Chapitre 16. L’évolution du recours à une aide domestique rémunérée
p. 403-423
Texte intégral
Introduction
1Le travail domestique rémunéré constitue l’un des principaux piliers des services à la personne. Ceux-ci bénéficient d’une politique de soutien importante depuis le début des années 1990. Mais ce type de politiques a pris une nouvelle ampleur lors de la mise en œuvre du Plan de développement des Services à la personne (dit « plan Borloo ») en 2005. Les dispositifs de solvabilisation de la demande, principalement sur la base d’exonérations fiscales et de cotisations sociales, ont été sensiblement renforcés pour atteindre plus de 6 milliards d’euros par an (Kergueris, 2010 ; Cour des comptes, 2014), auxquels on peut ajouter environ 5 milliards d’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et de prestation compensatrice du handicap (PCH) adressée spécifiquement au financement des services d’aides à domicile1 (donc en dehors des fonds alloués aux personnes hébergées en établissement). Ce soutien apporté aux services à domicile n’a pas été remis en cause depuis 2005, en dépit de débats récurrents lors de chaque nouvelle loi de finances ou de financement de la sécurité sociale.
2L’évaluation de ces mesures est complexe et leurs résultats ont donné lieu à des polémiques nombreuses. Deux questions principales ont été au centre de ces désaccords : le nombre d’emplois créés, d’une part, et la concentration ou non des aides sur les ménages les plus aisés, d’autre part. Si la communication gouvernementale et celle de l’Agence nationale des services à la personne (ANSP) ont défendu l’idée d’une forte création d’emplois, d’autres auteurs ont au contraire souligné la faiblesse du nombre d’emplois créés mesuré en équivalent temps plein (Lemoine, 2008 ; Jany-Catrice, 2009)2. La question de l’évolution de la demande de services à domicile a fait l’objet d’un nombre plus réduit d’études (Marbot, 2009 ; Benoteau et Goin, 2014). Cette dimension est cependant essentielle pour comprendre et analyser les politiques de soutien aux services à la personne. En effet, l’engagement public est financièrement conséquent et la question de sa légitimité peut être posée dans un contexte d’austérité budgétaire. Mieux identifier les demandeurs de ces services et les logiques qui expliquent l’externalisation des tâches ménagères est donc important.
3Pour étudier cette question, plusieurs sources peuvent être mobilisées et notamment les enquêtes Budget des familles et Emploi du temps de l’Insee qui, l’une et l’autre, interrogent les ménages sur ce point. Enfin, les données fiscales (présentes dans l’enquête sur les Revenus fiscaux et sociaux) permettent également d’identifier les ménages qui déclarent à l’administration des dépenses pour l’emploi d’un salarié à domicile (Benoteau et Gouin, 2014). Mais ces dispositifs permettent plus difficilement d’étudier les modifications éventuelles des comportements des ménages du fait de l’absence d’une dimension longitudinale (en dehors de la constitution de pseudo-panels). C’est précisément ce que nous souhaitons explorer grâce aux trois vagues de l’enquête Érfi. Celles-ci, réalisées en 2005, 2008 et 2011 (chapitre 1) présentent certaines limites, mais offrent aussi une opportunité unique d’analyser de manière originale les évolutions de la demande. En effet, si la question « votre ménage paie-t-il quelqu’un régulièrement pour s’occuper de la maison ? » ne permet pas d’embrasser l’ensemble des services à la personne, elle permet néanmoins de mesurer les principaux services concernés (entretien du logement et aide à domicile3), qui représentent plus de 80 % de l’ensemble des services à la personne (Ould Younes, 2013) et qui concentrent par ailleurs les principaux enjeux en termes d’emploi et d’inégalité. Surtout, même si ce dispositif offre un échantillon plus réduit que les données fiscales, il permet d’observer explicitement les évolutions de la demande sur une période particulièrement stratégique de six ans pour un ensemble de ménages donné. L’année 2005 correspond en effet au lancement du plan Borloo et l’analyse des évolutions ultérieures peut aider à en mesurer les effets. Certes, seule la première vague d’Érfi (2005) peut être considérée comme représentative de la population française et les comparaisons entre les différentes vagues doivent être réalisées avec prudence, mais le fait de pouvoir observer des modifications de comportements est une opportunité particulièrement intéressante, d’autant que l’enquête contient des variables spécifiques sur l’organisation au sein des couples ou relatives aux opinions déclarées qui permettent ainsi de tester des hypothèses plus originales. L’objectif de ce chapitre est donc d’abord de revenir sur les principaux déterminants de la demande en 2005 puis, dans un second temps, d’exploiter la dimension longitudinale de l’enquête en se concentrant sur les ménages ayant modifié leurs comportements entre 2005 et 2011, soit en commençant à recourir à des services domestiques, soit en cessant cette forme d’externalisation des tâches.
I. Qui recourt à une aide domestique rémunérée ?
1. Principaux facteurs associés et principales hypothèses
4Les déterminants du recours à une aide domestique rémunérée ont fait l’objet d’analyses dans une pluralité de contextes nationaux, notamment en Australie (Baxter et al., 2009), aux États-Unis (Bianchi et al., 2000) ou aux Pays-Bas (De Ruijter et al., 2005 par exemple). Les résultats sont largement convergents et trois familles d’hypothèses explicatives peuvent être distinguées :
La première (H1) souligne le rôle des charges domestiques auxquelles les ménages doivent faire face : enfants (notamment en bas âge), nombre de pièces du logement, temps de travail professionnel. Ces déterminants peuvent être aussi reliés à la capacité à assumer soi-même ces tâches, notamment en fonction de l’état de santé ou du sentiment de fatigue ressentie. Cette première hypothèse est celle qui est le plus souvent mise en avant par les acteurs (notamment l’ANSP en France). Les utilisateurs s’appuient également, en premier lieu, sur cet argument (Devetter et al., 2010 ; Molinier, 2009).
La deuxième explication met en avant le poids des facteurs culturels et des rapports de force au sein du couple (H2). Une conception traditionnelle du rôle des femmes et de la dimension « féminine » de certaines tâches domestiques rendrait l’externalisation plus délicate tandis que des opinions plus libérales seraient au contraire un facteur favorable (Baxter et al.,
2009). De même, une position plus forte de la femme dans la négociation potentielle avec son conjoint serait associée à une propension plus élevée d’externalisation des tâches domestiques (Marbot, 2009). Le niveau de diplôme, la part du revenu apporté par la femme ou encore le rapport entre les temps de travail féminin et masculin seraient ainsi des facteurs significatifs (De Ruijter et al., 2005).La troisième insiste sur le rôle des inégalités (H3) et renvoie non plus aux caractéristiques propres du ménage mais plus largement à celles de la société dans laquelle la relation se déroule. Dans ce cadre, l’hypothèse est alors que le dynamisme du secteur est tiré par la croissance des écarts de rémunérations entre les ménages externalisant leurs tâches domestiques et les salariés effectuant ces travaux (employés de maison, femmes de ménages, aides à domicile, etc.). L’externalisation des tâches domestiques répond à un arbitrage permettant une allocation optimale du temps entre une pluralité d’activités possibles. Le niveau du revenu et l’existence d’un revenu issu du patrimoine sont alors les variables les plus déterminantes (Baxter et al., 2009).
5Si les deux premières explications sont largement compatibles avec le principe d’une démocratisation de la demande, celle-ci est plus complexe à envisager dans le cas de l’hypothèse H3, les inégalités de rémunérations étant alors nécessaires à l’existence d’une demande pour ces services (Milkman et al., 1998 ; Anderson, 2000 ; Romero, 2002). Cette problématique a été traitée dans les pays anglo-saxons, mais très peu de travaux ont été réalisés sur des données françaises. Claire Marbot (2009) a pu produire des analyses très intéressantes sur le recours à des services sensiblement plus divers que la seule externalisation des tâches domestiques (incluant notamment des services de garde d’enfants ou encore du soutien scolaire). Les données de l’enquête Érfi permettent, pour leur part, de vérifier la plupart des hypothèses présentées précédemment en se focalisant sur l’externalisation des tâches domestiques. Au-delà de l’analyse descriptive, l’effet net de chacune des variables est évalué en modélisant (à partir d’une régression logistique) la probabilité de recourir à une aide domestique en 2005 (versus ne pas y recourir) (tableau 1).
2. Un comportement minoritaire dépendant d’abord de l’âge et du revenu
6En 2005, le taux de recours à l’externalisation des tâches domestiques concerne moins d’un ménage sur dix (soit 973 répondants au sein d’un échantillon de 10 079 ménages). Deux facteurs, l’âge et le revenu, apparaissent particulièrement déterminants quelle que soit la sous-population étudiée.
7La demande est en effet d’abord très fortement liée à l’âge des individus et les taux de recours varient ainsi considérablement : moins de 8 % pour les ménages dont le répondant à 60 ans ou moins contre plus de 13 % pour les 61-75 ans et 29 % pour les plus de 75 ans. Cet écart s’explique d’abord par la perte d’autonomie liée à l’âge, mais également par l’existence de dispositifs de solvabilisation de la demande plus importants pour les personnes âgées. Il s’agit principalement de l’APA, mise en place en 2001, qui permet aux départements de financer des services d’aides à domicile en cas de perte d’autonomie avérée. Cette allocation est par ailleurs soumise à un ticket modérateur croissant avec le revenu (90 % à partir de 2945 € en 2014), le montant versé est ainsi d’autant plus élevé que les ménages disposent de faibles revenus. L’existence de ce dispositif, mais aussi les résultats de la régression logistique portant sur l’ensemble de la population (tableau 1, modèle 1), nous incitent à mener par la suite des analyses séparées sur ces deux populations : les ménages d’âge actif (dont le répondant a 60 ans ou moins), d’une part, et ceux dont le répondant a plus de 60 ans d’autre part.
Tableau 1. Probabilité (paramètres ß) de recourir à une aide domestique rémunérée en 2005 (modèle logit)

Champ : cf. en-tête de chaque colonne. Lecture : un paramètre ß positif (resp. négatif) et statistiquement significatif (voir légende) indique que l’on est en présence d’un facteur qui augmente (resp. diminue) la propension à recourir à une aide domestique rémunérée, toutes choses égales par ailleurs. Plus la valeur de ce paramètre s’éloigne de 0 et plus l’impact de ce facteur est important. Légende : Réf. = situation de référence ; ★ = significatif à 10 % ; ★★ = à 5 % ; ★★★ = à 1 %, sans ★ = non significatif.
Source : Érfi-GGS1, Ined-Insee, 2005.
8Le revenu agit de manière encore plus marquée que l’âge (figure 1) : globalement le taux de recours à ce type de services est inférieur à un ménage sur 10 en-deçà de 3000 € de revenus mensuels, 13-14 % pour ceux disposant de 3000 € à moins de 5000 €, et supérieur à 40 % pour les plus hauts revenus (5000 € mensuels net ou davantage, soit les 7 % des ménages les plus riches de l’enquête). Derrière ces deux facteurs, on retrouve donc les deux grandes justifications de l’externalisation des tâches domestiques : l’âge est lié à la capacité à faire soi-même et renvoie à l’explication H1 tandis que l’impact du revenu s’inscrit davantage dans l’hypothèse H3 (un niveau de vie élevé permet de se décharger de tâches peu génératrices de satisfaction).
Figure 1. Taux de recours à une aide domestique rémunérée, du revenu mensuel, par âge

Champ : ensemble des répondants. Lecture : en 2005, 4 % des ménages dont le répondant a 60 ans ou moins et dont le revenu mensuel net est inférieur à 1 000 € recourent à une aide domestique rémunérée.
Source : Érfi-CGS1, Ined-Insee, 2005.
9Le poids de ces deux facteurs – les probabilités de recours sont très élevées tant pour les personnes âgées (quel que soit leur revenu) que pour les ménages les plus fortunés (quels que soient leur âge et leur état de santé) – ne doit pas faire oublier l’existence d’autres variables jouant un rôle certes plus faible mais loin d’être marginal. L’impact de ces variables dépend cependant des populations étudiées.
10Dans le cas des ménages âgés (tableau 1, modèle 3), l’état de santé déclaré apparaît, en termes d’intensité, juste après l’âge et le revenu. Au contraire, le diplôme, les caractéristiques du logement ou encore l’existence de revenus tirés du patrimoine ne modifient que faiblement la probabilité de recourir à des services domestiques. Il est également intéressant de remarquer que contrairement à ce qui est observé pour les ménages plus jeunes (tableau 1, modèle 2), le fait d’habiter la région parisienne n’est pas significatif. À nouveau, le rôle redistributif (au niveau territorial cette fois) de l’APA peut être à l’origine de ce résultat. Les mécanismes de tarifications mis en œuvre au niveau des conseils généraux en faveur des associations autorisées ont également un impact probable (Devetter et al., 2014). L’accès aux services de maintien à domicile en zone rurale est en effet permis grâce aux financements d’associations régulées par les conseils généraux et la demande qui leur est adressée est largement solvabilisée par l’APA. Les services adressés aux ménages plus jeunes bénéficient au contraire d’exonérations fiscales importantes (Carbonnier, 2010) qui ne permettent, en 2005, que de soutenir les ménages imposables (la transformation de la réduction d’impôt en crédit d’impôt en 2007 modifie cependant légèrement cette situation4). L’offre issue des entreprises à but lucratif se concentre ainsi fortement dans les zones très urbanisées (les coûts, principalement de déplacement, y étant plus faibles) et abritant des populations aux revenus élevés (Paris, Lyon et Nice sont ainsi des « marchés » particulièrement développés).
11Pour ces ménages d’âge actif, le revenu joue un rôle bien plus marqué tandis que les variables liées au patrimoine (être propriétaire de son logement et taille de celui-ci) ou au statut professionnel (temps de travail, diplôme) accroissent la probabilité du recours de manière plus nette que pour les personnes âgées. Le constat est inversé en ce qui concerne l’influence de l’état de santé. L’analyse économétrique, en neutralisant l’effet du revenu, permet ainsi de souligner la contribution propre du temps de travail comme de la taille du logement, qui sont également des indicateurs de charges domestiques, tout comme la présence d’enfants.
12Ainsi, les variables évaluant les « besoins » jouent un rôle positif, mais secondaire. La consommation apparaît d’abord comme un service réservé aux ménages les plus aisés et cela en dépit des aides publiques accordées. De même, la réponse à la question d’opinion « Dans quelle mesure êtes-vous d’accord ou pas d’accord avec la phrase : “Lorsque l’emploi est en crise, les hommes devraient être prioritaires sur les femmes pour obtenir un emploi” ? » n’est que faiblement significative : les réponses « égalitaires » (réponses « pas d’accord » et « plutôt pas d’accord ») sont associées à un recours à une aide domestique rémunérée légèrement plus fréquent.
13Enfin, lorsque l’on s’intéresse aux seuls ménages dont le répondant à plus de 60 ans et vit en couple, plusieurs éléments complémentaires apparaissent :
La situation matrimoniale légale joue un rôle significatif. L’externalisation des tâches domestiques est plus fréquente pour les couples mariés par rapport aux couples non mariés ;
L’effet du temps de travail des conjoints et du niveau de diplôme est confirmé : les formations universitaires sont clairement associées à un recours bien plus fréquent. Cependant, la variable « revenu » intégrée dans le modèle reste une variable « en tranches » (regroupant par exemple l’ensemble des revenus de 3000 à 5000 €) et un effet résiduel, c’est-à-dire, un effet lié aux différences de revenu à l’intérieur d’une tranche donnée, pourrait être ainsi capté par le niveau de formation. Le poids du niveau de formation demeure par ailleurs sensiblement plus faible que celui du niveau de vie ;
Les variables liées à la position respective des conjoints (part du revenu apportée par la femme) ou encore au degré de satisfaction vis-à-vis du partage des tâches domestiques ne sont pas significatives. Ainsi, nous ne retrouvons pas les résultats obtenus par Claire Marbot (2009) sur le lien positif entre la part des revenus féminins et le recours à des services à la personne. Ceci peut s’expliquer par la différence de délimitation des services étudiés et notamment l’intégration, dans l’étude de Claire Marbot, de certains modes de gardes (au domicile des parents), le revenu féminin jouant pour ces services un rôle bien plus crucial que pour les seuls travaux d’entretien5.
II. Quels changements entre 2005 et 2011 ?
14Les vagues 2 et 3 de l’enquête Érfi (2008 et 2011) ne sont pas représentatives de ces années-là6. Il est donc difficile de comparer les taux de recours et les facteurs expliquant les variations de ce recours entre 2005 et 2011. On ne peut notamment répondre de manière nette à la question d’une éventuelle démocratisation de la demande, bien que cet enjeu soit essentiel, comme en témoignent par exemple les prises de position de la Fédération des entreprises de services à la personne (Wyman, 2012). En effet, la diffusion de la demande au sein des ménages moins aisés a explicitement été recherchée par les politiques publiques mises en œuvre à partir de 2005 et de nombreux discours tendent à accréditer l’idée d’une croissance très forte des services à domicile. Tout en restant prudent sur l’usage des données, les vagues successives de l’enquête permettent néanmoins de relativiser cette idée : la hausse du taux de recours semble davantage liée au vieillissement de l’échantillon qu’à une meilleure diffusion de la demande auprès de catégories moins aisées, comme le confirme l’étude spécifique du groupe des nouveaux demandeurs. La dimension longitudinale de l’enquête permet enfin de souligner le rôle de certains évènements dans la décision d‘externaliser les tâches domestiques.
1. Peut-on repérer une croissance de la demande ?
15Si l’enquête Érfi n’est pas représentative de l’ensemble de la population française en 2008 ou 2011, empêchant de mesurer l’évolution du taux de recours entre 2005 et 2011, il est en revanche possible d’évaluer l’évolution du taux de recours au sein d’un groupe donné. Ainsi, au sein de l’échantillon des répondants ayant pris part aux trois vagues, le taux de recours progresse sensiblement, passant de 10 % en 2005 à 12 % en 2008 et 14 % en 2011. Cette hausse d’environ 4 points en six ans (soit près de 40 %) peut apparaître considérable puisqu’elle correspond à une croissance annuelle supérieure à 5 %.
16Mais ce dynamisme ne s’observe pas de manière identique selon la tranche d’âge auquel appartient le répondant (figure 2). Le taux de recours est ainsi faiblement croissant pour les ménages dont le répondant a 60 ans ou moins en 2005, tandis qu’il croît de manière très rapide pour les plus âgés.
Figure 2. Évolution de la demande entre 2005 et 2011 selon l’âge du répondant en 2005 (vague 1)

Champ : ensemble des répondants aux trois vagues de l’enquête. Lecture : en 2005, 5 % des ménages dont le répondant a entre 18 et 40 ans en 2005 recourent à une aide domestique rémunérée.
Source : Érfi-GGS123, Ined-Insee, 2005-2008-2011.
17La très forte stabilité du taux de recours (aux alentours de 10 %) pour les ménages d’âge actif (60 ans et moins) tranche ainsi avec les discours prédisant une croissance rapide de la demande de services à la personne (Debonneuil, 2006 ; 2008, par exemple). À l’inverse, la population âgée de plus de 70 ans en 2005 voit son taux de recours croître de 19 points entre 2005 et 2011 (passant de 24 % à 43 %). Il est cependant difficile ici de distinguer l’effet dû au vieillissement propre des personnes (puisqu’il s’agit de la catégorie pour laquelle la limite supérieure est glissante : 79 ans en 2005 et 85 ans en 2011) d’une hausse éventuelle liée à une meilleure diffusion de l’Allocation personnelle d’autonomie par exemple.
18L’analyse statistique sur des catégories d’âges plus fines montre cependant à la fois une stagnation globale à âge constant et une croissance très forte avec l’âge au sein de la population âgée.
19Ainsi, comme le montre le tableau 2, les taux de recours à âge donné augmentent très faiblement entre les trois vagues de l’enquête. À l’inverse, les ménages appartenant aux nouveaux groupes des plus de 79 ans (en 2008) et des plus de 82 ans en 2011 bénéficient à plus de 45 % de services à domicile. Ces résultats sont tout à fait cohérents avec les données d’autres travaux sur le sujet (Bérardier et Clément, 2011).
Tableau 2. Taux de recours selon l’âge du répondant à la date de l’enquête (en %)

Champ : ensemble des répondants aux trois vagues de l’enquête. Lecture : en 2005, 8 % des ménages dont le répondant a 60 ans ou moins recourent à une aide domestique rémunérée, ce taux est de 9 % pour les répondants ayant 60 ans ou moins en 2008.
Source : Érfi-GGS123, Ined-Insee, 2005-2008-2011.
20Au final, à structure d’âges inchangée, le recours à une aide domestique rémunérée serait relativement constant, autour de 10 %. La croissance attendue du secteur des services à la personne ne pourrait alors s’appuyer que sur le vieillissement de la population. Les mesures visant les ménages plus jeunes auraient au contraire des effets négligeables. L’enquête Érfi permet d’aller au-delà de ce constat. Elle montre notamment que si le taux de recours est relativement constant chez les ménages d’âge actif, une rotation non négligeable s’observe : d’une édition à l’autre de l’enquête, certains ménages cessent tout recours tandis que d’autres commencent à consommer ce type de services. Pour la suite, nous cherchons à repérer plus précisément les caractéristiques de ces nouveaux demandeurs.
2. Des changements de situation assez fréquents
21En 2005, 10 % des ménages recouraient à une aide domestique rémunérée. Sur cette population, 36 % sont sortis du dispositif d’enquête en 2011 (soit environ 4 % de l’ensemble des ménages), 44 % sont restés demandeurs (soit 4 % de l’ensemble) et 21 % (soit 2 % de l’ensemble) ont cessé d’y recourir. En n’étudiant que les ménages ayant répondu aux trois vagues de l’enquête (et donc en neutralisant les modifications de l’échantillon), on observe ainsi des changements de comportements très fréquents : un tiers des demandeurs en 2005 (encore présents dans l’enquête en 2011) ne le sont plus en 2011 tandis que la moitié des demandeurs en 2011 ne l’était pas en 2005.
22Il est ainsi possible de reclasser les ménages en quatre catégories (sur la base des répondants aux vagues 1 et 3) :
groupe 1 (appelé dans le texte les « permanents ») : ménages recourant à ces services en 2005 et en 2011 (n = 435, soit 8 %) ;
groupe 2 : ménages recourant à ces services en 2005 mais cessant d’y recourir entre 2005 et 2011 (n = 191, soit 3 %) ;
groupe 3 (appelé « commençant » par la suite) : ménages ne recourant pas à ces services en 2005, mais y recourant en 2011 (n = 418, soit 7 %) ;
groupe 4 : ménages ne recourant à ces services lors d’aucune des trois éditions (n = 4 737, soit 82 %)7.
23Il serait intéressant de caractériser les personnes ayant commencé à externaliser les tâches domestiques tout comme celles ayant cessé de les externaliser. Toutefois, compte tenu de l’effectif réduit du groupe 2, nous nous concentrons pour la suite sur les nouveaux demandeurs (groupe 3).
24Le groupe 3 (les ménages commençant à recourir à une aide payante entre 2005 et 2011) se compose de deux sous-groupes sensiblement différents. Logiquement, on y retrouve d’abord des ménages âgés qui entrent dans un processus de perte d’autonomie durant la période de l’enquête. Ainsi, les plus de 60 ans en 2005 représentent 44 % de ces nouveaux demandeurs contre moins de 20 % de l’ensemble de l’échantillon. Pour cette catégorie, le facteur dominant correspond à l’état de santé déclaré : une dégradation de la santé est fortement associée au recours à une aide à domicile. Au sein des ménages dont le répondant a plus de 60 ans, 26 % des ménages du groupe 3 voient leur état de santé se dégrader contre 21 % de l’ensemble des ménages âgés.
25L’identification des facteurs associés au fait de commencer à recourir à une aide domestique rémunérée, pour les ménages au sein desquels le répondant a 60 ans ou moins, est plus complexe mais également plus intéressante, notamment car ce sont eux qui ont été la cible des politiques de soutien aux services à la personne depuis 2005.
26Au sein de cette catégorie d’âge, presque 5 % de la population commence à recourir à des services entre 2005 et 2011. Or si ce groupe est assez éloigné de ceux qui recourent déjà à ces services en 2005 (groupe 2), ses caractéristiques socioéconomiques s’en rapprochent nettement en 2011. Ces transformations s’observent principalement sur trois dimensions :
la situation matrimoniale et familiale ;
le niveau de revenu et la perception de revenus du patrimoine ;
la taille et le statut d’occupation du logement.
27Le groupe « commençant » (groupe 3) se caractérise d’abord par une moyenne d’âge plus faible qu’au sein du groupe « permanent » (groupe 1) (en 2005 : 39 ans pour les femmes et 41 ans pour les hommes contre respectivement 45 et 46 ans). Les personnes seules et surtout les couples non mariés sont plus fréquents en 2005 (comparativement au groupe « permanent ») mais l’écart se réduit sensiblement en 2011 (figure 3). À l’inverse, les couples cessant le recours à des services domestiques (groupe 2) se distinguent par une fréquence bien plus élevée de séparations : la part des couples mariés était de 50 % en 2005 et n’est plus que de 43 % en 2011 (traduisant des divorces) alors qu’elle passe de 54 % à 65 % pour le groupe des nouveaux demandeurs.
Figure 3. Situation matrimoniale en 2005 et 2011 selon que l’on recourt ou non à une aide

Champ : ensemble des répondants 60 ans ou moins en 2005 ayant répondu aux trois vagues de l’enquête. Lecture : parmi les ménages des répondants de 60 ans ou moins en 2005, 76 % qui externalisent les tâches domestiques en 2005 et en 2011 étaient mariés en 2005 et 75 % en 2011.
Source : Érfi-GGS123, Ined-Insee, 2005-2008-2011.
28De même, si pour les nouveaux utilisateurs (comparativement aux autres ménages) le nombre d’enfants est plus faible en 2005, ils connaissent, en revanche, l’arrivée d’un nouvel enfant de manière bien plus fréquente : en première vague, 36 % des utilisateurs de services domestiques en 2005 et 2011 n’ont pas d’enfant contre 51 % des « commençants » en 2005, mais ce n’est plus le cas que de 43 % d’entre eux en vague 3. Plus de 20 % des ménages de 60 ans ou moins commençant à recourir à une aide domestique ont connu l’arrivée d’un enfant entre 2005 et 2011 (contre environ 12 % de l’ensemble des ménages de cette tranche d’âges).
29La seconde dimension intéressante est celle du niveau de revenu et de l’existence de revenus du patrimoine. À nouveau, le groupe « commençant » se distingue nettement du groupe « permanent » en 2005 : les revenus perçus sont sensiblement plus faibles tandis qu’ils sont bien moins nombreux à percevoir des revenus du patrimoine. Les nouveaux utilisateurs sont donc bien issus de catégories aux revenus plus faibles en 2005 (ils sont notamment bien plus jeunes).
30Leur situation économique se modifie néanmoins sensiblement entre les deux enquêtes et leurs caractéristiques en 2011 se rapprochent nettement de celles des autres utilisateurs de services à domicile. Ainsi, le revenu moyen mensuel par ménage du groupe « permanent » stagne (passant de 5050 € en 2005 à 5154 € en 2011) tandis que celui des nouveaux utilisateurs croît de près de 500 € dans le même temps (passant de 3480 € à 3960 €, soit un gain de 13,5 %). L’effet est bien plus visible pour les seuls ménages dont le répondant a 60 ans ou moins en 2011 : passage de 5736 € à 5708 € (soit une quasi-stabilité) pour le groupe « permanent » contre 4089 € à 4720 € (soit un gain de 13,5 %) pour les nouveaux utilisateurs. Entre les deux éditions de l’enquête, la répartition des nouveaux utilisateurs par tranche de revenus se rapproche de celle des ménages recourant à des services domestiques de manière permanente (figure 4). Les nouveaux utilisateurs demeurent cependant sensiblement moins riches, en moyenne, que les utilisateurs précédents (et continuant à l’être). L’analyse des médianes confirme ces constats : stagnation à 4850 € pour les utilisateurs « permanents » et croissance nette pour les nouveaux utilisateurs (passage de 3550 € à 4200 €), mais pour des niveaux de richesse qui demeurent sensiblement plus faibles. Pour autant, la concentration de la demande au sein des ménages les plus riches n’est pas remise en cause : les ménages disposant de plus de 5000 € mensuels regroupent 52 % des ménages « permanents » et 36 % des nouveaux consommateurs (figure 4).
Figure 4. Répartition par tranches de revenus en 2005 et 2011 selon que l’on recourt ou non à une aide

Champ : ensemble des répondants de 60 ans ou moins en 2005 ayant répondu aux trois vagues de l’enquête. Lecture : parmi les ménages dont le répondant a 60 ans ou moins en 2005, 44 % des ménages qui externalisent les tâches domestiques en 2005 et en 2011 déclarent un revenu mensuel supérieur à 5 000 € en 2005 et 53 % en 2011.
Source : Érfi-GGS123, Ined-Insee, 2005-2008-2011.
31Cependant, plus encore qu’en termes de revenus, la modification du comportement et des caractéristiques entre 2005 et 2011 des ménages du groupe 3 (ménages commençant à externaliser entre les deux vagues de l’enquête) s’observe de manière très nette en matière de perception de revenus du patrimoine. Alors qu’ils n’étaient que 24 % lors de la vague 1 (contre 33 % pour le groupe des utilisateurs permanents), ce taux atteint 40 % en 2011 (contre 38 % pour les utilisateurs permanents). À nouveau, comme pour l’analyse statique des facteurs influençant le recours à une aide domestique rémunérée, le rôle des variables liées au niveau de richesse est particulièrement déterminant. Ce constat va à l’encontre des discours en faveur d’une « démocratisation » des services à la personne. Certes, les nouveaux utilisateurs apparaissent, de prime abord, moins riches que les plus anciens, mais leurs caractéristiques socioéconomiques s’en rapprochent très fortement et l’écart peut s’interpréter comme lié au décalage en termes d’âge.
32Un constat similaire peut être fait à partir des variables relatives au logement. Si plus de 85 % des utilisateurs permanents sont propriétaires en 2005 comme en 2011, c’est le cas de 62 % des nouveaux utilisateurs en 2005 mais de 77 % d’entre eux en 2011. La situation des ménages cessant le recours est symétrique (80 % en 2005 mais plus que 64 % en 2011). Ces modifications en matière de statut d’occupation se retrouvent au niveau de la taille du logement. Les logements de 6 pièces et plus concernent ainsi 40 % des utilisateurs permanents en 2005 contre 46 % des ménages cessant le recours et 22 % de ceux le commençant à y recourir. En 2011, les proportions sont respectivement de 41 %, 27 % et 28 %. La part des grands logements a gagné 7 points pour les nouveaux utilisateurs et perdu 19 points pour ceux qui ont cessé le recours (figure 5). Au sein des ménages de 60 ans ou moins en 2005, les nouveaux demandeurs disposent d’un logement plus grand, en 2011 qu’en 2005, dans 36 % des cas contre 26 % en moyenne. Ainsi, les ménages qui commencent à externaliser les tâches domestiques sont bien plus souvent que les autres concernés par un changement de logement et plus encore une accession à la propriété.
Figure 5. Taille du logement en 2005 et 2011 selon que l’on recourt ou non à une aide

Champ : ensemble des répondants de 60 ans ou moins en 2005 ayant répondu aux trois vagues de l’enquête. Lecture : parmi les ménages dont le répondant a 60 ans ou moins 2005, 40 % des ménages qui externalisent les tâches domestiques en 2005 et en 2011, disposent d’un logement de 6 pièces ou plus en 2005 et 44 % en 2011.
Source : Érfi-GGS123, Ined-Insee, 2005-2008-2011.
3. Quels évènements déclenchent la demande ?
33La description des différents groupes peut être complétée par une analyse économétrique afin de mieux caractériser les ménages ayant commencé à externaliser les tâches domestiques après 2005 en les comparant à ceux qui ne recouraient pas à ces services en 2005 et qui n’y recourent toujours pas en 2011. Il s’agit donc désormais de se concentrer sur les variables spécifiquement longitudinales. Quatre évènements potentiellement explicatifs sont testés :
l’existence de nouvelles charges : arrivée d’un enfant, agrandissement du logement ;
l’amélioration du revenu (croissance du revenu et apparition de revenus du patrimoine) ;
l’augmentation du temps de travail ;
la dégradation de la santé.
34Les variables d’âge et de revenu en 2005, ainsi que le sexe du répondant, sont conservées également dans le modèle. La régression est d’abord réalisée pour l’ensemble des ménages dont le répondant a 60 ans ou moins en 2005, puis pour les seuls couples qui ne se sont pas séparés entre 2005 et 2011. Une variable supplémentaire est ajoutée dans ce cadre, à savoir le degré d’insatisfaction vis-à-vis du partage des tâches en 2005. L’hypothèse d’un lien entre cette insatisfaction et l’externalisation des tâches domestiques peut en effet s’appuyer sur les déclarations des employeurs de femmes de ménage interrogés au cours d’entretiens semi-directifs. Le rôle « pacificateur » de l’externalisation est ainsi fréquemment noté (Hontarrede, 2009 ; Devetter et al. 2010).
35Ce second modèle de régression (tableau 3) permet de mettre en évidence l’effet net de quatre facteurs, toutes choses égales par ailleurs : l’arrivée d’un enfant, l’apparition de revenus du patrimoine, la dégradation de l’état de santé et l’insatisfaction initiale vis-à-vis du partage des tâches domestiques apparaissent corrélées au fait de commencer à externaliser les tâches domestiques. En revanche, l’augmentation du revenu ou du temps de travail ne sont pas significatifs. En effet, pour la variable liée au revenu, si la hausse est sensiblement plus élevée pour les nouveaux utilisateurs (voir supra), elle n’est pas plus fréquente qu’au sein de l’ensemble des ménages ne recourant pas à ces services en 2005. Ces résultats sur la dynamique de la demande sont ainsi cohérents avec les analyses effectuées précédemment sur les données statiques. Elles confirment que la demande d’externalisation relève de trois logiques complémentaires et/ou interdépendantes : l’existence d’un niveau de vie élevé est la première. Cette consommation demeure une consommation de luxe : en 2011, 59 % des utilisateurs appartiennent aux 25 % des ménages disposant des plus hauts revenus. C’est cependant le cas de 63 % des ménages recourant à ces services avant 2005 et de 55 % des nouveaux consommateurs, ce qui pourrait indiquer une tendance en faveur d’une diffusion de l’externalisation vers des ménages un peu moins aisés (mais la comparaison entre un « stock » d’utilisateurs et un « flux » de nouveaux consommateurs reste néanmoins fragile)8. C’est également à une croissance des charges domestiques (notamment liées à l’arrivée d’un enfant) et à une insatisfaction de la répartition des tâches entre conjoints que la décision d’externaliser l’entretien du logement cherche à répondre ; ces deux derniers facteurs pouvant par ailleurs être liés (Régnier-Loilier et Hiron, 2010).
Tableau 3. Probabilité (paramètres ß) de commencer à recourir à une aide domestique rémunérée entre 2005 et 2011 versus ne pas y recourir (modèle logit)

Champ : répondants aux trois vagues de l’enquête âgés de 60 ans ou moins en 2005. Lecture : un paramètre ß positif (resp. négatif) et statistiquement significatif (voir légende) indique que l’on est en présence d’un facteur qui augmente (resp. diminue) la probabilité de commencer à recourir à une aide domestique rémunérée, toutes choses égales par ailleurs. Plus la valeur de ce paramètre s’éloigne de 0 et plus l’impact de ce facteur est important. Légende : Réf. = situation de référence ; ★ = significatif à 10 % ; ★★ = à 5 % ; ★★★ = à 1 %, sans ★ = non significatif.
Source : Érfi-GGS123, Ined-Insee, 2005-2008-2011.
Conclusion
36Cette étude demeure incomplète mais les résultats présentés ici permettent d’apporter de nouveaux éléments de réponse à la question des facteurs associés au recours à une aide domestique rémunérée, en précisant notamment les éléments déclencheurs de la demande. Les analyses sur les déterminants de la demande à partir des données de la vague 1 de l’enquête confirment d’abord les enseignements des travaux similaires réalisés dans d’autres contextes nationaux. Le recours à une aide domestique rémunérée obéit à deux logiques distinctes : si elle répond aux besoins liés à la perte d’autonomie pour les personnes âgées, elle demeure une consommation de luxe concentrée sur les ménages les plus aisés dans le cas des individus plus jeunes. Les variables liées aux charges domestiques jouent ainsi un rôle significatif, mais bien moins intense que les variables liées aux revenus.
37Le caractère longitudinal de l’enquête permet ensuite de souligner que, pour un échantillon donné, la croissance de la demande adressée aux services d’entretien du domicile est bien plus faible que ce que certains discours ont pu défendre9. Le dynamisme de cette demande est porté quasiment exclusivement par le vieillissement de la population. Mais la dimension longitudinale permet d’enrichir ces observations en soulignant le rôle d’évènements particuliers comme l’arrivée d’un enfant, la dégradation de l’état de santé ou l’apparition de revenus supplémentaires issus du patrimoine. Au final, ces analyses permettent de montrer que les nouveaux demandeurs se distinguent assez peu des anciens et, qu’en ce sens, la diffusion de la demande au sein de catégories sociales moins aisées semble assez faible, même s’il convient de noter que les nouveaux utilisateurs semblent moins riches (et surtout plus jeunes) que l’ensemble des ménages recourant à ces services de manière permanente.
38Enfin, l’enquête ouvre des pistes très riches pour analyser les impacts d’un recours à une aide domestique rémunérée sur l’organisation des tâches au sein des couples. Ces services sont présentés comme favorables à une plus grande égalité entre hommes et femmes. Or, peu de travaux ont cherché à valider ou infirmer cette hypothèse. Les rares enquêtes qualitatives ont souligné les effets faibles et souvent contradictoires de l’externalisation des tâches domestiques sur le partage des tâches au sein du couple (Devetter et al., 2010), mais les données du dispositif Érfi permettent d’aller plus loin en étudiant les évolutions au cours des six années séparant les vagues 1 et 3. Le rôle de « pacification » des relations conjugales attribué à l’externalisation semble ainsi confirmé, mais il conviendrait de mieux mesurer l’impact du recours à des services domestiques sur la situation des hommes et des femmes.
Bibliographie
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Références bibliographiques
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Annexe
Annexe
Tableau A. Caractéristiques des répondants selon le type de recours aux services domestiques (%)

Champ : ensemble des répondants aux trois vagues de l’enquête.
Source : Érfi-GGS123, Ined-Insee, 2005- 2008-2011.
Notes de bas de page
1 Si le champ des services à la personne fait l’objet d’une définition assez précise par décret et regroupe ainsi 23 activités spécifiques (Ould Younes, 2010), la délimitation des financements publics dont bénéficie le secteur est beaucoup plus débattue (Cour des comptes, 2014). Nous intégrons ici les mesures qui permettent de financer directement les interventions à domicile (exonérations fiscales et sociales, APA à domicile et PCH à domicile).
2 La mesure de l’emploi dans ce secteur est très délicate pour au moins deux raisons principales : l’omniprésence des temps partiels (avec des durées hebdomadaires moyennes de l’ordre de 26 heures pour les aides à domicile et 18,5 heures pour les employées de maison selon l’enquête Conditions de travail 2013), et l’importance des situations de multi-employeurs qui créent de nombreux « doublons » potentiels lorsque les salariés sont décomptés.
3 La question permet sans hésitation d’intégrer l’ensemble des services ménagers. En revanche, seuls les services d’aide à domicile comprenant une part d’activités ménagères sont concernés, contrairement aux interventions n’impliquant que la personne âgée elle-même. On distingue ainsi les « aides à la vie quotidienne » des « aides aux actes essentiels ». Une enquête récente auprès de 1855 usagers souligne que seuls 6 % des usagers n’étaient pas concernés par les « aides à la vie quotidienne ». L’aide à domicile peut donc raisonnablement être incluse dans l’analyse.
4 En 2007, la réduction d’impôt a été transformée en crédit d’impôt pour les foyers actifs. Ces foyers bénéficient donc d’un remboursement si leur impôt dû est inférieur à 50 % des dépenses engagées pour l’emploi d’un salarié à domicile dans la limite du plafond annuel de 12 000 €. Pour une présentation complète des dispositifs réglementaires et de leur évolution, voir Benoteau et Gouin (2014).
5 Cette différence de résultats peut également provenir des méthodes mobilisées : le constat de Claire Marbot ne reposant pas sur une régression « toutes choses égales par ailleurs ».
6 Les vagues 2 et 3 sont rendues représentatives de la population observée lors de la première vague (2005) et le champ d’âge évolue d’une vague à l’autre (de 18-79 ans en 2005 à 24-85 ans en 2011). Pour plus de précisions sur ce point, voir chapitre 1. En ce qui concerne les ménages recourant à des services domestiques, l’échantillon comporte 973 ménages en 2005, 832 en 2008 et 853 en 2011.
7 Une description de certaines des caractéristiques de ces quatre groupes est proposée en annexe, tableau A.
8 Benoteau et Goin (2014) montrent, à partir de l’enquête Budget des familles, que les deux derniers déciles concentrent 39,2 % des ménages utilisateurs (tous âges confondus) tant en 2005 qu’en 2011, mais avec une légère croissance de la part du 9e décile par rapport au 10e.
9 Il convient de noter également qu’un effet volume par utilisateur pourrait également apparaître. Les données disponibles dans l’enquête Érfi ne permettent pas de vérifier cette hypothèse.
Auteur
Maître de conférences en sciences économiques à l’université de Lille et Telecom Lille. Il est directeur adjoint du Centre lillois d’études et de recherche en sociologie et économie (CLERSE-UMR 8019). Il travaille sur l’organisation des temps de travail et sur la socioéconomie des emplois non qualifiés, notamment au sein du secteur des services à la personne. Il anime actuellement un programme de recherche (ANR Jeune chercheur) sur la qualité des emplois dans les activités de nettoyage.
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