Chapitre 3
Le capital linguistique d’une génération à une autre
p. 87-116
Texte intégral
1Qu’est-ce que transmettre ? Que signifie transmettre une langue ? Qu’entend-on par transmission intergénérationnelle d’un capital linguistique ?
Les contextes d’énonciation et de transmission de ce capital seront au centre du propos dans la mesure où transmettre l’arabe ou le berbère en France, pays à tradition monolingue, n’est pas anodin. Enfin, à partir de l’analyse des entretiens effectués et de l’exploitation du volet linguistique de l’enquête Étude de l’histoire familiale 1999, les modes de transmission des langues berbère et arabe seront observés sous deux angles distincts : soit en se plaçant du côté du transmetteur, le parent, soit en se plaçant du côté du récepteur, l’enfant.
I. La transmission intergénérationnelle
2En sociologie, le terme « transmission » s’inscrit dans le champ de l’éducation et de la socialisation. L’objectif n’est pas ici de recenser exhaustivement les travaux menés sur ce thème très vaste1 mais de préciser notre orientation théorique.
Selon Durkheim, la socialisation s’opère sur la base de « modèles culturels transmis par la génération précédente » (Durkheim, [1902-1903], 1963, p. 4). Au cours de la socialisation primaire, l’enfant va intérioriser les attentes de la famille et plus largement de la société dans laquelle il vit. Sous la tutelle des générations précédentes, l’enfant va appréhender les normes, valeurs et conduites à tenir. Et, en ce sens la transmission intergénérationnelle serait un élément central de la stabilité et du maintien de l’ordre social. Proche de la reproduction à l’identique, la transmission s’effectue pour Durkheim dans un esprit de discipline : « toute éducation consiste dans un effort continu pour imposer à l’enfant des manières de voir, de sentir et d’agir auxquelles il ne serait pas spontanément arrivé » (Durkheim, [1894], 1988, p. 99). La transmission renverrait alors à un acte unilatéral, des anciennes générations vers les nouvelles, ces dernières attendant passivement d’être formatées, modelées par la famille et les différentes institutions, dont principalement l’école. Dans ses travaux sur les mécanismes de transmission d’une génération à la suivante, Durkheim emploie le terme d’éducation plutôt que celui de socialisation qu’il n’utilise que très rarement2. La notion de socialisation émerge davantage à la fin des années 1930 lorsque les sociologues en viennent à se demander comment les individus deviennent membres de la société dans laquelle ils vivent et dans quelle mesure ils s’identifient à elle (Cuche, 2001). Cette question déjà présente dans les travaux de Durkheim l’est aussi pour d’autres comme Bourdieu ou Parsons. Ce dernier estime que la famille est la principale instance de socialisation grâce à laquelle les nouvelles générations reproduisent les modèles qu’ils ont intégrés pendant leur jeunesse. En ce sens, la socialisation peut être considérée comme une sorte de conditionnement, voire de « dressage » (ibid., p. 48). Dans le prolongement et empruntant d’ailleurs le terme à Durkheim, Bourdieu conçoit la socialisation comme l’incorporation des habitus qui sont des « systèmes de dispositions durables et transposables, structures structurées prédisposées à fonctionner comme structures structurantes, c’est-à-dire en tant que principes générateurs et organisateurs de pratiques et de représentations » (Bourdieu, 1980, p. 88). L’habitus de classe est structuré car il forme un système cohérent et unifié qui détermine l’appréhension du monde. Il est aussi structurant en tant que « principe générateur » et « matrice de production », ce qui signifie que la condition sociale incorporée façonne les comportements. Il est donc, simultanément, une grille de lecture permettant la compréhension de la réalité et le producteur de pratiques sociales. Si, selon Bourdieu, c’est au sein de la famille, durant la prime enfance, que s’inscrivent durablement les schèmes d’action, de perception et de réflexion, l’unité de l’agent n’est ni totale ni complètement figée car l’habitus peut être restructuré au fil de la trajectoire sociale. Dans les sociétés « différenciées » explique l’auteur, « l’ordre des successions » n’est plus aussi évident :
Matrice de la trajectoire sociale et du rapport à cette trajectoire, donc des contradictions et des doubles contraintes (double binds) qui naissent notamment des discordances entre les dispositions de l’héritier et le destin enfermé dans son héritage, la famille est génératrice de tensions et de contradictions génériques (observables dans toutes les familles, parce que liées à leur propension à se perpétuer) et spécifiques (variant, notamment, selon les caractéristiques de l’héritage) (Bourdieu, 1998, p. 1092).
Globalement, soit le projet parental parvient à se transmettre, ce qui signifie dans ce cas que les « héritiers » acceptent « d’être hérités par l’héritage », c’est-à-dire s’approprient cet héritage en reproduisant ou en poursuivant la trajectoire paternelle, soit le projet parental est refusé par ascension ou déclin social et, dans ce cas, l’héritier devient un transgresseur et cette contradiction de la succession est, selon l’auteur, source de « déchirement ».
De telles perspectives donnent à voir des processus globalisants de la socialisation sans que l’on sache vraiment quelles sont les « modalités effectives des formes variées de socialisation » (Lahire, 1998 p. 204). Les modes d’appropriation sont passés sous silence et le patrimoine culturel semble se transmettre de la même façon qu’un patrimoine immobilier. Bernard Lahire a comparé de façon systématique la « transmission matérielle » à la « transmission culturelle » pour dégager les grandes dissemblances. Premièrement, alors que l’héritage matériel passe d’un propriétaire à un autre entraînant une déperdition pour le premier et un enrichissement du second, pour ce qui est du capital culturel, celui qui transmet reste toujours en possession de ce qu’il a « transmis » : « Donner à l’autre, c’est l’enrichir sans s’appauvrir. » (ibid., p. 206.) Deuxièmement, si le patrimoine matériel parvient à se transmettre tout en restant inchangé, ce n’est pas le cas du patrimoine immatériel qui se transforme en passant du transmetteur au récepteur. Or, comme l’explique l’auteur, « la métaphore de l’‘‘héritage culturel’’ (ou de la “transmission culturelle”) élide les immanquables distorsions, adaptations et réinterprétations que subit le “capital culturel” au cours de sa reconstruction d’une génération à l’autre, d’un adulte à un autre adulte, etc., sous l’effet, d’une part, des écarts entre les supposés “transmetteurs” et les prétendus “récepteurs” et, d’autre part, des conditions (des contextes) de cette reconstruction » (ibid., p. 206). Le processus de transmission peut aussi ne pas se finaliser car il ne suffit pas que certaines dispositions soient présentes chez les transmetteurs pour qu’elles parviennent à être incorporées par les récepteurs. Troisièmement, la passation du patrimoine immatériel s’inscrit dans la durée, contrairement au patrimoine matériel. La transmission peut mettre du temps à devenir effective, mais elle n’est pas nécessairement acquise définitivement et peut évoluer. Enfin, la transmission d’un capital culturel peut se faire inconsciemment. Contrairement à Durkheim qui parlait d’imposition de modèles culturels aux plus jeunes, de fait, l’incorporation n’est pas toujours explicite et intentionnelle.
La transmission culturelle est donc un processus qui reste partiellement imprévisible et soumis d’une génération à l’autre à des déperditions, des réinterprétations et des recompositions. Ainsi, on ne peut concevoir la transmission d’un point de vue linéaire où des modèles culturels, des valeurs et pratiques seraient légués, hérités tels quels. La simple présence d’un capital culturel ne suffit pas à sa transmission, c’est-à-dire à sa passation à la génération suivante3. Étudier les mécanismes de la transmission d’une génération à l’autre consiste à saisir ce qui s’est effectivement transmis, mais surtout de part et d’autre, ce que les parents ont pu véhiculer comme discours et pratiques à leurs enfants et ce que ces enfants ont pu saisir de ce capital parental. Il ne s’agit donc pas seulement de saisir le poids des déterminations, mais aussi de réussir à articuler histoire sociale et histoire individuelle4. Transmettre un capital linguistique ou plus largement un univers culturel ne peut être appréhendé uniquement en termes de reproduction. À cette part de continuité s’ajoute une part d’innovation, de construction à l’origine même du changement social. L’indétermination, la discontinuité entre les générations, le « champ des possibles » qui s’offre aux individus est le résultat de contradictions, de l’évolution des intentions, d’innovations et d’imprévus consécutifs aux expériences vécues. Les discours des parents peuvent effectivement être chargés d’ambivalence, les motifs de transmission peuvent aussi évoluer dans le temps et, enfin, à tout ceci il importe d’inclure l’appropriation par l’enfant de cet héritage qu’il fera sien en le remaniant. Pour les parents, leur langue natale est une ressource sociale, un outil de communication principalement avant, mais aussi, après la migration. Pour les enfants, la langue parentale n’est plus nécessairement une ressource sociale car leur principal moyen de communication en dehors de la sphère familiale sera le français, langue dotée de plus de « valeur » sur le « marché linguistique »5 (Bourdieu, 1982, 2001). Mais elle peut devenir une ressource symbolique et culturelle, comme on le verra au cours de la dernière partie, et confère une certaine légitimité à appartenir et à s’identifier à la communauté linguistique qui se réfère à cette langue.
II. Le paysage linguistique de la France
3La transmission de l’arabe et du berbère des parents dont l’un au moins est migrant, aux enfants n’est pas seulement le résultat d’une dialectique entre transmetteur et récepteur, elle prend sens aussi dans un contexte d’énonciation, la France. Au fil du xxe siècle, le paysage linguistique hexagonal s’est profondément transformé, laissant une part croissante à la langue légitime, le français. Mais d’autres langues circulent sur le territoire et se transmettent également d’une génération à une autre6.
1. Un grand foisonnement de langues
4Les résultats du volet linguistique de l’enquête Étude de l’histoire familiale 1999 ont montré un grand foisonnement de langues. Quelles que soient leurs origines, les adultes interrogés, sont nombreux à se souvenir que leurs parents leur parlaient, associée ou non au français, une autre langue : 26 % des adultes vivant aujourd’hui en métropole, soit 11,5 millions de personnes. Six fois sur dix, cette langue a été transmise en même temps que le français. Dans la moitié des cas, il s’agit de langues régionales ou frontalières ; dans l’autre moitié des cas, elles sont liées à l’immigration et ont été transmises avant ou après l’installation en France. Pas moins de 6 700 intitulés de langues et de parlers ont été ainsi déclarés, correspondant à près de 400 langues identifiées dans le répertoire mondial du Summer Institute of Linguistics7. Les dix langues les plus fréquentes dans l’enfance sont citées par les deux tiers des répondants, tandis qu’à l’opposé, une foule de langues n’en regroupe qu’une poignée.
La figure 4 rend compte de la dynamique et du renouvellement des langues en métropole. Parmi les langues d’immigration, l’arabe et le portugais arrivent en tête, toutes deux principalement reçues de façon « habituelle » par l’intermédiaire des deux parents. Pour d’autres langues d’immigration plus ancienne comme l’espagnol ou l’italien, la part de transmission « occasionnelle » croît, et dans près de la moitié des cas, cette transmission n’est issue que d’un seul parent. Le berbère arrive en septième position, suivi de langues africaines et asiatiques qui attestent de la diversification des courants migratoires et dont le mode de transmission – le plus souvent habituel – signale une installation récente : on les a généralement reçues de ses deux parents au pays d’origine, avant la migration. Le turc offre un autre exemple de cette situation.
Figure 4 • Principales langues régionales et d’immigration reçues dans l’enfance puis transmises

Source : EHF 1999, Insee-Ined, issu de Héran, Filhon, Deprez, 2002. Champ : Adultes vivant en métropole.
2. Le maintien des langues
5Après avoir interrogé les adultes vivant actuellement en métropole sur les langues que leur parlaient leurs parents lorsqu’ils étaient enfants, le questionnaire revenait dans un deuxième temps sur les langues qu’eux-mêmes avaient parlé avec leurs jeunes enfants, sachant qu’un adulte peut multiplier la transmission à proportion du nombre de ses enfants, mais que tous n’en ont pas encore. On obtient ainsi l’évolution des pratiques linguistiques d’une génération à l’autre, mais aussi d’un lieu de vie à un autre (figure 5). Dans l’ensemble, plus d’un tiers des parents à qui on a parlé « habituellement » une langue autre que le français dans l’enfance l’ont retransmise « habituellement » à leurs enfants. Cette retransmission régulière, voire quotidienne, de l’arabe par les parents s’élève à 45 % contre un peu plus de 40 % pour le berbère. Là encore, on constate un maintien plus marqué d’une génération à l’autre des langues issues des migrations les plus récentes (turc, chinois, lao, etc.). Si l’on ne tient compte que de la retransmission des langues étrangères, on note dans l’ensemble une retransmission qui reste relativement élevée mais plus souvent associée au français et du même coup plus « occasionnelle ». Des adultes migrants à qui l’on n’a pas parlé français lorsqu’ils étaient enfants, les trois quarts retransmettront cette même langue étrangère plus tard à leurs propres enfants, mais seuls un cinquième ne retransmettra que cette langue étrangère (Clanché, 2002).
Figure 5 • Part de pères n’ayant pas parlé à leurs enfants la langue reçue de leur propre père

Champ : Hommes adultes vivant en métropole.
Note : Seule la transmission des pères vers leurs enfants est ici représentée, mais les taux d’érosion des différentes langues sont similaires pour les mères.
Source : EHF 1999, Insee-Ined. Figure issue de Héran, Filhon, Deprez, 2002.
Les pratiques linguistiques évoluent donc d’une génération à l’autre selon la langue en question mais aussi selon la région de résidence. C’est, notamment, en Île-de-France, région où l’analyse qualitative auprès de familles venues d’Afrique du Nord s’est déroulée, que les langues étrangères semblent les plus dynamiques et les plus fréquemment retransmises. La région compte trois fois plus d’étrangers qu’en province (12 % contre 4 %) et les émigrés d’Afrique du Nord représentent près d’un tiers des étrangers de la région suivis des Portugais (Insee-Iaurif, 2002). Sur l’ensemble des Franciliens élevés dans une langue étrangère – exclusivement ou non – un tiers n’ont ensuite parlé que le français à leurs enfants (le taux variant de 25 à 66 % selon que leurs parents leur avaient parlé « habituellement » ou « occasionnellement » cette langue). En province, la moitié des parents ont opté pour une retransmission exclusive du français. De même, plus de la moitié des Franciliens ayant reçu dans leur enfance de leur(s) parent(s) une langue étrangère ont parlé à leur tour plusieurs langues à leurs enfants lorsqu’ils avaient 5 ans, contre seulement 40 % de leurs homologues résidant en province (Burricand et Filhon, 2003). En revanche, en Île-de-France comme en province, la retransmission exclusive d’une langue étrangère est faible et à peine plus de 10 % des parents déclarent ne pas transmettre le français à leurs enfants.
3. La place croissante du français
6« Le français sera seul en usage dans l’école », stipulait l’arrêté ministériel du 7 juin 1880 fixant le règlement-modèle des écoles primaires. « La langue de la République est le français », renchérit depuis la loi constitutionnelle de 1992 et l’article 2 de la Constitution de la Ve République. Si la part des adultes qui déclarent avoir « hérité » une langue étrangère de leurs parents a progressé en France avec l’essor des migrations, comme c’est le cas, par exemple pour l’arabe (devenu l’héritage linguistique de 3 % des adultes quel que soit leur pays d’origine, contre 1 %), le français a toutefois pris de l’ampleur, dans la transmission familiale, au fil du xxe siècle, comme en témoigne la figure 68. Il s’agit donc des langues parlées par les pères à leurs enfants lorsque ces derniers avaient 5 ans.
Figure 6 • La transmission familiale du français au long du xxe siècle

Champ : Hommes adultes vivant en métropole.
Note : La figure ne concerne que les hommes, mais les résultats sont similaires pour les femmes.
Source : EHF 1999, Insee-Ined. Figure issue de Héran, Filhon, Deprez, 2002.
a. La tradition monolingue de la France
7C’est au xvie siècle que la langue française est officialisée. En 1539, par l’ordonnance de Villers-Cotterêts, le roi François Ier prescrit l’usage du français en remplacement du latin pour tous les jugements et actes notariés. Sous l’Ancien Régime, si l’usage du français est imposé pour tout ce qui a trait aux affaires de l’État, l’objectif sous-jacent ne vise pas une homogénéisation linguistique, et le français reste essentiellement la langue des classes dirigeantes, le conservatisme et puritanisme dont font preuve les lettrés ne favorisant pas sa propagation dans les autres couches sociales.
C’est par ailleurs sans doute commettre un anachronisme que de supposer que la couronne en promulguant cet édit, avait dans l’idée de contribuer à la propagation de la langue française au détriment des vernaculaires au-delà des cours de justice. […] L’uniformité linguistique simplifiait nettement la tâche des officiers royaux, à condition bien sûr que la langue utilisée fût celle du roi. L’élite dominante avait sans aucun doute conscience du pouvoir qu’allait lui conférer la maîtrise de la norme linguistique » (Lodge, 1997, p. 174).
Langue de savoir et de l’écrit au même titre que le latin, le français acquiert son prestige durant la Renaissance, avec le développement des valeurs séculières et grâce aux humanistes favorables à la vulgarisation des connaissances. Sa diffusion est aussi fortement liée au développement de l’imprimerie. En 1501, dans les presses de Paris, comme l’indiquent Lefèvre et Martin (cités par Lodge, ibid., p. 175), 80 ouvrages sont publiés dont 8 seulement en français, mais en 1575, on recense 445 ouvrages dont 245 écrits en français. En moins d’un siècle, on est passé d’un ouvrage sur dix publié en français à un sur deux. Puis, durant le xviie siècle, la langue se codifie et se dote d’une orthographe officielle selon les directives de l’Académie française, créée en 1635. Là encore, la codification n’a pas pour ambition son universalisation à l’ensemble de la population, mais reste un critère de sélection sociale et permet de renforcer sa visibilité sur la scène européenne. « À ce propos, il est assez paradoxal que la variété de français que le xviie siècle avait élue à des fins de différenciation sociale soit justement celle qu’allait propager la Révolution comme moyen de développer la solidarité entre les Français de toutes conditions sociales et de les différencier de leurs voisins hostiles. » (ibid., p. 247.)
La France de l’Ancien Régime est multiculturelle et multilingue et le concept de nation n’a pas le sens qu’il prendra au moment de la Révolution. Du latin nasci, « naître », qui renvoie au lieu où l’on est né, le terme de nation fait référence, jusqu’à la fin du xviiie siècle, à un ensemble de provinces soumises à l’autorité du Roi, mais préservant parallèlement leurs lois et leurs coutumes. « “Nation comme communauté” renvoyait à un peuple, Volk, fondé sur les ressemblances, sur les rapports de sang et de parenté, ou pour ne pas mâcher les mots, sur l’héritage racial. “Nation comme association” signifie un tout constitué par des personnes qui s’associent volontairement ensemble, établissant un pacte de concitoyens ainsi que Rousseau et Sieyès l’avaient imaginé9. » (Grillo, 1998, p. 122 [traduction].) Reprenant la dialectique développée par Tönnies entre communauté (Gemeinschaft) et société (Gesellschaft), Grillo distingue la première période durant laquelle la nation n’était pas liée à une conception étatique, de la seconde à partir de laquelle la nation se constitue par une volonté rationnelle où la langue française devient centrale. Cette seconde période commence avant la Révolution française, mais c’est vraiment à partir de 1789 que cette thèse « démocratique » s’impose et que le sentiment national s’intensifie, en particulier par l’association langue/nation : une seule et unique langue nationale pour une « République une et indivisible »10. On voit bien alors comment la conception française a évolué différemment de la définition allemande, toutes deux étant souvent citées comme des modèles opposés. Leurs réflexions respectives sur la nation se sont faites à des périodes historiques distinctes ce qui a eu des conséquences importantes sur leurs définitions. En France, la construction étatique a précédé cette élaboration de la nation, ce qui n’était pas encore le cas en Allemagne11. Ainsi, la langue française est centrale dans la conception « assimilationniste » dans l’idée qu’elle serait garante d’un droit à l’égalité contrairement à l’Allemagne pour qui la langue est un critère de l’identité collective.
La situation dialectale de la France de la fin du xviiie siècle est peu connue car les sources sont rares. En 1794, l’abbé Grégoire publie le Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française. Malgré son orientation jacobine très marquée, ce rapport synthétique, et en particulier les réponses des correspondants, constituent les indices les plus probants du paysage linguistique de la France à cette époque. Comme le titre l’indique, l’ambition de l’ouvrage n’est pas scientifique mais bien politique et idéologique. On peut notamment y lire :
[…] on peut uniformiser le langage d’une grande nation, de manière que tous les citoyens qui la composent puissent sans obstacle se communiquer leurs pensées. Cette entreprise, qui ne fut pleinement exécutée chez aucun peuple est digne du peuple français, qui centralise toutes les branches de l’organisation sociale et qui doit être jaloux de consacrer au plus tôt, dans une République une et indivisible, l’usage unique et invariable de la langue de la liberté. (cité dans de Certeau, Julia et Revel, [1975], 2002, p. 334)
L’enquête a été diffusée dans les campagnes auprès d’informateurs instruits tels que les prêtres, les juristes ou les médecins et quarante-neuf d’entre eux ont répondu. Le questionnaire s’articule en deux parties : la première partie porte sur la description des « patois » de France – les « maux » – avec des questions telles que : « l’usage de la langue française est-il universel dans votre contrée ? Y parle-t-on plusieurs patois ? […] Ce patois varie-t-il beaucoup de village à village ? Le parle-t-on dans les villes ? » (ibid., p. 13-15). La deuxième partie du questionnaire dévoile les « remèdes » que l’abbé Grégoire compte utiliser, à savoir la destruction de ces patois : « Quelle serait l’importance religieuse et politique de détruire entièrement ce patois ? Quels en seraient les moyens ? Dans les écoles de campagne, l’enseignement se fait-il en français ? Les livres sont-ils uniformes ? […] Les gens de la campagne ont-ils le goût de la lecture ? » (ibid., p. 15-16). À partir des résultats de cette enquête, l’abbé Grégoire a dénombré environ trente « patois » différents et déploré un usage exclusif du français dans seulement une quinzaine de départements sur quatre-vingt-trois, soit moins de trois millions de personnes sur quelque vingt-cinq millions :
On peut assurer sans exagération qu’au moins six millions de Français, surtout dans les campagnes, ignorent la langue nationale ; qu’un nombre égal est à peu près incapable de soutenir une conversation suivie ; qu’en dernier résultat, le nombre de ceux qui la parlent n’excède pas trois millions, et probablement le nombre de ceux qui l’écrivent correctement est encore moindre. (Ibid., p. 334.)
Cette même année 1794, par le décret du 2 thermidor, la « Terreur linguistique » commence à l’encontre des « patois » locaux comme le stipule l’article 1 :
À compter du jour de la publication de la présente loi, nul acte public ne pourra, dans quelque partie du territoire de la République, être écrit qu’en langue française […] il ne pourra être enregistré aucun acte, même sous seing privé, s’il n’est écrit en langue française.
L’urbanisation progressive du pays, la révolution des transports et la place croissante que va prendre l’administration seront favorables à la diffusion du français standard ; mais l’évolution des comportements linguistiques va se faire très progressivement, de façon irrégulière dans le temps et dans l’espace, et les variétés régionales sont encore très présentes au xixe siècle. En 1864, Victor Duruy, ministre de l’Instruction publique, adresse aux préfets une enquête par questionnaire qui porte sur l’instruction primaire. Les résultats, très peu exploités, rendent compte du paysage linguistique de la France d’alors et indiquent qu’approximativement un quart de la population ne parle pas français et plus encore dans certaines communes de Bretagne, d’Alsace ou dans le Midi occitan (Weber, 1976). La mise en place du service militaire après la Révolution constitue à n’en pas douter un élément important de la diffusion du français à l’ensemble de la population. Les hommes amenés à se côtoyer vont uniformiser leur langage pour que l’intercompréhension soit possible. Enfin, la mise en place de l’enseignement primaire est décisive dans la propagation de la langue standard. Sous l’Ancien Régime, les écoles primaires existaient déjà, mais étaient sous le contrôle des Églises ce qui signifie que l’instruction des enfants se faisait en latin. Après la Révolution, l’enseignement devient public mais, très rapidement, Napoléon, tout en fondant les lycées et les grandes écoles, remet entre les mains de l’Église l’instruction des plus jeunes (Lodge, 1997, p. 282). Ce n’est qu’en 1881 et 1882, sous Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique puis président du Conseil, qu’est mise en place une école « gratuite, laïque et obligatoire », renforçant la conscience collective jusque dans les campagnes ; l’idéal monolingue jacobin devient alors réalité.
b. La reconnaissance des langues minoritaires
8Cette unification linguistique croissante – qui s’accélère avec la première guerre mondiale car les hommes adoptent des pratiques langagières communes – entraîne une dévalorisation des autres langues appelées péjorativement « patois ». Il faut attendre 1951 pour qu’une législation sur les langues minoritaires et régionales soit mise en place. Ainsi, la loi du 11 janvier 1951, dite loi Deixonne, a deux objectifs : d’une part, préserver la langue française, d’autre part, reconnaître l’existence des langues régionales et favoriser leur étude12 (Leclerc, 2001)13.
La deuxième étape dans la reconnaissance des langues régionales date de 1975. Il s’agit de la loi Haby qui réforme l’enseignement en France par l’introduction du collège unique. Sur la question des langues, un article stipule qu’à la demande des minorités régionales, les établissements scolaires doivent organiser un enseignement de cette langue. Contrairement à la loi Deixonne, l’initiative de cet enseignement ne dépend plus du bon vouloir de l’enseignant.
Malgré ces premières lois en faveur des langues régionales, les discours politiques attestent un fort ancrage de la langue française et une situation encore précaire des autres langues. Parmi les nombreux discours, citons deux exemples espacés de vingt ans. En 1972, le président de la République Georges Pompidou déclare : « Il n’y a pas de place pour les langues et cultures régionales dans une France qui doit marquer l’Europe de son sceau. » (Leclerc, 2001.) De même, le discours en 1992 lors des débats sur le traité de Maastricht de René Pandraud, ancien ministre et député à cette époque, montre que la situation n’a pas clairement évolué :
Je rends hommage à l’école laïque et républicaine qui a souvent imposé le français avec beaucoup d’autorité – il fallait le faire – contre toutes les forces d’obscurantisme social, voire religieux, qui se manifestaient à l’époque. Je suis également heureux que la télévision ait été un facteur d’unification linguistique. Il est temps que nous soyons français par la langue. S’il faut apprendre une autre langue à nos enfants, ne leur faisons pas perdre leur temps avec des dialectes qu’ils ne parleront jamais que dans leur village : enseignons-leur le plus tôt possible une langue internationale ! (Leclerc, op. cit.)
Dans l’ensemble, si les discours et législations visent plus la promotion de la langue française que des autres langues, les langues régionales, minoritaires et étrangères sont de mieux en mieux reconnues et prises en compte. En est pour preuve la transformation de la DGLF14 (Délégation générale à la langue française) – qui avait pour but de promouvoir la diffusion et l’usage du français – en DGLFLF (Délégation générale de la langue française et des langues de France). Par langues de France, on entend les langues régionales mais aussi les langues minoritaires parlées sur le territoire et qui n’ont pas de statut officiel ailleurs. Tel est le cas de l’arabe dialectal et du berbère.
III. Du recueil des données au sens de leur mesure
9La compréhension des mécanismes de transmission d’une langue nécessite de recentrer ce processus dans un contexte d’énonciation. En France, les instances politiques ont prôné l’unification linguistique durant une longue période. De ce fait, les pratiques linguistiques en sont à présent largement empreintes. Le monopole du français n’a cessé de croître tout au long du xxe siècle et seules quelques rares langues, dont principalement l’anglais, jouissent d’un prestige international assurant plus aisément leur maintien d’une génération à l’autre. Les résultats présentés, issus de l’enquête Étude de l’histoire familiale 1999, confortent les évolutions historiques du paysage linguistique de la France décrites par Lodge (1997) et Hagège (1987, 1996) notamment. Néanmoins, la pratique linguistique est difficilement mesurable et sa transmission l’est d’autant plus qu’il existe des degrés différents de transmission et de réception ; il s’agit avant tout d’un processus qui se construit dans l’interaction et reste nécessairement évolutif, ce qui ne signifie pas que cette transmission ne peut, à un moment précis, être évaluée.
Notre propos porte sur les conditions et les mécanismes de transmission des langues arabe et berbère voire, plus globalement, sur la transmission de comportements et valeurs culturels. L’objectif premier de l’étude ne vise pas à compter combien de parents ont transmis leur(s) langue(s) natale(s) et combien d’enfants l’ont effectivement reçue, mais plutôt à comprendre qui sont ces transmetteurs, comment s’y sont-ils pris pour transmettre ce capital et pourquoi ont-ils cherché à le transmettre ? En même temps, pour déterminer ces mécanismes, catégoriser différents profils de transmetteurs potentiels et de récepteurs, il s’avère nécessaire d’estimer, même grossièrement, plusieurs niveaux de transmission afin de ne pas se limiter à étudier des représentations. Concrètement, si l’on ne s’interroge pas seulement sur le rapport subjectif aux langues des parents et des enfants, mais aussi sur leurs pratiques objectives, la mesure même partielle du phénomène devient centrale. Par exemple, pour comprendre qui sont, parmi les parents maîtrisant l’arabe ou le berbère, ceux qui sont parvenus à transmettre un peu, beaucoup ou au contraire pas du tout ces langues à leurs enfants, il est important de savoir à quelles pratiques effectives les déclaratifs « je parle l’arabe » ou « je ne parle pas berbère » renvoient. De même, pour appréhender les principales différences existant entre ceux qui apparemment ont « réussi » à transmettre cette connaissance, cette pratique linguistique et ceux qui n’ont pas (encore) « réussi », ou bien savoir si, suivant les cas, ils ont déployé des moyens différents, il importe de cerner a minima leurs pratiques effectives. En fait, même pour les questions d’affirmation identitaire, de revendication d’appartenance ou non de la part des enfants, la mesure « partielle » de cette transmission est indispensable pour évaluer si la connaissance de la langue parentale est surreprésentée, valorisée ou au contraire dépréciée, cachée.
Les deux sources de données mobilisées, l’enquête Étude de l’histoire familiale de 1999 et les entretiens biographiques ont permis par leur complémentarité d’évaluer ce que « transmettre une langue » peut signifier.
1. Que mesurer à partir du questionnaire ?
10Quelques linguistes ont débattu de la pertinence de calculer des taux de pratique linguistique par le biais de questionnaires, leur reprochant leur manque d’objectivité. Lors d’un colloque à Amiens, Philippe Blanchet (1998), par exemple, revient sur les résultats de l’enquête Efforts éducatifs des familles datant de 1992, incluant pour la première fois des questions sur les langues, questions reprises en partie dans l’enquête de 1999. Le questionnaire de 1992 comprenait notamment des items sur la principale langue d’usage entre parents et enfants, ce qui conduirait à une vision réductrice de la réalité niant les pratiques plurilingues et ne dissociant pas la connaissance « passive » de la connaissance « active » d’une langue15. En effet, ne pas déclarer parler telle langue ne signifie pas nécessairement de la part des répondants qu’ils ne la comprennent pas et ces locuteurs « passifs » sont des locuteurs « actifs » potentiels, susceptibles alors devenir à leur tour des transmetteurs. La deuxième critique de l’auteur vise directement la méthodologie adoptée et la possibilité d’objectiver les réponses apportées :
Les enquêteurs partent du principe que la réponse déclarée par l’enquêté est le reflet exact de ses pratiques et que le critère majeur pour évaluer le phénomène en question est la transmission des parents aux enfants […] En outre, on sait que les effets d’accommodation de l’enquêté au discours public qu’il pense attendu et la protection de son espace intime le conduisent souvent à nier ses pratiques “locales” ou ‘‘traditionnelles” parce que connotées très péjorativement dans la France moderne. (Blanchet, 1998, p. 25.)
Enfin, la dernière critique vise l’étendue des transmetteurs possibles. Dans l’enquête de 1992, trois générations, les grands-parents, les parents et les enfants, sont prises en compte alors que d’autres proches sont parfois en mesure de diffuser leur capital linguistique.
Ces remarques sur l’évaluation quantitative des pratiques linguistiques ont été partiellement prises en compte dans l’élaboration du questionnaire de 1999, certaines devant être nuancées16.
Alors que dans l’enquête de 1992 seules les langues parlées « habituellement » étaient évoquées, l’enquête de 1999 recense l’ensemble des parlers. Cela permet de rendre davantage compte de la complexité et de la variété des pratiques linguistiques : monolinguisme, bilinguisme ou plurilinguisme ; langues parlées de façon « habituelle » ou « occasionnelle ». Toutefois le volet linguistique de l’enquête, tel qu’il a été conçu, c’est-à-dire, vu le nombre limité de questions pouvant figurer sur une demi-page, ne prétend pas évaluer les compétences réelles des répondants, sachant que même avec des travaux de terrain qualitatifs, cette tâche reste délicate et incertaine. À travers la batterie de questions, l’objectif principal visait la transmission familiale d’une génération à l’autre. Néanmoins, les langues ne se transmettent pas seulement par le biais des parents ; d’autres proches comme les grands-parents peuvent être amenés à transmettre leur variété linguistique ; de même l’école, le milieu professionnel ou encore la communauté religieuse sont des réseaux propices à l’apprentissage ou au maintien d’une pratique linguistique. Mais l’ensemble de ces approches ne pouvait être contenu dans le volet linguistique dont le format est limité. Certains choix ont donc dû être opérés et la relation parents-enfant(s) a été privilégiée, partant du fait que la cellule familiale contribue fortement au maintien d’une langue.
En définitive, si l’enquête ne cherche pas à mesurer avec finesse les compétences des individus et si certaines langues sont sans doute sur-déclarées ou sous-déclarées, les résultats indiquent clairement l’évolution de ces pratiques17. Par ailleurs, en recoupant les réponses au questionnaire avec les discours recueillis par le biais des entretiens, on parvient à se faire une idée assez précise de ce que transmettre l’arabe et le berbère à ses enfants signifie.
2. Les entretiens18
11Qu’il s’agisse d’interroger des individus par le biais de questionnaires ou par celui d’entretiens, ceux-ci répondent avant tout en fonction des représentations qu’ils se font de la langue en question. Cependant, un détour par le qualitatif permet de comprendre en partie s’il y a plutôt surestimation ou sous-estimation de la connaissance ou pratique linguistique, et quelles en sont les raisons. « L’examen de la construction des représentations de ce qu’est la langue […], sa connaissance, et ce qui pèse dans le sens de la valorisation ou de la dévalorisation de la pratique de cette langue, sa reconnaissance, permet non pas d’éviter les biais de la quantification, mais dans une certaine mesure d’objectiver ces biais. » (Baticle et Blot, 1998, p. 235.)
Avant tout, deux postulats ont été admis aussi bien dans l’exploitation du questionnaire que dans l’analyse des entretiens :
les parents socialisés au Maroc, en Algérie ou en Tunisie qui déclarent avoir été élevés en partie ou uniquement en langue arabe ou en langue berbère et affirment parler cette langue et la transmettre à leurs enfants, la maîtrisent effectivement ;
les enfants élevés et scolarisés en France maîtrisent le français, quelle(s) que soi (en) t la ou les langues que leur(s) parent(s) migrant(s) leur ont parlé.
Par compétence linguistique, on entend donc la capacité à comprendre et à s’exprimer dans une langue, mais on n’a pas cherché à savoir si les parents et les enfants parlaient un « bon » arabe, berbère ou encore un « bon » français. Par ailleurs, afin d’identifier la transmission effectuée des parents aux enfants, trois profils-types ont été délimités :
une première configuration où les conversations familiales entre parents et enfants ne se font qu’en français, les enfants ne comprennent et ne parlent pas la langue parentale ;
un second profil familial où les conversations peuvent être bilingues, les enfants comprennent la langue parentale mais ne la parlent pas. Les parents parlent dans leur langue natale ou en français aux enfants et ces derniers leur répondent en français exclusivement ;
une dernière classe où les conversations familiales peuvent aussi se faire en plusieurs langues, mais cette fois-ci, au-delà de la compréhension, les enfants sont en mesure de répondre à leurs parents en arabe ou en berbère.
Ces trois catégories peuvent paraître très imprécises pour des linguistes qui travaillent sur les compétences lexicales, syntaxiques et autres des locuteurs, mais tel n’est pas ici l’objet de ce travail. Ces trois profils suffisent dès lors que l’on s’intéresse à la langue non pas dans une approche structurale mais davantage dans une perspective d’interactions.
La construction de ces trois types s’est opérée à partir de l’analyse des discours recueillis, mais aussi dès la rencontre avec ces familles. Contrairement à d’autres pratiques, la pratique linguistique peut être observable en situation d’entretien à travers les échanges familiaux notamment. En plus de cette première observation des relations familiales, les entretiens ont également permis de cerner un peu les comportements linguistiques entre parents et enfants. Au-delà des premières déclarations souvent radicales niant ou, au contraire, survalorisant les compétences linguistiques des enfants dans la langue parentale, d’autres thèmes abordés sur les vacances au pays, les relations avec les grands-parents, les difficultés d’apprendre l’arabe19 et bien sûr l’observation directe d’échanges linguistiques entre parents et enfants ont été autant d’occasions de saisir la place accordée aux différentes langues au sein des familles.
IV. Le point de vue des transmetteurs et des récepteurs
12La transmission linguistique de l’arabe et du berbère en situation migratoire, des parents aux enfants, se comprend au regard de la socialisation primaire des parents, du contexte dans lequel la migration a eu lieu, des liens maintenus ou non avec l’entourage social et familial avant et après la migration, mais aussi en fonction des modes de vie en France liés au contexte économique, au lieu de vie. Ces différents facteurs influent considérablement sur les mécanismes de transmission d’une génération à l’autre comme les analyses à venir le montreront. Mais, si l’accent doit être mis sur la transmission du point de vue du transmetteur, il importe également de tenir compte du récepteur, c’est-à-dire de l’enfant auquel les parents ont cherché ou non à transmettre leur langue natale. Dans le processus de transmission, le transmetteur, à savoir les parents, constituent le point de départ sans lequel le maintien de la langue peut difficilement être envisagé, pour autant, la transmission est effective uniquement lorsque le récepteur est à son tour en mesure de devenir un transmetteur potentiel.
1. L’arabe et le berbère souvent associés au français
a. La transmission de l’arabe et du berbère des parents aux enfants
13Parmi les parents socialisés en arabe ou en berbère dans leur enfance avant la migration, près des trois quarts ont retransmis l’arabe20 à leurs enfants et plus de la moitié des parents le berbère (tableau 8). Dans les deux cas, la transmission se fait davantage de façon habituelle – c’est-à-dire régulièrement voire quotidiennement – qu’occasionnellement21.
Tableau 8 • La transmission de la langue parentale

Champ : Parents nés en Algérie, au Maroc ou en Tunisie, ayant reçu au moins l’arabe ou le berbère dans leur enfance et vivant actuellement en France métropolitaine.
Note : Les effectifs sont non pondérés mais les pourcentages sont calculés à partir des effectifs pondérés.
Source : EHF 1999, Insee-Ined.
Cet apprentissage des langues parentales aux enfants est, pour l’arabe comme pour le berbère, plus souvent cité par les mères que par les pères et l’écart entre les sexes est plus accentué parmi les berbérophones. Au vu de ces premiers résultats, il apparaît que ces deux langues sont assez fortement retransmises d’une génération à l’autre, avec surtout, à première vue, un fort maintien de la langue arabe puisque près des trois quarts des parents arabophones lèguent cet héritage à leurs enfants contre plus d’un parent berbérophone sur deux. Toutefois, les discours recueillis auprès des parents et des enfants permettent de saisir chez ces derniers des pratiques linguistiques assez diverses. La notion de « transmission » renvoie effectivement à des usages variés de la langue parentale, ce qui nécessite de comprendre ce que transmettre une langue signifie d’après les répondants.
Par exemple, Djamila une mère algérienne de cinq enfants, arrivée en France avec ses parents lorsqu’elle était adolescente, raconte :
Mes enfants la plupart du temps à la maison ils mélangent, ils mélangent les deux langues. […] Je peux leur parler en arabe et me retrouver à parler français ou le contraire. Mais eux ne le parlent pas, pas du tout. Ils comprennent, ils comprennent à peu près tout, après y a des mots assez difficiles qu’ils comprennent pas alors ils posent la question, je leur explique mais ils parlent pas.
Au cours de l’entretien, Djamila met en avant la capacité de ses enfants à parler aussi bien le français que l’arabe puis très vite, elle en vient à nuancer ses propos. Arrivée relativement jeune en France, elle s’est familiarisée depuis longtemps avec le français qu’elle leur parle plus régulièrement que l’arabe. Ils répondent donc quasi exclusivement dans cette langue et ne comprennent que partiellement l’arabe. Leur familiarisation avec la langue parentale a surtout lieu lors de visites d’amis ou de voisins, car la plus grande partie de la famille, et notamment les grands-parents, vit ou a vécu en France et maîtrise la langue française. Cette présence importante de la famille en France est un élément déterminant car la nécessité de maîtriser l’arabe se fait nettement moins ressentir.
A contrario lors d’un autre entretien, Latifa, marocaine, mère de quatre enfants et arrivée en France quelques années après son mariage, débute son discours en déplorant que ses enfants ne maîtrisent pas suffisamment l’arabe :
Moi j’aimerais bien qu’ils apprennent, j’aimerais bien apprendre toutes les langues comme un oiseau [rires] parce que c’est très important de parler plusieurs langues et très important de parler la langue maternelle donc j’aurais bien aimé qu’ils parlent couramment l’arabe mes enfants, j’aurais bien aimé. Mais je leur force pas, on parle quand il y a des occasions de parler l’arabe, on parle l’arabe mais s’il y a des occasions de parler français on parle le français, voilà.
À première vue, à travers ces deux extraits d’entretien, on pourrait croire que les compétences des enfants dans la langue parentale sont assez proches. Au fil de la discussion avec Latifa, on apprend que ses enfants maîtrisent suffisamment l’arabe pour pouvoir communiquer avec leurs grands-parents non francophones lors de leurs retours au Maroc l’été, et des échanges en arabe entre Latifa et l’un de ses fils permettent de rendre compte de sa capacité à activer la langue parentale.
Pour ces deux familles, parler la langue parentale ne renvoie pas à des compétences équivalentes. Dans le premier cas, il s’agit de « compréhension », c’est-à-dire que les enfants sont des bilingues dits « passifs » alors que dans le second cas, le capital linguistique familial a été activé. Si une grande partie des enfants se révèlent être bilingues, les écarts de compétence linguistique se situent dans l’utilisation qui est faite de cette langue, et cela dépend par exemple des milieux socioéconomiques auxquels ils appartiennent ou encore des liens maintenus avec le pays d’origine. En étudiant la variation des pratiques langagières des jeunes issus de l’immigration, dans le quartier de la Goutte d’Or à Paris, Raja Bouziri (1999) a identifié trois types de pratiques bilingues repris ici :
des pratiques dites « affectives » lorsque l’enfant parle l’idiolecte parental22 en famille ;
des pratiques dites « adaptatives » lorsqu’il y a alternance des langues selon le contexte d’énonciation ;
des pratiques dites « unilatérales » lorsque le jeune comprend l’idiolecte parental mais répond uniquement en français.
Les pratiques « affectives » et « adaptatives » sont fortement liées à des retours réguliers au pays d’origine. Elles ont donc un coût économique et dépendent aussi du contexte politique de ce pays. Ainsi, pour les migrants algériens, peu retournaient régulièrement sur leur lieu de naissance ces dernières années, compte tenu de la situation. Par ailleurs, au-delà des relations parents/enfants, au sein de la fratrie, la communication se fait quasi exclusivement en français. Nul n’est besoin de préciser que les enfants nés en métropole maîtrisent cette langue qui est pour eux, même s’ils ne le revendiquent pas, leur langue première. Par le biais de l’école notamment, le français va entrer très rapidement au sein du foyer si ce n’était pas déjà le cas auparavant. La place de l’enfant dans la fratrie joue également un rôle important dans l’apprentissage de la langue familiale et du français. L’aîné, par exemple, est souvent celui qui utilise le plus longtemps la langue parentale, sert d’intermédiaire entre ses parents et certaines administrations et s’occupe du suivi scolaire des cadets (Lahire, 1995).
b. Le français présent dans les échanges familiaux
14Les pratiques linguistiques familiales sont très majoritairement des pratiques de bilinguisme voire plus largement de plurilinguisme. Si les langues arabes et berbères sont assez fortement retransmises d’une génération à l’autre, elles sont aussi très fortement associées au français (figures 4 et 5). Ce résultat atteste à la fois de la « pénétration du français » dans les familles et du « maintien de la langue maternelle des parents » dans la sphère privée (Deprez, 1994). À partir d’une enquête menée en région parisienne dans des établissements scolaires, auprès de jeunes âgés de 10 à 16 ans, Christine Héredia-Deprez (1989) a montré que le modèle de communication le plus fréquent est le « parler bilingue » qui se décline selon deux modalités, à savoir, en alternant les langues ou en les mêlant, ce deuxième cas étant le plus courant. De nombreux travaux en sociolinguistique ont traité de la question de l’« alternance codique », c’est-à-dire du passage d’une langue à l’autre dans une même phrase ou dans une même conversation. Lors des entretiens, j’ai pu observer cette alternance au cours d’échanges familiaux et par ailleurs, parents et enfants abordaient également d’eux-mêmes cette question du mélange des langues au cours de nos discussions. Comme l’ont déjà amplement montré les travaux de sociolinguistique, l’alternance codique se comprend compte tenu des moments, situations, thèmes du discours associés à telle ou telle langue. Cela permet de saisir le rapport individuel, socialement différencié aux langues. Par exemple, les parents berbérophones ayant transmis l’arabe à leurs enfants de préférence au berbère, continuent d’utiliser leur langue natale à certains moments, comme lors de disputes avec leur conjoint, soit parce que cette langue s’impose à eux dans cette situation particulière, soit parce qu’ils savent que leurs enfants ne pourront pas les comprendre. Pour d’autres, la langue parentale renvoie avant tout à la langue de l’affectif, celle utilisée pour chanter des berceuses, dire des mots doux, parler du pays de la famille restée là-bas, parler de l’enfance, etc. A contrario, le français est davantage usité lors de conversations portant sur le travail ou l’école. Une jeune fille m’a également raconté que son père choisissait parfois de parler en français avec elle dans le but d’exclure de la conversation sa mère, lorsque cette dernière cherchait à s’immiscer dans des discussions portant sur des sujets pour lesquels il l’estimait incompétente et lui faisait ainsi savoir. Dans ce cas, la langue devient un outil de domination. Ainsi, il importe de distinguer l’alternance codique dans la conversation, appelée le « code switching métaphorique », de l’alternance de type situationnel, lié à des échanges diglossiques en fonction du contexte, du type d’activité ou encore des interlocuteurs (Gumperz, 1989a). L’alternance codique a une force illocutoire certaine et ce glissement d’une langue à l’autre ne se fait pas de façon anodine même s’il ne résulte pas non plus d’un acte conscient. Ce sont, en quelque sorte, des mises en relief du discours, les locuteurs appuient leur propos par cette alternance, ils interpellent l’auditeur dans le but, par exemple, de le convaincre. Toutefois, à partir des entretiens, il n’était pas envisageable de pouvoir étudier le code switching métaphorique. En effet, comme l’a montré Gumperz dans Sociolinguistique interactionnelle (1989b), d’une part, les bilingues ou plurilingues ne se rendent pas nécessairement compte de leurs pratiques linguistiques et, d’autre part, certains analysent cette alternance comme un manque d’instruction, une maîtrise insuffisante des deux langues et éprouvent des difficultés pour justifier cet usage langagier.
Les langues arabe et berbère sont donc fortement associées au français et par ailleurs, parmi les parents berbérophones, près d’un sur dix transmettent le berbère en association avec l’arabe, alors qu’à l’inverse, les parents arabophones retransmettent très rarement cette langue en association avec le berbère. Les statuts divergents de l’arabe et du berbère expliquent cette prévalence d’une langue sur l’autre. En outre, nombre des parents socialisés en berbère dans leur enfance ont également appris à parler en arabe à l’extérieur (ce qui arrive nettement moins souvent dans le cas contraire) et valorisent sa transmission, en tant que langue du Coran et langue internationale. Ainsi, de ces parents ayant reçu le berbère et l’arabe dans leur enfance, plus des trois cinquièmes retransmettront au moins l’arabe à leurs enfants, contre moins de la moitié d’entre eux au moins le berbère (tableaux 9 et 10). Qualifié de « patois » par certains locuteurs, le berbère, bien que largement répandu au Maroc et en Algérie, semble plus difficilement retransmis en situation migratoire. L’extrait d’entretien qui suit est pour cela assez révélateur de la place accordée à cette langue. Il s’agit de Latifa, dont il a déjà été question (chapitre 2), qui ne mentionne son origine berbère que tardivement au cours de l’entretien et déclare préférer l’arabe à sa langue natale, le berbère :
Quand on était jeune, nos parents ils nous parlaient beaucoup berbère mais après ils nous parlaient arabe aussi, ils parlaient les deux. En principe, les gens dans les villes ils parlent les deux langues par contre les paysans, les montagnards ils parlent que berbère. […] Le berbère y a des livres pour apprendre à l’écrire, l’écriture ça ressemble un peu à l’hébreu mais moi j’ai pas appris. Il est pas entré dans le système scolaire, c’est ça le problème […] Pour eux [ses enfants] ça va être dur, non franchement, on dit souvent que c’est risqué de leur encombrer leur mémoire de pleins de trucs, je sais pas. Je connais des familles qui parlent que le français et le berbère, ils connaissent même pas l’arabe.
Bien que Latifa et son mari soient tous deux d’origine berbère, ils n’ont transmis à leurs enfants que l’arabe.
Toutefois, ce constat doit être nuancé pour les Berbères d’Algérie, dont notamment les Kabyles qui revendiquent fortement leur origine berbère et cherchent à transmettre une partie de cette culture en parlant cette langue à leurs enfants. Les pratiques linguistiques familiales entre les Berbères d’Algérie et les Berbères du Maroc sont donc clairement distinctes. Les enfants de parent marocain berbérophone (rifain, chleuh…) ont significativement moins reçu cette langue que les enfants de parent algérien berbérophone (majoritairement kabyle) : les proportions s’élevant respectivement à 51 % et 59 %. En plus de la langue berbère, les berbérophones d’Algérie transmettent fortement la langue française et près d’un tiers d’entre eux ne transmettent que cette langue ; comportement qui concerne pratiquement trois fois moins les parents berbérophones du Maroc. En revanche, plus de la moitié de ces parents marocains transmettent au moins l’arabe à leurs enfants, ce qui est près de quatre fois moins le cas pour leurs semblables d’Algérie (tableau 9).
Tableau 9 • La transmission de l’arabe selon les langues reçues, le sexe du parent et le pays de naissance

Source : EHF 1999, Ined-Insee.
Les propos de Noria, jeune étudiante de 18 ans née en France de parents algériens de Kabylie, vont dans ce sens :
Ma mère elle a été dans une école exclusivement arabe c’est pour ça qu’elle a appris le kabyle et l’arabe, mais sa langue maternelle c’est le kabyle et faut savoir qu’un kabyle faut pas lui dire « oui t’es arabe, ça c’est hors de question c’est non je suis pas arabe, pourquoi, t’es arabe ? non non j’suis kabyle… Enfin, moi quand les personnes elles vont m’aborder et me demander « t’es de quelle origine ? » le premier réflexe que j’ai c’est de dire « oui je suis kabyle » et la personne si j’ai un Algérien en face de moi il va le prendre mal il va dire « comment ça t’es kabyle pourquoi tu dis pas que t’es arabe ? » et je vais dire « non je suis pas arabe je suis kabyle si tu veux je te dis que je suis algérienne c’est vrai mais je suis pas arabe ». Y a une petite nuance qu’il faut cerner, c’est comme si un breton il va vous dire « je suis parisien » c’est pas possible… Les Kabyles c’est un peuple très nationaliste qui revendique leur identité, ma mère l’arabe elle veut pas le parler il en est hors de question, quand je lui parle parfois en arabe elle me dit « attends on est kabyle tu me parles en kabyle ».
Selon leur pays d’origine, les parents berbérophones transmettront dans des proportions significativement différentes les langues arabe, française et berbère. Ces résultats sont dus, d’une part, à la longue période de colonisation de l’Algérie et à son statut de département français, colonisation d’autant plus forte dans certaines provinces comme la Kabylie ; d’autre part, à des politiques d’arabisation instaurées plus ou moins violemment dans chacun de ces pays et ayant eu des répercussions assez variables ; et enfin à une installation plus ancienne en France des Algériens, comparée aux Marocains. La population tunisienne, quant à elle, est quasi exclusivement socialisée en arabe dans la mesure où le berbère ne subsiste que dans quelques îlots comme Djerba.
Avant la migration, certaines populations d’Algérie revendiquent fortement leur appartenance kabyle, constatée à travers divers événements historiques marquants (Printemps berbère, « grève des cartables ») et à leur façon de nommer leur langue reçue dans l’enfance notamment. Mais la migration entraîne des bouleversements, des recompositions et on aurait pu supposer qu’une telle revendication s’atténue, voire disparaisse, étant donné que le contexte d’énonciation n’est plus le même. Vu de l’extérieur, on a effectivement tendance à percevoir les arabophones et berbérophones vivant en France comme un même ensemble de migrants. Or, les discours des enfants attestent un certain maintien de cette visibilité des Kabyles. Les propos de Noria en rendent compte lorsqu’elle raconte l’importance que sa mère accorde à ce que la famille ne soit pas perçue comme « arabe ». De même, Anisse, jeune étudiant de 18 ans, de parents berbères marocains, explique cette différence entre Berbères du Maroc et d’Algérie :
[…] mais je me dis Marocain, je vais dire par rapport… comparé aux Algériens, les Berbères de… les Kabyles se disent… si on leur demande qu’est-ce que vous êtes ils disent Kabyles ils disent pas Algériens, pourtant c’est des Berbères comme nous, moi je me dis Berbère mais avant tout Marocain, un Berbère qui est sur le territoire marocain ça fait partie du Maroc. Les Kabyles ils sont sur le territoire algérien mais c’est comme si c’est pas l’Algérie, elle est là et là y aurait un pays avec la Kabylie, c’est pareil c’est la même chose. Non, nous les Berbères ils se disent Marocains, après on leur demande d’où ils sont et s’il est Berbère il va vous dire je suis d’origine berbère ou d’Agadir.
Parmi les parents arabophones, des écarts de transmission sont aussi visibles d’un pays à l’autre. Tout comme les berbérophones, les parents natifs du Maroc qui ont reçu dans leur enfance au moins l’arabe déclarent moins souvent que leurs semblables algériens et tunisiens transmettre exclusivement le français. Ils sont trois quarts à transmettre au moins le français contre près des neuf dixièmes des parents arabophones de Tunisie (tableau 10). Assez logiquement, la transmission de la langue française dépend fortement des langues reçues par ces parents. Quel que soit leur pays de naissance, lorsqu’ils ont eux-mêmes entendu parler français dans leur famille, les parents la retransmettent dans de très fortes proportions à leurs enfants dont plus des deux cinquièmes d’entre eux de façon exclusive, et d’autant plus fortement lorsqu’il s’agit de pères. Globalement, qu’elles soient berbérophones ou arabophones, les mères transmettent moins souvent que les pères le français de façon exclusive. Ces dernières parlent très majoritairement plusieurs langues à leurs enfants. Enfin, parmi les parents ayant reçu « l’arabe et le berbère » dans leur enfance, les femmes retransmettent au moins le berbère dans la moitié des cas contre deux cinquièmes des pères. C’est aussi la seule fois où elles déclarent plus fortement (deux fois plus) que les hommes, transmettre une langue de façon exclusive.
Tableau 10 • La transmission du berbère selon les langues reçues, le sexe et le pays de naissance

Source : EHF 1999, Ined-Insee.
En bref, les langues arabe et berbère, lorsqu’elles sont transmises d’une génération à l’autre en France, le sont majoritairement de façon « habituelle » et a priori davantage par les mères que par les pères. Par ailleurs, si les langues parentales arabe ou berbère sont assez fortement retransmises, elles le sont très nettement en association avec d’autres langues et en moyenne, au moins deux langues sont utilisées en famille. Quel que soit leur pays d’origine, les parents arabophones retransmettent majoritairement leur langue natale, l’arabe, en y associant le français ; en revanche, parmi les berbérophones, le type de bilinguisme varie d’un pays à l’autre. En Algérie, les parents berbérophones transmettent leur langue natale et le français assez fortement tandis qu’au Maroc, la langue berbère est légèrement moins retransmise car un certain nombre de parents optent pour un bilinguisme franco-arabe.
Dans le processus de transmission, le transmetteur potentiel, c’est-à-dire le parent détenteur du capital culturel et social est évidemment un élément clé, mais il ne peut être le seul. L’enfant est non seulement un héritier, mais aussi un acteur en partie autonome. Son rapport aux langues parentales est lié aux contextes de vie dans lequels il a grandi et à certains déterminants de son cycle de vie, comme par exemple le choix du conjoint.
Ainsi, quand bien même les parents migrants ont cherché à transmettre l’arabe ou le berbère à leur descendance, et ce dans une très large part, cette transmission des parents vers leurs enfants ne peut expliquer à elle seule le rapport aux langues parentales de ces derniers socialisés en métropole. La transmission émise, c’est-à-dire, concrètement, le fait que les parents parlent en famille à leurs enfants l’arabe ou le berbère, ne constitue pas un déterminant suffisant pour appréhender le devenir de ces langues à la génération suivante. Cela signifie que cette transmission de la part des migrants n’implique pas automatiquement que leurs enfants vont eux-mêmes parler puis transmettre cette ou ces langues plus tard. Il importe donc à présent de se placer du côté des enfants socialisés en France et d’étudier leurs rapports aux langues parentales. Cet angle d’analyse permet de répondre à deux principales questions : premièrement, quel est le maintien de ces langues en France si l’on se place au niveau des enfants ? Deuxièmement, la langue parentale constitue-t-elle un référent important pour ces enfants ?
2. Les enfants et leurs rapports aux langues parentales
15La transmission des langues parentales, arabe et berbère, aux enfants est importante, les parents ayant déclaré transmettre l’arabe à plus de 70 % et le berbère à plus de 50 %. De fait, les échanges linguistiques familiaux sont majoritairement bilingues : même si les enfants ne parlent pas la langue d’origine de leurs parents, le plus souvent, ils la comprennent et inversement, si les parents ne parlent pas le français en famille, dans l’ensemble, ils comprennent eux aussi cette langue. Par ailleurs, au fil du temps, la langue française prend parfois l’ascendant sur les autres langues et son usage entre parents et enfants peut devenir dominant. Outre la concurrence existant entre les langues natales et la langue française, les pratiques linguistiques évoluent car il s’agit d’un processus qui se comprend dans un espace-temps. Entre la déclaration des parents migrants sur les langues qu’ils ont transmises à leurs enfants, et la propre transmission de langues de ces nouveaux adultes à la génération suivante, une vingtaine d’années s’est écoulée. Durant cette période, les pratiques linguistiques familiales ont évolué. En outre, le rapport aux langues parentales des enfants peut être instable et dépend notamment du choix du conjoint, mais aussi des relations plus ou moins distantes avec leurs parents, selon que ces derniers sont ou non repartis vivre dans leur pays de naissance. La transmission des langues arabe et berbère faite par les parents migrants à leurs enfants n’est donc pas un élément suffisant pour appréhender le devenir de ces langues à la génération suivante. Il s’avère nécessaire de se placer du côté des enfants socialisés en France et d’analyser leurs rapports aux langues parentales une fois devenus adultes. Que deviennent les langues parentales arabe et berbère lorsque les enfants ont quitté le domicile familial ? Quelles langues parleront-ils à leurs propres enfants ? Mais surtout, au-delà de sa passation effective, la langue parentale ne prend-elle sens qu’à travers sa transmission d’une génération à l’autre ? Les enfants de parent-s migrant-s qui ne sont pas en mesure de transmettre ces langues à leurs propres enfants sont-ils plus distants de l’univers culturel parental ?
On a analysé auparavant les taux de transmission de l’arabe et du berbère aux enfants par les parents nés au Maroc, en Tunisie ou en Algérie et actuellement installés en France. À la génération suivante, parmi les adultes qui ont été socialisés en France métropolitaine et qui avaient des parents migrants, qu’en est-il de la transmission de ces langues ?
En 1999, dans le questionnaire de l’enquête Étude de l’histoire familiale, 9945 adultes ont déclaré, être nés en France de parents dont l’un au moins est né en Afrique du Nord23. Parmi cet ensemble, plus de la moitié des répondants n’ont pas encore d’enfants (5 144). Des 4 801 individus socialisés en France et devenus parents, seuls 790 (moins de 20 %) déclarent avoir eu leur père ou/et leur mère qui leur parlaient arabe dans leur enfance et 171 indiquent avoir reçu la langue berbère (soit moins de 4 %)24. Afin de permettre la comparaison, seuls les adultes socialisés en France au moins en arabe ou en berbère dans la sphère familiale ont été pris en compte, même si plus d’un cinquième des parents natifs d’Afrique du Nord arabophones ou berbérophones n’avaient transmis que le français à leurs enfants.
Ainsi, par exemple, comparés aux parents migrants socialisés au moins en arabe qui déclaraient transmettre uniquement la langue française près d’une fois sur quatre, les adultes nés en France dont les parents parlaient au moins l’arabe en famille sont la moitié à déclarer quant à eux transmettre uniquement le français, soit deux fois plus. Quatre sur dix mentionnent encore une retransmission de l’arabe contre plus de sept parents migrants sur dix. Les écarts sont d’autant plus importants pour la retransmission du berbère. Le lieu de socialisation est donc un élément important de la transmission, et si le maintien de certaines langues se joue au sein des relations intra-familiales, cela ne peut être déconnecté du contexte national qui est déterminant.
La comparaison, selon le pays de naissance en France ou en Afrique du Nord, des langues retransmises aux enfants par les parents à qui l’on a parlé dans l’enfance au moins l’arabe ou le berbère révèle des écarts importants (tableau 11). À partir des taux de (re)transmission déclarés par les parents, on constate l’incidence du lieu de naissance et de socialisation sur le maintien des langues d’une génération à l’autre. Dès lors que les parents sont nés en France, ils transmettent, en majorité, uniquement la langue française, bien qu’ils aient entendu dans leur enfance leurs parents leur parler en arabe ou en berbère et, la transmission exclusive du français est d’autant plus forte dans le second cas. Ainsi, le fait d’être né et socialisé en France, quelles que soient les langues parlées dans la sphère familiale, a pour conséquence l’ascendant certain du français sur les autres variétés linguistiques. Seuls 3 % des parents arabophones déclarent n’avoir retransmis que cette langue à leurs enfants, soit cinq fois moins que les parents socialisés hors de métropole. Aucun parent berbérophone natif de France ne déclare d’usage exclusif de cette langue. Cela renforce et confirme l’idée selon laquelle, les enfants qui ne sont pas familiarisés au français en famille, maîtriseront néanmoins cette langue par d’autres biais, notamment la scolarisation. Contrairement aux parents nés en Afrique du Nord qui ont appris le français sur les bancs de l’école ou après leur migration, les personnes nées en France de parents migrants ont, dès leur plus jeune âge, entendu parler cette langue qui fait partie de leur quotidien à travers les contacts avec l’extérieur, la télévision, leurs frères et sœurs… Ces Français issus de l’immigration nord-africaine ont donc très rapidement été mis au contact d’au moins deux langues : la langue natale de leur parent et la langue française. Il paraît donc important de comprendre quels sont les statuts de ces langues pour ces enfants. En effet, les langues parentales arabe et berbère n’auront pas la même fonction que la langue française. Ce point sera l’objet du dernier chapitre.
Tableau 11 • Comparaison des taux de transmission de l’arabe, du berbère et du français selon le lieu de naissance du parent transmetteur

Champ : Les résultats sur les parents nés dans l’un des trois pays d’Afrique du Nord reprennent en partie les tableaux 4 et 5 précédents. Les parents transmetteurs nés en France ont au moins l’un de leurs parents nés en Algérie, au Maroc ou en Tunisie et ont reçu de ceux-ci les langues arabe ou berbère.
Source : EHF 1999, Insee-Ined.
Un certain nombre de sociolinguistes considèrent que les langues premières des parents sont aussi celles des enfants. Au cours des vingt dernières années, deux principaux courants ont vu le jour (Bouziri, 2002). La première tendance considère que les enfants issus de l’immigration ont à fournir un « double effort d’apprentissage » (Milet, 1985) dans la mesure où ils devraient à la fois apprendre le français parlé avec leurs pairs et le français « standard » de l’école. La deuxième tendance présume que la principale langue parlée par les parents est aussi la principale pour les enfants et que de ce fait, le français resterait pour ces derniers une langue étrangère.
Or, comme on a pu le constater à partir des résultats statistiques et comme le montre le travail de thèse de Raja Bouziri (2000), ces affirmations sont loin d’être exactes. D’une part, les langues parentales arabe ou berbère transmises en France aux enfants ne sont déjà plus celles véhiculées dans le pays d’origine, d’autre part, les langues parlées par les natifs de France issus de l’immigration sont elles aussi distinctes des langues parentales. Il serait faux de penser que les langues peuvent ainsi être transplantées d’un environnement à un autre sans subir de variations. Il serait également erroné de conclure trop hâtivement que ces langues parentales, parce qu’elles sont les premières parlées aux enfants, seront de ce fait les langues les mieux maîtrisées par ces derniers. Les langues arabe et berbère parlées par les parents migrants et en partie transmises à leurs enfants sont progressivement concurrencées par la pratique du français. Au fil des générations, les langues issues de l’immigration ont un usage davantage occasionnel et leur retransmission s’avère délicate. Toutefois, cette moindre pratique de la langue parentale ne conduit pas automatiquement à une mise à distance de cet univers culturel. Les rapports que les enfants instaurent avec les univers parentaux sont pluriels. Ils les mobilisent de différentes façons à travers leurs pratiques linguistiques, mais aussi par le biais d’autres comportements et valeurs. Et surtout, de mêmes pratiques peuvent être vécues différemment et avoir plusieurs significations.
Conclusion
16La transmission d’une langue doit être appréhendée en tant que processus. Elle s’opère, d’une part, à partir du transmetteur, des caractéristiques sociales et linguistiques dont il est porteur et, d’autre part, ne peut se comprendre sans prendre pleinement en considération le récepteur, c’est-à-dire l’enfant. En cela, la transmission ne peut s’étudier comme un simple patrimoine, un héritage qui pourrait être légué tel quel d’une génération à l’autre. Par ailleurs, cette dialectique parent/enfant doit être réinscrite dans un contexte d’énonciation plus général permettant d’appréhender les conditions de la transmission des langues autres que le français dans un climat d’assimilation rapide à cette langue. Le français a en effet été de plus en plus parlé tout au long du xxe siècle. Comme on l’a vu, il a occupé le terrain de façon croissante depuis son officialisation au xvie siècle, et plus nettement à partir du xixe siècle lorsqu’à travers des politiques linguistiques issues du jacobinisme, le français a clairement été affiché comme la langue de la France en opposition à tous les autres parlers.
Néanmoins, le paysage linguistique de la France atteste une grande diversité de langues autant régionales, qu’issues de l’immigration. Leur maintien d’une génération à la suivante n’est pas mécanique et dépend notamment de l’ancienneté des locuteurs sur le territoire.
De par l’étendue des vagues migratoires d’Afrique du Nord vers la France, les langues arabe et berbère figurent parmi les principales langues reçues puis retransmises parmi la population migrante. Les parents arabophones et berbérophones déclarent en effet dans une large mesure les avoir parlées à leurs enfants. Cette retransmission se fait très majoritairement de pair avec l’emploi de la langue française, langue que tous les enfants scolarisés en France maîtrisent. Quant à la langue parentale, l’exploitation du questionnaire ne permet pas d’analyser les niveaux de compétence et tel n’est pas d’ailleurs l’objet de cet ouvrage ; mais en revanche, les discours recueillis et les diverses études de terrain (Deprez, 1994 ; Bouziri, 1999) rendent compte de pratiques linguistiques diversifiées chez les enfants tout en étant majoritairement bilingues. L’activation de ce capital pour les bilingues passifs est possible, car répétons-le, le capital linguistique n’est pas figé et peut évoluer tout comme c’est le cas de la maîtrise de la langue française pour les parents.
Enfin, si la transmission des langues arabe et berbère est davantage le fait des mères que des pères, et si elle dépend en partie du pays de naissance et des langues reçues par les parents dans leur enfance, on ne peut en rester là. Il nous faut à présent analyser plus finement les mécanismes de cette transmission en réinscrivant ce processus de transmission dans le parcours en France du parent migrant et en dégageant notamment les contraintes, pressions sociales et ressources mobilisables le conduisant à transmettre telle ou telle langue. L’insertion professionnelle est en ce sens déterminante.
Notes de bas de page
1 Pour une analyse synthétique des processus de socialisation retraçant les grands courants théoriques : Piaget, Mead, Parsons, Hugues… voir l’ouvrage de Claude Dubar, La socialisation, Paris, Armand Colin, collection « U », 1991 (3e éd., 2002).
2 Durkheim n’utilise ce terme de socialisation qu’une seule fois dans son ouvrage Éducation et sociologie, édité en 1922 : « L’éducation perpétue et renforce cette homogénéité en fixant d’avance dans l’âme de l’enfant les similitudes essentielles que suppose la vie collective. Mais, d’un autre côté, sans une certaine diversité, toute coopération serait impossible. L’éducation assure la persistance de cette diversité nécessaire en se diversifiant elle-même et en se spécialisant. Elle consiste donc, sous l’un ou l’autre de ses aspects, en une socialisation méthodique de la jeune génération. »
3 Comme le dit Bernard Lahire, « l’héritage culturel ne parvient pas toujours à trouver les conditions adéquates pour que l’héritier hérite » (1995, p. 274).
4 Dans leur article intitulé « Le patrimoine et sa lignée : transmissions et mobilité sociale sur cinq générations », Daniel Bertaux et Isabelle Bertaux-Wiame (1988) ont analysé, en retraçant la trajectoire d’une lignée d’artisans, en quoi la transmission est un processus dynamique. Ils ont notamment tenté de comprendre comment le capital artisanal s’est transmis durant quatre générations, depuis Alphonse, meunier, jusqu’à Désiré, fabricant d’aliments pour bétails. Les auteurs dégagent en premier lieu les principales déterminations objectives qu’ils appellent « moment structuraliste ». Même s’ils ne sont pas meuniers de père en fils, les Terrenoire ont tous des métiers en rapport avec le grain – il y aurait en ce sens transmission en équivalence – et surtout, d’une génération à l’autre, ils se sont transmis un réseau de clientèle. Donc, il y a bien une continuité de père en fils à travers ce capital de relations sociales et en même temps, chacun va s’adapter à l’évolution du contexte socioéconomique. Mais les auteurs ne se contentent pas de dégager un processus sociostructurel car ils montrent que, au-delà de cette cohérence apparente, les rapports sociaux restent plus ambivalents qu’ils n’y paraissent au premier abord et qu’il y a plusieurs niveaux d’analyse possibles. Notamment, en ne tenant pas seulement compte des destins effectivement réalisés, les auteurs expliquent ensuite que « les possibles non réalisés font effectivement partie de la réalité », et que ces possibles peuvent parfois être contradictoires.
5 Dans Langage et pouvoir symbolique, Bourdieu définit le « marché linguistique » ainsi : « La construction d’un marché linguistique crée les conditions d’une concurrence objective dans et par laquelle la compétence légitime peut fonctionner comme capital linguistique produisant, à l’occasion de chaque échange social, un profit de distinction… » (Bourdieu, 2001, p. 84.)
6 Ce point reprend en partie les éléments développés dans la publication « La dynamique des langues en France au fil du xxe siècle », Population et sociétés, 376, 2002, co-écrite avec F. Héran et C. Deprez.
7 Grimes B. Ethnologue : languages of the world, Dallas, Summer Institute of Linguistics, 2000, 2 tomes, voir le site (www.ethnologue.com).
8 Pour les générations les plus anciennes, il est possible que les répondants aient oublié que leurs parents leur parlaient aussi français ; on peut facilement supposer qu’il y ait un biais de sélection, de sorte que les survivants sont sans doute issus des milieux sociaux les plus « privilégiés ». Ils ont en cela davantage été socialisés en français. Dans tous les cas, la tendance reste la même qu’elle soit accentuée ou au contraire atténuée.
9 « "Nation as community" signified a people, a Volk, based on likeness, on relationships of blood and kinship, or not to mince words, racial heritage. "Nation as association" signified one that was constituted by people who come together voluntarily, forming a pact as fellow citizens, as Rousseau and Sieyès had imagined. » (Grillo, 1998, p. 122, version originale.)
10 « Dans la nouvelle idéologie, l’idée de nation connut une métamorphose complète et la langue se vit chargée d’un rôle entièrement nouveau dans la société. Si jusqu’alors on avait réservé le mot nation à la désignation du groupe aux dimensions variables au sein duquel on était né, il désignait maintenant un groupe aux contours beaucoup plus vastes, uni par la raison, la volonté générale et le contrat social. Cette nation en tant qu’association exigeait que tous les membres parlassent une seule et même langue. Et celle-ci devint le premier symbole de la nation. » (Lodge, ibid., p. 279.)
11 « Alors que dans le cas français, l’État a été antérieur à toute réflexion sur la nation, les Allemands ont dû penser une réalité nationale non encore institutionnalisée. […] C’est pourquoi, alors qu’en France c’est le passage de la diversité ethnique à l’unité nationale qui va hanter la réflexion, en Allemagne, l’unité du peuple étant considérée comme un point de départ, l’effort des intellectuels consistera à rechercher les éléments constitutifs de cette unité, pour les sauvegarder et les valoriser contre la domination française qui justifie l’occupation au nom de la conception universaliste de la nation. » (Noiriel, 1992, p. 10.)
12 Cette première loi reste très restrictive car elle ne concerne que quatre langues régionales : le breton, le basque, le catalan et l’occitan. En outre, si les enseignants sont autorisés à les utiliser en classe, cela doit se limiter à une ou deux heures par semaine, et seulement s’ils le souhaitent.
13 Leclerc J., 2001, « La politique des langues régionales et minoritaires en France » in L’aménagement linguistique dans le monde, Québec, TLFQ, Université Laval. [http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/europe/france-3politik_minorites.htm].
14 La Délégation générale à la langue française est rattachée au ministère de la Culture depuis 1996. Elle garantit l’emploi du français dans certaines circonstances de la vie publique et professionnelle et a également mis en place un observatoire des pratiques linguistiques afin de valoriser les langues régionales et minoritaires.
15 « D’après ce qu’on peut en déduire, il semble qu’il s’agisse [l’auteur fait ici référence à l’enquête] de “mesurer” le taux de transmission ou de non-transmission des langues familiales autres que le français parlées en France (régionales ou immigrées). Les auteurs y associent de façon apparemment mécanique la pratique du français, comme si l’individu était forcément monolingue et que tout usage déclaré du français signifiait substitution et “abandon’ d’une langue autre. Les multiples cas de figure de plurilinguisme actif et/ou passif sont ignorés ou négligés […] (Blanchet, 1998, p. 25)
16 Les critiques formulées par Philippe Blanchet en 1998 ont largement été réitérées dans un compte rendu critique paru en mai 2003 dans la revue Marges linguistiques et visaient cette fois-ci le questionnaire EHF de 1999.
17 « […] si l’on excepte les générations extrêmes, l’intensité de la transmission linguistique des parents aux enfants dans une époque donnée (par exemple la fin des années cinquante) est déclarée deux fois : la première fois par la génération des parents, la seconde fois par la génération des enfants, ce qui permet de comparer les déclarations des transmetteurs et des récepteurs.
De proche en proche, on sera en mesure d’aligner des segments d’évolution entre générations susceptibles de se chevaucher partiellement. Même si des segments se succèdent avec des décalages systématiques, dus aux effets des sous-déclarations ou des sur-déclarations, cela n’empêchera pas de retracer correctement la courbe générale de l’évolution. » (Héran, 2002, p. 51).
18 Pour le récapitulatif des entretiens, voir en annexe.
19 En citant mon propre cas de débutante dans l’apprentissage de l’arabe et les difficultés que je pouvais rencontrer, cela m’a permis notamment de « tester » leur niveau de connaissances et leur capacité à parler l’arabe.
20 La réponse « arabe » ayant souvent été mentionnée sans autre précision, il peut donc s’agir du dialectal marocain, algérien ou tunisien ou de l’arabe moderne ou littéraire. Toutefois, en tant que langue orale familiale, la nomination « arabe » renvoie majoritairement au premier cas de figure car l’arabe classique reste en premier lieu une langue apprise scolairement et non par l’intermédiaire des parents.
21 Dans le volet linguistique de l’enquête Étude de l’histoire familiale, deux lignes de réponse permettaient aux répondants d’indiquer les variétés linguistiques transmises soit « d’habitude » pour la première ligne, soit « aussi » pour la seconde ligne, que l’on appelle par convention transmission « occasionnelle ». Sur chacune de ces lignes plusieurs langues pouvaient être citées, ce qui signifie que la hiérarchisation des langues par les répondants n’était pas automatique. Certains ont pu choisir d’indiquer plusieurs langues sur la première ligne et aucune sur la seconde ligne. Voir le questionnaire en annexe.
22 Raja Bouziri nomme « idiolecte parental » les pratiques linguistiques des parents en France, qui ne sont déjà plus les mêmes que celles d’avant la migration.
23 En fait 10 247 adultes de plus de 18 ans ont indiqué être nés en France mais 302 ont mentionné une date d’arrivée en métropole. Il s’agit pour la plupart de migrants d’Algérie, nés pendant la colonisation et venus en France au début des années 1960. Ils n’ont pas été pris en compte.
24 Rappelons que chez les parents migrants d’Afrique du Nord, plus de la moitié n’ont pas été socialisés en arabe et en berbère, notamment dans les générations les plus anciennes, parmi lesquelles figurent les rapatriés.
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