Chapitre 15
La place du racisme dans l’étude des discriminations
p. 443-470
Dédicace
À la mémoire de notre collègue Véronique De Rudder †
Texte intégral
Introduction : la courte histoire de l’étude scientifique du racisme
1Dans le champ des sciences sociales françaises, les recherches empiriques sur le racisme sont peu nombreuses malgré l’existence d’une production intellectuelle et historique sur le sujet mondialement reconnue. Après la Seconde Guerre mondiale, l’adoption de la déclaration universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen par les Nations unies en 1948 annonça la condamnation légale du racisme en réaction à l’entreprise de destruction des Juifs (et des Tsiganes) d’Europe. L’Unesco encouragea une importante réflexion sur le racisme dans la pensée scientifique en impliquant médecins, biologistes, généticiens, anthropologues et sociologues de renom tel que Claude Lévi-Strauss. La période de l’après-guerre fut aussi celle des révolutions anticoloniales qui virent l’engagement de grandes figures intellectuelles (Aimé Césaire, 1950 ; Franz Omar Fanon, 1952, 1959, 1961,1964 ; Jean-Paul Sartre, 1956). Les écrits de la fin des années 1950 et 1960 se sont ainsi intéressés à l’idéologie de l’inégalité des races dans ses liens avec l’antisémitisme (Léon Poliakov, 1971) et à ses manifestations dans l’histoire coloniale et esclavagiste de la France (Franz Omar Fanon, 1952 et 1959 ; Albert Memmi, 1957).
2Si l’on excepte les travaux tout à fait pionniers d’Andrée Michel (1956) sur les travailleurs algériens et ceux de Girard et Stoetzel sur « Français et immigrés » (1953), les premières enquêtes françaises sur le racisme apparaissent dans les années 1960, au lendemain des indépendances, avec l’arrivée massive des « immigrés de l’Empire » sur le territoire métropolitain. Paul-Hassan Maucorps, Albert Memmi et Jean-François Held (1965) exploitent ainsi à cette époque une enquête par questionnaire conduite en 1963 par le Mouvement pour le Rassemblement et l’Amitié des Peuples (MRAP) auprès de ses adhérents. À l’issue de l’étude, un tableau du racisme en France, tel qu’il est perçu, est proposé. Au début des années 1970, l’étude du racisme devient un objet de recherche sociologique débouchant sur un effort de conceptualisation et de théorisation, notamment illustré par la publication de la thèse de Colette Guillaumin, L’Idéologie raciste (1972) (voir aussi Memmi, 1968 ; et Poliakov, 1971). Des enquêtes sur les travailleurs immigrés relatent le racisme vécu par ces populations en se basant sur des témoignages et des récits d’expériences (Minces, 1973).
3Puis le thème se développe vers la fin des années 1980 et prend de l’envergure dans les années 1990 avec les travaux d’Étienne Balibar et Immanuel Wallerstein (1988), Pierre-André Taguieff (1987, 1991, 1997), Michel Wieviorka (1992, 1993, 1995, 1998a, 1998b). On s’interroge alors sur le renouveau d’une forme de racisme idéologique ou politique avec l’apparition d’une nouvelle droite et la montée du Front national. On commence aussi à concevoir le racisme non plus comme étant uniquement subi par les migrants post-coloniaux, mais aussi par leurs enfants nés en France. L’accent est mis sur l’affaiblissement de la référence à la notion discréditée de race dans la pensée raciste, au profit d’une essentialisation et d’une stigmatisation de la différence culturelle qui caractériseraient un « néo-racisme » qualifié couramment de « racisme culturel » ou de « racisme différentialiste ».
4La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) est réactivée et fait paraître, à partir de 1990, un rapport annuel destiné à évaluer le degré de diffusion des idées racistes dans la population. Parmi ses sources d’informations figure un sondage d’opinion annuel adressé à un échantillon représentatif de la seule population française métropolitaine dont les résultats de 2010 indiquent que 87 % des Français considèrent que le racisme est très répandu dans la société française, 24 % des Français ne craignant pas de se déclarer eux-mêmes ouvertement racistes (CNCDH, 2011, p. 75). De 2002 à 2010, les personnes regroupées, selon la terminologie de l’étude, parmi les « Nord-Africains/musulmans » occupent le premier rang des victimes du racisme dans l’opinion générale. Elles sont suivies des « Africains/Noirs » qui progressent fortement dans les représentations en passant de 17 % des citations en 2002 à 31 % en 2010.
5L’étude du racisme sous l’angle des faits subis par les personnes qui en sont la cible est beaucoup plus limitée. Elle se fait principalement par le recensement annuel des plaintes déposées par les victimes, limitant ainsi la mesure aux actes les plus graves. En 2009, 3344 affaires à caractère raciste, antisémite ou antireligieux ont été enregistrées par les parquets et 610 condamnations ont été prononcées (CNCDH, 2011). Ainsi, l’étude du racisme occulte le plus souvent l’expérience de celles et ceux qui y sont confrontés. Les organisations antiracistes s’efforcent de combler cette lacune en publiant des témoignages de victimes du racisme. Des travaux sociologiques plus récents insistent sur le caractère quotidien du racisme à l’instar de travaux américains (Essed, 1991). Ils montrent à partir de récits d’expériences recueillis par entretiens ou d’observations directes de situations les espaces où le racisme est susceptible d’émerger (lieux de travail, guichets d’administrations, services de santé, transports…) que le phénomène a un caractère routinier pour celles et ceux qui y sont confrontés (Vourc’h, De Rudder et Tripier, 1996 ; Poutignat, Streiff-Fénart, 1995 ; Bataille, 1997 ; De Rudder, Poiret et Vourc’h, 2000 ; Poutignat, Rinaudo, Streiff-Fénart, 2004 ; Eberhard, 2010). Ces recherches mettent au jour les différences d’appréciation des faits entre les personnes accusées d’être racistes et celles qui le subissent. Elles montrent que le racisme constitue un système de domination sociale produisant des frontières symboliques de type « nous »/ « eux » qui aboutissent à une hiérarchisation matérielle des groupes sociaux en limitant l’accès aux ressources de ceux qui constituent la cible du racisme. Ces travaux soulignent que racisme et discriminations forment un continuum inextricable, que la discrimination est du « racisme en acte » (De Rudder, Poiret et Vourc’h, 2000, p. 30), en ce sens qu’elle est la traduction de représentations racistes dans des pratiques de mise à l’écart des ressources économiques. Dans les études quantitatives, cette imbrication est peu explorée. Si le récent focus sur les discriminations a eu pour intérêt de recentrer les recherches sur les préjudices matériels et économiques qu’elles occasionnent, le racisme explicite n’est pas mesuré. Les enquêtes qui enregistrent l’expérience des discriminations, désormais assez nombreuses1, ne cherchent pas à identifier si ces pratiques discriminatoires sont liées à des attitudes racistes ouvertes. Les auteurs sont nombreux qui hésitent à qualifier ces discriminations de racistes et préfèrent les formules telles que « discriminations raciales » ou « fondées sur l’origine » en raison du caractère infamant du qualificatif « raciste ». L’enquête TeO rompt avec les enquêtes antérieures sur l’étude de l’intégration des migrants et les discriminations en ce qu’elle enregistre aussi l’expérience du racisme.
6Ce chapitre est ainsi largement consacré à l’étude de ce que l’on appelle communément le « racisme anti-immigré »2 qui confond les immigrés proprement dits et leurs enfants. Au-delà, il s’intéresse aussi au racisme subi par les personnes originaires d’un DOM, sans négliger le racisme déclaré par la population majoritaire. Le chapitre s’ouvre sur une mesure du racisme subi par les immigrés, et leurs enfants nés en France, puis se poursuit par l’étude des caractéristiques sociodémographiques des personnes qui en sont victimes en se demandant si une bonne insertion sociale protège les personnes du racisme ou si au contraire le racisme touche les personnes indépendamment de leur position sociale. L’analyse porte ensuite sur les lieux où les expériences racistes se produisent en se focalisant sur les faits subis au travail et leur lien avec l’expérience déclarée de discrimination. Ce faisant, c’est à une analyse des conséquences matérielles du racisme que nous procédons, ce qui permet d’établir si les conséquences économiques du racisme subi sont similaires ou non pour les différentes origines. Le racisme déclaré par la population majoritaire posant particulièrement question (encadré 1), une analyse fine des caractéristiques des individus qui, au sein de ce groupe, déclarent avoir subi des comportements racistes est présentée.
I. L’enregistrement de l’expérience du racisme dans l’enquête TeO
7Le racisme ordinaire (Chebel d’Appollonia, 1998) se décline en de multiples attitudes hostiles : plaisanteries, moqueries, postures, mimiques, provocations, injures, insultes, mise à l’écart, négation de la présence de la personne, et autres traitements préjudiciables ouverts ou voilés. Il peut être la cause de blessures verbales, d’offenses, de mépris et d’humiliations, mais aussi de rejets et d’exclusions qui se matérialisent et s’institutionnalisent dans la ségrégation ou la discrimination à caractère ethniste ou raciste. Il peut devenir racisme d’État, s’exprimer par la violence physique et se transformer en « néantisation » (Memmi, 1982). Il procède d’un étiquetage négatif et d’une stigmatisation d’autrui. À la base de cette assignation à un statut social infériorisé se trouve l’activation de représentations négatives, de préjugés, de stéréotypes, d’idéologies, de codes sociaux dont la formation et la diffusion accompagnent l’histoire européenne moderne et contemporaine des modes de domination et d’exploitation (conquêtes, esclavage, colonisation, immigration, nazisme, etc.) et qui se perpétuent dans le jeu social (socialisations, interactions, relations et rapports sociaux) et dans les pratiques sociales en étant périodiquement actualisées. Régulièrement, la presse se fait l’écho d’actes et de discours qui nous rappellent que le racisme avec ses préjugés et ses stéréotypes reste un phénomène actif dans la société française. Comment l’enquête TeO a-t-elle choisi de saisir la réalité diffuse du racisme ?
8Dans le questionnaire de l’enquête, les questions sur l’expérience du racisme viennent après toutes celles posées sur les discriminations, qu’elles soient liées à l’origine, à la couleur de peau ou à d’autres motifs. L’enquête comporte deux questions qui ont une fonction à la fois de synthèse et d’élargissement des expériences négatives subies par les individus. Elles sont posées à tous les enquêtés, y compris ceux de la population majoritaire (encadré 1).
9Une première question enregistre l’expérience directe du racisme : « Au cours de votre vie, avez-vous été la cible d’insultes, de propos ou d’attitudes ouvertement racistes en France ? ». Il n’est pas proposé de définition de ce qu’est le racisme : il est ainsi laissé à l’appréciation des enquêtés d’inclure sous ce vocable des propos ou des comportements dont ils ont été l’objet même si la référence explicite à des attitudes « ouvertement » racistes a pu limiter les déclarations attenantes à un racisme « discret » (mise à l’écart, par exemple). Aussi, la question ne permet pas de distinguer les faits les plus graves de ceux dont les conséquences sont d’une moindre portée. Elle a aussi pour défaut de ne pas enregistrer la fréquence de ces faits. Cependant, deux questions complémentaires permettent de contextualiser ces événements, en précisant le lieu où ces faits se sont produits la dernière fois et s’ils sont survenus au cours des douze derniers mois. L’absence de questions sur les auteurs ne permet pas de savoir s’il s’agit d’une personne isolée ou de plusieurs, d’hommes ou de femmes, ni d’en connaître les origines.
Encadré 1. La diversité de la population majoritaire et l’exposition au racisme
Comme exposé dans le premier chapitre de cet ouvrage, la catégorie intitulée « population majoritaire » dans le langage de l’enquête TeO rassemble les personnes nées Françaises en France métropolitaine dont les deux parents sont eux-mêmes nés Français, en France métropolitaine ou à l’étranger. Ces critères de nationalité à la naissance sur deux générations et de lieu de naissance de l’enquêté n’empêchent pas que certaines personnes puissent faire partie de groupes minoritaires (au sens sociologique) et soient ainsi exposés au racisme du fait de leur religion, de leur couleur de peau, d’une ascendance étrangère plus ou moins lointaine ou encore de leur appartenance (réelle ou imaginaire) à des groupes stigmatisés comme les Roms. La logique sociologique voudrait que ces minorités ne soient pas incluses dans la catégorie « population majoritaire » pour analyser l’expérience du racisme. Cependant, prendre en compte la pluralité interne à la population majoritaire à partir des données de l’enquête TeO constitue un exercice difficile : les personnes qui n’ont pas d’origine étrangère personnellement ou par leurs parents, mais sont néanmoins minorisées et confrontées au racisme peuvent difficilement être repérées. Nous nous sommes néanmoins efforcés de restituer une forme de diversité au sein de la catégorie « population majoritaire ». Quatre sous-groupes ont été constitués sur la base de critères définissant l’appartenance à des groupes racisés (ou ethnicisés) ou indiquant une proximité avec ces groupes.
– Le premier sous-groupe est composé d’individus dits « altérisés », ayant une religion minoritaire (juive ou musulmane pour l’essentiel) ou déclarant être renvoyé à une position d’altérité : à la proposition « On me voit comme un Français », ils ont répondu « pas du tout d’accord » ou « pas d’accord ». Au sein de ce groupe, ceux qui ont une religion minoritaire sont essentiellement musulmans (27 %), juifs (15 %) et bouddhistes (11 %). Certains déclarent plusieurs religions (6 %). Un tiers d’entre eux a un parent né Français à l’étranger, le plus souvent en Algérie. En d’autres termes, une partie de ces individus ayant une religion minoritaire sont des descendants de harkis ou de juifs rapatriés d’Algérie. Les autres sont probablement des petits-enfants ou arrière-petits-enfants d’immigrés ou de natifs d’un DOM.
– Le deuxième groupe est composé d’individus ayant vécu en couple mixte (avec un conjoint immigré ou de parents immigrés) ; ils ont pu subir par proximité le racisme visant leur conjoint, leurs enfants ou la mixité de leur couple en tant que telle.
– Le troisième groupe rassemble des personnes déclarant que le revenu mensuel de leur ménage est inférieur à 1 000 € et susceptibles de déclarer être victimes d’un « racisme » qui ne renvoie pas à leurs origines. Ce groupe, particulièrement jeune (60 % ont moins de 30 ans), rassemble en fait deux populations distinctes : les « étudiants en situation de précarité », qui peuvent éventuellement se déclarer victimes d’un « racisme anti-jeunes » et les « majoritaires paupérisés » (personnes durablement exclues du marché du travail), possibles victimes d’un « racisme anti-pauvre ». Ces derniers se rapprochent des majoritaires altérisés et de ceux en couple mixte par le fait d’être environ 25 % à résider dans un quartier peuplé en majorité d’immigrés (d’après eux). Ils peuvent ainsi subir un « racisme anti-quartiers ». On peut encore supposer qu’ils peuvent être davantage confrontés à des relations conflictuelles avec les personnes des minorités migrantes.
– Enfin, le quatrième groupe rassemble les « majoritaires non paupérisés » qui sont les moins nombreux en proportion à déclarer une expérience de racisme au cours de la vie et sont également peu nombreux à résider dans un quartier d’immigration (14 %), tout en constituant le groupe numériquement dominant.
Tableau 1. La diversité interne de la population majoritaire

10Par ailleurs, les enquêtés qui n’ont pas reporté d’expérience directe du racisme, répondent à une question destinée à évaluer leur sentiment d’exposition au racisme : « Pensez-vous que vous pourriez être victime de racisme en France, même si cela ne vous est jamais arrivé ? ». Cette question vise à cerner le sentiment de vulnérabilité au regard des attitudes racistes. Il nous est donc possible de livrer une estimation de la prévalence du racisme subi, et d’explorer le sentiment d’exposition au racisme en fonction des origines mais aussi d’autres caractéristiques sociales.
II. Le racisme et les origines
11Les immigrés ne sont pas les seules cibles des propos ou comportements racistes : les enfants d’immigrés sont en général nettement plus nombreux à déclarer avoir fait l’expérience du racisme au cours de leur vie (tableau 2). Mais cette expérience dépend aussi beaucoup des origines. La prévalence la plus forte du racisme subi concerne les personnes originaires (ou dont les parents sont originaires) d’Afrique subsaharienne (53 %) ou d’un DOM (51 %). Le racisme vécu par ces populations s’apparente distinctement à un racisme de couleur. Parmi les personnes originaires (directement ou par leurs parents) des pays du Sud-Est asiatique, la prévalence du racisme est respectivement de 37 % et 54 %. La prévalence du racisme est à peine moins élevée pour les personnes ayant un lien (direct ou via leurs parents) avec les pays du Maghreb : 35 % à 39 % pour les immigrés et 50 % pour leurs enfants nés en France. Les personnes originaires de Turquie (elles-mêmes ou par l’intermédiaire de leurs parents) font également l’expérience du racisme (respectivement 26 % et 40 %). Les personnes d’origine européenne ont – quant à elles – été deux fois moins concernées par le racisme (20 % à 29 %) que celles originaires d’Afrique subsaharienne ou d’un DOM au cours de leur vie. Cela témoigne du fait que le racisme subi autrefois par les immigrés espagnols, italiens ou portugais (Noiriel, 2007) est devenu bien moins prégnant de nos jours. On est à l’inverse surpris par les taux déclarés par les personnes ayant une origine asiatique ou turque, car les travaux sur les discours, les représentations et les opinions racistes ne mentionnent généralement pas ces populations comme cibles privilégiées des rhétoriques racistes, à la différence des personnes maghrébines et des personnes considérées comme étant « Noires ». Le « racisme en acte » vise des personnes bien au-delà des groupes les plus reconnus comme faisant l’objet d’atteintes racistes.
12Comment expliquer la plus grande fréquence de l’expérience du racisme pour les enfants d’immigrés que pour les immigrés ? Observe-t-on là l’effet d’une durée d’exposition plus longue pour les enfants d’immigrés, les immigrés ayant vécu une partie de leur existence dans le pays d’origine ? Ce point sera discuté plus loin. On peut aussi penser que les enfants d’immigrés ou de natifs d’un DOM ont une fréquentation plus importante d’espaces mixtes culturellement ou encore qu’ils acceptent moins que les immigrés les attitudes racistes. Ayant intégré les valeurs méritocratiques, leur exigence d’égalité est plus élevée (Dubet, Cousin, Macé, Rui, 2013). Les premiers acceptent davantage cette hostilité en raison d’une origine étrangère plus directe ou pour certains d’entre eux de leur nationalité étrangère et s’interdisent (voire craignent peut-être aussi pour ces mêmes raisons) de dénoncer leurs expériences négatives.
Tableau 2. Expérience du racisme au cours de la vie (%)

Champ : personnes âgées de 18 à 50 ans. Lecture : 47 % des natifs d’un DOM âgés de 18 à 50 ans déclarent avoir subi au moins une situation raciste au cours de leur vie.
Source : TeO, Ined-Insee, 2008.
13L’examen des déclarations des femmes et des hommes au sein d’un même groupe d’origine3 révèle des différences très prononcées, en particulier parmi les personnes immigrées. Quelle que soit l’origine, les femmes déclarent nettement moins souvent une expérience raciste. Plusieurs explications peuvent être formulées : les femmes migrantes étant nombreuses à être venues par le regroupement familial, leur durée d’exposition au racisme en France est plus courte que celle des hommes, mais le même phénomène s’observant chez les filles d’immigrés, cette hypothèse ne peut constituer à elle seule l’ensemble de l’explication. La seconde hypothèse est que le racisme est un comportement genré, en ce sens qu’il est sans doute plus le fait d’un sexe que de l’autre mais aussi qu’il prend des formes et une intensité sans doute différentes à l’encontre des hommes et des femmes. Si on ajoute à cette hypothèse le fait qu’il est probable que les événements racistes anciens dont les personnes se souviennent sont les événements les plus marquants, les plus humiliants voire les plus violents, les résultats laisseraient alors entendre que le racisme à l’encontre des hommes prendrait des formes plus brutales qu’à l’encontre des femmes. On peut encore avancer que les femmes cumulant les positions « subalternes » (en tant que femmes et en tant que minorité racisée), sous-déclarent le racisme qu’elles ont subi au cours de leur vie.
III. Les caractéristiques sociales associées à l’expérience du racisme
14Qui sont les victimes du racisme ? La dénonciation du racisme subi est-elle davantage le fait de personnes socialement fragilisées qui trouveraient là, comme on l’entend parfois dire, un moyen de justifier leur situation sociale ? Le racisme cible-t-il davantage ceux dont l’exclusion sociale les stigmatise déjà ? Nous avons recherché, parmi les caractéristiques sociales des personnes, celles s’avérant les plus étroitement associées au fait de déclarer avoir subi du racisme au cours de la vie grâce à trois modèles emboîtés de régressions logistiques (tableau 3).
15Le premier modèle neutralise les différences de durée de vie en France métropolitaine et de sexe, de façon à identifier les groupes d’origine les plus sujets à l’hostilité raciste à sexe identique et temps d’exposition équivalents.
16Le deuxième modèle ajoute des caractéristiques individuelles pouvant constituer des marqueurs susceptibles de déclencher des attitudes racistes dans les interactions de la vie quotidienne. Il s’agit du port de symboles religieux (croix, foulard, kippa, bindi…) ainsi que de deux indicateurs indirects de l’apparence physique (le sentiment d’être perçu ou non « comme un Français » et la fréquence à laquelle les individus se voient demander « quelles sont leurs origines »). Nous avons aussi pris en considération le fait d’être en couple avec une personne de la population majoritaire, considérant que la mixité du couple entre dans les caractéristiques « visibles ». Il s’agit d’évaluer la réprobation sociale qui s’incarne dans la « hantise du métissage » et dans la défense illusoire d’une « pureté de la race ». Ces couples peuvent effectivement subir des comportements hostiles précisément parce qu’ils mettent en cause les frontières racialisantes que d’autres essaient d’instaurer entre les groupes (Poliakov, 1980 ; Taguieff, 1987 : 338-354 ; Brouard et Tiberj, 2008).
17Le dernier modèle introduit les caractéristiques sociales des personnes : leur niveau de diplôme, notamment leur situation vis-à-vis de l’emploi et leur catégorie socioprofessionnelle. Le fait de résider dans une zone urbaine sensible a également été inclus de façon à déterminer si le lieu de résidence influe sur la victimation. Cette dernière étape permet de déterminer si le racisme touche davantage les personnes les plus fragilisées socialement ou vise l’ensemble des individus quelle que soit leur position sociale.
18Les modèles sont conduits séparément pour les migrants et leurs descendants du fait d’une définition de la durée d’exposition différente et chaque groupe d’origine est comparé aux originaires de l’UE27 qui par leur caractéristiques sont très proches des individus de la population majoritaire4.
19Le premier modèle (tableau 3) montre que parmi les migrants, à âge, sexe et durée de résidence identiques sur le territoire métropolitain, les originaires d’Afrique subsaharienne et d’un DOM sont nettement plus souvent confrontés au racisme que les autres (les odds ratios variant de 3 à presque 5). Ils sont immédiatement suivis par les originaires du Maghreb et d’Asie du Sud-Est qui sont cependant deux fois moins concernés (OR = 1,6 à 2) puis par les immigrés d’Espagne ou d’Italie. En revanche, les originaires du Portugal ou de Turquie ne se déclarent pas davantage confrontés au racisme que les migrants originaires des autres pays de l’UE275. Il se confirme que les femmes se déclarent moins souvent que les hommes victimes du racisme (OR = 0,6) et que la moindre déclaration des femmes n’est pas seulement due à une présence plus courte sur le territoire français. On note encore qu’à durée de résidence, sexe et origine identiques, avoir entre 41 ans et 50 ans est associé à une moindre probabilité de se dire victime de racisme (OR = 0,6). Il semble ainsi que les migrants les plus âgés se montrent moins sensibles au racisme ou qu’ils relativisent ces expériences négatives6.
20Les enfants d’immigrés les plus souvent victimes de racisme (tableau 3), à sexe et âge identiques, sont précisément les enfants des migrants les plus exposés : ceux venus d’Afrique subsaharienne et d’un DOM. Que les personnes soient immigrées ou nées en France, le racisme vise donc les mêmes origines. La pleine appartenance à la société française par la détention de la nationalité française ne protège donc pas de l’hostilité raciste. Autres observations, les enfants d’immigrés venus d’Asie du Sud-Est (OR = 3,8) s’avèrent significativement plus soumis au racisme que les enfants d’immigrés venus de l’UE27 et ils semblent subir un processus d’intensification de la victimation par rapport aux immigrés de mêmes origines. Le racisme dont ils sont victimes atteint quasiment la même fréquence que pour les originaires d’Afrique subsaharienne. On observe le même processus mais dans une moindre mesure, concernant les enfants d’immigrés venus de Turquie (OR = 2,1) ou du Portugal (1,3), mais il disparaît pour les enfants d’immigrés espagnols ou italiens. À la différence de ce qui s’observe pour les immigrés, être plus avancé en âge ne modifie pas les déclarations de racisme, tandis qu’être une femme reste associé à une moindre déclaration de victimation à caractère raciste.
Tableau 3. Caractéristiques associées à la déclaration d’une expérience du racisme au cours de la vie ou depuis l’arrivée en France métropolitaine (odds ratios)

Tableau 3. Suite

Champs : immigrés, natifs d’un DOM descendants d’immigrés et de natifs d’un DOM, âgés de 18 à 50 ans. Légende : significativité à : *** 1 % ; ** 5 % ; * 10 %, Réf. : situation de référence. L’absence d’étoile indique que les résultats ne sont pas significatifs. Lecture : à âge, sexe et durée de résidence identiques sur le territoire métropolitain, les immigrés originaires d’Afrique centrale ou guinéenne ont une probabilité de déclarer avoir subi le racisme au cours de leur vie plutôt que de ne pas en avoir fait l’expérience presque 5 fois plus élevée (odd ratio = 4,9) que les immigrés originaires d’un pays de l’UE27 (autre que l’Espagne, l’Italie ou le Portugal).
Source : TeO, Ined-Insee, 2008.
21Le deuxième modèle permet d’établir que les traits individuels qui fonctionnent socialement comme des stigmates (Guillaumin, 1972) favorisent le déclenchement de comportements racistes à origine donnée, mais avec moins de force que les origines migratoires. Les individus à qui l’on demande souvent leurs origines, ceux qui estiment qu’on ne les voit pas comme des Français et dans une bien moindre mesure ceux qui portent un symbole religieux (quelle que soit leur religion) ont à origine identique davantage subi le racisme. Ce constat vaut pour les migrants comme pour les enfants de migrants mais s’avère plus prononcé pour ces derniers. Pour les immigrés, l’introduction dans le modèle de traits stigmatisés ne modifie pas les probabilités des différents groupes d’origine d’avoir subi du racisme (les odds ratios relatifs à l’origine restent pour ainsi dire identiques entre le modèle 1 et le modèle 2), alors qu’ils les influencent à la baisse pour les descendants d’immigrés. Tout porte à croire que chez ces derniers l’effacement ou l’atténuation des marqueurs sociaux de l’origine (ils sont davantage perçus comme des Français, on leur demande moins souvent leurs origines qu’aux immigrés7) diminue l’exposition au racisme, sans pour autant la faire disparaître, alors que pour les immigrés, être perçu comme un Français ou ne pas se voir demander ses origines ne suffit pas à réduire le risque d’avoir subi du racisme, sans doute parce que les marques de la différence ou de l’altérité (accent, habillement, etc.) sont plus prononcées, plus nombreuses et aussi plus saillantes (remarquables).
22Pour les migrants, le fait de vivre en couple avec une personne de la population majoritaire est sanctionné par un surcroît d’hostilité raciste (OR = 1,5), et cette hostilité existe aussi pour les enfants d’immigrés (OR = 1,2). Alors que le couple mixte est souvent conçu comme un indicateur d’intégration, les migrants et leurs enfants qui ont fait le choix de vivre en couple avec une personne de la population majoritaire subissent dans leur quotidien davantage le racisme que les autres.
23Enfin, le dernier modèle montre qu’une bonne situation professionnelle ne protège aucunement du racisme : les cadres immigrés qui servent de référence dans le modèle y sont significativement plus confrontés que toutes les autres catégories socioprofessionnelles et plus encore que les personnes au chômage ou inactives (OR = 0,7). De même, être diplômé du supérieur est associé à une expérience plus fréquente du racisme que l’absence de qualification (OR = 0,7) ou toute autre qualification. Le même phénomène s’observe pour les enfants d’immigrés chez qui le niveau de formation compte plus dans la vulnérabilité au racisme que la situation socioprofessionnelle (hormis le fait d’être sans emploi). Les diplômés du supérieur sont significativement moins préservés du racisme que ceux qui ont des niveaux scolaires inférieurs ou aucun diplôme (OR = 0,8). Plusieurs interprétations peuvent être formulées pour expliquer que les immigrés et descendants d’immigrés les mieux insérés socialement soient ceux qui déclarent le plus avoir été victimes de racisme. Il est d’abord probable que ces derniers soient, du fait de leur capital scolaire et culturel, mieux armés pour repérer et qualifier de racistes des interactions que d’autres ne repèreraient pas comme telles et qu’elles y soient aussi particulièrement sensibles en raison de leur attachement au principe d’égalité. Les plus diplômés sont aussi ceux qui évoluent le plus dans un espace relationnel mixte et sont le plus en contact avec la population majoritaire, les chômeurs et les inactifs (dont beaucoup sont des femmes au foyer) évoluant dans un contexte relationnel moins mixte car davantage tourné vers leur famille ou leur voisinage. Notons encore que la nationalité française ne protège pas du racisme, puisque les originaires des DOM, Français depuis plusieurs générations, font partie des personnes qui y sont les plus souvent confrontées.
24En somme, l’idée commune selon laquelle les attitudes racistes ne seraient que la réaction négative de fractions de la population majoritaire face au défaut d’intégration de minorités récentes est sérieusement disqualifiée.
IV. Les espaces du racisme
25Si l’expérience du racisme subi par les populations minoritaires n’avait été si diffuse, nous nous serions interrogés sur l’existence de contextes sociaux qui favorisent cette exposition, mais la transversalité du phénomène nous conduit à inverser notre questionnement : existe-t-il des lieux exempts de racisme ?
26Les individus qui ont déclaré avoir été la cible d’insultes, de propos ou d’attitudes racistes en France, devaient préciser dans quel lieu cette expérience s’était tenue. La liste comprenait : au travail, à l’université, à l’école, dans un magasin, dans la rue, dans les transports, dans un commissariat, dans un hôpital, dans une banque, dans une administration, et une option ouverte d’ajout d’un autre lieu. Les taux présentés (tableau 4) ne constituent donc pas une prévalence par domaine de la vie sociale (une répétition du questionnement par domaine aurait été nécessaire) et sous-estiment par conséquent le racisme subi dans chaque contexte.
27Les enquêtés étaient invités à fournir plusieurs réponses si nécessaires, et certains l’ont effectivement fait. La multiplicité des espaces du racisme caractérise particulièrement les réponses apportées par les populations les plus exposées au racisme (DOM, Afrique subsaharienne, Maghreb et Asie du Sud-Est). En effet, la moitié d’entre elles ont cité au moins deux lieux. Pour les différentes catégories de personnes qui relèvent de la population majoritaire ainsi que pour les immigrés et les enfants d’immigrés originaires d’Europe du Sud, ce taux oscille entre 24 % et 35 %. Globalement, hommes et femmes recourent à des réponses multiples dans des proportions comparables : 70 % des femmes et 63 % des hommes citent uniquement un lieu. Ainsi, malgré l’absence de modalités permettant de préciser la fréquence des confrontations à un comportement raciste, l’évocation d’une multiplicité de lieux laisse penser que, quand l’expérience du racisme est plus courante pour une minorité, elle correspond aussi à une expérience répétée et transversale à l’ensemble des espaces sociaux.
Tableau 4. Lieux où le racisme a été subi la ou les dernières fois (%)

Champ : personnes âgées de 18 à 50 ans qui ont déclaré avoir subi du racisme au cours de leur vie. Lecture : parmi les immigrés algériens qui ont subi du racisme au cours de leur vie, 39 % ont cité plusieurs lieux où cela s’était produit. Parmi les immigrés algériens qui ont subi du racisme au cours de leur vie, 30 % ont cité l’école comme lieu où cela s’était produit.. * Les valeurs sur fond gris indiquent le lieu le plus cité. (a) Population de référence : personnes scolarisés au moins une année en France. (b) Population de référence : personnes scolarisées au moins une année en France et ayant poursuivi leurs études après le Bac. (c) Population de référence : personnes ayant déjà travaillé.
Source : TeO, Ined-Insee, 2008.
28Parmi les contextes cités, les lieux publics et l’école se disputent la première place du triste palmarès des espaces où le racisme s’exprime le plus souvent. Dans l’espace public qui réunit la rue, les transports et les magasins, plus de la moitié des immigrés, mais aussi des descendants d’immigrés et des personnes originaires des DOM ou de leurs descendants, y ont subi du racisme. Seules exceptions, les personnes originaires d’Europe. Les immigrés d’Afrique subsaharienne et d’Asie du Sud-Est se révèlent particulièrement exposés. Parmi eux, près des trois-quarts des personnes ont subi du racisme dans un espace public. Ces taux restent quasiment identiques pour les descendants d’immigrés d’Afrique subsaharienne. Expérimenter le racisme à l’école concerne la moitié des descendants d’immigrés et près des deux tiers des enfants des originaires d’Asie du Sud-Est. Pour les immigrés, les taux sont plus faibles : contrairement à la plupart des descendants, ils n’ont pas réalisé l’ensemble de leur scolarité en France (exception faite des immigrés d’Europe du Sud qui sont justement plus nombreux à être arrivés en France en bas âge). Ces déclarations rappellent des résultats plus anciens issus d’une recherche sur l’idéologie raciste parmi les écoliers italiens, menée par Paola Tabet (2000) entre 1990 et 1997, qui pointait la force des préjugés inculqués aux enfants. Ces résultats mettent l’institution qu’est l’école face à l’épreuve de la construction d’une réponse éducative (Dhume-Sonzogni, 2007), d’autant plus que les élèves ne sont pas forcément les seuls auteurs de ces comportements racistes. Les femmes citent moins souvent l’école que les hommes, l’écart étant plus important pour les enfants d’immigrés (35 % pour les femmes contre 53 % pour les hommes).
29L’espace professionnel est aussi très fréquemment pointé et arrive la plupart du temps au troisième rang des lieux les plus cités voire au deuxième pour une partie des migrants. Ce sont cette fois les personnes originaires des DOM qui citent le plus fréquemment ce contexte (42 %). Ce lieu est plus évoqué par les immigrés que par les descendants d’immigrés, mis à part les Algériens et les enfants d’Algériens pour lesquels les taux de déclarations sont très proches. Les différences entre hommes et femmes sont très variables d’une origine à l’autre, mais ils sont souvent sensiblement plus élevés pour les hommes.
30L’université apparaît comme un espace préservé du racisme car rarement cité. Les valeurs8 sont quasiment toutes inférieures à 10 %. Il en est de même pour le niveau des déclarations dans les administrations (y compris les banques) mais avec des contrastes entre hommes et femmes assez importants pour les personnes originaires des DOM (16 % pour les femmes contre 6 % pour les hommes), d’Afrique sahélienne (11 % pour les femmes contre 4 % pour les hommes) et de Turquie (27 % pour les femmes contre 17 % pour les hommes). Il est difficile d’interpréter ces écarts en ne sachant pas qui des hommes ou des femmes se chargent habituellement des démarches administratives et la nature des services consultés.
31Un grand nombre de réponses désigne les commissariats. Leur fréquentation devrait être a priori moins courante que celles des administrations ; or, les taux de déclaration se révèlent très proches parmi les immigrés et même supérieurs chez les descendants d’immigrés. L’expérience du racisme dans un commissariat est cette fois clairement genrée (annexe 3, sur https://teo1.site.ined.fr/fr/donnees_et_resultats/tableaux-statistiques/). Pour les hommes, il atteint un maximum de 26 % pour les descendants d’immigrés d’Afrique sahélienne et dépasse le plus souvent les 10 % tandis que, pour les femmes, il est généralement nul et atteint un maximum de 5 % pour les filles d’immigrés algériens. Si l’on se réfère aux déclarations de contrôles d’identité répétés au cours des douze derniers mois repérés par ailleurs dans le questionnaire de l’enquête, on voit clairement que les hommes y sont nettement plus sujets (4 à 5 fois plus que les femmes) et parmi eux ce sont les descendants d’immigrés qui présentent le taux le plus élevé (43 %) (Tiberj et Simon, 2010). Parmi les personnes ayant déclaré une expérience raciste dans un commissariat, plus de la moitié ont subi des contrôles multiples au cours de la dernière année. Ces résultats vont dans le sens de travaux récents qui font état d’un sur-contrôle par la police des populations jeunes, masculines, habillées selon un « look jeune » et d’origine subsaharienne, antillaise ou maghrébine. En effet, l’étude menée par Fabien Jobard et René Lévy (2009) a révélé que le contrôle d’identité se fonde en partie sur l’apparence physique d’une personne et non seulement sur des actes ou des comportements.
32Parmi les réponses citées en « autres », qui représentent entre 6 % et 20 % des réponses et sont plus fréquemment des réponses masculines, plusieurs contextes émergent. Le milieu sportif (participer à une activité ou assister à une compétition) dont le football en particulier, fréquemment cité par les hommes. Bien que divers travaux soulignent l’importance du racisme dans les activités sportives (Gasparini et Talleu, 2010 ; Bodin, 2008), nous avons été surpris par l’ampleur de ces réponses spontanées. Les autres lieux de loisirs (discothèques, cafés-bars et restaurants principalement) se détachent eux aussi. Ce sont à nouveau les hommes qui évoquent davantage ces contextes. Viennent ensuite le quartier de résidence et les relations amicales et familiales qui concernent cette fois principalement les femmes.
V. Discriminations raciales et racisme explicite : le racisme en actes dans la sphère du travail
33Si le racisme peut agir en tous lieux, il nous a semblé important d’accorder une attention particulière aux faits ayant cours au travail pour deux raisons. Il s’agit d’abord d’un contexte où les relations interpersonnelles sont censées être régulées par l’employeur (l’entreprise, l’État ou les collectivités territoriales). Les institutions impliquées ont une responsabilité dans le fait que le racisme se déploie dans leurs locaux et ont un devoir d’intervention défini par la loi. Il s’agit ensuite d’espaces où le racisme explicite peut se muer en hostilité répétée émanant de personnes que l’on est obligé de côtoyer régulièrement et prendre la forme d’un véritable harcèlement moral, se transformer éventuellement en violence physique, et conduire à l’isolement de la personne ainsi qu’à la dégradation de ses conditions de travail, voire à sa démission. Ce racisme explicite peut aussi s’accompagner de pratiques préjudiciables à l’avancement dans la carrière professionnelle ou encore à la rémunération de la personne salariée9. C’est ce que nous examinons dans cette section en croisant les informations recueillies sur le racisme explicitement subi au travail et sur l’expérience des discriminations.
34Les liens entre le racisme et les discriminations ont fait l’objet de divers développements peu consensuels qui mettent au jour la difficulté à tracer une frontière entre racisme et discrimination et posent la question de la pertinence de leur distinction et simultanément de la définition de chacune de ces notions (De Rudder, Poiret, Vourc’h, 2000, p. 153-154 ; Taguieff, 1987, p. 255). Ces discussions sont fortement liées aux définitions juridiques qui sont entrées dans le droit français au cours des années 2000, consécutivement aux directives européennes sur le sujet. La notion juridique de discrimination indirecte souligne que les discriminations peuvent être dénuées d’intentions racistes explicites. Elle met l’accent sur les conséquences discriminatoires d’une disposition ou d’une mesure apparemment neutre sur un groupe de personnes. Le fait qu’il ne soit pas nécessaire de statuer sur le mobile raciste pour qualifier ladite mesure de « discrimination » n’écarte cependant pas que l’intentionnalité raciste puisse exister : les auteurs des faits pouvant chercher à dissimuler leur intention. Il importe à l’inverse de garder à l’esprit que des pratiques organisationnelles discriminatoires peuvent être portées par des personnes qui ne perçoivent pas en quoi leurs pratiques ou leurs discours ont une dimension raciste voire se revendiquent comme étant non racistes. Mais qu’il y ait intention malveillante ou non, les conséquences restent la reproduction d’un ordre social raciste, car s’il y a des discriminés, il y a par voie de conséquences des personnes qui se trouvent privilégiées dans l’accès à l’emploi, l’évolution de carrière, les conditions de travail, etc. Ainsi, le racisme ne se résume pas à un ensemble de préjugés ou de stéréotypes ni aux discours explicitement hostiles à un groupe ou à une personne en raison de son origine, sa couleur ou sa religion, il est aussi et surtout un rapport social ayant une dimension matérielle : il consiste en un ensemble d’inégalités structurelles, légitimées par des représentations stigmatisantes, qui se combinent aux inégalités de classes sociales, les traversent, les renforcent et leur donnent une forme particulière. Ainsi peut-on avancer qu’il existe un continuum entre les différentes manifestations et visages du racisme dans la société, entre les représentations racisantes et racistes, le racisme explicite, les discriminations directes et indirectes, et que les frontières entre ces diverses manifestations du racisme sont difficiles à tracer. On perçoit dès lors combien il peut être complexe de capter tous ces phénomènes dans une enquête quantitative. Ce n’est que depuis 2008 que l’injure raciste est considérée comme un comportement discriminatoire au travail, y compris quand elle n’est pas associée à d’autres pratiques se traduisant par un désavantage matériel comme un refus de promotion ou un moindre salaire ou comme le dénigrement systématique du travail accompli10. Bien que la distinction entre racisme explicite et discrimination ne soit juridiquement plus pertinente aujourd’hui, nous explorons comment racisme explicite et désavantage matériel (ici qualifiés de discrimination) se combinent sur le lieu de travail.
Tableau 5. Expériences du racisme explicite et des discriminations au travail (%)


Champ : personnes âgées de 18 à 50 ans ayant déjà travaillé. Lecture : 6 % des natifs d’un DOM ont non seulement subi du racisme explicite, mais aussi au moins une discrimination qu’ils attribuent à leur origine ou leur couleur de peau dans le cadre du travail.
Source : TeO, Ined-Insee.
35Nous disposons d’un indicateur synthétique de discriminations subies dans le travail au cours des cinq dernières années (cf. chapitre 13). Il est construit à partir des déclarations des enquêtés qui associent leur origine ou leur couleur de peau au fait d’avoir subi au moins l’une des six situations suivantes : un refus injuste d’embauche, un refus injuste de promotion, un licenciement injuste, s’être vu attribuer systématiquement des « tâches dont personnes ne veut » ou des « horaires dont personne ne veut », avoir vu son travail « systématiquement dénigré ». On ignore a priori si l’attribution par les enquêtés de ces traitements défavorables à leur origine ou à leur couleur de peau est due à un comportement ouvertement raciste ou non. Mais il est possible de croiser cet indicateur avec les déclarations de racisme subi au travail au cours de la vie (cf. tableau 5).
36Avoir vécu au moins l’une des situations (racisme explicite au travail au cours de la vie ou discrimination induisant un désavantage matériel dans les cinq dernières années) concerne un peu plus souvent les immigrés que les enfants d’immigrés dans leur ensemble (21 % contre 16 %). Les taux sont nettement plus élevés pour les personnes ayant un lien avec l’Afrique subsaharienne, le Maghreb ou les DOM : 24 % à 41 % (par cumul des trois premières colonnes du tableau 5). Les situations où il n’y a pas eu de racisme explicite mais néanmoins de la discrimination induisant un désavantage matériel se révèlent globalement plus fréquentes que les situations de cumul des deux. Ce phénomène de discrimination sans racisme explicite est particulièrement accentué pour les groupes les plus exposés (de 10 % à 21 %, 3e colonne du tableau 5). Il montre qu’au travail, le racisme se dissimule ou que les individus vivent des comportements de rejet qu’ils ont des difficultés à qualifier de racisme. Mais les personnes ayant un lien avec l’Afrique subsaharienne, le Maghreb ou les DOM sont aussi les plus confrontées au cumul (5 % à 10 %, 2e colonne du tableau 5). Les immigrés originaires d’Europe (Union européenne, Espagne ou Italie et même du Portugal) ne sont pour ainsi dire jamais dans cette situation de cumul des préjudices sur le lieu de travail, ce qui témoigne d’une moindre intensité de l’hostilité qu’ils subissent : ils sont moins de 10 % à avoir l’expérience d’au moins une de ces deux marques d’hostilité. Le cumul est également rare pour les immigrés d’Asie du Sud-Est et leurs descendants, qui se rapprochent en cela des migrants européens. Les immigrés et plus encore les fils et filles d’immigrés de Turquie sont dans une position intermédiaire : ils sont près de 20 % à avoir connu au moins l’une des formes de rejet au travail et ils font plutôt l’expérience des discriminations au travail sans racisme explicite (respectivement 10 % et 12 %).
VI. Un racisme à l’encontre de la population majoritaire ?
37Ces dernières années, des faits de racisme déclarés par des personnes de la population majoritaire ont fait l’objet d’une forte médiatisation et des personnalités politiques et intellectuelles ont voulu en faire une question de société. Les recherches sociologiques sur les quartiers populaires mentionnent souvent que des personnes sans origine migratoire directe (par leurs parents ou grands-parents) développent un discours au contenu raciste faisant porter la responsabilité de leurs difficultés sociales à la présence et aux comportements des immigrés (et plus encore des descendants d’immigrés) ; une attitude qui contribue à l’ethnicisation de la question sociale. Les mêmes se posent fréquemment en victimes d’une prétendue domination étrangère et d’un racisme « anti-Français » tant à l’intérieur des quartiers que de la part des institutions (Braconnier, Dormagen, 2010). Cette thématique en revanche est rarement documentée par les chercheurs dans l’étude des comportements et des opinions des classes moyennes et supérieures.
38La population majoritaire forme un ensemble hétérogène (cf. encadré) et l’on repère de fortes variations dans les déclarations de racisme subi. Les Français sur au moins deux générations qui sont altérisés du fait de leur religion ou de leur apparence sont 33 % à déclarer avoir été la cible du racisme au cours de leur vie (cf. tableau 1), taux proche de celui des immigrés d’Algérie (35 %). La prévalence du racisme s’élève même à 41 % lorsqu’ils se reconnaissent d’une religion minoritaire (musulmane, juive, bouddhiste). Ce racisme est le plus souvent vécu dans un seul lieu, le plus souvent dans un espace public, mais aussi l’école et plus rarement le travail. Parmi les actifs, 7 % déclarent avoir vécu des comportements explicitement racistes au travail au cours de leur vie ou des traitements discriminatoires induisant un préjudice matériel dans les cinq dernières années, ce qui est quatre fois inférieur à ce que vivent les immigrés ou enfants d’immigrés algériens. Bien que minorisés, les individus qui composent ce groupe sont nettement moins souvent confrontés à une dégradation de leurs conditions de travail du fait du racisme et parmi ceux qui le sont, seulement 1 % cumulent l’expérience du racisme explicite et les préjudices matériels.
39Les personnes de la population majoritaire ayant vécu au cours de leur vie avec une personne immigrée, native d’un DOM ou dont au moins un parent direct est immigré ou natif d’un DOM, autrement dit ayant vécu en couple mixte, subissent aussi le racisme. Loin d’être toujours vus positivement, ces couples peuvent faire l’objet d’une forte stigmatisation : 26 % des majoritaires ayant déjà vécu en couple mixte en ont fait l’expérience. Cette hostilité peut être individuelle ou vécue familialement, à travers ce que subissent le conjoint ou les enfants ethnicisés ou racisés. En général, un seul lieu est cité et non plusieurs : le racisme s’exprime d’abord dans l’espace public (43 %), aux abords de l’école (32 %), dans des lieux qualifiés de « autres » (25 %), et plus marginalement sur le lieu de travail (19 %). Ce que vivent ces personnes au travail ne prend pas la forme de traitements discriminatoires ayant pour conséquence un désavantage matériel, puisqu’elles déclarent uniquement avoir été la cible de propos racistes. Relevons que les commissariats et les administrations sont cités par 7 % de ces personnes, à la différence des autres catégories de majoritaires qui ne les mentionnent pour ainsi dire jamais, ce qui laisse à penser que les personnes en couple mixte ont à gérer des tensions importantes liées au statut de migrants ou de descendants de migrants de leur conjoint.
40Les majoritaires paupérisés et les étudiants en situation de précarité se disent la cible du racisme aussi fréquemment que les majoritaires en couple mixte : 26 % d’entre eux. Il est difficile de comprendre ce qu’ils déclarent exactement. En effet, il est possible qu’ils déclarent autre chose que du racisme (entendu comme une expérience d’hostilité liée à leur couleur de peau ou à leur ascendance). Il se peut qu’ils déclarent un racisme « anti-pauvre », « anti-jeune » ou « anti-quartiers », faute de vocabulaire spécifique pour nommer ces phénomènes. La concentration de la pauvreté dans des zones d’habitats dégradés contribue incontestablement aussi à créer des tensions, voire des comportements violents, pouvant encore s’exprimer par des invectives au contenu raciste (un quart des majoritaires paupérisés vivent dans un quartier où ils pensent que les immigrés sont majoritaires). Leurs déclarations témoignent sans doute aussi de l’existence d’une lecture ethnicisante ou racisante de tensions (ou conflits) entre habitants au sein des zones d’habitat où la concentration de familles migrantes est très élevée. Tout porte à croire que nous avons affaire ici à une sous-population qui ressent une adversité et une hostilité à l’encontre des immigrés et de leurs descendants avec lesquels elle se trouve en concurrence dans la recherche d’emploi, de revenus et de logement, mais aussi avec lesquels elle se trouve assimilée. Pour les étudiants précarisés, l’interprétation à apporter est différente, leur précarité n’étant que temporaire et leur proximité résidentielle avec les immigrés étant moindre (11 % vivent dans un quartier où ils pensent que les immigrés sont majoritaires). Notons qu’au sein de ces deux groupes, ce sont surtout des hommes qui ont déclaré avoir subi du racisme (65 %). Pour 41 % d’entre eux, les attitudes racistes subies se sont produites dans plusieurs lieux, d’abord dans les espaces publics (67 %) et scolaires (46 %), puis dans « d’autres lieux » et plus marginalement dans la sphère du travail (13 %).
41Enfin, les majoritaires non paupérisés, qui constituent de loin le groupe le plus important (74 % de l’ensemble des « majoritaires ») sont les moins concernés par l’expérience du racisme : seulement 15 % des personnes de cette population déclarent en avoir été la cible au cours de leur existence, contre par exemple 60 % des descendants d’immigrés d’Afrique subsaharienne, soit quatre fois moins. Les attitudes racistes que rencontre la masse des majoritaires n’a donc précisément pas le caractère d’une expérience de masse. Son expérience a peu de rapport avec le racisme que vivent les immigrés et les descendants des migrations postcoloniales, originaires des pays d’Afrique, d’Asie du Sud-Est, des DOM ou encore des majoritaires appartenant aux minorités altérisées. Tout d’abord leur confrontation aux attitudes racistes est plus ponctuelle, moins répétitive et ne renvoie pas à la notion de racisme ordinaire identifiée pour les minoritaires. En effet, seulement 22 % des majoritaires concernés citent plus d’un lieu, alors que c’est le cas d’une personne sur deux pour les populations les plus exposées au racisme. Le taux d’expérience du racisme passe à 3 % si l’on se cantonne aux douze derniers mois alors que ce taux reste supérieur à 10 % pour les personnes originaires du Maghreb et aux environs de 20 % pour celles originaires d’Afrique subsaharienne. Les espaces de la vie sociale où se construit l’expérience du racisme de cette population se limitent le plus souvent à un lieu unique : l’espace public d’abord (55 %), l’école ensuite et dans une moindre mesure le lieu de travail (22 %). Au travail, racisme explicite et discrimination ne se cumulent pas pour les majoritaires non paupérisés. Le racisme déclaré par ces derniers ne prend ni la forme d’un refus d’embauche, ni d’un refus de promotion, ni d’une assignation aux tâches ou aux horaires dont personne ne veut, ni à un dénigrement systématique du travail accompli. Le racisme subi par les majoritaires non paupérisés est non seulement nettement moins fréquent, mais il ne se matérialise pas par une privation de droits ou d’accès à une ressource, comme le racisme subi par les minorités migrantes et issues de l’immigration. Les comportements de racisme explicite que déclarent subir les minoritaires et les majoritaires ne sont ainsi aucunement symétriques ou équivalents. Le racisme des minoritaires à l’encontre des majoritaires peut blesser verbalement, voire être agressif physiquement, mais il ne fait pas système et ne produit pas d’inégalités sociales. En ce sens, on est fondé à voir dans le racisme du minoritaire à l’encontre du majoritaire une violence verbale (plus rarement physique) dénuée de pouvoir d’exclusion et sans effet à l’échelle des groupes. Il s’agit d’un racisme de réaction face à des personnes qui, par leurs origines, leur apparence, leur couleur (réelle ou imaginaire), leur position sociale ou leurs comportements, peuvent incarner la classe ou la « race » des dominants et des racistes.
42À cet endroit, il y a lieu de s’interroger sur le degré de sensibilité des majoritaires non altérisés (qu’ils soient paupérisés ou non) face à ce type d’attitudes hostiles. Il n’est pas absurde de penser que leur indignation est d’autant plus forte que l’hostilité vient de personnes considérées par eux comme étant « étrangères » ou « extérieures » à l’espace national et à ce titre perçues (consciemment ou non) comme illégitimes et inférieures. Notons cependant que nous ignorons dans l’enquête quelle est précisément l’origine (vraie ou supposée) des protagonistes des attitudes et des comportements racistes déclarés par la population majoritaire. Finalement, il y aurait lieu d’approfondir le sens que prend pour ces majoritaires le qualificatif de « racisme » qui figure dans le formulaire d’enquête et la réalité du phénomène raciste pour cette population. Il ne faut pas non plus exclure que des accusations de racisme aient été vécues et déclarées par eux comme une insulte raciste.
Conclusion
43Les débats publics sur les immigrés et leurs enfants dans le contexte français se focalisent généralement sur les difficultés d’intégration de ces populations. Il est souvent conclu à un « échec de l’intégration » attribué aux personnes concernées (et plus précisément à leur culture d’origine), sans que les interactions avec la population majoritaire soient prises en considération. La lutte contre les discriminations constitue cependant une préoccupation qui se matérialise dans une politique publique qui vise à sanctionner et prévenir ces discriminations, même si celle-ci est encore récente et peine à montrer ses effets en termes de réduction véritable des inégalités fondées sur les représentations racistes. En revanche, la lutte contre le racisme n’a pas acquis ce statut de politique publique, même si quelques dispositifs de surveillance existent comme l’édition annuelle du rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Qui plus est, ces politiques ne sont pas liées entre elles. Pourtant, nous l’avons vu, les entreprises, les établissements scolaires, les administrations ne parviennent visiblement pas à réguler ces comportements.
44Les données présentées dans ce texte montrent que le racisme fait partie du quotidien des groupes minoritaires en France (en particulier lorsqu’ils sont issus des migrations post-coloniales), pour lesquels il constitue un phénomène récurrent et massif, qui se répète et se produit dans tous les espaces de la vie quotidienne. À l’inverse des idées reçues, nous avons aussi pu constater que la réussite scolaire et professionnelle ne protège en rien de ce racisme. Il ressort également que tous les migrants n’y sont pas pareillement exposés : ceux originaires d’Europe n’y sont que rarement confrontés. En somme, ils ne sont quasiment plus distingués de la population majoritaire et ne font de fait plus vraiment partie des groupes minorisés. En revanche, les originaires d’Afrique subsaharienne, du Maghreb, d’un DOM ainsi que leurs enfants nés en métropole, qu’ils aient ou non réussi leur parcours professionnel, restent soumis à des comportements explicitement racistes et discriminatoires. Leur nationalité française, acquise depuis plusieurs générations concernant les originaires d’un DOM ne change rien à ce constat. Il en est de même mais dans une moindre mesure, des originaires de Turquie et d’Asie du Sud-Est, dont l’expérience du racisme est également très forte, mais avec une moindre prégnance des traitements discriminatoires au travail.
45Les déclarations des femmes se révèlent, comme celles concernant les discriminations, systématiquement inférieures à celles des hommes. Ce résultat interroge car on se serait attendu, en vertu de l’exposition des femmes à la fois au racisme et au sexisme, à un résultat inverse. L’hypothèse d’une sous-déclaration par les femmes des événements racistes comme des événements discriminatoires mériterait de plus amples investigations, ce que les données de l’enquête ne permettent malheureusement pas de réaliser. Notons simplement à titre de comparaison que, durant ses six années d’existence, la Halde a davantage reçu de réclamations masculines et ce, tous motifs de discrimination confondus, même si l’écart tend à se restreindre (58 % de réclamations masculines en 2008 versus 52 % en 2010) (Halde, 2008, 2010), alors même que tous les travaux de recherche existant sur les écarts de salaire ou sur les carrières professionnelles selon le sexe montrent précisément que les femmes, à la différence des hommes, subissent des traitements discriminatoires (Meurs, Ponthieux, 2010). Les réclamations au titre du sexe sont peu nombreuses (4,5 % en 2010) et émanent pour 32 % d’hommes. Les discriminations de genre atteignent 11,5 % si on ajoute au motif du sexe, la grossesse ou la situation familiale. En outre, les réclamations au motif de l’origine ont été effectuées à 59 % par des hommes en 2010. L’intériorisation de la normalité d’un traitement inégalitaire défavorable selon le sexe semble agir ici également sur la conscience des traitements inégalitaires fondés sur l’origine. Une autre piste de recherche à creuser est celle d’une expression genrée du racisme. Le racisme subi par les hommes ne prendrait pas la même forme que celui subi par les femmes. On peut déjà affirmer que l’enquête TeO ne permet aucunement d’enregistrer ce qui relève du harcèlement sexuel qui vise les femmes et qui peut avoir une dimension raciste.
46Quant au racisme déclaré par les majoritaires (paupérisés ou non), il concerne une faible proportion de personnes en comparaison de ce que subissent les groupes minoritaires. Par ailleurs, il est essentiellement vécu dans l’espace public et, quand il se produit au travail, il ne s’accompagne pas de discriminations constituant un préjudice matériel. Le racisme des minoritaires envers les majoritaires n’impacte pas l’insertion sociale et économique de ces derniers. En cela, le racisme du minoritaire à l’encontre du majoritaire et le racisme du majoritaire à l’encontre du minoritaire ne sont sociologiquement ni comparables, ni symétriques, ni équivalents, ce qui rappelle combien les notions de minoritaire et majoritaire proposés par Colette Guillaumin sont pertinentes pour l’analyse du racisme (Guillaumin, 1972, p. 89-90). Ainsi, les résultats de l’enquête obligent à considérer que l’étude des parcours des migrants et de leurs enfants doit désormais intégrer celle du racisme subi dans ses multiples dimensions. Ces résultats invitent donc à développer des recherches plus approfondies sur le racisme subi, qui permettraient de construire une typologie des formes d’expression du racisme qui prenne en considération son intensité (répétition des faits), sa diversité (insultes, mise à l’écart, violences), son impact matériel (traitement économiquement défavorable), ses protagonistes, la pluralité des espaces où il est vécu, etc.
47Au regard de la fréquence du racisme subi tel que mis au jour par nos résultats, le comptage des faits portés en justice apparaît comme un outil fort peu adapté pour mesurer l’impact social du phénomène, car il se limite à des faits ayant été déclarés et poursuivis. Il est dommageable que la statistique des crimes et délits à caractère raciste soit si peu développée en France, qu’il s’agisse des faits portés en justice ou de ceux qui ne le sont pas. Pourtant des travaux autres que l’enquête TeO ont aussi soulevé cette question. À partir d’une recension des crimes et agressions racistes envers les migrants venus du Maghreb et leurs descendants rapportés par le journal Le Monde entre 1980 et 1989, Omar Abdelkhalek (1993) avait compté 173 meurtres, 115 agressions, 57 attentats et 11 incendies au cours des 9 années écoulées. Fausto Giudice avait quant à lui recensé plusieurs centaines de crimes racistes entre 1970 et 1991 (Giudice, 1991). Ces résultats invitent à repenser de manière globale le protocole de mesure du racisme tel qu’il existe en France en prenant en compte la diversité des formes dans lesquelles il peut s’incarner (de la violence physique, verbale en passant par les traitements discriminatoires) et la diversité des lieux où il peut se produire. En d’autres termes, il paraît important d’explorer la manière dont les enquêtes annuelles de victimation réalisées par l’Insee et l’ONDRP pourraient être modifiées, en vue de mieux enregistrer les faits de violence raciste, ou encore comment celles sur les conditions de travail pilotées par la Dares pourraient davantage explorer le vécu du racisme.
Bibliographie
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Références bibliographiques
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Notes de bas de page
1 Mobilité géographique et insertion sociale (MGIS, Ined-Insee, 1993) ; Histoire de vie (Ined-Insee, 2003), Enquêtes Générations (Cereq, 2001), enquêtes Emploi depuis 2003.
2 L’antisémitisme n’y sera pas abordé, le nombre de personnes se déclarant de confession juive dans l’enquête TeO étant trop faible pour mener des analyses pertinentes.
3 Voir les résultats présentés sur https://teo1.site.ined.fr/fr/donnees_et_resultats/tableaux-statistiques/, annexe 1.
4 Les résultats obtenus pour la population majoritaire conduisent d’ailleurs à des résultats très similaires (résultats présentés en annexe 2 sur https://teo1.site.ined.fr/fr/donnees_et_resultats/tableaux-statistiques/s).
5 Un modèle (non présenté) prenant pour groupe de référence la population majoritaire en intégrant les mêmes variables indépendantes, hormis la durée de résidence, aboutit aux mêmes résultats : les odds ratio sont quasiment les mêmes pour chacun des groupes d’origine et un âge avancé réduit la probabilité d’avoir été victime de racisme plutôt que de ne pas y avoir été confronté.
6 La moindre déclaration chez les plus âgés de faits de violences ou de menace est une observation récurrente dans les enquêtes de victimation.
7 Voir le chapitre 18 dans cet ouvrage.
8 Les résultats qui concernent les immigrés sont à prendre avec précaution du fait de la faiblesse des effectifs.
9 Sur le site du Défenseur des Droits, le lecteur intéressé peut se référer aux avis rendus sur les insultes racistes au travail dans la rubrique « Discriminations liées à l’origine ou la religion ; histoires vécues ». Extrait du site : « Six militaires, affectés à un escadron de la gendarmerie mobile, saisissent le Défenseur. Ils font état du harcèlement de certains de leurs collègues, en raison de leur origine ou de leur religion. Ils dénoncent des insultes répétées à caractère raciste, au sein de leur unité. À la suite de l’enquête menée, le Défenseur réunit les preuves de ces discriminations et réclame à la hiérarchie des plaignants la mise en œuvre de sanctions disciplinaires contre les auteurs du harcèlement. »
10 Désormais, le droit inclut dans la discrimination « tout agissement […], subi par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement hostile, dégradant, humiliant ou offensant » (Article 1 de la loi 2008-496). Or, par définition, des propos racistes sont hostiles, dégradants, humiliants et offensants.
Auteurs
Christelle Hamel est sociologue, chercheuse à l’Ined, co-responsable de l’unité de recherche Démographie, genre et sociétés. Ses travaux antérieurs portent sur les rapports de genre chez les jeunes issus des immigrations maghrébine et turque, notamment la période de jeunesse, la conjugalité et l’expérience du racisme. Elle a aussi conduit des recherches sur le mariage forcé. Elle est également responsable de l’enquête Violences et rapports de genre : contextes et conséquences des violences subies en France.
Maud Lesné est démographe. Elle a rejoint l’équipe de conception lors de la phase de collecte pour contribuer à la coordination de l’exploitation de l’enquête. Elle a effectuée une thèse de sociologie à Paris 8 et à l’Ined sur les « Mesures et perceptions des discriminations racistes et sexistes » (direction de Patrick Simon et Margaret Maruani) à partir des données de TeO. Elle y aborde la question de la perception, de l’identification et de la dénonciation des discriminations racistes et sexistes sous un angle méthodologique.
Jean-Luc Primon est sociologue et enseigne en tant que maître de conférences au Département de sociologie de l’université de Nice Sophia Antipolis (UNS). Depuis plusieurs années, il est chercheur permanent à l’unité mixte de recherche « Migrations et Société » (URMIS). Ses recherches portent sur les parcours scolaires, la transition entre les études et l’emploi, les discriminations et le racisme. Il a participé au groupe de travail chargé de la préparation et de l’exploitation de l’enquête TeO.
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Trajectoires et origines
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2009
Inégalités de santé à Ouagadougou
Résultats d’un observatoire de population urbaine au Burkina Faso
Clémentine Rossier, Abdramane Bassiahi Soura et Géraldine Duthé (dir.)
2019
Violences et rapports de genre
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L’Étude longitudinale par Internet pour les sciences sociales (Elipss)
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