Introduction.
Dix ans après : constance et inconstances de la famille ?
p. 1-12
Remerciements
Un grand merci à l’équipe du service des Éditions qui a assuré la réalisation de cet ouvrage dans les meilleurs délais.
Merci également au rédacteur en chef des Collections de l’Ined pour avoir soutenu avec enthousiasme ce projet, parfois contre vents et marées.
Texte intégral
1Cet ouvrage est le fruit d’un travail collectif, celui du groupe d’exploitation de l’enquête « Étude de l’histoire familiale », dite encore « enquête Famille » de 1999.
2Si cette focalisation sur une enquête, source de données commune à toutes les contributions, lui confère une grande homogénéité, cet ouvrage se caractérise aussi par une grande diversité des sujets étudiés, de la transmission familiale des langues à la mise en union, de l’impact de l’allocation parentale d’éducation à l’évolution démographique de la population immigrée en France. La batterie de questions de l’Étude de l’histoire familiale de 1999 (EHF) permet en effet, de manière synthétique et sur un très grand échantillon d’individus, d’étudier sous des facettes variées les permanences et les transformations sociodémographiques de la famille.
3L’étude des évolutions de la famille est un objet classique de la démographie. Ce qui l’est moins, c’est l’ouverture très large de cette source de données à des chercheurs de plusieurs disciplines – démographes, mais aussi sociologues, économistes, linguistes –, et la discussion périodique de leurs travaux lors des réunions du groupe d’exploitation. Une telle entreprise collective autour de l’exploitation d’une enquête statistique n’est pas encore si fréquente. Cet ouvrage est donc aussi l’illustration d’un travail scientifique collectif d’utilisation d’une enquête importante de la statistique publique.
4Ce recueil prend la suite, dix ans après, de Constance et inconstances de la famille, de Henri Leridon et Catherine Villeneuve-Gokalp, ouvrage de référence sur les évolutions de la famille des années 1960 aux années 19801. Si les thèmes traités – la fécondité, les mises en union, les mariages, les calendriers de passage à l’âge adulte, l’activité féminine – et la démarche – centrée sur une enquête – sont en partie similaires, la comparaison met également en lumière des différences intéressantes. Dans Constance et inconstances de la famille, l’étude de la cohabitation hors mariage et celle de la fécondité hors mariage occupent une large place. Il s’agissait alors d’écrire « l’histoire d’un changement »2. Dans l’ouvrage présent, ces thèmes ne sont plus centraux. Cela témoigne de la banalisation de ces comportements, du point de vue statistique pour le démographe, comme du point de vue normatif pour l’ensemble de la population. C’est aussi la conséquence d’un questionnement qui a justement tiré les enseignements de cette « histoire d’un changement » : les questions sur les enfants comme sur les unions portent en effet autant d’attention, sinon plus, aux situations de fait qu’aux situations légales. Ainsi, s’il est toujours possible de savoir si un enfant est né dans le cadre d’une union mariée, on demande avant tout à l’individu interrogé de se remémorer les enfants qu’il a eus, adoptés, ou encore qu’il a pu élever, passant ainsi de la parentalité, biologique ou par adoption, à la « beau-parentalité ». Quant au mariage, il n’a pas disparu des analyses mais n’est plus le cadre structurant des études sur la fécondité au sein des couples.
1) L’enquête Étude de l’histoire familiale : une source majeure pour la démographie
5Il ne s’agit pas ici de décrire en détail l’historique, la préparation et la méthodologie de l’enquête Étude de l’histoire familiale de 1999. Ces sujets sont largement traités, d’abord dans la préface de François Héran, ensuite dans l’article de Guy Desplanques, qui retrace l’histoire des enquêtes dites « Famille », enfin dans celui de Francine Cassan, de François Héran, de Laurent Toulemon et de Cécile Lefèvre, qui présente la version 1999 de ces enquêtes Famille. Nous nous bornerons à rappeler quelques points importants.
6Les enquêtes « Famille » ont lieu à l’occasion de chaque recensement depuis 1954. À travers un questionnement biographique et rétrospectif, leur objectif est le suivi des comportements démographiques et des formes familiales, permettant de reconstituer l’histoire démographique des générations.
7Jusqu’en 1999, l’enquête Famille était réservée aux femmes. Elle porta d’abord sur les femmes mariées ayant achevé leur vie féconde (entre 45 et 54 ans), pour élargir son champ aux femmes non célibataires de moins de 65 ans, et par la suite aux femmes non mariées. Ce processus d’élargissement, de champ comme de problématique, s’est poursuivi en 1999 avec son extension aux hommes. C’est une des raisons du nouveau nom de l’enquête, les premiers tests ayant montré un taux important de refus de la part des jeunes hommes célibataires qui se sentaient peu concernés. L’enquête fut alors appelée Étude de l’histoire familiale, et non plus Famille3. La disparition de la limite supérieure d’âge permet par ailleurs des études portant sur près d’un siècle de générations. Enfin, chaque édition de l’enquête consacre une série de questions à un thème spécifique, comme l’activité féminine en 1982 ou la garde des jeunes enfants en 1990 : l’édition de 1999 porte ainsi sur la transmission familiale des langues et fournit de nombreuses informations sur la diversité linguistique de la France et sur son évolution.
8Jusqu’en 1999, les différentes enquêtes Famille ont pourtant été relativement sous-exploitées. L’enquête de 1999 a constitué un tournant. À l’initiative de l’Ined, associé dès sa préparation à l’enquête de 1999, une exploitation commune de l’enquête a été décidée, entre l’Ined et l’Insee, donnant accès au fichier à tous les chercheurs de l’Ined intéressés. Suivant une procédure de convention souple à utiliser, les chercheurs extérieurs le souhaitant ont également pu exploiter le fichier et participer au groupe d’exploitation.
9En 1999, à l’occasion du recensement de la population, près de 380000 individus de 18 ans et plus ont rempli un bulletin de 4 pages sur leur situation et leur histoire familiales. Plus précisément 235 000 femmes et 145 000 hommes ont répondu à l’enquête4. Celle-ci fournit de nombreuses informations sur la fécondité, la nuptialité, les unions, la diversité des formes familiales et leur évolution, … sur un très grand échantillon en regard des enquêtes habituelles auprès des ménages, ce qui constitue un de ses grands intérêts. En témoignent par exemple la contribution de Juliette Halifax consacrée au thème de l’adoption ou encore celle de Magali Barbieri et de Laurent Toulemon sur la mortalité infantile, sujets qui nécessitent, soit des enquêtes très spécifiques, soit de très larges échantillons pour étudier ces phénomènes en population générale.
10Le fichier des données issues du bulletin enquête Famille de quatre pages a été apparié au recensement de la population (Bulletin individuel et Feuille de logement, voir annexe 2 du chapitre 2). L’appariement a pu être réalisé pour près de 98 % des personnes enquêtées. C’est l’ensemble de ces données qui constitue maintenant le fichier de l’enquête EHF 99. Dans la mesure où il s’agit de réponses à des questionnaires auto-administrés et courts, il ne faut pas attendre de l’enquête la possibilité de mener des études approfondies sur les facteurs explicatifs de comportements démographiques très précis ; il s’agit cependant d’une source majeure de données de cadrage sur de nombreux thèmes, permettant de retracer des évolutions sociodémographiques pour une grande partie du xxe siècle, source qu’il est toujours loisible de confronter et d’enrichir grâce à d’autres données : c’est la démarche adoptée dans les articles notamment de Thomas Piketty, de Catherine Villeneuve-Gokalp ou d’Isabelle Robert-Bobée.
11Par ailleurs, en 1997, avait déjà eu lieu une enquête Famille à l’île de la Réunion. Son questionnaire (passé en face à face par un enquêteur) est plus riche et plus long que celui de l’enquête EHF 99 en métropole, tout en comportant les mêmes questions de base, rendant les comparaisons possibles, comme l’article de Didier Breton le montre.
2) De la préparation et de l’exploitation des données…
12Dès la création du groupe d’exploitation de l’enquête EHF 1999 en septembre 2000, un de ses objectifs était la rédaction d’un ouvrage collectif, en partenariat entre l’Ined et l’Insee5, qui serait un recueil des premières analyses réalisées à partir de l’enquête. Ce projet a pu entrer dans une phase active depuis que l’on dispose de la version définitive du fichier de l’enquête après appariement avec le recensement de la population, corrections, et pondération, soit depuis l’été 20026.
13Rassemblant en premier lieu des chercheurs de l’Ined et de l’Insee, ce groupe était ouvert à d’autres organismes ou personnes, sur la base d’un projet de recherche et d’une convention spécifiant l’engagement à participer aux travaux du groupe7. Depuis la première réunion, plus d’une quarantaine de chercheurs ont déposé des projets d’exploitation de l’enquête.
14À partir du groupe « plénier » se sont constitués quelques sous-groupes spécialisés, comme celui travaillant sur les populations immigrées, ou sur le volet linguistique de l’enquête, ou encore sur les comparaisons internationales.
15Les principaux objectifs du groupe d’exploitation, animé par Cécile Lefèvre, ont été les suivants :
faire circuler l’information sur la mise à disposition progressive et les travaux d’amélioration de la qualité du fichier ;
recenser les projets de recherche et d’exploitation de l’enquête, veiller à ce que les thèmes importants soient traités, et favoriser les synergies ;
constituer un lieu d’échange, de présentation et de discussion des travaux ;
constituer un nœud de circulation de l’information avec d’autres groupes ou sous-groupes travaillant sur des parties ou des extensions de l’enquête (groupe « Prisons », groupe « Langues », groupe « Populations immigrées ») ;
enfin contribuer à l’élaboration d’un ouvrage collectif issu des premiers travaux réalisés à partir de l’enquête.
16Au cours de l’année 2002, a été créé8 le site du groupe d’exploitation de l’enquête : http://www-ehf.ined.fr/. Ce fut une étape importante dans la gestion du groupe et la circulation de l’information. Ce site permet de centraliser et de mettre à disposition, avec le maximum de textes téléchargeables en ligne, l’ensemble des documents utiles au groupe, et plus largement à toute personne intéressée : questionnaires de l’enquête, publications, projets des chercheurs, contacts, archivage des lettres d’information… Une rubrique en anglais permet à des visiteurs anglophones de disposer des éléments généraux de documentation sur l’enquête.
17L’animation et la circulation de l’information au sein du groupe furent aussi assurées par des lettres d’information et surtout par des réunions périodiques, occasions d’exposer les différents projets de recherche et de présenter les résultats de l’enquête sur des thèmes variés, premières briques de cet ouvrage.
3)… à la réalisation d’un ouvrage collectif
18Les objectifs et principes retenus pour guider ce projet d’ouvrage furent d’emblée les suivants :
l’ouvrage devrait couvrir les différents thèmes que permet d’explorer l’enquête. Il n’était donc pas destiné à se focaliser sur un ou deux sujets précis mais devait témoigner de la diversité des exploitations potentielles de l’enquête ;
dans le même temps, il ne s’agissait pas d’un simple catalogue des premiers résultats. Il souhaitait réunir des travaux d’analyse problématique et de recherche. Cette option s’est trouvée renforcée avec la décision de l’Insee de publier un « Insee résultats » sur l’enquête, soit les tableaux commentés des principaux résultats9. Les deux publications jouent donc la complémentarité ;
il s’appuierait largement sur des contributions spontanées. La possibilité de participer à l’ouvrage fut largement annoncée au sein du groupe d’exploitation et les contributions résultent de propositions des chercheurs eux-mêmes. La construction du sommaire a donc été un travail de structuration et de mise en forme de propositions spontanées de contributions ;
et il mêlerait travaux originaux et articles publiés. Le choix a été fait de reprendre quelques articles déjà publiés, dans la mesure où bien souvent ils dressent un panorama synthétique des premiers résultats sur tel ou tel sujet. Toutefois, leur part reste minoritaire dans l’ensemble du texte.
19Après le recueil des versions initiales de propositions d’articles, une architecture provisoire de l’ouvrage collectif a été élaborée, et l’ensemble a été étudié et discuté à la mi-2003 par un petit groupe de pilotage du projet10, qui a réalisé les premières relectures et exprimé aux auteurs des demandes d’amélioration, le plus souvent dans un souci d’homogénéité de l’ouvrage. Ce travail a abouti à la remise du premier manuscrit de l’ouvrage au Comité de rédaction des collections de l’Ined en octobre 2003. Il a alors été examiné suivant les procédures habituelles adoptées par ce Comité11.
4) Neuf parties et trente-huit contributeurs : les principaux apports de l’enquête Famille de 1999
20Le plan de l’ouvrage a donc été construit à partir des projets spontanés de contributions de chacun, regroupées en parties.
21Après les deux textes déjà évoqués consacrés à l’historique des enquêtes Famille et à la présentation de sa version de 1999 (partie I), la partie II propose en cinq articles diverses variations sur la fécondité. L’une des premières vocations de l’enquête Famille est en effet de permettre d’étudier en détail la fécondité en France. L’article de Laurent Toulemon propose ainsi une approche renouvelée de l’étude de la fécondité, les hommes comme les femmes ayant été pour la première fois interrogés sur leur fécondité, et une distinction nouvelle entre enfants biologiques et beaux-enfants que l’on a élevés ayant été introduite. Cela permet à l’auteur d’établir un nouvel ensemble d’indicateurs, allant de la fécondité biologique, étudiée par sexe, à la mesure de la « beau-parentalité ». Dans sa contribution, Thomas Piketty étudie l’impact d’une mesure de politique familiale – l’extension de l’Allocation parentale d’éducation (APE) au 2e enfant depuis le 1er juillet 1994 – sur la fécondité et sur l’activité féminine en France, en utilisant deux sources indépendantes et complémentaires, les enquêtes Emploi 1982-2002 et l’enquête EHF 99, qui donnent ici des résultats convergents. Nadège Couvert tire profit de la très grande taille de l’échantillon enquêté pour étudier l’influence d’un accouchement gémellaire sur la survenue d’accouchements ultérieurs : comment cet « imprévu » qu’est la naissance de jumeaux prend-t-elle place dans les projets de constitution de famille des individus ? Laurent Toulemon et Magali Mazuy utilisent quant à eux une nouvelle information introduite en 1999, celle de la date d’arrivée en France qui figure désormais sur le bulletin individuel du recensement, pour discuter de la mesure de la fécondité des immigrants : ils montrent que les méthodes habituelles la surestiment en ne tenant pas compte de l’âge à l’arrivée en France (et donc de la durée de séjour en France). Selon eux, cette variable est pourtant incontournable pour décrire les comportements de fécondité des immigrants. À partir de l’enquête Famille réalisée sur l’île de la Réunion en 1997 – seule réplique de l’enquête Famille dans les départements d’Outre-Mer –, Didier Breton propose enfin de mesurer et de mieux comprendre la spécificité réunionnaise du phénomène des grossesses précoces dans les jeunes générations. L’enquête EHF 99 donne des éléments de comparaison avec les indices métropolitains. Elle permet aussi l’analyse du comportement fécond des originaires de la Réunion vivant en métropole et des interactions entre fécondité et migration.
22La partie III est consacrée aux calendriers de mise en couple et de constitution de la famille, à travers trois contributions. Magali Mazuy et Isabelle Robert-Bobée s’intéressent ainsi aux différentes variables jouant sur les processus d’entrée dans l’âge adulte et à ses différentes étapes. L’objectif de l’article est de mettre en évidence des différences en termes de calendrier de constitution des familles pour les femmes et les hommes selon l’âge de fin des études et les générations, et d’intensité de la conjugalité et de la fécondité. La contribution de France Prioux se concentre sur l’âge à la première union, en mettant en évidence un allongement du calendrier de mise en première union depuis vingt-cinq ans, moindre cependant que celui du premier mariage. L’article suivant, de Francine Cassan, Magali Mazuy et François Clanché, s’intéresse plus spécifiquement à « l’après » mise en union, soit à la proportion d’adultes en couple, mariés ou non, et aux différences, entre hommes et femmes, de comportements de remise en couple après une rupture.
23Dans la continuité de cette étude sur les vies de couple, la partie IV traite de ce que nous avons appelé les configurations parentales dans leur diversité, en se plaçant davantage du côté des enfants. Les ruptures conjugales ont-elles une influence sur l’âge au départ des enfants du foyer parental ? C’est à cette question que répond Catherine Villeneuve-Gokalp en utilisant l’enquête EHF 99 parmi plusieurs sources de données. Ces ruptures conjugales conduisent souvent à la formation de familles dites « monoparentales » et de familles recomposées, thématiques étudiées respectivement par Elisabeth Algava et Corinne Barre. Le thème de l’augmentation de l’âge à la première union et à la filiation est par ailleurs repris dans la contribution de Marc Bessin, d’Hervé Levilain, et d’Arnaud Régnier-Loilier sur la « parenté tardive » (soit par convention à plus de 40 ans pour les femmes et 45 ans pour les hommes), phénomène lié en partie aux recompositions familiales. Lorsque l’enfant tarde à venir, un certain nombre de couples décident d’en adopter un. À partir de l’enquête EHF de 1999, qui comporte pour la première fois des questions sur les enfants adoptés, Juliette Halifax étudie les caractéristiques des familles dans lesquelles sont accueillis ces enfants, cette enquête étant « la seule source de données concernant les adoptions françaises sur une aussi longue période et se situant à l’échelle nationale ».
24La limite supérieure d’âge pour répondre à l’enquête ayant été supprimée, plusieurs études ont pu être menées sur la situation familiale des personnes les plus âgées de l’échantillon, demeurées en « ménage ordinaire »12. Cette partie V consacrée à l’histoire familiale des plus de 50 ans se compose de deux contributions. Christiane Delbès et Joëlle Gaymu montrent ainsi comment les différentes étapes qui peuvent ponctuer la vie après 50 ans dépendent en grande partie de la situation conjugale des individus, et comment celle des hommes et celle des femmes tendent à se rapprocher au fil des générations. Francine Cassan, Magali Mazuy et Laurent Toulemon s’intéressent plus particulièrement à l’une de ces étapes : quand de parent on devient aussi grand-parent, situation que connaissent déjà plus de 12 millions et demi de personnes en France.
25Trois contributions portent sur le décès de proches dans l’histoire familiale (partie VI). Comme le soulignent Alain Monnier et Sophie Pennec, « l’enquête EHF 99 apporte des informations inédites concernant les orphelins », ce qui les conduit à la fois à proposer une nouvelle estimation du nombre d’orphelins de moins de 25 ans en 1999, et une étude de « l’orphelinage » dans la seconde moitié du xxe siècle. Isabelle Delaunay-Berdaï se penche quant à elle sur la question du veuvage et plus particulièrement sur ce qu’elle considère comme « veuvage précoce », soit le fait de devenir veuve ou veuf avant l’âge de 55 ans. L’enquête EHF 99 permet là aussi un dénombrement de cette population et une étude rétrospective de ses caractéristiques et de son évolution. Enfin Magali Barbieri et Laurent Toulemon tentent d’exploiter l’enquête afin d’actualiser l’étude des différences sociales de la mortalité infantile en France. En même temps que leurs résultats confortent ceux obtenus à partir de l’état civil, concluant à un effondrement des écarts de mortalité infantile entre catégories sociales, les auteurs montrent également, avec un grand souci méthodologique, que l’échantillon de l’enquête Famille est encore trop faible pour pouvoir mettre en évidence des différentiels sociaux subsidiaires, qui se seraient certes très atténués, mais qu’il serait nécessaire de continuer à étudier de manière fine à partir de l’état civil.
26La version 1999 de l’enquête Famille a suscité de nombreux travaux sur l’immigration, notamment pour plusieurs raisons déjà évoquées : l’introduction de l’information sur la date d’arrivée en France dans le questionnaire du recensement, de celle du lieu de naissance des parents de la personne interrogée dans le questionnaire de l’enquête Famille, et enfin la taille de l’échantillon qui permet des études détaillées par pays d’origine. La partie VII consacrée aux histoires familiales des populations immigrées et immigrantes rassemble ainsi quatre contributions. Elles donnent de nombreux éléments de cadrage inédits, tout en soulevant des questions méthodologiques importantes. Ainsi la définition de la « deuxième génération », la prise en compte ou non des langues déclarées pour l’attribution d’une origine nationale en l’absence d’autres informations, la distinction ou non des descendants de rapatriés sous certaines hypothèses, ou enfin le traitement des couples mixtes peuvent retenir différemment l’attention. Nous avons choisi de conserver cette diversité des approches, dans la mesure où les définitions, hypothèses et méthodes étaient explicitées, afin de montrer la richesse des analyses permises par les données de l’enquête, et celle des débats sur le sujet.
27L’article de Catherine Borrel et de Patrick Simon cherche à détailler « l’origine des Français », en particulier de ceux dont les origines sont liées à l’immigration. Si les données sur les immigrés sont déjà bien connues à travers le recensement, « la plus-value de l’enquête EHF réside dans la possibilité de construire la catégorie des descendants d’immigrés », puisqu’elle comporte des informations sur le pays de naissance des parents de l’individu interrogé. En revanche on ne dispose pas d’information sur la nationalité de ces parents, ce qui ne permet pas par exemple de distinguer simplement les enfants des Français expatriés (et notamment d’Algérie), des enfants d’immigrés. L’article de Catherine Borrel et de Patrick Simon porte notamment l’accent sur la notion de « génération 1,5 », soit les immigrés venus en France avant l’âge de 10 ans, et sur celle de « seconde génération », définie par les auteurs comme « l’ensemble des personnes nées en France dont au moins un des parents est immigré ». Ils en proposent une estimation, par pays d’origine, en accordant une attention particulière parmi cette seconde génération aux descendants de couples mixtes, afin de retracer ce qu’ils appellent « une matrice des origines ». Ainsi, l’enquête EHF 99 permet d’avancer de manière inédite dans la connaissance des populations immigrées ou issues de l’immigration, par vague migratoire, par pays d’origine, et par générations. Chloé Tavan revient sur un thème déjà largement traité dans la partie III, celui des calendriers de constitution de la famille, en l’étudiant de manière approfondie pour les populations immigrées. Si les mêmes tendances sont observées pour les immigrés et l’ensemble de la population, les décalages de calendrier selon le sexe semblent plus marqués et la désaffection pour le mariage moindre parmi les populations immigrées, entre autres résultats. Dès que les effectifs le permettent, cette étude est détaillée par pays d’origine, les histoires migratoires différentes influant bien évidemment sur ces calendriers. Ces histoires migratoires sont souvent très liées à l’évolution du marché du travail en France, pour les immigrés eux-mêmes. Mais comment les enfants d’immigrés s’insèrent-ils à leur tour sur le marché du travail français ? C’est cette question qu’étudient Dominique Meurs, Ariane Pailhé et Patrick Simon, à travers divers indicateurs tels que les taux d’activité et de chômage par pays d’origine et surtout par « génération » d’immigration, et celui de « ségrégation professionnelle ». Au fil des différents articles de cette partie, la spécificité des couples mixtes, ou des enfants issus de ces couples, apparaît souvent. Le dernier article leur est donc entièrement consacré, dans la mesure où il ne s’agit pas d’une catégorie si facile à définir puisqu’elle « amalgame des situations très diverses ». L’option retenue par Alexandra Filhon et Gabrielle Varro est d’étudier la mixité conjugale à partir de la différence d’origine géographique des deux conjoints, considérant ici le lieu de naissance et de socialisation primaire comme déterminants. À partir de cette définition initiale sont alors étudiées les principales caractéristiques des unions mixtes.
28Le module de questions sur la transmission familiale des langues ne pouvait manquer de figurer dans cet ouvrage, même si une prochaine publication de l’Ined lui sera entièrement consacrée13. Innovation majeure de l’enquête de 1999, et objet d’un partenariat avec la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) et avec des équipes de linguistes, cet ensemble de questions sur les langues reçues de ses parents et transmises à ses enfants a déjà suscité plusieurs articles dans les « 4 pages » de l’Ined et de l’Insee. Ces derniers sont pour la plupart repris dans cette partie VIII. La première contribution, de François Héran, Alexandra Filhon et Christine Deprez, dresse un panorama de « la dynamique des langues en France au fil du xxe siècle », en étudiant l’évolution, détaillée par langue (pour une vingtaine de langues), et par degré de pratique (parler occasionnel ou habituel), de leur réception, de leur retransmission et de leur érosion. La contribution de François Clanché s’appuie sur l’option initiale retenue consistant à considérer de la même manière les langues régionales et les langues étrangères. Ainsi « un adulte sur quatre avait des parents qui dans sa petite enfance lui parlaient une autre langue que le français », soit 5,5 millions une langue régionale et autant une langue étrangère. Et si les langues reçues sont aussi souvent régionales qu’étrangères, les premières sont beaucoup moins retransmises que les secondes : « de l’héritage à la pratique », les différences s’accroissent. Plusieurs publications de l’Insee ayant été consacrées aux langues régionales, Alexandra Filhon propose ici une synthèse de trois d’entre elles : celle de Michel Duée, consacrée à « l’alsacien, deuxième langue régionale de France », celle d’Isabelle Le Boëtté sur la langue bretonne, et celle de Colette Deguillaume et Eric Amrane portant sur « les langues parlées en Aquitaine »14. Les deux contributions suivantes s’intéressent à des langues parlées en France par des communautés importantes. Mêlant exploitations statistiques de l’enquête EHF et entretiens qualitatifs auprès de familles maghrébines vivant en France, Alexandra Filhon étudie ainsi la transmission de l’arabe, langue d’immigration la plus parlée dans l’hexagone, et du berbère, suivant différents critères tels que le type d’association de l’arabe ou du berbère au français dans les discussions familiales, et le statut professionnel du parent, transmetteur potentiel. Stéphanie Condon s’intéresse quant à elle à « la transmission familiale du créole antillais dans le contexte métropolitain », et montre que l’érosion du créole à travers la migration a été ralentie « par un glissement dans le mode de transmission, de l’habituel à l’occasionnel ». Pour plus de la moitié des migrants antillais en métropole, les discussions familiales ont lieu à la fois en français et en créole, avec cependant des différences importantes entre hommes et femmes quant à la transmission à leurs enfants en métropole. La dernière contribution, de Carine Burricand et Alexandra Filhon, choisit un autre angle d’approche : non plus celui d’une langue, mais celui d’une région, l’Île-de-France, et des langues étrangères qui y sont parlées. En effet, 27 % des adultes franciliens ont été élevés dans une langue étrangère (associée ou non au français) contre 12 % en province. Le portugais et l’arabe sont les langues étrangères les plus pratiquées en Île-de-France, devancées cependant par l’anglais, en raison de son usage professionnel.
29La dernière partie rassemble trois contributions aux thèmes très différents mais partageant le même souci méthodologique : il s’agit d’étudier la qualité des données en confrontant l’enquête EHF 99 à d’autres sources et d’en proposer des utilisations originales, ainsi que des enseignements pour les collectes futures. Magali Mazuy et Éva Lelièvre proposent ainsi de se pencher sur l’influence du mode de questionnement sur les réponses concernant les enfants et les conjoints de la personne interrogée, en utilisant une opportunité rare : une intersection d’échantillon – de 1 306 personnes – entre deux enquêtes, à savoir l’enquête EHF 99 et l’enquête Biographies et entourage de 2000-2001. Si la « remémoration des informations concernant les enfants se révèle fiable quel que soit le mode de collecte », la datation précise des unions est, elle, plus difficile à obtenir dans le cadre d’un questionnaire court et auto-administré. Dans la seconde contribution à cette partie, Laurent Toulemon, Julie Vitrac et Francine Cassan discutent de la possibilité d’évaluer le nombre de couples homosexuels à travers une enquête comme EHF 99. Malgré la taille de l’échantillon qui semblait permettre une telle analyse, le fait que l’enquête et le recensement n’aient pas du tout été conçus pour l’étude de ce sujet l’emporte, ce qui ne permet guère de développer plus avant la question et appelle à un questionnement mieux adapté. Enfin le dernier article, d’Isabelle Robert-Bobée, présente à la fois une synthèse des principaux résultats de l’enquête Famille, leur confrontation avec ceux de l’enquête Jeunes et carrières de 1997, et l’enseignement que l’on peut tirer de cette confrontation entre deux sources lorsqu’on les utilise pour des prévisions de comportements démographiques dans des modèles de micro-simulation.
5) Et après ?
30Si cet ouvrage permet donc de dresser un large panorama des thèmes d’études ouverts par l’enquête Famille de 1999, l’exploitation de celle-ci est encore loin d’être close. Parmi les sujets encore relativement peu exploités, on peut citer l’étude des divorces et des séparations, celle des recompositions familiales et des tailles des fratries15, ou encore l’étude des différences régionales de comportements démographiques, l’enquête EHF 99 étant conçue, pour la première fois, pour assurer une représentativité au niveau régional. De même, les volets de l’enquête réalisés en maisons de retraite, d’une part, en cités universitaires et en foyers collectifs, d’autre part, ont été encore peu exploités. Par ailleurs, certains thèmes, déjà traités, pourraient sans doute être approfondis : on pense ici par exemple à l’étude des différences de réponses entre hommes et femmes, à celle du lien entre activité professionnelle et histoire conjugale et familiale, à celle des relations entre évolution des comportements démographiques et des politiques familiales. La confrontation avec d’autres sources s’est également révélée riche d’enseignements et pourrait être poursuivie, de même que les travaux de comparaisons internationales.
31Si l’enquête Famille de 1999 a déjà prouvé sa grande richesse, comme toute enquête, elle vieillit… et la question de son renouvellement se pose. Il faut rappeler qu’il s’agissait de la dernière édition de l’enquête suivant cette formule. En effet, comme l’indique Guy Desplanques dans sa contribution, « la mise en place du nouveau recensement amène à repenser complètement le principe des enquêtes Famille ». À partir de 2009, au recensement rénové pourront être associées des enquêtes complémentaires, en accord avec les communes, sur des thèmes ciblés, relatifs éventuellement à l’évolution de la famille.
32L’objectif de cet ouvrage – décrire les évolutions de la famille sous ses diverses facettes et susciter le dialogue entre plusieurs disciplines à partir d’une source principale de données – sera pleinement atteint s’il conduit à de nouvelles pistes de recherche, et à de nouveaux questionnements sur une définition plurielle de la famille et sur les enjeux de son étude.
33L’ouvrage Histoires de familles, histoires familiales sera ainsi, nous l’espérons, un outil précieux pour le travail de nombreux chercheurs, pour la réalisation d’autres enquêtes sociodémographiques et pour de nouveaux développements en sciences sociales.
Notes de bas de page
1 Henri Leridon, Catherine Villeneuve-Gokalp, 1994, Constance et inconstances de la famille, biographies familiales des couples et des enfants, Paris, Ined.
2 Il s’agit du titre de la première partie de l’ouvrage Constance et inconstances de la famille.
3 Nous continuerons cependant à utiliser l’expression enquête Famille, communément utilisée, ainsi que l’acronyme EHF 99, pour la désigner.
4 Il s’agit de l’enquête principale, réalisée auprès de ménages « ordinaires », en logement individuel. L’enquête EHF 99 a également été réalisée auprès de personnes vivant en maisons de retraite (près de 3000 bulletins), et auprès d’hommes détenus (1700 bulletins). Plusieurs publications ont été tirées de l’enquête menée en prison auprès d’hommes détenus (voir bibliographie).
5 Et plus précisément à l’Insee avec la Division des Enquêtes et études démographiques de l’Insee. Ce partenariat repose sur la signature d’une convention prévoyant l’exploitation commune des données par l’Ined et par l’Insee et autorisant l’Ined à mettre l’enquête Famille 99 à la disposition d’autres chercheurs, par exemple des enseignants-chercheurs des universités.
6 Ce travail important d’appariement, d’apurement, de pondération et de documentation du fichier final a été réalisé, au sein du groupe « Constitution du fichier », par quelques personnes, qui doivent être ici remerciées : Arnaud Bringé, Francine Cassan, François Clanché, Marie-France Cristofari, Christelle De Miras, Alexandra Filhon, Vladimira Kantorova, Magali Mazuy, Nicolas Razafindratsima, Laurent Toulemon, Damien Valdant, Catherine Villeneuve-Gokalp.
7 Le secrétariat de ce groupe d’exploitation fut assuré par Françoise Schmitt, de l’Ined.
8 Avec la participation de Raphaël Laurent, du service des enquêtes et des sondages de l’Ined.
9 Corinne Barre et Mélanie Vanderschelden, 2004, « L’enquête “Étude de l’histoire familiale” de 1999 - Résultats détaillés », Insee résultats n° 33, août, avec CD-Rom.
10 Ce groupe était composé de François Clanché, Alexandra Filhon, Cécile Lefèvre, Magali Mazuy, Alain Monnier, Isabelle Robert-Bobée, Patrick Simon et Laurent Toulemon. Qu’ils soient ici remerciés pour leur contribution à cette phase de préparation de l’ouvrage.
11 Soit des relectures par ses membres ainsi que par deux personnes externes.
12 Un échantillon de personnes âgées en institution a également été interrogé, mais son exploitation n’a pas encore conduit à des publications.
13 François Héran, avec la collaboration de Christine Deprez, Alexandra Filhon, Jean Sibille, et Laurent Toulemon, Le siècle des langues. Matériaux pour une histoire de la transmission des langues dans la France du xxe siècle, Ined, à paraître.
14 Depuis la rédaction de cette synthèse a paru également un article sur les langues parlées en Picardie et Nord-Pas-de-Calais : Denis Blot, Jean-Michel Eloy, Thomas Rouault, « La richesse linguistique du nord de la France », Insee Picardie, n° 125, 2004.
15 À noter qu’une recherche est en cours sur les familles nombreuses à partir d’EHF 99 et a déjà donné lieu à une publication : Claudine Pirus, « L’évolution du nombre et de la taille des familles nombreuses », Informations sociales, Cnaf, n° 115, avril 2004.
Auteur
Ined/Insee
lefevre@ined.fr
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