Chapitre 7. L’impact de la trajectoire familiale des femmes sur leur système de valeurs
p. 185-214
Note de l’auteur
L’auteure remercie l’équipe de l’Ined ayant travaillé sur Érfi, en particulier Arnaud Régnier-Loilier, qui lui a permis d’accéder aux données de l’enquête, renseignant les trajectoires familiales des femmes dans leur complexité et leur diversité, ainsi que le relecteur anonyme de ce chapitre.
Texte intégral
Introduction
1Existe-t-il un lien entre le système de valeurs des femmes, entendu comme un ensemble structuré et hiérarchisé d’attitudes et de normes générales (Schwartz, 2006), et leur trajectoire familiale ? Les femmes tendent-elles vers la configuration familiale conforme à leur système de valeurs ou, a contrario, l’expérience de la beau-parentalité ou de la monoparentalité transforme-telle les valeurs auxquelles elles adhèrent ?
2Le lien entre la situation familiale ou matrimoniale des individus et leur système de valeurs a été étudié dans différents travaux. Cependant, ces travaux tendent à simplifier les configurations familiales en ne tenant pas compte des transformations des familles contemporaines mises en évidence par la sociologie de la famille. Les familles monoparentales et, plus encore, les familles recomposées restent encore assez peu analysées.
3Les configurations familiales et, consécutivement, les trajectoires familiales empruntées par les individus, se sont fortement diversifiées depuis les années 1970 (Segalen, 2006). Le nombre croissant de divorces et de séparations a conduit à une augmentation des familles monoparentales et recomposées. Ainsi, en 2011, 18 % des enfants mineurs vivent dans une famille monoparentale en France métropolitaine et 11 % dans une famille recomposée (Lapinte, 2013).
1. La simplification courante des trajectoires familiales
4Aux États-Unis, l’impact du mariage sur les comportements électoraux des individus a été étudié dans les années 1980 et 1990. La propension des individus non mariés à voter davantage démocrate que les mariés est alors débattue (Gerson, 1987 ; Kingston, Finkel, 1987 ; Weisberg, 1987). Cependant, ces études différencient uniquement les « mariés » des « non-mariés ». Aussi les « non-mariés » regroupent-ils les célibataires, les divorcés, les concubins tandis que les « mariés » rassemblent les premières unions et les remariages. Malgré la complexification des catégories proposée par Eric Plutzer et Michael McBurnett (1991) au-delà de la dichotomie « mariés/non-mariés », aux États-Unis, la confusion entre mariage et remariage persiste.
5En outre, la focalisation des travaux américains sur le mariage et le divorce comme indicateur respectivement de la mise en couple et d’une rupture, est difficilement applicable en France, en raison de l’importance des cohabitations hors mariage (Toulemon, 1996).
6L’association entre opinion et configuration familiale a été analysée par Kellerhals et al. (1985), autour de la question spécifique du divorce dans les années 1980, qui montrent que les individus valorisant les droits individuels et l’égalité femmes/hommes dans la sphère domestique, au moment de la mise en couple, ont une propension plus grande à divorcer. Plus récemment, en s’appuyant sur les deux premières vagues de l’enquête Érfi, Delphine Chauffaut et Pauline Domingo (2011) défendent une hypothèse de continuité des opinions avec les changements de situation familiale. Cependant, en se concentrant sur trois évolutions (le nombre d’enfants du répondant, sa situation de couple et son activité), les auteures ne prennent pas en compte directement l’expérience de la beau-parentalité tandis que premières unions et recompositions ne sont pas distinguées. Le même écueil est présent dans l’analyse de Régis Bigot et Franck Delpal (2004).
2. L’impact des trajectoires familiales sur la perception des inégalités de genre
7Alors que la spécificité de l’expérience de la monoparentalité et de la beau-parentalité pour les femmes a été soulignée par certains travaux (Lefaucheur, 1987 ; Thompson et Walker, 1995 ; Le Gall et Martin 1993 ; Meulders-Klein et Théry, 1993 ; Cadolle, 2001), l’impact de ces expériences, au-delà des comportements quotidiens, sur les valeurs des femmes reste peu étudié.
8Ce décalage peut se comprendre par une certaine réticence des études de genre, notamment françaises, à analyser la sphère domestique, lieu d’exploitation et de perpétuation d’une conception traditionnelle des rapports de genre (notamment Delphy, 2001 ; Kergoat in Hirata et al., 2004 ; Chabaud-Rychter et al., 1985 ; Hirata, 2002). Au-delà de son articulation avec le travail, la sphère domestique reste relativement peu étudiée (Rault et Letrait, 2009). D’un certain point de vue, les réserves de la sociologie française du genre relatives à l’étude de la sphère familiale ont cantonné leurs réflexions à une conception de la famille historiquement et socialement définie : la famille nucléaire.
9Breanne Fahs (2007) montre, dans le contexte américain, que les femmes divorcées se situent politiquement plus à gauche, se sentent plus fréquemment comme ayant un « destin commun » avec les autres femmes et endossent des positions critiques à l’égard du système en fonction du genre. Cependant l’échantillon de cette enquête quantitative, composé de 27 femmes divorcées et 71 femmes mariées, diplômées du supérieur, est spécifique. En outre, comme dans les travaux antérieurs relatifs au marriage gap, la distinction entre les femmes mariées et les femmes ayant divorcé au moins une fois homogénéise des situations différentes. Une simplification semblable des trajectoires familiales des femmes empêchant de distinguer les expériences de monoparentalité et de beau-parentalité marque les travaux de Tim Liao et Yang Cai (1995). Au-delà du regard porté sur la construction et la déconstruction du modèle nucléaire, l’effet d’autres configurations familiales n’est pas creusé.
10Face aux résultats contradictoires des travaux présentés et à la simplification des trajectoires familiales à l’œuvre, il semble pertinent de s’interroger sur l’existence éventuelle d’un lien entre la configuration familiale (nucléaire, monoparentale ou recomposée) des femmes et leur système de valeurs. Les changements de structure familiale ont-ils un impact sur les valeurs ou est-ce au contraire le système de valeurs préexistant qui influe sur la trajectoire familiale ?
3. Le cadre théorique
11Les entrées dans la monoparentalité et dans la beau-parentalité, à la différence de la mise en couple et de l’arrivée d’un enfant, peuvent être considérées comme des bifurcations, telles que définies par Michel Grossetti (2004 ; 2006), en raison de la part d’imprévisibilité dont elles sont marquées et au-delà des irréversibilités qu’elles produisent. Les bifurcations mettent ainsi en rapport deux niveaux de temporalité et s’appuient sur « l’hypothèse que le temps “court” peut influer sur le temps “long” et que ce qui se passe dans le temps court est au moins partiellement imprévisible » (Grossetti, 2006, p. 16).
12L’impact éventuel de ces bifurcations familiales sur les valeurs des femmes peut être pensé à l’aune de la notion de « socialisation de transformation » développée par Muriel Darmon (2006). La socialisation de transformation recouvre « les processus qui impliquent, à un degré ou à un autre, une transformation de l’individu sur un plan ou sur un autre » (Darmon, 2006, p. 119). Les effets des socialisations de transformation peuvent être limités dans le temps et dans les domaines dans lesquels ils s’expriment. Cette approche autorise à penser simultanément le temps long de la socialisation antérieure et l’impact des changements (entrée dans la monoparentalité ou dans la beau-parentalité) sur celle-ci.
13Le recours à l’enquête Érfi permet ainsi, de par sa dimension longitudinale, d’analyser dans quelles mesures les bifurcations familiales étudiées peuvent être le lieu d’une socialisation de transformation dans le domaine des valeurs relatives à la famille, au couple et aux inégalités femmes/hommes.
14L’analyse menée dans ce chapitre, dans la continuité des travaux sur le lien entre opinions et structure familiale, se situe donc à la croisée de la sociologie de la famille, des études de genre et des travaux sur la socialisation secondaire, qui intervient à l’âge adulte.
I. Données et méthodes : pour une analyse géométrique des données
15Le sous-échantillon analysé est composé des 1776 femmes ayant au moins un enfant ou un bel-enfant cohabitant dans l’une des trois vagues (tableau 1). La comparaison est donc menée parmi des femmes ayant une certaine homogénéité générationnelle des expériences familiales1.
Tableau 1. Structure de l’échantillon selon la configuration familiale

Champ : femmes ayant au moins un enfant ou un bel-enfant cohabitant en vague 1, 2 ou 3. Lecture : 918 femmes sont mères en famille nucléaire en vague 1.
16Source : Érfi-GGS123, Ined-Insee, 2005-2008-2011.
17Le recours aux données longitudinales permet de porter un premier regard sur la trajectoire familiale des femmes. Entre la vague 1 et la vague 3, 65 % de l’échantillon possède une trajectoire stable ; 35 % des femmes sont marquées par un changement dans leur trajectoire familiale (tableau 2).
Tableau 2. Diversité des trajectoires familiales entre la vague 1 et la vague 3

Champ : 1 776 femmes ayant un enfant ou un bel-enfant cohabitant en vague 1, 2 ou 3. Lecture : 7,5 % des femmes deviennent belles-mères entre la vague 1 et la vague 3.
Source : Érfi-GGS123, Ined-Insee, 2005-2008-2011.
18L’attrition entre les trois vagues de l’enquête a un effet de sélection sur l’échantillon mobilisé : les femmes aux trajectoires familiales changeantes, plus souvent marquées par une mobilité résidentielle, sont davantage perdues entre les trois vagues2.
19S’interroger sur la diversité des trajectoires familiales implique de travailler sur des effectifs faibles, présentés ci-après. Pour nombre d’analyses, cela contraint à regrouper au sein d’une même catégorie les femmes devenant belles-mères, d’une part, et celles devenant mères en famille monoparentale, d’autre part.
20Les analyses factorielles de correspondances multiples (AFCM) spécifiques, outils de statistique descriptive, permettent de décrire les liaisons entre des variables qualitatives (dites actives). Elles donnent sens aux logiques de proximité entre des modalités appartenant à la même dimension et soulignent les oppositions principales entre elles.
21Le recours aux AFCM spécifiques permet de dépasser l’obstacle relatif à la faiblesse des sous-échantillons, en particulier pour les femmes devenant belles-mères (quelle que soit leur situation familiale antérieure). Cette méthode permet en effet de travailler sur des effectifs faibles et de ne pas exclure les individus n’ayant pas répondu à certaines questions utilisées dans l’analyse3.
22Cette méthode, qui relève moins de l’inférence que de l’induction, permet ainsi de dégager des structures et des polarisations dans lesquelles sont projetées les variables illustratives (configuration familiale des femmes, trajectoire familiale des femmes).
23Au-delà des variables permettant de retracer ces trajectoires familiales des femmes, douze variables appartenant au module « Valeurs et attitudes » du questionnaire et, plus spécifiquement, aux sous-sections « pratique religieuse », « couple, famille » et « opinion sur la famille et la société », sont retenues comme variables actives pour construire le modèle (encadré 1). Les variables sont regroupées en quatre sous-thématiques : la conception des rôles parentaux, celle du couple, l’opinion à l’égard des inégalités femmes/ hommes et l’importance accordée à la solidarité intrafamiliale ou à l’intervention de l’État. Ces thématiques sont volontairement diversifiées afin de construire un espace de valeurs multidimensionnel. Traiter simultanément l’ensemble de ces variables enrichit l’analyse du lien entre le système de valeurs des femmes et leur trajectoire familiale car l’on ne se focalise pas sur un type spécifique de valeurs, mais néanmoins, le poids de chacune des variables et thématiques est analysé dans la construction des axes de l’AFCM.
II. Situations familiales et opinions
1. Lien entre structure familiale et opinions des femmes
24Des premiers éléments descriptifs permettent de rendre compte du lien existant entre configuration familiale et opinions des femmes à l’égard des rôles parentaux, de la conception du couple, des inégalités femmes/hommes et de la place accordée aux solidarités intrafamiliales.
25On observe une variation des opinions des femmes selon leur configuration familiale (annexe 1)4. En 2005, les mères en famille monoparentale sont moins favorables à l’idée selon laquelle « il est important que l’arrivée d’un enfant soit marquée par une cérémonie religieuse ». Entre 2005 et 2011, une diminution globale des opinions favorables à cette proposition est observable tandis que l’écart entre belles-mères et mères en famille nucléaire se creuse. Ces dernières sont, en 2011, comparativement les plus favorables à la célébration religieuse de l’arrivée d’un enfant.
26Concernant la conception du couple et, plus précisément du mariage comme « lien pour la vie qui ne devrait jamais être rompu », une différence de positionnement selon la structure familiale des femmes est de même observable. En 2005, 52 % des mères en familles nucléaires pensent que le mariage est un lien pérenne contre 47 % des mères en situation de monoparentalité et 39 % des belles-mères. Si l’adhésion des femmes à l’idée que le mariage doit durer à vie baisse globalement sur la période, les différences selon la structure familiale persistent.
27Un effet de la structure familiale concernant la priorité faite aux hommes en cas de pénurie de l’emploi (« lorsque l’emploi est en crise, les hommes devraient être prioritaires sur les femmes pour obtenir un emploi ») est de même observable. Les femmes en situation de monoparentalité sont en effet les moins favorables à cette proposition : 72 % d’entre elles sont en désaccord avec le fait de donner la priorité aux hommes contre 70 % des mères en famille nucléaire et 65 % des belles-mères. Si l’on distingue les femmes uniquement belles-mères de celles qui sont à la fois mères et belles-mères, on observe cependant une différence de 7 points : 68 % des femmes seulement belles-mères sont en désaccord avec cette proposition contre 61 % des femmes mères et belles-mères.
Encadré 1. Formulation des questions des 12 variables actives de l’AFCM
Conception des rôles parentaux
V1 : pvoirdiv Si des gens sont malheureux en couple, ils peuvent divorcer, même s’ils ont des enfants.
V2 : merseul Une femme peut avoir un enfant et l’élever seule si elle n’a pas envie d’avoir une relation stable avec un homme.
V3 : bapt Il est important que l’arrivée d’un enfant soit marquée par une cérémonie religieuse.
Conception du couple
V4 : cohab C’est bien pour un couple non marié de cohabiter même s’ils n’ont pas l’intention de se marier.
V5 : droithomo Les couples homosexuels devraient avoir les mêmes droits que les hétérosexuels.
V6 : mariageavie Le mariage est un lien pour la vie qui ne devrait jamais être rompu.
Opinion à l’égard des inégalités femmes/hommes
V7 : depfe Les femmes doivent pouvoir décider comment dépenser l’argent qu’elles ont gagné sans avoir à demander l’accord de leur conjoint.
V8 : homprio Lorsque l’emploi est en crise, les hommes devraient être prioritaires sur les femmes pour obtenir un emploi.
V9 : hompol Dans l’ensemble, les hommes sont de meilleurs dirigeants politiques que les femmes.
Solidarité intrafamiliale et intervention de l’État
V10 : paraidenf Les parents doivent aider financièrement leurs enfants si ceux-ci ont des difficultés financières.
V11 : enfprescol À supposer que la famille en ait la possibilité, elle doit prendre en charge, plutôt que la société, l’enfant d’âge préscolaire.
V12 : enfapresecol À supposer que la famille en ait la possibilité, elle doit prendre en charge plutôt que la société, la garde des enfants scolarisés après l’école.
28Enfin, concernant l’opinion relative à l’aide que les parents devraient apporter à leurs enfants en cas de difficultés financières, les belles-mères ont tendance à y être plus favorables que les mères en famille nucléaire ou que celles en famille monoparentale.
2. Évolution des situations familiales et des opinions des femmes entre 2005 et 2011
29Sur la période, le désaccord à l’égard du mariage comme lien indestructible augmente pour les femmes devenant mères en famille monoparentale et celles devenant belles-mères. En comparaison, le désaccord des mères en famille nucléaire au cours de cette même période et celui des femmes en situation de monoparentalité entre 2005 et 2011 augmente de façon moins marquée. De même, le désaccord des femmes devenant belles-mères augmente plus vite que celui des femmes, belles-mères, dont la configuration familiale est stable sur la période.
30La tendance observée diffère légèrement concernant les opinions à l’égard de la priorité faite aux hommes sur le marché du travail, en cas de pénurie de l’emploi. Sur la période, l’adhésion à cette proposition des femmes devenant belles-mères diminue de 9 points. Cette baisse est semblable à celle des mères en famille nucléaire et belles-mères dont la trajectoire familiale est stable entre les vagues 1 et 3. En revanche, les femmes qui entrent dans la monoparentalité ont une diminution plus faible de cette acceptation entre les deux vagues. Cela peut cependant se comprendre au vu de leur très faible adhésion à la priorité faite aux hommes sur le marché du travail dès 2005 (7 %).
31Concernant l’aide apportée aux enfants si ceux-ci rencontrent des difficultés financières, l’évolution est plus difficile à analyser sur la période. Les mères en famille nucléaire et belles-mères adoptent une opinion davantage favorable à une aide des parents tandis qu’une tendance contraire s’observe pour les mères en situation de monoparentalité. Si les femmes devenant mères en situation de monoparentalité sont, elles aussi, marquées par une diminution des opinions favorables et les femmes devenant belles-mères à une hausse de celles-ci, il s’agit, dans les deux cas, de tendances moins fortes que celles des femmes dont la trajectoire est stable entre les deux vagues.
32Les résultats présentés constituent des premières pistes de réponses quant au lien entre les configurations familiales et le système de valeurs des femmes. Cela éclaire les effets de l’entrée dans la monoparentalité ou la recomposition, mais occulte la diversité des trajectoires familiales en effaçant les configurations familiales antérieures aux bifurcations. En effet, la faiblesse des effectifs contraint à regrouper ensemble des trajectoires différentes. Les femmes devenant belles-mères après avoir été mères en famille nucléaire sont rassemblées avec celles qui n’étaient pas mères antérieurement. De même, les femmes devenant mères en situation de monoparentalité sont regroupées, quelle que soit leur situation familiale antérieure. Des questions restent en suspens. L’effet des recompositions sur le système de valeurs diffère-t-il selon que les femmes étaient mères ou pas antérieurement ? De même, l’expérience de la monoparentalité a-t-elle des effets différents sur les femmes qui étaient en couple six ans auparavant et sur celles qui étaient célibataires ?
33Le défi qui se pose alors relève de la faiblesse des effectifs et de la prise en compte de la diversité et de la complexité des trajectoires familiales.
III. Mesurer l’impact des changements de configuration familiale sur les opinions
34Le recours aux analyses géométriques des données (AFCM spécifiques) permet de travailler sur des effectifs faibles et ainsi de tenir compte de la diversité des trajectoires familiales.
35Pour repérer le lien entre le système de valeurs et la trajectoire familiale des femmes, nous faisons le choix de construire un espace de valeurs (variables actives) afin de comparer le positionnement relatif des femmes en fonction de leur trajectoire familiale (variables illustratives), en vague 1 et en vague 3.
36L’objectif de l’AFCM spécifique réalisée est de comparer, dans un premier temps de l’analyse, le positionnement des mères en famille nucléaire, mères seules et belles-mères dans l’espace de valeurs construit. Le recours aux données longitudinales permet, dans un second temps, de révéler l’importance relative de la socialisation antérieure sur le changement de configuration familiale et de la « socialisation de transformation » entendue comme l’ensemble des processus qui transforment partiellement l’individu, dans les bifurcations familiales étudiées.
1. Structuration de l’espace de valeurs des femmes ayant un enfant ou un bel-enfant cohabitant
37De façon à optimiser l’AFCM, les variables actives (encadré 1) ont été dichotomisées selon leurs effectifs5. Cela permet en effet d’éviter un effet Guttman lié à l’existence de modalités médianes et conduisant à la formation d’une opposition, peu heuristique, entre modalités extrêmes et modalités médianes (Chanvril, 2008). Cela permet en outre de standardiser les variables afin qu’elles aient des distributions similaires, et d’éviter ainsi le « piège » des faibles effectifs d’une modalité (Cibois, 1997) pesant de façon disproportionnée sur la construction de l’AFCM.
38Pour chaque vague, les taux d’inertie modifiés des axes, calculés à partir des valeurs propres6, permettent d’évaluer l’importance relative des axes dans les résultats. Les deux axes résument, pour les trois vagues, plus de 70 % de la variance du nuage (tableau 3).
Tableau 3. Valeurs propres (λ) et taux modifiés des axes principaux pour chaque vague

Champ : 1 776 femmes ayant un enfant ou un bel-enfant cohabitant en vague 1, 2 ou 3. Lecture : en vague 1, l’axe 1 résume 53,9 % de la variance du nuage.
Source : Érfi-GGS123, Ined-Insee, 2005-2008-2011.
39Pour chaque vague, l’axe 1, dont le taux modifié dépasse 50 %, est structuré par des variables relatives aux conceptions des rôles parentaux et du couple et à la perception des inégalités femmes/hommes (tableau 4).
Tableau 4. Modalités actives dans la construction de l’axe 1 (vague 1, 2, 3)

Champ : 1 776 femmes ayant un enfant ou un bel-enfant cohabitant en vague 1, 2 ou 3. Lecture : en vague 1, la modalité « ok bapt » (être d›accord pour célébrer l’arrivée d›un enfant par une cérémonie religieuse) contribue à 5 % de la construction de l’axe 1. Note : voir encadré 1 pour la signification des noms de variables.
Source : Érfi-GGS123, Ined-Insee, 2005-2008-2011.
40Dans la vague 1, à gauche de l’axe 1, les hommes sont vus comme prioritaires sur le marché du travail en cas de crise et comme de meilleurs dirigeants politiques, tandis que la possibilité pour les femmes de dépenser leur argent comme elles le souhaitent n’est pas reconnue (figure 1). Par ailleurs, l’idée que les homosexuels ne devraient pas avoir les mêmes droits que les hétérosexuels ainsi que l’impossibilité de cohabiter hors mariage sont structurants. Enfin, l’impossibilité de divorcer si le couple a des enfants et l’importance du baptême pour marquer l’arrivée d’un enfant, structurent la gauche de l’axe. À droite de l’axe, ce sont les modalités opposées qui s’expriment : une conception égalitaire des rôles de genre domine. Les variables relatives aux inégalités femmes/hommes représentent 38 % de la variance de cet axe contre 31 % pour les questions relatives aux rôles parentaux et à la conception du couple.
41Sans être structurés de façon absolument identique, les axes 1 pour les vagues 2 et 3 sont relativement similaires7. Au cours des trois vagues, l’axe 1 oppose donc une vision traditionnelle des rôles de genre et de la famille à une vision plus égalitaire des rôles de genre et plus progressiste de la famille. On parlera d’un axe « féminisme ».
Tableau 5. Modalités actives dans la construction de l’axe 2 (vagues 1, 2, 3)

Champ : 1 776 femmes ayant un enfant ou un bel-enfant cohabitant en vague 1, 2 ou 3. Lecture : en vague 1, la modalité « ok par aid enf » (être favorable à une aide des parents si les enfants rencontrent des difficultés financières) contribue à 6,7 % de la construction de l’axe 2. Note : voir encadré 1 pour la signification des noms de variables.
Source : Érfi-GGS123, Ined-Insee, 2005-2008-2011.
42Le deuxième axe est marqué par une opposition entre l’acceptation et le refus d’un interventionnisme sociétal dans la prise en charge des enfants d’une part, et entre l’accord et le désaccord pour apporter une aide financière à ses enfants s’ils en ont besoin (tableau 5), d’autre part. Ainsi, pour la vague 1, en bas de l’axe, on trouve les opinions relatives à l’implication prioritaire de la famille, si elle en a la possibilité, par rapport à celle de la société en ce qui concerne la garde des enfants d’âge préscolaire et celle des enfants après l’école. De façon cohérente, on trouve en bas de l’axe, la modalité relevant de l’acceptation d’aider financièrement ses enfants si ceux-ci sont dans le besoin. Les modalités opposées se situent en haut de l’axe 2 (figure 1).
Figure 1. Positions des mères, belles-mères et mères seules dans l’espace de valeurs construit

Figure 1. suite

Champ : 1 776 femmes ayant un enfant ou un bel-enfant cohabitant en vague 1, 2 ou 3. Légende : l’axe 1 correspond à l’axe « féminisme », l’axe 2 à l’axe « interventionnisme étatique ».
Source : Érfi-GGS123, Ined-Insee, 2005-2008-2011.
43L’axe 2 se construit de façon similaire au cours des trois vagues. On parlera d’un axe « interventionnisme étatique ».
44Cette première observation nous amène à distinguer deux dimensions structurant le positionnement des femmes ayant des enfants ou beaux-enfants cohabitants. La première dimension porte sur l’acceptation ou le refus d’une vision hétéropatriarcale de la famille et des rôles de genre. La seconde dimension relève de l’ampleur des aides apportées par l’État ou par la famille dans la gestion des enfants.
45Au-delà de ces résultats concernant la structuration des oppositions, c’est l’interprétation du positionnement des sous-groupes de femmes qui permet d’éclairer le questionnement relatif au lien entre bifurcations familiales et système de valeurs.
2. Positionnement selon l’âge et le niveau de revenu dans l’espace de valeurs
46Sur l’axe « féminisme », on constate que les moins de 30 ans, les 30-39 ans et les 40-49 ans ont une position progressiste similaire (annexe 4). Ces catégories rassemblent 81 % de l’échantillon étudié. En contraste, les 50-59 ans et, de façon plus marquée, les plus de 60 ans adoptent une position traditionnaliste sur l’axe « féminisme »8. Notons que parmi les plus de 60 ans, 30 % sont belles-mères, 26 % mères seules et 18 % mères en famille nucléaire.
47Sur l’axe « interventionnisme étatique », plus les femmes sont âgées, moins elles sont favorables à une implication de la société dans le domaine familial. Les plus de 60 ans et les 50-59 ans, qui sont les plus favorables aux solidarités intrafamiliales, ont une position similaire sur cet axe.
48Le positionnement des femmes dont le niveau de revenu du ménage est inférieur à 1000 € (6 % de l’échantillon) est difficile à analyser. S’il est stable sur l’axe « féminisme », il est en revanche très instable sur l’axe « interventionnisme étatique ». Pour les catégories 1000-1999 €, 2000-2999 € et 3000 € ou plus, on constate une absence de différence de positionnement sur l’axe « féminisme ». En revanche, on observe une relation linéaire entre l’adhésion à un interventionnisme étatique et le niveau de revenu.
3. Les hypothèses relatives aux positionnements différenciés des femmes
49Le travail descriptif mené en première partie de ce chapitre conduit à rejeter une hypothèse « nulle » selon laquelle il n’y aurait aucun lien entre structure familiale des femmes et opinions.
50Deux hypothèses a priori contradictoires peuvent alors être formulées. Il s’agit, d’une part, d’une hypothèse de continuité : les femmes tendraient vers la situation familiale conforme à leur système de valeurs. La différence de système de valeurs serait ainsi antérieure à la bifurcation familiale. Une propension plus grande à se séparer ou à recomposer chez des femmes adoptant des valeurs moins liées à une représentation traditionnelle de la famille pourrait ainsi être pensée.
51Il s’agit, d’autre part, d’une hypothèse de socialisation de transformation liée à l’expérience des bifurcations familiales. Elle s’appuie sur l’idée d’un effet des expériences de monoparentalité et de beau-parentalité sur le système de valeurs.
52Cette hypothèse peut être spécifiée à l’aune des axes « féminisme » et « interventionnisme étatique » qui ressortent des AFCM spécifiques.
53Concernant d’abord l’adhésion à des valeurs progressistes relatives aux rôles de genre et à la famille, on peut émettre l’hypothèse que les femmes en situation de monoparentalité, c’est-à-dire en dehors d’un couple hétérosexuel, creuset d’inégalités femmes/hommes, auront une position progressiste à l’opposé de l’adhésion à un modèle patriarcal.
54On peut penser que les belles-mères adopteront une position progressiste quant aux configurations familiales et égalitaires des rôles de genre. Faire l’expérience de l’injonction sociétale à adopter un rôle maternel, y compris lorsqu’il s’agit uniquement de beaux-enfants, peut en effet favoriser une dissociation entre identité de femme et identité maternelle. Cependant, le choix de la recomposition, et donc du couple hétérosexuel, peut amener à relativiser le positionnement progressiste des belles-mères sur la division genrée des rôles.
55Enfin, on peut s’attendre à ce que les mères en famille nucléaire, n’ayant pas fait l’expérience de la monoparentalité ni de la recomposition, adoptent une position plus traditionnaliste de la famille et de leur rôle de genre.
56Concernant ensuite l’adhésion à un interventionnisme étatique dans la gestion de la garde des enfants, on peut émettre l’hypothèse que les femmes en situation de monoparentalité adoptent une position plus favorable à une intervention de la société plutôt qu’aux solidarités intrafamiliales. En effet, la difficulté de la conciliation travail/famille (Herpin et Olier, 1998) et la paupérisation spécifique des familles monoparentales (Neyrand, 2006) amène à faire l’hypothèse d’une adhésion plus forte à un interventionnisme étatique dans le domaine familial.
57On peut s’attendre à ce que les belles-mères adoptent de même une position plus favorable à une intervention de la société dans le domaine de la garde des enfants. En effet, la difficile mise en place des solidarités intrafamiliales, dans un contexte de recomposition où les rôles familiaux sont en perpétuelle négociation (Théry et Dhavernas in Meulders-Klein et Théry, 1993) et la mise à distance à l’égard d’un rôle maternel assigné par la société, peuvent favoriser une certaine réticence face aux solidarités intrafamiliales.
58Sans penser les mères en famille nucléaire comme opposées à un interventionnisme étatique au profit des seules solidarités intrafamiliales, on peut s’attendre à ce qu’elles adoptent une position relative moins favorable à une intervention de la société, en raison de la plus grande aisance financière qu’offre la famille nucléaire et ses deux pourvoyeurs de revenus.
IV. Quels sont les effets des changements de situation familiale sur les opinions ?
1. Les belles-mères et mères seules : critique du patriarcat et de l’aide étatique
59L’observation du positionnement des sous-groupes de femmes selon leur configuration familiale permet de tester les hypothèses formulées et d’éclairer sur les différences éventuelles de systèmes de valeurs des femmes, selon qu’elles sont mères en famille nucléaire, belles-mères ou mères en situation monoparentale.
60L’attention est portée sur les centres de gravité des mères en famille nucléaire, des femmes seulement belles-mères, des femmes mères et belles-mères et des mères seules (figure 1). À chaque vague, on constate des positionnements relativement similaires pour chacun des sous-échantillons. Sur l’axe « féminisme », les mères en famille nucléaire adoptent systématiquement une position moins progressiste que les femmes étant mères et belles-mères, seulement belles-mères et, de façon plus marquée en vagues 1 et 3, mères seules. Cette distance horizontale entre les centres de gravité indique que les femmes seulement belles-mères ou, mères et belles-mères, ainsi que les mères seules, sont comparativement porteuses de valeurs plus égalitaires en termes de division genrée des rôles et plus progressistes en ce qui concerne la famille, que les mères en famille nucléaire.
61Comme attendu, les femmes faisant l’expérience de configurations familiales différentes du modèle nucléaire ont une position plus progressiste sur l’axe « féminisme » que les mères en famille nucléaire. Les femmes ayant fait l’expérience de la séparation (mères seules) ou de celle de leur conjoint (belles-mères) s’émancipent ainsi d’un modèle patriarcal.
62À ce stade, le sens de la relation observée n’est pas mis en évidence : est-ce l’adhésion à des valeurs plus progressistes dans ces domaines qui induit les comportements familiaux ou est-ce l’expérience d’une configuration familiale spécifique qui influe sur leur conception de la famille et des rôles de genre ?
63Des différences de positionnements verticaux sont de mêmes observables au cours des trois vagues. Le centre de gravité des mères en famille nucléaire se situe comparativement plus haut que celui des mères seules, des mères et belles-mères et des femmes seulement belles-mères. Contrairement à l’hypothèse formulée, les mères en famille nucléaire sont porteuses d’opinions plus favorables à une intervention de la société dans la garde des enfants plutôt qu’à une prise en charge de ceux-ci par la famille. Notons que, pour les trois vagues, ce sont les femmes seulement belles-mères qui se positionnent le plus bas sur l’axe « interventionnisme étatique », tandis que les mères seules se situent à proximité des mères en famille nucléaire, tout en restant, à chaque vague, plus bas sur l’axe que ces dernières.
64Ce positionnement, a priori contre-intuitif, nous amène à infirmer l’hypothèse selon laquelle les femmes en situation de monoparentalité et de beau-parentalité, pour des raisons différentes, adopteraient des positions plus favorables à un interventionnisme étatique. Elles se situent en effet de façon plus favorable aux solidarités intrafamiliales.
65On peut se demander dans quelle mesure ce positionnement des femmes qui ont vécu une séparation, ou qui vivent par procuration celle de leur conjoint, reflète une défiance plus large à l’égard des institutions étatiques qui contribuent à gérer l’imprévisibilité liée à la séparation (notamment l’établissement du barème de pension alimentaire et des modalités de résidence des enfants par la justice). Le positionnement des belles-mères et mères seules contre une implication de la société dans la prise en charge des enfants ne reflète-t-il pas une forme de défiance plus généralisée à l’égard de la gestion étatique des séparations conjugales9 ? La difficile prise en compte des familles recomposées et spécifiquement des beaux-parents par les différentes institutions sociétales peut permettre de mieux comprendre l’importance accordée par les belles-mères à la famille plutôt qu’à la société pour prendre en charge les enfants. L’absence de statut reconnu du beau-parent peut favoriser une certaine défiance à l’égard de l’État et de sa capacité à intervenir dès lors que les configurations familiales diffèrent d’un modèle nucléaire.
66En outre, le recours à l’entraide familiale, notamment en cas de monoparentalité, est souligné par certains travaux (Bonvalet et al., 1996). Cela constitue une piste parallèle à creuser pour comprendre l’importance accordée aux solidarités intrafamiliales par les mères seules.
67Enfin, on peut se demander si la différence de positionnement observée sur l’axe « interventionnisme étatique » n’est pas due, en partie, à un effet de l’âge (44 % des belles-mères de l’échantillon ont plus de 50 ans) ou du revenu (52 % des mères gagnent entre 1000 et 1999 €).
68Les différences de positionnement entre les mères en famille nucléaire, les belles-mères et les mères seules observées sur les axes « féminisme » et « interventionnisme étatique » tendent à infirmer l’hypothèse selon laquelle il n’y aurait pas de lien entre la trajectoire familiale et le système de valeurs des femmes.
69Si ces AFCM spécifiques permettent de décrypter le positionnement relatif des différents sous-groupes dans un espace structuré de valeurs, elles n’aident pas, en raison de leur caractère statique, à esquisser des hypothèses quant à la part de socialisation antérieure ou de socialisation de transformation dans ceux-ci. De ce point de vue, la comparaison des trajectoires familiales changeantes et des trajectoires stables informe sur l’effet potentiel de l’entrée dans la beau-parentalité ou dans la monoparentalité sur le système de valeurs des femmes.
2. Devenir mère seule ou devenir belle-mère : analyse des trajectoires changeantes
70L’enquête longitudinale permet de comparer le positionnement des femmes ayant la même configuration familiale lors de la première vague, mais dont la trajectoire a été ou non marquée par un changement dans les six années qui ont suivi (vague 3). Se situent-elles à des positions similaires ou possèdent-elles des dispositions antérieures à la situation familiale vers laquelle elles tendent ? L’analyse est menée entre la vague 1 et la vague 310 (figure 2). La variable illustrative projetée reflète les configurations familiales en vague 1 et en vague 3 (tableau 2).
Figure 2. Projections des trajectoires stables et instables des femmes

Champ : 1 776 femmes ayant un enfant ou un bel-enfant cohabitant en vague 1, 2 ou 3. Légende : l’axe 1 correspond à l’axe « féminisme », l’axe 2 à l’axe « interventionnisme étatique ».
a. Devenir mère seule
71Les femmes qui n’ont pas d’enfant en vague 1 et qui sont dans une situation de monoparentalité en vague 3 (nienfnibmv1monopv3) occupent une position dans l’espace de valeurs semblable avant et après l’entrée dans la monoparentalité. Sur l’axe « féminisme », elles adoptent un positionnement intermédiaire entre les mères en famille nucléaire et mères seules, dont la trajectoire est stable entre les deux vagues. Elles ont par ailleurs une position favorable à un interventionnisme étatique plutôt qu’à l’usage des solidarités intrafamiliales qui les démarque nettement des femmes étant mères seules au cours des deux vagues. La stabilité de leur positionnement dans l’espace structuré de valeurs après l’entrée dans la monoparentalité tend à plaider, dans ce cas, contre l’idée d’une socialisation de transformation.
72Au contraire, le cas des femmes qui deviennent mères seules en vague 3 et étaient mères en famille nucléaire en vague 1 (merenuclv1monopv3) tend à valider l’hypothèse d’une socialisation de transformation liée à l’expérience de la monoparentalité. En effet, alors qu’elles adoptent une position traditionnaliste sur l’axe « féminisme » en vague 1, elles deviennent particulièrement progressistes après être entrées dans la monoparentalité. Cela conduit à défendre l’hypothèse d’une socialisation de transformation liée à une prise de conscience des inégalités de genre et au développement d’un regard critique à l’égard d’un modèle sociétal patriarcal pour les femmes devenant mères seules et ayant été antérieurement des mères en famille nucléaire.
73Ainsi, l’entrée dans la monoparentalité semble avoir un impact différent sur le système de valeurs des femmes dès lors que l’on tient compte de la situation antérieure11. Alors que l’on peut parler d’une socialisation de transformation pour celles qui étaient mères en famille nucléaire six ans auparavant, la socialisation antérieure semble prévaloir pour celles qui n’avaient ni enfants ni beaux-enfants en vague 1.
Source : Érfi-GGS123, Ined-Insee, 2005-2008-2011.
74On peut établir des pistes de réflexions relatives à ce constat. Le passage d’un modèle nucléaire à une situation de monoparentalité peut avoir un effet spécifique sur les valeurs des femmes lié au fait de sortir d’un modèle patriarcal. On peut en outre penser qu’il existe un effet spécifique de la séparation pour les femmes qui vivaient antérieurement dans une famille nucléaire, à la différence de celles qui n’en ont pas ou peu fait l’expérience.
b. Devenir belle-mère
75Les femmes qui deviennent belles-mères en vague 3 et qui n’avaient pas d’enfant en vague 1 (nienfnibmv1bmv3) sont marquées par un changement net de positionnement après l’entrée dans la beau-parentalité. Elles adoptent, après cette bifurcation familiale, une position plus progressiste sur l’axe « féminisme ». L’hypothèse d’une socialisation de transformation dans le domaine de la famille et des inégalités de genre semble ainsi pouvoir être défendue.
76Le cas des femmes qui deviennent belles-mères après avoir été mères en famille nucléaire est plus complexe à analyser. Alors qu’elles adoptent en vague 1 une position particulièrement progressiste sur l’axe « féminisme » et très peu favorable à un interventionnisme étatique, celle-ci est plus centrale sur les deux axes en vague 3. La difficulté d’interprétation relève en outre des évènements qui ont marqué le passage d’une configuration familiale nucléaire à une famille recomposée (séparation, monoparentalité, recomposition). Notons cependant qu’en vague 3, les femmes devenues belles-mères ont une position dans l’espace structuré de valeurs proche de celle des femmes étant belles-mères en vagues 1 et 3.
77Enfin, les femmes qui étaient mères seules en vague 1 et qui sont belles-mères en vague 3 (monopv1bmv3) occupent une position relativement stable : progressiste sur l’axe « féminisme » et plus favorable aux solidarités intrafamiliales. On peut penser que, pour ces femmes, l’entrée dans la monoparentalité constitue davantage une bifurcation que l’entrée postérieure dans la beau-parentalité.
78Il semble ainsi que l’on puisse davantage parler d’une socialisation de transformation pour les femmes qui deviennent belles-mères alors qu’elles n’étaient pas mères six ans auparavant. On peut penser que l’expérience de la beau-parentalité, c’est-à-dire du travail parental non doublé d’un lien de sang ni d’un lien juridique, sans avoir été partie prenante du projet d’enfant a un impact plus important sur le système de valeurs pour les femmes qui ne sont pas mères antérieurement ou qui ne le sont que depuis récemment.
79Les mères en famille nucléaire qui deviennent belles-mères ont des valeurs progressistes à l’égard de la conception de la famille et des rôles de genre antérieures à leur changement de configuration familiale. En revanche, les femmes n’étant pas mères en vague 1 sont plus sujettes à adopter, avec l’expérience de la beau-parentalité, la permanence des normes patriarcales véhiculées par la société et la force persistante de l’assignation des femmes à un rôle maternel centré sur la sphère domestique, y compris lorsqu’il ne s’agit pas de leurs propres enfants.
80Ainsi la comparaison des trajectoires stables et changeantes entre les vagues 1 et 3 conduit à défendre l’hypothèse d’une socialisation de transformation en particulier pour les femmes devenant mères seules après avoir vécu au sein d’une famille nucléaire, et pour les femmes devenant belles-mères mais qui n’étaient pas mères en vague 1.
81Cette socialisation de transformation s’exprime en particulier dans un domaine spécifique lié à la conception de la division genrée des rôles et à l’adhésion à un modèle patriarcal. Cependant, cela ne doit pas conduire à nier les effets de la socialisation antérieure, notamment de la socialisation primaire sur la trajectoire familiale empruntée par les femmes, en particulier pour celles devenant belles-mères après avoir été mères en famille nucléaire et pour celles qui font l’expérience de la monoparentalité sans avoir, ou en ayant peu, fait celle de la famille nucléaire.
Conclusion
82L’analyse menée permet de mettre en évidence la différence de positionnement des femmes selon leur configuration familiale dans un espace structuré de valeurs.
83Les belles-mères et mères en situation de monoparentalité apparaissent plus progressistes quant à la conception de la famille et des rôles de genre que les mères en famille nucléaire. Elles se positionnent par ailleurs davantage en faveur des solidarités intrafamiliales plutôt que d’une aide sociétale. Ce dernier résultat peut être interprété, pour les femmes en situation de monoparentalité, comme un corollaire de l’aide familiale sollicitée au moment de l’entrée dans la monoparentalité. Cependant, cette interprétation est difficilement applicable au cas des belles-mères. Cela invite à poursuivre les recherches afin de mieux comprendre le rapport distant des femmes en situation de monoparentalité ou de beau-parentalité à l’égard d’une intervention de la société dans la sphère familiale.
84De surcroît, le recours à l’enquête Érfi permet de dépasser la seule analyse statique pour tenir compte des trajectoires familiales des femmes dans leur diversité. Cela permet de nuancer l’hypothèse d’une socialisation de transformation liée à l’entrée dans la monoparentalité et la beau-parentalité dès lors que l’on tient compte de la configuration antérieure.
85On peut ainsi davantage concevoir une socialisation de transformation dans le domaine des inégalités de genre et de la conception de la famille pour les femmes qui deviennent belles-mères alors qu’elles n’avaient pas d’enfant antérieurement, et pour celles qui deviennent mères dans un foyer monoparental après l’avoir été dans un foyer nucléaire.
86Les résultats obtenus invitent à considérer les catégories « mères en famille nucléaire », « mères seules » et « belles-mères » en tenant compte d’autres déterminants sociaux. Ils constituent, de ce point de vue, une première étape dans la réflexion sur l’impact spécifique de la monoparentalité et de la beau-parentalité sur le système de valeurs des femmes.
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Annexe
Annexes
Annexe 1. Opinions en fonction de la structure familiale(%)

Champ : 1 776 femmes ayant un enfant ou un bel-enfant cohabitant en vague 1, 2 ou 3. Lecture : en vague 1 : 57,8 % des mères en famille nucléaire sont d’accord pour célébrer religieusement l’arrivée d’un enfant.
Source : Érfi-GGS123, Ined-Insee, 2005-2008-2011.
Annexe 1. suite

Champ : 1 776 femmes ayant un enfant ou un bel-enfant cohabitant en vague 1, 2 ou 3. Lecture : en vague 3 : 45,2 % des mères en famille nucléaire sont d ’accord pour célébrer religieusement l’arrivée d’un enfant.
Source : Érfi-GGS123, Ined-Insee, 2005-2008-2011.
Annexe 2. Âge en fonction de la trajectoire familiale

Champ : 1 776 femmes ayant un enfant ou un bel-enfant cohabitant en vague 1, 2 ou 3. Lecture : en vague 1 : 9,6 % des femmes mères en famille nucléaire ont moins de 30 ans.
Source : Érfi-GGS123, Ined-Insee, 2005- 2008-2011.
Annexe 3. Niveau de revenu en fonction de la configuration familiale

Champ : 1 776 femmes ayant un enfant ou un bel-enfant cohabitant en vague 1, 2 ou 3. Lecture : en vague 1 : 15,3 % des femmes mères en famille nucléaire gagnent entre 1000 et 1999 euros.
Source : Érfi-GGS123, Ined-Insee, 2005-2008-2011.
Annexe 4. Projection des variables âge et niveau de revenu

Champ : 1 776 femmes ayant un enfant ou un bel-enfant cohabitant en vague 1, 2 ou 3. Ined-Insee, 2005-2008-2011.
Source : Érfi-GGS123,
Notes de bas de page
1 Notons que 63 % de l’échantillon a entre 30 et 49 ans en 2005 (annexe 2).
2 Le chapitre 2 du présent ouvrage souligne ainsi l’effet de la mobilité géographique. Par ailleurs, les femmes seules avec un enfant en bas âge en 2005 tendent à moins répondre en 2011. Cela n’est pas le cas pour les femmes en situation de monoparentalité ayant un enfant de plus de 3 ans en 2005.
3 L’AFCM spécifique est une variante de l’AFCM permettant de mettre en passives de manière ponctuelle les modalités non choisies (non-réponses ou modalités inférieures à 5 %) (Le Roux et Chiche, 1998).
4 Pour cette partie de l’analyse, en raison de la faiblesse des effectifs, nous regroupons les femmes qui sont mères et belles-mères avec celles qui sont uniquement belles-mères. En outre, pour des raisons similaires concernant les mères vivant avec un conjoint différent du père de leurs enfants (n = 6 en 2008 et 2011), nous les regroupons avec les mères en famille monoparentale.
5 De V1 à V10 les modalités des variables étaient les suivantes : « d’accord », « plutôt d’accord », « ni d’accord ni pas d’accord », « plutôt pas d’accord », « pas d’accord ». Les modalités des variables V11 et V12 étaient : « principalement la société », « plutôt la société que la famille », « autant la société que la famille », « plutôt la famille que la société ». La dichotomisation conduit à recoder chaque variable en deux modalités en fonction de la médiane.
6 Le calcul du taux d’inertie modifié s’obtient de la manière suivante : TxMod = (λ – λm)2/Σ(λ – λm)2 avec λm = Variance totale/ (K’ – (Q – Q’’) où K’ le nombre de modalités actives, Q le nombre de variables actives et Q’’ le nombre de variables actives ayant au moins une modalité passive.
7 Delphine Chauffaut et Pauline Domingo (2011) soulignent la stabilité relative des opinions entre les vagues 1 et 2.
8 Cela corrobore les résultats de Ronald Inglehart (1971) relatifs au changement générationnel culturel et de valeurs conduisant à une plus grande adhésion des jeunes générations aux valeurs post-matérialistes.
9 On retrouve cette défiance à l’égard de la justice dans une enquête qualitative réalisée auprès de belles-mères (Réguer-Petit, 2012).
10 Intégrer la vague 2 à l’analyse reviendrait à travailler sur des sous-échantillons ayant de trop faibles effectifs.
11 Nous choisissons de ne pas analyser le positionnement des femmes qui deviennent mères seules en vague 3 et qui étaient belles-mères en vague 1 en raison de la faiblesse du sous-échantillon (n = 6).
Auteur
Doctorante en science politique au Centre d’études européennes (UMR 8239) de Sciences-Po Paris et attachée temporaire d’enseignement et de recherche en science politique à l’université de Rouen. Elle travaille sur la socialisation politique familiale, les processus de politisation des citoyens ordinaires, la politisation des femmes et les trajectoires familiales. Ses récents travaux, menés dans le cadre de son doctorat, portent sur le rôle des femmes dans la socialisation politique familiale en comparant des configurations nucléaires, monoparentales et recomposées.
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