Chapitre 1.
Pour une histoire des enquêtes Famille
p. 15-27
Texte intégral
1L’histoire de la statistique des familles est indissociable de celle des recensements et de l’état civil. Pendant longtemps, ces deux sources furent en effet les seules sources statistiques permettant d’observer et de mesurer les comportements démographiques qui contribuent à la formation des familles : nuptialité, fécondité, mise en couple.
I. – L’état civil
2Les statistiques de mouvement démographique sont anciennes. Dès la fin du xixe siècle, la Statistique générale de la France (SGF), ancêtre de l’Insee, produit annuellement une publication fournissant la population de la France métropolitaine, ainsi que les statistiques de l’état civil. Celles-ci s’appuient sur le recueil des bulletins statistiques auprès des mairies, dont la SGF, puis l’Insee sont chargés. L’association des effectifs de population et des effectifs d’événements d’état civil fonde la méthode de calcul des principaux indicateurs démographiques, déjà ancienne. Les taux ou les quotients par sexe et âge qui mesurent les comportements sont obtenus en rapportant des effectifs d’événements à des effectifs de population, les uns fournis par l’état civil, les autres par les recensements ou, les années sans recensement, par des estimations de population fondées sur ces recensements. Cette méthode a l’avantage de s’appuyer sur des concepts qui changent peu dans le temps et sur des sources dont le mode de collecte et la méthodologie sont eux aussi peu variables.
3En matière de famille, les événements de l’état civil éclairent surtout la phase de constitution : le mariage, la naissance des enfants et la reconnaissance des enfants nés en dehors du mariage. Le bulletin de décès donne aussi de l’information sur la rupture des couples par le veuvage. En revanche, les ruptures par séparation ou divorce ne sont pas observées ou le sont moins bien : la statistique sur les divorces établie à partir des transcriptions de divorces sur les registres est largement imparfaite, car tous les divorces ne sont pas transcrits ; elle est aujourd’hui abandonnée au profit de la statistique établie par le ministère de la Justice. En outre, les unions informelles et leurs ruptures, devenues très importantes, échappent à l’enregistrement de l’état civil.
4En lien avec les préoccupations des démographes, le contenu des bulletins statistiques a évolué : jusqu’en 1965, le bulletin de naissance renseignait sur le rang de l’enfant parmi l’ensemble des enfants mis au monde par la mère. À partir de 1965, l’enfant est repéré parmi les enfants du mariage en cours. S’il est né hors mariage, le bulletin ne permet pas de savoir s’il a des frères et sœurs. Cette évolution traduit l’évolution des comportements familiaux de l’époque, où les naissances hors mariage sont rares. En 1988, après une décennie de forte montée de ces naissances, la question sur le rang parmi l’ensemble des enfants est réintroduite. Mais elle reste inexploitée pendant quelques années, d’une part à cause du coût des adaptations à apporter aux programmes informatiques, d’autre part à cause de la mauvaise qualité de l’information. En effet, par habitude et manque de formation, certains officiers d’état civil continuent de classer les enfants nés au cours d’un mariage en ignorant d’éventuels enfants nés hors mariage.
II. – Les recensements
5Au-delà du chiffre de population, des objectifs de connaissance démographique ont été assignés au recensement dès le xixe siècle.
1) De 1871 à 1946
6Jusqu’en 1871, le recensement est d’abord un dénombrement de la population. La statistique des familles fait son entrée avec l’introduction du bulletin individuel lors du recensement de 1876. Parmi les questions qui apparaissent alors dans ce bulletin, figure une question sur le nombre d’enfants. Elle aura un libellé variable jusqu’en 1896. En 1886, cette question était « Combien avez-vous d’enfants vivants (présents ou absents) ? ».
7En 1901, la question sur le nombre d’enfants est supprimée du bulletin individuel ; en revanche, la feuille de ménage comporte une question sur l’âge combiné des époux et le nombre de leurs enfants. En 1906, la question sur le nombre d’enfants revient dans le bulletin individuel ; elle est reprise sous la même forme en 1911. Son libellé est « Combien avez-vous eu d’enfants ? Encore vivants ? Morts (mort-nés non compris) ? »
8Également en 1906, une enquête est consacrée aux familles, à la demande du Conseil supérieur de la statistique. Elle est réalisée auprès des familles d’employés et d’ouvriers de l’État, des départements et des communes. Les résultats de cette enquête figurent en annexe du volume Statistique des familles du recensement de 1906.
9En 1921, la question sur le nombre d’enfants est complétée par une autre « Âge en années des enfants encore vivants ? ».
10Cette série de questions sur la famille est maintenue dans les recensements de 1926, 1931 et 1936.
11En 1946, à la suite des questions portant sur l’état civil et la situation de famille, les questions suivantes1 sont posées dans le bulletin individuel :
125. En quelle année vous êtes-vous marié ?
136. Combien avez-vous eu d’enfants nés vivants ? Encore vivants ? Morts (mort-nés non compris) ?
147. Âge, en années révolues, des enfants encore vivants.
15Des notes précisent, au verso du bulletin, les définitions et la façon dont il convient de répondre aux questions :
16d. Indiquer, s’il y a lieu, les années de mariages successifs.
17e. Nombre d’enfants nés vivants : chaque personne, homme ou femme, indiquera d’abord le nombre total des enfants nés vivants qu’elle a eus. On ne tiendra pas compte des enfants mort-nés. La personne qui n’a eu aucun enfant vivant inscrira : 0. Puis elle répondra aux deux autres questions en indiquant combien de ses enfants sont encore en vie et combien sont décédés .
18f. Âge des enfants survivants : inscrire l’âge, en années révolues, de tous les enfants survivants, quel que soit leur âge, leur état matrimonial ou leur domicile. Pour un enfant, entre 13 et 14 ans par exemple, on inscrira 13 ans même s’il est à la veille de ses 14 ans. Commencer par l’âge le plus élevé.
2) En 1954
19Le recensement de 1954 marque un tournant dans le développement de la statistique des familles. D’un côté, le questionnaire individuel comporte des questions supplémentaires dans le bulletin individuel, mais qui ne sont plus posées qu’aux femmes. D’autre part, une enquête Famille est réalisée en même temps que le recensement.
20En 1954, les questions 12, 13 et 14 du bulletin individuel portent sur la famille :
2112. (Pour les femmes mariées, veuves ou divorcées).
22Avez-vous eu des enfants ? (oui - non)... Si oui, combien ? Comptez tous vos enfants y compris ceux qui sont maintenant décédés. Ne comptez pas les enfants mort-nés.
2313 et 14 (Pour les femmes mariées seulement).
2413. En quelle année vous êtes-vous mariée ? Si vous êtes remariée, indiquez l’année du dernier mariage.
2514. Année de naissance de votre mari…
26Le bulletin de recensement de 1962 et des recensements suivants ne comporte plus de questions posées aux femmes sur le nombre d’enfants qu’elles ont eus. L’analyse des comportements de fécondité relève désormais des enquêtes Famille.
III. – Les enquêtes Famille
1) Pourquoi une enquête sur les familles ?
27La mise en place de l’enquête sur les familles en 1954 et son extension en 1962 ont répondu à l’objectif d’une meilleure connaissance de la constitution des familles. À cette époque, à l’Ined, des chercheurs comme Louis Henry se passionnent pour cette question. Ils développent des méthodes d’analyse pour les siècles passés à partir des registres paroissiaux.
28Pour l’époque présente, l’étude de la constitution progressive des familles nécessite l’élaboration de données que ni un recensement ni les statistiques de l’état civil ne fournissent de façon entièrement satisfaisante. Dans un recensement, on ne peut rattacher à un couple ou à un adulte que les enfants qui vivent dans le même logement au moment du recensement. Dans l’état civil, on ne dispose pas toujours du calendrier des différentes naissances. D’autre part, le rapprochement de l’état civil et du recensement ne s’avère pas une bonne méthode pour certaines études de disparités, car les bulletins d’état civil comportent peu de variables sociodémographiques et ces variables, comme la profession, sont décrites de façon succincte. En outre, elles sont relevées à un moment particulier de la vie des individus, la naissance d’un enfant, et peuvent être influencées par les conditions qui entourent l’événement.
29En 1954, le principe de l’enquête Famille est de faire remplir à un échantillon de personnes un questionnaire complémentaire à ceux du recensement (bulletin individuel et feuille de logement), où elles décrivent rapidement les événements de leur vie de famille : mariage, naissances des enfants et, éventuellement, divorce ou décès du mari, décès des enfants. Pour ces événements, sont indiquées les dates ; la profession du mari est également demandée. C’est donc à l’origine un questionnaire rétrospectif, court (un recto-verso), que les femmes sont invitées à remplir elles-mêmes. Ces informations peuvent être rapprochées de celles qui ont été fournies dans les imprimés de recensement (feuille de logement et bulletin individuel).
30L’enquête Famille est un moyen économique de faire une enquête sur gros échantillon ; le remplissage des questionnaires ne nécessite pas d’enquêteur et ne demande qu’un peu de temps supplémentaire aux personnes recensées qui figurent dans l’échantillon.
31Le calcul d’indicateurs démographiques, tels que le nombre moyen d’enfants par femme, les taux ou quotients de fécondité par âge, se trouve simplifié du fait que la même source statistique fournit les numérateurs et les dénominateurs.
32La mise en place de l’enquête permet aussi d’alléger le bulletin individuel des questions démographiques qui étaient demandées jusque-là et donc d’enrichir le recensement sur d’autres domaines.
2) L’enquête de 1954
33L’enquête Famille de 1954 est une enquête par sondage réalisée en même temps que le recensement. Elle porte sur les femmes non célibataires âgées de 45 à 54 ans au 1er janvier 1954. Au taux de 1/50e, l’échantillon est d’environ 50 000 femmes. Elle vise à décrire et analyser la constitution des familles : elle permet d’observer les « familles complètes », concept qui sera souvent utilisé pour les études portant sur le baby-boom. C’est la première expérience en France d’une enquête par sondage réalisée en même temps que le recensement pour l’étude d’un problème particulier. Elle n’a été exploitée que très partiellement. Par contre, son organisation et la mise en place de la collecte ont été une expérience très utile pour l’enquête de 1962, dont l’échantillon fut beaucoup plus important.
3) L’enquête de 1962
34Lors de l’enquête de 1954, seules les femmes non célibataires de 45 à 54 ans avaient été interrogées. L’enquête de 1962 est beaucoup plus ambitieuse. Les femmes célibataires restent en dehors de l’enquête, mais toutes les femmes mariées ou l’ayant été de moins de 70 ans sont concernées. Ce choix s’explique par la situation démographique du moment : la fécondité est élevée et, surtout, peu de naissances ont lieu hors mariage (environ 6 %). Les naissances non appréhendées par l’enquête sont encore moins nombreuses, puisque les femmes qui, ayant eu un enfant hors mariage, se sont mariées sont interrogées et déclarent cet enfant.
35Cette période est aussi une période où les divorces sont encore rares, tandis que la mort éventuelle du mari intervient plus tardivement. Ce contexte justifie l’intérêt porté à la fécondité légitime et aux « familles complètes » (encadré).
36L’échantillon de l’enquête de 1962 est constitué de secteurs d’agent recenseur complets : un sur 50, soit près de 2000 zones. Certes ce choix provoque des effets de grappe, mais il a des avantages importants en matière d’organisation. Le nombre d’agents recenseurs à former de manière spécifique reste limité. Chaque agent recenseur concerné par l’enquête doit la réaliser auprès de toutes les femmes appartenant au champ de l’enquête, sans exception. Au total, l’enquête porte sur environ 250 000 femmes.
Les principaux concepts de l’enquête Famille depuis 1962
La descendance finale
L’état civil n’approche la fécondité que par les naissances. Quand un enfant naît, on peut savoir s’il est le premier, le second, on ne peut pas savoir si sa mère en aura d’autres. Le recensement ne permet d’étudier la descendance des femmes que si une question est posée sur le nombre d’enfants que les femmes ont eus. Mais cette question ne suffit pas à une étude détaillée si les dates de naissance de ces enfants ne sont pas demandées. En revanche, l’enquête Famille est bien adaptée à cette étude, en fournissant à la fois le nombre d’enfants des femmes et le calendrier de constitution. C’est du moins le cas dans les enquêtes réalisées en 1982 ou après, où toutes les femmes sont interrogées, y compris les femmes célibataires.
Les familles complètes
Dans les enquêtes de 1954, 1962 et 1975, seules les femmes non célibataires étaient interrogées. L’analyse des descendances était donc possible à condition qu’on se limite à la descendance née dans le mariage. À cette époque où la fécondité était forte, le mariage presque incontournable et le divorce rare, on a donc créé un concept de famille complète : famille constituée par des femmes qui se sont mariées avant 45 ans et dont le 1er mariage est en cours à leur 45e anniversaire, limitée aux enfants nés au cours de ce 1er mariage.
Durée de constitution de la descendance
Dès lors qu’on connaît les dates de naissance des enfants, il est possible d’identifier un dernier enfant, ainsi que des grandeurs relatives à cet enfant : âge de la mère à la naissance de cet enfant, durée écoulée depuis la naissance de l’enfant précédent ou celle du premier enfant.
4) L’enquête de 1975
37L’enquête de 1962 a été exploitée assez tardivement : les principaux résultats ont été publiés à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix. Dès lors, il n’était pas justifié de refaire une nouvelle enquête en même temps que le recensement de 1968. Cependant, aucune question sur la constitution des familles n’est réintroduite dans le bulletin individuel.
38Une nouvelle enquête Famille est menée à l’occasion du recensement de 1975. En ce qui concerne la constitution de l’échantillon, elle reprend l’enquête de 1962 : taux de sondage de 1/50e et tirage de secteurs d’agent recenseur entiers. Elle porte sur 250 000 femmes. Elle reste limitée aux femmes non célibataires. La nuptialité reste très forte et la proportion de naissances hors mariage n’augmente que légèrement par rapport aux années soixante. Toutefois, la limite d’âge est ramenée à 65 ans. En effet l’analyse de l’enquête de 1962 a montré que certaines personnes, en particulier parmi les plus âgées, omettaient certaines dates ou certains événements. La mortalité des enfants, telle que mesurée par l’enquête, apparaît ainsi sous-estimée, car des mères ne déclarent pas certains de leurs enfants morts en bas âge. Surtout, la constitution des familles des femmes plus âgées a déjà été décrite par l’enquête de 1962.
39En ce qui concerne le questionnaire, le seul changement est l’ajout d’une question sur le nombre de frères et sœurs de la femme interrogée et de son mari, ainsi que le rang qu’ils occupent parmi ces frères et sœurs. Cette question a permis d’étudier l’hérédité de la fécondité. Dans l’ensemble, l’enquête de 1975 sera assez peu exploitée : au moment où les résultats en deviennent disponibles, ils ne répondent déjà plus aux nouvelles questions posées par l’évolution de la fécondité, le recul du mariage et la montée de l’activité féminine.
5) L’enquête de 1982
40La baisse de la nuptialité et l’augmentation des naissances hors mariage, qui se confirment à la fin des années soixante-dix, ainsi que la montée de l’activité féminine vont conduire l’Insee à modifier très fortement l’enquête Famille de 1982 par rapport à ses devancières. Le champ de l’enquête est élargi aux femmes célibataires et aux femmes ne vivant pas dans des logements ordinaires. Mais, pour éviter d’interroger toutes les jeunes filles qui vivent chez leurs parents, l’enquête est limitée aux femmes âgées de 19 à 65 ans (âge atteint en 1982). Seules les communautés religieuses et certaines collectivités (prisons, hôpitaux psychiatriques) sont exclues (moins de 1 % de la population).
41Les 310 000 femmes de l’enquête constituent donc un échantillon à peu près représentatif de la population féminine recensée en France dans cette tranche d’âges.
42L’extension aux femmes célibataires élargit le champ d’investigation. En premier lieu, elle permet une étude plus complète de la nuptialité, au moyen de taux de célibat à différents âges, et plus seulement une étude de l’âge au mariage, seule information disponible dans les enquêtes précédentes.
43En ce qui concerne la fécondité, l’extension du champ permet de décrire l’évolution de la fécondité récente, en fournissant tous les éléments nécessaires au calcul des indicateurs comme l’indicateur conjoncturel de fécondité. Tant que les femmes célibataires n’étaient pas interrogées, l’enquête sur les familles n’était pas en mesure de fournir cet indicateur, obtenu comme somme de taux de fécondité par âge : les numérateurs et surtout les dénominateurs étaient incomplets. En interrogeant toutes les femmes de 19 à 65 ans (âge atteint l’année du recensement) et en les interrogeant sur leur passé, l’enquête couvre toutes les naissances de l’année précédant l’enquête, sauf les rares naissances dues à des femmes de moins de 19 ans en 1982 ; elle couvre aussi presque toutes les naissances de l’année 1962, puisque seules échappent pour cette année-là les naissances dues à des mères de 45 ans ou plus, ayant donc 65 ans ou plus en 1982. Que ce soit en termes de générations ou d’années, l’enquête offre ainsi une profondeur historique d’une vingtaine d’années.
44D’outil de mesure de la fécondité légitime, l’enquête est ainsi depuis 1982 devenue un outil de mesure de la fécondité générale (des femmes).
45Outre l’extension aux femmes célibataires, le questionnaire a été enrichi sur plusieurs points, passant de 2 à 4 pages :
a) La vie professionnelle de la femme
46Le recensement de la population permet de connaître le taux d’activité féminine à chaque âge, à une date précise ; il n’apprend rien du passé professionnel des femmes. Dans l’enquête, on a demandé aux femmes qui travaillent à la date de l’enquête ou qui ont déjà travaillé quand elles ont commencé à exercer une activité, si elles ont eu des interruptions d’activité de plus de deux ans, à quelles dates et pour quelles raisons. Ces questions n’avaient jamais été posées dans des enquêtes de ce type. L’enquête de 1982 a donc fourni des éléments de réponse sur des sujets tels que : combien de femmes cessent leur activité professionnelle après une naissance ? Dans quels milieux continuent-elles à travailler en ayant des enfants ?
b) Les enfants
47Des questions ont été introduites sur le mode de garde des enfants, mal connu alors, et sur la sortie des adolescents du cadre familial. Elles ont permis de rapporter certaines informations relatives à des enfants qui ont quitté le logement parental aux caractéristiques des parents : ainsi, a-t-on pu mesurer le taux de scolarité ou le taux de nuptialité des jeunes adultes (de moins de 28 ans) suivant le milieu social ou la nationalité de leurs parents.
c) L’origine sociale de la femme
48Des questions sur la profession des parents sont venues compléter les questions sur le nombre de frères et sœurs, comme éléments relatifs aux parents des femmes interrogées. Elles permettent de mesurer l’impact du niveau d’instruction ou de la catégorie sociale des femmes, indépendamment de leur milieu social d’origine.
49L’enquête de 1982 a donné lieu à de nombreuses publications et analyses, reprenant l’ensemble des thèmes abordés par le questionnaire.
6) L’enquête de 1990
50L’enquête de 1982 avait nécessité un travail important de refonte. L’enquête de 1990 n’a pratiquement pas été modifiée par rapport à celle de 1982, ni dans son questionnement, ni dans sa méthode d’exploitation. Elle s’adresse donc à des femmes de 19 à 65 ans (âge atteint l’année du recensement). La seule question nouvelle est la question « Vivez-vous en couple ? ». L’enquête de 1990 a été un peu moins exploitée que celle de 1982, mais plusieurs publications actualisent les résultats de l’enquête de 1982. En outre, elle a permis de comptabiliser et de décrire les familles recomposées, complétant ainsi les travaux menés par l’Ined.
7) L’enquête de 1999
51Le recensement de 1999 marque une évolution très nette de l’enquête sur les familles, qui devient l’enquête « Étude de l’histoire familiale » (EHF). L’enquête est conçue dans le cadre d’une collaboration étroite avec l’Ined.
52Pour la première fois, les hommes sont également interrogés avec un questionnaire très proche de celui des femmes. En effet, l’évolution des comportements ne justifie pratiquement plus de questions spécifiques aux femmes et la limitation à ces dernières laisserait dans l’ombre des questions importantes. Tant que l’enquête servait d’abord à étudier la nuptialité ou la descendance finale, il n’était pas justifié d’interroger les personnes âgées. L’extension à ces personnes s’imposait dès lors que l’enquête faisait place à d’autres thèmes. La limite d’âge supérieure a donc été supprimée.
53Ce questionnaire aborde de nombreux thèmes nouveaux :
a) Les vies en couple successives
54Lors des enquêtes de 1982 et 1990, les questions sur la vie en couple privilégiaient encore les épisodes de vie en couple marié, même si elles débordaient les événements modifiant l’état civil : pour les couples non mariés, la date de mise en couple était demandée, pour les ruptures de couples, la date de séparation était également demandée. En 1999, les épisodes de vie en couple marié ne sont plus privilégiés : l’enquête entérine le fait que la plupart des personnes vivant en couple vivent ou ont vécu en union consensuelle.
b) Les enfants adoptés et les « beaux-enfants »
55Les enquêtes précédentes demandaient aux femmes la liste de leurs enfants, sans distinguer les enfants adoptés. L’enquête de 1999 introduit la distinction, de même qu’elle décrit mieux les enfants qui sont élevés par les personnes interrogées même si ce ne sont pas leurs enfants au sens juridique.
c) Les petits-enfants
56L’extension de l’enquête aux personnes âgées de plus de 65 ans a permis de poser la question de la présence de petits-enfants, et d’étudier ainsi la grand-parentalité.
d) La pratique des langues
57Peu d’enquêtes en population générale permettent de connaître la pratique des langues. L’enquête EHF aborde cette question à la fois du point de vue des langues régionales et du point de vue des langues étrangères.
e) L’origine géographique des parents
58Avec un nombre accru de personnes nées en France de parents immigrés, la connaissance du devenir de ces personnes et de l’influence de la situation d’origine des parents prend une grande importance. Aux questions déjà posées sur les parents, on a donc ajouté le pays de naissance.
59L’introduction de ces thèmes n’a pu se faire que par l’abandon d’autres thèmes. Les questions sur le mode de garde ont été abandonnées, la connaissance sur ce thème s’étant développée par ailleurs. Les questions rétrospectives sur l’emploi ont été allégées.
8) Avantages et limites des enquêtes Famille
60Le principal avantage de l’enquête Famille associée au recensement est le faible coût de la collecte, puisque la rémunération complémentaire des agents recenseurs pour collecter les bulletins est beaucoup plus faible que celle des enquêteurs. Ceci permet d’avoir un échantillon de grande taille, qui permet d’étudier l’influence croisée de plusieurs variables ou des sous-populations.
61Ce choix de collecte présente aussi ses limites.
a) Des questions aux formulations simples
62L’absence d’enquêteur oblige à se limiter à des questions qui seront comprises de la même façon par tous. Ceci peut ne pas être le cas quand le vocabulaire est varié : ainsi tous ne mettent pas le même sens sous l’expression vivre en couple.
b) La datation des événements : questions de genre et de mémoire
63L’approche rétrospective qui préside aux enquêtes Famille fait appel à la mémoire. En l’absence d’enquêteur, l’omission de certains événements est possible. Des travaux méthodologiques ont ainsi montré que les femmes connaissaient en général mieux les dates des événements de la vie familiale que les hommes bien que la version 1999 de l’enquête Famille ne le confirme pas de manière évidente.
c) La difficulté des exploitations locales
64Le sondage aréolaire et les contraintes d’organisation conduisent à des effets de grappe qui peuvent nuire à la représentativité géographique de l’échantillon.
d) Les biais de mesure
65Par construction, l’enquête permet d’observer les comportements passés de personnes qui vivent en France à un moment donné, par exemple les comportements de fécondité. Ils peuvent ne pas donner une vision exacte de la fécondité en France à cette même date, car des personnes qui ont contribué à cette fécondité sont décédées ou ont quitté le pays, tandis que des personnes actuellement présentes ne vivaient pas en France à l’époque considérée. Ce biais, difficile à mesurer, est d’autant plus important que l’on s’intéresse à une période ancienne.
9) L’exploitation statistique des enquêtes Famille
66L’évolution des techniques d’exploitation de l’enquête Famille illustre celle des méthodes de codage à l’Insee. Dans les enquêtes de 1962 et 1975, des bacs de chiffrement figuraient sur les questionnaires de l’enquête eux-mêmes, que ce soit pour les questions posées dans le questionnaire ou pour les quelques variables récupérées dans les autres imprimés remplis par les personnes (feuille de logement ou bulletins individuels des membres du ménage). Ces dernières variables étaient assez peu nombreuses.
67L’enquête de 1982 a innové en ce domaine. Une feuille spéciale a été conçue pour le chiffrement, sur laquelle des agents reportaient par chiffrement les réponses aux questions posées dans les différents imprimés et jugées importantes pour l’exploitation de l’enquête. Ce choix a permis de collecter des informations plus nombreuses dans les imprimés du recensement, telles que des variables sur les conditions de logement, qui n’avaient pas été retenues en 1962 ou 1975. Malgré ce changement, le traitement restait classique, alors que le recensement lui-même avait recours à des méthodes plus modernes de saisie directe, évitant le chiffrement. Mais il se justifiait : une saisie directe à partir de documents trop divers aurait posé des problèmes d’organisation.
68L’enquête de 1990 conserve le même mode de traitement : une feuille de chiffrement à remplir à partir des informations du questionnaire spécifique à l’enquête et des autres imprimés. Mais un changement organisationnel est introduit. Pour éviter que les agents chargés de la saisie du recensement ne passent un temps trop long sur écran, des travaux annexes ne nécessitant pas l’utilisation d’un écran leur sont confiés : le chiffrement de l’enquête Famille et le traitement de l’échantillon démographique permanent.
69Ce mode de traitement n’a pas été favorable à la qualité de l’exploitation de l’enquête. D’une part, la priorité était donnée au recensement et le chiffrement de l’enquête Famille était parfois perçu comme un travail bouche-trou. Les agents y passaient peu de temps chaque jour, ce qui ne favorisait pas l’acquisition d’une compétence sur ce chiffrement. D’autre part, le travail consistant à reporter une réponse dans un bac de chiffrement était désormais jugé fastidieux, par des agents dont le niveau d’études s’était fortement accru par les recrutements récents.
70Un autre mode de traitement avait été envisagé, consistant à constituer un fichier par saisie des seules informations de l’enquête Famille et d’un identifiant permettant de retrouver les informations issues des imprimés de recensement relatives à la même personne. Par souci d’économie, cette méthode, qui nécessitait des développements informatiques importants, n’a alors pas été retenue.
71Le choix organisationnel de 1990 (comme de 1982) a cependant eu un gros avantage. Il a permis de disposer assez rapidement d’un fichier complet, comportant toutes les informations nécessaires aux analyses. En effet, une fois la grille de chiffrement remplie, le traitement de l’enquête Famille était totalement indépendant de celui du recensement. Il ne fallait pas attendre le fichier complet du recensement pour réaliser une opération de rapprochement de fichiers.
72En 1999, la constitution des fichiers complets s’est appuyée sur un appariement de fichiers : un fichier comportant les informations issues des bulletins de recensement et un fichier issu de la saisie de l’enquête. Il a donc fallu attendre que le premier fichier soit achevé. Puis il a fallu résoudre les problèmes rencontrés lors de cet appariement, dus à des identifiants erronés dans l’une ou l’autre source. L’économie de saisie a été payée d’un important délai de disponibilité des fichiers. Le fichier définitif a finalement été disponible en juillet 2002, soit un peu plus de trois ans après l’enquête, mais des premières exploitations ont été possibles à partir de juin 2000 sur le fichier de l’enquête Famille seule, et à partir d’août 2001, sur un premier fichier apparié avec le recensement. Et le taux d’appariement a en fin de compte atteint les 98 %.
10) Et après ? L’avenir de l’enquête Famille dans le cadre du recensement rénové de la population
73La mise en place du nouveau recensement amène à repenser entièrement le principe des enquêtes Famille. La loi qui fonde le nouveau recensement confie aux communes la réalisation des enquêtes de recensement. L’Insee devra donc obtenir l’accord des communes pour mener des enquêtes en même temps que le recensement lui-même. De toute façon, afin de stabiliser le nouveau mode de collecte du recensement, l’Insee a décidé de ne pas mener de telles enquêtes avant la fin du premier cycle d’enquêtes de recensement, c’est-à-dire avant 2009. En revanche, le nouveau recensement devrait être rapidement utilisable pour réaliser des enquêtes auprès d’échantillons de ménages ou d’individus, ciblés ou filtrés en fonction des situations observées lors du recensement. La réflexion sur les enquêtes associées au recensement sera entreprise à partir de 2005.
Bibliographie
Références sur les enquêtes Famille de 1990 et avant
Enquête Famille de 1962
Calot Gérard, Deville Jean-Claude, 1971, « Nuptialité et fécondité suivant le milieu social », Économie et statistique, n˚ 27.
Deville Jean-Claude, 1972, « Structure des familles », Collections de l’Insee, série D, n˚ 13-14.
Enquête Famille de 1975
Desplanques Guy, Deville Jean-Claude, 1979, « Fécondité et milieu social : les différences demeurent », Économie et statistique, n˚ 111.
Enquête Famille de 1982.
Desplanques Guy, 1985, « Fécondité et milieu social », Économie et statistique, n˚ 175.
Desplanques Guy, 1985, « Mode de garde et scolarisation des jeunes enfants », Économie et statistique, n˚ 176.
Desplanques Guy, 1985, « Nuptialité et fécondité des étrangères », Économie et statistique, n˚ 179.
Desplanques Guy, 1986, « 50 ans de fécondité en France : rangs et intervalles entre naissances », Population, 41 (2), p. 233-258.
Desplanques Guy, 1987, « Cycle de vie et milieu social », Collections de l’Insee, série D, n˚ 117.
Desplanques Guy, Saboulin Michel de, 1986, « Carrières continues et discontinues », Économie et statistique, n˚ 193-194.
Enquête Famille de 1990
Les tableaux des volumes de 1982 ont été actualisés respectivement dans :
Lavertu Jacques, « Fécondité et calendrier de constitution des familles : enquête Famille 1990 », Insee résultats, n° 579, Démographie société, 62.
Maréchal Michel, « Cycle de vie et milieu social selon l’enquête Famille de 1990 », Insee résultats, n° 580-581, Démographie société, 63-64.
Publications s’appuyant en partie ou en totalité sur l’enquête de 1990 :
Blanchet Didier, Pennec Sophie, 1996, « Hausse de l’activité féminine : quels liens avec l’évolution de la fécondité ? », Économie et statistique, n˚ 300, p. 95-104.
Desplanques Guy, 1993, « Un premier enfant de plus en plus tard », Insee première, n˚ 247.
Desplanques Guy, 1994, « Les familles “recomposées” en 1990 », Population et sociétés, n˚ 286.
Lavertu Jacques, 1996, « La famille dans l’espace français », Données sociales, p. 294- 302.
Prioux France, 1994, « La naissance du premier enfant », Population et sociétés, n˚ 287.
Toulemon Laurent, 1994, « La place des enfants dans l’histoire des couples », Population, (49) 6, p. 1321-1345.
Toulemon Laurent, 1995, « Très peu de couples restent volontairement sans enfant », Population, 50 (4-5), p. 1079-1109.
Toulemon Laurent, 1995, « Analyse des biographies et comparaisons entre groupes. Niveau de diplôme et arrivée du 3e enfant en France », communication au Congrès européen de démographie, Milan.
Notes de bas de page
1 L’exploitation de ces questions sur la famille a fait l’objet d’une publication : « Résultats statistiques du recensement général de la population effectué le 10 mars 1946 », volume IV : Familles, Imprimerie nationale et Puf 1953, pages VII et XII.
Auteur
Insee
guy.desplanques@insee.fr
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