Introduction à la première partie
Droits et protection des enfants : la prise en compte du genre
p. 61-63
Texte intégral
1Cette première partie nous invite à lire les quatre chapitres qui la composent au prisme du contexte international ouvert en 1989 par l’adoption de la Déclaration internationale des droits de l’enfant (CIDE) et au sein duquel la question des droits et de la protection des enfants a fait l’objet d’une attention renouvelée sur différentes scènes (politique, médiatique, programmatique, académique) et à différentes échelles. Ces quatre textes abordent des « problèmes sociaux », certes différents dans leurs ressorts, leurs modalités et leurs finalités pour les enfants – filles et garçons – concernés, mais tous devenus emblématiques de situations qui, par-delà les contextes spécifiques où ils sont étudiés ici, signalent une protection défaillante, voire une violation des droits des enfants. Ainsi, à travers les faits sociaux qu’elle examine – le « travail des enfants » ou plutôt les enfants au travail, les déclarations à l’état civil et le devenir des enfants nés hors mariage dans des sociétés toujours marquées par la prohibition des pratiques sexuelles prénuptiales –, cette partie interroge de manière assez inédite ce que peut apporter une perspective de genre à l’analyse de pratiques où se reflète, ou au contraire se réfute, la mise en œuvre d’une protection des enfants inspirée de la CIDE.
2Tout en mobilisant des outils théoriques et méthodologiques différents pour éclairer l’objet spécifique qu’ils abordent, les auteur-e-s ont en commun d’avoir cherché à saisir de quelle manière les droits et la protection des enfants sont appréhendés en termes de genre, soit par le biais d’institutions internationales – notamment l’Organisation internationale du travail (OIT) à travers les normes relatives au travail des enfants – et d’organisations non gouvernementales (ONG) – dans leurs programmes de lutte contre le travail des enfants –, soit par d’autres types de relais potentiels des droits de l’enfant, tels que les membres de la parenté ou diverses structures étatiques – par exemple lorsqu’il s’agit de déclarer une fille ou un garçon à l’état civil, ou de prendre en charge un enfant socialement considéré comme « illégitime ».
3Les chapitres 2 et 3 revisitent la question du travail des enfants en examinant, selon une perspective de genre, les politiques internationales et les programmes de lutte contre le phénomène. Rappelant tout d’abord que dans ce domaine, c’est l’OIT qui définit la ligne politique internationale générale, le chapitre 2 examine les définitions et textes officiels que promeut cette organisation, en regard des pratiques sociales et des situations réelles d’enfants travailleurs, documentées par les recherches en sciences sociales menées dans ce champ. Mélanie Jacquemin et Bernard Schlemmer reprennent ainsi la définition officielle du « travail des enfants » pour montrer de quelle manière elle pose implicitement l’équivalence de situations jugées « intolérables », quels que soient l’occupation, l’âge et – ils insistent sur ce point – le sexe des enfants. En réalité, filles et garçons sont confrontés à des conditions de travail radicalement différentes, tandis que la distinction entre travail et tâches domestiques reste une pierre d’achoppement pour appréhender réellement la situation sociale des filles travailleuses. Pointant quelques effets directs où l’on perçoit comment cet aveuglement travestit en profondeur la présentation des faits, les auteurs tentent d’en comprendre les raisons.
4À partir d’une enquête qualitative menée au Burkina Faso auprès d’une ONG agissant pour retirer les enfants au travail dans des mines artisanales, le chapitre 3 apporte ensuite un éclairage concret à certaines analyses du texte précédent. Dans un contexte relativement récent où l’État burkinabè oriente fortement sa politique relative à l’enfance sur la lutte contre le travail des enfants, relayé sur le terrain par de nombreuses ONG et associations, Joséphine Wouango analyse les solutions proposées aux enfants travailleurs en interrogeant la manière dont est prise en compte la question du genre. Si le secteur des activités minières a longtemps employé uniquement des garçons, les filles sont désormais nombreuses à y travailler ; malgré cette évolution, l’auteure montre que les programmes d’intervention de l’État et des ONG restent fortement empreints des stéréotypes de genre les plus classiques qui, notamment en matière de division sexuée du travail, correspondent finalement peu aux vécus et aux projets des enfants travailleurs, surtout aux aspirations des filles.
5Cependant, le chemin à parcourir pour promouvoir l’égalité des sexes dans le champ d’application des droits de l’enfant diffère sensiblement selon les domaines et les contextes, ce qu’illustre le chapitre 4 en s’intéressant à la déclaration des naissances à l’état civil dans une zone rurale du Mali, à ses évolutions depuis les années 1990 et à ses variations, notamment en termes de genre. Réaffirmé par la CIDE comme l’un des droits humains fondamentaux, le droit à l’identité fait l’objet d’une attention spécifique des politiques et des programmes de protection de l’enfance dans les pays où l’état civil n’est pas encore généralisé – ce qui est le cas de nombreux États africains. Dans ce contexte, Véronique Hertrich et Catherine Rollet adoptent une démarche originale d’enquête concernant une population rurale du Sud-Est du Mali – combinant des données censitaires de 2009 et un suivi démographique engagé dans sept villages depuis 1988 – afin de procéder à une analyse statistique des facteurs familiaux susceptibles d’influer sur les déclarations à l’état civil. Envisageant cette inscription comme possible indicateur de nouveaux rapports à l’enfance et aux enfants, les auteures signalent une évolution favorable aux filles, aujourd’hui déclarées de manière sensiblement égale aux garçons.
6Quel que soit leur sexe, les enfants nés hors mariage dans les sociétés contemporaines du Maghreb ne sont quant à eux pas déclarés, tant leur situation et celle des mères célibataires restent entourées de tabous. Malgré un problème considérable de données qui permettraient d’améliorer les connaissances scientifiques sur ce phénomène – non marginal mais fortement stigmatisé –, le chapitre 5 met en lumière de manière originale la question de la prise en charge de ces enfants « illégitimes », qui a minima relève du droit à la vie et du droit à la protection inscrits dans la CIDE. À travers une analyse sexuée de leurs trajectoires au cours de la petite enfance, Anne Le Bris montre le poids de systèmes et normes de genre qui, pour être inégalitaires, peuvent parfois jouer plus favorablement pour les filles que pour les garçons issus d’unions prénuptiales réprouvées. Interviennent en effet ici des représentations sociales dominantes quant au devenir, à l’adolescence, de cette catégorie de garçons – prédits comme difficiles, déviants, dangereux – et de filles – envisagées au contraire comme « naturellement » bienveillantes et surtout utiles dans la division sexuée du travail domestique. En l’absence de données d’observation solides pour documenter rigoureusement le parcours des enfants abandonnés à la naissance, l’auteure invite cependant à la prudence quant à l’interprétation du fait que les filles sont davantage recueillies en adoption ou en kafala1, étant donné que les visées protectrices en principe inhérentes à ces pratiques ne peuvent, en soi, être garanties.
7Au moyen d’objets, de méthodologies et d’appareils analytiques diversifiés, les quatre chapitres regroupés dans cette première partie interrogent ce que produit la prise en compte du genre – ou sa non-prise en compte – sur les pratiques, les représentations sociales et les discours institutionnels relatifs aux droits de l’enfant, mais aussi sur la production des données, notamment statistiques, qui peuvent être à l’origine de ces discours officiels et des politiques d’intervention, et enfin sur les programmes d’action (leur contenu, le public « ciblé », leur portée) visant la mise en application des droits de l’enfant. Appelant toujours à la nuance que permettent ces analyses situées et approfondies, cette partie plaide aussi en arrière-plan en faveur d’un dialogue interdisciplinaire pour investir plus avant le champ des recherches sur l’enfance et y introduire pleinement la perspective de genre afin de prolonger la réflexion sur les contradictions ou les concordances entre droit international et ethos locaux, qui s’expriment aussi à travers les droits réels, les « droits vivants2 » des enfants.
Notes de bas de page
1 Voir note 20 de l’introduction.
2 Sur la notion de droits vivants, voir notamment K. Hanson et O. Nieuwenhuys, “Living rights, social justice, translations”, in K. Hanson et O. Nieuwenhuys (eds), Reconceptualizing Children’s Rights in International Development, Cambridge, Cambridge University Press, 2013, p. 3-25.
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