Chapitre 4
Les pratiques linguistiques : langues apportées et langues transmises
p. 117-144
Texte intégral
1Les pratiques linguistiques des immigrés sont généralement présentées dans la littérature scientifique comme étant le résultat d’un arbitrage entre, soit le maintien, soit l’abandon de leur langue d’enfance. L’acquisition de la langue du pays d’installation, depuis longtemps érigée parmi les principaux indicateurs de l’« assimilation » des immigrés (Gordon, 1964), a fait l’objet de nombreuses études nord-américaines à partir des années 1960, tant à l’échelle individuelle (lien entre la maîtrise de la langue majoritaire et l’intégration dans diverses sphères de la vie) qu’à l’échelle du groupe (analyse de l’« acculturation » des populations immigrées d’une génération à l’autre) (Fishman, 1991, p. 39-74). Répondant aux craintes d’une « fragmentation linguistique » des États-Unis, des recherches à partir des années 1960 ont démontré que la langue majoritaire du pays d’installation peu à peu prend le pas sur les langues étrangères (Alba et al., 2002 ; Portes et Rumbaut, 2006). Pourtant, comme l’ont écrit Portes et Schauffer (1994), les craintes devraient se situer plutôt au niveau de la préservation des langues d’enfance des immigrés et de la perte de l’héritage culturel pour les générations de descendants1. Les résultats de ces recherches n’ont pas empêché certains auteurs2 de répandre l’idée que les langues apportées par les immigrés représenteraient une menace pour l’identité américaine ; or, face à l’anglais, même dans les régions à forte immigration hispanique, la langue espagnole résiste difficilement au « conformisme » linguistique dans la sphère publique (école, médias, pairs…) (Rumbaut, Massey, Bean, 2006).
2Sous une forme atténuée, des débats similaires se tiennent en France. Les craintes exprimées vis-à-vis des supposées menaces à l’identité nationale reposent le plus souvent sur une méconnaissance des pratiques linguistiques en famille et du « bagage linguistique » des immigrés3. À partir de l’analyse du maintien ou du recul de la transmission aux générations suivantes des langues apportées par l’immigration, l’enquête Étude de l’histoire familiale permet de tirer des conclusions sur la forte érosion, en une seule génération, des langues polonaise, italienne, espagnole, ainsi que de l’arabe et du berbère (Héran, Filhon, Deprez, 2002). À l’inverse, cette érosion reste faible pour le turc, le portugais et l’anglais, encore pratiqués par les descendants d’immigrés et retransmis à leurs propres enfants. Si le modèle français d’intégration – qui laisse peu de place à l’enseignement des langues de l’immigration dans le cursus scolaire – peut expliquer la forme accélérée que prend la « transition linguistique4 » en France, avec de faibles taux de transmission de certaines langues étrangères vers la génération des descendants, ce serait oublier un fait contextuel majeur. La spécificité de l’histoire de l’immigration en France depuis 1945 et l’importance des migrations postcoloniales ont conduit à une présence significative du français dans le répertoire linguistique de nombreux immigrés comme le rappelle Alexandra Filhon : « Comprendre les rapports établis avec la langue française et les bagages linguistiques dont les migrants furent porteurs lors de leur installation en France est essentiel pour mettre au jour les mécanismes de la transmission des langues natales » (Filhon, 2009a, p. 59).
3Au-delà de la transmission aux enfants, pratiquer une langue étrangère au quotidien dans le pays d’immigration suppose la présence, dans l’entourage, de locuteurs de cette langue. Autrement, les occasions de pratiquer cette langue se limitent aux échanges avec les proches dans le pays d’origine. Le contexte de cette pratique est ainsi en constante mutation. De même, les pratiques au foyer évoluent avec la constitution de la famille, le prolongement du séjour dans le pays d’immigration, la modification du projet de retour, et ainsi de suite. Ce que nous pourrions interpréter comme un choix de transmission ou de non-transmission se fonde ainsi sur une observation faite à un moment donné du parcours individuel. Mettre les pratiques de transmission en relation avec le maintien des liens familiaux et transnationaux donne un aperçu des choix opérés, surtout lorsqu’on examine les pratiques des descendants dans ce domaine (Marley, 2011 ; Haikkola, 2011). Ainsi, la maîtrise d’une langue étrangère – et le bilinguisme – deviennent des ressources à mobiliser : en plus de son rôle dans l’affirmation ou la réaffirmation identitaire (la transmission symbolique), la transmission familiale d’une langue maternelle par les parents immigrés peut favoriser la réussite scolaire (Lutz et Crist, 2008). On parlera alors d’une transmission fonctionnelle (Filhon, 2009a), ayant pour but la pratique de la langue dans la sphère publique, par exemple le milieu professionnel, ou une meilleure insertion sociale dans le pays d’origine des parents immigrés. Toutefois, pour les parents immigrés ayant une faible maîtrise de la langue du pays d’immigration, la question d’un tel choix ne se pose pas (Simon, 1997).
4L’enquête TeO permet de situer la transmission de langues étrangères dans le contexte du répertoire linguistique et du parcours migratoire des individus, en tenant compte également de diverses caractéristiques sociales et des pratiques transnationales. Après une première partie consacrée au bagage linguistique des immigrés et à la maîtrise du français, les parties suivantes se focaliseront sur la pratique des langues apportées par l’immigration5. Dans un contexte de prépondérance de la pratique du français, développée avant ou après la migration, le maintien d’autres langues, apprises en famille durant l’enfance, évolue face à une concurrence forte de la langue majoritaire. Ce chapitre détaille le profil des immigrés qui continuent à pratiquer ces langues, les sphères de ces pratiques et ce qui favorise leur maintien, et notamment leur transmission familiale, avant de passer, dans la dernière partie, à la question de la maîtrise de ces langues familiales par les descendants d’immigrés dans leur vie d’adulte.
I. Le bagage linguistique des immigrés acquis durant l’enfance
5Le « bagage linguistique » des immigrés, c’est-à-dire, les pratiques et les connaissances linguistiques constituées avant la migration, se construit par les transmissions familiales, les apprentissages scolaires, mais également par immersion dans le cadre de migrations intermédiaires ou dans le cadre professionnel par exemple. Une fois installés dans le pays de destination, les immigrés s’imprègnent, plus ou moins rapidement, de la langue majoritaire de ce pays, langue qui selon l’origine des immigrés peut être plus ou moins (in) connue et éloignée des référentiels linguistiques déjà maîtrisés. En même temps, les langues pratiquées dans le pays d’origine, apprises en milieu familial, restent utilisées dans diverses sphères de la vie quotidienne.
6Le questionnaire de l’enquête TeO enregistre les langues apprises et utilisées dans le milieu familial durant l’enfance (parlée par l’un ou les deux parents)6. Les personnes interrogées n’ont pas été obligées de se situer par rapport à une seule « langue maternelle » puisque, d’une part, plusieurs langues pouvaient être citées et, d’autre part, les langues transmises séparément par la mère et le père étaient également prises en considération. L’enquête permet d’identifier jusqu’à quatre langues différentes reçues pendant l’enfance7 (deux avec le père et deux avec la mère) et laquelle d’entre elles a été la plus utilisée en famille. La (les) langue(s) reçue(s) pendant l’enfance constitue (nt) les bases du « bagage linguistique » avec lequel les immigrés arrivent en France, auxquelles s’ajoutent les langues apprises durant leur scolarité.
7La liste des langues de l’enfance se particularise par une très grande diversité : 252 langues ont été déclarées. Cela tient à la prégnance des langues régionales, « dialectes », « patois » et à la grande variété linguistique du continent africain (beaucoup de langues citées par les enquêtés d’origine africaine appartiennent à la famille des langues du Niger-Congo8). Les langues étrangères les plus fréquemment citées sont l’arabe (y compris les dialectes, 28 %), le portugais (13 %), les langues de la famille du Niger-Congo (9 %), le berbère (7 %), le turc (y compris les dialectes, 6 %), l’espagnol (y compris les autres langues et les dialectes, 5 %) et représentent ensemble près de 7 des 10 langues citées (68 %).
8Une large majorité (63 %) des immigrés a connu une enfance « monolingue9 ». Les deux tiers de ceux qui ont eu une enfance « plurilingue10 » citent le français dans le répertoire linguistique familial (figure 1). Les autres langues parlées par ces immigrés avec leur(s) parent(s) pendant leur enfance sont très diverses. On note toutefois la présence plus fréquente de l’arabe et des langues de la famille Niger-Congo (tableau 1), ce qui reflète l’importance de l’origine postcoloniale de l’immigration en France parmi les générations couvertes par l’enquête TeO (voir chapitre 1 de cet ouvrage).
Tableau 1. Origine des immigrés locuteurs des principales langues ou familles de langues citées

Champ : immigrés (18-60 ans) ayant déclaré avoir reçu au moins une langue étrangère pendant leur enfance.
Lecture : 93 % des immigrés citant le portugais parmi les langues reçues en famille sont nés au Portugal.
Source : enquête TeO, Ined-Insee, 2008.
II. La pratique de la langue française
1. La maîtrise du français comme moteur de la migration vers la France
9La sélectivité de la migration est un phénomène bien connu qui est défini comme une interaction entre les caractéristiques individuelles des (futurs) migrants et celles des contextes de départ et de destination. Le choix du pays de destination est ainsi influencé par les perspectives qu’il offre en termes de débouchés d’emploi ou par sa politique d’accueil des migrants, mais également par la proximité qu’entretiennent les migrants avec ses caractéristiques culturelles. Le fait de connaître ou de maîtriser la langue majoritaire du pays peut ainsi constituer un critère important de son attractivité. Curieusement, et mis à part les travaux de Barry Chiswick et ses collègues (Chiswick, Lee, Miller, 2002), cette dimension est rarement considérée dans les études sur l’acquisition de la langue des pays d’immigration anglophones. Dans le cas présent, la familiarité avec la langue française pour les originaires de pays comme l’Algérie, le Sénégal, le Togo, s’explique largement par des liens postcoloniaux11. Dans ces pays, le français est resté la ou l’une des langues officielles, pratiquée dans les administrations, dans les médias et à l’école. Toutefois, dans ces pays anciennement sous administration française, la pratique quotidienne du français ne s’est pas répandue dans toutes les sphères de vie ni dans tous les milieux sociaux. Notamment, l’accès inégal à la scolarisation et les histoires particulières ont conduit à des politiques linguistiques parfois divergentes (Kateb, 2005). Il s’ensuit une diversité de niveaux de maîtrise du français au sein de la population immigrée étudiée.
Figure 1. Plurilinguisme et place du français dans l’enfance des personnes immigrées

Champ : ensemble des immigrés âgés de 18 à 60 ans.
Source : enquête TeO, Ined-Insee, 2008.
10Dans d’autres pays, sans ce lien historique particulier, le français peut faire partie de l’enseignement obligatoire, sinon être choisi comme option. Le nombre de personnes apprenant le français serait même en augmentation depuis les années 1990 (DGLFLF, 2006a). Une attirance pour la langue française et pour la France encourage l’approfondissement de l’enseignement, au cours duquel une représentation du pays et de sa culture prend la forme d’un imaginaire géographique incitant à la migration (Halfacree, 2004). Après des séjours touristiques ou linguistiques, certains choisissent de s’installer en France pour y vivre et travailler. La connaissance du français peut ainsi être considérée comme une forme de capital humain (Chiswick et Miller, 2007), réinvesti dans le cadre de la migration.
2. L’acquisition du français avant la migration et la question de l’âge à l’arrivée en France
11Près d’un tiers des immigrés (29 %, voir figure 1) déclarent que le français leur a été transmis pendant l’enfance, dont 4 % déclarent que la seule langue qui leur a été transmise était le français. Parmi les 25 % de personnes ayant reçu plusieurs langues dont le français, cette langue était, dans près d’un cas sur trois, celle principalement utilisée par les parents avec eux. Ces immigrés, francophones depuis leur enfance, sont le plus souvent originaires d’Afrique subsaharienne (19 % d’entre eux) ou du Maghreb (16 % Algérie, 15 % Maroc et Tunisie). Mais pour ceux arrivés avant l’âge de 11 ans, la proportion est bien plus élevée : plus de la moitié (55 %) des immigrés arrivés avant cet âge de l’Afrique subsaharienne (a.f.), 30 % des immigrés originaires d’Algérie et 28 % de ceux originaires du Maroc et de la Tunisie ont ainsi reçu le français de leurs parents contre 24 % pour l’ensemble des immigrés.
12En effet, de manière générale, la langue majoritaire du pays d’immigration s’acquiert de manière tout à fait différente selon qu’un individu migre pendant l’enfance ou à l’âge adulte (Stevens, 1999 ; Simon, 1997 ; Rumbaut, 2004) : l’intégration dans le système scolaire permet un apprentissage plus approfondi que celui acquis dans le monde du travail (Myers, Gao, Emeka, 2009). Pour les immigrés qui sont arrivés en France durant leur enfance, l’apprentissage se fait en même temps que les autres fondamentaux (lecture, écriture, calcul, sciences…). Nous nous limiterons ici à l’analyse du niveau de maîtrise du français des seuls immigrés arrivés après la scolarité obligatoire. De même, nous excluons les personnes pour lesquelles le français a été la seule langue utilisée en milieu familial.
13Au moment de leur arrivée, 41 % des immigrés ont déclaré être à l’aise à l’oral en français (pour plus de précision quant à la méthodologie, voir l’encadré 1). Les immigrés originaires de pays africains contribuent largement à produire cette proportion importante (tableau 2). En effet, la question sur le contexte d’apprentissage du français avant la migration est très éclairante : par exemple, 65 % des immigrés originaires d’Algérie ou d’Afrique subsaharienne y ont répondu « parce que le français était courant dans le pays d’origine » (par rapport à une moyenne de 46 %), et 40 % et 34 % respectivement ont dit l’avoir appris « par la famille, les amis » (contre 29 % en moyenne). À l’opposé, une personne immigrée sur trois (29 %) déclare qu’elle n’avait aucune connaissance de la langue en arrivant en France et plus encore pour certains d’entre eux comme les immigrés originaires de Turquie (74 %), du Portugal (66 %), ou de l’Asie du Sud-Est (43 %).
14La francophonie d’une partie de l’immigration en France a été soulignée plus haut mais la question du niveau de maîtrise apporte une nuance au propos. Ainsi, les immigrés des pays anciennement sous administration française ne maîtrisent pas tous le français à l’arrivée alors que bien des immigrés sans lien historique avec la francophonie parlaient déjà cette langue à leur arrivée en France (tableau 2). On peut distinguer aussi les immigrés de pays africains de ceux d’Asie du Sud-Est, pays où la pratique du français n’a concerné que les populations les plus scolarisées. De manière générale, 83 % des immigrés « à l’aise » à l’oral ont avant tout appris le français à l’école ; c’est le cas de 88 % des immigrés du Maroc ou de la Tunisie12. Les immigrés francophones sont nettement plus nombreux parmi les personnes très diplômées (76 % des immigrés européens francophones au moment de l’émigration ont fait des études supérieures, figure 2). Mais dans les pays où le français est couramment utilisé, dans l’espace public et la sphère privée, d’autres canaux d’apprentissage conduisent à des taux d’aisance en français assez importants parmi les immigrés qui n’ont pas atteint le niveau du baccalauréat (c’est le cas, par exemple, de 31 % des immigrés francophones originaires du Maghreb).
Encadré 1. Précision méthodologique quant à la maîtrise de la langue française
Le questionnaire proposait aux immigrés une auto-évaluation de leur maîtrise de la langue française :
- à leur arrivée en France, pour les immigrés arrivés après 3 ans et n’ayant pas reçu uniquement le français durant leur enfance ;
- au moment de l’enquête, pour les immigrés arrivés après 3 ans, n’ayant pas reçu uniquement le français durant leur enfance et dont le français n’était pas très bien maîtrisé à leur arrivée.
Les enquêtés devaient évaluer leur connaissance du français pour le comprendre, le lire, l’écrire et le parler entre « très bien », « bien », « un peu » et « pas du tout ».
La maîtrise de l’oral est une combinaison des réponses à la compréhension et à la capacité de parler le français, recodée en « très bien/bien », « un peu » et « pas du tout ».
À noter que la maîtrise à l’écrit (combinaison de la lecture et de l’écriture) est écartée ici car trop dépendante du niveau scolaire des immigrés. Par ailleurs, dans une logique d’intégration, il n’est pas accordé la même importance à l’écrit qui, bien souvent, est acquis dans une seconde étape.
Tableau 2. Répartition des immigrés (arrivés en France à 17 ans ou plus) selon leur niveau de maîtrise orale du français à leur arrivée et leur origine (%)

* Uniquement ceux ayant répondu à la question sur le niveau au moment de l’arrivée. ** Divers pays (Égypte, Nigéria, Mozambique, Afrique du Sud…), n’ayant pas été sous administration française au xxe siècle, mais dont certains – Seychelles, Maurice (sous administration française au xixesiècle), Burundi, Rwanda et RD Congo (anciennes colonies belges) – ont le français parmi les langues officielles. Champ : immigrés arrivés à l’âge de 17 ans ou plus et pour qui le français n’a pas été reçu ou n’est pas la seule langue reçue pendant l’enfance. Lecture : 64 % des immigrés originaires d’Algérie (arrivés à l’âge de 17 ans ou plus et dont le français n’a pas été reçu ou n’est pas la seule langue reçue pendant l’enfance) déclarent être à l’aise à l’oral au moment de leur arrivée en France.
Source : enquête TeO, Ined-Insee, 2008.
Figure 2. Répartition des immigrés selon leur niveau de maîtrise orale du français à leur arrivée en France et leur niveau de diplôme le plus élevé en 2008

Champ : immigrés arrivés à l’âge de 17 ans ou plus pour qui le français n’a pas été transmis ou n’est pas la seule langue reçue pendant l’enfance. Lecture : 6 % des immigrés non scolarisés déclarent être à l’aise à l’oral au moment de leur arrivée en France.
Source : enquête TeO, Ined-Insee, 2008.
15Par ailleurs, hommes et femmes ne sont pas dans les mêmes dispositions face à la connaissance de la langue française. Dans l’ensemble, les écarts sont faibles (44 % hommes déclarent être à l’aise à l’oral dès leur arrivée contre 39 % des femmes), mais ils sont plus prononcés parmi les immigrés originaires d’Algérie (72 % des hommes contre 56 % des femmes), du Maroc et de la Tunisie (62 % contre 47 %). L’écart s’inverse pour les migrants originaires d’Espagne, d’Italie et de l’UE27, tandis que les hommes et les femmes du Portugal ont des niveaux faibles mais similaires. Les femmes ont déclaré un peu plus fréquemment n’être capables ni de s’exprimer ni de comprendre le français (31 % contre 28 % des hommes), cette méconnaissance touchant plus particulièrement les immigrées originaires de Turquie (83 % contre 67 % pour les hommes) et ceux originaires du Maroc et de Tunisie (19 % pour les femmes contre 7 % pour leurs homologues masculins). Bien entendu, il est impossible de savoir si ces écarts proviennent également d’effets de déclaration.
3. L’acquisition du français au cours du séjour
16Si les immigrés présentent de grandes variations de niveau de maîtrise en français au moment de leur arrivée, celles-ci peuvent se réduire au cours de leur séjour selon différents modes d’acquisition de la langue. Différents facteurs sociaux interviennent : bien entendu, le niveau scolaire ou le contexte résidentiel ou professionnel, mais également des facteurs proprement linguistiques. Pour les locuteurs d’autres langues latines, le mécanisme d’intercompréhension (DGLFLF, 2006b) qui permet de comprendre et de s’exprimer dans une langue proche, a certainement joué un rôle compensatoire dans l’acquisition du français parmi les immigrés moins scolarisés, originaires du Portugal, d’Espagne ou d’Italie.
17Par ailleurs, un des thèmes récurrents dans les études sur l’intégration concerne l’acquisition moins rapide de la langue du pays d’immigration par les femmes. Le frein serait principalement dû à un moindre accès à l’emploi, espace dans lequel l’apprentissage serait accéléré (Stevens, 1986 ; Chiswick et Miller, 2007 ; Simon, 1997). Cependant, il arrive que les femmes puissent acquérir une maîtrise de la langue majoritaire plus rapidement que les hommes (Carliner, 2000), que ce soit par le type d’emploi ou de fréquentation de l’espace public qu’elles pratiquent13, ou par l’intermédiaire de leurs enfants scolarisés. Un écart du niveau de maîtrise déclaré entre les femmes et les hommes a bien été observé à partir de l’enquête TeO (tableau 3), mais cela ne concerne pas tous les groupes. Le sens de la relation s’inverse pour les immigrés des pays européens, y compris pour ceux du Portugal, dont le niveau de maîtrise à l’arrivée était très bas, pour les femmes comme pour les hommes.
Tableau 3. Proportion de personnes à l’aise à l’oral en français au moment de l’enquête, selon leur sexe, leur origine, leur période d’arrivée en France et le niveau de diplôme ou de qualification le plus élevé (%)

*Uniquement celles et ceux dont on a pu définir le niveau à l’oral au moment de l’enquête.
Champ : immigrés arrivés à l’âge de 17 ans ou plus et pour qui le français n’a pas été reçu ou n’est pas la seule langue reçue durant l’enfance. Lecture : 95 % des immigrés originaires d’Algérie (arrivés à l’âge de 17 ans ou plus et dont le français n’a pas été reçu ou n’est pas la seule langue reçue durant l’enfance) déclarent être à l’aise à l’oral au moment de l’enquête.
Source : enquête TeO, Ined-Insee, 2008.
III. La pratique de langues étrangères
18Après l’analyse de la maîtrise du français par les immigrés, nous nous intéressons maintenant à leur pratique d’une ou de plusieurs langues étrangères acquises durant l’enfance. Afin de simplifier l’analyse de combinaisons linguistiques complexes, nous prenons une « langue de référence » parmi les langues d’enfance déclarées qui correspond à la langue déclarée pour les personnes n’ayant reçu qu’une seule langue et, pour les plurilingues, de la langue la plus utilisée pendant l’enfance en dehors du français.
1. Les sphères d’usage des langues étrangères
19Dans la vie quotidienne, les langues sont pratiquées dans des sphères distinctes. On peut distinguer d’abord les pratiques au sein du réseau familial, avec différents interlocuteurs (parents, fratrie) puis, plus largement dans la sphère publique. L’enquête TeO offre des indicateurs de pratique d’une langue de référence avec des membres de la famille (vivant en France) et avec des personnes vivant ou travaillant dans le même quartier (voisins, commerçants). En revanche, elle ne permet pas de différencier ces pratiques avec des personnes vivant en dehors du foyer, selon le type de lien social.
20Le premier constat est qu’en dehors de la famille, une majorité d’immigrés (59 %) n’utilisent jamais leur langue étrangère de référence avec des personnes vivant dans leur quartier. Seuls 14 % l’emploient principalement ou souvent (figure 3). Ce sont les immigrés originaires de Turquie qui déclarent l’utiliser le plus fréquemment dans ce cadre (28 %), suivis des immigrés originaires d’Algérie (26 %), du Maroc ou de la Tunisie (20 %), la proportion des immigrés du Portugal ou d’Asie du Sud-Est étant juste au-dessus de la moyenne (16 % et 15 % respectivement). À l’inverse, pour les immigrés d’Afrique subsaharienne, l’usage du français prime dans l’espace public du quartier.
Figure 3. Usage de la langue de référence dans le réseau familial en France et dans le quartier de résidence (%)

Champ : immigrés âgés de 18-60 ans résidant en France métropolitaine, arrivés à 17 ans ou plus, déclarant avoir reçu au moins une langue étrangère de l’un ou des deux parents (langue étrangère de référence). Usage de la langue de référence « principalement ou souvent ». Lecture : 28 % des immigrés de Turquie déclarent utiliser la langue de référence principalement ou souvent avec des personnes du quartier, 77 % l’utilisent dans le réseau familial en France (dans ou hors du ménage).
Source : enquête TeO, Ined-Insee, 2008.
21Dans l’ensemble, les femmes déclarent ne pas plus pratiquer la langue étrangère de référence dans le quartier que les hommes (14 %). Néanmoins, la proportion est plus élevée pour certaines origines, surtout pour les femmes originaires de Turquie (32 % contre 25 % des hommes) et celles d’Algérie (27 % contre 23 % des hommes) et aussi les femmes d’Espagne ou d’Italie la pratiquent deux fois plus dans leur quartier que les hommes (13 % contre 7 %). Les occasions de pratiquer la langue se combinent évidemment avec d’autres facteurs. Notamment, l’utilisation de la langue étrangère de référence est influencée par le niveau de maîtrise du français. Ainsi, ceux déclarant un faible niveau de français sont 41 % à utiliser fréquemment la langue de référence dans les échanges avec les voisins et les commerçants du quartier contre 17 % parmi ceux déclarant un niveau moyen et 10 % parmi ceux ayant un bon niveau de français à l’oral.
22L’indicateur sur les réseaux d’amitié en France14 offre un aperçu de la fréquentation d’amis de même origine et des occasions de pratiquer une langue étrangère familiale. Environ le tiers (35 %) des immigrés ayant rencontrés des amis au cours des quinze derniers jours disent que la plupart sont de même origine qu’eux. On constate que ces personnes comptant plutôt des compatriotes dans leurs réseaux d’amitié en France sont également celles qui disent utiliser principalement ou souvent leur langue de référence dans leur quartier : 24 % (contre 8 % de ceux dont moins de la moitié des amis rencontrés sont des compatriotes). Cette proportion s’élève à 39 % parmi les originaires de Turquie comptant surtout des personnes de même origine dans leur réseau amical en France et 33 % des immigrés d’Algérie dans ce cas. Les immigrés des pays d’Afrique subsaharienne, qui pratiquent relativement peu la langue de référence dans leur quartier le font trois fois plus lorsque les amis fréquentés sont majoritairement originaires du même pays que dans le cas contraire (13 % contre 4 %).
23Près de la moitié (43 %) des immigrés déclarent utiliser principalement la langue étrangère de référence avec des membres de la famille présents en France, et près des trois-quarts (72 %) principalement ou souvent (figure 3). Les immigrés de Turquie (58 %), d’Espagne ou d’Italie (52 %) et des immigrés des autres pays de l’UE27 (54 %) présentent des taux particulièrement élevés d’usage principal de cette langue. Par ailleurs, les femmes venues de Turquie et du Portugal pratiquent la langue en famille significativement plus que les hommes (avec un taux de 10 points plus élevé dans chaque cas). Pour les immigrés ayant un réseau familial en France, la pratique familiale de ces langues peut s’étendre au-delà du ménage : 6 immigrés enquêtés sur 10 disent avoir rencontré un ou des membres de la famille « proche ou éloignée » plusieurs fois au cours des quinze jours avant l’enquête, 15 % en ont rencontré une fois.
24Ainsi, en France, la pratique de ces langues étrangères est plus familiale que publique. Dans quelle mesure ces langues sont-elles transmises aux enfants élevés en France ?
2. La transmission familiale des langues étrangères
25La transmission de la langue maternelle des immigrés à leurs propres enfants est le résultat d’une interaction entre le maintien de leur langue maternelle et la maîtrise de la langue majoritaire (Deprez, 1994). Leur transmission peut être un choix culturel, familial, et revêtir une dimension symbolique pour ceux qui maîtrisent suffisamment le français15. Dans d’autres cas, la maîtrise du français est insuffisante pour un usage en famille, et la pratique de la langue étrangère n’est pas mise en concurrence (Filhon, 2009b ; Simon, 1997). D’autres facteurs peuvent être pris en considération dans cette transmission, liés à des pratiques orientées vers le pays d’origine : contacts avec des proches qui vivent dans le pays d’origine, visites au pays, utilisation des médias… Dans ce contexte, la transmission joue un rôle à la fois fonctionnel et symbolique : la nécessité pour les enfants de pouvoir communiquer avec la famille et d’autres personnes durant ces visites et la transmission d’un héritage culturel, familial véhiculé par la langue (Condon, 2005). Cette transmission dans un espace transnational peut être renforcée par la fréquentation de personnes du même pays d’origine dans le pays d’immigration.
26L’importance de la prise en compte de l’âge à l’arrivée a été soulignée plus haut. La prépondérance de l’usage du français par les parents immigrés16 lors des échanges avec leurs enfants17 est en partie liée à la socialisation en France de bon nombre d’entre eux (tableau 4) et en partie le résultat de la familiarité avec cette langue parmi les immigrés de certaines origines (tableau 2). On remarquera toutefois que les parents qui sont arrivés jeunes et ont assimilé le français dans leur milieu familial, sont assez nombreux à transmettre une langue étrangère (tableau 4), alternativement avec une utilisation du français : c’est le cas de plus de la moitié des immigrés originaires d’Algérie (52 %) et du tiers (37 %) des immigrés arrivés jeunes du Portugal.
27Nous avons vu que, pour de nombreux migrants des pays africains, le français figurait déjà dans le répertoire linguistique familial. On peut penser que cela favorise sa transmission aux enfants. Ainsi, 39 % des immigrés originaires d’Algérie, qui avaient reçu de leurs parents plusieurs langues dont le français, utilisent uniquement le français pour parler avec leurs enfants aujourd’hui ; et c’est le cas de 64 % des parents immigrés d’Afrique subsaharienne. Cela dit, celles et ceux pour qui le français n’était pas une langue familiale l’utilisent quand même avec leurs enfants : par exemple, c’est la pratique déclarée par 35 % des parents immigrés d’Algérie dans ce cas, et de 39 % des parents immigrés du Portugal.
28Concernant les femmes, le faible niveau de maîtrise du français est lié à un faible niveau de scolarisation ou un moindre accès au marché de l’emploi, et identifié comme favorisant une plus forte transmission de la langue maternelles (Tribalat et al., 1996 ; Simon, 1997). La composition du couple joue aussi un rôle : les mères immigrées déclarent plus souvent que les hommes transmettre d’autres langues que le français (Filhon et Varro, 2005). Les données de l’enquête TeO révèlent des comportements de transmission différents entre pères et mères, mais pas nécessairement dans le sens attendu. Selon l’origine, et selon qu’il s’agit d’une femme ou d’un homme, la maîtrise du français et le niveau de scolarisation influent différemment. À même niveau de scolarisation, les femmes immigrées venues d’Algérie transmettent l’arabe ou le berbère plus souvent que les hommes : c’est le cas de 71 % des femmes scolarisées dans le secondaire contre 57 % des hommes18. On retrouve toujours un écart dans ce sens à niveau de maîtrise du français égal, que les femmes soient avec un conjoint de même origine ou en couple mixte.
Tableau 4. Pratiques linguistiques des immigrés avec leurs enfants vivant en France, au moment de l’enquête (%)

Champ : Immigrés âgés de 18 à 59 ans ayant au moins un enfant vivant avec lui/elle en 2008. Lecture : 10 % des immigrés de la Turquie ne transmettent que le français à leurs enfants vivant avec eux, 69 % transmettent une autre langue et le français, 17 % ne transmettent qu’une langue étrangère, 3 % transmettent deux langues étrangères.
Source : enquête TeO, Ined-Insee, 2008.
29Si l’usage exclusif du français avec les enfants est plus habituel pour les parents immigrés vivant en couple mixte (41 % contre 19 % parmi les immigrés en couple avec quelqu’un de même origine), la pratique de la langue maternelle des parents, souvent en alternance avec le français, est très répandue19. Les dynamiques conduisant au choix de transmission dans ce type de couples sont complexes, pouvant varier selon les langues en présence et être influencées par la perception des avantages ou des inconvénients de la transmission (Deprez, 1994 ; Filhon et Varro, 2005). Dans l’ensemble, ces couples utilisent majoritairement le français dans leurs échanges quotidiens entre conjoints (60 %), ce qui favorise l’utilisation du français comme langue unique avec les enfants (57 %). Mais, même parmi ceux qui n’utilisent que le français entre conjoints, la pratique d’une autre langue avec les enfants concerne la moitié des parents en couple mixte originaires des autres pays de l’UE27, 52 % de ceux d’Europe du Sud et 42 % des parents originaires du Maroc et de Tunisie.
30Les effets de ces différents facteurs sont plus ou moins forts selon l’origine. D’autres dimensions de la vie entre « ici » et « là-bas » s’imbriquent dans ces relations. La transmission linguistique s’inscrit clairement dans le maintien des liens avec le pays d’origine20. Une analyse multivariée révèle que les séjours et les contacts fréquents avec la famille restée au pays21 et l’utilisation des médias de ce pays, sont étroitement liés à la transmission (tableau 5)22. Puis, toutes choses égales par ailleurs, le niveau de maîtrise du français à l’arrivée a moins d’effet que le niveau du français au moment de l’enquête ou le fait que le français soit déjà une langue familiale pour les immigrés. On peut aussi noter l’impact du passé colonial et la francophonie des pays d’origine, comme par exemple dans le cas des immigrés d’Algérie, qui utilisent significativement moins leur langue maternelle pour parler avec leurs enfants que la plupart des autres immigrés.
Tableau 5. Facteurs influençant la transmission d’une langue par les parents immigrés (%) et effet sur la probabilité de pratiquer une langue étrangère familiale avec ses enfants


Champ : parents immigrés arrivés en France à l’âge de 17 ans ou plus, déclarant n’avoir pas reçu ou pas seulement la langue française durant l’enfance. Légende : * p < 0,10, ** p < 0,05, *** p < 0,001. Réf. : situation de référence. Lecture : 54 % des parents immigrés qui ont reçu le français de leurs propres parents transmettent une autre langue que le français à leurs enfants, contre 79 % qui n’ont pas reçu le français de leurs parents. Ces derniers ont significativement plus de chances de transmettre une autre langue que le français à leurs enfants.
Source : enquête TeO, Ined-Insee, 2008.
IV. De la réception à la maîtrise des langues de l’immigration par les descendants
31En miroir à cet exposé consacré au contexte et aux facteurs favorisant la transmission des langues étrangères vers les enfants d’immigrés, la suite du chapitre va examiner le niveau de maîtrise de ces langues parmi les descendants d’immigrés23. Comme pour les immigrés, l’enquête a recueilli les déclarations des descendants sur les langues reçues de leurs parents, sur les contextes d’emploi de ces langues, ainsi qu’une auto-évaluation du niveau de maîtrise de ces langues étrangères24. Selon le répertoire linguistique familial, elles seront pratiquées en alternance avec le français (ou avec d’autres langues). Avoir une bonne maîtrise de la langue familiale indique qu’elle n’a pas seulement été entendue, mais aussi pratiquée avec les parents ou dans l’entourage, que ce soit en France ou dans le pays d’origine du/des parents immigrés. Si l’enquête n’a pas interrogé les personnes sur la langue pratiquée lors des échanges avec les membres de la famille élargie ou lors des séjours dans le pays d’origine des parents, nous pouvons mettre en relation les pratiques sociales dans l’espace de vie transnational et les pratiques de la langue étrangère de référence.
1. L’héritage linguistique : la place du français et des pratiques plurilingues
32Parmi les descendants d’au moins un parent immigré, plus de la moitié (54 %) ont déclaré que l’un ou les deux parents ont parlé une langue étrangère lorsqu’ils étaient enfants. La proportion dépasse les trois-quarts pour les descendants ayant deux parents immigrés, à l’exception notable des descendants d’immigrés d’Afrique subsaharienne, dont 39 % ont été élevés exclusivement avec le français. L’utilisation exclusive de langues étrangères par leurs parents n’est déclarée que par une minorité de descendants : c’est le cas de 19 % des descendants ayant deux parents immigrés du Maroc et Tunisie, du Portugal, d’Espagne et d’Italie. Les descendants de deux parents immigrés de Turquie ou d’Asie du Sud-Est se distinguent de l’ensemble, car le tiers d’entre eux (respectivement 33 % et 30 %) déclarent que le français était absent de ces échanges25.
33Le fait d’avoir l’un des parents né en France change nettement l’expérience linguistique : 70 % des descendants ayant un parent français n’ont parlé que le français dans leur enfance. Néanmoins, les descendants de deux parents immigrés sont très nombreux à avoir reçu le français en même temps qu’une autre langue : ils sont majoritaires parmi les descendants d’immigrés du Portugal (67 %), d’Algérie (72 %), du Maroc ou de Tunisie (70 %). Rappelons que les parents de nombreux descendants d’immigrés sont arrivés à un âge jeune (voir le chapitre 1) et que, parmi eux, la transmission du français est nettement plus exclusive (Condon et Régnard, 2010).
34Parmi les descendants ayant eu une enfance plurilingue (comprenant le français), entre 40 % et les deux tiers déclarent qu’une autre langue que le français était le plus souvent utilisée en famille. La proportion la plus élevée concerne les descendants d’immigrés de Turquie26 (69 %) et ceux de parents nés en Asie du Sud-Est (66 %), puis le portugais est cité comme la langue la plus utilisée par 55 % des descendants d’immigrés d’origine portugaise ayant également reçu le français.
35Les langues étrangères survivent dans le pays d’immigration si, comme pour l’ensemble des langues minoritaires, elles restent des « langues familiales » (Héran, 1993, 2004). Les résultats de l’enquête TeO montrent que tel est bien le cas pour la plupart des descendants d’immigrés. Ce cadre familial de transmission et de pratique doit être pensé au-delà des confins du ménage, pour tenir compte des pratiques avec des membres de la famille vivant en dehors du foyer, qu’ils résident dans le pays d’immigration (Filhon, 2009a ; Fibbi et Matthey, 2010) ou dans le pays d’origine.
36Les contacts avec les membres de la famille du pays d’origine, du ou des parents immigrés contribuent aussi à cet espace familial de transmission et de pratique (Condon, 2005 ; Marley, 2011). Plus de la moitié des descendants d’immigrés (56 %) ont des contacts par téléphone, lettre ou Internet avec des membres de la famille vivant dans le pays d’origine et pour la moitié de ceux-ci (27 % de l’ensemble), ce sont des contacts fréquents. Les proportions de ceux ayant des contacts fréquents sont particulièrement élevées parmi les descendants de deux parents immigrés venus du Maroc ou de Tunisie (39 %) et de Turquie (36 %). Nous avons vu pour les parents immigrés qu’il y a une nette relation entre l’existence de ces contacts ou les visites et la transmission des langues aux enfants, et cette relation paraît plus nette vue du côté des descendants : quelle que soit l’origine de leurs parents, ceux n’ayant reçu que le français sont moins nombreux à avoir des contacts fréquents avec la famille hors de France (19 % contre 33 % de ceux ayant reçu une langue étrangère).
2. Maîtrise des langues étrangères apprises en famille
37Le plurilinguisme, tel que nous l’avons approché ici, correspond à un plurilinguisme « hérité » de l’enfance et ne présume donc en rien des pratiques linguistiques des descendants d’immigrés en 2008. Francophones de par leur vie en France et leur scolarisation dans le système français, une large majorité d’entre eux ont grandi dans un contexte familial où une ou plusieurs langues étrangères étaient parlées. Or, si certains, à l’âge adulte, restent bilingues au niveau de la compréhension, d’autres acquièrent un très bon niveau de maîtrise.
38Le premier constat est l’importante proportion d’enfants d’immigrés ayant une « bonne maîtrise » de la langue transmise par leurs parents27. Les deux tiers des descendants de deux parents immigrés d’Algérie, d’Afrique subsaharienne ou d’Asie du Sud-Est disent parler la langue de leur parents (langue de référence) et c’est le cas de plus des trois-quarts des descendants de deux parents immigrés des autres origines et même de 95 % des descendants de deux immigrés de Turquie28. Parmi les descendants de couples mixtes, les proportions sont inférieures mais ne tombent jamais en dessous de 30 % et le taux atteint même 67 % pour les descendants de parents de l’UE27 (hors Portugal, Espagne ou Italie). Une analyse multivariée confirme l’effet de la mixité du couple parental sur la maîtrise d’autres langues que le français, ainsi que celui de la fréquence des contacts avec ou de séjours au pays d’origine du ou des parents immigrés (tableau 6). Ces effets se combinent à d’autres que nous n’avons pas pu analyser ici, comme la valeur sociale de la langue pour permettre la transmission puis la maîtrise des langues de l’immigration par les descendants. Une indication de cette valeur sociale relative est la maîtrise significativement plus forte de l’anglais, l’espagnol et l’allemand parmi les récepteurs de ces langues que dans le cas de l’arabe.
Tableau 6. Facteurs influençant le niveau de maîtrise de la langue de référence parmi les descendants d’immigrés (%) et effets sur la probabilité de bien maîtriser cette langue

Champ : descendants d’immigrés ayant reçu de leurs parents au moins une langue autre que le français.
Légende : * p < 0,10, ** p < 0,05, *** p < 0,001. Réf. : situation de référence. Lecture : 77 % des descendants d’immigrés ayant des parents de la même origine disent bien maîtriser la langue de référence contre 57 % des descendants de couples mixtes, ces derniers ayant significativement moins de chances de bien maîtriser la langue de référence.
Source : enquête TeO, Ined-Insee, 2008.
39Si, étant jeunes, les visites dans le pays d’origine des parents sont généralement déterminées par les pratiques des parents, l’utilisation des médias est un domaine où les descendants sont plutôt acteurs. Il y a certainement un lien réciproque entre la maîtrise de la langue et l’utilisation des médias29 du pays des parents puis l’amélioration du niveau de maîtrise grâce à cette pratique. Par exemple, pour les descendants d’immigrés venus de Turquie, 91 % de ceux qui maîtrisent le turc à l’écrit utilisent les médias de ce pays contre 50 % de ceux qui le parlent bien sans l’écrire. Un fort intérêt pour les affaires du pays d’origine du ou des parents, de la vie politique aux succès des équipes sportives, les conduit à améliorer leur niveau de compétences. Sans compter que l’utilisation des nouvelles technologies (comme Internet) joue également un rôle dans cette amélioration (Marley, 2011 ; Haikkola, 2011).
3. Relation entre la langue parlée et sa maîtrise à l’écrit
40Pour ceux qui ont reçu une langue étrangère en famille, le niveau de maîtrise déclaré au moment de l’enquête varie selon qu’il s’agit ou non de la principale langue étrangère reçue et selon la mixité du couple parental. Ainsi, 68 % des descendants de deux immigrés nés en Algérie ayant reçu l’arabe déclarent bien le parler, dont 15 % le maîtrisent à l’écrit, et ceux ayant reçu le berbère sont 57 % à déclarer bien le maîtriser, même si le moindre accès aux cours a dû réduire la possibilité de maîtrise à l’écrit (5 % d’entre eux).
41Tous n’ont pas accès à l’écrit, soit parce que la langue n’existe pas sous une forme écrite, soit parce qu’elle n’est pas enseignée en France, ni dans le système scolaire ni dans d’autres structures (Chaker, 2004 ; Petek, 2004). Dans ce dernier cas, l’apprentissage à l’écrit est très limité en famille, surtout lorsque les parents sont peu scolarisés. Les descendants d’immigrés d’Espagne, d’Italie et des autres pays de l’UE27 (hors Portugal) bénéficient de l’existence d’enseignements en espagnol, italien, anglais, allemand. À l’inverse, les taux déclarés par les descendants d’immigrés du Portugal ou de Turquie révèlent un investissement familial et/ou personnel particulièrement fort car les langues pratiquées dans ces pays ne sont généralement pas enseignées dans le système scolaire français et leur apprentissage dépend de l’accès aux cours dispensés dans le cadre de l’« Enseignement des langues et cultures d’origine – ELCO » ou dans le milieu associatif. À la fin des années 1980, période de l’enfance d’une bonne partie des descendants d’immigrés enquêtés par TeO, les enfants d’immigrés de Turquie ou du Portugal étaient les premiers concernés par ces cours30. Les descendants enquêtés par TeO déclarant avoir une très bonne maîtrise, notamment en lecture et en écriture, sont aussi ceux qui disent avoir suivi des cours dans la langue de référence. Par exemple, 64 % des descendants de deux parents nés au Portugal déclarant pouvoir lire et écrire le portugais ont suivi des cours, par rapport à 27 % de ceux déclarant seulement bien le comprendre et le parler.
42Favorisée par des visites régulières au pays d’origine des parents ou de contacts avec la famille vivant « là-bas », la maîtrise de la langue étrangère de référence est nettement plus forte parmi ces descendants que parmi ceux qui n’ont jamais séjourné dans le pays. Parmi ceux qui s’y sont rendus au moins une fois, les visites avant l’âge de 18 ans sont particulièrement décisives : 45 % des descendants déclarant avoir visité ce pays au moins une fois par an déclarent écrire la langue par rapport à 27 % qui y sont allés moins souvent et 21 % qui n’y sont jamais allés pendant l’enfance.
43Si la maîtrise de la langue à l’écrit est plus souvent un atout acquis par les plus diplômés (47 % des descendants diplômés du supérieur ayant reçu une langue étrangère en famille la maîtrisent à l’écrit contre 23 % de ceux n’ayant pas de diplôme plus élevé que le brevet ou un CAP), pouvoir parler, participer à une conversation dans une autre langue que le français est un acquis partagé dans tous les milieux sociaux d’origine (taux entre 64 % et 78 % ; voir annexe 7 sur https://teo1.site.ined.fr/fr/donnees_et_resultats/tableaux-statistiques/).
44Quasiment tous les descendants d’immigrés ayant reçu l’anglais le maîtrisent à l’écrit. La transmission par les parents des langues espagnole et allemande, également enseignées à l’école, les maintient comme langues parlées par 80 % des récepteurs de ces langues et comme langue écrite pour plus de la moitié d’entre eux (figure 4). Ces langues sont certainement considérées par les parents comme utiles pour la scolarité et sur le marché du travail, favorisant leur choix dans le cursus scolaire. L’italien, bien que moins souvent appris en milieu scolaire, est bien maîtrisé à l’oral par 60 % des récepteurs et à l’écrit par près de 40 %. En somme, toutes les langues ou groupes de langues citées sont bien maîtrisées à l’oral par plus de 50 % des descendants d’immigrés ayant reçu ces langues de l’un ou l’autre de leurs parents. Mais pour les langues peu enseignées dans le cadre scolaire en France, le rôle de la transmission familiale est décisif. Comme pour les parents immigrés, qui transmettent plus souvent leur langue lorsqu’ils se rendent au pays d’origine ou gardent des contacts avec la famille là-bas, les descendants d’immigrés qui disent souvent avoir des nouvelles de la famille vivant dans le pays de leurs parents sont non seulement ceux qui reçoivent le plus souvent la langue de leurs parents mais aussi ceux qui la maîtrisent le mieux. Certaines langues bénéficient de ces liens (annexe 8 sur https://teo1.site.ined.fr/fr/donnees_et_resultats/tableaux-statistiques/). Sans que nous puissions savoir dans quel sens s’opère la relation, est-ce le fait de bien maîtriser la langue qui permet d’entretenir des contacts avec la famille là-bas ou les échanges de nouvelles favorisent-ils un bon niveau de pratique ?
45En somme, près de la moitié des descendants d’immigrés n’ont pas hérité de leurs parents d’une langue autre que le français, tout particulièrement ceux ayant des parents en couple mixte (70 %). Parmi ceux qui ont reçu une langue étrangère des parents, plus de la moitié déclarent avoir un très bon niveau à l’oral, voire à l’écrit. Ce bagage linguistique, notamment à l’oral, est partagé par les descendants d’immigrés, quel que soit le milieu social. L’ancrage des pratiques linguistiques dans la famille, proche ou transnationale, donne lieu à une forte amélioration de leur maîtrise. La disponibilité des médias sur Internet ainsi que les échanges entre membres de la famille via les nouvelles technologies offrent des lieux de pratique de ces langues familiales.
Figure 4. Niveau de maîtrise des langues étrangères reçues par les descendants d’immigrés

Champ : descendants d’immigrés âgés de 18 à 50 ans n’ayant pas le français comme langue de référence. Lecture : près de 80 % des descendants pour lesquels le portugais est la langue étrangère de référence déclarent bien le parler, 51 % disent le lire et l’écrire.
Source : enquête TeO, Ined-Insee, 2008.
46En prolongement de cette analyse, l’idée que la maîtrise d’une langue apportée par l’immigration puisse constituer une ressource mérite d’être explorée et ceci, notamment, pour les descendants d’immigrés possédant un bagage scolaire modeste ou élevés dans des milieux sociaux défavorisés (Billiez et Trimaille, 2001 ; Héran, 1993). Au-delà de l’usage de cette langue, un apprentissage de l’activité d’interprète peut se faire dans des contextes familiaux où l’un ou l’autre des parents ou un autre proche ne maîtrise pas suffisamment la langue majoritaire. C’est ainsi que certains enfants d’immigrés apprennent à jouer un rôle de médiateur, acquis certainement sous-estimé (Trimaille, 2004). Si une maîtrise à l’écrit est certainement plus déterminante dans l’accès à un emploi qualifié, et plus encore pour les langues internationales que sont l’anglais ou l’espagnol (Lutz et Crist, 2008), une pratique orale est un acquis qui peut être valorisé dans la recherche d’un emploi et même renforcé dans le cas de professions où ce bagage linguistique est un atout, par exemple le commerce international.
Conclusion : le plurilinguisme, une ressource sous-évaluée ?
47Le rôle de la maîtrise de la langue française se révèle être un moteur important de la migration vers la France. Avant leur arrivée, la plupart des immigrés arrivés à 17 ans ou plus avaient une connaissance du français et une proportion non négligeable en avaient une bonne maîtrise. Cependant, quasiment tous ont été élevés dans une autre langue que le français et, lorsqu’ils continuent à la pratiquer en France, il s’agit d’une pratique plutôt familiale. Quand les descendants d’immigrés ont reçu ces langues, cela s’est généralement fait en même temps que le français.
48Si l’enquête TeO permet d’examiner de nombreux aspects de la trajectoire des immigrés et des descendants d’immigrés, certains éléments biographiques échappent à un outil de mesure de ce type. Les individus pratiquant plusieurs langues choisissent d’utiliser l’une ou l’autre langue, dans un contexte d’échange donné et selon les personnes présentes. Ces langues peuvent être alternées avec un même interlocuteur, voire au cours d’une seule conversation. Le fait de déclarer dans une enquête que l’une ou l’autre langue a été utilisée est lié à la perception d’une pratique sur une période plus ou moins longue, pratique qui, dans le contexte de l’immigration, est influencée par la valorisation ou la stigmatisation d’une langue. En même temps, cet acquis auto-déclaré suggère un désir de valoriser cet héritage culturel, un acte identitaire. Cette enquête ne peut pas dévoiler le rôle de ces dynamiques dans la transmission vers les enfants d’immigrés, ni les stratégies individuelles ou familiales. Cependant, la mesure de la maîtrise de la langue étrangère héritée suggère une certaine (re)valorisation de la transmission des langues de l’immigration et du plurilinguisme en France.
49Trois groupes d’immigrés se distinguent selon l’aisance à l’oral en langue française au moment de leur arrivée. Les immigrés originaires de pays anciennement sous administration ou protectorat français (Afrique subsaharienne, Maghreb) qui pour des raisons historiques et politiques ont vécu une proximité plus ou moins prégnante avec la langue française avant leur installation en France et arrivent donc avec un certain bagage linguistique français. Par ailleurs, les immigrés qualifiés (originaires de l’Europe, hors Europe du Sud) qui sont admis en France dans le cadre de la migration de travail ou dans celui des études et qui ont appris le français à l’école ou dans le cadre de leur activité professionnelle. Enfin, les immigrés arrivés sans aucune connaissance de la langue française, qui sont surtout des femmes admises au séjour dans le cadre du regroupement familial (originaires de Turquie, Maroc/Tunisie) ou parce que mariées à un Français (originaires de Turquie ou de l’UE27, hors Europe du Sud), des hommes admis ou dans le cadre de l’asile (originaires de Turquie et de l’Asie du Sud-Est), et enfin des femmes et hommes du Portugal. Pendant la période récente, l’accès à des cours collectifs a pu faciliter un premier niveau d’apprentissage (Le Quentrec-Creven, 2011).
50Nous avons surtout examiné les pratiques linguistiques comme pratiques sociales et culturelles familiales. Au-delà de leur fonction de mode de communication, ces langues possèdent une fonction symbolique : elles sont un moyen de transmission culturelle de l’héritage familial ou du groupe. Elles peuvent aussi posséder une fonction économique, car l’acquisition de certaines langues représente une qualification valorisable sur le marché de l’emploi mondial (global marketable skill). Si l’anglais détient la première position de langue internationale, le français peut représenter un atout pour s’insérer sur le marché du travail, bien entendu en France mais également dans d’autres pays. Par ailleurs, d’autres langues peuvent acquérir une reconnaissance peu anticipée par les immigrés avant leur émigration (l’arabe par exemple) : la transmission de ces langues à leurs enfants peut s’avérer utile comme qualification à valoriser pour la recherche d’un emploi, que ce soit dans le pays d’immigration ou dans un espace transnational. La perception de la valeur symbolique ou économique d’une langue peut être plus ou moins marquée selon les situations, selon le bagage scolaire de l’individu, le projet migratoire individuel ou familial. Sur le plan collectif, cette perception évolue au cours du temps. De même, la reconnaissance de la diversité linguistique comme richesse peut être plus ou moins forte selon le lieu et l’époque.
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
Références bibliographiques
Akinçi M.-A., De Ruiter J.J., Sanagustin F., 2004, Le plurilinguisme à Lyon. Le statut des langues à la maison et à l’école, Paris, L’Harmattan, coll. « Espaces discursifs ».
10.1353/dem.2002.0023 :Alba R., Logan J., Lutz A., Stults B., 2002, “Only English by the third generation ? Loss and preservation of the mother tongue among the grandchildren of contemporary immigrants”, Demography, 39 (3), p. 467-484.
10.4000/remi.4205 :Auguin E., Lévy F., 2007, « Langue et vulnérabilité des migrations chinoises actuelles », Revue européenne des migrations internationales, 23 (3), p. 67-84.
10.3406/remi.1985.982 :Billiez J., 1985, « La langue comme marqueur d’identité », Revue européenne des migrations internationales, 1 (2), p. 95-105.
10.3917/ls.098.0105 :Billiez J., Trimaille C., 2001, « Plurilinguisme, variations, insertion scolaire et sociale », Langage et Société, 98, p. 105-127.
Carliner G., 2000, “The language ability of US immigrants : assimilation and cohort effects”, International Migration Review, 34 (1), p. 158-182.
Chakersale M., 2004, « L’enseignement du berbère en France. Une ouverture incertaine », Hommes et Migrations, 1252, p. 25-33.
Chiswick B., Lee Y. L., Miller P. W., 2005, “Family matters : the role of the family in immigrants‘ destination language skills”, Journal of Population Economics, 18, p. 631-647.
10.4324/9780203963159 :Chiswick B. R., Miller P. W., 2007, The Economics of Language : International Analyses, London, New York, Routledge.
10.3917/puf.sante.2012.01 :Collet B., Santelli E., 2012, Couples d’ici, parents d’ailleurs, Parcours de descendants d’immigrés, Paris, Puf, coll. « Le lien social ».
Condon S., 2005, « La transmission familiale du créole dans le contexte métropolitain », in Lefèvre C., Filhon A., Histoire de familles, histoires familiales. Les résultats de l’enquête Famille de 1999, Paris, Ined, coll. « Cahiers de l’Ined », p. 547-561.
10.4000/hommesmigrations.854 :Condons., Régnard C., 2010, « Héritage et pratiques linguistiques des descendants d’immigrés en France », Hommes et migrations, 1288, p. 44-56.
Deprez C., 1994, Les enfants bilingues. Langues et familles, Paris, Didier/Credif Essais.
Délégation Générale à la Langue Française et aux Langues de France (DGLFLF), 2006a, La langue française dans le monde, Paris, DGLFLF, coll. « Références ».
DGLFLF, 2006b, L’intercompréhension entre langues apparentées, Paris, DGLFLF, coll. « Synthèse ».
Fibbi R., Matthey M., 2010 « Petits-enfants de migrants italiens et espagnols en Suisse. Relations familiales et pratiques langagières », Hommes et migrations, 1288, p. 58-69.
10.4000/books.ined.3207 :Filhon A., 2009a, Langues d’ici et d’ailleurs : transmettre l’arabe et le berbère en France, Paris, Ined, coll. « Cahiers de l’Ined ».
10.4000/books.ined.1013 :Filhon A., 2009b, « Plurilinguisme et hiérarchie sociale entre les langues en France », in Guérin-Pace F., Samuel O., Ville I. (dir.), En quête d’appartenances. L’enquête Histoire de vie sur la construction des identités, Paris, Ined, coll. « Grandes Enquêtes », p. 167-180.
10.4000/books.ined.5852 :Filhon A., Varro G., 2005, « Les couples mixtes, une catégorie hétérogène », in Lefèvre C., Filhon A., Histoire de familles, histoires familiales. Les résultats de l’enquête Famille de 1999, Paris, Ined, coll. « Cahiers de l’Ined », p. 483-501.
Fishmanj. A., 1991, Reversing Language Shift : Theoretical and Empirical Foundations of Assistance to Threatened Languages, Clevedon, Multilingual Matters.
10.3917/ls.112.0057 :Géa J.-M., 2005, « Immigration et contacts de langues en Corse », Langage et société, 112, p. 57-78.
Gonac’h J., 2008, « Le maintien de la langue d’origine : étude comparative des lycéens et étudiants turc-français et turc-anglais », in De Ruiter J.J. (dir.), Langues et cultures en contact. Le cas des langues et cultures arabes et turques en France et aux Pays-Bas, Paris, l’Harmattan, coll. « Espaces discursifs », p. 97-124.
Gordon M., 1964, Assimilation in American life. The Role of Race, Religion and National Origins, New York, Oxford University Press.
Halfacree K, 2004, “A utopian imagination in migration’s terra incognita ? Acknowledging the non-economic worlds of migration decision-making”, Population, Space and Place, 10, p. 239-253. Héran F., 1993, « L’unification linguistique de la France », Population et sociétés, 285.
10.3406/homig.2004.4261 :Héran F., 2004, « Une approche quantitative de l’intégration linguistique en France », Hommes et migrations, 1252, p. 10-24.
10.4000/books.ined.5852 :Héran F., Filhon A., Deprez C., 2002, « La dynamique des langues en France au fil du xxe siècle », Population et sociétés, 376.
10.1080/1369183X.2011.590925 :Haikkola L., 2011, “Making connections : second-generation children and the transnational field of relations”, Journal of Ethnic and Migration Studies, 37 (8), p. 1201-1217.
Kateb K., 2005, École, population et société en Algérie, Paris, L’Harmattan, coll. « Histoire et perspectives méditerranéennes ».
Leconte F., 2008, « Les langues africaines en France », Cahiers de l’Observatoire des pratiques linguistiques, 2, p. 57-63.
Le Quentrec-Creven G., 2011, « L’aisance en français des primo-arrivants », Infos Migrations, 28.
Lévy F., 1977, « Modèles et pratiques en changement : le cas des Portugaises immigrées en région parisienne », Ethnologie française, 7 (3), p. 287-298.
10.1080/01419870801943647 :Lutz A., Crist S., 2008, “Why do bilingual boys get better grades in English-only America ? The impacts of gender, language and family interaction on academic achievement of Latino/a children of immigrants”, Ethnic and Racial Studies, p. 1-23.
Marley D., 2011, « L’usage de la messagerie instantanée dans le développement d’une identité bilingue », in F. Liénard et S. Zlitni (dir.), La communication électronique : enjeux de langues, Limoges, Lambert-Lucas, p. 257-264.
Massey D., 2004, “Review of Who are we ? By Samuel P. Huntington”, Population and Development Review, 30, p. 543-548.
Mathias R., 2013, Intégration de la seconde génération issue de l’immigration turque en France, Allemagne, Pays-Bas, thèse de doctorat, Université de Lisbonne.
Monso O., Gleizes F., 2009, « Langue, diplômes : des enjeux pour l’accès des immigrés au marché du travail », Paris, Insee, coll. « Insee Première », 1262.
Myers D., Gao X., Emeka A., 2009, “The gradient of immigrant age-at-arrival effects on socio-economic outcomes in the U.S.”, International Migration Review, p. 205-229.
Petek G., 2004, « Les Elco, entre reconnaissance et marginalisation », Hommes et Migrations n° 1252, p. 45-55.
10.1177/019791839402800402 :Portes A., Schauffler R., 1994, “Language and the second generation : bilingualism yesterday and today”, International Migration Review, 28 (4), p. 640-661.
10.1111/j.1747-7379.2004.tb00232.x :Rumbaut R. G, 2004, “Ages, life stages and generational cohorts : decomposing the immigrant first and second generations in the United States”, in DeWind J., Portes A., Rethinking Migration : New Theoretical and Empirical Perspectives, New York/Oxford, Berghahn Books, p. 342-387.
10.1111/j.1728-4457.2006.00132.x :Rumbaut R. G., Massey D., Bean F., 2006, “Linguistic life expectancies : Immigrant language retention in Southern California”, Population and Development Review, 32 (3), p. 447-460.
10.1017/9789048516926 :Schneider J., Fokkema T., Matias R., Stojcic S., Ugrina D., Vera-Larrucea C., 2012, “Identities. Urban belonging and intercultural relations”, in M. Crul, J. Schneider, F. Lelie, The European Second Generation Compared. Does the Integration Context Matter ?, Amsterdam, Amsterdam University Press, Imiscoe Research, p. 285-340.
Simon P., 1997, « L’acculturation linguistique : utilisation du français et transmission de la langue des immigrés à leurs enfants », Migrants-Formation, 108, p. 53-66.
Stevensg., 1986, “Sex differences in language shift in the United States”, Social Science Research, 71 (1), p. 31-36.
10.1017/S0047404599004030 :Stevens G., 1999, “Age at immigration and second language proficiency among foreign-born adults”, Language and Society, 28 (4), p. 555-578.
Tribalat M., (dir.), 1996, De l’immigration à l’assimilation. Enquête sur les populations d’origine étrangère en France, Paris, La Découverte-Ined.
Trimaille C., 2004, « Pratiques langagières chez les adolescents d’origine maghrébine », Hommes et migrations, 1252, p. 66-73.
Notes de bas de page
1 Voir aussi Fishman, 1991, sur la question de la « réversibilité » de la perte des langues.
2 Voir en particulier la réponse de D. Massey (2004) au texte de S. Huntington : “Who are we ? : the challenges to America’s national identity”.
3 Voir le rapport de Jacques-Alain Benisti, Sur la prévention de la délinquance, rapport préliminaire de la commission Prévention du groupe d’études parlementaire sur la sécurité intérieure (octobre 2004) et les contributions et réactions au « grand débat sur l’identité nationale », lancé en octobre 2009 par Éric Besson, qui souligne le rôle central de la maîtrise du français.
4 Concept proposé par Alba, Logan, Lutz et Stults, 2002.
5 Nos remerciements vont à Amélie Charruault (statisticienne sur l’enquête TeO, Ined) et à Marc Thévenin (Service des méthodes statistiques à l’Ined), pour leur aide à deux stades de l’analyse.
6 Le libellé des questions était : « Quelles sont la ou les langues que vous parlait votre mère (votre père) quand vous étiez enfant ». Nous employons la terminologie de langues reçues ou de réception des langues (Filhon, 2009a).
7 0,2 % des immigrés n’ont pas déclaré de langue transmise pendant l’enfance, ils sont exclus de cette analyse.
8 Près d’une centaine de langues de cette famille ont été citées, les plus répandues étant le bambara, le comorien, le lingala, le malinké, le mandingue, le peul, le sango, le senoufo, le sérère, le soninké, le soussou ou encore le wolof.
9 C’est-à-dire, les personnes qui déclarent avoir reçu de leurs parents une seule langue durant leur enfance.
10 C’est-à-dire, les personnes qui ont reçu de leurs parents plusieurs langues durant leur enfance.
11 Dans ce travail, nous avons distingué les pays anciennement sous administration française (« a.f. » dans le texte) d’autres pays où, pour diverses raisons historiques, la langue française a pu être présente dans la sphère publique. Ainsi, à côté des catégories « Algérie » et « Maroc, Tunisie » employées dans l’ouvrage, nous avons distingué les pays de l’Afrique subsaharienne dans le premier cas – que nous identifierons dans le groupe « Afrique subsaharienne » (voir chapitre 1, tableau 2 pour la liste des pays) du groupe « Autres pays d’Afrique ».
12 Voir annexe 1 sur https://teo1.site.ined.fr/fr/donnees_et_resultats/tableaux-statistiques/.
13 Dans une étude sur l’immigration portugaise en France, Françoise Lévy a noté justement que les femmes, de par leurs contacts dans l’espace public, étaient plus exposées que les hommes – travaillant souvent dans des secteurs où le français n’était pas toujours pratiqué – à un apprentissage du français (Lévy, 1977). À ceci on peut ajouter le fait que les emplois occupés par beaucoup de femmes immigrées du Portugal
– employées de maison ou gardiennes d’immeuble – les exposent fortement à la langue française.
14 « Au cours des 15 derniers jours combien de fois avez-vous rencontré des amis » ; [et si une fois ou plus] parmi ces amis, combien sont de la même origine que vous ?
15 La notion de « transmission » recouvre implicitement une certaine volonté de faire passer une pratique, un savoir-faire, une valeur culturelle. Dans le contexte de l’immigration, la dimension de « transmission » dans les pratiques linguistiques se fait avec plus ou moins d’intentionnalité (Filhon et Varro, 2005).
16 Pour plus de lisibilité, nous emploierons l’expression « parents immigrés » dans cette partie pour désigner les immigrés vivant avec au moins un enfant, concernés par la question : « En quelle langue parlez-vous avec vos enfants ? ». Par ailleurs, nous poursuivons notre analyse des seuls immigrés arrivés en France à 17 ans ou plus.
17 Il faut préciser que la question de l’enquête génère une réponse traduisant une pratique linguistique « moyenne » et au moment de l’enquête, sans indication de différentes pratiques avec chaque enfant vivant en France.
18 Voir annexe 2 sur https://teo1.site.ined.fr/fr/donnees_et_resultats/tableaux-statistiques/.
19 Voir annexe 3 sur https://teo1.site.ined.fr/fr/donnees_et_resultats/tableaux-statistiques/.
20 Voir annexe 4 sur https://teo1.site.ined.fr/fr/donnees_et_resultats/tableaux-statistiques/.
21 « Avez-vous des contacts par lettre, téléphone ou Internet avec votre famille ou des amis qui vivent dans un autre pays que la France, un DOM ou un TOM ? » Rappelons que, pour les plus âgés, ces contacts peuvent se réduire avec la disparition des membres de la famille.
22 À cause de la diversité des profils des populations immigrées (ancienneté et composition sociale, francophonie, mixité du couple, etc.), la complexité des relations entre la transmission et le genre est telle qu’une modélisation séparée pour les hommes et les femmes est plus appropriée pour examiner les dynamiques pour des groupes spécifiques et non pour l’ensemble des parents immigrés.
23 Rappelons toutefois que ces descendants adultes ne sont pas les enfants des immigrés enquêtés par TeO. Les dynamiques décrites dans les deux parties de ce chapitre se déroulent donc très largement en parallèle.
24 Seule la maîtrise de langues autres que le français transmises par les parents, peut être analysée. Est exclue la maîtrise de langues apprises lors d’échanges avec d’autres proches (notamment les grands-parents) ou durant la scolarité.
25 Pour plus de détails, voir annexe 5 sur https://teo1.site.ined.fr/fr/donnees_et_resultats/tableaux-statistiques/.ined.fr/annexes.
26 Des résultats similaires ont été trouvés dans l’enquête TIES (Schneider et al., 2012).
27 Voir annexe 6 sur https://teo1.site.ined.fr/fr/donnees_et_resultats/tableaux-statistiques/.ined.fr/annexes.
28 De forts taux d’évaluation positive de la maîtrise des langues pratiquées en Turquie ont aussi été trouvés dans l’enquête TIES (The Integration of European Second Generations : Schneider et al., 2012) ; voir aussi la thèse de Raquel Matias (2013).
29 La question rassemble divers types de médias : radio, télévision, presse, Internet. Leur utilisation suppose des niveaux de compétence différents, mais nous ne pouvons pas aller plus loin dans l’analyse. Rappelons que dans certains cas, les médias sont francophones.
30 Les élèves concernés par ces cours étaient au nombre de 112147 en 1988-1990 et, rapportés aux effectifs d’élèves « étrangers » susceptibles de suivre ces enseignements, la fréquentation concernait 35 % des enfants d’immigrés de Turquie, 32 % des enfants d’immigrés du Portugal, puis 28 % des enfants d’origine espagnole, 16 % des enfants d’origine marocaine, etc. Statistiques compilées par le ministère de l’Éducation nationale, citées par P. Simon (1997, note 8).
Auteurs
Stéphanie Condon est chercheure à l’Ined (unités Migrations internationales et minorités et Démographie, genre et sociétés), spécialisée dans l’étude des migrations dans une perspective de genre, notamment les migrations caribéennes. Elle a participé à la mise en place de l’enquête Migrations, famille, vieillissement menée dans les départements d’outre-mer (2009). Ses recherches récentes portent sur l’identité et les pratiques linguistiques en lien avec les migrations, aini que sur les violences et les rapports de genre en relation avec l’ethnicité et le racisme.
Corinne Régnard a été démographe au Service statistique ministériel (SSM)- Immigration entre 2008 et 2010. Elle a participé à la coordination de l’Étude longitudinale sur l’intégration des primo-arrivants-ELIPA menée par le SSM-Immigration. Entre 2004 et 2010, elle a représenté la France pour le Système d’observation permanente des migrations internationales (Sopemi) de l’OCDE. Elle a participé à l’exploitation aux enquêtes Passage à la retraite des immigrés » de la Cnav et à Parcours et profils des migrants de la Drees. Elle a également été chargée de la rédaction des cinq derniers rapports annuels de l’ex-Direction de la population et des migrations (DPM) sur l’immigration et la présence étrangère en France.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Trajectoires et origines
Enquête sur la diversité des populations en France
Cris Beauchemin, Christelle Hamel et Patrick Simon (dir.)
2016
En quête d’appartenances
L’enquête Histoire de vie sur la construction des identités
France Guérin-Pace, Olivia Samuel et Isabelle Ville (dir.)
2009
Parcours de familles
L’enquête Étude des relations familiales et intergénérationnelles
Arnaud Régnier-Loilier (dir.)
2016
Portraits de famille
L’enquête Étude des relations familiales et intergénérationnelles
Arnaud Régnier-Loilier (dir.)
2009
Inégalités de santé à Ouagadougou
Résultats d’un observatoire de population urbaine au Burkina Faso
Clémentine Rossier, Abdramane Bassiahi Soura et Géraldine Duthé (dir.)
2019
Violences et rapports de genre
Enquête sur les violences de genre en France
Elizabeth Brown, Alice Debauche, Christelle Hamel et al. (dir.)
2020
Un panel français
L’Étude longitudinale par Internet pour les sciences sociales (Elipss)
Emmanuelle Duwez et Pierre Mercklé (dir.)
2021
Tunisie, l'après 2011
Enquête sur les transformations de la société tunisienne
France Guérin-Pace et Hassène Kassar (dir.)
2022
Enfance et famille au Mali
Trente ans d’enquêtes démographiques en milieu rural
Véronique Hertrich et Olivia Samuel (dir.)
2024