Chapitre 10. L’effet du chômage sur la réalisation des projets de fécondité
p. 261-283
Texte intégral
Introduction
1En France, comme dans la plupart des pays européens, l’entrée en parentalité dépend d’un ensemble de conditions préalables. Outre la stabilité conjugale, il importe d’avoir terminé ses études et, plus encore, que l’un des deux conjoints au moins dispose d’une situation professionnelle stable, garantissant les ressources nécessaires (logement, revenu fixe) pour constituer une famille (Régnier-Loilier et Solaz, 2010).
2La montée de l’incertitude économique est, depuis les années 1970, apparue comme un facteur essentiel du report de l’âge à la première naissance et de la diminution de la fécondité en Europe (Blossfeld et al., 2005 ; Adsera 2005 ; 2011 ; Sobotka et al., 2011), l’autre facteur déterminant étant les changements de normes et de valeurs sociétales, avec notamment un individualisme plus répandu, une plus grande importance accordée à la réalisation personnelle par le travail, et une émancipation notable des femmes (Lesthaeghe, 1983). Dans un contexte de chômage élevé, les jeunes peuvent être amenés à rester dans le système scolaire et à reporter leur mise en couple et l’entrée en parentalité. La baisse des revenus individuels due à une situation de chômage augmente aussi le coût relatif des enfants et peut conduire à diminuer la fécondité (Becker, 1981). L’instabilité économique peut également indirectement jouer sur les naissances en modifiant l’entrée en union, en raison notamment de la moindre « attractivité » des hommes à faible revenu ou dont la position professionnelle est instable (Oppenheimer, 1994). Inversement, deux facteurs peuvent jouer en faveur des naissances. D’une part, le coût d’opportunité des enfants – le revenu auquel un parent doit renoncer pour s’occuper de l’enfant – est plus bas pour les chômeurs ; d’autre part, avoir des enfants peut être, pour ceux ayant peu de prise sur leur situation économique, une stratégie pour réduire l’incertitude, la sphère privée paraissant, dès lors, plus sécurisante que la sphère professionnelle (Friedman et al., 1994). Ainsi, lorsque la situation professionnelle ou le contexte économique sont incertains, devenir parent peut être un moyen de se donner un sentiment de réussite dans un domaine. Cette explication vaut particulièrement dans des contextes où la fécondité est valorisée, ou lorsque les contraintes du travail sont en contradiction avec la formation de la famille, en raison notamment d’une offre de modes de garde insuffisante.
3La crise économique que traversent la plupart des pays européens a suscité un regain d’intérêt pour la question du lien entre contexte économique et fécondité (Kreyenfeld et al., 2012 ; Pailhé, 2010). La forte poussée du chômage et le développement de la précarité de l’emploi chez les jeunes en cours d’insertion sur le marché du travail ont vraisemblablement modifié les comportements des ménages en matière de fécondité. La majorité des pays européens ont ainsi connu une baisse importante de la fécondité, tant dans les pays les plus affectés par la crise tels que l’Espagne1, que dans ceux qui le sont moins, comme le Danemark ou la Norvège (WIC, 2012).
4Avec une fécondité élevée, la France se distingue de nombreux pays européens. On a d’abord pensé que la fécondité française était insensible à la crise économique (Pison, 2011). En effet, malgré la crise et la montée rapide du chômage (annexe 1, figure A), la fécondité de notre pays a continué à progresser jusqu’en 2010 et a même atteint en moyenne 2 enfants par femme (annexe 1, figure B). À partir de 2011, la tendance s’est inversée : parallèlement au durcissement de la crise, avec notamment la progression du chômage des jeunes et son installation dans la durée, le nombre de naissances et l’indicateur conjoncturel de fécondité ont connu une légère diminution, mais ce dernier reste à un niveau élevé (1,98 en 2014).
5Ces évolutions observées au niveau macro offrent peu d’éléments pour analyser les relations entre contexte économique et fécondité. Non seulement les relevés de l’état civil sur lesquels s’appuie le calcul de l’indicateur conjoncturel de fécondité ne contiennent pas d’informations fiables sur la situation professionnelle, mais ils ne permettent pas non plus de distinguer précisément le rang de naissance. On ne peut donc pas savoir si les premières naissances, ou les suivantes, se maintiennent dans le contexte de crise. En outre, ces données ne permettent pas d’étudier si les hommes et les femmes désirant un enfant ont été amenés à renoncer, ajourner ou maintenir leur projet de fécondité.
6Les analyses menées au niveau micro ont montré qu’en France l’instabilité économique conduisait à un ajournement des premières naissances (Meron et Widmer, 2002 ; Pailhé et Solaz, 2012). Cependant, s’appuyant sur des calendriers rétrospectifs, ces travaux étudient les comportements de fécondité de cohortes anciennes et donnent peu d’éclairage sur les conséquences du contexte économique récent. Laurent Toulemon et Maria-Rita Testa (2005) montrent quant à eux, à partir de données prospectives, qu’être au chômage en 1998 réduit les chances de réaliser ses intentions de fécondité cinq ans plus tard. L’effet est surtout marqué pour le premier enfant. L’arrivée du deuxième enfant répond généralement à d’autres logiques, guidées en particulier par des préoccupations liées à l’espacement entre les naissances (Pailhé et Solaz, 2011 ; 2012).
7Ce chapitre porte sur les modifications des comportements des individus en matière de fécondité dans le contexte récent d’incertitude économique. Les données longitudinales de l’enquête Érfi (2005, 2008 et 2011) permettent en effet d’analyser comment l’expérience du chômage affecte la réalisation des intentions de fécondité des hommes et des femmes. Nous posons l’hypothèse que l’expérience du chômage a pu modifier les projets de fécondité des hommes et des femmes, la précarité les conduisant à reconsidérer leurs intentions initiales en reportant la décision d’avoir un enfant, voire en renonçant à leur projet.
I. Données et méthode
1. Les informations présentes dans l’enquête
8Seules des données longitudinales sur une période relativement longue permettent de confronter les intentions de fécondité à leur réalisation en les reliant à la trajectoire professionnelle des personnes. Pour ce faire, nous nous appuyons sur les trois vagues de l’enquête Érfi, offrant une fenêtre d’observation de six années (2005-2011).
9En plus d’un ensemble d’informations décrivant le répondant (sexe, âge, situation conjugale, nombre d’enfants, situation d’activité, etc.), les données de la première vague renseignent sur les intentions de fécondité de la personne interrogée, à partir de trois questions :
« Nous allons maintenant parler de vos intentions de fécondité. Vous-même, voudriez-vous avoir d’autres enfants, maintenant ou plus tard (en plus de celui que vous attendez) ? Oui/Non, mais peut-être plus tard/Non, ni maintenant ni plus tard/Ne sait pas » ;
suivie, le cas échéant (si « Oui », « Non, mais peut-être plus tard » ou « Ne sait pas » à la question précédente), de « Souhaitez-vous avoir un enfant dans les trois années à venir ? Non/Non probablement pas/Oui probablement/Oui/Ne sait pas » ;
suivie, le cas échéant (si « Non », « Non probablement pas » ou « Ne sait pas »), de « Supposons que vous n’ayez pas d’ (autre) enfant dans les trois années à venir. Comptez-vous tout de même adopter ou avoir un enfant plus tard ? Non/Non probablement pas/Oui probablement/Oui/Ne sait pas ».
10À partir des réponses données à ces trois questions, un indicateur a été construit en 7 postes, selon la même règle que celle retenue dans le chapitre 9. Nous en rappelons les modalités. Soit la personne a l’intention d’avoir un enfant…
« dans les trois ans » (réponse « oui » à la deuxième question) ;
« probablement dans les trois ans » (réponse « oui probablement » à la deuxième question) ;
« plus tard » (réponse « oui » à la troisième question) ;
« probablement plus tard » (réponse « oui probablement » à la troisième question) ;
« non probablement pas plus » (réponse « non probablement pas » à la troisième question) ;
« non jamais » (réponse « non, ni maintenant ni plus tard » à la première question ou « non » à la troisième question) ;
« ne sait pas » (réponse « ne sait pas » à la troisième question).
11Les deuxième et troisième vagues permettent d’observer si le répondant a eu ou non un enfant depuis la première vague. Si un enfant est né, sa date de naissance (mois et année) est connue. Par ailleurs, ces deux vagues fournissent une information précise sur la trajectoire professionnelle du répondant depuis son 16e anniversaire2. Chaque changement de situation (entre études, activité salariée ou indépendante, chômage, inactivité, retraite, maladie, congés parentaux ou de maternité) est enregistré et daté au mois près3, dès lors que la situation a duré au moins trois mois4. Pour les quelques répondants (345) ayant pris part à la troisième vague (2011) sans avoir participé à la deuxième (2008), la rétrospective des situations d’activité ne porte que sur les changements ayant eu lieu depuis la première vague d’enquête (2005), ce qui n’est guère problématique dans notre cas puisque nous limitons notre observation à la période 2005-2011.
2. Le champ de l’étude
12Notre approche étant longitudinale, l’analyse se focalise principalement sur les personnes ayant participé à au moins l’une des deux dernières vagues d’Érfi (2008 et 2011) en plus de la première (2005)5. Le champ est limité aux personnes interrogées sur leurs intentions de fécondité lors de la première vague d’enquête (2005)6. Parmi elles, 1677 ont indiqué ne pas ou plus souhaiter d’enfants, ni maintenant ni plus tard (1628) ou probablement pas (49). Et, dans les faits, elles sont peu nombreuses à avoir par la suite engagé une grossesse (moins de 9 % : tableau 1), confirmant la bonne adéquation entre les comportements féconds et le projet dès lors qu’il s’agit d’un non désir d’enfant (Régnier-Loilier et Vignoli, 2011).
Tableau 1. Proportion de personnes ayant engagé une grossesse depuis 2005, selon les intentions déclarées en 2005

Champ : personnes en âge d’avoir des enfants et étant à leur connaissance fertiles. Lecture : 52 % des hommes et des femmes ayant l’intention d’avoir un enfant « dans les trois ans » ont engagé une grossesse entre la première et la deuxième vague (2005 – 2008).
Source : Érfi-GGS123, Ined-Insee, 2005-2008-2011 (données pondérées).
13L’objet de notre étude étant de voir dans quelle mesure une période de chômage contrarie les projets d’enfant, le champ d’analyse est restreint aux seules personnes ayant eu en 2005 l’intention d’avoir un enfant, dans les trois ans ou plus tard, ou ne sachant pas (soit 1536 personnes). Parmi elles, 670 (44 %) ont engagé une grossesse (dont 76 personnes attendaient un enfant au moment de la troisième vague). Une personne sur cinq (297) a connu au moins une période de chômage depuis 2005, dont un peu plus de la moitié pendant une durée d’au moins douze mois. Notons que la proportion de personnes ayant connu une période de chômage est probablement sous-estimée en raison de l’attrition, laquelle a un peu plus touché les chômeurs entre les vagues 1 et 2 de l’enquête. L’effet n’est cependant pas de forte ampleur et n’apparaît pas significatif entre les vagues 2 et 3 de l’enquête (chapitre 2).
3. La démarche méthodologique
14Avant de nous intéresser à la survenue d’une grossesse sur la période observée, en fonction de la trajectoire professionnelle du répondant, nous mettons d’abord en regard sa situation d’activité lors de la première vague et ses intentions de fécondité (que les répondants aient ou n’aient pas participé aux vagues suivantes, soit 5 795 personnes). Le fait d’avoir eu ou non un enfant est en effet étroitement lié au degré d’intentionnalité (Régnier-Loilier et Vignoli, 2011 ; chapitre 9), lequel peut lui-même dépendre de la situation d’activité du répondant.
15Dans un deuxième temps, nous étudions le fait de s’être décidé à avoir un enfant entre la première vague d’enquête (2005) et les suivantes (2008 et 2011). Ce n’est donc pas la date de naissance des enfants nés dans la période qui nous intéresse, mais celle à laquelle la décision de les concevoir a été prise. Cette information n’étant pas présente dans l’enquête, nous avons décalé de neuf mois la date de naissance de l’enfant pour revenir à la date théorique de conception, puis encore de trois mois (pour revenir à la date à laquelle on peut supposer que le couple s’est décidé à concevoir7). Ainsi, les personnes ayant eu un enfant dans les douze mois qui ont suivi la première interrogation ne sont pas considérées dans notre étude comme ayant engagé une grossesse durant la période d’observation. À l’inverse, les personnes attendant un enfant au moment de la troisième vague (ou de la deuxième pour celles n’ayant pas répondu à la troisième vague) sont prises en compte. La date de « décision » est alors obtenue en retranchant de douze mois la date attendue de la naissance8. Lorsqu’une même personne a eu plusieurs enfants sur la période, nous ne retenons que la date de « décision » du premier, l’objectif étant d’établir un lien entre l’expression des intentions en 2005 et la réalisation du projet.
16Plus précisément, notre démarche consiste à resituer la date de prise de « décision » d’avoir un enfant (le cas échéant) après la première vague dans la trajectoire professionnelle du répondant, afin d’étudier en quoi le vécu d’une période de chômage retarde le projet d’enfant, voire en limite la venue au bout de six ans. Pour ce faire, nous menons d’abord une analyse de durée non paramétrique : nous estimons et comparons différentes fonctions de survie selon la méthode de Kaplan-Meier. La durée étudiée se situe entre la date de la première interrogation et la décision d’avoir un enfant. L’observation s’étale jusqu’à la troisième vague pour les répondants à la troisième vague, mais est censurée à trente-six mois pour ceux n’ayant répondu qu’aux deux premières vagues. La méthode permet ainsi de prendre en compte l’ensemble des répondants dans le champ, soit 1536 personnes.
17Enfin, nous estimons un modèle semi-paramétrique, ici un modèle de Cox (1972), afin d’évaluer les conséquences d’une période de chômage sur la réalisation des projets de fécondité, en tenant compte d’un ensemble de caractéristiques individuelles. En effet, bien d’autres facteurs entrent en jeu dans la réalisation des intentions de fécondité (l’âge par exemple, le nombre d’enfants déjà nés, la trajectoire conjugale, la fermeté des intentions de fécondité, etc. : Régnier-Loilier et Vignoli, 2011 ; chapitre 9). La littérature montre généralement que l’effet du chômage sur la fécondité varie selon le sexe (Kravdal, 2002 ; Mills, Blossfeld et Klijzing, 2005 ; Kreyenfeld et al., 2012), les estimations sont donc menées séparément pour les hommes et les femmes. En outre sont distinguées les premières naissances des suivantes. Dans tous ces modèles, les mêmes variables explicatives sont introduites : l’âge et l’âge au carré (afin de tenir compte de la non-linéarité de l’effet d’âge), le niveau d’instruction (sans diplôme, CAP-BEP, baccalauréat, Bac + 2, supérieur à Bac + 2), la taille de l’unité urbaine (milieu rural et commune de moins de 5000 habitants/de 5000 à 200 000 habitants, plus de 200 000 habitants, unité urbaine de Paris). Deux indicateurs de contexte culturel sont ajoutés. La fécondité des immigrés étant supérieure à celle des natifs (Pailhé et Hamel, 2016), une variable dichotomique indique si la personne est ou non immigrée. De même, les plus pratiquants ayant en moyenne davantage d’enfants (Régnier-Loilier et Prioux, 2009), une variable mesurant la pratique religieuse est introduite (aucune pratique, participation à des cérémonies ou offices de 1 à 5 fois par an, et plus de 5 fois par an). Pour les modèles estimant l’arrivée d’un enfant supplémentaire, on contrôle également par l’âge du plus jeune enfant. L’ensemble de ces caractéristiques sont celles du répondant lors de la première vague d’enquête (2005).
18Des variables dynamiques sont toutefois introduites afin de prendre en compte les changements de situation de l’individu. Ainsi, une première variable indique si l’individu est en études ou non à la date T9 (seulement pour la première naissance, cette situation étant beaucoup moins fréquente une fois parent), une deuxième indique si l’individu est au chômage ou non et une troisième précise si la femme est inactive (seulement pour les femmes et pour la deuxième naissance). Afin de tenir compte des interactions entre mise en couple et fécondité, on introduit une variable supplémentaire indiquant si l’individu est en couple ou non à la date T. Ces trois variables sont calculées pour chaque mois entre 2005 et 2011. Pour établir si une situation de chômage plus ancienne a un effet sur la réalisation des intentions de fécondité, une variable dichotomique indiquant si la personne a été au chômage avant la première vague de l’enquête est également introduite.
19Dans un premier modèle (modèle 1), l’effet du chômage sur la réalisation des intentions de fécondité est mesuré à partir de la variable dynamique précisant si la personne est au chômage au temps T. Dans une deuxième spécification (modèle 2), nous cherchons à mesurer l’effet du cumul de situations de chômage. Nous intégrons donc une variable dynamique mesurant à la date T le nombre de mois passés au chômage depuis l’interrogation de la première vague. Dans un troisième modèle, on contrôle par le degré d’intention de fécondité déclaré à la première vague (souhait d’avoir un enfant « dans les trois ans », « probablement dans les trois ans », « plus tard », « probablement plus tard » ou « ne sait pas »). Enfin, un quatrième modèle ne tient pas compte de la situation conjugale. Si les coefficients des variables d’activité sont significativement modifiés, on pourra en déduire que le calendrier de mise en couple est lui-même affecté par la situation professionnelle.
II. Intentions de fécondité et réalisation selon la situation d’activité
1. L’intention d’entrer en parentalité dans les trois ans moins fréquente chez les chômeurs
20Une première manière de mesurer les conséquences de l’instabilité professionnelle sur les comportements de fécondité consiste à croiser, en coupe transversale, les intentions de fécondité dans le court terme avec la situation d’activité des personnes. La figure 1 représente la proportion de personnes ayant déclaré lors de la première vague d’enquête avoir l’intention d’avoir un enfant dans les trois ans (réponse « oui » et « oui probablement ») selon le sexe du répondant, le nombre d’enfants déjà nés (y compris grossesse en cours) et sa situation professionnelle à ce moment-là (actif occupé ou chômeur).
Figure 1. Proportion de personnes souhaitant un enfant dans les trois prochaines années selon le sexe et la situation d’activité (2005)

Champ : actifs occupés et chômeurs en âge d’avoir des enfants et étant à leur connaissance fertiles. Note : intervalles de confiance à 90 %.
Source : Érfi-GGS1, Ined-Insee, 2005.
21Un net effet du chômage apparaît chez les personnes sans enfant. Alors que 43 % des actifs occupés et 53 % des actives occupées souhaitent un premier enfant dans les trois années à venir, ce n’est le cas que pour 24 % des chômeurs et 38 % des chômeuses (écarts significatifs au seuil de 10 %). Cette différence tient en partie à des effets de structure. Les chômeurs sont en effet plus jeunes (27 ans en moyenne) que les actifs occupés (31 ans). Ils sont en outre proportionnellement plus nombreux à ne pas vivre en couple (14 % des chômeurs et 33 % des chômeuses vivent en couple contre 38 % des actifs occupés et 46 % des actives occupées). Or les intentions de fécondité sont étroitement liées à la situation conjugale : alors que 59 % des personnes sans enfant vivant en couple cohabitant souhaitent un enfant dans les trois années à venir, cela n’est le cas que pour 25 % des personnes seules. À âge et situation conjugale équivalents, la situation d’activité (chômeur versus actif occupé) n’a en effet plus d’impact significatif sur la probabilité de souhaiter un enfant dans les trois ans chez les hommes, mais elle demeure significative chez les femmes10. Cette différence d’effet selon le sexe ne doit pas être interprétée comme une moindre importance de la situation d’activité de l’homme dans les projets de fécondité mais tient à un effet de structure, les hommes au chômage ayant une moindre propension à vivre en couple (Ekert et Solaz, 2001), préalable à la construction d’un projet familial (Mazuy, 2009).
22La situation professionnelle des femmes et des hommes ayant au moins un enfant n’a en revanche aucune incidence sur leur souhait d’avoir un nouvel enfant dans les trois années à venir. La plupart des parents d’un enfant sont déjà en couple ; en outre, en France, la majorité des couples souhaitent au moins deux enfants et le calendrier d’arrivée du deuxième (ou des suivants) semble avant tout déterminé par l’espacement entre chaque naissance et par l’âge des parents (Régnier-Loilier, 2007).
2. Une moindre réalisation des intentions de fécondité des chômeurs sans enfant lors de la première vague
23À partir des données longitudinales, nous pouvons mesurer la probabilité de survenue d’un enfant au fil du temps (courbes de survie) chez les personnes qui avaient exprimé en 2005 le souhait d’en avoir (« dans les trois années à venir » ou « plus tard »), selon leur situation professionnelle en 2005 (en activité ou au chômage). À l’instar de la détermination des intentions de fécondité, qui répond à des logiques différentes selon le nombre d’enfants déjà nés, l’arrivée d’un enfant est moins rapide mais aussi moins fréquente, au bout de six ans, chez les personnes sans enfant qui étaient au chômage en 2005, que chez les actifs occupés11 (figure 2a, « sans enfant en 2005 »). Par exemple, après trois ans (décembre 2008), un tiers des actifs occupés a eu un enfant (33 %) contre moins d’un chômeur sur quatre (22 %). En revanche, la décision d’une deuxième grossesse n’est pas déterminée par la situation d’activité et elle intervient à la fois plus rapidement mais aussi plus souvent (au terme de la période observée) que celle du premier enfant.
Figure 2. Proportions cumulées de personnes ayant engagé une grossesse en fonction du temps (2005-2011) selon la situation d’activité décrite en 2005 (Kaplan-Meier)

Champ : actifs occupés et chômeurs ayant l’intention d’avoir un enfant dans les 3 ans ou plus tard (y compris « Ne sait pas ») et ayant répondu à au moins deux vagues d’enquête (2005 et 2008 ou 2005 et 2011 ou 2005, 2008 et 2011). Lecture (figure a, Sans enfant en 2005, courbe « actif occupé en 2005 ») : parmi les actifs occupés n’ayant pas d’enfants en 2005 et ayant l’intention d’en avoir (dans les trois ans ou plus tard), 9 % avaient « engagé » une grossesse en décembre 2006 (soit douze mois après la première vague d’enquête).
Source : Érfi-GGS123, Ined-Insee, 2005-2008-2011.
3. Avoir connu un épisode de chômage après la première vague d’enquête retarde la réalisation du projet d’enfant
24Les résultats présentés précédemment sont cependant très peu précis. Les personnes au chômage lors de la première vague d’enquête (2005) ont pu (re)trouver un emploi très rapidement tandis que les actifs occupés en 2005 ont pu connaître par la suite un ou plusieurs épisodes de chômage. Afin d’étudier l’effet de ces imprévus professionnels, nous avons eu recours au calendrier rétrospectif d’activité afin de déterminer si la personne avait ou non connu une période de chômage avant de prendre la décision d’avoir un enfant ou, à défaut d’une grossesse sur la période, avant la fin de la période d’observation (figure 3)12. L’effet du chômage apparaît encore plus nettement : après trois ans (décembre 2008), plus du tiers des personnes n’ayant connu aucune période de chômage ont conçu un enfant (36 %) contre seulement une sur dix (11 %) parmi celles ayant vécu un ou des épisode(s) de chômage13. Au terme de la période d’observation, plus de la moitié des personnes n’ayant connu aucune période de chômage a eu un enfant, contre seulement un quart de celles en ayant connu une.
Figure 3. Proportions cumulées de personnes ayant engagé une grossesse en fonction du temps (2005-2011) selon l’expérience du chômage depuis 2005 (Kaplan-Meier)

Champ : personnes ayant l’intention d’avoir un enfant dans les trois ans ou plus tard (y compris « Ne sait pas ») et ayant répondu à au moins deux vagues d’enquête (2005 et 2008 ou 2005 et 2011 ou 2005, 2008 et 2011). Lecture : parmi les personnes ayant l’intention d’avoir un enfant en 2005 (dans les trois ans ou plus tard) et n’ayant pas connu de période de chômage dans les douze premiers mois d’observation, 13 % avaient « engagé » une grossesse douze mois après la première vague d’enquête (décembre 2006).
Source : Érfi-GGS123, Ined-Insee, 2005-2008-2011.
25La prise en compte du sexe de la personne et du nombre d’enfants qu’elle avait (y compris les grossesses en cours) lors de la première vague ne laisse guère apparaître d’écarts très marqués. La décision d’avoir un premier enfant (figure 4a) est moins fréquente et moins probable au terme de la période observée que celle d’avoir un deuxième enfant (figure 4b), quel que soit le sexe du répondant et le fait d’avoir ou non vécu une période de chômage. Le chômage retarde et limite l’arrivée d’un enfant entre 2005 et 2011, quel qu’en soit le rang et, de manière générale, les hommes paraissent un peu moins souvent réaliser leurs intentions de fécondité.
Figure 4. Proportions cumulées de personnes ayant engagé une grossesse en fonction du temps (2005-2011) selon l’expérience du chômage depuis 2005 (Kaplan-Meier), par parité et sexe

Champ : personnes ayant l’intention d’avoir un enfant dans les trois ans ou plus tard (y compris « Ne sait pas ») et ayant répondu à au moins deux vagues d’enquête (2005 et 2008 ou 2005 et 2011 ou 2005, 2008 et 2011). Lecture : parmi les hommes sans enfant, ayant en 2005 l’intention d’en avoir un dans les trois ans ou plus tard et n’ayant pas connu de période de chômage dans les douze premiers mois d’observation, 7 % avaient « engagé » une grossesse douze mois après la première vague d’enquête (décembre 2006).
Source : Érfi-GGS123, Ined-Insee, 2005-2008-2011.
26Toutefois, comme indiqué précédemment, bien d’autres caractéristiques peuvent jouer sur le calendrier et l’intensité des naissances. La réalisation des intentions est par exemple étroitement liée à la fermeté des intentions, à la situation conjugale de la personne, à son âge ou encore à son niveau de diplôme. Il s’agit maintenant de mesurer l’effet propre de la survenue d’une période de chômage sur la réalisation des intentions de fécondité, une fois ces caractéristiques prises en considération.
III. Des résultats plus nuancés, « toutes choses égales par ailleurs »
1. Le chômage reporte l’arrivée du premier enfant…
27Une fois tenu compte de l’âge, du statut d’immigré, du niveau d’instruction, de la situation conjugale, du lieu de résidence, de la pratique religieuse et du degré d’intention de fécondité, l’effet de la situation de chômage reste significatif seulement pour les femmes : pour elles, connaître une période de chômage retarde significativement la décision d’avoir un premier enfant (tableau 2, modèle 1). De même, les femmes qui ont été au chômage avant la première vague de l’enquête repoussent la réalisation de leurs intentions de fécondité. Pour les hommes, faire l’expérience du chômage n’exerce plus un effet significatif négatif sur la décision d’avoir un premier enfant (tableau 3, modèle 1).
Tableau 2. Probabilité d’avoir engagé une première grossesse entre 2005 et 2011 (modèle de durée, Cox), femmes

Champ : femmes sans enfant en âge d’en avoir, ayant l’intention d’avoir un enfant dans les trois ans ou plus tard (y compris « Ne sait pas ») et ayant répondu à au moins deux vagues d’enquête (2005 et 2008 ou 2005 et 2011 ou 2005, 2008 et 2011). Lecture : un paramètre ß positif (resp. négatif) et statistiquement significatif indique que l’on est en présence d’un facteur qui augmente (resp. diminue) le rythme d’arrivée du premier enfant, toutes choses égales par ailleurs. Plus la valeur de ce paramètre s’éloigne de 0 et plus l’impact de ce facteur est important. Légende : Réf. = situation de référence ; ★★★ = significatif à 1 % ; ★★ = à 5 % ; ★ = à 10 % ; sans ★ = non significatif.
Source : Érfi-GGS123, Ined-Insee, 2005-2008-2011.
28Les mêmes résultats sont obtenus lorsque l’on n’observe plus l’effet du chômage un mois donné, mais le nombre cumulé de mois passés au chômage depuis la date de début d’observation (tableaux 2 et 3, modèle 2) : l’accumulation de mois de chômage reporte la première naissance pour les femmes, elle ne joue pas pour les hommes. Avoir connu le chômage avant la première vague a toujours un effet négatif – un peu moindre – sur la réalisation des intentions.
29Comme l’ont déjà montré Régnier-Loilier et Vignoli (2011) à partir des deux premières vagues des enquêtes GGS française et italienne, la probabilité d’entrer en parentalité est étroitement liée au degré d’intention de fécondité (voir également tableau 1 et chapitre 9). Plus les intentions sont fermes, plus elles ont de chances de se réaliser dans les six ans (tableaux 2 et 3, modèle 3). Prendre en compte le niveau d’intention accentue légèrement l’effet négatif du chômage passé et réduit celui du chômage courant pour les femmes. En effet, comme nous l’avons vu plus haut, le niveau d’intention déclaré est lié à la situation professionnelle lors de la première vague de l’enquête. Pour les hommes, le chômage n’exerce toujours pas d’effet significatif lorsque l’on tient compte du degré des intentions.
Tableau 3. Probabilité d’avoir engagé une première grossesse entre 2005 et 2011 (modèle de durée, Cox), hommes

Champ : hommes sans enfant en âge d’en avoir, ayant l’intention d’avoir un enfant dans les trois ans ou plus tard (y compris « Ne sait pas ») et ayant répondu à au moins deux vagues d’enquête (2005 et 2008 ou 2005 et 2011 ou 2005, 2008 et 2011). Lecture : un paramètre ß positif (resp. négatif) et statistiquement significatif indique que l’on est en présence d’un facteur qui augmente (resp. diminue) le rythme d’arrivée du premier enfant, toutes choses égales par ailleurs. Plus la valeur de ce paramètre s’éloigne de 0 et plus l’impact de ce facteur est important. Légende : Réf. = situation de référence ; ★★★ = significatif à 1 % ; ★★ = à 5 % ; ★ = à 10 % ; sans ★ = non significatif.
Source : Érfi-GGS123, Ined-Insee, 2005-2008-2011.
30Pour ces derniers, l’effet du chômage devient significatif dès lors que l’on ne tient plus compte de la situation conjugale (tableau 3, modèle 4). Le chômage exerce donc un effet négatif sur la mise en couple pour les hommes, mais à situation conjugale et niveau d’intention de fécondité donnés, il ne conduit pas à un report de leur décision d’avoir un enfant. Pour les femmes, ne pas prendre en compte la situation conjugale réduit l’effet négatif du chômage (tableau 2, modèle 4), signe que le chômage reporte aussi leur mise en couple. Mais une fois en couple, celles qui désirent un enfant reportent significativement leur projet d’enfant lorsqu’elles font l’expérience du chômage. À partir d’un modèle estimé sur l’ensemble de la population auquel on ajoute une variable indicatrice de sexe et une autre croisée entre le sexe et le « chômage », on ne trouve aucune différence significative de l’effet du chômage selon le sexe lorsque l’on ne contrôle pas par la situation conjugale, alors qu’elle est significative lorsque l’on en tient compte (annexe 2, modèles 2, 3 et 4). Autrement dit, à situation conjugale donnée, le chômage a un effet négatif plus fort pour les femmes, mais n’a pas d’effet différencié lorsque l’on ne tient pas compte du calendrier de mise en couple.
31Poursuivre des études décale également la décision d’avoir un premier enfant, pour les hommes comme pour les femmes (tableaux 2 et 3). Finalement, une fois tenu compte du degré d’intention de fécondité, de la situation conjugale et professionnelle, peu d’autres éléments jouent sur la réalisation de ces intentions. L’âge a un effet très marqué, notamment pour les femmes, en partie du fait d’une fertilité moindre avec l’avancée en âge14 (Leridon, 2004), mais aussi des représentations que l’on se fait de l’âge à partir duquel il n’est plus souhaitable d’avoir un enfant (Toulemon et Leridon, 1999). Le fait d’être immigré(e) joue positivement sur la venue d’un enfant pour les femmes, surtout lorsque l’on prend en compte dans le modèle le fait d’être ou non en couple. En revanche, le diplôme n’influence pas la réalisation des intentions de fécondité. Il joue cependant indirectement par le biais du différentiel de risque de chômage en fonction du niveau d’instruction.
2.… mais pas celle d’un enfant de rang supérieur
32La décision d’avoir un autre enfant dépend très peu des facteurs explicatifs retenus ici, notamment pour les hommes (tableau 4, modèles 1 et 3). En revanche, le cumul du nombre de mois de chômage exerce un effet positif pour les hommes sur la naissance d’un autre enfant (modèle 4). Pour les femmes, être confrontées au chômage n’a plus d’effet ni au temps T (tableau 4, modèles 1 et 3) ni en tenant compte du nombre total de mois passés au chômage (modèle 4). Le chômage passé n’a, également, plus d’effet. Il est vrai que le risque de chômage est moindre après 25-30 ans, une fois le premier enfant né15. Par ailleurs, avoir un premier enfant a tendance à stabiliser la carrière professionnelle des hommes : pour ces derniers, le risque d’être au chômage diminue ainsi après la naissance d’un premier enfant (Orain, 2004). Cependant, lorsque le chômage arrive à cette étape du cycle de vie, et qu’il dure, cela conduit à davantage réaliser les projets de fécondité. Ce résultat semble valider l’hypothèse d’un repli dans la sphère familiale lorsque l’environnement professionnel est incertain. Cependant, cet effet peut aussi être lié à la sélection de notre échantillon – les hommes les plus exposés au risque de chômage ont déclaré de moindres intentions de fécondité – ou à la situation professionnelle de la conjointe dont nous ne pouvons pas tenir compte (la trajectoire professionnelle des conjoints n’était pas collectée dans l’enquête).
Tableau 4. Probabilité d’avoir engagé une autre grossesse entre 2005 et 2011 (modèle de durée, Cox)

Champ : personnes avec au moins un enfant, en âge d’en avoir, ayant l’intention d’avoir un enfant dans les 3 ans ou plus tard (y compris « Ne sait pas ») et ayant répondu à au moins deux vagues d’enquête (2005 et 2008 ou 2005 et 2011 ou 2005, 2008 et 2011). Lecture : un paramètre ß positif (resp. négatif) et statistiquement significatif indique que l’on est en présence d’un facteur qui augmente (resp. diminue) le rythme d’arrivée du deuxième enfant, toutes choses égales par ailleurs. Plus la valeur de ce paramètre s’éloigne de 0 et plus l’impact de ce facteur est important. Légende : Réf. = situation de référence ; ★★★ = significatif à 1 % ; ★★ = à 5 % ; ★ = à 10 % ; sans ★ = non significatif.
Source : Érfi-GGS123, Ined-Insee, 2005-2008-2011.
33De même, chez les jeunes, il existe une corrélation négative entre le taux de chômage et l’indicateur conjoncturel de formation des premières unions (Prioux, 2003). Ainsi, comme on l’a vu, l’effet que l’on observe entre le calendrier d’arrivée d’un premier enfant et la situation d’activité est en partie dû à la situation conjugale. Mais cet effet ne se rejoue plus pour la naissance suivante, le couple étant déjà formé.
34Comme pour la première naissance, les suivantes dépendent de l’âge, pour les femmes, et de la situation conjugale. Le degré d’intention de fécondité joue moins que pour la première naissance : pour les hommes, l’effet n’est pas significatif et, pour les femmes, les intentions ont plus de chances de se réaliser lorsqu’elles sont fermes et plutôt sur une période courte. Les femmes qui déclaraient à la première vague vouloir un enfant supplémentaire « probablement plus tard » n’ont pas une moindre probabilité d’en avoir un que celles qui en voulaient un « dans les trois ans ». Ces mères, incertaines lors de la première vague, regroupent probablement des femmes qui doutaient du calendrier de venue d’un enfant supplémentaire, et d’autres sur le fait d’en avoir un autre. Enfin, alors que le diplôme ne jouait pas sur la probabilité d’avoir un premier enfant, il joue un peu plus sur les suivantes. Les bachelières ont ainsi moins de chances d’avoir un autre enfant que les femmes diplômées de l’enseignement supérieur court.
Conclusion
35Les données prospectives de l’enquête Érfi (2005, 2008 et 2011), qui incluent une datation fine des changements de situation d’emploi (dont le chômage) et des naissances, offrent l’opportunité de mesurer les conséquences d’une période de chômage sur la réalisation des projets de fécondité en France dans la période récente. Alors que des données transversales offrent seulement la possibilité d’estimer l’effet d’une situation de chômage sur les intentions à un instant T, que des données rétrospectives permettent uniquement de mettre en parallèle comportement de fécondité et trajectoire professionnelle, indépendamment des projets passés16 et pour des périodes plus anciennes, le suivi sur une longue période (six années) des mêmes personnes ayant exprimé le souhait d’avoir un enfant rend possible l’étude des conséquences du chômage sur leurs comportements de fécondité.
36Nos résultats montrent que l’arrivée d’un enfant est moins fréquente sur la période observée pour les personnes ayant vécu un épisode de chômage. Toutefois, l’effet du chômage diffère par sexe, selon qu’il s’agisse d’un premier enfant ou d’un suivant. Ainsi, l’entrée en parentalité est davantage contrariée par l’expérience du chômage pour les femmes qu’elle ne l’est pour les hommes, une fois contrôlé l’effet de leur situation conjugale. En revanche, pour les hommes, c’est avant tout le fait d’être étudiant ou le report de la mise en couple qui retardent l’arrivée de leur premier enfant, pouvant être eux-mêmes des conséquences d’une situation de chômage.
37Toutefois, en l’absence de données sur la trajectoire professionnelle du conjoint ou de la conjointe, il n’est pas possible de conclure que le chômage de la femme a plus d’impact que celui de l’homme (ou inversement) sur l’arrivée du premier enfant. Il faudrait pour cela pouvoir contrôler par le parcours d’activité du conjoint. En pratique, cela nécessiterait d’interroger en longitudinal les deux membres du couple, protocole d’enquête qui serait extrêmement lourd. En outre, il est possible qu’un certain nombre d’hommes ayant connu le chômage n’aient pas répondu aux autres vagues de l’enquête. Comme montré au chapitre 2, l’attrition entre la première et la deuxième vague est plus forte pour les chômeurs. Il n’est pas exclu que ceux qui n’ont pas répondu aux vagues successives de l’enquête aient un comportement spécifique en termes de fécondité, en particulier qu’ils aient eu moins d’enfants. Rien ne nous permet cependant de vérifier cette hypothèse.
38L’arrivée d’un autre enfant (le plus souvent un deuxième) répond à des logiques fort différentes. Avoir un deuxième enfant est très fréquent en France (la famille idéale compte au moins deux enfants) et se décide notamment (mais pas seulement) en fonction de l’espacement que l’on souhaite laisser entre les enfants. Ainsi, le fait d’avoir ou non connu une période de chômage (indépendamment de sa durée) n’impacte pas la réalisation de ce projet, ni pour les femmes ni pour les hommes. Pour ces derniers cependant, l’arrivée d’un autre enfant s’avère plus fréquente lorsqu’ils ont connu un ou plusieurs épisodes de chômage. Ce résultat, assez surprenant, appelle des investigations supplémentaires. Il peut en effet tenir à un effet de sélection dans la déclaration des intentions ou de la situation professionnelle de la conjointe.
39Dans la mesure où la crise économique pèse à la fois sur le nombre de personnes touchées par le chômage mais aussi sur sa durée, on pourrait ainsi assister à un report du calendrier des premières et deuxièmes naissances, pouvant rendre compte pour une part de la baisse récente de la fécondité. Dans un contexte de forte prégnance de la « norme procréative » (Bajos et Ferrand, 2006) où les couples attachent une grande importance au fait de disposer d’une situation matérielle stable avant d’avoir un enfant, la crise économique pourrait avoir deux conséquences, éventuellement conjuguées : amoindrir le poids de la norme (les couples auraient des « exigences » matérielles moins fortes avant de se décider à avoir un enfant), mais aussi conduire à un report voire à un renoncement au projet d’enfants, notamment pour les plus âgés. L’effet du chômage sur le calendrier de fécondité mis en évidence dans ce chapitre indique que les couples continuent à attacher une forte importance aux conditions matérielles avant d’avoir un enfant.
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Références bibliographiques
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Annexe
Annexes
Annexe 1. Figure A. Taux de chômage au sens du BIT par âge, 2000-2013

Annexe 2. Probabilité d’avoir engagé une première grossesse entre 2005 et 2011 (modèle de durée, Cox), hommes et femmes

Champ : personnes en âge d’avoir un enfant, ayant l’intention d’avoir un enfant dans les trois ans ou plus tard (y compris « Ne sait pas ») et ayant répondu à au moins deux vagues d’enquête (2005 et 2008 ou 2005 et 2011 ou 2005, 2008 et 2011). Lecture : un paramètre ß positif (resp. négatif) et statistiquement significatif indique que l’on est en présence d’un facteur qui augmente (resp. diminue) le rythme d’arrivée d’un premier enfant, toutes choses égales par ailleurs. Plus la valeur de ce paramètre s’éloigne de 0 et plus l’impact de ce facteur est important. Légende : Réf. = situation de référence ; ★★★ = significatif à 1 % ; ★★ = à 5 % ; ★ = à 10 % ; sans ★ = non significatif.
Source : Érfi-GGS123, Ined-Insee, 2005-2008-2011.
Notes de bas de page
1 En Espagne, la baisse de la fécondité a précédé la crise, mais cette dernière l’a accentuée.
2 La rétrospective d’activité n’est connue que pour le répondant à l’enquête, pas pour son éventuel (le) conjoint(e).
3 Si le répondant ne se souvenait plus précisément du mois, la saison lui était demandée.
4 Ou moins, si toutefois le répondant a considéré cette période comme importante dans sa vie. Certaines périodes enregistrées sont donc de plus courte durée mais elles sont rares.
5 Voir chapitre 2 pour plus de détails sur l’attrition.
6 Donc en âge d’avoir encore des enfants et ne se considérant pas comme infertiles (réponse positive à la question « Certaines personnes ne peuvent pas avoir d’enfant. À votre connaissance, vous-même, pouvez-vous avoir un (autre) enfant ? ».
7 La durée moyenne nécessaire pour concevoir est de l’ordre de 3 à 5 mois chez un couple jeune mais elle augmente ensuite fortement avec l’âge (Leridon, 2004) et est en réalité très variable d’un couple à un autre (certaines grossesses surviennent dans le mois qui suit la décision d’avoir un enfant, d’autres après plusieurs années de tentative).
8 Dans l’enquête, seules les naissances et grossesses en cours sont enregistrées, pas les fausses couches ni les interruptions volontaires de grossesse, généralement très mal déclarées dans les enquêtes.
9 T varie de 1 à 72, 1 correspondant au premier mois qui suit la première vague d’enquête, 2 au deuxième mois, et ainsi de suite. Dans l’analyse, l’observation est en réalité bornée à soixante-huit mois dans la mesure où, compte tenu de la manière dont on détermine la date de « décision » d’avoir un enfant, une personne déclarant attendre un enfant depuis un mois lors de la troisième vague sera considérée comme ayant pris la décision quatre mois auparavant (donc en T = 68).
10 Résultats non présentés ici, issus d’un modèle logit.
11 Les résultats obtenus par sexe (non présentés ici en raison d’effectifs trop restreints) semblent néanmoins indiquer une différence de comportements qui pourrait être plus marquée chez les hommes, les chômeurs ayant moins souvent eu un premier enfant dans la période que les actifs occupés.
12 Seules les périodes de chômage ayant eu lieu avant la date de décision d’avoir un enfant sont considérées ici. Dans le cas où une personne a connu une période de chômage après la date de « décision » de l’enfant, elle n’est pas considérée ici comme ayant connu une période de chômage (elle est donc considérée sur la figure 3 dans la catégorie « Pas de période de chômage »).
13 On ne tient pas compte ici du temps passé au chômage (nombre de mois de chômage entre la première vague et la décision de grossesse ou la date de fin d’observation), mais le report d’une naissance peut être d’autant plus important que la période de chômage est longue (nous y revenons plus loin).
14 Une femme cherchant à avoir un enfant vers 30 ans a 75 % de chances d’y parvenir dans les douze mois, 66 % si elle commence à 35 ans et 44 % si elle commence à 40 ans. Les risques de ne pas y parvenir du tout sont respectivement de 8 %, 15 % et 36 % (Leridon, 2004).
15 Dans notre champ d’études, 24 % des personnes sans enfant en 2005 ont connu une période de chômage entre 2005 et 2011 contre 18 % parmi les parents d’un enfant.
16 Il est en effet impossible d’interroger une personne sur ses intentions de fécondité de manière rétrospective.
Auteurs
Docteure en économie, est directrice de recherche à l’Ined. Ses thèmes de recherche sont les discriminations sur le marché du travail selon le sexe et/ou l’origine ethnique, l’articulation entre vie familiale et vie professionnelle et la gestion du temps entre conjoints. Ses récents travaux portent sur le lien entre fécondité et chômage, l’entrée dans la vie adulte des migrants et leurs descendants et sur l’évolution de la répartition du travail domestique entre hommes et femmes dans les pays occidentaux. Elle est rédactrice en chef du site Internet de l’Ined, membre du comité de rédaction de la revue Population et du comité directeur du groupement de recherche européen Marché du travail et genre (GDRE-MAGE).
Docteur en sociologie, chargé de recherche à l’Ined et rattaché à l’unité Fécondité, famille, sexualité. Il enseigne également en master les méthodes d’analyse quantitative à l’université Paris-Sorbonne. Ses principaux travaux portent sur la fécondité, la diversité des conjugalités et les relations enfants-parents en France. Ses réflexions portent également sur la méthodologie d’enquête. Responsable de la mise en place des trois vagues de l’enquête Generations and Gender Survey en France (Étude des relations familiales et intergénérationnelles, Érfi) réalisées en partenariat avec l’Insee entre 2005 et 2011, il a également coordonné, avec Wilfried Rault (Ined), l’enquête Étude des parcours individuels et conjugaux (Épic, 2012-2013, en partenariat avec l’Insee).
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