Chapitre 4. Les séparations au fil des unions : répétition ou apprentissage ?
p. 113-141
Texte intégral
Introduction
1Depuis les années 1970 en Europe, divorces et remariages se sont multipliés. Les deuxièmes divorces ayant, eux aussi, suivi cette tendance, des questions sur la stabilité des deuxièmes mariages ont émergé. Ainsi, les deuxièmes mariages sont-ils aussi fréquemment rompus que les premiers ? À quoi peut-on attribuer les différences éventuelles ? Au niveau individuel, les personnes ayant rompu un premier mariage vivent-elles un deuxième mariage plus fragile ou, au contraire, plus solide que le premier ?
2En parallèle avec la perte de stabilité des unions, des types de vie de couple moins institutionnalisés se sont mis en place. En France, les unions libres, comme les naissances hors mariage, ont connu un essor. Aujourd’hui, les unions consensuelles ne peuvent plus être considérées comme un phénomène marginal ou une relation transitoire, puisqu’elles sont devenues le cadre d’une naissance sur deux (Pla, 2008). L’étude du premier mariage ne suffit donc plus pour dresser le tableau de la vie familiale et féconde en France : il devient nécessaire d’étudier les unions et leurs ruptures dans leurs différents statuts matrimoniaux et dans le contexte plus global de l’histoire conjugale vécue.
3Les premières et les deuxièmes unions se distinguent fortement, notamment par les comportements conjugaux et le moment où elles interviennent dans la trajectoire conjugale (Villeneuve-Gokalp, 1991). Puisque ces couples constituent l’éventuel terrain d’une rupture, l’étude de leur séparation passe par l’identification et la compréhension de leurs différences. Les recherches antérieures sur les séparations et les divorces, en France comme à l’étranger, posent plusieurs questions sur la stabilité des unions et sur ses déterminants. Alors que de nombreuses études s’intéressent aux divorces, seules quelques-unes concernent la stabilité des deuxièmes unions, tous statuts matrimoniaux confondus, et ont été menées dans des pays semblables (Poortman et Lyngstad, 2007 ; Steele et al., 2006).
4Le contexte des deuxièmes unions est souvent complexe, notamment dans le cas de familles recomposées (Martin, 1997). La présence ou l’existence d’enfants nés avant l’union, de l’individu ou de son conjoint, crée une différence substantielle dès la formation de l’union. Les unions dans lesquelles l’un des conjoints est déjà parent seraient plus fragiles. Erlangsen et Andersson (2001) ont montré que les enfants nés antérieurement à l’union courante produisent le même effet négatif sur la stabilité des unions de n’importe quel rang.
5Ils ont également montré que les enfants communs aux deux conjoints n’influent pas significativement sur le risque de séparation des deuxièmes unions, alors qu’ils l’abaissent significativement dans les premières. Il se peut alors que la signification en termes d’engagement d’une naissance commune ne soit pas équivalente, si l’un des conjoints a déjà un enfant ou non. Par exemple, lorsqu’un individu a déjà des enfants, avoir un premier enfant dans la deuxième union revient à avoir un enfant de plus. De même, s’il n’a pas encore d’enfants, la décision de procréer peut être influencée par les enfants éventuels du conjoint.
6En outre, la conception rencontre des contraintes différentes au sein d’un deuxième couple, plus tardif. Une part plus importante des couples est déjà inféconde lors de la formation d’une deuxième union (Beaujouan et Solaz, 2008). Dans ces circonstances, la stabilité des unions qui s’engagent pourra être moins tributaire d’une naissance. En parallèle, les personnes qui ne veulent pas d’enfants sont plus nombreuses en deuxième union. Il semble donc tout à fait possible que les liens entre les naissances communes et le risque de rupture ne soient pas les mêmes dans un premier et dans un deuxième couple.
7De même, les choix du statut conjugal – cohabitation ou mariage – peuvent varier avec la deuxième union. À la suite d’un divorce, l’institution matrimoniale perd de son attrait et, lorsqu’elles se remettent en couple, les femmes cohabitent plus longtemps et se remarient plus tard (Villeneuve-Gokalp, 1991). La désinstitutionalisation qui touche la recomposition familiale pourrait influencer les projets de mariage (Martin, 1997). Les milieux populaires et les femmes, plus soumis aux pressions financières, ont certainement une approche différente de l’importance du mariage dans les deuxièmes unions (de Singly, 2007).
8Les deuxièmes mariages ont très souvent été montrés comme plus instables que les premiers, du moins dans leurs premières années (Clarke et Wilson, 2001 ; McCarthy, 1978 ; Sweeney, 2002). L’absence de lois et de système normatif couvrant les deuxièmes mariages, qui a longtemps prévalu, est considérée par certains comme la cause d’une plus grande fragilité de ces unions (Cherlin et Furstenberg, 1994). Cependant, les processus normatifs et l’autorégulation à l’œuvre ont pu atténuer ces lacunes (Martin, 1997). Par ailleurs, des études ont attribué une moindre stabilité des deuxièmes mariages à la sélection d’une population particulièrement encline au divorce1 (Cherlin et Furstenberg, 1994). Le fait d’avoir déjà divorcé pour résoudre un problème de couple est également le signe que l’on est plus à même d’envisager ce type d’issue. La population disposée au divorce et aux unions répétées pourrait avoir des caractéristiques particulières. Par exemple, les personnes jeunes au début de la première union apparaissent comme plus « instables » (Villeneuve-Gokalp, 1991).
9L’étude des caractéristiques des deuxièmes unions peut être fortement enrichie par l’existence même des premières unions. Rappelons que si les individus étudiés en sont à leur deuxième union, ce n’est pas toujours le cas de leur conjoint. Les trajectoires conjugales antérieures pourraient très bien avoir un impact sur la stabilité des unions. Trouve-t-on dans l’expérience passée, par exemple dans la durée de la première union ou dans sa forme matrimoniale, un facteur de risque de rupture de la deuxième union ? Comment trajectoire conjugale passée et naissance d’enfants interagissent-elles pour expliquer le risque de deuxième rupture ?
10L’objectif de cette analyse est de répondre à ces questions sur la diversité des individus face aux ruptures. Certains facteurs, observés et inobservés, semblent synonymes d’un fort risque de rupture à la fois dans la première et dans la deuxième union. L’étude apporte des arguments sur l’existence éventuelle d’une population à fort risque de séparation et, par le biais de l’étude des deuxièmes unions, met au jour des comportements spécifiques selon le déroulement de la première union (enfants, statut matrimonial, durée). Elle pose la question de l’« apprentissage » apporté par la première union, et compare les risques de rupture d’une union à l’autre.
I. Les données et le modèle
1. Erfi, une enquête adaptée à l’analyse des biographies
a. Les trajectoires individuelles
11Réalisée dans une perspective d’étude des trajectoires individuelles, l’enquête Erfi apporte des données très adaptées au traitement de la question des ruptures au fil des unions. On demande notamment à l’ensemble des individus de décrire leurs unions successives. Par choix de l’enquête, les relations passées ne sont citées que lorsqu’elles ont fait l’objet d’une cohabitation d’au moins trois mois. Cependant, les unions en cours n’ont pas de durée minimum. Celles de moins de trois mois ont donc été exclues de l’analyse, afin de maintenir une définition uniforme pour toutes les unions.
12Par ailleurs, diverses corrections ont été apportées aux dates des trajectoires dans la base de données. Notamment, lorsque le mois n’était pas indiqué, il a été attribué suivant une répartition uniforme. Lorsque la saison, et non le mois était indiqué2, le mois du milieu de saison a été adopté. Si deux événements consécutifs avaient lieu la même année et que l’on devait réattribuer un mois pour l’un d’eux, nous avons été attentifs à ce que l’ordre des dates soit conservé. Par ailleurs, un net biais d’observation sur les unions des hommes a été détecté, rendant les données qui les concernent difficilement utilisables (voir encadré, p. 118). Par conséquent, seules les données sur les femmes ont été retenues pour cette analyse. En outre, puisque cette étude porte particulièrement sur les deuxièmes unions, il paraît plus adapté de s’intéresser à la population la plus à même de déclarer plus d’une union, à savoir les individus âgés de 25 à 79 ans.
13Dans l’échantillon, 4482 femmes âgées de 25 ans et plus ont vécu en couple. Parmi elles, 1429 ont rompu leur première union, 859 ont vécu une deuxième union et 135 une troisième. Le nombre d’observations et d’occurrences de l’événement « séparation » est suffisant pour permettre l’analyse biographique des ruptures d’unions par rang.
b. Les variables en rapport avec la rupture
14Toutes les caractéristiques des unions exposées en introduction sont intéressantes à étudier. S’y ajoutent le divorce des parents et l’origine sociale, profondément associés au comportement de séparation (de Graaf et Kalmijn, 2006), ainsi que la pratique religieuse et la nationalité (Kalmijn et al., 2005 ; Lehrer et Chiswick, 1993).
15Certaines caractéristiques figureront sous forme de variables dépendantes du temps. C’est le cas des événements matrimoniaux et des naissances, qui ont souvent lieu en cours d’union et sont fortement associés au risque de séparation. Sans cette astuce technique, seuls les événements ayant eu lieu avant le début de l’union pourraient être pris en compte comme facteurs de l’analyse (Allison, 1984).

16Le diagramme ci-dessous présente l’ensemble des variables répertoriées au sein d’Erfi, dont la relation avec les risques de séparation a été testée ou établie dans les travaux cités précédemment. Se détachent à la fois des variables démographiques, tels les statuts conjugaux, les naissances ou les durées entre deux événements, et des variables socioéconomiques, tels que la religion ou le statut professionnel du père.
17Pour des questions techniques, le niveau d’éducation n’a pas été retenu parmi les facteurs. En effet, le niveau relatif de cette variable, qui change à la fois avec l’âge de la personne et avec la période, est difficile à évaluer sur un très large spectre de cohorte. Le statut professionnel du père3 vient alors apporter un élément sur l’origine sociale.
2. Trois modèles d’analyse des données biographiques
18Afin d’évaluer les risques de séparation (hors décès du conjoint) selon la trajectoire individuelle, trois modèles d’estimation ont été mis en place. Ils décrivent le risque instantané de séparation sous la forme d’une fonction dépendante du temps hi(t), pour chaque individu i. Le logarithme du quotient instantané ln y(t), varie avec la durée selon une fonction linéaire par morceau. Les autres variables explicatives sont introduites selon le principe du modèle à risques proportionnels.
19Les modèles (1) et (2) étudient le risque de séparation au sein des premières et des deuxièmes unions respectivement. Le premier comprend l’ensemble des personnes qui ont vécu au moins une vie de couple. Le second porte sur les individus qui ont commencé une deuxième union, avec pour point de départ de l’observation la remise en couple. Remarquons qu’en longitudinal, les personnes qui vivent une deuxième union sont un sous-groupe de celles que l’on trouve en première union.
20L’équation s’écrit sous la forme :

21Sont incluses dans le modèle les variables de contexte individuel Xi et les variables décrivant chaque union j, Cij et Cij (t). Les caractéristiques de la relation antérieure et de l’intervalle entre les unions sont introduites dans le modèle des deuxièmes unions sous forme de variables synthétiques, appelées Zi. Le modèle (3) regroupe l’ensemble des unions des individus.
Encadré. Un biais déclaratif pour les secondes unions des hommes ?
La figure 1 représente les proportions de personnes non séparées à chaque durée d’union. Pour chaque cohorte de mise en couple, les graphiques permettent de comparer les ruptures de premières et de deuxièmes unions. Les effectifs sur lesquels sont basés les calculs pour les deuxièmes unions sont relativement faibles, mais suffisants dans les unions les plus récentes. Le graphique représentant les hommes affiche cependant une spécificité : les deuxièmes unions commencées entre 1985 et 1994 semblent plus stables que les premières. La situation reste inversée chez les femmes. Sommes-nous face à une réalité ou à un biais ?
Le tableau 1 montre, pour les personnes actuellement en couple, la proportion d’entre elles qui sont en première ou deuxième union par année de début de l’union. À nouveau dans les cohortes récentes (1985-1994), la répartition entre premières et deuxièmes unions diverge pour les hommes et les femmes.
Figure 1. Proportion des unions non rompues à chaque durée d’union (‰)

Source : Ined-Insee, Erfi-GGS1, 2005.
Tableau 1. Répartition des individus dans les premières et deuxièmes unions actuelles (en %, sans pondérations)

L’enquête Étude de l’histoire familiale (Insee, EHF, 1999) abordait la question de la sous-déclaration (ou biais de mémoire) dans ce sens : les enquêtés ont tendance à ne pas déclarer une partie de leurs unions. En outre, les personnes ne vivant pas en couple ont un taux de participation moindre (Mazuy, 2002). Il s’avère également que les déclarations sur l’histoire conjugale sont particulièrement sensibles à la présence d’un tiers pendant la passation du questionnaire (Régnier-Loilier, 2007). Plus précisément, des recherches sur les couples russes ont montré que la fécondité totale de l’individu est généralement bien restituée, mais que le découpage des unions serait mieux reporté par les hommes que par les femmes (Festy et Kortchagina, 2002). Les auteurs notent cependant qu’un biais de sondage courant affecte les résultats finaux sur les hommes : les hommes seuls sans enfant sont moins accessibles que les autres et généralement sous-représentés dans les échantillons, la fécondité des hommes et la proportion d’hommes en union au moment de l’enquête seraient donc légèrement surestimées.
Si l’on n’a pas atteint assez d’hommes seuls après la rupture de leur deuxième union, le taux de séparation des deuxièmes unions peut être sous-estimé. D’après le tableau, il est également possible que les hommes en deuxième union soient surreprésentés dans la cohorte d’unions 1985-1994, auquel cas, les taux de séparation des premières unions apparaissent comme trop importants et ceux de séparation des deuxièmes unions comme trop faibles par rapport aux premiers. À l’opposé, il est possible que, dans cette cohorte, les femmes aient sous-déclaré leur première union, donc elles sont sous-représentées en deuxième union et leur taux de séparation en première union est trop faible.
Est-il possible que les hommes vivent, dans les unions récentes, des deuxièmes relations plus stables que les premières ? Même si l’effet est amplifié par les biais exposés plus tôt, il ne semble pas paradoxal que les deuxièmes unions des hommes soient aujourd’hui plus longues que les premières. L’inversion pourrait également être l’effet d’une transition en cours : si les premières unions se sont beaucoup réduites récemment, les hommes en sont partis et en ont formé de nouvelles, et les deuxièmes unions se trouvent momentanément « gonflées ». Cependant, si le mouvement de réduction s’étend aux deuxièmes unions, le sens antérieur de la relation pourrait être rétabli. Le contraste avec les femmes est plus gênant, bien que démographiquement compréhensible, puisque les hommes forment plus souvent leur deuxième union avec des femmes en première union.
22L’équation s’écrit sous la forme :

23Le rang de l’union est introduit en tant que variable explicative, et l’on peut ainsi comparer les risques relatifs de séparation suivant le rang de l’union. Il s’agit d’un modèle à risques répétés, dans lequel les unions successives sont observées sur les mêmes individus. Nous introduisons alors dans le modèle un terme d’hétérogénéité non observée, afin de tenir compte du biais dû à la présence répétée des individus les plus instables dans le modèle (Aalen, 1988) : on introduit un effet fixe propre à chaque individu et constant d’une union à l’autre.
24Les variables explicatives sont introduites progressivement, et les résultats de ces modèles sont présentés dans les tableaux 1 et 2. La majeure partie des interactions exposées au fil de l’étude est estimée dans le cadre du modèle comprenant l’ensemble des variables explicatives et le terme d’hétérogénéité non observée.
II. Des facteurs de séparation communs aux deux unions ?
25La rupture intervient de façon différenciée dans les deux unions. Le poids des différents facteurs peut ainsi varier nettement d’une union à l’autre. L’intérêt est d’analyser les différences principales qu’ont les deuxièmes unions avec les premières et de voir en quoi ces différences influent sur le risque de séparation.
1. Une augmentation moins rapide du risque dans les deuxièmes unions
26Entre les unions formées avant 1960 et les plus récentes de l’échantillon, le risque de séparation a presque quadruplé (tableau C en annexe). Cette hausse résulte à la fois d’une diminution de la durée des unions et d’une hausse du nombre total d’unions rompues à terme. L’augmentation du risque avec le temps se décompose en plusieurs facteurs distincts. Elle passe par la multiplication des cohabitations, plus fragiles, et est présente, aussi bien dans les mariages que dans les cohabitations consensuelles (Prioux, 2005). Elle reflète l’évolution globale récente des comportements conjugaux, qui apparaît aussi bien dans la forme des unions que dans leur instabilité croissante, quel que soit leur statut. L’accélération du processus de séparation s’observe également dans les deuxièmes unions les plus récentes (tableau B en annexe).
27Pour compléter ces résultats sur l’évolution des risques de séparation, les risques sont comparés à chaque période de mise en couple pour les premières unions et les suivantes (tableau 2). Alors que les deuxièmes unions des années 1960 étaient rompues plus rapidement que les premières unions commencées dans la même période, dès les années 1970, les deuxièmes unions sont les plus stables.
Tableau 2. Risque relatif de séparation des unions de rang 2 et plus par rapport aux premières unions (%)

28Avec l’augmentation de la proportion de premières unions courtes dans les dernières décennies, il semble donc que la solidité relative après une remise en couple se soit accrue.
2. Âge à la mise en couple, âge à la remise en couple
29Lorsque l’on introduit dans le modèle 2e (tableau B en annexe) la durée de l’union précédente et l’intervalle entre les unions, on note que l’âge au début de la deuxième union, qui jusque-là était significativement corrélé à son risque de séparation pour les plus âgés, perd sa significativité au profit des deux variables introduites. Ce constat a également été vérifié en n’introduisant que la durée de l’union antérieure, ce qui signifie que, plus que l’âge au début de la deuxième relation, ce sont les caractéristiques de durée du couple précédent qui sont reliées à son risque de séparation.
30En outre, en remplaçant le contrôle de l’âge à la formation de la deuxième union, par celui de l’âge à la première mise en couple (tableau 3), le risque de séparation de la deuxième union est nettement plus important chez les personnes qui ont formé leur premier couple le plus tôt, à durée de première union et intervalle entre les unions fixes. Il semble donc qu’un âge assez jeune en début de vie conjugale, à durée de vie matrimoniale antérieure fixe, puisse être considéré comme un facteur d’instabilité en deuxième union, tout comme il l’est en première.
Tableau 3. Risque relatif de séparation par âge en début de première union

3. Un nouveau rapport entre naissances et ruptures dans la deuxième union
31Les premières unions qui aboutissent à la naissance d’enfants sont significativement plus stables que celles sans enfant (tableau 4). Le risque relatif de séparation conditionnel à la naissance d’un enfant est représenté dans les figures 2 et 3 à partir des coefficients évalués par les modèles et affichés respectivement dans les tableaux A et B en annexe. Le risque de séparation diminue tout de suite après la naissance d’un enfant en première union, mais augmente progressivement pour atteindre, cinq ans après, le risque de séparation d’une personne ayant les mêmes caractéristiques, mais sans enfant (figure 2). Ce résultat rejoint celui de Laurent Toulemon (1994) qui soulignait par ailleurs l’impossibilité de différencier l’effet « d’anticipation » de l’effet de « protection » : d’une part, ce peut être les couples les plus stables à l’origine qui ont des enfants, ce qui est assimilable à une sélection des personnes les moins versatiles dans le groupe avec enfants ; d’autre part, les couples sont moins portés à se séparer parce qu’ils ont un enfant commun et la naissance pourrait constituer une sorte de « nouveau départ ».
Tableau 4. Risque relatif de séparation, détail par rang d’union et enfants communs

Figure 2. Risque de rupture dans la première union par âge de l’enfant, relativement à une union sans enfant commun (risque = 1)

Contrôles : modèles 1, tableau A en annexe.
Lecture : à la naissance d’un premier enfant, une femme a deux fois moins de chances de se séparer qu’une personne qui n’a pas d’enfants à caractéristiques identiques, notamment à même durée d’union. Une personne qui a un enfant de 4 ans a autant de chances de se séparer qu’une personne sans enfant, toutes autres choses égales par ailleurs.
Source : Ined-Insee, Erfi-GGS1, 2005.
Figure 3. Risque de rupture dans la deuxième union par âge de l’enfant, relativement à une union sans enfant commun (risque = 1)

Contrôles : modèles 2 (tableau B en annexe). Lecture : cf. figure 2.
Source : Ined-Insee, Erfi-GGS1, 2005.
32Dans la deuxième union (figure 3), le risque de séparation est peu et non significativement abaissé lors de la naissance d’un premier enfant. Un deuxième enfant commun correspond durablement, en revanche, à un moindre risque de séparation. Cependant, ces résultats sont à interpréter avec précaution, en particulier l’effet observé pour la deuxième union (figure 3) dans la mesure où le « niveau de référence » n’est pas significatif.
4. Le risque de séparation dépend du statut matrimonial
33Les mêmes considérations se retrouvent en étudiant les mariages. En effet, les personnes qui restent en cohabitation sont un groupe plus instable par effet de sélection. En introduction, il a été émis l’hypothèse que, dans les deuxièmes unions, l’équilibre entre les risques de séparation des unions informelles et des mariages pouvait se modifier par rapport à celui de la première union. Si les mariages étaient plus souvent reportés ou évités en deuxième union, les personnes les plus stables resteraient plus longtemps en cohabitation libre, renforçant sa stabilité relative au mariage. Les résultats ne soutiennent pas notre hypothèse, le risque relatif de rupture du mariage par rapport à la cohabitation étant le même dans la première et la deuxième union (tableau 5). La répartition du gain de stabilité semble donc homogène selon le type d’union adopté4.
34Cela peut cependant refléter deux effets qui s’annulent. Temporiser le remariage pour assurer une union plus stable peut s’avérer une bonne stratégie, et alors un deuxième mariage pourra être plus solide qu’un premier, toutes choses égales par ailleurs. Mais, si en parallèle les unions de fait deviennent elles aussi plus stables du fait du report du mariage, leur gain en stabilité peut égaler celui des mariages.
Tableau 5. Le risque relatif de séparation par rang d’union et statut matrimonial

Autres contrôles : modèle 3, sauf enfant d’union antérieure lors du contrôle par la cohorte de naissance
Légende : ★★★ significatif à 1 % ; ★★ à 5 % ; ★ à 10 % ; - non significatif ; Réf. : situation de référence.
Source : Ined-Insee, Erfi-GGS1, 2005.
5. D’autres facteurs jouent différemment selon le rang de l’union
35Les femmes dont les parents ont divorcé avant leur vingtième anniversaire se séparent plus facilement dans leur première union, mais elles ne se séparent pas plus que les autres dans la deuxième union. Cette variable n’a pas été retenue pour le modèle 2, son introduction n’étant pas significative. Les enfants de divorcés se mettant en couple plus jeunes (Martin, 2007), des interactions avec l’âge à la mise en couple ont ainsi été testées, mais ne sont pas non plus significatives. Les filles de divorcés ne semblent donc pas vivre plus que les autres des séparations à répétition.
36La catégorie sociale d’origine, qui marque fortement les comportements de séparation dans les premières unions, est beaucoup moins reliée au risque de rupture des deuxièmes unions. Dans les premières unions, le risque de séparation augmente avec le statut professionnel du père. Les filles de cadres sont les plus susceptibles de connaître une rupture. Cependant, parmi celles qui forment une deuxième union, c’est uniquement lorsque le père exerce une profession intermédiaire que le risque de rupture se détache, en restant supérieur aux autres. Plusieurs phénomènes sont sous-jacents à cette différence sensible. D’une part, il est possible qu’il y ait un léger effet de période. Puisque les deuxièmes unions sont globalement plus récentes, cet effet reflète peut-être en partie la généralisation des ruptures à toutes les catégories sociales. Par ailleurs, il peut refléter le détachement de la catégorie socioprofessionnelle du père avec l’âge (puisque les femmes sont plus âgées lors de la deuxième union, elles ont pu accéder à des postes plus élevés et creuser les écarts avec la catégorie socioprofessionnelle de leur père). Cette évolution ne peut être estimée car la catégorie socioprofessionnelle de l’individu n’est connue qu’au moment de l’enquête.
37Il semble cependant qu’une fois en deuxième union, l’origine sociale influence beaucoup moins les comportements de séparation. Soit la séparation puis la remise en couple ont sélectionné des femmes qui ont un comportement de séparation spécifique pour chaque origine sociale ce qui, allié aux possibles évolutions décrites de la catégorie socioprofessionnelle, a résulté en un lissage ; soit c’est l’expérience même de la rupture qui a homogénéisé les comportements en deuxième union.
38Les résultats touchant au pays de naissance et à la pratique religieuse sont peu comparables par rang d’union : alors que les femmes de religion chrétienne, ayant une pratique même très faible5, ont bien moins souvent rompu leur première union que les femmes sans religion, dans les deuxièmes unions, la pratique religieuse n’influe pas sur le risque de séparation. La non-significativité des autres religions peut être due aux faibles effectifs présents dans l’échantillon. Nous restons prudents, car les personnes pratiquantes (ou non) au moment de l’enquête peuvent avoir changé de pratique, notamment au moment de la rupture. Par exemple, si la première rupture a fait s’éloigner de la religion une partie des pratiquants, le modèle peut sous-estimer le risque de séparation de première union des personnes de religion chrétienne. À l’inverse de la religion, le pays de naissance n’est pas significatif pour expliquer le risque de rupture d’une première union, mais il l’est en deuxième union. Cependant, les faibles effectifs d’étrangers en deuxième union ne permettent pas d’interpréter ce résultat.
39L’écart d’âge de la femme avec son conjoint conserve un effet proche dans les premières et secondes unions : un conjoint d’au moins deux ans plus âgé ou un conjoint plus jeune sont synonymes d’une union plus stable.
6. Vers des deuxièmes unions plus stables
40La figure 4 offre un panorama des risques de rupture comparés en première et deuxième union. Par l’introduction progressive des variables explicatives et d’un terme d’hétérogénéité non observée, elle récapitule à la fois les effets de structure et la sélectivité. Elle apporte un complément sur les variations des comportements au fil des unions exposées précédemment.
Figure 4. Risque de rupture dans les premières unions et dans les deuxièmes (basé sur modèle 3)

Lecture : Sans contrôle, le risque de séparation est 1,6 fois plus élevé dans les deuxièmes unions que dans les premières. En contrôlant par toutes les variables de base (les variables spécifiques à l’individu), l’âge à la première mise en couple et la cohorte de mise en couple, le risque relatif n’est plus significatif. En contrôlant par l’ensemble des variables, le risque de séparation est moins fort en deuxième qu’en première union. L’ajout d’un terme d’hétérogénéité non observé au modèle renforce encore la stabilité relative de la deuxième relation conjugale.
Source : Ined-Insee, Erfi-GGS1, 2005.
41Comme il apparaît nettement sur la figure 4, le risque de se séparer dans une deuxième union par rapport à une première varie sensiblement selon les contrôles que l’on a choisi d’introduire. Les deuxièmes unions deviennent plus stables que les premières après l’introduction de toutes les variables explicatives.
42Nettes de tout contrôle, les deuxièmes unions sont plus fragiles que les premières. En contrôlant par cohortes d’union, c’est-à-dire en comparant les premières et deuxièmes unions qui commencent à la même période, le risque relatif de séparation devient non significatif. Afin de contrôler le lien (mis au jour dans la partie précédente) entre la stabilité et l’âge lors de la première mise en couple, plutôt que par l’âge en début d’union, le contrôle se fait par l’âge en début de première union, afin d’éviter le biais inhérent à la comparaison de premières et deuxièmes unions d’un même âge.
43Les variables contextuelles socioéconomiques n’ont, seules, pas d’apport notable. En ajoutant au modèle la situation conjugale, les naissances pendant l’union et les enfants nés antérieurement à l’union, la relation s’inverse totalement. Dès lors, il semble qu’à structure familiale identique, les deuxièmes unions ont un risque de séparation plus faible que les premières relations qui leurs sont contemporaines.
44De l’ensemble des parcours conjugaux étudiées semble émerger une figure particulière, celle des femmes à tendance « instable ». En effet, le terme d’hétérogénéité non observée introduit dans le modèle est significatif. L’expression « instable » reflète le fait qu’elles se séparent davantage que les autres et vivent plusieurs unions plutôt courtes. Cependant, rappelons que la rupture n’est pas toujours voulue. Dans cette catégorie peuvent également se trouver des personnes à « mauvais caractère », qui choisissent mal leur conjoint, etc.
45Il est très intéressant de constater que l’inversion du risque relatif de séparation a lieu, même si l’on s’en tient à un contrôle structurel. La sélectivité, reflétée par un terme d’hétérogénéité non observée significatif, ne fait qu’amplifier cette inversion. En d’autres termes, le constat brut de deuxièmes unions moins solides que les premières est simplement dû à un effet de structure, mais toutes choses égales par ailleurs, les deuxièmes unions sont plus résistantes.
46Une remarque importante doit être faite sur le dernier contrôle introduit : en contrôlant par la présence d’enfants nés antérieurement à l’union étudiée, nous faisons disparaître l’une des grandes spécificités de la deuxième union par rapport à la première, c’est-à-dire toutes les chances d’avoir un passé fécond. En d’autres termes, ce contrôle fait comparer premières et deuxièmes unions avec des enfants antérieurs, ce qui n’est que très rarement le cas, notamment pour les premières unions. En outre, on peut s’attendre à ce que les femmes ayant déjà des enfants au début de leur première union, c’est-à-dire nés hors unions, aient des comportements de rupture spécifiques (Erlangsen et Andersson, 2001). Alors que ce contrôle apporte un complément explicatif indispensable lorsque l’on répond à la question de l’effet de structure, si l’on compare la stabilité des premières et deuxièmes unions, il faut s’arrêter au contrôle par le mariage et les enfants communs, affiné par le terme d’hétérogénéité non observée. Les enfants nés avant l’union ne seront introduits dans le modèle que dans le cadre d’interactions.
47Pour résumer, les premières et deuxièmes unions commencées à une même période ont des risques de séparation comparables, et si la structure de leurs naissances et mariages était identique, les deuxièmes relations seraient plus stables. Ce dernier traitement des événements conjugaux toutes choses égales par ailleurs est discutable, et explique que, par la suite, les ruptures des deuxièmes unions soient plus détaillées par rapport aux événements de la première union, de façon à mieux appréhender la difficulté de comparer premières et deuxièmes unions.
III. Les liens avec l’union antérieure
48Dans cette section, l’influence des événements propres à la deuxième union va être rediscutée en tenant compte des événements passés. En englobant l’ensemble des unions dans l’analyse, la relation entre l’existence éventuelle d’une union précédente et le risque de rupture est mieux décryptée.
1. L’importance du calendrier conjugal passé
49Il a été noté que le risque de rupture était élevé dans la deuxième union lorsque les femmes étaient jeunes lors de la première mise en couple. D’autres facteurs issus du calendrier conjugal peuvent compléter ce constat, comme la durée de la première union et le temps écoulé entre sa rupture et la remise en couple (tableau B en annexe).
50Une durée inter-unions courte, tout comme une durée longue, est corrélée à une stabilité plus grande de la deuxième relation. Un bref délai de remise en couple peut révéler aussi bien une « préférence » pour la vie familiale que le fait de déjà connaître son futur conjoint lors de la première rupture. Dans le premier cas, les femmes qui se remettent en couple le plus rapidement sont les plus attachées à la vie en couple, et sont également les moins promptes à quitter leur nouveau conjoint. Dans le second cas, la rupture est parfois provoquée par la rencontre même du conjoint, et le long processus de décisions qui en découle peut déboucher sur une relation plus sûre. Les personnes qui vivent des relations répétées peuvent cependant être nombreuses à former promptement une nouvelle union, atténuant le résultat de plus grande stabilité après une remise en couple rapide. Lorsque, au contraire, la deuxième union succède à une longue période de solitude, on peut faire l’hypothèse que la remise en couple a été mûrement réfléchie et ne s’est pas faite sans la « certitude » de la solidité du couple. Le temps de recherche peut alors éventuellement être assimilé à une meilleure qualité de la nouvelle union (Becker et al., 1977).
51Plus l’union antérieure est courte, plus le risque de séparation des deuxièmes relations est important. Si la maturité renforce la stabilité de la première union (South et Spitze, 1986), on peut proposer que l’expérience d’une première union longue renforce cette maturité et de fait la stabilité de la deuxième union. Le fort contraste lié à la longueur de la période de vie de couple précédente peut également refléter la plus grande rapidité de séparation de personnes à caractère « instable » dans les deux unions.
52Dans l’optique de décrire plus précisément le lien entre la trajectoire antérieure et le risque de séparation d’une relation, la question suivante a été reformulée : si elles ont commencé à une même période et à un même âge, les deuxièmes unions sont-elles plus ou moins solides que les premières ? Le tableau 6 résulte d’une interaction effectuée dans le modèle 3 (tableau C en annexe). Au lieu de contrôler par l’âge à la première mise en couple, nous avons contrôlé par l’âge à la formation de l’union étudiée, et avons conservé tous les autres contrôles. Le tableau représente de façon détaillée le risque de séparation d’unions sans expérience préalable, et d’unions faisant suite à une union courte ou une union longue.
Tableau 6. Risque relatif de séparation selon plusieurs durées de l’union antérieure

Contrôle par l’âge à la formation de l’union étudiée + contrôles modèle 3.
Légende : ★★★ : significatif à 1 % ; ★★ : à 5 % ; ★ : à 10 % ; - : non significatif ; Réf. : situation de référence.
Source : Ined-Insee, Erfi-GGS1, 2005.
53Une deuxième union qui suit une période de vie de couple d’un an ou moins6 est à peine significativement plus stable qu’une première union commencée à la même période et au même âge. La faible significativité perdure tant que l’union antérieure a duré moins de quatre ans. Il semble donc que les femmes ayant vécu une union antérieure très courte ne soient globalement pas dans une meilleure position que celles qui n’ont jamais vécu en couple, même sans tenir compte des personnes à relations répétées (puisque nous contrôlons l’hétérogénéité non observée). L’idée que l’expérience antérieure renforce une relation ne semble valide que lorsque cette première relation a duré assez longtemps. Lorsque l’union est précédée d’une période de vie de couple de quatre ans ou plus, son risque de séparation est significativement amoindri par rapport à une union sans expérience préalable, mais aussi par rapport aux autres deuxièmes unions7. Ainsi, une longue expérience préalable renforce nettement la stabilité de l’union par rapport à une union qui aurait les mêmes caractéristiques mais serait la première. Peut-être une durée minimale est-elle nécessaire à l’acquisition de capacités à gérer les relations de couple, transférables dans la deuxième union ? Ou alors, après un échec important, le processus de remise en couple et les précautions prises dans la sélection du conjoint, mènent-ils à une nouvelle relation plus construite et plus apte à durer ?
2. Les facteurs de risque de séparation d’une deuxième union
a. Enfants antérieurs, enfants communs : des effets contrastés
54Selon les modèles exposés dans les tableaux A et B en annexe, toutes choses égales par ailleurs, l’existence d’enfants nés antérieurement à une union augmente son risque de séparation. Dans les deuxièmes unions, il est à peu près le double par rapport aux relations sans enfants nés antérieurement. La stabilité du couple ne varie pas très significativement selon que les enfants nés avant l’union sont ceux de la mère ou du père (les beaux-enfants). Ce constat mériterait un approfondissement, notamment par l’étude des hommes et du lieu de résidence des enfants.
55Comme établie dans la partie précédente, sans se préoccuper qu’un enfant soit né ou non auparavant, la naissance d’un premier enfant en deuxième union apparaît comme peu déterminante du risque de rupture de cette union. Le tableau 7a aide à interpréter ce résultat, en détaillant l’influence d’enfants et de beaux-enfants déjà présents à la formation de la deuxième union.
56Lorsque des enfants sont déjà nés avant le début de la deuxième union, le risque de rupture n’est pas influencé par la naissance d’enfants. Sans enfants antérieurs, le lien est cependant significatif. Tout se passe comme si, dans une « famille recomposée », les comportements de rupture des femmes devenaient indépendants de nouvelles naissances.
57Dans les deuxièmes unions, la majorité des femmes ont déjà des enfants. C’est pourquoi la stabilité y est relativement indépendante du nombre d’enfants communs. Une partie des deuxièmes unions commençant après la fin de la vie féconde (un peu plus de 10 %), leur risque de rupture n’est pas non plus influencé par les naissances.
Tableau 7. Le risque relatif de séparation
a. Détail par enfants antérieurs et communs

Légende : ★★★ : significatif à 1 % ; ★★ : à 5 % ; ★ : à 10 % ; sans ★ : non significatif ; Réf. : situation de référence.
Source : Ined-Insee, Erfi-GGS1, 2005.
b. Détail par statut de l’union et naissances antérieures

Autres contrôles : modèle 3.
Légende : ★★★ significatif à 1 % ; ★★ à 5 % ; ★ à 10 % ; sans ★ : non significatif ; Réf. : situation de référence.
Source : Ined-Insee, Erfi-GGS1, 2005.
58L’effet de protection lié aux naissances peut être en partie remis en cause : non seulement quelque temps après la naissance, le risque de rupture n’est plus réduit par la présence d’enfants (partie 3), mais en plus dans les deuxièmes unions précédées d’enfants, les naissances n’ont pas d’effet. Par conséquent, il devient acceptable de dire que ce n’est pas l’enfant qui protège l’union de la séparation, mais que le choix d’avoir des enfants est plus fréquent dans les unions préalablement perçues comme stables. Ce constat s’inscrit dans la continuité de recherches récentes sur le sujet, qui remarquent une baisse de l’effet des enfants sur la stabilité et une augmentation de la sélection d’unions stables parmi les unions fécondes (de Graaf et Kalmijn, 2006).
b. Le statut matrimonial de la première union
59Le statut de la première union n’est pas significatif dans la description du risque de rupture de la deuxième union, même en interaction avec la durée. Pour cette raison, il n’a pas été introduit dans le modèle 2.
60Cependant, l’effet d’enfants antérieurs à l’union sur sa stabilité est différencié selon le statut matrimonial légal de la relation (tableau 7b). Les cohabitations restent moins solides que les mariages, que des enfants soient nés avant ou non. L’écart de stabilité entre cohabitation et mariage lié à la sélection dans le mariage (les mariages regroupent des personnes plus engagées à une même durée d’union) perdure donc même pour les personnes qui ont déjà des enfants. Deux effets paradoxaux peuvent intervenir : d’une part des personnes qui ont déjà des enfants vivent une relation plutôt stable sans se marier ni avoir d’enfants ; d’autre part les unions déstabilisées par la présence d’enfants antérieurs avant même un mariage sont sélectionnées dans cette catégorie et bien moins solides. Par contre, un mariage en deuxième union sans enfant antérieur est à la fois bien plus stable qu’un mariage en première union, et qu’un mariage en deuxième union comptant des enfants nés auparavant. Là encore, on peut parler d’une sélection de personnes qui n’ont pas encore eu d’enfants dans un mariage qui sera souvent fécond. Il semble donc que la perspective d’avoir des enfants ensemble soit stabilisatrice, en même temps que la présence d’enfants antérieur déstabilise. En deuxième union, la stabilité reste très liée à des enfants communs et au mariage, mais surtout lorsque les membres du couple n’ont pas encore eu d’enfants.
Conclusion
61L’objectif de départ était de donner un meilleur aperçu des conditions les plus déterminantes de la durée d’une union, en s’appuyant sur l’étude conjointe des unions de rangs différents en donnant des éléments de comparaison de la stabilité des premières et des deuxièmes unions et en établissant également, du point de vue individuel, les déterminants d’une plus grande (in)stabilité.
62Les facteurs observés et inobservés déterminent une forte propension à la séparation. La jeunesse à la première union, une mise en couple plus récente, et d’autres facteurs inobservés, traduits par la significativité du terme d’hétérogénéité non observée, sont indicatifs d’une plus forte tendance à des unions répétées. Par ailleurs, au cœur même de l’union, les naissances et le mariage semblent être le signe d’un plus grand engagement, et sont la marque d’unions plus stables. La première naissance d’une deuxième union n’abaisse cependant pas significativement le risque de séparation. La sélection des plus instables dans une deuxième union et la structure différente selon le rang de l’union expliquent la plus grande fragilité apparente des deuxièmes unions par rapport à l’ensemble des premières.
63Sur des durées longues entre la rupture et la remise en couple, l’hypothèse d’un effet positif du « temps de recherche » du conjoint sur la stabilité de l’union postérieure semble confirmée. Les unions antérieures courtes sont souvent le signe d’une deuxième union courte. Même sans tenir compte des personnes à risque de séparations répétées, les femmes qui ont vécu une première union courte ne semblent pas avantagées par leur expérience. Sans surprise, les risques de connaître une séparation sont plus élevés lorsqu’il y a déjà des enfants. Cependant, l’effet « protecteur » de l’enfant commun est remis en cause car le risque de séparation demeure inchangé après la naissance d’un premier enfant dans une famille recomposée. L’aspect légal de l’union antérieure n’a pas d’importance, mais en matière d’événements conjugaux, le statut matrimonial courant et les enfants communs définissent plus fortement la stabilité du deuxième couple lorsqu’il n’y a pas d’enfant à sa formation. Plus généralement, sur l’ensemble des unions, c’est la première union féconde qui semble la plus stable.
64La comparaison des premières et deuxièmes unions se heurte à leur forte dissemblance. Les âges auxquels elles sont contractées sont éloignés, et les circonstances dans lesquelles elles interviennent sont totalement différentes. N’oublions pas, par exemple, que les unions sont englobées dans une trajectoire de vie plus générale, et que leurs modifications se combinent à d’autres changements d’ordre professionnel, physiologique, relationnel. L’histoire conjugale a un impact sur la stabilité de la deuxième union, mais en parallèle, l’ensemble de la trajectoire conjugale semble dominé par les traits de caractère de l’individu. Il est donc difficile de déterminer si un gain de stabilité entre la première et la deuxième union peut être attribué à un effet d’apprentissage, ou s’il est lié à un état d’esprit des personnes, certaines étant plus disposées à rompre une union qui ne les satisfait pas. Par ailleurs, sans aucune connaissance des conditions de rupture et des partenaires antérieurs, par exemple de leurs tendances conjugales, aucun indice ne reste pour décider si l’union a été rompue du fait du répondant, ou si cela a été induit par le comportement du partenaire. La définition et l’identification de notre population à caractère « instable » peut, de fait, être remise en cause.
65Grâce au modèle d’unions répétées et au contrôle de la population davantage portée à connaître des ruptures, des effets ont été révélés, qui semblent diminuer le risque de séparation d’une deuxième union, notamment l’expérience et le report de la remise en couple, qui jouent fortement. Cependant, les enfants nés de l’union antérieure semblent constituer un réel obstacle au maintien d’une deuxième union, et il semble finalement que parmi les unions, la première union féconde soit la plus stable. Le processus de reconstruction après un premier échec, les attentes des femmes et leur investissement dans cette deuxième relation apporteraient des éléments supplémentaires pour l’étude de sa dissolution. Après la rupture, une partie des femmes vit plus volontiers une relation amoureuse stable non cohabitante prolongée qu’une remise en couple, particulièrement en présence d’enfants (voir le chapitre 3). Cependant, des raisons financières poussent assez souvent les couples à cohabiter, et les femmes issues des catégories socioprofessionnelles les moins favorisées se remettent le plus rapidement en couple. Les facteurs socioéconomiques qui accélèrent la formation d’un nouveau couple peuvent-ils également être associés aux risques de deuxième séparation ?
66Cette étude s’est orientée autour des femmes, mais il serait enrichissant de comparer ces résultats à ceux obtenus pour les hommes. Par exemple, stabilité et apprentissage pourraient revêtir des formes différentes par genre. En outre, les conséquences de la séparation diffèrent pour les pères et pour les mères (de Singly, 2007). Les femmes se trouvent plus souvent dans des situations de pauvreté, et ont généralement la garde de leurs enfants. Les pères connaissent-ils alors les mêmes difficultés dans leur nouveau couple que les mères ? Nous pouvons également nous demander si l’effet du premier enfant dans une famille recomposée est inchangé chez les hommes, comme il l’est chez les femmes.
Bibliographie
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Références bibliographiques
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Annexe
Annexes
Tableau A. La séparation des premières unions (pentes et risques relatifs)


Lecture : un risque relatif supérieur à 1 (resp. inférieur à 1), statistiquement significatif indique que l’on est en présence d’un facteur qui accroît (resp. décroît) le risque de séparation. Les pentes ne sont pas directement interprétables sans graphique.
Légende : ★★★ significatif à 1 % ; ★★ à 5 % ; ★ à 10 % ; sans ★ : non significatif ; Réf. : situation de référence.
Source : Ined-Insee, Erfi-GGS1, 2005.
Tableau B. Séparation des deuxièmes unions (pentes et risques relatifs)

Lecture : Un risque relatif supérieur à 1 (resp. inférieur à 1), statistiquement significatif indique que l’on est en présence d’un facteur qui accroît (resp. décroît) le risque de séparation.
Légende : ★★★ : significatif à 1 % ; ★★ : à 5 % ; ★ : à 10 % ; sans ★ : non significatif ; Réf. : situation de référence.
Source : Ined-Insee, Erfi-GGS1, 2005.
Tableau C. Le risque relatif de séparation sur l’ensemble des unions

Lecture : Un risque relatif supérieur à 1 (resp. inférieur à 1), statistiquement significatif indique que l’on est en présence d’un facteur qui accroît (resp. décroît) le risque de séparation.
Légende : ★★★ : significatif à 1 % ; ★★ : à 5 % ; ★ : à 10 % ; sans ★ : non significatif ; – : non évalué par le modèle ; Réf. : situation de référence.
Source : Ined – Insee, Erfi – GGS1, 2005.
Notes de bas de page
1 Enclin au divorce, ou « instable », sera utilisé indifféremment au cours de ce chapitre pour désigner le dissolution prone anglo-saxon. Le terme « instable » ne porte pas de jugement de valeur, il est repris de Festy et Valetas par Catherine Villeneuve-Gokalp en 1991. Il désigne notamment les personnes qui vivent des unions répétées et/ou courtes, en incluant par exemple les plus enclines à rompre une union qui ne les satisfait pas.
2 Lorsque la personne interrogée ne se souvenait plus du mois d’un événement, l’enquêteur lui demandait alors d’essayer de se souvenir de la saison.
3 Cette variable est composée très largement de données sur la profession du père, et lorsque celle-ci n’était pas renseignée, sur la profession de la mère.
4 Nous contrôlons par l’âge au début de la première union. Par conséquent, un effet d’âge entre aussi en considération dans cette évolution. Cependant, nous préférons ici ne pas comparer des premières et deuxièmes unions qui commencent au même âge.
5 La personne assiste à des services religieux, hors baptêmes, mariages, etc., au moins une fois par an.
6 En prenant un an comme « durée frontière », l’introduction de la durée décomposée de la première union n’améliore pas nettement le modèle, test du khi2 à 1 degré de liberté avec pour valeur de départ ln L = 12 4429,1. En outre, l’indicateur correspondant à une première union courte n’est significatif qu’à 5-10 % .
7 Test significatif à 5 %.
Auteur
Chercheuse en démographie au Centre for Population Change (University of Southampton). Elle a réalisé sa thèse sur les « trajectoires conjugales et fécondes des hommes et des femmes après une rupture en France » sous la direction de France Prioux (Ined-Université Paris-I Panthéon-Sorbonne). Ses recherches actuelles portent sur les évolutions passées de la fécondité au Royaume-Uni. Elle poursuit également ses travaux sur les déterminants de la séparation et de la remise en couple et sur la fécondité tardive.
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