Chapitre 8. La planification des naissances : mesure et facteurs associés
p. 217-237
Texte intégral
Introduction
1Le contexte de la fin des années 1960 et du début des années 1970, marqué par l’entrée en vigueur des lois sur la contraception (loi Neuwirth, 1967) et l’avortement (loi Veil, 1975), a entraîné de nouveaux questionnements sur l’évolution qu’allait connaître la fécondité. Allait-on assister à une meilleure planification des naissances, et avec quelles conséquences sur le niveau de fécondité ? Afin de suivre ces évolutions, l’Ined a mis en place, à partir de la fin des années 1970, une série d’enquêtes1 dans lesquelles était demandé, pour chaque enfant du répondant, si la grossesse avait été souhaitée « à ce moment-là », « plus tôt », « plus tard », « pas du tout » ou « n’y pensait pas »2. Cette manière de mesurer la maîtrise de la fécondité a d’abord été utilisée aux États-Unis (voir par exemple, Westoff, 1988). Nous la préférons à d’autres approches parfois retenues, comme celle consistant à comparer, en fin de période reproductive, le nombre souhaité d’enfants et la descendance atteinte (Bongaarts, 1997). On peut en effet déclarer au terme de sa vie féconde que l’on aurait préféré avoir moins d’enfants sans pour autant avoir mal maîtrisé sa fécondité. Inversement, on peut avoir connu une grossesse non désirée, mais déclarer avoir eu le nombre d’enfants souhaité3. Les projets de fécondité tels qu’ils sont définis en début de vie féconde ne sont, en effet, pas figés et se redéfinissent à chaque nouvelle naissance (Monnier, 1987 ; Régnier-Loilier, 2007).
2Ces enquêtes ont ainsi permis de montrer qu’en l’espace d’une vingtaine d’années, entre 1965 et 1985, la part des naissances non désirées a été divisée par trois, rendant compte pour moitié de la chute de l’indice synthétique de fécondité de 2,8 enfants par femme à 1,8 sur la même période (Leridon, 1986 ; Leridon et Toulemon, 1990). Depuis le milieu des années 1980 jusqu’à la fin des années 1990, la composante « planifiée »/ « mal planifiée » des naissances est restée stable (Régnier-Loilier et Leridon, 2007).
3Il est néanmoins légitime de s’interroger sur l’évolution récente du phénomène, alors que plusieurs campagnes nationales d’information sur la contraception ont été mises en place depuis la dernière enquête de l’Ined sur le sujet (1998) et que de nouvelles méthodes de contrôle des naissances sont désormais proposées (pilule du lendemain sans prescription médicale depuis 1999, implant contraceptif depuis 2001, anneau vaginal et patch depuis 2004), bien qu’encore peu répandues à ce jour (Bajos et al., 2012). L’enquête Érfi permet une actualisation des connaissances sur la planification des naissances. Les données longitudinales offrent en outre la possibilité de questionner la qualité de l’information collectée en rétrospectif, mais aussi d’étudier finement les facteurs associés au degré de planification des naissances.
I. Données et considérations méthodologiques
1. La planification des naissances dans l’enquête Érfi
4Le questionnaire de référence de l’enquête Generations and Gender Survey, dont Érfi est l’adaptation française (chapitre 1), n’intègre aucune question sur la planification des naissances. Toutefois, lors de la mise en place de la deuxième vague d’Érfi, l’équipe conceptrice a ajouté la question « Souhaitiez-vous que cette naissance survienne… à ce moment-là de votre vie, plus tard, plus tôt, pas du tout, vous n’y pensiez pas », formulation analogue à celle que l’on retrouve dans les précédentes enquêtes de l’Ined sur la fécondité. Cette question était posée pour chaque naissance survenue entre la première et la deuxième vague d’enquête (2005-2008)4. L’objectif était double : faire un nouveau point sur la planification des naissances en France (la dernière enquête sur le sujet remontant à 1998), mais également mettre en regard les questions d’intention déclarées en 2005 avec les réponses proposées pour les naissances survenues depuis.
5Lors de la troisième vague (2011), la même question a été reposée pour les enfants nés depuis la deuxième vague (2008), mais aussi pour ceux nés entre la première et la deuxième vague (2005-2008). Ainsi, pour les personnes ayant répondu aux trois vagues, nous disposons pour les naissances survenues entre 2005 et 2008 de deux déclarations relatives à leur planification : celle de 2008 et celle de 2011. Ce dédoublement de l’information, volontaire, avait pour objectif de mesurer la stabilité des réponses proposées pour une même naissance, afin de voir si des biais de déclaration pouvaient exister, au fil du temps notamment : reconstruction de la mémoire, ratification ex post ou difficultés à déclarer peu après une naissance que celle-ci était mal planifiée voire non désirée. En d’autres termes, cette double déclaration à trois ans d’intervalle doit permettre d’évaluer la qualité de l’information recueillie en rétrospectif sur ce sujet.
2. Le champ de l’étude
6La question portant sur la planification se rapporte à chaque naissance du répondant. L’unité d’observation n’est donc pas le répondant lui-même mais l’enfant. Plus précisément, il s’agira des enfants nés depuis 2005 chez les personnes ayant été réinterrogées en vague 2 et/ou 3. Toutefois, le champ (et donc le nombre d’observations) varie dans cette étude, selon les objectifs des différentes parties.
7Afin d’estimer le taux de planification des naissances en France aujourd’hui (partie II), seule la deuxième vague (2008) est mobilisée. Les répondants sont alors âgés de 21 à 82 ans. Limiter l’observation aux seules naissances survenues entre les deux premières vagues déclarées par les femmes de moins de 45 ans permet de comparer nos résultats à ceux des précédentes enquêtes de l’Ined (Régnier-Loilier et Leridon, 2007). Cela représente 330 naissances.
8Afin d’interroger la qualité de l’information collectée en rétrospectif et la présence éventuelle de biais déclaratifs liés au temps qui passe (partie III), le champ est limité aux naissances survenues entre 2005 et 2008 et déclarées à la fois en deuxième et en troisième vagues (2008 et 2011), par les femmes et par les hommes, sans restriction d’âge. Cela représente 438 enfants.
9Enfin, l’étude des facteurs associés au degré de planification des naissances (partie IV) nécessite de disposer d’effectifs relativement conséquents. Elle porte ainsi sur l’ensemble des enfants nés entre 2005 et 2011, et déclarés en 2011. Cela représente 980 naissances.
3. L’effet de l’attrition sur la prévalence du phénomène
10Avant de nous intéresser aux résultats en tant que tels, il importait de s’assurer que l’érosion de l’échantillon au fil des vagues n’était pas liée au degré de planification des naissances. Toutefois, la question portant sur la planification n’ayant pas été posée en première vague, on ne peut qu’observer le taux d’attrition entre les vagues 2 et 3 pour deux groupes d’enfants (ceux « planifiés » et ceux « mal planifiés »5), en faisant l’hypothèse que le lien entre attrition et planification des naissances aurait été identique entre les vagues 1 et 2. Bien que le taux d’attrition soit un peu plus élevé pour les enfants « mal planifiés » (19 %) que pour les enfants « planifiés » (16 %), les intervalles de confiance (à 95 %) se recouvrent (figure 1), ne permettant pas de conclure à une différence statistiquement significative.
Figure 1. Taux d’attrition entre les vagues 2 et 3 selon leur degré de planification des enfants déclarés en vague 2

Note : intervalle de confiance à 95 % . Champ : enfants du répondant nés entre la première et la deuxième vague d’enquête (n = 570). Lecture : pour 15 % des enfants déclarés « planifiés » lors de la vague 2, le répondant n’a pas participé à la troisième vague.
Source : Érfi-GGS2-3, Ined-Insee, 2008-2011.
11Par ailleurs, que l’on prenne l’ensemble des enfants nés entre 2005 et 2008 déclarés en vague 2 ou seulement ceux dont les parents ont également répondu en vague 3 (donc en tenant compte de l’attrition observée entre les vagues 2 et 3), la répartition des enfants selon le degré de planification est identique (que l’on prenne ou non en compte la variable de redressement) (figure 2).
Figure 2. Degré de planification des naissances (2005-2008) selon le champ retenu

Champ : enfants du répondant nés entre la première et la deuxième vague d’enquête. Lecture : 68,8 % des enfants nés entre 2005 et 2008 sont souhaités « à ce moment-là » ; cette proportion est de 68,3 % si on limite le champ aux enfants pour lesquels le répondant a participé à la troisième vague.
Source : Érfi-GGS2-3, Ined-Insee, 2008-2011.
12Toutefois, comme cela a été précisé précédemment, le taux d’attrition n’est pas le même entre les deux premières vagues et entre les deux dernières, et même si la plupart des facteurs liés à l’attrition se rejouent d’une vague à l’autre, certains diffèrent (chapitre 2). L’absence de biais détecté entre les vagues 2 et 3 ne permet donc pas d’écarter complètement l’existence d’un lien entre la survenue d’une naissance non désirée entre les deux premières vagues et la participation à la deuxième vague ni de possibles biais de sélection. En outre, rappelons que les données de la deuxième vague (2008) ne sont pas représentatives de la population de 2008 mais qu’elles sont recalées sur la structure de la population de 2005 (chapitre 1). Néanmoins, dans la mesure où celle-ci n’a que très peu évolué entre 2005 et 2008 et qu’aucun lien n’a été repéré entre le degré de planification des enfants et l’attrition, nous considérerons que les naissances survenues entre 2005 et 2008 sont représentatives de ces cohortes d’enfants.
II. L’évolution de la planification des naissances depuis 1970
1. Une stabilisation depuis le milieu des années 1980
13L’utilisation des méthodes modernes de contraception s’est très rapidement répandue à l’ensemble de la population française après l’entrée en application de la loi Neuwirth (de Guibert-Lantoine et Leridon, 1988 ; Leridon et al., 2002). Cette meilleure maîtrise de la contraception a eu pour conséquence une diminution rapide de la part des naissances mal planifiées (souhaitées « plus tard »), non désirées ou survenues alors que la femme « n’y pensait pas », comme l’illustrent les différentes enquêtes conduites par l’Ined en 1988, 1994 et 1998 (figure 3)6.
14En 2010, 75 % des femmes de 20 à 44 ans utilisent une méthode contraceptive et, lorsque ce n’est pas le cas, leur situation ne les expose pas a priori au risque d’une grossesse non désirée7, sauf pour environ 2 % d’entre elles (Bajos et al., 2012). Bien que cette proportion soit stable depuis plusieurs années, le contexte contraceptif a évolué depuis la fin des années 1990 (cf. infra), justifiant d’actualiser les données sur la planification des naissances. La deuxième vague d’Érfi permet de proposer une estimation pour les cohortes d’enfants nés entre 2005 et 2008. Les données de la troisième vague ne sont pas prises en compte afin de permettre de couvrir un champ aussi large que possible (femmes âgées de 21 à 44 ans)8.
15Les résultats confirment la stabilisation des déclarations au cours des dernières années. La répartition des naissances selon le degré de planification est pour la cohorte d’enfants 2005-2008 tout à fait semblable à ce qu’elle était dix ans plus tôt : plus de huit naissances sur dix sont planifiées (« souhaitées à ce moment-là » ou « plus tôt »), une sur dix est survenue alors que la femme « n’y pensait pas » et une sur dix a été « mal planifiée » ou était « non désirée ». Les efforts conduits en termes d’information, la mise à disposition de nouvelles méthodes contraceptives ou encore la délivrance de la pilule du lendemain ne semblent donc pas avoir impacté le degré de maîtrise de la fécondité, déjà élevée il est vrai. Le nombre annuel d’interruptions volontaires de grossesse (ici non pris en compte) est également resté stable sur la période, autour de 210 000 (source : Drees), même si l’IVG touche désormais moins de femmes en France mais plus souvent une même femme à plusieurs reprises (Mazuy et al., 2015).
16Notons que les proportions présentées ici reposent sur les seules déclarations des femmes, mais que les résultats sont très proches chez les hommes. Pour la suite de l’étude, l’ensemble des naissances déclarées par les femmes et par les hommes sera considéré afin de disposer d’effectifs plus conséquents.
2. Quel crédit apporter aux données rétrospectives ?
17La superposition des courbes issues des enquêtes de 1988, 1994 et 1998 pour les mêmes cohortes d’enfants semble indiquer une bonne qualité de l’information recueillie de façon rétrospective (figure 3). On retrouve par exemple des proportions similaires de naissances planifiées au cours de la période 1983-1987, que ce soit dans l’enquête de 1998 (les naissances remontaient alors à entre 11 et 15 ans avant l’enquête), dans celle de 1994 (les naissances remontaient alors à entre 7 et 11 ans avant) ou dans celle de 1988 (les naissances remontaient alors à entre 1 et 5 ans). Seule la superposition des naissances non désirées laisse apparaître une proportion systématiquement plus élevée pour la cohorte de naissances la plus récente dans chaque enquête. Cela signifierait que l’on tend à moins déclarer comme « non désirées » des naissances qui remontent à quelques années.
Figure 3. Évolution du degré de planification des naissances de 1968 à 2008

Champ : enfants déclarés par les femmes âgées de 21 à 44 ans.
Sources : ERN (1988), « enquête sur la régulation des naissances » (Ined-Insee) ; ESFE (1994), « enquête sur les situations familiales et l’emploi » (Ined-Insee) ; IF (1998), « enquête Intentions de fécondité » (Ined-Insee) ; Érfi (2008), « enquête Étude des relations familiales et intergénérationnelles » 2e vague (Insee-Insee, Érfi-GGS2, 2008).
18S’il n’est pas possible de voir ce qu’il en est à partir d’Érfi puisque la question de la planification ne portait que sur les naissances survenues depuis la première vague (donc fin 2005 pour les plus anciennes), on peut en revanche comparer, pour un même enfant, la manière dont il a été déclaré à deux dates différentes, en 2008 et en 2011. Ceci doit permettre, pour la première fois en France, de voir si la cohérence observée en moyenne tient à un souvenir très précis du contexte dans lequel est survenue la grossesse (quelle que soit l’ancienneté de la naissance, les personnes se souviendraient très précisément si celle-ci était souhaitée à ce moment-là ou non) ou si les déclarations individuelles changent dans le temps (pouvant traduire des défauts de mémoire, une reconstruction a posteriori, etc.), mais que ces changements se compensent entre eux.
III. Une prévalence moyenne stable mais une importante volatilité des réponses
1. Comparaison des prévalences en 2008 et en 2011 pour les naissances survenues entre 2005 et 2008
19Les enfants nés entre 2005 et 2008 et déclarés par le répondant à la fois à la deuxième vague et à la troisième ont été appariés, soit 438 observations. Quelques enfants n’ont pu l’être car leur date de naissance (mois et/ou année) n’était pas identique aux deux vagues. Il s’agit a priori d’erreurs de saisie de la part d’enquêteurs ou de déclarations différentes de la part du répondant, mais il n’est pas exclu que dans quelques cas, le répondant n’ait pas été le même aux deux vagues. En raison de ce doute, nous n’avons pas cherché à les apparier coûte que coûte afin de garantir une bonne comparabilité des déclarations relatives à la planification de chaque enfant du répondant.
Figure 4. Degré de planification des naissances (2005-2008) selon l’année de déclaration (2008 ou 2011)

Champ : enfants nés entre la première et la deuxième vague (2005-2008) et déclarés par le répondant à la fois en vague 2 et en vague 3 (n = 438 enfants ; données pondérées). Lecture : 72,4 % des enfants nés entre 2005 et 2008 sont déclarés en 2008 par le répondant comme souhaités « à ce moment de la vie de couple ». La partie droite du graphique présente les intervalles de confiance à 5 % pour la catégorie « souhaité à ce moment-là ».
Source : Érfi-GGS2-3, Ined-Insee, 2008-2011.
20La manière dont ces 438 enfants sont déclarés montre une grande similitude, en moyenne en 2008 et en 2011 (figure 4). À un point de pourcentage près, la proportion d’enfants déclarés comme « souhaités à ce moment-là » est la même (72 % en 2008, 71 % en 2011). Une petite différence est toutefois à noter concernant les naissances mal planifiées : en 2011, la part des naissances souhaitées « plus tard » est moindre (4 % contre 6 % en 2008), mais celles des naissances survenues alors que le répondant « n’y pensait pas » est plus importante (12 % contre 9 %). De même, la part de naissances « non désirées », déjà très faible en 2008, devient insignifiante en 2011. Toutefois, les écarts ne sont pas significatifs. Cette concordance des déclarations abonde donc dans le sens d’une bonne qualité de l’information recueillie en rétrospectif à ce sujet. Il se peut cependant que cette cohérence d’ensemble cache des différences de déclaration pour chaque enfant, lesquelles se compenseraient entre elles.
2. Des réponses peu stables
a. Un tiers des répondants ne déclare pas à l’identique une même naissance en 2008 et en 2011
21Le tableau 1 met en regard la manière dont chaque enfant a été déclaré en 2008 et en 2011 (les données ne sont pas pondérées dans la mesure où nous ne cherchons ici aucune représentativité). Ainsi, sur 100 naissances, 68 % sont déclarées exactement de la même manière aux deux vagues d’enquête (somme des pourcentages se situant sur la diagonale – chiffres en gras – du tableau). Un tiers des naissances (32 %) ne sont donc pas déclarées de la même manière à trois ans d’intervalle.
Tableau 1. Comparaison des déclarations des naissances (2008 et 2011) survenues entre 2005 et 2008 (% d’ensemble)

Champ : enfants nés entre la première et la deuxième vague (2005-2008) et déclarés par le répondant à la fois en vague 2 et en vague 3 (n = 438 enfants ; données non pondérées). Lecture : 56,2 % des enfants nés entre 2005 et 2008 sont déclarés comme souhaités « à ce moment de la vie de couple » aux deux vagues d’enquête (2008 et 2011).
Source : Érfi-GGS2-3, Ined-Insee, 2008-2011.
22En cas de déclarations différentes, celles-ci sont proches dans deux cas sur cinq : 11 % de l’ensemble des naissances sont indiquées comme « souhaitées à ce moment-là » à l’une des vagues et comme souhaitées « plus tôt » à l’autre, ces deux modalités traduisant une naissance « planifiée » ; 3 % sont déclarées comme « mal planifiées » aux deux vagues malgré une réponse différente aux deux vagues (par exemple, de souhaitée « plus tard » à « n’y pensait pas », de « non désirée » à souhaitée « plus tard », etc.). En revanche, les déclarations passent de « planifiées » à « mal planifiées » (de souhaitées « à ce moment-là » ou « plus tôt » à souhaitées « plus tard », « pas du tout » ou « n’y pensait pas », ou inversement) dans 18 % des cas.
b. Déclaration en 2011 selon la déclaration faite trois ans plus tôt
23Si l’on croise la réponse donnée en 2011 en fonction de celle donnée trois ans plus tôt (tableau 2), la modalité « à ce moment-là » en 2008 apparaît la plus stable au cours du temps : dans huit cas sur dix, la réponse est la même en 2008 et en 2011, dans un cas sur dix, la naissance est déclarée comme souhaitée « plus tôt » et dans un cas sur dix seulement, elle est finalement considérée comme survenue alors que la personne « n’y pensait pas ». Cette dernière réponse peut laisser penser que la grossesse est survenue de manière impromptue, bien que déclarée comme souhaitée « à ce moment-là » en 2008 (2e vague) : dans un contexte de forte maîtrise de la fécondité, les personnes ont peut-être eu du mal à reconnaître peu de temps après la naissance que celle-ci n’avait pas été programmée. Toutefois, sur les 25 naissances concernées9, 18 (c’est-à-dire les trois quarts) correspondent en fait à des personnes qui, lors de la première vague d’enquête (2005), avaient l’intention d’avoir un enfant dans les trois années qui allaient suivre. Et, de manière plus générale, les trois quarts des naissances déclarées comme survenues alors que le répondant « n’y pensait pas » en 2008 (34 naissances) ou en 2011 (50 naissances) correspondent à des personnes qui en 2005 avaient exprimé l’intention d’avoir un enfant dans les trois ans. Ce résultat invite donc plutôt à considérer ces naissances comme étant planifiées10. Bien que les effectifs soient faibles (34 naissances), on note d’ailleurs que 41 % des « n’y pensait pas » en 2008 sont déclarées trois ans plus tard comme souhaitées « à ce moment-là » et 12 % « plus tôt ».
Tableau 2. Déclaration des naissances (2005-2008) en 2011 selon la déclaration de 2008 (% en ligne)

Champ : enfants nés entre la première et la deuxième vague (2005-2008) et déclarés par le répondant à la fois en vague 2 et en vague 3 (n = 438 enfants ; données non pondérées). Lecture : 80,1 % des enfants nés entre 2005 et 2008 et déclarés comme souhaités « à ce moment de la vie de couple » en 2008 sont encore déclarés comme souhaités « à ce moment-là » en 2011.
Source : Érfi-GGS2-3, Ined-Insee, 2008-2011.
24On constate par ailleurs une volatilité des réponses « plus tôt » en 2008 qui dans 4 cas sur 10 sont déclarées trois ans après comme « souhaitées à ce moment-là » (tableau 2), et inversement (dans 4 cas sur 10, les naissances déclarées « souhaitées plus tôt » en 2011 étaient déclarées souhaitées « à ce moment-là » en 2008). Mais ce n’est que rarement que la réponse change du tout au tout en étant déclarée trois ans après comme souhaitée « plus tard » (cela ne représente que 3 naissances).
25Au final, si dans 1 cas sur 3 la réponse n’est pas exactement la même à trois ans d’intervalle, cela ne correspond pas massivement à des déclarations contradictoires et rien ne permet de conclure à des défauts de mémoire ni à des phénomènes de ratification ex post. Il semble plutôt que l’on puisse parler de porosité entre les modalités proposées. Une naissance peut être souhaitée « plus tôt » parce que la grossesse a été longue à venir mais l’enfant n’en est pas moins souhaité « à ce moment-là » dans la vie de la personne. De la même manière, une réponse « n’y pensait pas » n’est pas incompatible avec le fait que l’enfant était souhaité « à ce moment-là ». Tout dépend de l’échelle temporelle sur laquelle se situe le répondant au moment où il est interrogé : on peut par exemple être surpris par la rapidité avec laquelle survient une grossesse après l’arrêt de la contraception (celle-ci survient alors qu’on ne pensait pas être enceinte si vite) mais, à une échelle de temps plus large, la naissance était bien souhaitée « à ce moment-là » dans la vie de la personne. De la même manière, la modalité « n’y pensait pas » n’est pas exclusive des modalités « plus tard » ou « pas du tout ».
3. Profil des répondants ayant donné une réponse différente
26Malgré la porosité des modalités de réponses qui, à elle seule peut expliquer la fluidité des réponses au fil du temps, nous avons cherché à voir si certains facteurs ou certaines caractéristiques des personnes pouvaient être associées à une propension plus ou moins élevée à donner une réponse différente entre 2008 et 2011 (tableau 3). En raison d’effectifs assez faibles, il n’est pas possible de conduire une analyse fine permettant, par exemple, de distinguer les naissances pour lesquelles la déclaration change du tout au tout. Nous avons donc construit un modèle multivarié (régression logistique) mesurant la propension d’une naissance à ne pas être déclarée à l’identique aux deux dates en fonction de différentes caractéristiques, afin de mesurer l’effet net de chacune. Comme nous l’avons vu précédemment, nous tenons notamment compte de la manière dont la naissance était déclarée en 2008, la probabilité que la réponse diffère trois ans après en dépendant largement (tableau 2). La situation conjugale, l’âge de la mère, le rang de l’enfant ou encore le milieu social du répondant (ici mesuré par le revenu total du ménage en 2005 et par le niveau de diplôme du répondant) sont pris en compte, ces variables étant corrélées au degré de planification des naissances. En outre, nous testons l’évolution de la situation conjugale entre les deux dates, une séparation pouvant avoir conduit le répondant à revenir sur sa perception de la planification de la naissance.
Tableau 3. Probabilité (paramètre ß) d’avoir donné une réponse différente entre 2008 et 2011 versus exactement la même réponse (modèle logit)

Champ : enfants nés entre la première et la deuxième vague (2005-2008) et pour lesquels le répondant a participé à la troisième vague. Lecture : un paramètre ß positif (resp. négatif) et statistiquement significatif (voir légende) indique que l’on est en présence d’un facteur qui augmente (resp. diminue) la probabilité que l’enfant n’ait pas été déclaré de la même manière aux vagues 2 et 3, toutes choses égales par ailleurs. Plus la valeur de ce paramètre s’éloigne de 0 et plus l’impact de ce facteur est important. Légende : Réf. = situation de référence ; ★★★ = significatif à 1 % ; ★★ = à 5 % ; ★ = à 10 % ; sans ★ = non significatif.
Source : Érfi-GGS2-3, Ined-Insee, 2008-2011.
27Au-delà de la réponse proposée en 2008 qui, si elle diffère de « souhaitée à ce moment-là », augmente fortement les chances d’avoir proposé une réponse différente en 2011, peu de facteurs jouent de manière significative. La probabilité estimée de ne pas avoir répondu de la même manière aux deux vagues est plus élevée chez les personnes s’étant séparées de leur conjoint. Pour elles11, les réponses sont principalement passées de « planifiées » (naissances souhaitées « à ce moment-là » ou « plus tôt ») à « mal planifiées » (autres réponses), ou les enfants ont été déclarés comme « mal planifiés », mais avec des réponses différentes aux deux vagues (par exemple de « n’y pensait pas » à « non désiré » ou inversement). La probabilité d’avoir donné une réponse différente est en revanche moins élevée chez les diplômés du supérieur et chez les personnes qui, en 2005, utilisaient une méthode médicale de contraception comparativement à celles qui cherchaient à avoir un enfant. Cette dernière situation (chercher à avoir un enfant) est toutefois particulière : il s’agit principalement de naissances pour lesquelles la réponse est passée de « souhaité à ce moment-là » à « plus tôt » et, dans une moindre mesure, de « plus tôt » à « à ce moment-là » ou de « vous n’y pensiez pas » à « à ce moment-là », situation pour laquelle la grossesse a tardé à venir (difficulté à avoir un enfant). Enfin, les hommes semblent plus stables dans leur réponse mais, là aussi, la principale différence tient à un changement de réponse de « plus tôt » à « à ce moment-là », plus fréquent chez les femmes.
28En conclusion, les changements de réponse constatés ne montrent pas de contradictions fortes et, de ce fait, il n’est pas surprenant d’observer une bonne superposition des prévalences par cohorte de naissance des enfants, indépendamment de l’enquête utilisée (figure 3). Peu de facteurs apparaissent corrélés au changement de réponses, lequel semble principalement tenir à la porosité des frontières entre les différentes modalités de réponse proposées. Intéressons-nous désormais aux raisons liées au degré de planification des naissances.
IV. Quelques-unes des caractéristiques des naissances « mal planifiées »
1. Analyse descriptive
29La maîtrise de la fécondité est en partie liée au recours à la contraception. Bien que celui-ci soit très répandu dans l’ensemble de la population française, quelques disparités demeurent. Une moindre couverture contraceptive apparaît en bas de la hiérarchie sociale, lorsque la femme est peu instruite (diplôme inférieur au Bac) et que le ménage dispose d’un faible revenu (toutes choses égales par ailleurs). La nationalité joue également, la pratique contraceptive étant moindre lorsque l’un des deux conjoints n’est pas de nationalité française. Enfin, l’âge de la femme apparaît comme un facteur très important, avec en particulier une forte diminution du taux de couverture contraceptive chez les femmes de 40 ans et plus, probablement liée à l’idée que l’on est moins fertile passé un certain âge (Régnier-Loilier, 2011). Les grossesses accidentelles sont également plus fréquentes aux jeunes âges, comme en témoigne la plus forte propension à interrompre une grossesse chez les plus jeunes (Villain et Mouquet, 2012 ; Mazuy et al., 2015).
30La part des naissances survenues au bon moment est maximale entre 29 et 37 ans (les trois quarts sont souhaitées « à ce moment-là »), mais elle est, en revanche, moindre avant 26 ans (68 %) et plus encore à partir de 38 ans (60 %). À ces âges, les naissances surviennent plus souvent alors que le répondant « n’y pensait pas » (16 % avant 26 ans et 21 % après 37 ans). Les naissances « non désirées » sont rares à tout âge. Enfin, sans surprise, la proportion de naissances souhaitées « plus tôt » est plus élevée aux âges élevés et celle de naissances souhaitées « plus tard » aux jeunes âges (figure 5).
Figure 5. Degré de planification des naissances (2005-2011) selon l’âge de la mère à la naissance

Champ : enfants nés entre la première et la troisième vague (2005-2011) (données pondérées). Note : pour 4 enfants sur 980, l’année de naissance de la femme n’était pas connue. L’âge de la mère à la naissance de l’enfant a alors été déterminé en prenant l’année de naissance de l’homme + 2 ans (écart d’âge moyen dans un couple). Lecture : 67,8 % des enfants nés entre 2005 et 2011 d’une mère âgée de moins de 26 ans, sont déclarés en 2011 par le répondant (femme ou homme) comme souhaités « à ce moment de la vie de couple ».
Source : Érfi-GGS3, Ined-Insee, 2011.
31Si la fécondité apparaît très normée en termes d’âge (peu de naissances surviennent aux jeunes âges en raison de la norme procréative12, peu arrivent sur le tard13), elle l’est aussi en termes de descendance finale, celle-ci comptant très majoritairement deux, voire trois enfants. Dans les faits, les naissances de rangs supérieurs à 3 apparaissent ainsi moins souvent planifiées : 64 % étaient souhaitées « à ce moment-là » contre 72 % des naissances de rang 1 (figure 6). La grossesse est alors plus fréquemment survenue alors que le répondant « n’y pensait pas », voire n’était pas désirée.
Figure 6. Degré de planification des naissances (2005-2011) selon leur rang de naissance

Champ : enfants nés entre la première et la troisième vague (2005-2011) (données pondérées). Lecture : 72 % des enfants de rang 1 sont déclarés en 2011 comme souhaités « à ce moment de la vie de couple ».
Source : Érfi-GGS3, Ined-Insee, 2011.
32Bien que l’enquête Érfi ne permette pas de connaître avec précision la situation contraceptive d’une personne avant la conception de l’enfant14, un lien assez net apparaît avec le degré de planification des naissances. Lorsque la contraception utilisée lors de la vague précédant la naissance était permanente (pilule, stérilet, implant, injection), la proportion de naissances souhaitées « à ce moment-là » est alors la plus élevée (76 % contre 62 % si une autre méthode était utilisée). Mais une investigation plus précise à partir de données idoines s’avère nécessaire, la situation contraceptive ayant pu évoluer entre la vague d’enquête et le moment de la conception de l’enfant15.
33L’enquête Érfi permet cependant de resituer avec précision la conception de chaque enfant dans l’histoire professionnelle du répondant. Un calendrier rétrospectif d’activité recense en effet les périodes d’activité, d’études, de chômage et d’inactivité du répondant depuis son 16e anniversaire (mais pas celles du conjoint). Le répondant pouvant être un homme ou une femme, cela invite à une analyse séparée. Malgré un nombre réduit de naissances survenues alors que l’homme n’était pas en emploi (donc étudiant, chômeur, inactif), aucune corrélation ne se dégage du côté masculin entre situation d’activité et planification des naissances. En revanche, du côté féminin, les naissances sont plus fréquemment planifiées lorsque la femme était en emploi (71 % sont souhaitées « à ce moment-là ») que si elle était au chômage, en études ou inactive (60 %, 20 % étant alors survenues alors que la femme « n’y pensait pas » : figure 7).
Figure 7. Degré de planification des naissances (2005-2011) selon la situation professionnelle du répondant au moment de la conception de l’enfant (par sexe)

Champ : enfants nés entre la première et la troisième vague (2005-2011) (données pondérées). Lecture : 59,7 % des enfants nés entre 2005 et 2011, et dont le répondant était une femme étudiante, chômeuse ou inactive au moment de sa conception, sont déclarés en 2011 comme souhaités « à ce moment-là ».
Source : Érfi-GGS3, Ined-Insee, 2011.
34L’arrivée d’un enfant paraît ainsi mieux « planifiée » lorsqu’elle survient dans un contexte professionnel stable, pouvant illustrer l’une des conditions préalables que se fixent les couples avant d’entrer en parentalité (Régnier-Loilier, 2007), mais pouvant aussi traduire un moindre degré de maîtrise de la contraception dans certains contextes. La probabilité d’être exposé au risque d’une grossesse non désirée est en effet plus élevée chez les plus bas revenus et les moins diplômés (cf. supra) et, dans les faits, la survenue d’une naissance mal planifiée ou non désirée est plus fréquente chez eux : 68 % des naissances issues de personnes dont le revenu mensuel était inférieur à 1000 € (lors de la vague précédant la naissance) étaient planifiées (souhaitées « à ce moment-là » ou « plus tôt ») contre 86 % lorsque le revenu atteignait au moins 3000 €. Des écarts du même ordre apparaissent selon le niveau d’instruction du répondant.
2. L’analyse multivariée
35Plusieurs facteurs étant liés entre eux, une modélisation (régression logistique) a été mise en place afin de déterminer l’effet propre de chacun. Elle oppose deux situations : le fait que la naissance soit « mal planifiée » (i.e. souhaitée « plus tard », « pas du tout » ou « n’y pensait pas »16) versus « planifiée » (c’est-à-dire souhaitée « à ce moment-là » ou « plus tôt ») (tableau 4). Les variables introduites dans les modèles sont les mêmes que celles évoquées dans la partie descriptive : le sexe du répondant, différentes caractéristiques observées lors de la vague précédant la naissance (situation conjugale, méthode contraceptive utilisée, niveau de diplôme de la mère, revenu total du ménage, situation d’activité de la mère, du père), l’âge de la mère à la naissance de l’enfant et le rang de naissance de l’enfant. Les hypothèses sous-jacentes sont qu’une naissance mal planifiée est plus probable dans certains milieux sociaux (ceux pour lesquels on note une moindre utilisation de la contraception), aux âges de la vie qui s’écartent de la norme procréative, aux rangs élevés et dans des situations conjugales moins établies.
Tableau 4. Probabilité (paramètres ß) que l’enfant soit non planifié/non désiré versus planifié ou souhaité plus tôt en fonction de diverses caractéristiques (modèle logit)

Champ : enfants nés entre la première et la troisième vague (2005-2011) Lecture : un paramètre ß positif (resp. négatif) et statistiquement significatif (voir légende) indique que l’on est en présence d’un facteur qui augmente (resp. diminue) la probabilité que l’enfant soit non planifié (souhaité plus tard, pas du tout, n’y pensait pas), toutes choses égales par ailleurs. Plus la valeur de ce paramètre s’éloigne de 0 et plus l’impact de ce facteur est important. Légende : Réf. = situation de référence ; ★★★ = significatif à 1 % ; ★★ = à 5 % ; ★ = à 10 % ; sans ★ = non significatif.
Source : Érfi-GGS3, Ined-Insee, 2011.
36Toutes choses égales par ailleurs, aucun effet du sexe du répondant n’apparaît sur la manière dont une naissance est déclarée. Concernant le milieu social, l’effet n’est que de faible ampleur. Le diplôme de la femme n’est pas significativement lié au degré de planification de la naissance. Seuls les très bas revenus (< 1000 €) augmentent la probabilité d’une naissance mal planifiée (modèle 1), mais l’effet disparaît dès lors que l’on tient compte de la situation d’activité du père et de la mère (modèle 2). Néanmoins, l’inactivité de l’homme augmente alors de manière significative la probabilité que la naissance ait été mal planifiée, illustrant l’importance de la stabilité professionnelle dans la constitution de la famille17. De la même manière, l’importance de la stabilité conjugale dans la décision d’avoir un enfant (Mazuy, 2009) se retrouve ici, avec une moindre probabilité que la naissance ait été planifiée si la personne n’était pas en couple lors de la vague précédant la naissance (traduisant une conception survenue en dehors d’une vie conjugale ou une histoire conjugale récente) et, dans une moindre mesure chez les couples non mariés.
37Par rapport aux personnes cherchant à avoir un enfant lors de la vague précédant la naissance, l’utilisation d’une méthode de contraception non médicale (préservatif, retrait, etc.) ou l’absence de contraception, augmentent significativement le risque que l’enfant n’ait pas été planifié. Malgré la prise en compte de ce facteur, on retrouve, toutes choses égales, un effet significatif de l’âge de la mère (avec une probabilité accrue de naissances mal planifiées chez les plus jeunes et les plus âgées) et du rang de naissance (les naissances de rang 3 et, plus encore celles de rangs supérieurs, ayant une moindre probabilité d’être planifiées).
Conclusion
38La question de la planification des naissances a été centrale au tournant des années 1970, alors que des changements importants dans le domaine de la maîtrise de la fécondité étaient en cours : libre accès à une contraception médicalisée et à l’interruption volontaire de grossesse. Il s’agissait alors de mesurer l’effet de ces nouvelles lois sur la fécondité du pays et d’en comprendre les mécanismes. Plus de la moitié de la baisse de la fécondité observée les années suivantes semblait tenir à une diminution de la part des naissances non désirées. Du milieu des années 1980 à la fin des années 1990, la part des naissances planifiées, mal planifiées ou non désirées s’est stabilisée.
39L’objectif de ce chapitre était triple. Il s’agissait d’abord d’actualiser les données sur la question dans un contexte où, d’un côté, le nombre d’avortements est demeuré stable mais où, de l’autre, de nombreuses campagnes d’information sur la contraception mais aussi de nouvelles méthodes de contrôle des naissances ont vu le jour (implant, patch, mais aussi pilule du lendemain). Malgré ces changements récents, aucune évolution n’est détectée quant au degré de planification des naissances. Tout se passe comme si un seuil maximal était atteint depuis le milieu des années 1980, avec 8 naissances sur 10 qui surviennent au moment souhaité dans la vie du couple. Les autres naissances, souhaitées « plus tard » ou survenues alors que le répondant « n’y pensait pas », n’étaient donc pas « décidées », ce qui ne signifie pas pour autant qu’elles n’étaient pas souhaitées. Bien que la fécondité soit de plus en plus maîtrisée (en termes de moyens de contraception à disposition mais aussi de prise en charge de l’infertilité), elle garde une part d’incertitude : une grossesse peut mettre plus de temps que prévu à arriver et, à l’inverse, les grossesses non préalablement « décidées » continuent à être assez nombreuses.
40Cette actualisation des données sur la planification des naissances était aussi l’occasion, pour la première fois en France, d’évaluer la qualité de l’information collectée en rétrospectif à partir de la question « Souhaitiez-vous que cette grossesse survienne… à ce moment-là, plus tard, plus tôt, pas du tout, n’y pensait pas », classique dans les enquêtes de l’Ined depuis les années 1970. Si la bonne superposition des taux de prévalence obtenus d’une enquête à l’autre et indépendamment de l’ancienneté de la naissance, laissait supposer qu’il n’y avait pas de biais déclaratif et que les réponses étaient stables dans le temps, l’enquête Érfi, en collectant la même information à trois ans d’intervalle, a permis de mettre en évidence une grand stabilité globale des réponses, mais une variabilité intra-individuelle non négligeable. Une naissance sur trois survenue entre 2005 et 2008 n’est pas déclarée à l’identique en 2008 et en 2011. Toutefois, les différences observées traduisent plus une porosité des modalités de réponse et le fait que certains items ne soient pas exclusifs des autres (la modalité « n’y pensait pas » n’est notamment pas exclusive des autres modalités proposées). Si l’objectif de comparaison temporelle de la planification des naissances rend difficile la reformulation de la question, ce résultat invite néanmoins à affiner certaines réponses. En particulier, il conviendrait de chercher à affiner la réponse « n’y pensait pas » en posant une question supplémentaire à sa suite qui permettrait de déterminer si la grossesse était souhaitée, attendue ou si elle est survenue alors que la personne utilisait une méthode contraceptive18.
41Enfin, en nous limitant aux grossesses ayant été menées à terme, nous avons dans un troisième temps chercher à repérer si certains facteurs étaient associés à une moindre maîtrise de la fécondité. Des facteurs sociaux demeurent, avec un moindre degré de planification chez les plus bas revenus ou dans les configurations où l’homme est absent ou inactif. Les situations conjugales les moins installées (couple récent ou situation hors couple) conduisent également à une plus forte probabilité que la naissance ait été mal planifiée ou non désirée. En outre, une moins bonne planification des naissances se dessine aux deux extrêmes de l’échelle des âges, traduisant une moindre vigilance contraceptive à certains moments de la vie, en particulier aux âges les plus élevés (Régnier-Loilier, 2011). Les naissances de rang élevé sont ainsi moins souvent planifiées. Les facteurs mis en avant ici sur le degré de planification des naissances vivantes recoupent en partie ceux obtenus à partir de l’étude des IVG. Peut-être conviendrait-il, pour de futures campagnes d’information sur la contraception, de cibler de manière plus spécifique certains publics et, en particulier, les femmes approchant du terme de leur vie féconde, période où un relâchement contraceptif est observé.
Bibliographie
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Références bibliographiques
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Notes de bas de page
1 Enquête Fécondité (1978), Enquête sur la régulation des naissances (ERN, 1988), Enquête sur les situations familiales et l’emploi (1994), enquête Intentions de fécondité (1998).
2 Modalité « N’y pensait pas » non présente dans l’enquête de 1978, ajoutée suite au test du questionnaire de l’enquête ERN de 1988.
3 39 % des personnes ayant déclaré qu’en y repensant, elles auraient préféré avoir moins d’enfants qu’elles n’en ont eus ont par ailleurs indiqué que toutes leurs grossesses étaient planifiées. Seulement 16 % des personnes ayant déclaré qu’elles auraient préféré avoir moins d’enfants ont décrit au moins une de leurs grossesses comme « non désirée ». À l’inverse, seules 20 % des personnes ayant déclaré avoir eu au moins une naissance « non désirée » disent qu’en y repensant, elles auraient préféré avoir moins d’enfants (d’après l’enquête Intentions de fécondité, Ined-Insee, 1998).
4 Dans les précédentes enquêtes de l’Ined, la question portait sur l’ensemble des enfants du répondant (et non uniquement sur les naissances les plus récentes). La naissance pouvait donc remonter à plusieurs dizaines d’années, permettant de suivre l’évolution par cohorte de naissance.
5 Sont considérés comme « planifiés » les enfants déclarés comme « souhaités à ce moment-là » ou « plus tôt », et comme « mal planifiés » ceux déclarés comme souhaités « plus tard », « pas du tout » ou alors que le répondant « n’y pensait pas ». Ce regroupement est habituel lorsque l’on traite des données de ce type (voir par exemple Leridon, 1985 ou Leridon et Toulemon, 1990), même si ce choix peut être discuté (cf. infra).
6 Les résultats présentés pour la période 1968-1997 diffèrent légèrement de ceux déjà publiés ailleurs (Régnier-Loilier et Leridon, 2007) en raison du champ limité ici aux enfants des femmes de 21-44 ans (champ qui permet de comparer ces trois enquêtes avec Érfi 2008).
7 Elles attendent un enfant ou essayent d’en avoir, pensent ne plus pouvoir en avoir ou n’ont pas de partenaire.
8 Pour chaque enquête (figure 3), le champ est limité aux enfants déclarés par les femmes âgées de 21 à 44 ans, champ commun aux quatre enquêtes : lors de la deuxième vague d’Érfi, les répondants (femmes ou hommes) sont âgés d’au moins 21 ans ; l’enquête Intentions de fécondité (1998) interrogeait des femmes et des hommes de moins de 45 ans ; seules des femmes étaient interrogées dans l’enquête Régulation des naissances (1988). La prise en compte des données de la troisième vague d’Érfi aurait contraint à restreindre le champ aux naissances des femmes âgées de 24 à 44 ans (les répondants étant âgés d’au moins 24 ans en 2011), or les naissances s’avèrent être moins bien planifiées aux jeunes âges (Régnier-Loilier, 2005). Cela reviendrait donc à surestimer la planification des naissances en France.
9 8,1 % des 307 naissances déclarées souhaitées « à ce moment-là », en 2008.
10 Nous avons par ailleurs vérifié que ces naissances ne correspondaient pas à des personnes qui auraient eu entre 2005 et 2008 deux enfants très rapprochés, le deuxième pouvant alors être survenu alors que le répondant ne s’y attendait pas (retour de couche, etc.).
11 Cela ne représente toutefois que 27 cas sur les 438 naissances prises en compte ici.
12 Il convient notamment d’avoir terminé ses études, d’être sûr que son couple est stable, d’avoir une situation professionnelle installée, etc. (Régnier-Loilier, 2007).
13 Et elles sont plus souvent associées à des configurations particulières : séparation et remise en couple, position professionnelle élevée de la femme, familles nombreuses (Bessin et al., 2005).
14 Notamment, si nombre de répondants n’utilisaient aucune contraception lors de la vague précédente, cela ne signifie pas qu’ils étaient nécessairement exposés au risque d’une grossesse non désirée : beaucoup n’étaient pas en couple, d’autres cherchaient à avoir un enfant, etc.
15 Les données de l’enquête Inserm-Ined FECOND (« Fécondité, contraception, dysfonctions sexuelles », 2010) permettront d’approfondir ce point, celle-ci incluant un calendrier contraceptif (rétrospectif) très fin.
16 Cette dernière modalité, nous l’avons vu, reste difficile à interpréter : si elle peut traduire une grossesse « surprise », elle ne signifie pas nécessairement que l’enfant n’était pas souhaité à ce moment-là (cf. supra). Nous choisissons de la regrouper avec les naissances « mal planifiées » car sa signification est cependant moins clairement tranchée que les naissances souhaitées « à ce moment-là » ou « plus tôt ». Une modélisation multinomiale permettrait de comparer les facteurs qui influent sur la probabilité que la naissance soit déclarée de telle ou telle manière avec plus de finesse, mais les effectifs ne le permettent pas.
17 À noter que la catégorie des pères inactifs inclut les quelques situations où la femme n’était pas en couple avant la naissance. Ceci explique pourquoi, dans le modèle 2 incluant la situation d’activité du père, la situation « Pas en couple » perd de sa significativité.
18 L’enquête Fécondité, contraception, dysfonctions sexuelles (Inserm-Ined, 2010) permet d’isoler ces situations.
Auteur
Docteur en sociologie, chargé de recherche à l’Ined et rattaché à l’unité Fécondité, famille, sexualité. Il enseigne également en master les méthodes d’analyse quantitative à l’université Paris-Sorbonne. Ses principaux travaux portent sur la fécondité, la diversité des conjugalités et les relations enfants-parents en France. Ses réflexions portent également sur la méthodologie d’enquête. Responsable de la mise en place des trois vagues de l’enquête Generations and Gender Survey en France (Étude des relations familiales et intergénérationnelles, Érfi) réalisées en partenariat avec l’Insee entre 2005 et 2011, il a également coordonné, avec Wilfried Rault (Ined), l’enquête Étude des parcours individuels et conjugaux (Épic, 2012-2013, en partenariat avec l’Insee).
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