Chapitre 5. Observer la situation et l’histoire familiale des enfants
p. 143-167
Texte intégral
Introduction
1Depuis les années 1970, l’augmentation des ruptures d’unions, notamment avec enfants, a fait de l’histoire familiale des enfants un objet d’étude à part entière. Les travaux sociologiques, psychologiques, mais aussi économiques traitant de cette question sont particulièrement nombreux, notamment dans la littérature anglo-saxonne (Amato et Sobolewski, 2001 ; Bumpass et al., 1991 ; Cherlin et al., 1995 ; Fronstin et al., 2001 ; Kiernan, 1992 ; Kiernan et Hobcraft, 1997 ; McLanahan et Bumpass, 1988, Pope et Mueller, 1976 ; Thornton, 1991), mais aussi française (Archambault, 2007 ; Bourreau-Dubois et Jeandidier, 2005 ; Bourguignon et al., 1985 ; Leridon et Villeneuve-Gokalp, 1994 ; Villeneuve-Gokalp, 1999 et 2005). L’objet de ces recherches est généralement de montrer les corrélations statistiques entre l’histoire familiale vécue durant l’enfance et les comportements durant l’adolescence ou une fois devenu adulte. Mais en amont de toute démarche explicative, la collecte de l’information et la construction d’indicateurs résumant l’histoire familiale des enfants doivent être prises en compte. C’est l’un des objectifs de cette contribution.
2On distingue trois types de sources pour observer la trajectoire familiale des enfants. Idéalement, l’enfant doit être lui-même l’objet de l’étude, comme c’est le cas dans les enquêtes rétrospectives menées auprès d’adultes interrogés sur leur enfance1 ou encore dans les enquêtes longitudinales de type « cohortes d’enfants » qui suivent les enfants de leur naissance jusqu’à l’âge adulte2. La troisième possibilité, utilisée ici, est celle des enquêtes rétrospectives menées auprès d’adultes interrogés, entre autres, à propos de leurs enfants éventuels. Ces enquêtes, très nombreuses à l’échelon national et européen, permettent de reconstituer de façon plus ou moins précise3 les trajectoires familiales des enfants (par exemple Villeneuve-Gokalp, 1994 ; Breton, 2006). Ainsi, bien que l’enquête Erfi ne porte pas directement sur les enfants, elle peut se prêter à ce type d’exploitation. Le principal objectif de ce travail est donc d’actualiser les connaissances sur les situations et les trajectoires familiales des enfants en France. Les transformations des comportements conjugaux observées se sont, en effet, poursuivies et, notamment, l’augmentation des ruptures d’union. Quelles sont les conséquences des comportements des adultes sur la situation familiale des enfants en 2005 ? Comment a évolué la probabilité pour un enfant de connaître la séparation de ses parents ? Telles sont les questions auxquelles tentent de répondre les deux premières parties de ce travail, avec comme souci supplémentaire de juger de l’effet du sexe du parent répondant sur les réponses fournies. Dans une dernière partie sont mises en évidence les caractéristiques des parents associées à un risque de rupture plus ou moins fort du couple parental.
I. La situation familiale des enfants à l’enquête selon leur âge
3À partir des données de l’enquête Erfi, l’environnement familial des enfants en 2005 peut être évalué de deux façons différentes : en observant la situation familiale de chacun des enfants de moins de 18 ans vivant dans les ménages enquêtés, ou en utilisant les réponses fournies par les hommes et les femmes ayant répondu à l’enquête sur leurs propres enfants (enfants biologiques et enfants adoptés), que ces enfants habitent ou non avec l’enquêté. L’objet de cette première partie est de comparer les résultats obtenus avec ces deux méthodes.
1. Les enfants des enquêtés
4Tous les répondants ayant donné des renseignements sur leurs enfants appartenant au ménage ainsi que sur ceux qui ne vivent pas avec eux, il est possible de connaître, pour tous les enfants des enquêtés (biologiques et adoptés) âgés de moins de 18 ans, la proportion de ceux qui vivent avec leur père ou avec leur mère, selon le sexe du répondant ; en fonction de la situation de couple du répondant et du lien de parenté de l’enfant avec son conjoint éventuel, on peut alors repérer, pour les enfants du ménage, ceux qui vivent avec leurs deux parents, ceux qui vivent avec un parent et un beau-parent et ceux qui vivent avec un parent seul. Dans le cas où l’enfant n’appartient pas au ménage, on ne dispose d’aucune information sur sa situation familiale exacte. Il faut alors faire l’hypothèse qu’il vit avec son autre parent ; mais ne connaissant pas la situation de couple de ce parent, il faut renoncer aussi, pour les enfants habitant dans le ménage, à distinguer les enfants vivant en famille monoparentale de ceux vivant en famille recomposée. Les enfants se classent alors en 4 catégories :
ceux qui vivent avec leurs deux parents ;
ceux qui vivent seulement avec leur père (seul ou en couple) ;
ceux qui vivent seulement avec leur mère (seule ou en couple) ;
ceux – quelques cas dans l’enquête – dont on est certain qu’ils ne vivent pas avec leurs parents (les parents vivent ensemble et l’enfant ne vit pas dans le ménage).
5Tout enfant ayant, en principe, un père et une mère, la situation familiale des enfants décrite par les pères devrait être assez comparable à celle décrite par les mères. Pour qu’il n’en soit pas ainsi, il faudrait supposer que la survie des parents (condition pour pouvoir répondre à l’enquête) diffère selon leur biographie conjugale (vie de couple et naissance) et que cette sélection s’opère différemment selon le sexe4. La figure 1 montre le contraire, en particulier pour les enfants vivant avec un seul de leurs parents. La proportion d’enfants vivant seulement avec leur père5 est nettement plus élevée d’après les déclarations des pères ; au contraire, les enfants vivant seulement avec leur mère sont plus nombreux d’après les déclarations des mères. Cette forte divergence d’appréciation peut s’expliquer de plusieurs manières :
les enquêteurs avaient reçu l’instruction explicite de recenser les enfants vivant « en garde partagée » comme faisant partie du ménage ;
certains parents ont probablement déclaré aussi comme cohabitants des enfants vivant à temps très partiel avec eux ;
certains parents qui ont perdu tout contact avec leur enfant ont probablement « oublié » de déclarer cet enfant à l’enquête.
Figure 1. Situation familiale des enfants des répondants aux différents âges

Lecture : d’après les femmes enquêtées, parmi leurs enfants âgés de 17 ans en 2005, 72,4 % vivent avec leurs deux parents, 22,7 % avec leur mère seulement (et éventuellement un nouveau conjoint) et 4,8 % avec leur père seulement ; d’après les hommes enquêtés, ces proportions sont respectivement de 73,4 %, 16,3 % et 8,9 %, tandis que 1,4 % ne vivent avec aucun de leurs parents.
Source : Ined-Insee, Erfi-GGS1, 2005.
6Les deux premiers facteurs entraînent une surestimation du nombre d’enfants vivant seulement avec le parent répondant et le troisième, une sous-estimation des enfants vivant avec l’autre parent. On sait qu’après une séparation ou un divorce, les enfants vivent très majoritairement avec leur mère et que certains perdent tout contact avec leur père (Villeneuve-Gokalp, 1994 ; voir également le chapitre 16) ; les réponses des hommes sont donc probablement un peu plus biaisées que celles des femmes.
7L’appréciation des pères et des mères quant à la proportion d’enfants vivant avec leurs deux parents est nettement plus cohérente, sauf pour les enfants les plus jeunes (0-2 ans) qui sont plus souvent déclarés comme vivant avec leurs deux parents par les pères que par les mères. Il s’agit probablement, là aussi, de l’effet d’une sous-déclaration, par les pères, des enfants vivant avec leur mère, qu’ils en ignorent l’existence, ou qu’ils n’aient pas souhaité les déclarer. Mais on ne peut exclure aussi l’effet d’une sous-représentation, dans l’enquête, des pères séparés de leurs jeunes enfants. Les ruptures récentes sont en effet nettement moins fréquentes dans l’échantillon masculin, probablement parce que les pères, qui vivent alors plus souvent sans leurs enfants, sont plus difficiles à joindre ou refusent davantage de répondre à un questionnaire portant sur les relations familiales, sujet qui peut être plus sensible pour eux.
8Il apparaît ainsi que les réponses des femmes sont probablement plus fiables que celles des hommes pour apprécier la situation familiale des enfants, bien que, en raison des gardes partagées, elles surestiment peut-être légèrement la proportion d’enfants vivant avec leur mère seulement, au détriment de celle des enfants vivant avec leur père.
2. Les enfants vivant dans les ménages
9L’appréciation de la situation familiale à partir des enfants appartenant aux ménages enquêtés pose aussi des problèmes ; certains sont relativement faciles à résoudre, d’autres imposent certaines hypothèses :
l’enquête est représentative des adultes âgés de 18 à 79 ans en 2005, vivant en France métropolitaine, en ménage ordinaire ; les pondérations ont été calculées en conséquence, notamment pour tenir compte du nombre d’adultes du ménage. Pour être représentatif des enfants vivant en ménage ordinaire, il faut donc revenir à une pondération « ménage », en divisant les pondérations des adultes par le nombre de personnes éligibles du ménage, puisqu’une seule devait répondre à l’enquête ;
seuls les liens de famille de chacun des membres du ménage avec le répondant sont répertoriés ; cela pose des problèmes lorsque les enfants de moins de 18 ans vivant dans le ménage n’ont pas de lien de filiation directe avec le répondant6, mais qu’ils en ont probablement avec un autre adulte du ménage. C’est le cas par exemple lorsque le répondant est une personne âgée qui vit avec ses petits-enfants (et éventuellement ses propres enfants et/ou beaux-enfants susceptibles d’être les parents de ces enfants), lorsque le répondant est l’un des aînés d’une fratrie de plusieurs enfants, ou lorsque le répondant vit avec des enfants qui ne sont pas les siens, mais qui sont probablement ceux d’un autre adulte vivant dans le ménage (frère ou sœur, avec ou sans conjoint). La situation familiale de ces enfants a été estimée en examinant la composition exacte de chacun des ménages dans lesquels ils vivent. L’annexe 1 explicite les hypothèses sur lesquelles reposent ces estimations ;
enfin, certains enfants peuvent être déclarés comme vivant à la fois avec leur père et avec leur mère séparés. Comme l’enquête ne distingue pas les enfants vivant en garde partagée de ceux vivant effectivement avec un seul de leurs parents, deux estimations de la situation familiale des enfants à chaque âge sont proposées : l’une s’appuyant directement sur les pondérations ménage de l’enquête, l’autre s’appuyant sur des pondérations corrigées, pour tenir compte de la probabilité de double déclaration des enfants de parents séparés. D’après les travaux de Laurent Toulemon, à partir de l’enquête ERCV7 2004 qui permet de repérer les cas de double déclaration, la probabilité qu’un enfant déclaré par son père le soit également par sa mère est beaucoup plus forte (50 % environ) que lorsque c’est la mère qui déclare que l’enfant vit avec elle (seulement 10 % environ seraient également déclarés par leur père) (Toulemon et Pennec, 2008) ; quant aux enfants vivant avec aucun de leurs parents, 20 % seraient également susceptibles d’être déclarés deux fois. Les pondérations seront donc divisées par 1,5 dans le premier cas, par 1,1 dans le deuxième et par 1,2 dans le dernier cas.
10La répartition des enfants à chaque âge selon leur situation familiale diffère selon la pondération utilisée (figure 2). Sans correction, la proportion d’enfants vivant avec leurs deux parents est toujours trop faible, puisque le nombre d’enfants vivant avec un seul parent (en famille monoparentale ou recomposée) et celui des enfants vivant sans parent sont surévalués. Lorsque l’on introduit des corrections dans les pondérations, ces dernières catégories d’enfants voient leur part diminuer, en particulier les enfants vivant avec leur père (seul ou en couple), puisque ce sont eux qui sont le plus susceptibles d’être comptés deux fois. Ainsi par exemple, pour les enfants âgés de 10 ans, les proportions sont modifiées de la façon suivante :
avec leurs deux parents : de 76 % à 78,6 % ;
avec leur mère seulement : de 18,4 % (12 % en famille monoparentale, 6,4 % en famille recomposée) à 17,3 % (respectivement 11,3 % et 6 %) ;
avec leur père seulement : de 4,5 % (3 % et 1,5 %) à 3 % (2 % et 1 %) ;
avec aucun parent ou situation indéterminée : de 1,2 % à 1,1 %.
Figure 2. Situation familiale des enfants habitant dans les ménages selon la pondération

Source : Ined-Insee, Erfi-GGS1, 2005.
11La répartition obtenue après correction des pondérations est assez proche de la répartition qui découle des déclarations des femmes sur leurs propres enfants qui a été analysée (figure 3 et tableau 1). Les corrections des pondérations se trouvent ainsi validées indirectement, ainsi que l’hypothèse d’une plus grande fiabilité des réponses des femmes. Néanmoins, il subsiste quelques points de divergence avec les réponses des femmes : en raison des gardes partagées, celles-ci tendent à surestimer la proportion d’enfants vivant avec elles, au détriment de ceux qui vivent avec leur père ; par ailleurs, les réponses des mères tendent aussi à surestimer légèrement la proportion d’enfants âgés de plus de 10 ans vivant avec leurs deux parents, au détriment de celle des enfants vivant sans aucun parent, catégorie que l’on peut mieux repérer parmi les enfants du ménage. Ainsi par exemple, les femmes ne déclarent aucun enfant de 10 à 16 ans vivant sans leurs parents, les hommes moins de 1 %, alors que l’analyse des enfants du ménage permet d’en estimer la proportion à 1,1 % à 10 ans, et 2,3 % à 16 ans.
Figure 3. Situation familiale des enfants selon la méthode d’estimation

(a) Déclarations des répondants sur leurs propres enfants.
(b) Enfants résidant dans les ménages enquêtés, après correction des pondérations.
Source : Ined-Insee, Erfi-GGS1, 2005.
Tableau 1. Situation familiale des enfants selon la méthode d’estimation (%)

*Après correction des pondérations.
Source : Ined-Insee, Erfi-GGS1, 2005.
12Ces résultats confirment les observations de Didier Breton et Laurent Toulemon8 : les recensements et les enquêtes Famille, et notamment l’enquête EHF9 de 1999, tendent à surestimer la part des enfants vivant avec un seul de leurs parents, du fait des doubles résidences. Ainsi par exemple, d’après nos résultats, en 2005, 81 % des enfants de 7 à 10 ans vivent avec leurs deux parents, 12,5 % en famille monoparentale (10,6 % avec leur mère auxquels s’ajoutent 1,9 % avec leur père) et 6 % en famille recomposée (5 % et 0,9 %) (tableau 1). En 1999, d’après l’enquête EHF, ces pourcentages s’élevaient respectivement à 75,5 %, 16,5 % et 6,5 % (Barre, 200310).
II. La biographie familiale des enfants selon leur année de naissance
13Il s’agit de reconstituer l’histoire familiale des enfants nés chaque année selon leur situation à la naissance (parents en couple ou non) et, pour les enfants nés au sein d’un couple, d’observer l’évolution du risque de connaître la rupture du couple parental à chaque âge, au fil des générations. Cela est possible en confrontant la date de naissance des enfants des répondants (enfants résidents ou non au moment de l’enquête), avec leurs histoires d’union (dates de début et de fin d’union du déclarant). En pratique, nous nous sommes contentés d’utiliser l’année des événements. Ainsi, un enfant sera considéré comme né hors couple si son père ou sa mère ne déclare pas être en couple l’année de sa naissance (pas de vie de couple, ou vie de couple qui débute au plus tôt l’année suivant sa naissance), et les risques de rupture du couple parental seront appréciés à chaque durée en différence de millésimes, ou âge atteint par l’enfant au moment de la rupture éventuelle.
14La situation de couple des parents à la naissance et son évolution avec l’âge ne peut être reconstituée qu’en utilisant les déclarations des enquêtés sur leurs propres enfants (biologiques et adoptés), et les déclarations des hommes et des femmes peuvent ici aussi être confrontées.
1. La situation à la naissance
15La proportion d’enfants déclarés nés hors couple est systématiquement plus élevée selon les réponses des femmes (tableau 2). Ceci peut s’expliquer par le fait que certains pères ignorent probablement qu’ils ont eu un enfant. Mais les écarts de déclarations tendent à s’atténuer au fil des générations : d’après les hommes, la proportion de naissances hors couple est assez stable et fluctue entre 4,4 et 5,2 % des enfants d’une génération ; d’après les femmes elle était de 7,7 % jusqu’au début des années 1980, et se situe entre 5,6 et 6 % depuis cette période. Ainsi, l’écart entre les pourcentages de naissances hors couple déclarées par les hommes et les femmes n’est plus significatif à partir des générations 1983-1987.
Tableau 2. Pourcentage d’enfants nés hors couple*, selon le sexe du déclarant

* Parent déclarant non en couple l’année de la naissance de l’enfant.
Note : pourcentages calculés sur données pondérées et intervalles de confiance calculés sur les effectifs enquêtés.
Source : Ined-Insee, Erfi-GGS1, 2005.
2. La situation familiale à chaque âge parmi les enfants nés au sein d’un couple
a. Proportion d’enfants n’ayant pas encore connu la rupture de leurs parents à chaque âge
16Une table de survie du couple parental selon l’âge des enfants peut être construite pour chacune des générations d’enfants nés au sein d’un couple cohabitant. Les tables de la figure 4 ont été élaborées après avoir lissé les taux de rupture (quelle que soit la cause de cette rupture, décès ou séparation), à chaque âge, sur neuf générations d’enfants11, repérées ici par l’année de naissance de la génération centrale. Deux séries de tables sont calculées, l’une à partir des déclarations des mères et l’autre à partir de celles des pères.
17Il apparaît ainsi des différences importantes entre les réponses des hommes et des femmes, la proportion de couples non rompus étant toujours plus faible d’après les déclarations des mères, en particulier pour les générations d’enfants les plus anciennes. Ainsi, parmi les enfants nés en 1975 au sein d’un couple, à l’âge de 18 ans révolus, 86 % d’entre eux, d’après leurs pères, et seulement 79 %, d’après leurs mères, avaient des parents qui vivaient encore ensemble, la différence entre les deux proportions étant très largement significative (au seuil de 1 %). La proportion de couples intacts diminue d’une génération à l’autre jusqu’à la génération 1990, en particulier pour les pères, dont les réponses deviennent plus proches de celles des mères : à la fin de l’année des 13 ans, dans la génération 1990, l’écart est inférieur à un point de pourcentages (78,7 % de couples non rompus d’après les pères, et 77,9 % d’après les mères), et n’est plus significatif. Mais dans les générations suivantes, l’écart s’accroît à nouveau : d’après les mères, la proportion de couples non rompus diminue encore faiblement dans la génération 1995 puis se stabilise, alors que d’après les pères, elle tend plutôt à augmenter d’une génération à l’autre. Ce retournement de tendance est-il vraisemblable dans un contexte d’augmentation des ruptures d’unions, et en particulier des divorces, ces dernières années en France (Delmeire, 2005 ; Prioux, 2005, 2007 ; Vanderschelden, 2006) ? La sous-évaluation des ruptures, d’après les réponses des hommes, en particulier pour la période la plus récente, pose la question de la représentativité de l’échantillon masculin pour l’analyse des ruptures.
Figure 4. Enfants dont le couple parental n’a pas rompu* (pour 1000 enfants nés au sein d’un couple cohabitant)

*Toutes causes de rupture, y compris par décès.
Source : Ined-Insee, Erfi-GGS1, 2005.
b. Proportion d’enfants de chaque âge ayant déjà connu la rupture de leurs parents
18La figure 5, qui est une autre façon de représenter les proportions complémentaires de celles de la figure 4, souligne davantage encore les biais de déclaration de l’échantillon masculin. Elle illustre l’évolution, au fil des générations, de la probabilité pour un enfant né au sein d’un couple de connaître la rupture de ses parents avant chaque âge (âge révolu, en fin d’année).
Figure 5. Enfants dont les parents sont déjà « séparés* » à chaque âge (pour 100 enfants nés au sein d’un couple cohabitant)

* Toutes causes de rupture, y compris par décès.
19Chez les hommes, dans les générations anciennes, les ruptures aux jeunes âges ne sont pas très différentes de celles déclarées par les femmes, mais à partir de 5 à 10 ans selon les générations, les ruptures sont moins fréquentes (les courbes de chaque âge sont très proches), conduisant à un pourcentage de ruptures déclarées nettement plus faible dans les premières générations : à 20 ans dans la génération née en 1975, 23 % des couples se sont séparés d’après les mères, et seulement 15 % d’après les pères.
c. L’effet de la mortalité différentielle
20Une partie de cette différence peut s’expliquer par la surmortalité masculine : les figures 4 et 5 tenant compte de toutes les ruptures, quelle qu’en soit la cause (séparation ou décès du conjoint), la probabilité de connaître une rupture d’union, vue du côté féminin, est plus forte que si l’on se place du côté des hommes, car une femme a plus de risques qu’un homme de voir disparaître son conjoint (Delmeire, 2005). Nous avons donc construit des tables de ruptures en l’absence de décès du conjoint (figure 6). La proportion d’unions rompues se trouve ainsi nettement réduite pour les enfants déclarés par les mères, en particulier dans les anciennes générations : à 20 ans, dans la génération de 1975, le pourcentage d’unions rompues n’est plus que de 18 %, au lieu de 23 % lorsqu’on tient compte de toutes les causes de rupture du couple parental (figure 5).
21Mais des différences importantes entre les pères et les mères subsistent (figure 6) : chez les hommes, le rapprochement des courbes à partir de 10 ans dans les anciennes générations, et le retournement de tendance, dans les générations récentes (nées après 1990) témoignent d’une sous-déclaration manifeste des ruptures récentes. L’explication réside ici probablement dans un biais de sélection ou de non réponse à l’enquête : les pères ayant connu une rupture récente sont peut-être plus difficiles à joindre, soit parce qu’ils vivent seuls, soit parce qu’ils habitent un logement transitoire après la rupture. À ce biais de sélection s’ajoute sans doute une sous-déclaration de leurs enfants par les pères, lorsque ceux-ci n’ont plus de contacts avec leurs enfants.
Figure 6. Enfants dont les parents seraient déjà séparés à chaque âge, en l’absence de décès (pour 100 enfants nés au sein d’un couple cohabitant)

Source : Ined-Insee, Erfi-GGS1, 2005.
22Peut-on néanmoins considérer les déclarations des mères comme fiables pour mesurer l’évolution, au fil des générations, de la probabilité de connaître la séparation de ses parents ? Comme pour les hommes, l’augmentation des ruptures s’observe principalement entre les générations 1980 et 1990. Par exemple, la probabilité de voir ses parents se séparer avant l’âge de 5 ans (en l’absence de décès du père) a presque doublé, passant de 5 à 9 %. En revanche, les ruptures augmenteraient peu, voire se stabiliseraient dans les années récentes, comme l’atteste le parallélisme presque parfait de toutes les courbes aux cours des dernières années. Cette observation va plutôt à l’encontre des constats effectués récemment sur l’augmentation rapide de la fréquence des ruptures d’union en France, du moins en ce qui concerne les divorces au cours des années 2003-2006 (Prioux, 2007) ; il est vrai, cependant, que les divorces sans enfant mineur ont augmenté nettement plus vite (+ 31 % entre 2000 et 2006) que les divorces avec enfant(s) (+ 13 %).
III. Les caractéristiques des parents et risques de dissolution du couple parental
23L’objectif est de mettre en évidence les caractéristiques parentales associées à un risque plus ou moins élevé de séparation, toutes choses égales par ailleurs, en construisant un modèle multivarié.
1. Description du modèle
24Nous ajustons la variable dichotomique « Avoir des parents séparés ou non à l’âge x » par un certain nombre de variables caractérisant le couple parental ou le parent répondant. L’ajustement prend la forme d’un modèle logistique avec comme variable dépendante la probabilité, pour un enfant né une période donnée, d’avoir ses parents séparés à un âge x (tableaux 3 et 4). Des modèles sont construits à trois âges x différents, choisis pour leur signification dans le système scolaire français : l’année des 3 ans (entrée en maternelle), l’année des 6 ans (entrée en cours préparatoire) et l’année des 10 ans (entrée au collège). En construisant trois modèles, il est possible de juger de la précocité des effets de certaines variables.
Tableau 3. Risque pour un enfant né au sein d’un couple de connaître la séparation de ses parents avant certains âges, Réponses des mères (odds-ratio issus du modèle logit)

Champ : Enfants biologiques et adoptés, nés entre 1976 et 1995, déclarés par les mères et qui, l’année de leur naissance, avaient des parents en couple.
Légende : Réf. : modalité de référence ; ★★★ : significatif au seuil de 1 % ; ★★ : significatif au seuil de 5 % ; ★ : significatif au seuil de 10 % ; – : non significatif
Lecture : un odds-ratio supérieur à 1 (resp. inférieur à 1) et statistiquement significatif indique que l’on est en présence d’un facteur qui accroît (resp. qui diminue) le risque pour un enfant de voir ses parents séparés à 3 ans (6 et 10 ans), par rapport à la modalité de référence de la variable considérée. Plus l’odds-ratio est éloigné de 1, plus l’influence du facteur auquel il est associé est importante.
- le modèle a été construit avec les pondérations normalisées. Les effectifs diminuent avec l’âge du fait de l’exclusion des ruptures liées au décès du père (ou de la mère, dans le tableau 4) avant 3, 6 ou 10 ans.
- les odds-ratio se calculent en prenant l’exponentiel de la valeur des paramètres estimés par le modèle.
Source : Ined-Insee, Erfi-GGS1, 2005.
Tableau 4. Risque pour un enfant né au sein d’un couple de connaître la séparation de ses parents avant certains âges, Réponses des pères (odds-ratio du modèle logit)

Champ : Enfants biologiques et adoptés, nés entre 1976 et 1995, déclarés par les pères et qui, l’année de leur naissance, avaient des parents en couple.
Légende et lecture : cf. tableau 3.
Source : Ined-Insee, Erfi-GGS1, 2005.
25Afin de modéliser le risque de séparation en l’absence de mortalité, les unions dont la rupture avant l’âge « x » est due au décès de l’un des parents ont été exclues. Sont retenus les enfants nés entre 1976 et 1995 au sein d’un couple cohabitant ; les enfants nés au sein de couples non cohabitants et ceux vivant avec un seul parent l’année de leur naissance ne sont donc pas concernés par l’analyse. Ils sont toutefois très minoritaires dans les générations d’enfants, comme le montre le tableau 2, même si pour certaines catégories de parents, cela peut concerner plus d’une naissance sur dix (mères les plus jeunes, non diplômées, ou ayant passé leur enfance à l’étranger)12. Plutôt que d’intégrer le sexe du parent répondant comme variable dépendante, des modèles « père » et des modèles « mère » sont construits séparément.
26L’idéal aurait été de disposer d’une information complète sur chacun des parents de l’enfant. Si l’information est effectivement disponible lorsque les parents vivent encore ensemble au moment de l’enquête, ce n’est pas le cas lorsqu’ils sont séparés, car l’enquête comporte très peu de questions sur les conjoints précédents du déclarant13, ce qui limite un peu le nombre de variables susceptibles de caractériser le couple parental. Le choix des variables pour caractériser le parent répondant s’appuie sur les résultats des études françaises ou européennes portant sur le devenir des couples avec ou sans enfants.
27Parmi les variables relatives au couple parental, nous avons construit la variable durée de l’union au moment de la première naissance du couple. Cette naissance peut ne pas correspondre à l’enfant concerné par l’analyse si celui-ci n’est pas l’aîné de sa fratrie. Deux autres variables s’attachent à décrire l’âge des parents au moment du début de leur vie en couple : d’une part, l’âge du parent enquêté au moment de l’union et, d’autre part, l’écart d’âge entre les deux parents. Le couple parental se caractérise enfin par son statut matrimonial l’année de la naissance de l’enfant et l’existence d’au moins un enfant du conjoint avant la mise en couple. L’éventuel demi-frère ou sœur ne vit pas forcément au sein du ménage, ni au moment de l’union ni au moment de l’enquête ; il peut éventuellement être décédé.
28L’autre groupe de variables caractérise le parent répondant. Il s’agit tout d’abord de son diplôme le plus élevé14. Deux variables sont relatives à son enfance : d’une part, s’il a passé son enfance avec ses parents biologiques et, d’autre part, s’il a passé la majorité de son enfance à l’étranger. Cette dernière variable est combinée au lieu de naissance des parents du répondant.
29Enfin, la dernière variable concerne la croyance et la pratique d’une religion du parent répondant au moment de l’enquête. Aucune information ne qualifie la trajectoire professionnelle du ou des parents, le recueil de cette information étant prévu dans la deuxième vague de l’enquête.
2. Les résultats du modèle multivarié
a. Des risques plus forts dans les cohortes récentes
30Les modèles confirment d’abord l’effet de cohorte précédemment décrit. Les enfants nés entre 1976 et 1985 ont une probabilité plus faible de connaître la séparation de leurs parents que ceux nés entre 1986 et 1995. Dans les modèles féminins, l’effet de cohorte est décroissant avec l’âge de l’enfant (l’odds ratio (OR)15 passe de 1,7 à l’âge de 3 ans à 1,3 à 10 ans) alors qu’il est quasiment constant dans les modèles masculins (l’OR varie peu autour de 1,5).
b. Avoir des parents mariés « diminue » nettement le risque de séparation
31Les enfants nés au sein de couples non mariés ont, quel que soit le sexe du parent répondant et quel que soit l’âge de l’enfant, une probabilité plus forte de connaître la séparation de leurs parents : l’OR est toujours très élevé (proche de 3 si le répondant est le père et de 2,5 si le répondant est la mère). Un effet de sélection explique très probablement ce résultat : le fait de naître au sein d’un couple non-marié et la solidité du couple parental ont probablement une origine commune, non repérée, voire non repérable par le modèle.
32Au fil des cohortes, la proportion d’enfants dont les parents ne sont pas mariés au moment de leur naissance augmente : elle atteint 38 % dans la cohorte 1996-2005, contre respectivement 10 % et 26 % dans les cohortes 1976-1985 et 1986-1995 (annexe 2). Cette augmentation s’accompagne d’une diminution de l’effet de la variable : l’OR passe d’environ 4 à 2 entre les cohortes 1976- 1985 et 1986-199516. Le mariage joue de moins en moins un rôle protecteur sous l’effet de diffusion du phénomène des naissances hors mariage.
c. L’existence de demi-frères ou demi-sœurs augmente le risque de séparation
33Si le conjoint a déjà au moins un enfant d’une union précédente, cela signifie que l’enfant a au moins un demi-frère ou sœur. Cette situation est associée à un risque relatif plus élevé de connaître la séparation de ses parents. L’OR est, quel que soit le modèle, proche de 3. C’est, avec le statut matrimonial des parents à la naissance, la variable la plus discriminante du modèle. Naître au sein d’une famille recomposée augmente le risque de connaître la rupture de ses parents. À l’instar des enfants dont les parents ne sont pas mariés à la naissance de l’enfant, la proportion d’enfants dont au moins un des parents a des enfants d’une union précédente augmente au fil du temps mais à un rythme moins soutenu. Pour les enfants des mères par exemple, la proportion est de 14 % dans la cohorte 1996-2005 contre un peu moins de 9 % dans la cohorte 1976-1985. Le groupe d’enfants défini par cette variable demeure encore « marginal » dans les cohortes de naissances. L’effet de cette variable diminue toutefois légèrement au fil des cohortes (voir note 16).
d. Une influence de l’histoire familiale du parent
34Les enfants dont les parents ont vécu la majeure partie de leur enfance sans leurs propres parents ont un risque significativement plus fort de voir leurs parents se séparer. Les OR varient entre 1,5 (modèle féminin à tous les âges et masculin à 10 ans) et 2,9 (modèle masculin à 3 ans). L’effet est donc stable au fil des âges d’après les mères et particulièrement discriminant aux jeunes âges d’après les réponses des pères. L’effet est plus important lorsque c’est le père qui répond. Cette reproduction est-elle de type social ou familial ? Sans plus d’information sur les parents de l’enquêté (grands-parents de l’enfant), il est difficile de répondre à cette question. Le maintien de ce phénomène de « reproduction » dans le temps entraînerait une augmentation à terme de la proportion d’enfants connaissant la séparation de leurs parents (effet de cohorte) et, par effet d’entraînement, une augmentation des séparations des couples avec enfant.
35Les effets significatifs des variables « enfant du conjoint d’une union précédente » et « avoir au moins un parent n’ayant pas vécu son enfance avec ses deux parents » dessinent un effet double d’« apprentissage » de la séparation : reproduction de l’histoire vécue comme enfant et aussi comme parent. Ces deux résultats présument d’une forte concentration des configurations familiales complexes chez certains enfants.
e. Être né de parents jeunes augmente le risque de les voir se séparer
36L’âge du parent répondant en début d’union a un effet significatif sur la probabilité pour l’enfant de connaître une rupture. Plus celui-ci était jeune au moment de la formation du couple, plus le risque de rupture est important. Ce résultat est surtout vérifiable dans le modèle « mère » pour lequel on observe une augmentation de l’effet avec l’âge de l’enfant (l’OR passe de 1,6 à 1,9 entre 6 ans et 10 ans). D’après les réponses des pères, cette variable n’est significative, avec un effet faible, qu’à l’âge de 10 ans (OR = 1,3). L’écart d’âge entre les parents n’est, en revanche, presque jamais significatif, sauf pour le modèle féminin à l’âge de 6 ans (au seuil de 5 %) et 3 ans (au seuil de 10 %).
37Se mettre en union tôt ne signifie pas forcément avoir un enfant tôt. L’effet d’une naissance précoce dans l’union se mesure par la durée écoulée entre le début de l’union et la première naissance de cette union. Cette variable est significative pour les deux sexes uniquement à partir de l’âge de 6 ans. L’arrivée relativement rapide ou relativement tardive d’une naissance dans l’union est associée à un risque relatif plus élevé de rupture d’union (OR ≈ 1,5 pour le modèle père et 1,3 pour le modèle mère). Ces résultats sont toutefois difficiles à interpréter, d’autant que l’appréciation des durées d’union varie certainement avec l’antériorité de l’événement, mais aussi, probablement avec le sexe du parent répondant.
f. L’effet significatif de la pratique religieuse
38La pratique d’une religion par le parent enquêté diminue significativement le risque d’une rupture du couple parental. En retenant cette variable, nous faisons l’hypothèse que le sentiment et la pratique religieuse ne sont pas modifiés par une éventuelle rupture. Dans le modèle père, se déclarer pratiquant17 occasionnel ou régulier diminue significativement le risque de séparation (OR ≈ 0,5 aux âges 6 ans et 10 ans). Pour les mères, le résultat est identique mais, à l’inverse, la modalité « sans religion » augmente significativement le risque de séparation des parents (OR ≈ 1,5 aux âges 6 et 10 ans).
g. Les effets très peu significatifs du diplôme et de l’origine géographique du parent
39Deux variables du modèle sont très rarement ou jamais significatives. Le diplôme du parent répondant et son origine géographique, qui combine le lieu de vie du répondant durant l’enfance et le lieu de naissance de ses parents (voir ci-dessus, III.1). Pour la première, seuls les modèles à 6 ans et 10 ans montrent une relation significative entre un diplôme très faible du père (certificat d’études et brevet) et un risque relativement peu élevé de connaître une séparation de ses parents (OR ≈ 0,5). À l’inverse, un diplôme élevé de la mère (supérieur au baccalauréat) est associé à un risque plus élevé de séparation mais à l’âge de 10 ans uniquement (OR ≈ 1,4).
40La variable d’origine géographique n’est pour sa part jamais significative. Le choix d’intégrer, dans les variables dépendantes, l’année de naissance des enfants masque l’effet de cette variable dans certaines cohortes. Ainsi, pour les générations 1986-1995, quand le père déclare avoir passé une partie de son enfance à l’étranger, le risque de rupture du couple parental est significativement plus faible (voir note 16).
41L’analyse multi-variée confirme les résultats classiquement observés dans les études s’intéressant au risque de rupture des unions en France, avec ou sans enfant. C’est le cas, par exemple, des effets du mariage, de la pratique d’une religion, de l’âge à la mise en union, de l’histoire familiale du parent durant son enfance ou de son diplôme (Archambault, 2007 ; Toulemon, 1994 ; Vanderschelden, 2006). Bien que les enfants ne soient pas épargnés par les ruptures, ces mêmes études démontrent également l’effet protecteur de leur présence face au risque de séparation de leurs parents. Mener l’analyse au sein de cohortes d’enfants nés au sein de couples cohabitants apporte des informations nouvelles et fait apparaître l’existence de sous-populations d’enfants aux configurations familiales particulièrement complexes. L’effet combiné de la présence de demi-frères ou de demi-sœurs et de l’histoire familiale des parents montre que certains enfants, encore minoritaires dans les cohortes, ont une probabilité élevée d’avoir une composition complexe du point de vue parental (présence d’un beau-parent dans le cas d’une remise en couple après rupture), du point de vue de leur fratrie (présence de demi-frères ou de demi-sœurs) et du point de vue de leurs ascendants (beau-parent du ou des parents).
Conclusion
42Bien que l’enquête Erfi porte uniquement sur des adultes, elle permet d’observer certains aspects de la situation et de la biographie familiale des enfants vis-à-vis de leurs parents. La situation des enfants en 2005 a ainsi pu être actualisée et précisée, selon qu’ils vivent avec leurs deux parents ou seulement avec leur père ou leur mère, en famille monoparentale ou en famille recomposée, ou éventuellement sans aucun de leurs parents. Les enfants vivant avec un seul de leurs parents représentent une fraction plus faible que les estimations effectuées précédemment à partir des données de l’enquête EHF de 1999. Pour les enfants nés au sein d’un couple cohabitant, la probabilité de connaître la rupture de leurs parents a beaucoup augmenté aux jeunes âges pour les enfants nés à partir des années 1980, tandis que la hausse se poursuit beaucoup plus lentement, voire aurait cessé, pour les générations nées au début des années 1990. Pour observer l’évolution des ruptures et la situation à l’enquête, les réponses des femmes semblent plus fiables que celles des hommes, en grande partie parce que l’échantillon masculin souffre très probablement d’un biais de sélection ou de non réponse à l’enquête, les pères ayant rompu récemment leur union étant sous-représentés parmi les répondants. Malgré tout, les réponses des hommes sont assez cohérentes avec celles des femmes pour analyser les caractéristiques des parents associés à un risque de rupture plus important.
43Bien que les naissances hors mariage soient aujourd’hui très répandues, naître au sein d’un couple non marié continue à être associé à un risque beaucoup plus important de voir ses parents se séparer. Le risque est également très élevé si le père ou la mère a déjà eu un ou des enfants avant l’union. À côté de ces deux principaux facteurs de risques, d’autres caractéristiques ont une influence plus modérée : la configuration familiale durant l’enfance du père ou de la mère, l’âge en début d’union, la religion et le diplôme.
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Références bibliographiques
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Annexe
Annexes
Annexe 1. Modalités d’attribution des liens de filiation pour les enfants cohabitants non présents dans la base
La base « enfants » de l’enquête Erfi ne comporte que les enfants de l’enquêté et de son conjoint (biologiques ou adoptés, cohabitants ou non), ainsi que les enfants placés vivant dans le ménage. Pour analyser la situation familiale des enfants âgés de moins de 18 ans vivant en ménage ordinaire en 2005, il fallait également tenir compte de la situation familiale des enfants de moins de 18 ans vivant dans les ménages et n’ayant pas de lien de « filiation » directe (enfant ou bel enfant) avec l’enquêté. Le fichier « individus » permet ainsi de repérer 408 enfants, qui s’ajoutent aux 5787 enfants de moins de 18 ans cohabitants figurant dans le fichier « enfants ».
La grande majorité de ces enfants (320) sont frère ou sœur du répondant : nous avons fait l’hypothèse que leur situation familiale (vit avec
ou sans ses deux parents, en famille monoparentale ou en famille recomposée) était la même que celle du répondant ;Dix enfants n’ayant aucun lien de parenté avec le répondant (« n’appartient pas à la famille ») ont été considérés comme vivant sans leurs
parents ;Tous les autres cas (78) ont été examinés un par un, et leur situation a
été déduite de l’analyse de la composition familiale du ménage, en
choisissant pour l’enfant la solution la plus vraisemblable et la plus favorable : chaque fois qu’un adulte ou un couple était susceptible d’être
parent, l’enfant a été considéré comme vivant avec ses deux parents,
ou avec sa mère ou son père seul(e) selon le cas ; sinon, il était classé
parmi les enfants vivant sans parent. Ainsi par exemple, parmi les
45 enfants qui étaient les petits-enfants du répondant ou de son conjoint,
on peut estimer sans grand risque de se tromper que 29 vivent avec
leur mère seule, 4 avec leur père seul, 2 avec leurs deux parents, et
10 sans aucun parent. Parmi les 23 enfants dont le lien de parenté avec
le répondant est « frère ou sœur du conjoint » ou « autre membre de la
famille de l’enquêté ou de son conjoint », 8 ont été classés parmi les
enfants vivant avec leur mère seule, 2 avec leur père, 3 avec leur mère
et un beau-père, et 10 sans aucun parent. Finalement, ce sont seulement
10 enfants qui sont classés parmi les « situations inconnues », le lien de
parenté de l’enfant avec le répondant étant vraisemblablement erroné
(conjoint, parent ou beau-parent, grand-parent, etc.).
Annexe 2. Structure des cohortes d’enfants selon le sexe du répondant (en %) (effectifs pondérés – quelle que soit l’issue de l’union)

Champ : enfants biologiques et adoptés, nés entre 1976 et 2005, déclarés par les pères et les mères et qui, l’année de leur naissance, avaient des parents en couple et pour qui la fin de l’union des parents n’est pas le fait du décès de l’un des parents.
Précision : résultats obtenus compte tenu des coefficients de pondération.
Source : Ined-Insee, Erfi-GGS1, 2005.
Notes de bas de page
1 Comme par exemple l’enquête Passage à l’âge adulte effectuée par Michel Bozon et Catherine Villeneuve-Gokalp à l’Ined en 1993, sur laquelle s’appuient en partie les travaux de Paul Archambault (2007).
2 En France, aucune cohorte d’enfants n’a encore été suivie sur une période suffisamment longue. Prévu à partir de 2010, le projet de cohorte Elfe-Grandir en France met sur pied la première véritable cohorte d’enfants française (http://www.elfe.ined.fr/). Les cohortes d’enfants les plus anciennes sont anglaises, elles ont vu le jour à la fin des années 1950. Au Canada, ce type d’enquêtes a permis d’effectuer une analyse des trajectoires des enfants beaucoup plus précise que celle du présent article (voir par exemple Marcil-Gratton, 1998).
3 Par exemple, les enquêtes effectuées par l’Ined en 1986 (enquête sur les Situations familiales, ESF) et en 1994 (enquête sur les Situations familiales et l’Emploi, ESFE) qui décrivent plus finement les trajectoires familiales des enfants grâce à des questions beaucoup plus précises que celles de la présente enquête.
4 Par exemple, une survie plus élevée, d’une part, des mères vivant toujours en couple avec le père de leurs enfants et, d’autre part, des pères séparés.
5 Afin de diminuer l’aléa dû à la faiblesse des effectifs, les pourcentages ont été lissés sur 3 âges consécutifs (pourcentages à 1 an et à 16 ans) ou sur cinq âges consécutifs. Seuls les pourcentages aux âges extrêmes (1 et 17 ans) n’ont pu être lissés.
6 Ces enfants n’ayant pas été inclus à l’origine dans le fichier « enfants » de l’enquête (qui ne comportait que les enfants de l’enquêté et de son conjoint, ainsi que les enfants placés), nous les avons réintégrés à partir du fichier « individus ».
7 Enquête sur les Ressources et les Conditions de Vie (Insee).
8 Présentation au séminaire de l’unité de recherche Fécondité, famille, sexualité : « Les enfants aujourd’hui », Ined, avril 2006 : « Les situations familiales des enfants aux différents âges ».
9 Étude de l’histoire familiale, Insee, 1999.
10 Calculs effectués à partir des données chiffrées de la figure 2.
11 Pour les ruptures au cours des dernières années précédant l’enquête, le lissage a été effectué en utilisant la moyenne de 7 générations (générations n - 3 à n + 3), puis celle de 5 générations (n - 2 à n +2) centrées sur la génération de référence (n), puis la moyenne de 4 générations (générations n-2 à n +1).
12 Les pourcentages de naissances hors couple sont respectivement de 12 %, 11 % et 14 %. Dans les cohortes les plus récentes, ces proportions sont plus fortes : pour les naissances de la période 2000-2004, 31 % des naissances de mères âgées de moins de 21 ans ne sont associées à aucune union et 21 % des naissances des mères ayant passé leur enfance à l’étranger.
13 Année de naissance, de début de vie en couple, de mariage éventuel et de rupture, nombre d’enfants du conjoint avant l’union, cause de la rupture (séparation ou décès).
14 Nous avons retenu le diplôme plutôt que la catégorie professionnelle du parent. Les deux variables sont fortement corrélées.
15 L’odds-ratio se calcule en faisant l’exponentiel du paramètre. Il donne le rapport des risques entre la situation de référence et celle qui ne fait varier que la modalité concernée. On parle de rapport de risque « toutes choses égales par ailleurs ».
16 Les modèles construits pour chaque cohorte : 1976-1985 et 1986-1995, ne sont pas présentés ici.
17 Au moins une fois par mois, en dehors des mariages, enterrements et baptêmes.
Auteurs
Maître de conférences en démographie, enseignant chercheur à l’université de Strasbourg et responsable du master de Démographie. Rattaché au Centre de recherches et d’études en sciences sociales (Cress) et chercheur associé à l’Ined, il travaille principalement sur les thématiques de la famille en France métropolitaine et dans les départements d’outre-mer. Ses recherches portent sur la fécondité et la démographie de l’enfance. Il participe également à la mise en place d’enquêtes, comme la cohorte Elfe « Grandir en France » (2010) ou l’enquête Migration-Famille-Vieillissement (MFV, 2009) qui concerne l’ensemble des départements d’outre-mer français.
Directrice de recherche à l’Ined, dans l’unité « Fécondité, famille, sexualité ». Ses domaines de recherche portent principalement sur l’évolution de la fécondité et des comportements familiaux en France et en Europe : formation des couples, ruptures d’unions, situations familiales des couples et des enfants, fécondité selon l’âge, le rang de naissance et la situation familiale des parents. Elle s’intéresse également à l’influence du droit, de la politique familiale et de la protection sociale sur les comportements familiaux. Enfin, elle effectue chaque année une analyse de la conjoncture démographique en France pour la revue Population, dont elle est co-rédactrice en chef.
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