Chapitre 30.
La transmission et la pratique des langues étrangères en Île-de-France1
p. 563-569
Texte intégral
1Parmi les résidents en Île-de-France en 19992, trois adultes sur dix déclarent que leurs parents leur parlaient, dans leur petite enfance, une autre langue, que le français, qu’elle soit étrangère ou régionale. Plus d’un sur dix n’a pas du tout été élevé en français. Parmi les adultes ayant entendu de leurs parents une langue étrangère dans leur enfance, 32 % ne parlent que le français à leurs enfants et 55 % plusieurs langues. À cause de son usage professionnel, l’anglais devance le portugais et l’arabe comme langue étrangère la plus pratiquée en Île-de-France.
1) Un adulte sur quatre a reçu de ses parents une langue étrangère
2À la question « en quels langues, dialectes ou « patois » vos parents vous parlaient-ils lorsque vous aviez 5 ans ? », 69 % des adultes franciliens interrogés en 1999 répondent avoir été élevés uniquement en français. Pour 18 %, leurs parents s’adressaient à eux en français mais aussi dans une autre langue. Enfin, 13 % n’ont pas du tout été élevés en français. C’est le cas de 8 % des adultes en métropole. En fait, nombre de ces adultes, à qui les parents ne parlaient pas le français, vivaient à cette époque dans leur pays d’origine.
3Les langues, autres que le français, ont plus souvent été parlées par les parents à leurs enfants de façon habituelle qu’occasionnelle. Les adultes franciliens élevés habituellement dans une autre langue que le français sont relativement plus nombreux que sur l’ensemble de la métropole (22 % en Île-de-France contre 16 % en métropole), la pratique « occasionnelle » a à peu près la même fréquence (respectivement 9 et 10 %). En Île-de-France comme en province, très peu d’adultes (2 %) ont reçu à la fois le français et une autre langue de façon « habituelle ».
4Les langues reçues dans leur enfance par les adultes franciliens sont plus souvent étrangères que régionales : seuls 4 % des adultes franciliens avaient des parents qui leur parlaient une langue régionale. Par contre, 27 % des adultes franciliens ont été élevés dans une langue étrangère contre 12 % en province (tableau 1). Cette différence s’explique en partie par la présence importante d’étrangers en Île-de-France (12 % des résidents contre 4 % en province). Les Portugais et les ressortissants du Maghreb forment les communautés les plus nombreuses dans la région (respectivement 21 % et 30 % des étrangers dans la région contre 14 % et 26 % en province).
Tableau 1. – Proportion d’adultes à qui les parents parlaient des langues étrangères
Ensemble des adultes | Adultes | Adultes résidant en province | |
… de façon habituelle … seulement de façon occasionnelle | 9,7 | 21,0 | 8,9 |
Ensemble | 13,3 | 26,7 | 12,3 |
Source : Insee, Étude de l’histoire familiale (EHF), 1999.
2) Flux migratoires
5Les langues étrangères utilisées en famille résultent principalement des mouvements migratoires des personnes elles-mêmes ou de leurs proches. La proportion d’adultes étrangers a évolué tout au long du siècle, et depuis la seconde guerre mondiale, la part d’étrangers résidant en Île-de-France a crû continûment. Ainsi, en 1999, l’Île-de-France regroupe près de 19 % de la population métropolitaine et près de 40 % des étrangers3. Les divers courants migratoires ont apporté de nouvelles langues : espagnol et italien pour les courants anciens, portugais et arabe plus récemment. De fait, la part d’adultes ayant reçu de leurs parents une langue étrangère dans leur enfance a progressé en Île-de-France avec l’essor des migrations.
6Les adultes vivant dans la région et nés dans les années 1920 sont moins de 10 % à déclarer que leurs parents leur parlaient habituellement une langue étrangère contre 25 % pour ceux nés dans les années 1950 (figure 1). Parallèlement, pour ces générations, la pratique occasionnelle a peu évolué. Pour les générations nées après 1960, la proportion d’adultes à qui les parents ont parlé, durant leur enfance, une langue étrangère soit habituellement soit occasionnellement, reste stable (près de 30 %). Cependant, on voit s’amorcer une baisse de la pratique habituelle au profit de la pratique occasionnelle. Cette tendance se vérifie également sur l’ensemble de la population de métropole, mais dans des proportions bien moindres.
Figure 1. – Proportion d’adultes à qui les parents parlaient une langue étrangère

Champ : Adultes vivant en Île-de-France
Source : Insee, Étude de l’histoire familiale (EHF), 1999.
7Derrière cet effet de génération se cache aussi un effet d’âge : plus les adultes interrogés sont jeunes, plus ils ont de chances d’être arrivés enfants en France, voire d’être nés sur le territoire ; à l’inverse, dans les générations anciennes, davantage d’immigrants ont à présent quitté la France une fois à la retraite.
3) Une retransmission partielle vers les enfants
8Près de 38 % des adultes franciliens à qui les parents parlaient une langue étrangère l’ont retransmise de façon habituelle à leurs enfants (figure 2). D’une génération à l’autre, l’usage habituel n’est déjà plus systématique : moins d’un adulte sur deux (45 %) dont les parents utilisaient habituellement une langue étrangère l’a communiquée à ses enfants de façon habituelle. Quant à ceux qui n’ont entendu leurs parents leur parler une langue étrangère que de façon occasionnelle, ils ne sont plus qu’un tiers à la retransmettre à leurs enfants et quasi-exclusivement de manière occasionnelle. Ils optent majoritairement pour un usage unique du français.
Figure 2. – Langues parlées à leurs enfants par les adultes à qui les parents parlaient une langue étrangère

Champ : Adultes vivant en Île-de-France
Source : Insee, Étude de l’histoire familiale (EHF), 1999.
9Sur l’ensemble des Franciliens élevés dans une langue étrangère, 32 % n’ont ensuite parlé que le français à leurs enfants : respectivement 25 % et 66 % selon que leurs propres parents leur avaient parlé habituellement ou non dans cette langue. En province, le taux de retransmission exclusive du français s’élève à 49 %. En fait, plus de la moitié des Franciliens qui ont reçu au moins une langue étrangère (55 %) parlent plusieurs langues à leurs enfants contre seulement 40 % de ceux résidant en province. Ce plurilinguisme est pour partie le résultat d’une plus forte représentation des nationalités bénéficiant des taux de transmission les plus élevés.
4) L’arabe, langue d’usage familial la plus fréquente…
10Parmi les 480 000 adultes franciliens dont les parents parlaient arabe, plus de 200000 ont eu des enfants et près de 67 % d’entre eux déclarent leur avoir retransmis cette langue. La population maghrébine étant la plus nombreuse en Île-de-France, l’arabe est la langue la plus parlée en famille dans cette région, suivie par le portugais et l’espagnol (figure 3).
Figure 3. – Principales langues parlées à leurs enfants par les adultes à qui les parents parlaient une langue étrangère

Champ : Adultes vivant en Île-de-France Lecture : Près de 500 000 adultes déclarent qu’au moins l’un de leurs parents leur parlait arabe lorsqu’ils avaient 5 ans. Parmi eux, près de 310 000 ont des enfants dont plus de 200 000 déclarent leur avoir retransmis cette langue. Note : les langues sino-tibétaines comprennent principalement le mandarin, cantonais et tibétain. Pour les langues iraniennes, il s’agit du persan, baloutchi, pashto, kurde… Dans autres langues d’Europe, nous incluons le turc, l’azeri…
Source : Insee, Étude de l’histoire familiale (EHF), 1999.
5)… mais moins bien transmise que les langues sino-tibétaines
11Pour autant, il ne s’agit pas de la langue qui se maintient le mieux d’une génération à l’autre en Île-de-France. Les langues sino-tibétaines perdurent davantage. Parmi les adultes à qui les parents parlaient une langue de Chine (le mandarin ou le cantonnais principalement) ou du Tibet, plus de 80 % ont fait de même avec leurs enfants. En deuxième position arrive le portugais, retransmis par 77 % des adultes. Les langues les moins conservées d’une génération à l’autre sont l’allemand et l’italien avec environ 30 % de retransmission d’une génération à l’autre (figure 4).
Figure 4. – Maintien des langues étrangères d’une génération à l’autre : proportion d’adultes qui ont parlé à leurs enfants de 5 ans la langue que l’un de leurs parents ou les deux leur parlaient à cet âge

Champ : Adultes vivant en Île-de-France et ayant des enfants
Source : Insee, Étude de l’histoire familiale (EHF), 1999.
6) L’anglais, langue étrangère la plus pratiquée, …
12Les langues étrangères ne sont pas seulement parlées en famille. Trois adultes franciliens sur dix déclarent que « actuellement, il leur arrive de discuter avec des proches (conjoint, parents, amis, collègues, commerçants…) dans d’autres langues que le français » contre deux sur dix en province ; 28 % citent au moins une langue étrangère en Île-de-France contre seulement 13 % en province. La concentration plus importante d’étrangers explique en partie cette différence. En effet, l’anglais s’est imposé au fil des années par son usage dans le monde professionnel et s’avère être la langue étrangère la plus pratiquée avec environ 740 000 locuteurs, soit plus d’un adulte francilien sur dix contre un sur vingt en province. La plus forte présence dans la région de cadres supérieurs et de professions intermédiaires explique pour partie cet écart : plus d’un sur cinq déclare pratiquer l’anglais contre moins d’un sur dix pour les autres catégories socioprofessionnelles. Le taux de pratique atteint 18 % chez les plus jeunes adultes, l’apprentissage scolaire des langues étrangères favorisant leur usage. Après l’anglais, l’arabe et le portugais sont les langues les plus fréquemment parlées dans la région avec respectivement 330 000 et 270 000 locuteurs adultes (figure 5).
Figure 5. – Proportions de locuteurs d’une autre langue que le français en Île-de-France

Champ : Adultes vivant en Île-de-France et ayant des enfants
Source : Insee, Étude de l’histoire familiale (EHF), 1999.
7) … souvent apprise à l’école
13On distingue les langues étrangères qui font partie de la culture et de l’héritage familial, de celles issues des bancs de l’école ou apprises par d’autres intermédiaires. Ainsi, si plus de 90 % des adultes qui pratiquent l’arabe ou le portugais l’ont reçu de leurs parents, ce n’est le cas que de 8 % de ceux qui parlent l’anglais. L’espagnol et l’italien, qui sont aussi des langues d’immigration, se situent à mi-chemin avec un peu plus de 60 % d’adultes locuteurs actuels les ayant apprises de leurs parents.
14La pratique des langues étrangères, qui ne découle pas d’un héritage parental, est caractéristique des cadres, des professions libérales et des professions intermédiaires : en effet, ils représentent près d’un adulte sur deux parlant actuellement une langue étrangère apprise dans le cadre scolaire ou encore pour les couples linguistiquement mixtes par le biais du conjoint, contre un sur cinq pour ceux l’ayant héritée de leurs parents.
Notes de bas de page
Auteurs
Insee
carine.burricand@insee.fr
Ined/Laboratoire Printemps-Cnrs
filhon@ined.fr
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