 2006 sur l’Île-de-France.
6 C’était l’une des conclusions présentées au séminaire « Inégalités » de l’Insee de la communication « Les conditions de logement des nouveaux migrants entre 2010 et 2013 par Virginie Jourdan le 28 février 2014. Voir aussi la présentation au séminaire de l’OCDE et du Department of Homeland Security of the United States International migration policies and data de Marie-Hélène Amiel : Integration of family migrants in France ; http://www.oecd.org/els/mig/amiel.pdf
7 Voir le chapitre 14 dans cet ouvrage.
8 Par exemple chez Gilles Kepel et al., 2011.
9 Lire la réflexion critique d’Éric Charmes sur la mixité, 2009 et celle de Thomas Kirszbaum, 2008.
10 Un immigré est une personne née étrangère à l’étranger. Une partie des immigrés a acquis la nationalité française, les autres demeurent étrangers. Les populations immigrées et étrangères ne coïncident pas, les premières étant en effectifs plus importants que les secondes.
11 Dans le modèle présenté ici, les variables d’âge, de type de ménage, du statut d’activité d’ego, du nombre d’enfants du ménage et du nombre d’adultes du ménage sont sans effet significatif. Par conséquence, elles ont été retirées afin d’éviter leurs perturbations sur les coefficients des autres variables.
Auteurs
Jean-Louis Pan Ké Shon est chercheur associé au Laboratoire de sociologie quantitative du Crest. Ses intérêts de recherche portent d’une part, sur des questions de sociologie urbaine : la ségrégation résidentielle des migrants, les quartiers sensibles, les rapports des habitants avec leur quartier et d’autre part, sur la sociologie des tensions mentales au travers des diverses expressions de mal-être : suicide, dépression, dépendance alcoolique, etc., et ce que révèlent ces tensions singulières sur la place occupée par les acteurs dans l’espace social.
Claire Scodellaro est sociologue-démographe, maîtresse de conférences à l’Institut de démographie de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (Idup) et chercheuse associée à l’Ined. Ses recherches récentes portent sur les inégalités sociales, résultant de différents rapports sociaux (de sexe, classes sociales, âge, ethno-raciaux). Elle s’intéresse plus particulièrement à la santé, au vieillissement et aux violences.
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