Chapitre 1
Le mariage
p. 47-124
Texte intégral
1Quetelet, qui était tout à la fois astronome et statisticien, pensait que la nuptialité obéissait à des lois aussi précises que celles qui règlent le cours des astres. Il croyait pouvoir affirmer que « le mariage suit une marche si régulière que les nombres annuels se reproduisent avec une constance plus grande que les phénomènes naturels1 ». Les séries statistiques alors disponibles présentaient pour l’auteur de la « physique sociale » une telle régularité que tout se passait selon lui comme si la population s’était, une fois pour toutes, fixé le nombre de mariages annuels et leur répartition par groupes d’âges.
2L’analyse de séries plus longues a ruiné définitivement cette hypothèse fixiste. Les courbes qui traduisent l’histoire de la nuptialité sont, d’évidence, irrégulières, coupées de brusques dépressions, cernées de clochers. Elles sont sensibles aux séismes sociaux, guerre ou crise économique. Mais, par-delà ces accidents, ne peut-on espérer que les variations observées s’ordonnent. Elles indiqueraient une tendance dont le moteur serait cette fois une lente transformation des « représentations collectives ».
3Encore faudra-t-il toujours s’assurer que ce que l’on prend pour le signe d’une modification durable des mœurs doit bien être porté à ce compte : un temps de dépression économique, un déséquilibre momentané entre les effectifs des sexes, en voilà assez pour perturber les indices sans qu’un changement quelconque soit intervenu dans le véritable comportement social.
4Le sociologue s’intéressera donc avant tout à la longue durée2. L’analyse démographique doit lui permettre avec un certain recul de discerner derrière les irrégularités conjoncturelles évidentes, les lignes, plus discrètes mais plus fermes, qui expriment la lente déformation des modèles sociaux.
5L’ère véritablement statistique dans le domaine de la nuptialité commence en France avec le recensement de 1851. La population y est répartie suivant l’état matrimonial, par sexe et groupes d’âges quinquennaux. Ainsi apprend-on qu’à cette date, dans le groupe 20-24 ans 89,4 % des hommes et 69,5 % des femmes étaient célibataires. L’analyse de la nuptialité française à partir de la série des recensements a été faite par Chasteland et Pressat.
6Sur la méthode qu’ils ont suivie, sur les hypothèses qu’ils ont dû utiliser, sur le degré d’exactitude des résultats, on trouvera dans leur article toutes les précisions souhaitables (Chasteland et Pressat, 1962). Les auteurs précisent eux-mêmes qu’ils ne pourront « généralement pas tirer de cette étude des enseignements précis sur la façon dont des événements perturbateurs retentissent sur la nuptialité des générations » mais que leur analyse permet de « déterminer les changements qui ont pu intervenir en France depuis un siècle, dans les caractéristiques fondamentales de la nuptialité » (op. cit., p. 224-225). C’est précisément ce qu’il nous importe ici de connaître.
I. Les données « France entière »
7Pour tenter de saisir les différences entre modèles de nuptialité suivant les milieux, il est indispensable de connaître d’abord, dans ses caractéristiques présentes, mais aussi dans leur évolution séculaire, les indices de la nuptialité globale de la population française. Par référence à cette nuptialité « moyenne » on saisira mieux ensuite l’originalité d’un groupe particulier dans ses traits actuels comme dans ses modifications récentes.
8La première tâche est donc de rappeler rapidement les données globales sur l’évolution de la nuptialité française. L’objectif ici non plus n’est pas de faire avancer la démographie historique en apportant des informations nouvelles sur ce point, mais simplement d’utiliser l’acquis pour qu’il serve en quelque sorte d’horizon aux résultats, plus originaux, sur la nuptialité différentielle. L’analyse démographique de la nuptialité se réduit pour l’essentiel à l’étude de l’intensité du phénomène et de son calendrier. On y joindra un bref exposé sur l’homogamie sociale.
1. L’intensité de la nuptialité
9Par intensité de la nuptialité, on entend la fréquence du mariage dans une population donnée. Encore faut-il trouver une mesure de cette fréquence. Dira-t-on qu’il suffit, pour obtenir un taux de nuptialité satisfaisant, de rapporter le nombre des mariages survenus une année donnée, à l’effectif moyen de la population cette année-là ? Un tel taux a été calculé (figure 1) et la série française permet de suivre son évolution depuis 1801.
Figure 1. Évolution du taux brut de nuptialité en France

Source : Pressat, 1969, p. 161.
10L’examen de ce graphique montre que ce taux traduit bien les accidents qui ont perturbé la nuptialité depuis 1801. Par contre, il n’indique pas dans quelle mesure les générations se sont finalement mariées. Bien plus, si l’on fait abstraction des « sautes » conjoncturelles, l’examen de la courbe suggère une remarquable stabilité de la nuptialité puisque d’un taux de 7,5 % environ, au début au xixe siècle on revient vers 1970 à un taux identique. En réalité, cet indice est très sensible à la structure par âges et la baisse apparente du taux par rapport à son niveau de 1840, par exemple, signifie simplement que, dans la population française, la proportion des « trop jeunes pour se marier » et des « vieux déjà mariés » a sensiblement augmenté. La baisse du taux est donc à porter au seul compte de l’évolution de la structure par âges. L’intensité de la nuptialité ne peut vraiment se mesurer que par référence à une population spécifique, celle des mariables.
11Cette observation est à l’origine d’un taux de nuptialité, utilisé vers 1900, qui calcule « la fréquence des mariages, en rapportant leur nombre, non pas à la population totale, mais à la population mariable, comprenant les adultes des deux sexes non mariés, garçons, veufs et divorcés de 18 à 60 ans, filles, veuves et divorcées de 15 à 50 ans3 ». On trouvait ainsi pour la période 1860-1862 par exemple un taux de 6,92 % pour les hommes et de 6,77 % pour les femmes.
12Les défauts d’une telle mesure sont assez clairs. Les limites retenues incluent des âges de faible nuptialité, en particulier avant 20 ans. De plus, ce taux, comme tous les indices du moment, est très sensible aux aléas de la conjoncture. Nous l’utiliserons, faute d’un meilleur, pour tenter de mesurer l’intensité de la nuptialité suivant le département, vers 1860.
13Pour la France entière, l’article précité de Chasteland et Pressat nous fournit un indice d’intensité presque parfait4 avec la proportion de célibataires dans les survivants du groupe d’âges 45-49 ans5. La signification de l’indice ici est précise : il indique dans un groupe de générations la proportion de ceux qui ne sont pas mariés, alors qu’ils ont atteint un âge où les premiers mariages deviennent très rares.
Tableau 5. Proportion de célibataires à 50 ans par générations (%)

14On n’oubliera pas, pour interpréter ces données, qu’elles sont relatives à des groupes de générations et non pas à des périodes. Ainsi les mariages des générations 1821-1825 n’ont commencé à se produire que vers 1840.
15Si l’on néglige les conséquences très visibles mais rapidement amorties de la Première Guerre mondiale, la tendance séculaire est une baisse sensible de la fréquence du célibat définitif, et donc, contrairement à ce que suggérait l’évolution du taux brut de nuptialité, une augmentation de l’intensité de la nuptialité. Cette tendance est encore plus marquée si l’on prend comme générations de référence le groupe 1836-1840. Pour 100 hommes de ces générations, 13 restaient célibataires pour 9 seulement dans le groupe 1926-1930. Pour 100 femmes, et pour les mêmes groupes de générations, le pourcentage tombe de 14 à 7.
16On a remarqué sur la figure 2 que la courbe des hommes croise celle des femmes au niveau des générations 1906-1911. Jusque-là, la fréquence de la nuptialité masculine semblait supérieure à celle des femmes. En réalité, la disparité de l’intensité dans les générations antérieures est surestimée. En effet, si le biais dû à la surmortalité des célibataires est faible chez les femmes, il est beaucoup plus accusé chez les hommes. La sous-estimation de la fréquence réelle du célibat est de l’ordre de 8 % à 10 % pour les hommes mais seulement de 3 % pour les femmes6. On peut dès lors admettre que la nuptialité était approximativement égale pour les deux sexes.
Figure 2. Proportion de célibataires à 50 ans

Source : Chasteland et Pressat, 1962, p. 225.
17À partir des générations 1906-1911, la nuptialité féminine apparaît plus forte que celle des hommes. Et, cette fois, le biais introduit par la surmortalité des célibataires atténue la disparité réelle : la nuptialité féminine est plus intense désormais que la nuptialité masculine. L’écart ne peut plus guère s’expliquer que par un déséquilibre entre l’effectif des hommes et celui des femmes aux âges de forte nuptialité. Le rapport de masculinité, sensiblement supérieur à 100 dans la population étrangère immigrée, accuse le déséquilibre dû au rapport de masculinité à la naissance.
18La fréquence du célibat définitif semble aujourd’hui avoir atteint un palier. Patrick Festy a extrapolé les données déjà disponibles sur l’histoire matrimoniale des générations féminines 1931 et 1943. Il arrive à la conclusion que pour ces deux générations, cette fréquence ne devrait pas finalement s’écarter de 8 %7.
19L’augmentation de l’intensité est surtout intervenue en début et en fin de période d’observation, c’est-à-dire pour les groupes de générations 1836-1855 et 1911-1930. Entre ces deux séries, la perturbation due à la Première Guerre mondiale masque la tendance réelle, mais le niveau en fin de perturbation, dans les générations 1910-1914, n’est pas très différent pour les hommes comme pour les femmes, de ce qu’il était pour le groupe de générations 1851-1855.
20Il est évidemment intéressant de comparer l’évolution de l’intensité de la nuptialité en France avec celle qui s’est produite dans des sociétés de type semblable. John Hajnal a sans doute été le premier à utiliser systématiquement comme indice d’intensité la proportion de célibataires dans le groupe d’âges 45-49 ans (Hajnal, 1953 ; 19648). Le tableau 6 donne quelques séries relatives à des groupes de générations ou à des générations, pour un certain nombre de pays occidentaux industrialisés.
21De l’examen de ce tableau, on tire une première conclusion : la tendance séculaire observée en France, baisse de la fréquence du célibat définitif, paraît assez générale. Dans les populations étrangères citées, c’est également parmi les générations nées dans la décennie qui précéde la Première Guerre mondiale que l’augmentation de l’intensité semble s’accélérer.
Tableau 6. Fréquence du célibat définitif par sexe et suivant le groupe de générations dans quelques pays occidentaux

22Enfin, là où les séries statistiques remontent assez loin, on observe dans les générations nées vers le milieu du xixe siècle, une augmentation assez nette de la fréquence du célibat par rapport aux générations antérieures. On trouvait d’ailleurs en France une augmentation analogue pour les générations 1821-1835, bien que la série des indices antérieurs soit trop brève pour que l’on puisse interpréter le maximum noté dans les générations 1836-1840 comme le terme d’une longue période de croissance du célibat définitif.
23Il semble en définitive que la France ait subi la même évolution que les autres sociétés occidentales : on peut la résumer en parlant d’une probable diminution de l’intensité de la nuptialité jusqu’au groupe de générations 1836, d’une croissance assez rapide dans les vingt générations suivantes, d’un palier avec une très lente augmentation jusqu’aux générations nées immédiatement avant la Première Guerre mondiale, puis d’une augmentation rapide jusqu’aux générations qui sont actuellement en âge de se marier.
2. Le calendrier de la nuptialité
24La mesure de l’intensité ne suffit pas à caractériser un phénomène démographique. Le calendrier de la nuptialité, c’est-à-dire la distribution de la population suivant l’âge au mariage, peut varier considérablement d’une population à l’autre. Autrement dit, à intensité égale, la précocité de la nuptialité n’est pas nécessairement identique.
25Pour mesurer d’une manière précise cette précocité, la difficulté est plus grande que pour l’intensité. Les séries de données les plus anciennes, recensements ou état civil, permettent pourtant de remonter jusqu’au milieu du xixe siècle. À partir des proportions de célibataires dans les groupes quinquennaux, Chasteland et Pressat ont calculé des âges moyens au mariage par groupe de générations9. Cet indice est sans doute un des plus sûrs puisqu’il évite l’effet des ss par âge ; un des plus clairs aussi dans sa signification puisqu’il concerne une population homogène.
26Il suppose pourtant que la proportion des célibataires dans un groupe d’âges, Px, x+4, soit considérée comme la moyenne arithmétique des proportions aux anniversaires extrêmes de la classe d’âges. Ainsi on admettra que
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28Cette hypothèse d’une équirépartition de la nuptialité entre les deux anniversaires extrêmes n’est pas nécessairement vérifiée en particulier pour les groupes d’âges les plus jeunes. On exprimera le même biais en disant que parmi les femmes mariées entre 20 et 25 ans, l’âge moyen au mariage pourrait théoriquement passer de 23 à 22 ans, sans que la proportion de célibataires du groupe d’âges en soit modifiée pour autant et donc sans que cette évolution retentisse sur le calcul de l’âge moyen pour ce groupe de générations. Cette hypothèse simplificatrice n’introduit pourtant pas de biais très important. Utilisé pour une longue série de données, elle reste le meilleur indice de comparaison et c’est elle surtout qui sera utilisée ici pour étudier l’évolution du calendrier de la nuptialité dans la population française.
29On aura recours néanmoins à deux indices complémentaires. Le premier est moins précis que celui qui vient d’être décrit, mais il a l’avantage de permettre des comparaisons internationales et dans la suite de ce travail, des comparaisons d’un milieu social à l’autre. On y rapporte la proportion de non-célibataires dans une classe d’âges jeunes à la proportion de non-célibataires à 50 ans. On a ainsi deux formules différentes.
30L’une pour les hommes
31L’autre pour les femmes
32Faute de connaître P50, on utilisera dans la plupart des cas P45-4910.
33Enfin, pour tenter de mesurer la précocité matrimoniale dans les générations les plus récentes, on utilisera les séries des premiers mariages réduits, obtenus à partir des statistiques d’état civil (tableau 7). On pourra ainsi, pour la France et quelques pays industriels suivre le début de l’histoire matrimoniale des générations nées après 193011.
34Cette série porte sur les groupes de générations dont on peut reconstituer ou construire l’histoire matrimoniale complète, d’une manière satisfaisante. Les moyennes d’âge au mariage par groupes de générations révèlent d’abord qu’entre les plus anciennes (1826-1830) et les plus récentes (1926-1930) une baisse importante est intervenue aussi bien pour les hommes (– 2,5 ans) que pour les femmes (– 2,7 ans).
Tableau 7. Âge moyen au mariage et écart d’âges entre conjoints suivant le groupe de générations en années et dixièmes d’années

35Contrairement à l’opinion générale admise, la baisse la plus importante de ces générations semble intéresser les générations nées dans le deuxième quart du xixe siècle. Si l’on rapproche la moyenne des générations 1896-1900 de celles du groupe 1921-1925, les écarts sont très faibles.
36L’évolution pourrait donc se résumer comme suit : une baisse rapide dans les premières générations de la série (groupe 1826-1845), un premier palier (groupe 1846-1875) une nouvelle baisse (1876-1900) un dernier palier enfin pour les groupes postérieurs.
37En réalité les données les plus anciennes doivent être utilisées avec une certaine prudence. Aussi bien, Chasteland et Pressat suggèrent-ils de modifier le profil d’évolution apparent : au lieu d’une baisse rapide au début de la série, baisse suivie par une période de stabilisation, il est plus vraisemblable d’admettre une décroissance lente et régulière pour l’ensemble des générations nées dans les trois premiers quarts du xixe siècle. Les données à partir de la génération 1875 sont suffisamment sûres et l’on peut retenir l’évolution qu’elles indiquent : baisse rapide dans les générations de la fin du xixe siècle, stabilité pour celles qui sont nées dans les vinge, inq premières années du xxe siècle.
38Il n’existe malheureusement pas pour les pays étrangers d’analyse de la nuptialité par groupes de générations. Seules les séries moyennes établies pour les mariages d’une année donnée existent. On trouvera d’ailleurs en annexe (tableau I) la série des moyennes d’âge pour les mariages contractés une année donnée en France ainsi qu’un tableau analogue pour les mariages dans un certain nombre de pays au xxe siècle (tableau II). Mais il n’a pas été possible pour les pays étrangers de trouver le même indice pour le xixe siècle.
39À partir des données fournies par Hajnal (Hajnal, 1953, p. 80-104), il est néanmoins possible de savoir, au moins approximativement, l’évolution de la précocité au xixe siècle dans un certain nombre de pays européens. On a également utilisé, pour le Japon et l’Allemagne les tableaux de Bogue sur la proportion des mariés à un âge donné (Bogue, 1969, p. 317-335). Enfin, pour la France, l’article précité de Chasteland et Pressat fournissait un matériau abondant. De ces sources différentes, on ne pouvait guère extraire d’autre indicateur commun que le rapport entre la proportion de non-célibataires à un âge jeune donné (proportion single at the lower age) avec la proportion, la même année, de non-célibataires dans le groupe d’âges 45-49 ans. On retrouve ici un indice de précocité très proche de celui utilisé par Chasteland et Pressat.
40Plus la valeur de cet indice est élevée, plus grande est la précocité. On objectera que, pour une observation à un recensement donné, les proportions de non-célibataires placés au numérateur ne renvoient pas aux mêmes générations que ceux du dénominateur12. En réalité si l’intensité finale varie assez fortement d’un pays à l’autre, elle reste pour une même population relativement stable dans le temps. Cette stabilité est très forte pour certains pays comme la Suisse où, entre 1860 et 1950, la valeur du dénominateur 1 – C45-49 est restée de l’ordre de 0,85 ; elle est beaucoup moins grande en Suède où elle passe de 0,90 pour les générations âgées de 45-49 ans en 1850 à 0,80 pour celles qui font partie de ce groupe d’âges en 1945. De toute manière, l’ordre de grandeur du biais atteint rarement 10 % et reste généralement de l’ordre de 2 à 3 % dans les pays cités. L’indice de précocité n’est donc que légèrement faussé par ce biais.
41Les séries du tableau 8 remontent au-delà de 1850 pour deux populations, la Suède et les Pays-Bas. Dans les deux cas, entre le début de la série, 1750 pour la Suède, 1830 pour les Pays-Bas, et le milieu du xixe siècle, on observe une baisse de la précocité. Aussi bien en Suède qu’aux Pays-Bas, la nuptialité était plus précoce avant 1850 qu’après cette date. On avait déjà noté une évolution analogue en ce qui concerne l’intensité. Il est certes impossible de tirer de ces deux exemples des conclusions générales pour l’Europe, encore moins d’en inférer une évolution analogue pour la France. Retenons néanmoins que la tendance peut parfois s’inverser et que l’hypothèse d’une évolution constante d’un âge au mariage tardif vers un âge de plus en plus précoce est pour le moins simpliste.
Tableau 8. Indicateur de précocité suivant le sexe et à une date donnée pour certains pays

42Examinons maintenant pour la France les indices postérieurs à 1850. Si nous comparons la série de ces indices avec celle des âges moyens au mariage nous aboutissons pour les hommes, en tenant compte du décalage entre date de naissance et date de mariage, à la même conclusion : c’est dans les générations nées au cours des trois dernières décennies du xixe siècle que s’est produite l’évolution la plus forte vers une précocité plus grande de la nuptialité. La série féminine ne permet malheureusement aucune conclusion nette13.
43Dans les autres pays européens, à l’exception de l’Irlande (pour les deux sexes) et des Pays-Bas (pour les hommes), Hajnal parle d’un véritable marriage boom entre les années 1930 et 1950. Si la France n’y participe pas, c’est selon l’auteur, en raison de son avance par rapport aux autres pays de l’Europe occidentale. Elle serait, plus tôt que les autres, parvenue à un palier. On notera pourtant, que les États-Unis, où le mariage était pourtant plus précoce qu’en Europe dès 1890, a néanmoins continué à évoluer dans le sens d’une grande précocité entre 1930 et 1950. Le cas du Japon est exceptionnel : depuis 1912, l’âge moyen au mariage y est de plus en plus tardif14.
44Pour en revenir à la France, on peut dire que, très en avance sur les autres populations européennes jusqu’en 1930, elle est restée un peu à l’écart du mouvement de rajeunissement qui s’est produit entre 1930 et 1950. À cette date, elle n’en restait pas moins un des pays européens où l’âge moyen au mariage était parmi les plus jeunes, sinon le plus jeune pour les hommes comme pour les femmes15.
45Pour analyser la nuptialité des quinze dernières années, les données disponibles sont beaucoup plus précises et permettent aussi bien pour la France que pour quelques pays européens, de construire les séries des premiers mariages « réduits », par générations et par année d’âge16.
46Cette méthode consiste à rapporter le nombre des premiers mariages contractés entre les anniversaires x et x + 1 à l’effectif total de la génération au 1er janvier ou au 1er juillet. Le cumul des taux ainsi obtenus (taux de deuxième catégorie) permet de suivre l’histoire matrimoniale d’une génération depuis le début de sa nuptialité jusqu’à l’année d’observation. Nous nous proposons de comparer ici une génération de la décennie 1930-1939 et une génération de la décennie 1940-1949 (tableau 9). Pour la France, la première génération pour laquelle on dispose de toutes les données nécessaires pour construire cet indice est celle de 1931. Dans les pays européens pour lesquels cet indice peut être calculé, il ne sera pas toujours possible de remonter aussi loin17.
47Les données françaises figurant sur le tableau 8, celles relatives aux générations 1939 et 1946, ont été portées sur les figures 3a et 3b. On y a également tracé la courbe approximative des générations 1821-1825, telle qu’elle a été calculée par Chasteland et Pressat. C’est l’écart entre cette dernière courbe et celle qui est relative à la génération 1931 qui est, de prime abord, le plus saisissant. Il ne faut pourtant pas s’y tromper. Ces deux courbes y expriment des histoires matrimoniales de générations séparées par plus d’un siècle. Entre la courbe de 1931 et celle de 1946 au contraire, l’intervalle n’est que de quinze ans.
Tableau 9. France : premiers mariages réduits cumulés pour 10 000 celibataires à 15 ans par âge et par génération(a)

Figure 3. Pourcentages cumulés des premiers mariages suivant l’âge dans deux générations et un groupe de générations


Sources : générations 1939 et 1946 : tableau 9 ; générations 1821-1825 : Chasteland et Pressat, 1962.
48Ce qui importe d’ailleurs pour l’instant, c’est d’apprécier l’évolution du calendrier de la nuptialité récente. On notera que ni la génération 1931 ni la génération 1946 n’ont été perturbées par la guerre d’Algérie. Par contre, le début de la nuptialité féminine de la génération 1946 a certainement été freiné par le déséquilibre entre un fort effectif de femmes en âge de mariage et un effectif plus faible des partenaires masculins les plus probables (générations 1944 et 1945). Cette difficulté explique sans doute en partie pourquoi, chez les femmes, la courbe 1946 se sépare moins nettement que chez les hommes de la courbe 1931. Dans les deux cas pourtant la proportion de mariés à un âge jeune augmente sensiblement par rapport à la génération 1931. Pour 10 000 célibataires à 15 ans, on trouve pour les femmes de la génération 1931, 2 800 mariages réduits cumulés à 20 ans ; le nombre correspondant pour la génération 1946 est de 3 377, soit une augmentation de 21 %. Pour les hommes de 22 ans, on obtient pour la génération 1931, 1 798 mariages cumulés et pour la génération 1946, 3 213 soit une augmentation de 79 %. Sans doute l’effectif des mariages réduits est-il la résultante du calendrier de la nuptialité et de l’intensité finale de cette nuptialité, intensité finale que nous ne pourrons connaître qu’en 1981 pour la génération la plus âgée et en 1996 pour la plus jeune. Il n’est pourtant pas impossible de conclure. On peut en effet dès maintenant estimer l’intensité finale de la nuptialité pour la génération 1931. Elle sera de l’ordre de 88 % pour les femmes18. Même si ces pourcentages augmentaient de 2 points pour les femmes et de 5 points pour les hommes, ces augmentations d’intensité ne pourraient compenser l’avance très forte, surtout chez les hommes, de la génération 1946 sur la génération 193119. Il ne paraît donc pas possible de contester que les générations 1940-1946 présenteront finalement une précocité accrue par rapport à celle de la décennie antérieure. Nous laissons de côté ici volontairement l’histoire matrimoniale à peine commencée des générations 1948 et 1949.
49Ainsi, après une période de stabilité relative, on constate une précocité accrue de la génération 1946 par rapport à la génération 1931. Cette évolution est surtout sensible chez les hommes. Pour eux, la proportion de mariages précoces (à 22 ans ou avant) a doublé entre ces deux générations. C’est là une évolution extrêmement rapide, même si l’on observe que la génération masculine 1946 a bénéficié d’un déséquilibre des effectifs de mariages suivant le sexe. La génération masculine 1943 qui ne se trouvait pas dans une situation aussi favorable a pourtant une histoire matrimoniale plus proche de la génération 1946 que de la génération 1941.
50Les données nécessaires à l’élaboration des mariages réduits par génération ne sont disponibles que pour quelques pays occidentaux. Il est particulièrement regrettable qu’elles fassent défaut pour l’Angleterre, et surtout pour les États-Unis où s’observerait sans doute la précocité la plus forte parmi toutes celles des pays industriels. En dépit de ces lacunes, on peut tirer quelques conclusions importantes des données disponibles20.
51En Allemagne occidentale, en Suède, aux Pays-Bas ou en Suisse, on assiste à une évolution analogue à celle que l’on trouve en France : sans pouvoir estimer encore avec précision l’intensité finale de la nuptialité dans ces pays, il est dès maintenant établi qu’une poussée plus ou moins forte vers une précocité accrue s’est manifestée dans les générations qui sont parvenues à l’âge de la nuptialité entre 1955 et 1965. La France ne fait donc pas exception.
52Elle n’en demeure pas moins comme le montre pour la génération 1946 la figure 4, la population la plus précoce, et de loin, pour les hommes et presque aussi précoce pour les femmes que les Pays-Bas.
Figure 4. Taux cumulés de 16 à 26 ans des premiers mariages dans la génération 1941 pour quelques pays d’Europe (pour 10 000 hommes et 10 000 femmes)

Source : Van Houte Minet, 1968 (tableau III en annexe voir sur https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.34847/nkl.8419z9ns).
53L’écart d’âges entre les conjoints ne constitue pas une information indépendante par rapport aux calendriers respectifs de la nuptialité des hommes et des femmes. En particulier, si l’on étudie l’écart d’âges en comparant l’âge moyen au mariage de l’un et de l’autre sexe, on ne fait rien d’autre que de rapprocher deux indices déjà calculés.
54On observera que si l’âge moyen au mariage des hommes évoluait dans le même sens que celui des femmes et au même rythme, l’écart d’âges serait constant. Dans les autres cas, une différence de sens ou de rythme dans l’évolution de l’âge moyen ou médian au mariage, provoque une diminution ou une augmentation dans l’écart des âges au mariage. Pour faciliter les comparaisons internationales on a présenté ici, l’écart des âges médians au mariage. Pour la France, l’écart a été calculé sur les âges moyens et sur les âges médians.
55La diminution de l’écart des âges moyens au mariage en France s’explique par un rajeunissement plus net de cet âge moyen chez les hommes que chez les femmes. Entre 1853 et 1969, pour une diminution de 3,9 ans chez les hommes, on a observé un mouvement dans le même sens mais plus faible chez les femmes : celles-ci se marient en moyenne 1,9 an plus tôt que leurs aïeules.
56La comparaison de l’écart des âges médians suivant les pays donne une impression de grande disparité dans les évolutions. Retenons que l’écart est généralement de l’ordre de trois ans (tableau 10).
Tableau 10. Écart des âges moyens ou des âges médians au mariage à certaines dates pour quelques pays en années et dixièmes d’années

57En ce qui concerne la France, on peut également procéder pour caractériser la différence d’âges entre conjoints à une autre analyse. La comparaison entre âges moyens ne donne qu’une mesure globale. Or, il est intéressant de suivre l’évolution de cet écart d’âges en rapprochant le groupe d’âges de l’époux de celui de l’épouse. On mesurera par exemple, groupe d’âges par groupe d’âges, la proportion de femmes qui ont épousé un homme appartenant à leur propre groupe d’âges. On peut faire de sérieuses objections à cette méthode car elle ne permet pas de savoir, sauf pour le groupe d’âges 15-19 ans, si les femmes qui n’ont pas épousé un homme de leur groupe, se sont mariées avec un conjoint d’une classe d’âges plus jeune ou plus âgée. On présentera néanmoins ces données dans le tableau 11. On y constatera d’abord la faible proportion de mariages homogames parmi les femmes mariées à moins de 20 ans. Après avoir diminué entre 1860 et 1910, l’évolution de ce pourcentage devient irrégulière, mais les valeurs demeurent relativement basses, jusqu’en 1953, date à partir de laquelle elles remontent rapidement. Au total, par rapport à l’ensemble des mariages ceux où l’homme et la femme ont moins de 20 ans représentaient 1,3 % de l’ensemble des mariages en 1860, 0,4 % en 1910, 1,3 % en 1959. On est revenu cette année-là à la proportion qui avait été observée un siècle plus tôt. Pour 1970,le pourcentage est monté à 2,1 %21.
Tableau 11. Proportion de femmes épousant des hommes du même groupe d’âges (%)

58Du tableau 11, on retiendra encore que si l’on additionne les pourcentages de femmes de 15-19 ans et de 20-24 ans épousant un homme de leur groupe d’âges, on passe de 42,7 en 1860 à 61,3 en 1959.
59Les données disponibles permettent aussi de fournir la répartition des époux suivant la différence entre leur groupe d’âges quinquennal et celui de leur épouse. Les résultats sont fournis au tableau IV en annexe sur https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.34847/nkl.8419z9ns. On commentera ici la figure 5 qui traduit l’évolution dans le temps de cette répartition.
60Entre 1880 et 1910, la situation la plus fréquente pour le mari est d’appartenir au groupe d’âges immédiatement supérieur à celui de sa femme. À partir de 1910, c’est l’homogamie suivant le groupe d’âges qui regroupe la plus forte proportion, entre 40 % et 44 % des cas. On constate par contre une baisse très nette entre 1880 et 1925 du pourcentage de maris appartenant à un groupe d’âges supérieur de 10 ans en moyenne à celui de sa femme. Les situations où la femme appartient à un groupe d’âges supérieur à celui de son mari sont peu fréquentes et leur pourcentage relativement stable sur un siècle, autour de 8 % pour un écart de 5 ans en moyenne, autour de 4 % pour un écart de 10 ans en moyenne.
Figure 5. Répartition des époux dans différentes cohortes de mariages suivant la différence entre leur groupe d’âges quinquennal et celui de leur épouse

Source : tableau IV en annexe [sur https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.34847/nkl.8419z9ns].
61Malgré l’imprécision de la mesure, la figure 5 traduit assez bien la tendance vers l’homogamie des âges et la baisse très nette (de 26 % à 12 %) des cas où l’homme appartient à un groupe d’âges supérieur de 10 ans en moyenne de celui de son épouse.
3. Durée moyenne des mariages en l’absence de divorce
62Si l’on combine maintenant le calendrier de la nuptialité première et celui de la mortalité, en tenant compte des indices suivant le sexe, il est possible d’obtenir une table d’extinction par veuvage des premiers mariages, ainsi qu’une « espérance » de durée moyenne des mariages en l’absence de divorce. Pour simplifier, on a supposé que tous les mariages ont été contractés aux âges moyens de la nuptialité22. Les données présentées dans le tableau 12 sont des tables du moment23 et non des tables de générations.
Tableau 12. Table d’extinction des mariages par veuvage

63À partir de ces résultats, il est facile de calculer, approximativement, la durée moyenne des mariages en l’absence de divorce, pour les trois périodes considérées.
64On se souvient que la durée moyenne du mariage vers la fin de l’Ancien Régime pouvait être estimée entre 20 ans et 25 ans. La durée moyenne du mariage en l’absence de divorce aurait donc ainsi presque doublé en moins de deux siècles24.
4. L’homogamie socioprofessionnelle
65Dans la conclusion du Choix du conjoint, Alain Girard écrivait : « Une constatation qui ressort de l’enquête est le haut degré d’homogamie sociale des conjoints25 ». Ce résultat, obtenu sur un échantillon de 2 000 personnes environ est largement confirmé par l’analyse des données de recensement ou d’état civil.
66L’homogamie des unions peut se mesurer en comparant soit les catégories des parents des époux, soit celles des époux eux-mêmes. Dans une société sans mobilité sociale d’une génération à l’autre, les deux mesures seraient équivalentes. Il n’en va pas de même évidemment dans la population française : la comparaison entre les catégories des parents est biaisée par la capillarité sociale, tandis que celle entre conjoints est rendue difficile par la forte proportion des femmes inactives.
67Nous présenterons d’abord le premier indicateur d’homogamie, celui qui se fonde sur la comparaison entre les catégories socioprofessionnelles26 des pères des deux conjoints. La mobilité sociale n’est pas telle en effet qu’elle réduise cet indice d’homogamie aux valeurs que donnerait une répartition aléatoire des unions. Le tableau 13 qui croise, pour les mariages de 1973, la catégorie du père de l’époux avec celle du père de l’épouse, montre bien qu’en dépit de cette mobilité, l’homogamie demeure importante. Si la répartition des épouses était aléatoire, elle serait la même, quelle que soit la catégorie du père du conjoint. Ainsi les fils d’ouvriers qui représentent 34,7 % de l’ensemble des nouveaux mariés de 1973 devraient avoir parmi leurs épouses 34,7 % des filles de cadres supérieurs : ils en ont en réalité 14,8 %. Inversement, les fils de cadres supérieurs auraient ensemble si la distribution des épouses était aléatoire 7,3 % des filles de cadres supérieurs : ils en accaparent environ 35 %27. La tendance à l’homogamie est évidemment particulièrement forte dans les classes « supérieures » puisque tout mariage hétérogame y est en même temps un mariage « en dessous ». Dans la plupart des autres cas, en raison de la diversité des situations précises, des positions équivalentes peuvent exister : en dépit de la différence des catégories socioprofessionnelles, il n’y a pas vraiment hétérogamie entre un fils de contremaître et une fille de petit employé, entre un fils d’artisan et une fille d’ouvrier qualifié.
Tableau 13. Répartition des mariages suivant la categorie socioprofessionnelle du père de l’époux et celle du père de l’épouse (1973)

68Les tableaux 14 et 15 permettent d’apprécier l’homogamie au niveau cette fois des conjoints eux-mêmes. Ils prennent en compte l’ensemble des femmes de moins de 55 ans, qui étaient mariées au moment du recensement de 1968 (recensement 1968 - P.A. 371/V). On trouvera les valeurs absolues correspondant à ces tableaux dans le tableau V en annexe [sur https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.34847/nkl.8419z9ns].
69Le tableau 14 indique suivant quelles catégories se répartissent les époux des femmes appartenant à une même CSP. Ce tableau est surtout intéressant pour analyser l’homogamie des femmes actives.
70Il révèle que celle-ci est très forte, sauf pour les catégories moyennes. Le cas des agricultrices, avec un pourcentage d’homogamie de 91 % s’explique facilement : les conditions d’exploitation d’une ferme excluent généralement que la femme puisse en assumer seule la gestion, son mari est donc, sauf exception, agriculteur. Plus significatifs sont les pourcentages d’homogamie des femmes patrons de l’industrie (69,1 %) ou cadres supérieurs (59,2 %). Pour ce dernier groupe, on constate que 75 % des femmes mariées ont un époux de leur catégorie ou cadre moyen. Comme les différences ne sont pas toujours très accusées entre ces deux niveaux, l’homogamie de ces femmes apparaît très forte28.
Tableau 14. Répartition de la categorie socioprofessionnelle de l’époux suivant celle des épouses de moins de 55 ans (%)

71Les pourcentages tombent à 35 % pour les femmes cadres moyens et à 19 % pour les femmes employées. Beaucoup de femmes de ces catégories sont en effet mariées à des ouvriers (40 % par exemple des femmes employées). Mais y a-t-il vraiment dans ce cas hétérogamie ? Sur le plan de la nomenclature socioprofessionnelle, certes ; en va-t-il de même du point de vue du milieu social réel ? La question n’est pas facile. Il est probable pourtant que certaines sous-catégories d’employées et certaines sous-catégories d’ouvriers (ouvriers qualifiés par exemple) appartiennent au même milieu social.
72On retrouvera une proportion très forte d’homogamie parmi les femmes de la catégorie « ouvrière » (70 %). Si l’on ajoute à ce pourcentage celui des femmes mariées à un employé, on atteint 80 %. On dépasse largement ce chiffre en y ajoutant les femmes mariées à un homme de la catégorie 7.
73Nous n’avons malheureusement pas la possibilité de comparer ces données : nous ne possédons actuellement aucun tableau semblable ni pour la France à une autre date ni à notre connaissance pour un pays étranger. Ces données permettent simplement d’affirmer un très fort niveau d’homogamie dans la population des femmes mariées actives.
74Le tableau 15 complète le précédent ; il donne la situation socioprofessionnelle de l’épouse en fonction de celle de son conjoint. Les pourcentages d’homogamie sont ici beaucoup plus faibles que dans le tableau précédent en raison de la proportion importante des femmes inactives.
Tableau 15. Répartition de la CSP des épouses de moins de 55 ans suivant celle de l’époux (%)

75L’intérêt principal de ce tableau réside d’ailleurs dans les différences de pourcentages de femmes inactives suivant la CSP du mari : de 80 % environ pour les épouses de salariés agricoles à 54 % pour celles des cadres moyens et des employés29. C’est donc parmi les épouses d’hommes appartenant aux catégories moyennes que l’on trouve le plus faible pourcentage d’inactives. La faible proportion d’inactives parmi les épouses de patrons du commerce et de l’industrie, tient au poids des petits commerçants. Assez paradoxalement, la proportion de femmes inactives est à peu près la même lorsque leurs époux exercent des professions libérales ou indépendantes et lorsqu’ils sont ouvriers : elle est approximativement de 65 %.
76De ces données de fait, en définitive assez sommaires, on peut conclure, à condition de ne pas définir trop étroitement les critères d’homogamie, que l’on se marie généralement en France « dans son milieu ». On vérifiera dans la deuxième partie que l’opinion, dans sa grande majorité, approuve ce comportement.
II. Analyses différentielles
77Tout projet d’analyse différentielle suivant le milieu social soulève d’abord un problème théorique. Comment définir un « milieu social » ? Et d’abord s’agit-il là d’une expression équivalente à « classe sociale » ? Même si nous admettions une telle correspondance, il resterait à définir ces termes. Faut-il admettre la théorie réaliste de Marx ou faire simplement de la classe sociale, comme Weber, un simple concept opératoire. Nous n’entrerons pas ici dans ce débat. Disons simplement que l’idée de classe sociale nous paraît renvoyer à un concept peu adéquat pour l’analyse que nous voulons tenter. Sans oublier que Marx introduit dans la définition de classe une certaine communauté culturelle, c’est à ses yeux la conscience d’un même statut économique et la solidarité dans la lutte qui fondent l’unité d’une classe sociale. Notre propos exige des catégories sociales plus souples pour tenter d’analyser les différences vis-à-vis de la nuptialité.
78Les lignes de divergences dans le comportement ou les attitudes ne suivent d’ailleurs pas nécessairement celle de la stratification en classes sociales. Par exemple, l’appartenance religieuse, et surtout le niveau de pratique religieuse ne constituent pas des traits spécifiques pour la définition d’une classe sociale. Au contraire, pour l’étude de la nuptialité, la caractéristique sera peut-être une variable discriminante. Aussi bien, adopterons-nous une attitude très prudente. Nous n’allons pas découper arbitrairement la population française en milieux supposés homogènes dont nous tenterions d’analyser ensuite la nuptialité. Plus qu’à une analyse différentielle suivant le milieu, c’est en réalité à une analyse suivant certaines caractéristiques socioculturelles que nous allons procéder. Même lorsque nous regrouperons dans la deuxième partie plusieurs caractéristiques, nous n’entendrons pas pour autant définir un milieu réel et conscient de son unité, mais simplement montrer qu’une certaine constellation de traits entraîne en matière de nuptialité des modèles dominants.
79De toutes façons, même si cette difficulté théorique n’existait pas, les données statistiques disponibles nous contraindraient, dans cette première partie, à limiter notre ambition : nous ne pouvons en effet que prendre en compte deux variables : la CSP et, d’une manière moins précise, les caractéristiques de résidence (voir Duveau, p. 10 et sv.).
1. La nuptialité suivant la catégorie socioprofessionnelle
80Le terme de catégorie socioprofessionnelle (CSP) ne pose pas en lui-même de difficulté théorique. Combinant les variables de profession et celles de statut dans la profession, il permet de définir des groupes sociaux relativement homogènes : patrons de l’industrie ou employés de bureau par exemple. Par contre, l’utilisation du concept ne va pas sans poser quelques problèmes pratiques. Et d’abord cette classification est récente (1954)30 : les comparaisons suivant la dimension temporelle seront donc difficiles. Mais surtout les croisements entre les données socioprofessionnelles et celles de la nuptialité sont rares et imprécises dans l’exploitation des recensements. La répartition des actifs suivant la CSP, le groupe d’âges et la situation matrimoniale ne permettent de connaître la distribution suivant la dernière caractéristique que par groupe d’âges quinquennal, voire décennal31.
81Deux sources d’informations plus riches sont désormais disponibles. Les résultats de l’enquête spéciale sur la famille effectuée par l’Insee en 1962 à l’occasion du recensement général de la population permettent une analyse différentielle de l’âge moyen au mariage suivant la CSP32. D’autre part, l’exploitation au 1/20e du recensement de 1968 fournit un tableau distribuant la population par âge, CSP, région de programme et situation matrimoniale. On peut ainsi analyser la nuptialité des différentes catégories, année d’âge par année d’âge de 19 à 27 ans, puis par groupe d’âges quinquennal ou décennal.
82L’ensemble de ces sources devrait nous permettre d’avoir une idée assez précise des différences actuelles suivant la CSP et une connaissance beaucoup plus approximative de l’évolution de la situation entre 1926 et 1954.
a. Données générales
83Des recensements intervenus entre 1926 et 1954, on ne peut tirer, sur la précocité différentielle et la nuptialité, que des indications très vagues. On a reconstitué à partir des données disponibles quelques pourcentages de célibataires suivant la CSP33. Les pourcentages sont donnés suivant des classes d’âges décennales. Il n’est pas possible dans ces conditions de calculer un âge moyen ni de trouver un indicateur permettant de classer les catégories par ordre de précocité.
84À titre purement indicatif on présente au tableau 16 les pourcentages de célibataires dans les groupes d’âges 20-29 ans et 40-49 ans34.
Tableau 16. Pourcentage de célibataires à certains groupes d’âges par CSP

85De ce tableau on peut tirer des indications satisfaisantes sur l’intensité de la nuptialité. La situation des salariés agricoles, aussi bien hommes que femmes se détache nettement de celle des autres catégories. La fréquence du célibat définitif y est plus forte que partout ailleurs. Seul cas comparable, celui des femmes de la catégorie « employées » : jusqu’en 1936, et sans doute au delà de cette date, un tiers d’entre elles étaient encore célibataires dans le groupe d’âges 40-49 ans.
86On constate généralement une certaine stabilité du pourcentage des célibataires d’un recensement à l’autre, avec pourtant quelques exceptions notables :
- la fréquence du célibat définitif chez les agriculteurs augmente très fortement entre 1936 et 1968. Au dernier recensement, presque 1 agriculteur sur 5 était encore célibataire dans le groupe d’âges 40-49 ans35.
- le pourcentage des célibataires chez les ouvriers, mais surtout chez les employés a baissé.
- parmi les gens de maison, la tendance est inverse suivant le sexe : diminution de la fréquence du célibat définitif chez les femmes, hausse très nette chez les hommes.
87La situation en 1968 reste très différenciée d’une catégorie à l’autre ; la fréquence du célibat dans le groupe d’âges 40-49 ans varie de 2 % à 33 % chez les hommes, de 6 % à 26 % chez les femmes. Encore n’avons-nous ici que 5 catégories qui agrègent sans aucun doute des situations beaucoup plus contrastées.
88Si les recensements ne nous donnent que des indications imprécises sur la précocité différentielle suivant la CSP, l’enquête rétrospective de 1962, elle, fournit des données beaucoup plus fines. L’éventail des âges moyens au mariage suivant la CSP va chez les hommes de 25,4 ans (contremaîtres) à 29,1 ans (professions libérales). Les âges correspondant pour les femmes sont 22,8 ans (contremaîtresses et salariées agricoles) et 24,4 ans (professions libérales). L’écart entre les âges moyens extrêmes est beaucoup plus important chez les hommes. Le tableau 17 donne une bonne idée de ces dispersions.
Tableau 17. Âge moyen au mariage selon la CSP(a)

89La situation des professions libérales ne surprend guère : les hommes comme les femmes s’y marient très tardivement. On peut au contraire être étonné de constater qu’en ce qui concerne les hommes, l’âge moyen au mariage chez les agriculteurs exploitants est légèrement supérieur à celui des cadres supérieurs, bien que les seconds, du fait de leurs études, sont amenés à retarder leur mariage.
90Chez les femmes, le niveau de qualification paraît bien commander l’âge au mariage : plus il est élevé, plus le mariage est, en moyenne, tardif. Chez les hommes la corrélation est moins claire : l’âge est relativement avancé pour ceux qui sont les plus qualifiés, mais pour les moins qualifiés, les situations varient considérablement : les ouvriers se marient tôt, tandis que les paysans se marient tard. Pour ces derniers, la situation aurait donc sensiblement évolué depuis le xixe siècle, où il semble bien que leur nuptialité était plus précoce que celle des citadins.
91Précisons avant d’aller plus loin la portée exacte de toutes ces données. Elles concernent les premiers mariages de femmes survivantes en 1962, mariées avant 35 ans, et appartenant aux générations 1892-1926. Les cohortes de mariages prises en compte vont donc de 1910 à 1961. C’est-à-dire que sont regroupés ici des mariages dont les dates extrêmes sont séparées par un demi-siècle et dont les caractéristiques sont peut-être fort différentes. Disons pour simplifier que la grande majorité des mariages concernés se situent entre 1919 et 1951. Une analyse par groupe de cohortes révélerait seule le sens général et l’importance des évolutions qui ont pu se produire dans l’intervalle.
92Le fait que l’observation soit rétrospective doit également être pris en considération. Même en négligeant les défauts de mémoire ou les fausses déclarations volontaires, une certaine déformation intervient inévitablement du fait de la mobilité professionnelle. C’est la situation en 1962 qui est déclarée et non pas la situation au moment du mariage. L’époux contremaître au moment de l’enquête était peut-être simple manœuvre quand il s’est marié. Enfin l’âge moyen au mariage, s’il constitue un bon indicateur de précocité, reste pourtant beaucoup moins précis qu’une table de nuptialité ou qu’une mesure assimilable à une telle table.
93De toutes manières, les résultats de cette enquête sont extrêmement précieux puisqu’ils nous fournissent les seules données de référence précises pour la période qui va de la Première Guerre mondiale à la fin de la première moitié du siècle.
94L’analyse des données détaillées du recensement de 1968 n’apporte sans doute pas, et de loin, toutes les informations statistiques souhaitables. Elle permet néanmoins d’obtenir sur le calendrier actuel de la nuptialité, comme sur l’homogamie socioprofessionnelle des conjoints, des informations relativement précises36.
95Au lieu de travailler sur l’âge moyen au mariage, comme indicateur de la précocité du mariage, grâce à l’exploitation du recensement de 1968, nous disposons, par CSP, des proportions de célibataires par années d’âge ou groupe d’âges. Ce pourcentage peut être assimilé, on le sait, à un facteur correctif près, d’ailleurs négligeable jusqu’à 50 ans, aux célibataires de la table de nuptialité37. Les données collectées se rapportant à des générations différentes, nous ne pouvons connaître, par ce tableau, la précocité du mariage des générations dont nous mesurons l’intensité ni, bien entendu, prévoir la fréquence définitive du célibat pour les générations en pleine période de nuptialité.
96L’année 1968 reste perturbée, objectera-t-on, en ce qui concerne la nuptialité : l’arrivée des générations pleines (1946 et suivantes) à l’âge du mariage crée, en raison de l’écart d’âges au mariage suivant le sexe, un certain déséquilibre entre les effectifs de mariables des deux sexes. Cette situation, on l’a noté à propos des données globales, tendait depuis 1966, à retarder l’âge au mariage des femmes. Mais elle affecte l’ensemble des catégories et si le déséquilibre est plus facilement corrigé dans tel ou tel groupe, cette inégalité ne doit pas modifier les indices spécifiques de chaque catégorie au point d’altérer gravement l’ordre des précocités.
97Deux autres remarques de méthode : l’assimilation, signalée plus haut, de pourcentages de célibataires observés à un âge donné à la probabilité de rester célibataire à cet âge, n’est possible que sous certaines conditions, qui ne sont pas exactement remplies ici38. Les migrations, par exemple, perturbent la nuptialité. Ceux qui quittent une région ne sont-ils pas ceux qui, du fait de leurs caractéristiques socioéconomiques, ont le moins de chance de se marier sur place ? Le seul fait d’être marié ou célibataire ne pèse-t-il pas dans la décision de quitter ou non sa région ou son milieu professionnel ?
98D’autre part, il faut se souvenir du biais signalé plus haut à propos de l’enquête de 1962 et qui reste valable ici : ce que nous saisissons, c’est la CSP à la date de l’observation et non à celle du mariage. La mobilité professionnelle est souvent assez forte et les caractéristiques que nous croyons liées à une catégorie sont, pour une part difficiles à préciser, le fait de situations antérieures différentes de celles que nous observons.
99La difficulté est surtout importante pour le sexe féminin : une certaine proportion de femmes abandonnent en effet leur profession au moment de leur mariage ou dans les premières années de leur union. Or nous ne saisissons ici comme actives que celles qui sont restées actives, ou le sont devenues, après leur mariage.
100Pour les hommes, le biais ne joue pas de la même manière suivant les professions. Les agriculteurs que nous allons saisir à 35 ans n’avaient sans doute pas fait carrière de professeurs dans les années précédentes. Mais les cadres supérieurs de 45 ans étaient peut-être des employés à 25 ans. Et les femmes sans activité professionnelle à 30 ans, n’exerçaient-elles pas des fonctions de cadres moyens lorsqu’elles avaient 25 ans ?
101Dans quelle mesure ces biais interdisent-ils toute conclusion sérieuse ? On ne saurait en décider globalement : c’est au cas par cas qu’il faudra voir dans quel sens et, si possible, dans quelle mesure, ils jouent. On trouve dans le tableau 18, les pourcentages (France entière) de célibataires à un âge donné suivant la CSP. La figure 6 représente ces données.
102Peut-on à partir de ces informations, caractériser l’intensité finale de la nuptialité et sa précocité suivant les catégories socioprofessionnelles ? On sait que l’indice classique d’intensité dans une génération est la fréquence du célibat à 50 ans. Les données présentées ne comportent pas cette information. La proportion de célibataires dans le groupe d’âges 40-49 ans fournit pourtant une indication suffisamment précise pour différencier les situations. Sans doute l’intensité de la nuptialité entre 40 et 50 ans n’était-elle pas exactement la même suivant les catégories. Mais les premiers mariages après 40 ans restent partout rares et le classement d’après la proportion de célibataires dans la classe 40-49 ans est très probablement le même que celui qui serait établi à partir de la proportion à 50 ans.
Tableau 18. Pourcentage de celibataires à un âge donné suivant la CSP en 1968(a)


Figure 6. Pourcentages de célibataires suivant l’âge et la CSP (1968)

103La définition d’un indice de précocité est plus difficile. Sans doute peut-on calculer un âge moyen à partir de ces données. Mais cette mesure a l’inconvénient d’être peu sensible. Nous avons donc préféré un autre indicateur : pour les hommes, le rapport entre le pourcentage des non-célibataires à 24 ans et le pourcentage des non-célibataires dans le groupe 40-49 ans, pour les femmes le rapport entre le pourcentage des non-célibataires à 22 ans, et, comme pour les hommes, celui des non-célibataires du groupe 40-49 ans39.
Tableau 19. Intensité et précocité de la nuptialité suivant les catégories socioprofessionnelles

104La valeur de l’indice d’intensité se lit directement sur le tableau 19. On trouvera les indices de précocité dans ce tableau qui fournit également pour l’intensité et la précocité, le classement des CSPs suivant ces deux caractéristiques.
105La nuptialité des agriculteurs est tardive et faible. Et ce, malgré un exode rural lié, au moins globalement aux conditions de la nuptialité. Qui ne peut se marier à la campagne finit souvent par gagner la ville. Les aides familiaux âgés de plus de 30 ans sont aujourd’hui très rares. C’est parmi eux, frères cadets d’exploitants mariés par exemple, que l’on rencontrait autrefois le plus de célibataires dans la catégorie « agriculteurs ».
106Néanmoins la proportion de célibataires définitifs reste très élevée : 18 %. Elle est très largement supérieure à celle que l’on observait aux recensements antérieurs à la Seconde Guerre mondiale (tableau 16). La fréquence du célibat définitif ne dépassait pas alors 7 %.
107Le cas des agricultrices est différent. Si leur mariage est tardif, on ne trouve guère de célibataires à 50 ans parmi elles. Plus nombreuses que les hommes et plus jeunes qu’eux, elles quittent le milieu agricole. Celles qui acceptent de rester ont toutes chances de trouver un époux. Ici encore c’est une résultante que nous mesurons : la probabilité pour les femmes, célibataires à 15 ans dans le milieu agricole, de rester à 50 ans dans ce milieu et d’y demeurer célibataires. Si, comme il est probable, plus de 60 % de la population féminine d’origine rurale gagne la ville avant 25 ans, on comprend que le pourcentage des agricultrices célibataires soit particulièrement faible.
108L’intensité finale de la nuptialité chez les agriculteurs s’explique donc par un déséquilibre des effectifs de mariables suivant le sexe et cette situation paraît relativement récente : c’est entre 1946 et 1968 que la fréquence du célibat définitif passe de 8 % à 18 %. Quant à la précocité, nous n’avons pas de terme de comparaison exact pour la période de l’entre-deux-guerres. Mais nous verrons que dans la deuxième partie du xixe siècle, aussi bien pour les hommes que pour les femmes, les mariages étaient plus précoces à la campagne que dans les villes. Le rapport s’est inversé pour les hommes vers 1900, mais pour les femmes nous ignorons à quel moment.
109Rappelons enfin que les indices d’intensité utilisés ici concernent les générations 1929-193840. Ce que nous savons de l’exode rural semble indiquer que l’intensité finale de la nuptialité restera très forte pour les femmes tandis que celle des hommes croîtra encore d’une manière plus ou moins nette.
110La situation des ouvriers agricoles est assez particulière. L’indice d’intensité est pour les hommes le plus faible de toutes les catégories. Il se détache très nettement de celui des agriculteurs.
111Les courbes de Cx des agriculteurs et des salariés agricoles se croisent pourtant vers 27 ans. Autrement dit, les salariés agricoles qui se marient le font généralement à un âge plus jeune que celui des exploitants. Mais une proportion plus forte d’ouvriers agricoles reste dans la CSP tout en demeurant célibataires.
112Cette remarque vaut aussi bien pour les hommes que pour les femmes.
113Les fréquences très élevées de célibat définitif, surtout pour les hommes suggèrent que nous nous trouvons ici en face non pas simplement d’une catégorie à faible revenu, mais d’un groupe humain qui reste d’une certaine façon en marge de la société : vieux commis de ferme, peu scolarisés, résidant chez leurs patrons, dépendant largement d’eux, peu touchés par la législation sociale, ils réunissaient moins souvent que les ouvriers urbains, les conditions de sécurité et d’indépendance suffisantes pour se marier.
114On notera, comme pour les jeunes agriculteurs, que l’on se trouve ici en présence d’une catégorie très mobile. On ne devient pas ouvrier agricole par vocation et qui peut changer de métier le fait volontiers. La fréquence du célibat à 50 ans concerne donc, pour les hommes, ceux qui n’ont jamais décidé de quitter leur profession ou qui n’ont jamais pu le faire. Ajoutons que cette catégorie est en pleine évolution et que les nouvelles générations de salariés agricoles seront sans doute très différentes de celles dont nous avons observé ici l’intensité finale41.
115Un autre groupe présente les caractéristiques assez particulières : celui des gens de maison et femmes de ménage42. Mais cette catégorie n’a pas la même extension pour les deux sexes : chez les hommes elle concerne uniquement des personnes cohabitant avec leurs employeurs, soit moins de 15 000 ; pour les femmes, outre celles qui sont logées par leurs employeurs, on prend en compte les femmes de ménages et l’on regroupe ainsi un peu plus de 500 000 femmes. Mais pour l’un et l’autre sexe, en ce qui concerne la précocité comme l’intensité, le classement se situe entre la 7e et la 9e place. D’évidence, la profession ne favorise guère la nuptialité.
116Si l’on compare cette catégorie avec celle des ouvriers agricoles, les analogies sont surtout fortes chez les hommes. Pour les femmes, on observe bien des intensités finales équivalentes, mais les situations sont opposées pour la précocité. On reste en effet célibataire très fréquemment dans l’une et l’autre situation (1 fois sur 4 environ). Par contre les femmes qui se marient le font précocement chez les salariées agricoles, très tardivement chez les femmes gens de maison ; à 22 ans, chez les premières l’indice de précocité est de 60 ; au même âge, il n’est que de 29 pour les secondes.
117Chez les cadres supérieurs, le mariage est tardif pour les deux sexes. Mais les intensités, suivant le sexe, se situent aux deux extrêmes de l’échelle : les hommes ont la plus faible fréquence de célibat définitif (44 %), les femmes la plus forte (27 %). C’est là une anomalie qu’il faudra tenter d’expliquer.
118Il convient pourtant avant tout essai d’interprétation qualitative de préciser la signification précise des résultats statistiques. On prendra comme exemple celui des professeurs titulaires de l’enseignement public (tableau 20).
Tableau 20. Pourcentage de célibataires parmi les professeurs titulaires de l’enseignement public

119Cette sous-catégorie de cadres supérieurs a des indices très proches de ceux de l’ensemble de la catégorie : mariage tardif pour l’un et l’autre sexe ; forte intensité pour les hommes, faible intensité pour les femmes. Le prolongement au-delà de 50 ans de la série permet de constater en outre que l’intensité de la nuptialité était chez les femmes plus faible encore pour les générations qui ont atteint 50 ans vers 1950.
120Mais que signifie exactement dans cette profession les pourcentages de célibataires à 24 ans ? Pour être pris en compte dans la statistique des professeurs titulaires mariés, un individu doit remplir deux conditions : être marié et être professeur titulaire. Dès lors on peut supposer que certains futurs professeurs se marient tôt, mais qu’ils ne deviennent titulaires que vers 25 ou 26 ans. En ajoutant une hypothèse auxiliaire, à savoir que ceux qui sont célibataires ont une probabilité plus forte de réussir plus jeune le concours, on expliquerait l’allure générale des séries (pas de valeur significative avant 23 ans, très fort pourcentage de célibataires à 25 ans) sans admettre pour autant que les professeurs ont eu une nuptialité plus tardive que l’ensemble de la population française. Mutatis mutandis, on pourrait avancer les mêmes hypothèses pour l’ensemble des cadres supérieurs. L’analyse de la nuptialité des étudiants permettra seule de montrer que cette hypothèse est tout à fait improbable.
121Si nous examinons maintenant la situation des artisans et petits commerçants, nous trouvons pour la série féminine une difficulté un peu différente de celle que nous venons de rencontrer : un nombre important de femmes entrent dans cette catégorie par le mariage. Bien qu’elles occupent le rang 1 pour la précocité, l’affirmation que les femmes « artisans et petits commerçants » se marient tôt est loin d’être démontrée : l’indice de précocité n’a sans doute que peu de rapport avec la propension plus ou moins forte à se marier tôt des femmes célibataires appartenant déjà aux « artisans et petits commerçants ». La signification apparente de la statistique doit ici aussi être réduite à sa véritable portée : elle concerne le statut professionnel au moment du recensement et non à celui du mariage. Nous sommes en réalité moins riches en information que nous pouvions d’abord le penser.
122Pour les hommes de cette catégorie, leur classement, pour les deux caractéristiques, est moyen (4 et 3). On se marie avec une précocité très voisine de celle des cadres moyens et des employés, avec une intensité de même ordre que celle des employés et des ouvriers qualifiés.
123Plutôt que de continuer la revue des catégories, une à une, essayons maintenant de considérer l’ensemble des données relatives aux autres groupes, qui sont tous des salariés plus ou moins qualifiés.
124On peut résumer l’ensemble des indices dans la formule suivante :
- l’intensité finale observée est en raison directe de la qualification chez les hommes, en raison inverse chez les femmes.
- la précocité, si l’on excepte les catégories agricoles, est d’autant plus forte chez les femmes que la qualification est plus faible43. Pour les hommes, aucun ordre n’apparaît clairement : les cadres moyens se marient plus tôt que les manœuvres, mais les ouvriers qualifiés avant les employés.
125Nous n’avons guère fait, pour l’instant, que décrire et tenter de simplifier l’ensemble, quelque peu désordonné, des données disponibles. Ces démarches étaient pourtant indispensables pour « neutraliser » quelques biais ou au moins pour repérer l’incidence sur les données de nuptialité des principaux facteurs perturbateurs. Avant d’aller plus loin et de tenter d’avance quelques éléments d’explication, il faut nous arrêter quelque temps sur le cas d’un groupe spécial, celui des étudiants.
b. Le cas particulier des étudiants
126La sous-catégorie étudiante évoque encore pour beaucoup un groupe un peu marginal par rapport à l’ensemble de la classe d’âges 18-24 ans. Mais n’est-ce pas là un simple stéréotype ? Le recensement de 1968 donne pour la France 1,74 million d’élèves et étudiants de 17 ans et plus. Sans doute une grande partie d’entre eux sont-ils encore lycéens. Regardons les effectifs, année d’âge par année d’âge, de 19 à 22 ans, c’est-à-dire à partir d’un âge où le poids des lycéens devient relativement faible (tableau 21).
Tableau 21. Population totale et population étudiante

127Ainsi, plus du cinquième des populations masculine et féminine de 19-22 ans poursuit des études. Même en admettant qu’une part non négligeable des 19 ans termine les études secondaires, les proportions d’étudiants demeurent importantes. Plusieurs remarques peuvent encore éclairer ces données. Il est très vraisemblable d’abord qu’entre 1968 et 1972, les pourcentages d’étudiants ont encore augmenté. Il est possible que ce soit désormais 1 personne sur 4 ou peu s’en faut, dans le groupe d’âges 19-22 ans qui poursuive ses études. Par ailleurs ces proportions varient considérablement d’une région à l’autre. Pour la région parisienne le pourcentage des « étudiants » atteint, à 19 ans, 38 % de l’ensemble de la population de cette année d’âge et plus de 26 % dans le groupe 19-22 ans.
128Enfin, il faut distinguer, parmi les étudiants, la sous-population de ceux qui ont une activité professionnelle de celle qui n’en a pas. Pour le groupe d’âge considéré, les 19-22 ans, en 1968, on trouvait seulement 4 % d’étudiants et 3 % d’étudiantes ayant un emploi44. Ces proportions sont relativement faibles, d’autant qu’une partie non négligeable des emplois en question sont des fonctions de maître d’externat et de maître d’internat, plus compatibles que d’autres avec la poursuite d’études supérieures. La nuptialité de ce sous-groupe d’étudiants ayant un emploi est nettement plus précoce que celle de l’ensemble de la catégorie comme le montrent le tableau 2245 et la figure 7.
Tableau 22. Pourcentage des étudiants célibataires par année d’âge suivant le sexe et l’activité professionnelle

129L’écart est net entre la courbe des Cx de l’ensemble de la population française et celle des étudiants n’occupant aucun emploi (figure 7). À 4 ans, on a 50 % environ de célibataires pour l’ensemble de la population masculine et 85 % chez les étudiants ; à 22 ans pour les femmes les valeurs correspondantes sont 50 % et 94 %.
Figure 7. Pourcentage de célibataires à un anniversaire donné parmi les étudiants

130Il faut donc considérer comme une opinion sans fondement l’idée que les étudiants se marient « jeunes ». C’est là une contre-vérité qui garde parfois un certain crédit, mais qui est sans fondement. Pour l’ensemble de la France, le recensement de 1968 ne comptait que 14 000 ménages où l’homme et la femme étaient étudiants.
131Que peut-on conclure de toutes ces données ? Sans doute que la difficulté est grande d’être à la fois marié et étudiant. Entre ces deux états, il existe non pas une incompatibilité absolue, mais des contraintes difficilement conciliables. Ce constat laisse place à deux interprétations. Faut-il supposer que la forte proportion de célibataires parmi les étudiants tient surtout à la sortie de ceux qui se marient ? Les étudiants auraient une nuptialité assez proche de celle du reste de la population, mais cette nuptialité serait comptabilisée dans une autre CSP puisque leur mariage coïnciderait avec l’interruption de leurs études.
132Ou bien faut-il penser que les étudiants demeurent célibataires pour continuer leurs études. Dans ce cas, leur position d’étudiant est vraiment déterminante et l’on peut affirmer qu’ils ont, au moins quant au calendrier, une nuptialité spécifique. Autrement dit, il faut se demander si l’on cesse d’être étudiant parce que l’on se marie ou si l’on ajourne le moment de se marier parce que l’on veut poursuivre des études.
133Les deux explications interviennent probablement et il est bien difficile de préciser leurs poids respectifs. On avancera seulement qu’il est probable que la réponse doit être différente suivant le sexe. Le tableau 21 suggérait en effet des sorties de scolarité plus précoce chez les femmes que chez les hommes46. Dans une société où le statut social de la famille est défini par la position de l’époux, il demeure généralement plus important, pour l’homme que pour la femme de poursuivre ses études jusqu’au niveau de qualification souhaité. Plus ce niveau est élevé, plus la scolarité sera longue et, en moyenne, le mariage tardif. Ce sont les étudiants en médecine (voir tableau VII en annexe sur https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.34847/nkl.8419z9ns) qui ont les plus faibles pourcentages de mariés à 22 ans.
134Étudiants et étudiantes font partie de la population « inactive » (catégorie 9 de l’Insee). Si, dans le groupe d’âges 20-24 ans, les inactifs masculins sont presque uniquement composés d’étudiants et de militaires, il n’en est pas de même pour les femmes47.
Tableau 23. Pourcentage de célibataires parmi les femmes étudiantes et parmi les autres inactives

135Le tableau 23 indique les pourcentages de femmes célibataires parmi celles qui sont étudiantes et parmi celles qui sont inactives non étudiantes. La figure 8 permet de comparer ces deux séries avec celle de l’ensemble de la population féminine française.
136Les deux situations, inactives étudiantes et inactives non étudiantes, occupent les positions extrêmes dans la série des pourcentages de célibataires : la première catégorie correspondrait à une nuptialité très tardive, la seconde au contraire à une nuptialité très précoce.
c. Activité féminine et nuptialité
137Nous avons vu plus haut que pour les étudiantes, il ne fallait conclure qu’avec une certaine prudence à un retard systématique de la nuptialité. Le problème est encore plus difficile ici pour les inactives non étudiantes. Les mécanismes qui expliquent les très faibles pourcentages de célibataires, dès 20 ans, parmi les femmes inactives sont très complexes : propension plus forte sans doute de femmes inactives à se marier jeunes, mais aussi difficulté pour une femme célibataire de rester inactive après 20 ans, enfin arrivée dans la catégorie des inactives d’un certain nombre de femmes que leur mariage ou la première naissance d’un enfant a fait renoncer à toute activité professionnelle. Une enquête de l’Ined sur les cohortes de mariage postérieures à 1963 montre cependant que 8 % seulement des femmes avaient quitté leur emploi au moment de leur mariage et 9 % lors de la naissance de leur premier enfant (Roussel, 1971). L’importance de ce facteur est donc vraisemblablement assez faible. Ce qui reste certain en définitive c’est que la situation de femme inactive est difficilement conciliable aujourd’hui, entre 20 et 24 ans, avec l’état de célibataire, comme celle d’étudiant était apparue plus haut peu compatible avec les contraintes du mariage.
Figure 8. Pourcentages aux anniversaires (15-27 ans) des femmes célibataires parmi les inactives étudiantes, les inactives non étudiantes et l’ensemble des femmes

138Cette forte incidence de l’activité sur la nuptialité féminine exige que l’on s’arrête encore un peu sur le problème de l’emploi. Les données qui viennent d’être analysées ont montré l’importance de ce facteur pour l’intensité et le calendrier de la nuptialité Dans la deuxième partie, il faudra examiner si ce facteur a une incidence, et éventuellement laquelle sur des caractéristiques plus qualitatives de la nuptialité. Prendre rapidement la mesure de cette activité, voir comment elle a évolué, et dans quel sens elle évoluera probablement, constituent donc des démarches utiles.
139Apparemment, le taux d’activité féminine a sensiblement baissé depuis le début du siècle puisqu’il est passé de 49,8 % en 1901 à 44,1 % en 1954 et à 43,5 % en 1968. Mais un indice aussi global48 ne présente qu’un intérêt très limité. En 1901, les actifs agricoles représentaient encore presque la moitié de la force de travail nationale (plus de 45 % pour les hommes). L’activité féminine dans ce groupe social était générale et le taux national d’activité féminine résultait pour une très large part du secteur agricole. Aujourd’hui, les actifs agricoles ne représentent plus qu’environ 15 % de la population et un certain nombre d’épouses d’agriculteurs se déclarent inactives bien que leur participation aux tâches de l’exploitation ne soit pas négligeable. Au total, le taux d’activité féminine non agricole a augmenté. L’analyse par groupe d’âges révèle de son côté que peu de modifications sont intervenues à certains niveaux, mais que, le taux d’activité entre 15 et 20 ans a considérablement diminué, alors qu’il a augmenté entre 20 et 30 ans.
140On peut dire d’ailleurs que la baisse de l’activité avant 20 ans explique dans une certaine mesure la hausse des âges suivants, puisque la scolarisation après 15 ans aboutit à une qualification qui augmente chez les femmes la probabilité d’une entrée dans la population active. En 1968, entre 20 ans et 24 ans, le pourcentage de femmes actives atteignait presque 65 %.
141Si l’on ne prend en compte que les femmes mariées, ces taux sont plus faibles que ceux relatifs à l’ensemble des femmes, mais leur progression est importante depuis 1962 et même depuis 1954. À 22 ans, le taux d’activité des femmes mariées était de 37 % en 1954 et de 54 % en 1968. C’est là une évolution très nette. À partir de 40 ans, au contraire, les différences de taux entre 1954 et 1968 sont très faibles. On n’oubliera pas pourtant qu’il s’agit là d’une analyse transversale et que les taux des femmes de 50 ans ou plus sont peut-être liés à un effet de génération autant qu’à un effet d’âge (Roux, 1970).
142Si l’on étudie maintenant la répartition des femmes suivant leur CSP, on constatera (tableau VIII en annexe sur https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.34847/nkl.8419z9ns) que la progression des effectifs est beaucoup plus rapide dans les catégories « cadres supérieurs » ou « cadres moyens » que chez les « ouvriers »49. Sans doute faut-il observer que l’augmentation très importante du nombre des enseignants a largement contribué à cette évolution et que les femmes restent encore peu nombreuses dans les fonctions de responsabilité ou dans les postes de haute qualification technique. Il paraît difficile pourtant d’imaginer que le rapport actuel de féminité dans les universités n’accentuera pas, à moyen terme, la participation des femmes aux emplois de haute qualification. Deux tendances se sont finalement manifestées entre 1954 et 1968 : croissance très forte des taux d’activité féminine entre 20 et 30 ans, accès plus large des femmes aux fonctions de cadres. Elles devraient se prolonger, sinon s’accentuer, dans la prochaine décennie. Il faudra en tirer la conséquence au moment de formuler des perspectives sur la nuptialité50.
d. Essai d’interprétation
143Nous voici arrivés au terme d’une sommaire revue des données de nuptialité par CSP51. Si nous avons pu trouver ici et là quelques corrélations, par exemple, entre la qualification et la précocité, il faut bien avouer que les constats que nous avons fait gardent une allure désordonnée. À plus forte raison n’avons-nous pas avancé d’explication systématique aux différences de comportement observé. C’est à des questions simples et fondamentales qu’il faudrait pouvoir répondre « Pourquoi les cadres moyens se marient-ils plus tôt que les manœuvres ? », « Pourquoi trouve-t-on une fréquence de célibat définitif aussi élevée chez les femmes occupant un poste de cadres ? » Si nous ne pouvons formuler d’hypothèses explicatives satisfaisantes sur ces points, nous n’aurons guère fait que rassembler des données.
144Introduire un peu d’ordre, avancer quelques hypothèses pour expliquer la nuptialité différentielle est une entreprise qui a rarement été tentée. Une des approches les plus intéressantes est celle de Ruth Dixon. Elle essaye de rendre compte des disparités observées en matière de nuptialité dans 57 pays. On reprendra ici les principales hypothèses qu’elle a formulées (Dixon, 1971).
145Le premier facteur explicatif qu’elle avance est démographique : c’est le rapport, dans la population en âge de se marier, entre l’effectif des hommes et celui des femmes (availability). Tout déséquilibre réduit le nombre de mariages possibles à l’effectif du plus faible des deux groupes. La difficulté est bien entendu de définir ces groupes de mariables. Disons, pour simplifier, que les conditions d’âge52 et de tendances homogamiques sont déterminantes. Elles définissent ce que Louis Henry a appelé des « cercles endogames » (Henry, 1968).
146La deuxième variable (feasibility) est socioéconomique : c’est à âge égal, la plus ou moins grande facilité d’assumer les charges liées au statut conjugal, telles qu’elles sont définies dans une société donnée. Les structures familiales, mais aussi le revenu par tête et le système de production font considérablement varier la nature de ces charges et leur importance d’un pays à l’autre. De la même manière, des disparités existent d’un groupe social à un autre ou d’une région à une autre.
147Le troisième facteur (desirability) est plus difficile à définir. Il s’agit en somme de l’image sociale du mariage, c’est-à-dire des droits et avantages qu’une société accorde aux époux et refuse aux célibataires. Ruth Dixon s’attache surtout aux pénalités, plus ou moins lourdes, qui frappent les célibataires : handicap professionnel, surcharge fiscale et, plus généralement, discrédit et « solitude sociale ».
148Disons que par « désirabilité du mariage », on n’entend pas l’attirance plus ou moins forte que ressent un individu pour le mariage en raison de son caractère et de son histoire personnelle, mais plutôt les valeurs d’émancipation, de prestige, ainsi que les images de bonheur et de sécurité, qui, suivant des dosages différents dans chaque population s’attachent généralement à l’institution matrimoniale. Cette désirabilité, à l’intérieur d’une même société, varie bien entendu d’un milieu social à l’autre.
149Voyons maintenant si ce système d’hypothèses peut rendre compte des différences qui viennent d’être observées entre catégories. Le rapport de masculinité, dans les « cercles endogames » explique d’une manière satisfaisante, la nuptialité des agriculteurs. La probabilité pour qu’une femme célibataire appartenant à un ménage non agricole épouse un agriculteur est très faible. Or, dans les ménages agricoles, le rapport de masculinité entre les hommes de 25-29 ans et les femmes de 20-24 ans était, en 1962, de 135 et, en 1968, de 12253. De tels déséquilibres suffisent, nous l’avons dit, à rendre compte du retard de la nuptialité, de son intensité faible chez les hommes et de son intensité très forte chez les femmes.
150La portée explicative du rapport de masculinité, dans l’état des informations disponibles, semble d’ailleurs se limiter, on l’a noté plus haut, aux ménages agricoles. Dans les autres cas, l’endogamie professionnelle n’est pas aussi contraignante ou reste plus difficilement perceptible. L’homogamie des hommes cadres supérieurs est sans doute très forte (Roussel, 1971a), mais elle vise autant l’origine sociale de l’épouse que sa profession personnelle.
151Le deuxième facteur explicatif de Dixon est la possibilité du mariage sur le plan économique. Qui n’a pas de situation ou occupe un emploi peu stable aura une probabilité plus faible de se marier. Le cas de certains salariés agricoles et des gens de maison correspond bien à cette règle. De même s’expliquerait ainsi le retard des manœuvres sur les ouvriers qualifiés. A l’inverse l’intensité de la nuptialité est très forte dans les emplois hautement qualifiés : le cadre supérieur, encore célibataire à 40 ans constitue une exception.
152Pourtant deux difficultés subsistent. Si l’intensité de la nuptialité est en fonction directe de la qualification professionnelle chez les hommes, la relation est rigoureusement inverse chez les femmes : plus la CSP est élevée, moins forte est pour elles l’intensité finale de la nuptialité. Faut-il supposer que, mobilisées trop longtemps par leurs études, ces jeunes filles ont laissé passer l’âge le plus favorable au mariage ? Explication plausible pour celles qui ont poursuivi de très longues études. Raison beaucoup moins satisfaisante pour les femmes cadres moyens ou employées, chez qui cependant la proportion de célibataires à 40 ans ou 50 ans reste relativement très élevée. Dira-t-on que les femmes cadres supérieurs cessent plus souvent que les autres leur activité professionnelle au moment du mariage ? Rien de moins sûr. Les femmes professeurs constituent la moitié des femmes actives de la catégorie cadres supérieurs et professions libérales. Peu d’entre elles cessent leur activité d’enseignante au moment du mariage. Il en va de même pour les femmes médecins ou ingénieurs.
153Parmi ces femmes hautement qualifiées, dotées d’une certaine aisance matérielle, ayant atteint un niveau de culture générale supérieur à la moyenne, il est donc probable qu’une minorité non négligeable se résigne au statut de célibataire. On peut admettre que certaines ont recherché, avec la qualification professionnelle, l’autonomie économique, qui seule rendait possible leur célibat. Ainsi dans un groupe, minoritaire certes, mais important par sa position sociale, la fréquence du célibat définitif indique que le mariage ne constitue pas un objectif universellement prioritaire. La relation simple et directe entre qualification et intensité de la nuptialité se vérifie donc seulement pour les hommes. Chez les femmes le rapport est inverse54.
154L’analyse des indices de précocité suivant la catégorie ne peut guère s’expliquer par le facteur « possibilité », « feasibility ». Même en ne tenant pas compte des actifs agricoles, on parvient mal à justifier l’ordre de ces indices. Ouvriers qualifiés, cadres moyens, employés se marient tôt chez les hommes, cadres supérieurs et manœuvres tardivement. Ainsi les actifs les plus qualifiés et ceux qui le sont moins se marient à un âge moyen relativement élevé, tandis que les catégories intermédiaires se marient plus jeunes. L’apparente incohérence de ce classement ne se résout que si l’on admet que l’âge au mariage dépend non pas de la simple capacité économique de se marier jeune, mais aussi de l’intérêt économique, réel ou non, important ou faible, de différer le mariage pour augmenter la probabilité d’une promotion sociale. Cet intérêt, à terme, est un des aspects de la « désirabilité », disons de l’opportunité du mariage.
155Si nous combinons maintenant les deux facteurs, capacité et opportunité, nous comprendrons mieux la précocité du mariage des classes moyennes et nous verrons en même temps que le relatif retard des ouvriers et des cadres supérieurs tient à des raisons différentes.

156Le caractère tardif du mariage des cadres supérieurs ne s’explique donc pas comme celui des manœuvres. Pour ceux-ci, les difficultés économiques retardent le mariage, tandis que pour ceux-là la prolongation du célibat est comme un investissement nécessaire. Ce ne sont plus tant les contraintes économiques actuelles qui sont déterminantes ici, mais le projet économique à long terme. Qui peut se marier et n’a guère de chance de promotion, le fait en général assez jeune. Attendent ceux qui n’ont pas encore acquis la capacité économique de se marier et ceux qui espèrent, à terme, une situation qui compensera largement cette prolongation du célibat55.
157On retrouverait donc aujourd’hui, en ce qui concerne la stratégie matrimoniale, une situation qui n’est pas sans analogie avec celle que nous croyons avoir observée sous l’Ancien Régime. Une partie de la population, la plus défavorisée, se mariait alors dès qu’elle en avait la capacité économique ; la nuptialité n’étant pas pour elle un instrument de promotion ni de continuité patrimoniale. On sait qu’en milieu agricole en particulier un des moyens de limiter les naissances était de retarder le plus possible l’âge au mariage. Pour une autre partie de la population, la noblesse en particulier, le moment du mariage était fonction de l’opportunité des alliances entre familles.
158La stratégie matrimoniale existe encore aujourd’hui, mais bien qu’il soit devenu très difficile de la mesurer, son extension semble pourtant avoir diminué. En aucun cas, ses impératifs n’aboutissent désormais à des mariages où l’âge des conjoints, celui de la femme en particulier, est anormalement bas.
159Le fait nouveau, ou plus exactement celui qui pèsera, pour un nombre de plus en plus important de jeunes gens, sur le calendrier de leur nuptialité, c’est la nécessité, pour qui veut obtenir une promotion sociale, de poursuivre de longues études, ce qui implique la plupart du temps une prolongation du célibat. On objectera que cette contrainte vise les jeunes gens plutôt que les jeunes filles. C’était vrai et cela le reste encore, en partie, mais toutes les statistiques montrent que le rapport de masculinité parmi les étudiants baisse rapidement : de 273 en 1931, il est tombé à 190 en 1952 et à 120 environ en 197056.
160On peut d’ailleurs se demander si ce projet de promotion sociale ne déborde pas désormais assez largement la population étudiante. Beaucoup de jeunes qui ont dû arrêter leur scolarité sans atteindre l’enseignement supérieur espèrent aujourd’hui reprendre leur formation, grâce à des cours du soir, à des stages, à la préparation de concours. L’idée d’une formation continue intéresse certes les adultes, mais ce sont surtout les moins de 30 ans qui paraissent les plus désireux et les mieux placés pour en profiter. Dans la mesure où cette idée prendra corps et trouvera les instruments de sa réalisation, un nombre de plus en plus grand de jeunes seront tentés d’utiliser cette chance de promotion et ils retarderont au besoin leur projet de mariage pour réussir cette entreprise.
161Dans une société où la promotion sociale reste encore liée pour une large part à la qualification, et donc à la scolarité, la prolongation du temps moyen des études comme la multiplication des voies de formation continue aboutira probablement à un retard de la nuptialité chez les femmes comme chez les hommes. D’autres raisons apparaîtront dans la suite de ce travail qui renforceront cette hypothèse, mais dès maintenant il paraît possible de prévoir que, dans les dix prochaines années, la tendance du calendrier de la nuptialité va s’inverser et que l’âge moyen au mariage augmentera57.
162Nous n’avons parlé que par allusion, à propos des femmes cadres supérieurs, du troisième facteur mis en avant par Ruth Dixon. Il est difficile, en effet d’introduire cette variable ici. À l’évidence, la capacité économique est plus facile à atteindre dans une CSP que dans une autre, mais rien ne permet de dire a priori que le mariage est davantage désiré dans telle ou telle catégorie. Ce que nous pouvons simplement constater, c’est qu’en ce qui concerne au moins les femmes, les deux premiers facteurs explicatifs de Dixon ne rendent pas complètement compte des caractéristiques de calendrier et d’intensité. On reviendra sur la « désirabilité » dans la deuxième partie de ce travail et surtout dans sa conclusion.
163L’analyse de la précocité et de l’intensité de la nuptialité en fonction de la CSP ne laisse pas apparaître de loi générale et simple. À cela, nous le savons, il existe plusieurs causes. Celle que nous avons évoquée dès le début n’est pas la moindre : les données dont nous disposons sont inadéquates : insuffisamment différenciées la plupart du temps, elles sont, de plus, trop disparates pour permettre d’établir des séries chronologiques homogènes.
164Mais une autre raison fondamentale explique l’incapacité d’établir des corrélations régulières et probantes : la variante « catégorie socioprofessionnelle » n’est pas la seule qui intervienne pour définir les caractéristiques de la nuptialité. Une forte corrélation entre elles et la nuptialité aurait signifié que les autres facteurs avaient une influence négligeable, ce qui n’est probablement pas le cas. Les conditions d’habitat, le niveau d’instruction, dont on va maintenant traiter, la crainte d’un engagement prématuré ou la hantise de ne pouvoir se marier si l’on tarde trop, autant de composantes qui viennent interférer avec la capacité économique de se marier, telle qu’elle existe dans une CSP.
165Est-ce à dire que tous ces facteurs oblitèrent totalement l’effet de catégorie et que l’analyse de cette donnée ne permet aucune conclusion. Le lecteur, au passage, aura retenu quelques conclusions certaines. Il est clair d’abord que, d’une CSP à l’autre, les situations sont souvent contrastées. En ce qui concerne l’intensité de la nuptialité, l’échelle, pour les hommes, suit le niveau de la qualification : plus un homme est placé haut dans la pyramide des activités, plus forte est sa probabilité de se marier, plus forte aussi la probabilité que ce mariage soit tardif. Il semble qu’aujourd’hui encore, les contraintes économiques, revenus trop faibles ou servitudes de l’emploi, empêchent une partie non négligeable de la population de se marier. Dans les autres groupes sociaux, la possibilité et la volonté d’une promotion professionnelle interviennent sur le calendrier de la nuptialité plutôt que sur son intensité.
166Si cette dernière remarque vaut aussi bien pour les femmes que pour les hommes, la CSP n’influence pas de la même manière la nuptialité masculine et la nuptialité féminine : à l’inverse de ce qui se passe pour les hommes, une forte qualification est liée pour les femmes à une plus grande possibilité de célibat définitif. L’aisance économique des hommes aboutit presque toujours au mariage ; celle des femmes beaucoup moins souvent.
167Sans nier le poids de l’économie, il faut donc bien reconnaître que le calendrier et l’intensité de la nuptialité obéissent à des lois plus complexes qu’une corrélation directe avec les niveaux de la pyramide des catégories sociales.
2. Âge moyen au mariage suivant le niveau d’instruction
168L’analyse de la nuptialité suivant le niveau d’instruction constitue une orientation de recherche très intéressante. Deux raisons néanmoins portent à limiter les développements dans cette direction : l’une, de fait, tient à la rareté des données où l’âge au mariage est lié au niveau d’instruction ; l’autre, théorique, prend en considération la corrélation entre niveau d’instruction et CSP. Ne risque-t-on pas de retrouver, sous une étiquette différente, les résultats de l’analyse suivant la CSP ?
169On ne dispose pour cette variable que des données fournies par l’enquête Famille de l’Insee (Deville, 1972, p. 74) : elles portent uniquement sur le niveau d’instruction des épouses.
Tableau 24. Âge moyen au mariage suivant le niveau d’instruction de l’épouse par groupe de générations

170On constate, quel que soit le groupe de générations, que l’âge moyen au mariage est lié au niveau d’instruction : moins celui-ci est élevé, plus celui-là est jeune ; et ceci dans les trois groupes de générations. Le tableau 24 fournit bien une indication sur l’âge moyen au mariage des deux époux, mais en fonction du niveau d’instruction de la seule épouse. Dans la mesure où il existe une homogamie assez nette entre les niveaux d’instruction des hommes et des femmes, on conclura, que chez les hommes comme chez les femmes la précocité du mariage est liée à un faible niveau d’instruction. Les rangs de précocité et ceux de niveau d’instruction sont, pour les femmes, rigoureusement parallèles ; une exception pour les hommes : les époux des femmes sans aucun diplôme se marient en moyenne un peu plus tardivement que ceux des femmes titulaires du certificat d’études.
171L’enquête Famille permet par ailleurs de neutraliser, d’une certaine façon, l’objection tirée de la corrélation entre niveau d’instruction et nuptialité. On a reproduit un tableau de l’article précité de Calot et Deville (1971), qui croise le niveau d’instruction de la femme, la CSP et l’âge moyen au mariage des époux (tableau 25). Il permet de constater que, pour une même CSP du conjoint, les femmes se marient d’autant plus jeunes que leur niveau d’instruction est plus faible. On aurait souhaité pouvoir croiser l’âge moyen au mariage de l’épouse avec la CSP de l’épouse, mais ce tableau n’est pas disponible. D’autre part, on a pu constater plus haut que l’âge moyen au mariage variait, et d’une manière non négligeable, à l’intérieur d’une même catégorie, d’une sous-catégorie à l’autre. Il est probable que le niveau d’instruction dans une même catégorie varie également d’une sous-catégorie à l’autre. La neutralisation de la variable « perturbante » n’est peut-être pas totalement satisfaisante.
172Ces réserves faites, on constate bien qu’à l’intérieur d’une même CSP, le niveau d’instruction est un facteur discriminant important. On observe dans les âges moyens des épouses des écarts d’un an, voire de deux ans suivant le niveau d’instrution.
Tableau 25. Caractéristiques de nuptialité par groupe socioprofessionnel du mari et selon le niveau d’instruction de la femme

173Autre remarque intéressante : « Les femmes titulaires du brevet élémentaires, écrivent Calot et Deville, se marient plus tard que celles qui ont obtenu le certificat d’études primaires, mais le retard des premières sur les secondes n’est pas identique d’un groupe socioprofessionnel à l’autre : il varie de 0,5 an pour celles qui épousent un membre des professions libérales ou un cadre supérieur à 0,6, 0,7 et 0,8 an pour celles qui épousent respectivement un patron de l’industrie et du commerce, un cadre moyen et un employé et enfin à 0,9 an pour celles qui épousent un agriculteur exploitant ou un ouvrier : une femme instruite se marie relativement jeune si elle peut épouser un homme de niveau social élevé ; elle se marie relativement tard si elle épouse un homme de niveau social modeste » (Calot et Deville, 1971, p. 8).
174Il a paru utile de présenter ces données. Il n’est guère possible d’en tirer des conclusions définitives. Elles marquent cependant à la fois l’intérêt et la difficulté de poursuivre la recherche dans ce sens.
3. La nuptialité suivant les catégories de communes et les régions
175L’analyse différentielle de la nuptialité suivant les zones géographiques présente peut-être moins d’intérêt que celle qui est relative aux catégories socioprofessionnelles. Les disparités observées suivant la CSP renvoient au niveau d’instruction, à la situation économique, au mode de vie. Avec les caractéristiques géographiques au contraire, les corrélations paraissent plus masquées. Pourquoi se marie-t-on plus jeunes dans telle région et, à l’intérieur de cette région, dans tel département ? Voilà des questions qui ne sauraient être résolues sans entreprendre des études précises sur les caractéristiques locales et leur évolution. Il n’est pourtant pas sans intérêt de suivre, à travers le temps, les cartes de l’intensité et de la précocité du mariage en France. Par ailleurs une analyse de la nuptialité suivant les catégories de communes peut mettre en évidence l’importance du milieu de résidence.
176Les indices disponibles pour le xixe siècle, étant différents de ceux qui seront utilisés pour caractériser la nuptialité en 1911 et 1968, on a préféré traiter séparément ces deux périodes.
a. La situation au xixe siècle
177Les indices au xixe siècle pour mesurer l’intensité de la nuptialité étaient encore très imparfaits, trop dépendants qu’ils restaient de la structure par âge. Ils consistaient on s’en souvient, à rapporter les mariages soit à la population totale, soit à la population des célibataires, veufs et divorcés du groupe d’âges 18-59 ans pour les hommes et 15-49 ans pour les femmes. L’indice de précocité utilisé était l’âge moyen au mariage de l’ensemble des célibataires. Ce sont ces indices que nous utiliserons pour l’analyse différentielle suivant les catégories de communes et suivant les régions.
L’intensité
178Deux analyses sont possibles à partir des données disponibles : l’analyse suivant le milieu d’habitat et l’analyse par département. Trois milieux d’habitat seulement peuvent être distingués : le département de la Seine, le reste de la population urbaine et la population rurale58. L’indice utilisé pour cette analyse est la proportion de nouveaux mariés pour 100 habitants. Ces données sont donc difficiles à interpréter. La légère baisse de l’indice « France entière » entre 1851 et 1900 est la résultante d’un vieillissement de la population totale (diminution de l’effectif des mariables par rapport à l’ensemble) et de l’évolution de l’intensité de la nuptialité. Mais l’écart de l’indice est trop faible entre les deux états extrêmes pour que l’on puisse indiquer, à partir de cette donnée, le sens de l’évolution. On a montré plus haut que l’intensité de la nuptialité a effectivement augmenté pour la France entière. La nette supériorité de l’indice pour le département de la Seine s’explique sans aucun doute par une pyramide des âges jeune, due à l’importance de l’immigration. Entre 1836 et 1861, le solde migratoire dépasse annuellement 2,50 % de la population du département. S’il baisse pour la période 1876-1901 (1,89 %), il reste néanmoins le plus fort de France59.
179Si nous comparons maintenant la série urbaine avec la série rurale, on ne peut guère que constater qu’elles sont relativement proches l’une de l’autre, l’ordre de supériorité s’inversant plusieurs fois durant la période considérée.
180Pour comparer l’intensité suivant le département, on utilisera l’autre indice, un peu plus fin et sensible que le précédent : celui qui rapporte les nouveaux mariages à la population des mariables. Cet indice avait été calculé, département par département, suivant le sexe pour la période 1860-186260. À partir de cet indice, on a réparti les départements par quartiles. Les cartes 1 et 1 bis permettent, pour les hommes et pour les femmes, de saisir la répartition des départements suivant cet indice d’intensité.
Carte 1

Carte 1bis

181On observera pour les hommes comme pour les femmes, deux zones de forte intensité : le bassin parisien et l’Aquitaine. De même coïncident approximativement pour les hommes et les femmes, les zones de très faible intensité, celles des départements du dernier quartile : elles se localisent en premier lieu le long de la frontière avec la Suisse et l’Italie, en Bretagne et enfin dans la partie occidentale des Pyrénées. Entre le classement des hommes et celui des femmes, la corrélation est relativement forte61. Les exceptions pourtant ne manquent pas. Dans l’analyse comparative des deux classements, on observe pour certains départements un rang d’intensité bien meilleur pour les hommes que pour les femmes : ce sont entre autres : le Cantal, la Creuse, l’Isère, les Côtes-du-Nord62, la Meuse. L’explication paraît relever du phénomène migratoire. Ces départements comptent parmi ceux où le solde migratoire négatif était le plus accusé63. Et l’on sait que l’exode rural se caractérisait alors par un rapport de masculinité élevé. Dans la population qui restait sur place, la probabilité de se marier était de ce fait meilleure pour les hommes que pour les femmes. On trouve très logiquement le phénomène complémentaire dans les zones de forte immigration : Seine, Seine-et-Oise64 et Bouches-du-Rhône. Là, le fort rapport de masculinité de l’immigration interne favorisait la nuptialité féminine. Dans les Bouches-du-Rhône, par exemple, le rang d’intensité pour les hommes était 81 alors qu’il était de 44 pour les femmes.
La précocité
182L’indice disponible est l’âge moyen au mariage des célibataires et ici aussi, il peut être étudié suivant le milieu d’habitat et par département. La figures 9 permet de suivre des années 1853 à 1900 l’évolution de cette valeur pour la Seine, la population urbaine, et la population rurale.
Figure 9. Âge moyen au premier mariage


Source : tableau Xbis en annexe sur https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.34847/nkl.8419z9ns.
183La comparaison des séries met d’abord en évidence le fait que c’est en milieu rural, donc parmi les agriculteurs et les artisans ruraux, que l’âge au mariage était alors le plus jeune. Pour les hommes, cette situation se termine à la fin du siècle où la courbe de la population rurale croise vers 1892 la courbe de la population urbaine. En ce qui concerne les femmes, celles qui résident à la campagne continuent en 1900 de se marier plus jeunes que les citadines. Mais, deuxième remarque, aussi bien chez les hommes que chez les femmes des trois milieux, c’est la Seine qui présente l’âge moyen au mariage le plus élevé.
184En réalité, si l’on compare la précocité au mariage, département par département, celui de la Seine n’est pas le dernier : en 1860, il a le 79e rang chez les hommes et le 76e chez les femmes. On se marie plus tard, chez les hommes de Haute-Savoie ou d’Ille-et-Vilaine par exemple, chez les femmes dans le Doubs et l’Ille-et-Vilaine (voir tableau XI en annexe). D’une façon plus générale les cartes 2 et 2 bis permettent de voir la répartition en quartiles des départements français, des plus précoces (les plus foncés) aux plus tardifs (les plus clairs).
Carte 2

Carte 2 bis

185On constatera que ces cartes de précocité sont assez proches des cartes d’intensité présentées plus haut : l’Est et l’Ouest ont à la fois une nuptialité tardive et peu intense, tandis que, pour ces deux caractéristiques, le bassin parisien (sauf la Seine) et une partie du Sud-Ouest sont les plus favorisés.
186Toutes ces données semblent bien démontrer qu’au xixe siècle les agriculteurs se mariaient plus jeunes que les citadins.
b. L’évolution au xxe siècle
187On présentera d’abord un tableau, extrait de l’enquête Structure des familles qui correspond aux données concernant la précocité du mariage dans la deuxième moitié du xixe siècle (tableau 26).
Tableau 26. Âge moyen au mariage suivant la catégorie de commune par groupe de générations en 1962

188Une différence importante pourtant : les données sont présentées ici non par cohortes de mariages, mais par groupes de générations et elles donnent pour les hommes et pour les femmes, l’âge moyen au mariage suivant la taille de la commune de résidence. Ainsi le premier groupe, 1892-1899 concerne les femmes qui se sont mariées, en grande majorité au lendemain de la Première Guerre mondiale, tandis que le dernier groupe 1925-1926 correspond à des mariages survenus un peu après la Seconde Guerre mondiale. On notera aussi que la catégorie de communes n’est pas celle des conjoints à la date du mariage, mais à la date de l’observation, c’est-à-dire en 1962.
189Si l’on rapproche ces données de celles figurant sur les figures 9a et 9b, on constate que, dès le premier groupe de générations, les femmes du milieu rural se marient à un âge moyen très proche de celui observé dans les villes autres que celles de la région parisienne. Pour les hommes, l’inversion dans l’ordre de précocité observée à la fin du xixe siècle se confirme : les ruraux se marient donc désormais plus tardivement que les citadins. La précocité relative des mariages ruraux est donc bien révolue. L’écart entre ruraux et citadins est de l’ordre de 6 mois, à l’exception ici encore des hommes de l’agglomération parisienne qui se marient plus tardivement que les autres citadins. D’un groupe de générations à l’autre, l’écart entre ruraux et parisiens, au sens large, diminue. Quant aux femmes des communes rurales, leur âge moyen au mariage ne diffère désormais plus guère de celui des citadines autres que les Parisiennes.
190On ne possède pas sur l’intensité de la nuptialité un tableau symétrique à celui qui vient d’être présenté. L’analyse des résultats du recensement de 1968 permet par contre pour la précocité comme pour l’intensité de calculer des indices assez précis.
Tableau 27. Indices de précocité et d’intensité suivant la taille des communes en 1968

191On observe que l’indice de précocité est relatif à la génération 1944 pour les hommes, à la génération 1946 pour les femmes, tandis que l’indice d’intensité est, pour les hommes comme pour les femmes, la fréquence du célibat dans les générations 1919-1923.
192Pour les précocités, c’est dans les villes de moins de 100 000 habitants qu’elle est la plus forte, en milieu rural qu’elle est la plus tardive pour les hommes et dans la région parisienne la plus tardive pour les femmes. Situation également différente suivant le sexe en ce qui concerne l’intensité : pour les hommes elle est très faible en milieu rural ; mais c’est dans l’agglomération parisienne que les femmes se marient le moins. Bref, c’est la campagne qui est défavorable à la nuptialité masculine, et Paris à la nuptialité féminine.
193Avant d’avancer la moindre hypothèse explicative, il est intéressant d’examiner les données de la nuptialité par département.
194L’indice retenu pour comparer l’intensité suivant le département est la proportion à un recensement donné, des hommes et des femmes encore célibataires à un âge où la nuptialité première peut être considérée comme terminée. C’est l’âge de 50 ans qui est généralement choisi comme limite. Faute de connaître cette valeur précise, on a adapté pour les hommes le pourcentage de célibataires du groupe 45-49 ans et pour les femmes celui du groupe 40-44 ans65.
195Cet indice constituerait dans une population fermée une mesure très satisfaisante de l’intensité de la nuptialité. Malheureusement, la mobilité géographique ne constitue pas un phénomène négligeable, surtout dans les âges de forte nuptialité. Il n’est pas possible de considérer que sont remplies les conditions d’indépendance et de continuité de la nuptialité par rapport à la mobilité géographique. Si l’on considère en particulier l’exode rural, il est probable qu’il existe une corrélation entre les caractéristiques qui favorisent le mariage et celles qui poussent à quitter la campagne ; il est clair aussi que le fait de rester célibataire, ou la crainte de le demeurer ne sont pas sans incidence sur la décision de gagner la ville. Certes, cet exode rural peut ne pas donner lieu à une sortie du département. Mais on sait que certains départements ont un solde migratoire négatif accusé et qu’il est dû, avant tout, à des migrations de ruraux vers de grandes villes situées à l’extérieur du département. Le déséquilibre du rapport de masculinité de l’exode aboutit à augmenter la probabilité de célibat, mais le risque accru de célibat accélère l’émigration : causalité circulaire où il est bien délicat de mesurer l’ordre et le poids de chacun des facteurs. Les pourcentages observés constituent donc des résultantes. Voilà, en fin de période de nuptialité, le pourcentage de ceux qui se sont mariés et sont restés sur place. Quelle aurait été l’intensité de la nuptialité masculine dans cette population si elle avait été fermée, on ne peut guère en débattre utilement. À défaut d’une mesure exacte de la pure nuptialité, il reste intéressant de savoir quel est, dans la population restée ou arrivée dans un département, le pourcentage de ceux qui étaient restés célibataires vers 45 ans.
196On a choisi deux recensements : celui de 1911 pour avoir une idée de la nuptialité au début du siècle, celui de 1968 pour caractériser la situation actuelle.
197La comparaison entre départements pour les deux recensements se fera par le rang. Des cartes distribuant les départements par quartiles permettront une comparaison plus facile (tableau 28 et cartes 3, 3bis, 4, 4bis).
Tableau 28. Pourcentage de célibataires définitifs par quartile et sexe en 1911 et en 1968

198Il est pourtant nécessaire de savoir à quels pourcentages correspondent ces rangs. Le tableau suivant permet pour les deux sexes et aux dates de référence de connaître les valeurs limites de ces pourcentages de célibataires « définitifs ».
199On voit que les écarts entre les valeurs extrêmes restent très importants puisque, chez les hommes, le pourcentage des célibataires définitifs est, dans le département de la plus forte intensité, quatre fois plus élevé que dans le département de la plus faible intensité. Le rapport est de 1 à 3 pour les femmes. On se trouve donc en présence d’une très forte dispersion des indices.
200En ce qui concerne les hommes, les cartes 3 et 4 rendent manifeste l’évolution intervenue entre les deux recensements : les régions de forte nuptialité au début du siècle étaient pour eux, le Centre, le Poitou, l’Aquitaine ; c’est dans le Nord et dans l’Est aujourd’hui que l’on trouve les indices les plus élevés. Il est vrai que le changement est moins sensible en ce qui concerne les départements les moins favorisés : Alpes, Pyrénées et Massif central restent des zones à faible intensité, mais la Bretagne recule, même le département des Côtes-du-Nord pourtant déjà très mal placé au début du [xxe] siècle (67e en 1911, 84e en 1968).
201Il n’est pas inutile d’entrer un peu dans le détail. Une comparaison plus fine révèle que les départements les mieux placés en 1911 ne gardent jamais une bonne place en 1968 et que la plupart passent même dans le dernier quartile (tableau 29).
Tableau 29. Hommes. Rang de certains départements suivant l’intensité de la nuptialité en 1911 et en 1968

202Ces départements sont des départements à majorité agricole, situés en dehors des zones de montagnes. Ils avaient gardé en 1911 une nuptialité relativement élevée. La comparaison des données de 1911 avec la situation 1860 révèle des différences beaucoup moins sensibles66 qu’entre le début du siècle et la période actuelle (tableau 29bis).
Tableau 29bis

203Ce recul brutal de la nuptialité masculine s’explique sans doute par le fait que l’exode rural se caractérise aujourd’hui dans ces départements par un rapport de masculinité inférieur à 100, alors qu’au début du siècle, c’étaient les hommes surtout qui partaient pour la ville. Ainsi les hommes qui restaient trouvaient autrefois facilement à se marier, tandis qu’aujourd’hui le rapport de masculinité diminue leur probabilité de mariage.
Carte 3

Carte 3 bis

Carte 4

Carte 4 bis

204Sur les cartes 3bis et 4bis, l’évolution de l’intensité de la nuptialité chez les femmes apparaît moins nette qu’elle l’est pour les hommes. Certes, on retrouve une sensible augmentation dans le Nord et un certain nombre de départements du Centre descendent d’un quartile, mais le bassin parisien (sauf Paris) garde une forte intensité67. De même on observe peu de changement dans les zones de faible intensité (Bretagne, Alpes, Massif central, Pyrénées).
205Ce n’est pas à dire qu’il n’y a pas de modifications. Mais elles ne sont pas comparables à celles que l’on a enregistrées pour les hommes. On pourrait objecter que le rapport de masculinité relativement faible de l’exode rural aurait dû entraîner, dans les âges de forte nuptialité, un excès de population féminine dans les villes et donc une situation plus défavorable pour les femmes que pour les hommes. On trouve effectivement en 1968 des rangs d’intensité plus faibles pour les femmes que pour les hommes dans les départements fortement urbanisés. Mais l’immigration étrangère, dont le rapport de masculinité est élevé, tempère ce désavantage68. Il faut d’ailleurs tenir compte non seulement du rapport entre les effectifs de mariables suivant le sexe (facteur démographique) mais aussi de la possibilité d’attitudes différentes à l’égard de la nuptialité suivant le milieu de résidence (facteur à la fois économique et psychologique). Nous reviendrons un peu plus loin sur ce point.
206Pour mesurer la précocité, on a utilisé comme indicateur le rapport entre le pourcentage de mariés dans un groupe d’âges jeunes (20-24 ans pour les femmes, 25-29 ans pour les hommes) et le pourcentage des mariés du groupe 45-49 ans pour les deux sexes :
- soit pour les hommes
;
- soit pour les femmes
.
207Cet indice est évidemment assez peu précis puisqu’il ne tient pas compte de la distribution des mariages à l’intérieur des groupes d’âges 20-24 ans et 25-29 ans. Le pourcentage global, on l’a déjà indiqué, peut théoriquement rester le même, alors que l’âge moyen au mariage à l’intérieur même du groupe d’âges a varié. Mais l’objectif ici n’est pas tellement de mesurer cette précocité que de classer par rang de précocité. Les cartes 5, 5 bis, 6 et 6 bis présentent la distribution des départements par quartile, le premier quartile correspond à la plus grande précocité. Les valeurs extrêmes correspondant à ces quartiles, sont présentées dans le tableau 30.
Tableau 30. Valeurs de l’indicateur de précocité par quartile et sexe en 1911 et 1968

Carte 5

Carte 5 bis

Carte 6

Carte 6 bis

208On constate comme pour l’intensité une forte dispersion des valeurs, surtout pour l’année 1911. Pour les hommes, l’indicateur traduit une nette évolution vers une plus grande précocité. Il n’en va pas de même pour les femmes, et la comparaison des valeurs extrêmes par quartile suggèrerait plutôt un âge au mariage plus tardif en 1968 qu’en 1911 . Mais comme on l’a déjà indiqué plusieurs fois, l’âge moyen au mariage des femmes a pu passer de 24 à 22 ans sans que soit modifié le pourcentage des mariées dans le groupe 20-24 ans (cartes 5 et 5 bis).
209Revenons aux hommes. L’allure générale de la carte de 1968 ne diffère guère de celle de 1911 (cartes 6 et 6 bis). Nord et Nord-Est sont toujours les zones de grande précocité, de même que le Centre-Ouest (tableau 31).
Tableau 31. Hommes. Rang de certains départements suivant la précocité de la nuptialité en 1911 et 1968

210Deux seulement de ces départements passe dans le 2e quartile. L’évolution est beaucoup plus marquée pour les femmes. En témoigne la position en 1968 des 9 départements placés en tête en 1911 (tableau 32).
Tableau 32. Femmes. Rang de certains départements suivant la précocité de la nuptialité en 1911 et 1968

211À l’exception de l’Oise, de l’Eure et de l’Allier, ces départements se situent dans le Sud-Ouest de la France. Seuls, l’Oise, l’Eure et la Dordogne sont restés dans le premier quartile. Ce sont les départements du bassin parisien qui ont le plus souvent pris la place dans le quartile 1 des départements du Sud-Ouest. Bretagne et Massif central restent en 1968 comme en 1911 des régions à mariages tardifs.
212D’une manière générale, tant pour l’intensité que pour la précocité, chez les hommes comme chez les femmes, les zones les plus favorables à la nuptialité, se sont déplacées du Sud-Ouest vers le Nord et le bassin parisien (à l’exception de Paris). Telles sont les données. Elles s’expliquent, on l’a vu, mais en partie seulement, par l’évolution du rapport de masculinité dans l’exode rural.
213L’analyse suivant le milieu de résidence a montré que les situations ont varié avec le temps. Du milieu rural, on peut penser qu’au xixe siècle, il se caractérisait par une nuptialité relativement précoce et intense, alors que nous constatons aujourd’hui que l’on s’y marie moins qu’ailleurs et plus tard. Des villes on dira, qu’à l’exception de l’agglomération parisienne, elles sont plutôt favorables à une nuptialité intense et précoce, et ceci d’autant plus qu’il s’agit de villes plus importantes.
214De Paris enfin, on retiendra qu’il se caractérise aujourd’hui par une nuptialité masculine très tardive (94e rang) et peu intense (69e rang), par une nuptialité féminine très faible (95e rang) et plutôt tardive (65e rang). Bref, les indices manifestent pour la capitale une situation très peu favorable à la nuptialité69. Mais les forts pourcentages de célibataires parisiens s’expliquent probablement plus par la difficulté de demeurer à Paris après le mariage que par la faible propension au mariage des Parisiens.
215L’analyse par département ruinerait donc, s’il en était besoin, l’idée qu’il existerait sur ce point pour chaque région des mœurs traditionnelles qui resteraient constantes.
216Dans le Midi-Pyrénées, au début du siècle, on se mariait plutôt jeune. Le Limousin était la région où la nuptialité était la plus précoce. Dans la région Nord, la nuptialité féminine était très en retard (61e rang). À Paris, l’intensité de la nuptialité masculine, aujourd’hui très forte, était, au début du [xxe] siècle, très faible. Tel département est passé d’un rang extrême à son opposé : par exemple la Creuse, département de la plus forte intensité pour les hommes en 1911, qui prend en 1968 la 89e place. Bref la situation s’est complètement transformée et l’idée d’une nuptialité spécifique et stable suivant les « ethnies », ne garde plus guère de valeur explicative, pour la nuptialité actuelle.
217Il existe certes encore de petits isolats où le facteur local reste sans doute déterminant, mais les cultures régionales et, pour ce qui nous intéresse, les modèles régionaux de nuptialité ne présentent plus aujourd’hui qu’une faible inertie.
218On a avancé, en présentant ces données, une seule hypothèse, de nature démographique, à savoir l’existence d’un déséquilibre entre les effectifs des sexes. Cette distorsion rend compte mais partiellement seulement de l’évolution de la nuptialité suivant les milieux de résidence et la distribution géographique. Elle permet de comprendre en particulier la situation en milieu rural, où le déséquilibre des effectifs favorise aujourd’hui la nuptialité féminine et gêne la nuptialité masculine. Mais comment expliquer par ce facteur la situation particulière de Paris où le rapport de masculinité dans le groupe 20-29 ans était en 1968 de 102,4 ?
219On peut avancer un autre type d’explication. La structure suivant la CSP de la population active, très différente suivant les régions, serait un facteur important des disparités observées. Encore faut-il d’abord tester une première hypothèse : la nuptialité ne différerait d’une région à l’autre qu’en raison des structures dissemblables de leurs populations actives. La disparité régionale se réduirait ainsi à des répartitions différentes suivant les catégories socioprofessionnelles, mais les indices de nuptialité par catégorie seraient partout les mêmes. Une analyse par département ne serait guère significative ici, surtout pour les départements à faible effectif. L’unité géographique retenue est la « zone d’étude et d’aménagement du territoire » (ZEAT). Le tableau 33 permet de comparer les indices de nuptialité par CSP suivant la ZEAT70.
Tableau 33. Indices de précocité et d’intensité par grande zone (ZEAT)(a)

Tableau 33. Suite

220L’intensité pour une même catégorie non agricole, varie peu d’une ZEAT à l’autre pour les hommes, mais davantage pour les femmes. Les écarts, au contraire, sont très importants dans les catégories agricoles (de 9 % à 25 %, par exemple, pour les exploitants). Ces différences tiennent sans doute au fait que cette catégorie recouvre, suivant la zone, des réalités socio-économiques très différentes.
221Beaucoup plus dispersés sont les indices de précocité du mariage, pour une même CSP. Le Nord se détache nettement avec une grande précocité, sauf pour les salariés agricoles. Mais les mariages les plus tardifs s’observent suivant les catégories, dans des régions différentes ; la Méditerranée pour les ouvriers qualifiés (M), les manœuvres (M + F), et les cadres moyens (M) ; le Centre-Est, pour les cadres supérieurs, les employés (M) et les agriculteurs (F). C’est surtout parmi les femmes inactives que s’observent les plus grands écarts. À 22 ans, 23 % sont encore célibataires dans le Nord, 52 % dans la région parisienne. Mais cette population comprend à la fois des inactives étudiantes et des inactives non étudiantes. Or, le comportement de ces deux groupes, du point de vue nuptialité, est opposé : là où la population féminine de 19 à 24 ans renferme une forte proportion d’étudiantes (Paris-Sud-Ouest) on observera, dans l’agrégat « femmes inactives » de 22 ans, un pourcentage de célibataires plus fort qu’ailleurs71.
222L’importance des écarts irréductibles à la structure socioprofessionnelle reste, en définitive, considérable pour l’indice de précocité. Rien d’étonnant dès lors que la neutralisation de l’effet de structure, par la méthode de la population-type, maintienne encore largement ouvert l’éventail des courbes72. Si l’on avait travaillé sur les régions de programme, plus petites que les ZEAT, l’effet de réduction aurait été sans doute plus marqué. De toutes façons, le tableau 33 interdisait de penser que l’on pût réduire considérablement le résidu des écarts interrégionaux.
223Il existe donc bien un facteur régional et l’on a vu que ce n’était pas l’inertie d’une tradition. Mais alors, en quoi consiste-t-il ? Il n’est pas possible de répondre d’une manière satisfaisante à cette question. L’analyse démographique en mettant en évidence les disparités entre départements ou catégories de communes repère un problème. Il ne lui appartient de la résoudre que très partiellement par le mécanisme du déséquilibre des effectifs suivant le sexe. Ce qui reste inexpliqué relève peut-être d’analyses économiques plus fines que celles qui ont été utilisées ici. Il n’est pas impossible en particulier que les taux d’activité féminine entre 18 et 25 ans jouent un rôle non négligeable. Mais d’autres facteurs plus qualitatifs, plus difficiles à cerner et à définir, pèsent sans doute aussi dans la détermination locale de l’intensité et de la précocité des mariages.
224La rigueur du contrôle social et la difficulté, très variable suivant les régions, de vivre en « union libre » n’est peut-être pas étrangère aux variations de la nuptialité. D’autres variables encore jouent sans doute un rôle réel, sans que l’on puisse toujours connaître, avec certitude si leur influence est partout la même : l’émancipation plus rapide des jeunes peut conduire ici à des mariages plus précoces, là à une nuptialité retardée.
225L’inventaire des explications pourrait se poursuivre. Mais une liste de conjectures constitue une suite d’aveux d’ignorance. Autant dire net : nous ne pourrons guère dépasser ici le constat et dans l’état actuel de nos connaissances, la raison pour laquelle l’employé du Nord se marie plus tôt que celui du Centre-Est ne nous est pas plus connue que celle qui fait que Pierre a épousé Paule.
Notes de bas de page
1 Cité par Maurice Halbwachs en tête de son article, Halbwachs, 1935.
2 Sur le temps de la « longue durée », voir Fernand Braudel, 1950 ; 1958, p. 725-753.
3 Statistique annuelle du mouvement de la population, année 1901, p. LXVI.
4 La mesure serait « parfaite » s’il n’existait ni mortalité différentielle ni migration différentielle entre célibataires, et non-célibataires. En fait, les biais introduit par ces phénomènes perturbateurs sont faibles.
5 La proportion de célibataires à un âge donné se note Cx, dans un groupe d’âges quinquennal donné Cx, x + 4.
6 Chasteland et Pressat, 1962, p. 219, note 3 et p. 227, note 2.
7 Du même auteur, voir aussi Festy, 1973. On retiendra surtout de ce dernier article l’importance du rapport de masculinité en Australie et en Nouvelle-Zélande dans la première moitié du xixe siècle.
8 On trouvera un exposé de la méthode utilisée par Hajnal dans la thèse de J. Duveau, Les catégories socioprofessionnelles devant le mariage, Paris, texte ronéoté, p. 16-25.
9 La formule utilisée est m (15 + 5 (P15-19 +.... + P45-49 -50 C50) où m est l’âge moyen au mariage et Px-x+4) la proportion de célibataires dans le groupe d’âges x, x + 4. Chasteland et Pressat, 1962, p. 220.
10 Dans cette formule, Px et Cx, x+4 désignent des pourcentages de célibataires. La proportion plus ou moins grande de non-célibataires dans le groupe 20-24 ans par exemple, ne dépend pas uniquement de la précocité de la nuptialité féminine mais aussi de son intensité finale. Pour une même proportion de non-célibataires, dans ce groupe d’âges, la précocité est plus grande, là où l’intensité finale de la nuptialité est plus faible.
11 Pour mesurer la précocité de la nuptialité au cours de la dernière décennie, on aurait pu utiliser la moyenne d’âge au mariage calculé sur l’ensemble des mariages célébrés une année donnée. Entre autres inconvénients, cette mesure est très sensible à la structure par âges. Ainsi, suivant cet indice la moyenne d’âge chez les hommes passerait de 26,2 ans à 24,5 ans entre 1958 et 1969. Il est certain qu’une part de cette baisse s’explique par l’arrivée à l’âge de la nuptialité des générations particulièrement fournies nées entre 1946 et 1950.
12 Sauf pour la France où les proportions de célibataires du numérateur et celle du dénominateur se rapportent au même groupe.
13 C’est là une des faiblesses de cet indice : un rajeunissement assez sensible de l’âge au mariage des femmes peut se traduire par une faible augmentation de non-célibataires dans le groupe d’âges 20-24 ans, la moyenne se déplaçant simplement à l’intérieur de ce groupe, de 23 ans à 22 ans par exemple. Il n’en va pas de même pour les hommes, car la proportion des mariés dans le groupe 25-29 ans est influencé par une nuptialité antérieure beaucoup plus importante.
14 L’âge médian au mariage y était de 24,7 ans pour les hommes et 20,4 ans pour les femmes en 1920. Il est passé en 1960 à 27,0 et 24,3 (Bogue, 1069, p. 322).
15 Pour les femmes pourtant, la Grande-Bretagne avait un âge moyen de 22,9 ans, pour 23,0 en France.
16 Cet indice a été mis au point par Louis Henry. On en trouvera un excellent exposé dans Matelar et Wunsch, 1967 ou encore dans Wunsch, 1968.
17 Pour l’étude de la nuptialité française à partir de la somme des premiers mariages réduits par génération, on consultera Nizard et Pressat, 1964, p. 1121 et sv. Les séries ont été prolongées jusqu’à la génération 1949 par Lamy, 1971.
18 En 1970, à 39 ans, les mariages cumulés étaient déjà de 8 398 pour les hommes et de 9 000 pour les femmes.
19 Prenons par exemple comme indice de précocité chez les femmes et
chez les hommes. On obtient en admettant une intensité finale, pour la génération 1946, de 93 % pour les hommes et de 95 % pour les femmes (valeurs limites), les valeurs suivantes :
Hommes : génération 1931 : 49,4 ; génération 1946 : 60,6
Femmes : génération 1931 : 54, ; génération 1946 : 61,2
20 Voir tableau II en annexe sur https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.34847/nkl.8419z9ns.
Ces données sont extraites d’un article (Van Houte Minet, 1968).
21 8 486 mariages sur 395 595.
22 Si l’âge moyen au mariage est de 28 ans pour les femmes et de 24 ans pour les hommes, la probabilité pour que le mariage ne soit pas rompu par veuvage avant 5 ans de durée est égale à , (pour les hommes) ×
(pour les femmes), et ainsi de suite. Une fois établie cette table d’extinction, l’espérance de durée de mariage se calcule comme une espérance de vie. Si la table est une table abrégée donnant les mariages subsistants de 5 ans en 5 ans, on obtient l’espérance par la formule :
23 Ces calculs ont été faits à partir des tables de mortalité du moment en estimant les âges moyens au mariage comme suit :
24 Dominique Maison a tout récemment calculé la table des unions subsistantes à l’anniversaire x du mariage en l’absence de divorce. Il utilise les tables de mortalité du moment 1966-1970. Il admet comme âge de mariage pour le mari 25 ans et pour la femme 23 ans. Compte tenu des différences d’hypothèses, les résultats sont très proches. Au 25e anniversaire, il trouve des unions subisistantes pour 8 874 dans nos calcules (Maison, 1974).
25 Les résultats de l’enquête montraient en particulier que 60 % des fils d’agriculteurs épousaient des filles d’agriculteurs, que 48 % des fils d’ouvriers épousaient des filles d’ouvriers. Pour les cadres supérieurs et professions libérales, le pourcentage correspondant était de 37 %.
26 Par la suite nous écrivons CSP communément admis [NdE]
27 Exactement 6 767 sur 21 370 soit 31,8 %, auxquels, il faut ajouter environ le tiers du pourcentage des pères inactifs, c’est-à-dire ayant pris leur retraite (9,5 % du total).
28 D’autant plus que 5 % d’entre elles sont mariées à des hommes inactifs, retraités, dont un certain nombre ont sans doute appartenu à la catégorie « cadres supérieurs ».
29 Nous laissons de côté le cas des femmes d’agriculteurs : 38 % d’entre elles se déclarent inactives ; il est peu vraisemblable qu’une si forte proportion ne prenne aucune part aux tâches de l’exploitation agricole. La déclaration « sans profession » signifie seulement qu’elles ne participent pas d’une manière régulière aux gros travaux.
30 La nomenclature des CSP (Catégories socioprofessionnelles) a été créée pour le recensement de 1954 par Jean Porte à l’issue de nombreuses consultations auprès d’acteurs économiques, politiques et scientifiques. Elle offre un classement des professions selon une analyse sociologique de pratiques sociales plutôt qu’une échelle hiérarchique des statuts sociaux. Elle a permis de nombreuses analyses sociodémographiques dont l’enquête Le choix du conjoint dirigé à par Alain Girard en 1959 est un exemple marquant. Inchangée pendant trente ans, elle est devenue celle des PCS (Professions et Catégories socioprofessionnelles) en 1982. Et a été rénovée en 2003 pour prendre en compte l’évolution des professions, le déclin de certaines métiers et l’apparition de nouvelles activités. Depuis 2020, des modifications ont été apportées en conformité avec les nomenclatures européennes [NdE]
31 Résultats des recensements 1926, 1931, 1936, 1946, 1954 (tome I, quatrième partie, État civil de la population active, voir en particulier le tableau I).
32 On trouvera un résumé des résultats de cette enquête dans Calot et Deville, 1971. Le rapport définitif a été rédigé par Deville, 1972.
33 Les résultats de ces recensements ne fournissent pas directement les données par CSP, mais ils croisent profession et statut. Une reconstitution très approximative est donc possible.
34 Le recensement de 1931 présente pour les agriculteurs des valeurs assez différentes de celles des recensements encadrant : la très forte intensité s’explique par le fait que les classes d’âges 40-49 ans étaient celles qui avaient été le plus touchées par les pertes de guerre. Il est probable que la génération des « successeurs » a été de ce fait amenée à s’établir plus précocement que la précédente et aussi à se marier plus jeune. On ne dispose pas de données comparables pour les recensements 1954 et 1962.
35 Sur le célibat des agriculteurs, voir l’excellent article de Jegouzo, 1972.
36 Nous reprenons ici, après les avoir complétées, des données déjà présentées dans Roussel, 1971.
37 Voir Pressat, 1969, p. 162 et 163. Le facteur correctif est le rapport à un âge donné entre mortalité générale et mortalité des célibataires. Entre 15 et 35 ans, âges qui nous intéressent particulièrement ici, la surmortalité des célibataires est très faible (S’x/Sx). Le facteur correctif peut donc être tenu pour négligeable.
38 Sur les conditions d’indépendance et de continuité, voir Henry, 1966. On se reportera aussi à Wunsch, 1968.
39 Ces deux âges 24 et 22 ans ont été choisis car ils correspondent approximativement aux âges médians en France (52 % des hommes mariés à 24 ans et 51 % des femmes mariées à 22 ans). La population des non-célibataires englobe tous ceux qui se sont mariés au moins une fois. Elle correspond donc bien aux indices recherchés : elle les mesure, aussi exactement qu’il est possible de le faire sans tenir compte des phénomènes perturbateurs de mortalité, de migrations et surtout de mobilité professionnelle.
40 Celles qui avaient entre 40 et 49 ans en 1968.
41 Dès maintenant, il faudrait faire ici des distinctions importantes. L’ouvrier des grosses exploitations agricoles, de Picardie par exemple, a un comportement beaucoup plus proche de celui du salarié urbain que de celui de l’ouvrier agricole du Centre.
42 Code 73 dans le tableau CS2 de l’Insee.
43 Duveau arrive à la même conclusion : il écrit « Si l’on s’en tient aux seules catégories socioprofessionnelles non agricoles, plus la situation des personnes dans la hiérarchie sociale est élevée, moins les mariages sont précoces, quel que soit le sexe » (Duveau, s.d., p. 77).
44 Il s’agit là d’étudiants occupant un emploi à temps complet. Il semble que depuis 1968, la proportion d’étudiants et d’étudiantes exerçant une activité professionnelle ait augmenté, en particulier au niveau de la licence et de la maîtrise. Il est vrai qu’il s’agit la plupart du temps d’emplois à temps partiel ou d’occupations provisoires.
45 Voir pour les valeurs absolues le tableau VI en annexe sur https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.34847/nkl.8419z9ns.
46 On tempérera néanmoins la valeur de ce raisonnement en observant que les femmes parcourent plus jeunes que les hommes le « cursus studiorum » à la fois parce qu’elles y entrent plus jeunes et parce qu’elles ne sont soumises à aucune obligation militaire.
47 Les femmes étudiantes représentent 36 % seulement des inactives du groupe d’âges 20-24 ans, tandis que les hommes étudiants comptent pour 55 % et qu’une bonne partie des 45 % restant soit 251 000 jeunes gens, fait partie du contingent.
48 Il rapporte, dans le groupe d’âges 15-64 ans, les femmes actives à l’ensemble des femmes. Les estimations sont celles qui résultent des données des recensements.
49 Pour 100 en 1954, l’indice est de 252 dans les cadres supérieurs, de 191 dans les cadres moyens, de 106 seulement pour les ouvriers.
50 Les tendances observées par Louis Roussel se sont prolongées de la fin du xxe siècle jusqu’à aujourd’hui. Le taux d’activité des femmes de 25 à 49 ans a crû de 60,7 % en 1975 à 84,5 % en 2023. En raison de l’allongement de la durée d’études, le taux d’activité des femmes de 15-24 ans a en revanche largement diminué, comme celui des hommes du même âge. Les femmes ont de plus en plus accès aux professions de cadres et professions intellectuelles supérieures dans un contexte où leur part dans l’emploi total a plus que doublé (8 % en 1982 et 19 % en 2019). Cependant, les hommes sont toujours majoritaires au sein de cette catégorie, même si la présence des femmes a doublé depuis 1982 (de 21 % à 42 % en 2019). Sources : Emploi, chômage, revenus du travail, Insee et Dares, 2024 ; Portrait des professions. Employés, ouvriers, cadres, artisans, agriculteurs, Insee Résultats, janvier 2021 [NdE].
51 Nous n’avons pas présenté de données pour les pays étrangers sur la nuptialité suivant la profession. Elles sont rares et difficilement comparables avec celles de la France, en raison des différences de nomenclatures. On citera pour le Royaume-Uni, le travail de Grebenik et Rowntree qui montre qu’à la fin du xixe siècle aussi bien que dans la période actuelle (1959-1960), la qualification entraîne un certain retard au mariage (Grebenik et Rowntree, 1964). La même conclusion s’impose pour les États-Unis (voir à ce sujet Bogue, 1969, p. 643).
52 Le rapport hommes de 25-29 ans/femmes de 20-24 ans est plutôt lié à la précocité ; le rapport hommes 20-44 ans/femmes 15-39 ans à l’intensité (Dixon, 1971, p. 222). Ruth Dixon fait aussi intervenir ce dernier rapport mais tel qu’il se présentait, dans ces générations, vingt ans plus tôt.
53 Le choix de ces deux groupes d’âges présente un inévitable arbitraire. Il permet pourtant une mesure approchée du déséquilibre.
54 Pour les femmes, parmi les plus diplômées, le célibat était plus élevé jusqu’aux années 1990. Resté stable pour cette catégorie, il s’est fortement développé parmi les femmes les moins diplômées, si bien que désormais, et contrairement aux résultats observés par Louis Roussel, l’échelle du taux de célibat selon le diplôme s’est totalement inversée chez les femmes. Chez les hommes, le célibat s’est développé dans tous les groupes, quoiqu’un peu moins nettement chez les non diplômés. Au total, en 2016, les taux de célibat par diplôme sont presque exactement identiques entre les deux sexes. Source : Bouchet-Valat, 2018, « Hypergamie et célibat selon le statut social en France depuis 1969 : une convergence entre femmes et hommes ? », Revue de l’OFCE, p. 5-45 [NdE].
55 Cette hypothèse pourrait se transposer dans une théorie sur la nuptialité différentielle, suivant les pays. La réussite spectaculaire du Japon a sans doute été facilitée par le vieillissement considérable de l’âge moyen au mariage ; 1930 : hommes 25,3 ans, femmes 21,1 ans ; 1960 : hommes 27,0 ans, femmes 24,3 ans. Une main-d’œuvre peu coûteuse et une épargne très active ont été ainsi dégagées.
56 Annuaire statistique de la France, 1931, p. 43 et 1952, p. 58-59. Pour 1970, les Statistiques universitaires (1969-1970) donnent 124, mais elles n’incluent pas les étudiants des universités parisiennes.
[NdE] En 2022-2023, 55,8 % des personnes inscrites dans l’enseignement supérieur sont des femmes. Source : « Scolarité, éducation et inégalités de destin », France, portrait social, Insee Références, 2023.
57 Un pareil renversement de la tendance s’est récemment produit aux États-Unis. La proportion des hommes et des femmes mariés avant 18 ans a très sensiblement baissé (voir sur ce point Parke et Glick, 1967). Par ailleurs, les âges médians au premier mariage qui étaient en 1959 de 22,5 ans pour les hommes et de 20,2 ans pour les femmes sont passés en 1970 respectivement à 23,2 ans et 20,8 ans (US Bureau of Census, Current Population Reports, série p. 20, no 223, Social and Economic Variations in Marriage, Divorce and Remarriage, 1967, 1971). Cette tendance s’est confirmée et amplifiée depuis 1967.
[NdE] L’inversion de tendance a lieu bien avant ce que prédit (à juste titre) Louis Roussel. De fait, elle était déjà en cours au moment où il écrivait sans doute ces lignes. En effet, l’âge moyen le plus bas de l’après-guerre est atteint en 1972 (25,9 ans pour les hommes et 23,7 ans pour les femmes), mais son augmentation n’est vraiment manifeste qu’à partir de 1975. En 2023, l’âge moyen du mariage continue de s’élever aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Source : Insee, statistiques de l’état civil.
58 Voir tableau X en annexe sur https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.34847/nkl.8419z9ns. La population rurale est celle qui réside dans des communes de moins de 2 000 habitants. Le tableau est extrait de la Statistique annuelle du mouvement de la population 1899-1900, p. XXI.
59 Statistique annuelle du mouvement de la population, 1901, t. 31, p. XL et XLI.
60 Statistique annuelle du mouvement de la population, 1901, t. 31, p. LXXIV.
61 Le classement est fourni dans le tableau IX en annexe sur https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.34847/nkl.8419z9ns.
62 Aujourd’hui Côtes-d’Armor ([NdE].
63 Statistique annuelle du Mouvement de la population, 1901, t. XXXI, p. XLII.
64 Le département de la Seine qui regroupait Paris, les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne a été supprimé en 1968. La Seine-et-Oise a été supprimée la même année [NdE].
65 On aurait pu choisir pour les hommes comme pour les femmes le même groupe d’âges. C’est en fonction de l’indice de précocité qu’on a retenu un décalage de cinq ans suivant le sexe. Le pourcentage de célibataires varie d’ailleurs fort peu entre ces deux groupes d’âges et le classement des intensités reste identique.
66 Bien que l’indice utilisé pour la période 1860-1862 soit différent, il n’est pas interdit de rapprocher les rangs obtenus à cette date de ceux de 1911.
68 La tendance à l’homogamie ethnique ou nationale limite dans une certaine mesure l’effet de cet appoint d’effectifs masculins.
69 La comparaison avec la situation antérieure est difficile en raison de la redistribution des départements de la région parisienne et il n’est pas possible d’assimiler l’ancienne Seine à Paris en raison de caractéristiques probablement très différentes du peuplement de la ville de Paris et de celui de sa banlieue proche.
70 On trouvera une analyse de la nuptialité par ZEAT dans Roussel, 1971b.
71 Au moment du recensement de 1962, le pourcentage de femmes encore scolarisées à 19 ans était de 30 % dans la région parisienne, de 38 % dans le Midi-Pyrénées, mais seulement de 17 % dans le Nord.
72 On a applique la méthode de la population-type. On a donné à toutes les ZEAT la même structure socioprofessionnelle, celle de la France entière : à 24 ans pour les hommes, l’écart entre les courbes extrêmes passe de 21 % à 15 % ; au même âge pour les femmes, la réduction est de 2 % (de 13 % à 11 %).
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