Chapitre 12
Père idéel, père idéal et père réel : la figure du père dans les contes bwa
p. 277-322
Texte intégral
‘Un yi yu ba sabia feni nɛ, ‘un bo han si bin : « Là où j’ai trouvé leurs mensonges, je les ai déposés là-bas. »
1C’est en ces termes que, généralement, le conteur boo1, à la fin de son conte, répond à ceux qui lui adressent leurs salutations pour ce voyage dans les pays de l’imaginaire (Dembélé, 1981). En effet, conter, c’est voyager et faire voyager l’auditoire. Il est donc normal qu’au sortir du conte, l’auditoire salue : « Fo/salut ! » ; et le conteur de répondre : « Là où j’ai trouvé leurs mensonges, je les ai déposés là-bas », car le conte navigue toujours entre réalité et mensonge. Il est mensonge, parce qu’il est une « fabrication » de l’imaginaire. On invente des personnages, des situations qu’on agence dans les règles de l’art (ce qu’en boomu on désigne comme « mensonges ») pour signifier une vérité sociale, une conduite sociale (Dembélé, 1981). Dans le cadre d’une réflexion sur l’expression des relations parentales, nous nous sommes penchés sur un corpus de contes enregistrés auprès de conteurs bwa2, afin de voir plus précisément comment l’imaginaire pouvait mettre en scène les idéaux et les faits à partir de la figure centrale qu’est le père dans cette société patrilinéaire. En commençant cette quête de la figure du père par cette réponse du conteur, nous voulons simplement signifier que nous aussi, nous allons voyager dans ce pays de l’imaginaire à travers les contes, nous allons naviguer entre mensonges et vérités, entre rêves et réalité, entre idéel (ce que nous dit l’idéologie), idéal (ce que demande et recommande la société en matière de parentalité) et réel (ce qu’est la figure du père telle qu’on peut l’observer aujourd’hui). Dix-huit contes3, sur les trente-neuf composant le corpus complet, ont été retenus parce qu’ils mettent en scène un aspect du rôle du père, et même si certains ne mettent pas directement en scène le père, ils présentent, parfois dans sa passivité, un aspect de la figure du père.
2Ces contes ont été produits par des conteurs qui appartiennent tous à la société bo4. Peuple n’ayant jamais connu de pouvoir central, les Bwa forment une société lignagère et agraire, vivant d’une agriculture vivrière essentiellement tournée vers la subsistance (mil, sorgho, arachides, sésame, etc. [Capron, 1973]). N’ayant construit ni empire ni royaume, les Bwa ont toujours vécu dans des villages dispersés à travers leur territoire, villages indépendants les uns des autres, chacun étant, en général, dirigé par un « chef de terre » et un chef administratif, assisté chacun d’un conseil. Si la famille élargie était, hier, l’unité de production et de consommation, la tendance aujourd’hui est à l’éclatement des structures familiales en cellules plus restreintes. Peuple d’agriculteurs, les Bwa travaillent leurs champs pendant l’hivernage (de mai à octobre) et se livrent à diverses célébrations (cultuelles et festives) pendant la saison dite sèche (de novembre à avril). Peuple sans écriture, les Bwa privilégient la communication orale et le conte, comme les proverbes et autres expressions imagées. Il s’agit d’une parole vécue comme « énonciation consciente proférée de manière spécifique, selon un art oratoire, dans le cadre d’une manifestation soumise à un certain degré de ritualisation » (Baumgardt et Derive, 2008, p. 17).
3Le conte (‘o’otinnu) est, avec le proverbe, le genre littéraire oral le plus prisé des Bwa. Comme le dit Alexis Dembélé (2010), il s’agit d’un mode d’expression de la pensée, un art et une littérature situés et donc à comprendre dans un contexte donné. Si tout le monde peut s’improviser conteur, il y a aussi chez les Bwa des spécialistes reconnus et sollicités pour leur talent, qui sont aussi bien des hommes que des femmes, des nobles que des forgerons5. L’exercice du conte prend place à un moment précis du calendrier, la saison sèche, et plus précisément la saison chaude, alors que tous les travaux de récoltes sont enfin terminés et que « tout le monde est rentré au village6 ». C’est alors que commence une autre vie, faite de fêtes, de cultes et d’activités artisanales. Avec la chaleur, c’est le moment des longues veillées autour d’un conteur et/ou d’une conteuse, veillées organisées ou improvisées, selon les circonstances7.
4Les contes, qui mettent aussi bien en scène des humains de diverses conditions que des animaux (le lièvre, la hyène, le python, le calao, le crapaud, le singe, le lion, la panthère, l’éléphant, etc. pour les plus fréquemment cité·es) et des génies (des eaux, de la brousse et des bas-fonds), sont parfois chantés et accompagnés par un instrument de musique, le ‘uanni (grand cordophone à huit cordes du type « kora ») quand c’est un cɛɓwɛ qui conte8, ou le ‘oro (petit cordophone à cinq cordes9), joué le plus souvent par un jeune agriculteur ou un jeune forgeron. Les autres conteurs se contentent d’un récit non accompagné de musique, mais comprenant quelquefois un refrain chanté. Les séances de contes ne sont jamais rétribuées parce que, socialement, elles participent de l’effort de chaque personne à contribuer au confort de toutes (chacune selon le don que Dieu lui a donné), ainsi qu’à la socialisation et à l’éducation de la communauté tout entière.
5Au-delà de l’aspect ludique, les contes sont des récits structurés avec des thèmes, des motifs, des figures et une logique propre (Görög-Karady et al., 1984 ; Paulme, 1976 ; Propp, 1928). Ils renvoient tous à la société telle qu’elle était hier (et peut-être, telle qu’elle est aujourd’hui), avec ses préoccupations propres qui sont relatives à la quête de la vie de chaque jour et aux enjeux qui viennent entraver ou compliquer cette quête. Au-delà de son aspect imaginatif, le conte parle de la société, de ses membres (hommes, femmes, enfants) avec leurs rapports (harmonieux ou conflictuels), avec leurs besoins (satisfaits ou non), avec leurs attentes. Bref, le conte pose les questions fondamentales qui sont des questions et des interrogations de partout et de toujours (Meyer, 1988 ; Calame-Griaule, 1987). Même lorsqu’ils mettent en scène des animaux et surtout lorsqu’ils font cela, les contes renvoient toujours à un code moral où le bien s’oppose au mal et le permis à l’interdit, tandis que le « socialement correct » s’oppose aux attitudes réprouvées par celles et ceux qui détiennent l’autorité de la société. Pour arriver à interpréter le conte, il faut donc, comme le dit Veronika Görog-Karady, « concurremment, recourir, et à l’étude des textes comme constructions signifiantes en soi, et à l’ethnologie pour éclairer le sens culturel, sans oublier de tenir compte des commentaires formulés par les intéressés eux-mêmes » (Görog-Karady et al., 1984, p. 207).
6Si un certain nombre de contes, essentiellement ludiques et de portée sociale peu perceptible, sont l’apanage des enfants, ceux dits par les adultes sont généralement fortement significatifs socialement (contes mythiques qui fondent des pratiques sociales et morales ou des institutions sociales ; contes moraux qui indiquent les pratiques sociales autorisées et légitimes ; contes emblématiques qui règlent le mariage et les rapports familiaux). Ainsi, comme nous allons le voir, les contes de notre corpus mettent en scène des relations parentales parfois excessives, obligeant à une réflexion toujours renouvelée sur la famille et le rôle des parents dans l’éducation et la formation de leurs enfants. On peut sans doute penser que l’initiation, peu importante chez les Bwa (Capron, 1973), est compensée par cette « formation permanente » que sont la leçon du conte et l’éducation de la vie au quotidien10.
7Parce que le père est simultanément le mari, l’époux, le veuf parfois, père biologique ou social, sa figure ne pourra jamais se « détacher » totalement de celles de la mère, de la femme, des enfants (filles et garçons), ces figures s’influençant mutuellement dans une lutte sans merci pour le contrôle de la famille ou des ressources matérielles et symboliques de cette dernière. Remarquons que les dix-huit contes du corpus, retenus pour leur pertinence dans le cadre de cette réflexion sur la figure paternelle, mettent en scène la seule famille restreinte (mono ou polygame)11, bien que la famille élargie soit le modèle dominant dans la zone d’étude (voir chapitres 2 et 3). Dans neuf d’entre eux, le père, la ou les mère(s) et un·e enfant ou plus sont présent·es. Mais généralement, la mère est plutôt passive et n’intervient pratiquement pas dans le cours de l’histoire, comme l’illustre l’analyse de la figure maternelle au chapitre 11. Les neuf autres contes (dont deux sont deux versions d’un même conte) mettent en scène un père seul et son, ou ses, enfant(s) (plus fréquemment des garçons que des filles).
8À la lecture de ces dix-huit contes, une remarque s’impose : excepté le conte 5 où le père est plutôt passif et le conte 21 où le père prévoyant arrange l’avenir de son fils, tous les autres récits présentent une confrontation, directe ou médiatisée, entre un père et sa progéniture. Si certains pères sont fiers de leurs enfants, ils sont également capables d’entraîner leur perte, du fait d’un orgueil démesuré, tandis que d’autres sont jaloux au point de vouloir leur malheur, voire leur mort. Les contes nous interpellent ainsi sur la famille elle-même : est-elle vraiment un havre de paix ? Les enfants sont-ils vraiment assurés de trouver auprès de leur père la garantie d’harmonie et de bien-être qu’est censée lui imposer sa fonction parentale ? La famille des contes, comme dans la réalité, est conduite à composer avec des situations parfois complexes de polygamie, à gérer la nombreuse progéniture ou l’infécondité du couple, à accepter le sexe de l’enfant, à supporter les rapports conflictuels à l’intérieur du foyer, à assumer les difficultés de l’éducation, etc. En tant que chef de famille, comment le père est-il représenté dans les contes de tradition orale, et que nous dit cette figure paternelle idéelle des attentes et des réalités concernant le père chez les Bwa ?
9Dans un premier temps, la figure paternelle sera explorée à partir des différentes facettes qu’en propose le corpus. Puis, nous nous pencherons sur l’idéologie familiale telle qu’elle peut être perçue chez les Bwa, avant d’en envisager les modifications telles qu’elles sont observables dans la société actuelle.
I. Le père idéel ou la figure idéel-logique du père
10Dans sa recherche sur « l’idéologie du conte chez les Bwa du Mali » , Paa’anuu Cyriaque Dembélé voulait mettre en valeur la vision du monde qui se profilait derrière le discours conté (Dembélé, 1981). Nous partons du principe que la vision du monde véhiculée par l’oralité, spécialement par les contes, est d’abord une vision « idéel-logique » ou simplement « idéologique », porteuse d’idées construites sans vraiment de rapport direct avec la réalité. Quelles sont donc les différentes figures de pères présentes dans notre corpus, et que nous disent-elles de la « part idéelle »12 ou idéologique ainsi révélée ? Nous pouvons les regrouper en cinq couples de pères.
1. Du père faible et indifférent au père jaloux de son fils
11Le conte 5 présente un foyer polygame dont chaque épouse a eu une fille, mais l’épouse mal aimée meurt, laissant sa fille Massira à la charge de sa coépouse. Les deux fillettes gardent ensemble le troupeau familial à l’orée du village. C’est là que les gens qui se rendent au marché les remarquent, admirant la beauté de l’orpheline au désespoir de l’autre qui, dans une complainte chantée, vient se plaindre auprès de sa mère car on dit que Massira est plus belle qu’elle. La réaction de la mère est à chaque fois plus violente : elle casse le bras de Massira, puis sa jambe et, pour finir, la frappe jusqu’à ce que mort s’ensuive. Dans toute cette histoire, si le père est présent, on ne le voit jamais réagir de façon vigoureuse. Il est vrai qu’il s’inquiète de l’état de sa fille, mais devant la réponse hargneuse de sa « femme bien aimée », il baisse toujours le ton et la laisse agir à sa guise jusqu’à l’instant fatidique.
12Le drame du foyer polygame est cette situation récurrente d’une épouse aimée d’un côté et d’une épouse détestée de l’autre. Les jalousies et mesquineries entre épouses rejaillissent sur les enfants. Une même situation est présentée dans le conte 38 où un père jaloux veut absolument empêcher son fils, né de l’épouse mal aimée, de réussir. Ce fils, prudent et économe, parvient cependant à monter un élevage de poules et, comme il le fait chaque fois avant de prendre toute décision, il demande l’avis de son père, malgré les réticences de sa mère. Le père jaloux, déçu que ce soit justement cet enfant-là qui prospère alors qu’il n’est pas son préféré, lui donne comme à son habitude le conseil qui devrait faire échouer son affaire. Mais à chaque fois, cela réussit plutôt à l’enfant jusqu’à la pointe finale du conte où le père recommande au garçon d’investir tous ses biens dans des herbes à tresser des couchettes sans grande valeur marchande. Par miracle, le feu de ces herbes guérit sa mère de la cécité et fait ainsi la fortune du jeune homme obéissant.
13Ces deux contes présentent ainsi, en quelque sorte, deux extrêmes dans cette relation entre un père et l’enfant de sa « femme détestée » : une figure de père soumis, impuissant et résigné face à la malfaisance de son épouse préférée, et un père jaloux de son propre fils parce qu’il est l’enfant de la femme détestée, les deux situations, bien que néfastes aux enfants, n’entraînant pas sur eux les mêmes conséquences. Comment est-il possible qu’un géniteur assiste impuissant à la maltraitance de sa fille sans réagir vigoureusement ? Comment se fait-il qu’un père soit tellement jaloux de son fils qu’il lui prodigue les conseils qui devraient entraîner son échec et sa perte ?
2. Du père désocialisant au père « gâteux et incestueux »
14Chez les Bwa, la socialisation de l’enfant revient d’abord aux parents avant d’être l’affaire de toute la communauté. Dans ce domaine, les rôles sont généralement partagés entre le père et la mère. Au père revient la première socialisation du garçon, et à la mère celle de la fille. Ceci est l’idéel, ce que veut nous faire croire le discours convenu ; mais peut-être que derrière ce discours, la pratique acceptée est autre.
15Dans le conte 7, un père ose demander à ses enfants de ne fréquenter personne et de vivre reclus, même après sa mort et celle de leur mère. Évidemment, les trois garçons cherchent à s’opposer à cette mise à l’écart et chacun va parvenir, en rusant, à se réaliser dans des activités, soit à la limite de la morale convenue (pour le benjamin qui use du mensonge jusqu’à faire fortune et trouver une femme), soit dans des activités non rémunératrices (pleurer les morts pour le cadet et chercher du bois de chauffe pour l’aîné). En désocialisant leurs enfants, les parents en ont fait des marginaux. Par quels artifices des parents peuvent-ils interdire à leurs enfants d’intégrer la communauté en participant chaque jour à ce qui fait sa vie ? Comment la morale boo peut-elle accepter que le mensonge et la mort soient source de profit ?
16Le conte 10 nous relate l’histoire d’un père qui a trois beaux-fils mariés, le plus jeune ayant une femme si belle qu’il décide de la lui prendre. Tout le monde le met en garde, mais il charge ses autres enfants du sale travail qui consiste à assassiner son jeune fils pour « libérer » son épouse pour lui-même. Les tentatives des aînés ayant échoué à cause de la femme qui a des pouvoirs magiques, le père prend alors les choses en main et décide d’empoisonner lui-même son benjamin. Cette dernière opération échoue encore à cause de la femme qui retourne le poison contre lui, en lui préparant à son tour un plat bien assaisonné. Le père meurt et, pendant ses funérailles, la femme le ressuscite pour lui faire la leçon devant tout le village. Nous sommes ici face à un cas de mélange des générations, fait dénoncé chez les Bwa13. Un père ne pourrait prétendre épouser une femme de la génération de ses fils, tout comme un jeune homme ne saurait épouser une femme qui pourrait être sa mère ; une telle prétention entrerait dans la catégorie des mariages prohibés. Alors, pourquoi un père se laisse-t-il ensorceler par la beauté au point de vouloir tuer son propre fils pour prendre sa femme ?
17Le conte 18 raconte l’histoire d’un couple qui donne naissance à une fille tellement belle que la mère décide qu’elle ne se mariera point, décision à laquelle son mari se soumet en construisant pour elle une suite de pièces où elle est séquestrée. Il faudra l’ingéniosité de deux garçons entreprenants pour parvenir à la séduire et à lui faire un enfant dans sa cellule de réclusion. C’est lorsqu’elle accouche que le père prend enfin les choses en main, réalisant son aveuglement. Il essaye alors d’introduire cet enfant né hors mariage dans un lignage en en recherchant le géniteur. Voici un père qui, par faiblesse ou par complicité, accepte passivement la proposition de sa femme de soustraire leur enfant au mariage sous prétexte d’une trop grande beauté. Ne sommes-nous pas encore ici dans une situation qui frise l’inceste ? En effet, en refusant la perspective de marier leur fille, ces parents ne se la réservent-ils pas d’une certaine façon ? Le sort commun à toutes les filles bwa est de se marier et nul n’a jamais entendu qu’une famille ait soustrait, pour quelque raison que ce soit, un·e enfant au mariage. Nous avons là l’idéel, le pensum social convenu : au commencement était le mariage… Alors, pourquoi ce père accepte-t-il la proposition de sa femme de garder leur fille sous leur propre toit ?
18Le conte 24 nous relate l’histoire troublante d’un foyer polygame où l’épouse bien aimée est celle qui arrive en seconde position. Les deux femmes ont chacune un garçon. Lorsqu’arrive l’âge de marier son premier fils, naturellement le père se met en quête d’un bon parti pour lui. C’est là qu’intervient l’épouse bien aimée qui somme son époux de donner la femme à son propre fils, le cadet. Celui-ci va ainsi se marier tandis que son grand frère est encore célibataire14. Ce dernier part alors à l’aventure et sur sa route, il rencontre le bousier, le perroquet et la tortue qui, tous, proposent de l’accompagner. Il arrive au bord d’un fleuve où il rencontre une vieille femme génie qui, après lui avoir fait subir des épreuves dont il se sort grâce à l’aide de ses compagnons, lui donne deux femmes et des richesses avec lesquelles il retourne dans son village. À la vue de tout cela, le cadet se révolte par jalousie, tue nuitamment sa propre femme et s’en va lui aussi sur les routes du monde. Il fait les mêmes rencontres, mais n’a pas les bonnes attitudes15. C’est ainsi qu’il s’en prend violemment à la vieille femme génie, refusant de suivre ses conseils. Sa cupidité va provoquer sa mort. Ici, le père se soumet à cette rivalité souvent constatée entre enfants de coépouses, exacerbée par la rivalité entre ces deux dernières. L’idéel chez les Bwa, ce que dit la tradition, c’est que l’aîné·e (garçon ou fille) se marie avant le cadet ou la cadette, et surtout que c’est le père qui cherche une femme pour chacun de ses enfants. Comment un père pourrait-il accepter de marier son cadet avant son fils aîné ? Ici, le père aurait-il peur de sa femme bien-aimée au point de céder à ses caprices les plus insensés, ou bien son attitude est-elle à comprendre comme le piétinement volontaire de la doxa coutumière, ce droit d’aînesse qui implique au cadet de n’être servi qu’après son aîné, à laquelle il cherche à s’opposer ?
3. Du père faible et permissif au père orgueilleux
19Dans la famille boo, nous l’avons dit, le père est celui qui éduque l’enfant, spécialement le garçon afin qu’il grandisse avec les normes sociales qui faciliteront son intégration à la communauté. Mais il peut arriver qu’on rencontre un père « indigne » ou, disons, faible. C’est le cas dans le conte 30 où un couple a un garçon unique dont il fait un enfant gâté. Toute demande de l’enfant est satisfaite jusqu’à ce qu’on lui procure, non sans difficulté, le tabouret fait d’or et de diamants qu’il réclame et dont il refuse ensuite de se séparer. Un jour, on a oublié le tabouret au champ et, au moment de prendre son repas, l’enfant s’en rend compte ; il refuse de manger sans son précieux siège. Ses parents lui conseillent d’attendre le lendemain, mais l’enfant capricieux ne peut patienter et part tout seul chercher le siège oublié au champ. Arrivé sur place, il trouve les génies de la brousse en pleine cérémonie de sacrifices, le chef des génies assis sur son tabouret. Bousculant tout le monde, il fait tomber le chef et se saisit de son précieux siège avant de prendre la fuite. Poursuivi par les génies, il retarde leur course en chantant une comptine qui les oblige à danser. Il procède ainsi jusqu’à leur échapper de justesse, promettant alors à ses parents qu’il ne sera désormais plus capricieux.
20Le conte 31 présente aussi un garçon auquel son père a offert toutes les opportunités possibles et qui veut quand même quitter sa famille pour découvrir le monde. En cours de route, il rencontre des situations insolites et merveilleuses. Il est invité à s’installer pour en profiter, mais veut continuer jusqu’au bout du monde comme il l’a décidé. Il finit par arriver dans un village où règnent une sorcière et sa fille. La première veut le manger, mais la seconde l’aide à s’échapper. Dans une dernière course, poursuivi par la sorcière, il parvient de justesse au village en disant de même à ses parents que désormais, il ne sera plus capricieux mais obéissant.
21L’idéel-logique chez les Bwa, ce sont des enfants obéissants qui respectent la parole parentale, qui font confiance à leurs parents. Comment se fait-il alors que ces enfants (uniques ou pas) soient « gâtés » par leurs parents ? Comment se fait-il que l’enfant aille chercher ailleurs ce qu’il peut avoir dans la maison paternelle ? Gâter l’enfant unique, est-ce une solution face au manque d’enfant dans la famille ?
22Le cas du conte 39 est assez cocasse. Voici un père orgueilleux, tellement riche qu’il ose construire une maison en tô16 et demander à ses enfants, après chaque repas, de dire en guise de remerciement : « Merci papa, tu es mieux que Dieu et Dieu est mieux que nous les enfants ». Son benjamin refuse, lui faisant remarquer chaque fois que ce n’est pas juste, mais il le fait pourchasser par ses frères. C’est ainsi qu’un jour, dans sa fuite, le garçon tombe dans un trou et parvient dans un lieu où il est pris pour le fils du roi qui vient de mourir. Il devient roi avec femmes et richesses. Pendant ce temps, le père qui a perdu tous ses biens, ses femmes et ses enfants, en est réduit à se nourrir d’excréments après avoir mangé sa maison en tô. Un jour, il tombe dans le trou où son benjamin était tombé et arrive dans cette nouvelle contrée dont son fils est désormais roi. Alors qu’il ne le reconnaît pas, son fils lui fait la leçon et finit par l’introniser à sa place, pour que les choses rentrent dans l’ordre. La place de Debwenu/Dieu chez les Bwa est prépondérante. Nul ne peut penser se réaliser sans son secours ; il est invoqué en toutes occasions. Le conte 13 (et le 14 qui en est une déclinaison) condamne de la même façon l’orgueil d’un père qui croit pouvoir se passer de Debwenu. Ce père arrogant, voyant ses quatre enfants désormais capables de cultiver pour nourrir la famille, cesse de travailler et se vante de pouvoir fixer le moment des récoltes sans en référer à Dieu ni aux ancêtres. Bien que mis en garde par son plus jeune fils (dans la deuxième version), il persiste dans l’erreur malgré la mort subite et successive de ses aînés. C’est au dernier moment qu’il se ravise et accepte de compter avec Debwenu.
23Si dans la réalité, on conçoit difficilement que les enfants se permettent de faire la leçon aux adultes, il en est tout autrement dans les contes et plus généralement dans la littérature orale. Un proverbe dit ainsi « On peut engendrer un enfant et danser au son de sa kora »17. Chez les Bwa, comme chez leurs voisins d’Afrique de l’Ouest, la sagesse est l’apanage des vieux, ceci est l’idéel. Cependant, nous voyons bien que dans la réalité « Quand la fourmi noire veut aller à sa perte, elle dit qu’elle se fait pousser les ailes et s’envole »18. Ceci pour dire qu’il n’y a pas d’âge, ni de condition, pour œuvrer à sa propre destruction.
4. Du père éducateur au père partenaire
24Le conte 11 (et le 12 qui en est une deuxième version) présente un père qui constate que son fils grandit avec la peur et tremble dès que la nuit tombe. Or dans les villages bwa, l’homme qui doit parfois aller en brousse la nuit (pour récolter du miel, chasser, etc.) est tenu d’être courageux et de braver la peur. Son père va donc l’éduquer en l’abandonnant tout seul dans la nuit en pleine brousse. Comble de malheur, dans la deuxième version, il n’a rien d’autre que son petit sifflet et les fantômes arrivent justement là où, effrayé, il s’est caché. Il est obligé de faire un geste de bravoure pour les écarter et se rend compte alors que la peur est partagée. Depuis ce jour, il n’a plus peur. Pour éduquer son enfant, le père l’a donc confronté tout seul à une situation type de peur, et le remède a été efficace.
25Dans le conte 20, nous avons affaire à une fille difficile, Dabi, qui dit qu’elle ne se mariera qu’avec celui qui arrivera à la faire parler. Son père et sa mère essayent de la raisonner en lui conseillant de se soumettre à la procédure normale du mariage, mais Dabi refuse ; elle persiste dans sa procédure personnelle et son père, compréhensif, lui laisse le choix. Malheureusement pour elle, c’est un lépreux qui parvient à la faire parler et ses parents, homme et femme de parole, l’obligent à respecter sa promesse. Elle monte alors en haut d’un rônier croyant que le lépreux ne pourra pas l’y rejoindre, mais ce dernier se met à grimper ; alors elle se jette à terre et devient du fonio. Le lépreux se jette à son tour et devient de l’oseille de Guinée (dah19). Est-ce un problème de socialisation ou un défaut d’éducation ? Il est certain que dans ce conte, le père de Dabi la laisse libre de choisir son futur mari comme elle l’entend. L’idéel-logique voudrait que ce soient les parents qui pilotent les procédures du choix d’un mari. Or, dans la réalité, les choses ne sont-elles pas beaucoup plus compliquées que cela ?
26Dans le conte 23, nous avons un lépreux qui, grâce à la bonté d’un rapace, accède au bonheur (guérison, richesse, mariage… il devient même chef de son propre village). Mais voilà qu’il met au monde lui aussi un fils unique et capricieux qui va entraîner sa perte. En effet, le rapace, en partant pour sa migration annuelle, lui confie son nid plein d’œufs. Or, l’enfant dit chaque matin qu’il ne veut rien d’autre que l’un des œufs du volatile mis à l’abri en haut du fromager du village. Comme son père est incapable de résister à ses caprices, malgré les remontrances des autres habitants, il finit par lui donner tous les œufs du rapace qui, à son retour, n’a d’autre solution que de punir le père indigne, le renvoyant à sa condition première : lépreux et dépouillé de tout.
5. La malédiction de la paternité comme rançon de la malhonnêteté ?
27Le conte 28 (ainsi que le 29) relate l’histoire des « enfants terribles ». Cette version est très proche du type étudié par Görög-Karady et ses collègues (1980) en milieu mandingue : elle débute par une course entre humains et animaux pour gagner la main de la plus belle fille des hommes. Le plus rapide des animaux (l’hippotrague) est exclu du concours ; le plus lent (le caméléon) ruse et gagne la course. Comme le caméléon ne peut pas coucher avec sa femme (elle refuse qu’il la touche), il va recourir à une astuce pour la féconder. Il s’accroche au plafond au-dessus d’elle pendant qu’elle écrase le mil et il urine dans la farine. La femme voyant la farine mouillée mange ces parties humides et tombe ainsi enceinte. Elle donne alors naissance à des jumeaux terribles : Porinabwè et Zè’è. Les enfants commencent par massacrer leur père, puis leur mère, avant de s’adonner à toutes sortes de méfaits. Chassés du village, ils roulent d’abord le chef dans la farine, puis s’en prennent à un forgeron dont ils percent les testicules atteints d’hydrocèle avant de lui faire tuer ses propres enfants. Ils se réfugient dans un fromager d’où ils sont sauvés par un épervier dont ils finissent par casser les ailes en plein vol. Ils s’écrasent alors sur le sol et la tortue qui les ressuscite est attrapée et tuée. Dieu les rappelle enfin à lui, mettant fin à leurs turpitudes sur Terre. Le conte dit que Porinabwè est le tonnerre et Zè’è le grondement qui apaise le tonnerre. Le conte en lui-même – qui est bien connu dans l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest – semble insensé, mettant en scène des événements invraisemblables dont la portée symbolique a fait l’objet d’études approfondies (Görög-Karady et al., 1980). La cruauté et la gratuité des méfaits des jumeaux sont assez étonnantes pour une société où l’enfant est éduqué·e avec beaucoup de rigueur et toujours dépendant de l’adulte.
28Quel discours « idéel-logique » se profile derrière ces contes ? Pour répondre aux différentes questions soulevées par ces récits mettant en scène des pères et leurs enfants, il faut explorer l’idéologie sociale telle qu’elle se présente dans cette société acéphale qui, bien que présentée comme prônant la communauté villageoise (Capron, 1973), est fortement attachée à la famille, lieu premier de toutes les décisions, depuis le champ économique jusqu’au politique en passant par le mariage, les choix religieux, la scolarisation des enfants, etc.
II. L’idéologie sociale boo : la famille comme microcosme
29Il nous faut donc entrer au cœur de la famille boo, de sa constitution (arrangements matrimoniaux) jusqu’aux rapports codifiés en son sein, en passant par la gestion du foyer polygamique, les codes des rapports entre coépouses, entre enfants de coépouses, etc. Il faut préciser dès maintenant que la famille boo s’insère toujours dans un lignage, fondé sur une règle de filiation patrilinéaire qui constitue, formellement, l’unité de parenté la plus large, mais aussi un référent sociopolitique majeur de l’organisation sociale (Hertrich, 1996, p. 49). On parlera de zun/maison20 pour désigner le lignage composé d’une ou plusieurs familles nucléaires/wara/foyer (un père, une ou plusieurs épouses et leurs enfants). Nous allons donc voir comment se construit un tel foyer, comment les enfants y sont accueillis et éduqués, les rapports au sein du foyer (la part idéologique) et confronter tout cela au discours idéel-logique du conte avant d’interroger les pratiques réelles dans la société boo aujourd’hui.
1. Du mariage/han denu à l’éducation des enfants/za ‘oroninu
30D’entrée de jeu, il faut préciser que le mariage, chez les Bwa comme chez leurs voisins, est fondamentalement une alliance nouée entre deux lignages, entre deux villages. Cette réalité va conditionner sa constitution et sa gestion domestique. Une fille ne choisit pas vraiment son époux, même si son avis est demandé. En réalité, c’est quand les parents constatent que rien de sérieux ne s’oppose à l’alliance (comme des problèmes de rivalité21, ou des problèmes liés à l’origine sociale22 du prétendant) qu’on peut consulter les divers niveaux de consentement. Ce sont des intermédiaires (griot ou forgeron) qui arrangent les affaires entre les deux familles. Aussi, les problèmes que pose le conte de Dabi la fille difficile (20) doivent être interprétés en fonction de cette réalité. Quels que soient les éléments qui entrent en ligne de compte, c’est quand même le père qui donne sa fille en mariage et qui cherche une femme pour son fils (Görog-Karady, 1997). Cette loi du père peut entrer en conflit avec le désir individuel de la fille, comme c’est le cas pour Dabi. Dans une société où les convenances de retenue exigent qu’une fille ne parle pas avec son prétendant, comment comprendre dans ce conte qu’une jeune fille veuille à tout prix se marier avec celui qui la fera parler ? Le conte dit clairement que c’est parce que Dabi a tenu à choisir son fiancé au travers des conditions fixées par elle-même qu’elle court à l’échec. Le projet de Dabi tourne court tout simplement parce qu’elle est une jeune femme dans un contexte où la suprématie des hommes – et parmi eux des anciens – ne peut être remise en question. Cette loi paternelle entre aussi en conflit avec le projet du père qui veut prendre la femme de son benjamin (conte 10). Ce projet n’a aucun sens parce qu’il piétine les règles basiques de l’alliance. Une génération B cherche femme pour la génération C, alors que la génération A a cherché femme pour la génération B ; « idéellement » et idéalement, c’est ainsi que tout devrait fonctionner. En faussant intentionnellement cette distribution normale des femmes entre générations, le père s’installe ici dans la situation de celui qui séquestre sa fille (Görög-Karaky, 1997), aux marges d’une situation socialement incestueuse.
31La polygamie n’est pas un idéal chez les Bwa, elle serait plutôt une sorte d’accident dans le parcours matrimonial d’un homme (Hertrich, 1996). En revanche, l’aporie des rapports conflictuels entre la femme détestée et la femme bien aimée reste constante. L’idéologie entretient l’idéel qui dit que la coépouse vivante maltraite toujours l’enfant de la coépouse décédée. La situation de la jeune Massira, dans le conte 5, est donc somme toute ordinaire. Dans une situation normale, l’éducation et l’entretien des enfants, surtout des petites filles, sont confiés à la femme. L’homme évite, autant que faire se peut, d’intervenir dans ce domaine. Ce qui arrive à Massira est donc normal ; ce qui l’est moins, c’est le degré de violence qu’elle subit, et le silence du père face à cette violence. Selon Veronika Görög-Karady (1997), la maternité est interprétée dans ce contexte ouest-africain comme le principe d’accomplissement du destin d’une femme. La voie royale de la reconnaissance sociale passe donc, pour les femmes, par une progéniture nombreuse. Dans un tel contexte, en situation de polygamie – et donc de rivalité –, chaque épouse est obligée de valoriser ses enfants au détriment de ceux de sa rivale (même décédée), surtout lorsque son enfant est unique.
32La quête de l’enfant à tout prix est plus précisément le sujet du conte 22 qui s’apparente à un chemin initiatique. Voici un homme qui n’arrive pas à avoir d’enfant avec sa femme et qui, au lieu de la répudier pour en épouser une autre ou d’en prendre une deuxième comme le suggère la tradition, s’évertue à en vouloir à tout prix avec elle. Le devin lui indique ce qu’il doit faire : sacrifier un fantôme sur le tronc d’un bocua23 (arbre au tronc blanc et pratiquement spongieux). Le fantôme capturé et sacrifié, le couple a un enfant, mais presque aussitôt le père décède, suivi de sa femme, laissant le nourrisson en pleurs et affamé. Les pleureuses remplissent la maison endeuillée et une femme courageuse part en quête de lait pour le bébé. Chaque personnage à qui la femme s’adresse lui fait une demande en retour : la vache exige des feuilles fraîches de fromager, le fromager souhaite qu’un pigeon vienne chanter dans ses branches, ce dernier demande un poisson et ainsi de suite jusqu’à la poule sans plumes qui aimerait obtenir du mil germé et séché. La femme pourra fournir cette denrée à la poule et satisfaire ainsi les « demandes successives »24 jusqu’à la vache qui, obtenant des feuilles de fromager, lui fournira du lait pour le bébé. Quand la femme revient avec la calebasse de lait, chaque pleureuse veut le goûter. C’est ainsi que le nourrisson n’aura pas de lait, mais Dieu lui donnera la chance de survivre quand même en tant qu’orphelin. Dans une autre version du conte, cette quête « initiatique » finit par la mort du nourrisson inaugurant l’entrée de la mort dans le monde. Ici, le nourrisson ne meurt pas, il survit pour témoigner que Dieu prend soin des orphelin·es.
33Le thème de l’orphelin·e est récurrent ; il suffit de voir le nombre de contes qui l’abordent (voir chapitre 10). Pourquoi l’orphelin·e est-il ou est-elle mal aimé·e, maltraité·e et exploité·e dans une société qui prétend avoir un grand souci de l’enfant ? C’est que l’orphelin·e est toujours soupçonné·e d’être responsable de la mort de ses parents. Les mauvais traitements sont une façon de lui faire payer la mort de ses parents. C’est pourquoi, selon la coutume, il était habituel que le bébé perdant sa mère à la naissance soit directement noyé ou étouffé sous la cuisse de sa mère décédée. Ce conte 22 nous dit ainsi qu’un·e orphelin·e qui vit, c’est seulement par la volonté de Dieu et non celle des humains qui ont tout fait pour qu’il ou elle meure (en buvant tout le lait qui lui était destiné après une si longue quête).
34Par rapport à l’éducation des enfants, comme nous l’avons dit, les rôles sont distribués entre le père et la mère. Si tous les enfants sont sous la responsabilité de la seule mère jusqu’à l’âge de raison, après, l’éducation des garçons revient au père et celle des filles à la mère. Selon l’idéologie ambiante, les enfants obéissent à leurs parents et c’est la condition de leur réussite dans la vie ; c’est la leçon du conte 38. Mais les contes nous disent aussi combien ce n’est pas si évident. Selon le conte 7, les enfants peuvent réussir en refusant les principes « désocialisants » prônés par leurs parents, et l’enfant peut même faire la leçon à ses parents (13, 39). S’il veut éduquer ses enfants, le père est obligé de composer avec eux (20, 31, 39). Même le père autoritaire du conte 7 n’arrive pas à retenir ses enfants. Les enfants n’écoutent pas toujours les parents ; ils n’en font, parfois, qu’à leur tête (7, 20, 30, 31, 39). Le cas atypique du conte 28 (des enfants terribles Porinabwè et Zè’è) pose question dans un contexte social où l’on ne connaît pas la gratuité du mal. Le mal qui arrive à quelqu’un est toujours la rançon d’un comportement déviant, or ces jumeaux qui sèment le mal gratuitement autour d’eux sortent des codes moraux. L’origine et la façon dont les jumeaux sont « rapatriés » montrent bien qu’ils ne font pas partie du monde des humains, ils sont du côté des êtres surnaturels ou des dieux, et leurs actions relèvent d’un « caprice des dieux » qui reste une énigme pour les humains.
35Le conte 21 montre cependant le cas d’un père prévoyant qui confie son enfant à divers animaux susceptibles de l’aider face aux puissants qui veulent abuser de sa faiblesse. Avec l’aide de ces animaux, le garçon arrive à se tirer d’affaire face au lépreux et au chef de canton qui voulaient le spolier et le tuer. Dans une société où la prévoyance relève d’une équation à plusieurs inconnues, où généralement les enfants n’héritent que de parcelles de champs ou, à la limite, de quelques têtes de moutons, l’attitude de ce père prévoyant et préparant l’avenir de son fils est déroutante. Le lépreux, du fait de sa maladie très handicapante et « désocialisante », est toujours dans les contes du côté des humains malfaisants, intrigants et jaloux, en position de servilité vis-à-vis d’un chef de canton malhonnête. Cette maladie fait peur, au même titre que la folie ou d’autres maladies « désocialisantes ».
36Articulée avec le mariage, l’éducation des enfants apparaît comme un défi à relever. Les contes semblent pousser l’auditoire à s’interroger, non seulement sur l’apport de la tradition pour vivre aujourd’hui, mais aussi sur l’urgence de faire preuve de sagesse et d’inventivité pour traiter des situations concrètes, souvent inédites. Les seules attitudes consistant à approuver, défendre ou réfuter ce qui est présenté comme « la tradition », ne sont pas suffisantes. Ce que les parents prévoient pour leurs enfants ne correspond pas toujours aux désirs de ces derniers, notamment quand il s’agit de leurs choix matrimoniaux ou de la préparation de leur avenir. Vouloir faire correspondre l’autorité des uns à la seule obéissance des autres est une attitude insuffisante, voire critiquable. Le conte suggère-t-il le dialogue, en tant que valeur incontournable dans une société où la liberté individuelle semble si importante ? En tout état de cause, les contes dévoilent comment la liberté de chacun et chacune, reliée aux caprices, à la méchanceté et à la déraison, vient sans cesse bousculer la tradition et la gestion des institutions sociales, même quand on se réfère à Dieu/Debwenu. On peut d’ailleurs se demander si le Dieu/Debwenu des Bwa n’est pas différent de celui dont il est question dans leurs contes.
2. Le Dieu/Debwenu des Bwa et celui des contes
37Le Dieu des Bwa, Debwenu, est un Dieu créateur, propriétaire de toutes choses, dont on invoque régulièrement le nom. C’est un être provident mais qui peut être méchant, rancunier ou indifférent comme le dit ce proverbe : « Si ton défenseur est Dieu, quand il arrive, tu auras beaucoup souffert25 ». Do est le principe qui unit tous les Bwa, son culte existe dans chaque village sauf quand il n’y a pas de forge. Plusieurs autres autels, dévoilant la croyance en des êtres invisibles, esprits et autres génies, permettent d’imaginer le panthéon boo (Capron, 1988). Si les ancêtres ou les autels dédiés à la chasse sont présents dans les contes, il est rare que Debwenu y soit mis en scène. Dans le conte 39, un père de famille ose se comparer à Debwenu et demande à ses enfants de le remercier après chaque repas en ces termes : « tu es mieux que Debwenu… ». Son plus jeune fils refuse cette injonction paternelle et, dans sa fuite, tombe dans le « trou26 » qui fait son bonheur. Le père trop présomptueux tombe évidemment dans la misère et finit par retrouver son fils qui lui fait la leçon en imposant le respect de l’ordre. Dans le conte 13, le père orgueilleux qui, parce qu’il a une progéniture nombreuse qui travaille pour lui, ne tient plus compte de Debwenu ni des ancêtres, subit les conséquences de son attitude. Sur les conseils de son cadet, il revient à de meilleurs sentiments à la dernière minute. Quel sens donner à ces situations où ce sont les enfants qui donnent la leçon de spiritualité à un père trop orgueilleux ? Dans une société où la femme et l’enfant n’ont pratiquement aucune responsabilité cultuelle, chaque père de famille peut prétendre au statut d’officiant lors des cultes domestiques et assumer cette responsabilité pour l’ensemble de la famille. Pourrait-il pour autant s’estimer supérieur aux entités spirituelles elles-mêmes ?
38Qu’un père se prétende au-dessus de Debwenu ou refuse de le compter dans son quotidien est sûrement une parabole « idéel-logique » pour dire ce qui ne risque pas d’arriver. L’anti-père des contes 13 et 39 est proposé dans ses échecs pour éduquer à ce qui doit être la réalité sociale : un père respectueux qui s’en remet à Debwenu et aux ancêtres dans tout ce qu’il entreprend et fait.
39La figure du père qui émerge de notre corpus, c’est d’abord et surtout celle du « mauvais père » qui laisse maltraiter sa fille par faiblesse pour sa femme bien-aimée (5), un père « désocialisant » qui voudrait empêcher ses enfants de s’intégrer à la société (7, 18, 24, 39), un « père désocialisé » lui-même qui tente de mélanger les générations en voulant à tout prix épouser la femme de son plus jeune fils (10). Ce « mauvais père27 », ignorant évidemment les prescriptions de Debwenu et celles de ses ancêtres, est orgueilleux, prétentieux (39), irrévérencieux (13, 14), faible face à sa femme bien-aimée (5, 20, 24). Si, comme le dit Veronika Görög-Karady (1994), chez les Bambara, la jeune fille en âge de se marier est plus un enjeu qu’un sujet luttant pour réaliser son destin, la réalité chez les Bwa est toute autre : on a l’impression que le père (et sa femme parfois) laisse la jeune fille choisir, sachant qu’elle va échouer (20). La même liberté est laissée au garçon qui échoue lui aussi bien souvent (23, 30, 31). Le père serait-il dans les contes celui qui, tel un homme moderne ou éclairé, dialogue avec ses enfants et leur aménage un espace de liberté dans une société formatée par la loi des hommes et des aîné·es ? Rien n’est moins sûr. La figure du père est enfin celle du « bon père » qui éduque par l’action au lieu du discours (11, 12) et qui, contrairement à la tradition, assume sa stérilité et y trouve un remède (22), supporte les caprices de son fils unique (23) et, avant de mourir, prépare son fils à affronter les réalités de la vie (21).
40Cette présentation « idéel-logique » du « bon père » tranche franchement avec le rôle joué par le « mauvais père », mais peut-être faut-il comprendre qu’être père chez les Bwa n’est pas une sinécure, et que le rôle oscille constamment entre deux pôles extrêmes dont il faut maîtriser le juste milieu. D’hier à aujourd’hui, la société est passée par bien des convulsions et il n’est pas évident que la figure du père d’hier soit encore d’actualité.
III. D’hier à aujourd’hui : la figure du père chez les Bwa
41L’environnement familial est complexe et, à l’intérieur de ce « complexe qu’est la famille », les individus développent diverses stratégies en fonction du moment, dans leurs rapports les uns aux autres. Les contes sont des récits intemporels, dont les conteurs – comme nous le rappelle la formule citée en exergue – ne font que reprendre la trame, nous dévoilant des figures paternelles datant de périodes anciennes (ou l’on utilisait encore les cauris comme monnaie d’échange, conte 38), voire mythiques (où l’on voit les humains et les animaux communiquer comme dans le conte 28). Les contes, malgré leur actualité, parlent de temps très reculés, hors du temps. Nous sommes partis du présupposé qu’un discours « idéel-logique » contenu dans le conte est porteur d’une idéologie (Dembélé, 1981), reflet des règles que les membres d’une société se donnent pour vivre ensemble (Calame-Griaule, 2006). Mais la société d’hier n’est plus celle d’aujourd’hui. La figure du père a sûrement changé et c’est ce que nous allons tenter de mettre en évidence.
1. Mariage, famille et éducation aujourd’hui chez les Bwa
42Hier comme aujourd’hui, chez les Bwa, le consentement au mariage se présente comme une sorte de compromis entre la loi du père, la volonté de la fille et l’honneur du lignage. Si chacun·e – spécialement la fille de la maison – est appelé·e à faire des compromis pour nouer ou préserver les alliances, la loi du père et l’honneur du lignage s’imposent-ils encore aujourd’hui ? Difficilement ! Si hier, les parents décidaient souvent très tôt du mariage de leur fille, les recherches les plus récentes affirment que « depuis les années 1990, les femmes du Sud-Est malien se marient majoritairement de leur propre initiative, et n’attendent plus nécessairement un accord préalable de leur famille » (Hertrich et Lesclingand, 2012). Si le choix du conjoint peut apparaître comme l’un des enjeux primordiaux du mariage et si les négociations autour de la question dévoilent le caractère conflictuel, avec parfois des avantages pour la fille, on peut constater aujourd’hui combien les migrations saisonnières, tendant la société à banaliser la grossesse extraconjugale, ont accru la capacité de négociation des filles. Les jeunes filles se sont pratiquement émancipées de la tutelle de leur père qui reste désormais celui qui accrédite, répare et régularise des situations tacitement engagées ailleurs, spécialement en ville. Sur ce point, le discours (idéel-logique) du conte est bien ce qui se joue encore aujourd’hui ; les pères sont incapables de s’imposer à leurs filles quand il est question du choix du conjoint.
43Quant à la polygamie, elle aussi reste une constante, le nombre de polygames restant relativement bas, avec une grande diversité dans les motivations comme dans la pratique au quotidien. Elle reste majoritairement tributaire des « accidents domestiques » (une femme imposée à un fils trop jeune, un frère qui décède laissant une veuve, une épouse qui abandonne le domicile conjugal un moment et qui revient plus tard alors que l’homme a épousé une nouvelle femme, etc.). En effet, les impératifs de la modernité, les nouvelles formes de consommation, les coûts de plus en plus prohibitifs du mariage, etc., tout cela fait qu’une certaine frange de la jeune génération ne prise pas particulièrement la polygamie. Cependant, aujourd’hui comme hier, en régime de polygamie, il y a généralement une « épouse préférée » et une « épouse mal aimée », et cette situation conduit bien souvent aux impasses relatées dans les contes.
2. Le « bon père » et le « mauvais père » aujourd’hui ?
44Le « mauvais père » est-il celui qui laisse maltraiter son enfant par sa marâtre ? Comme nous l’avons dit, « l’anti-exemple » de Massira (5) ne stigmatise pas directement le père, mais dit ce que peut devenir un père pris dans les « rets » de la polygamie. Ce sont les malheurs qui s’accumulent sur la pauvre orpheline qui importent au conteur, et non l’attitude passive du père. Le mauvais père, n’est-ce pas plutôt celui qui empêche la socialisation de ses enfants (7, 10, 24, 30, 38, 39) ou qui voudrait déserter sa génération pour retourner en « jeunesse/yaromu » ? Dans la société boo, malgré les turbulences apportées par la modernité, on reste attaché à une certaine vie communautaire et serait vraiment banni celui qui voudrait empêcher ses enfants ou ses parents d’intégrer la communauté (familiale, villageoise ou autre). Les jeunes ne pardonnent pas à celui qui refuse son âge et voudrait, par exemple, cumuler deux « jeunesses/yaromu ». On se moque de l’adulte qui voudrait jouer au « jeune/yaro » ou à la « jeune/yaro », autant que du jeune ou de la jeune qui voudrait jouer à l’adulte avant l’heure. On aime bien que chacun·e sache rester à sa place. Le mauvais père serait-il enfin celui qui gâte ses enfants et refuse de donner sa fille en mariage (18, 30) ? Dans une société où survivre est au prix fort, celui qui ne forme pas ses enfants à l’endurance, au travail, à l’honneur, à la résistance physique et psychologique, les prépare à une vie ratée (Diarra, 2008). Quand on voit comment la force physique est exaltée chez les Bwa encore aujourd’hui, malgré la disparition progressive de la lutte et autres sports de combat autrefois valorisés, on soupçonne que l’excellence de l’éducation des garçons tourne autour de l’endurance, la résistance physique et l’éloge du corps. Alors, un père peut-il éduquer et être jaloux de son fils au point de l’induire en erreur ? La rivalité père/fils est le pendant de la rivalité marâtre/fille dans le foyer polygame. Les exemples extrêmes de la marâtre qui massacre la fille de sa coépouse décédée, dans l’indifférence du père, et celui du père qui jalouse son fils né de son épouse détestée posent fondamentalement le problème des rapports parentaux au sein du foyer polygame. En effet, les enfants qui subissent ne sont que les victimes d’un courroux entre adultes, qui n’est pas dirigé prioritairement contre eux.
45Chez les Bwa d’aujourd’hui, le « bon père » est celui qui affranchit son fils de la peur (11, 12), qui laisse sa fille libre de choisir son mari (20) et prépare l’avenir de son enfant (21). Dans les mondes des Bwa d’aujourd’hui, où les jeunes ont soif d’inconnu, de réussite et de liberté, le père idéal est celui qui les éduque à la découverte de la liberté intérieure et lointaine. Les migrations généralisées des jeunes Bwa (garçons et filles) vers les villes du Mali sont généralement négociées avec les parents qui donnent leur quitus pour que les enfants de la famille partent à l’aventure (voir chapitre 8). De plus en plus de jeunes du Bwatun partent vers les villes pour travailler, et on voit des jeunes filles qui, soit, s’y mettent en couple, soit en reviennent enceintes. Les parents au village doivent alors chercher une solution, soit en acceptant de laisser leur fille épouser le père de son enfant, soit en la cédant à celui qui accepte la situation, même s’il n’est pas le parti qu’ils espéraient. Le bon père aujourd’hui est celui qui accepte désormais cet espace de liberté acquis par les migrantes et les migrants en rupture avec la loi des aîné·es (Görög-Karady, 1997).
46D’hier à aujourd’hui, le « bon père » et le « mauvais père » ne sont pas très différents des figures paternelles mises en valeur dans les contes. Pouvait-il en être autrement ? Au départ, nous avons pensé que les mutations vécues par la société boo, depuis sa rencontre avec le monde occidental, feraient que la figure du père évoluerait radicalement, mais il semble que non. Nous pensons plutôt que les contes sont des paraboles qui ont formalisé ce que le mariage doit être et ce qu’il ne doit pas être ; ce que les rapports père/enfants doivent être et ce qu’ils ne doivent pas être ; ce qu’une famille doit être et ce qu’elle ne doit pas être.
Conclusion
47Notre projet était initialement la quête de la figure du père dans les contes bwa. Nous sommes partis du postulat que le conte est d’abord un discours qui signifie, ce que nous avons appelé l’idéel (idéel-logique), et que ce discours, parce qu’il est prononcé dans un contexte précis, est porteur d’un idéal (ce qui devrait être), mais qui ne l’est pas toujours (le réel). Nous avons travaillé sur dix-huit contes dont deux pour lesquels nous avons deux versions. Tous ces contes relatent des « histoires familiales », comme si le père ne se réalisait comme homme que dans la famille. Ses rapports à ses fils sont directs, alors qu’avec ses filles les relations sont plus réservées, discrètes, parfois portées par la mère puisque transitant par cette dernière.
48Le conte, tout en divertissant, éduque, met en garde, construit les rapports sociaux. Cette vertu du conte, à savoir sa capacité à faire aller ensemble mensonge (le cadre formel du conte, la trame du récit) et vérité (la leçon portée par le conte), imagination et réalité sociale, en fait un incubateur des problèmes et des solutions propres à toute société. Notre voyage à travers ces dix-huit contes nous a permis de mettre au jour la réalité de la figure du père chez les Bwa. Si le « bon père » est celui qui éduque ses enfants selon l’ordre social (selon les repères éducatifs que la société tient pour normes), il n’est pas comme le père mis en scène, dans les contes, qui est vantard, irrévérencieux par rapport aux « dieux », etc. Dans une société où la loi du père et de l’aîné tend à être remise en question, la figure du père est quelque peu brouillée. Le « bon père » est-il réellement celui qui laisse des espaces de liberté à ses enfants, surtout les filles qui s’en vont en ville travailler pour mieux se choisir un mari ? N’est-il pas plutôt ce père qui voudrait empêcher ses enfants d’affronter un monde difficile en les retenant au sein de la famille (7) ? Aujourd’hui, dans le Bwatun/pays des Bwa, le choix n’est pas simple. Les pères, de plus en plus dépassés par les apports de la modernité, débordés par leurs enfants qui vont découvrir ailleurs un monde qu’ils comprennent peu, ne savent plus où sont le « bien » et le « mal » ; ils découvrent chaque jour que les valeurs qu’ils tenaient pour vraies sont discutables, voire dévalorisées et remplacées par d’autres. Enfin, comme le dit le conteur à la fin de son récit, « Là où nous avons trouvé leurs mensonges, nous les posons là-bas28 » : nous espérons n’avoir pas trop trahi cette vérité que nos aïeux ont voulu faire passer dans ces contes !
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Singulier de bwa.
2 Au masculin car la grande majorité sont des hommes (36 sur 39). Voir le chapitre 1 et l’introduction du chapitre 10 pour des indications complémentaires sur l’enquête et ce corpus.
3 Les résumés de ces contes sont donnés en annexe de l’ouvrage.
4 Pour une présentation un peu plus détaillée des Bwa et de la société boo, on lira avec profit (Dembélé, 2010, p. 81-99 ; Diarra, 2008, p. 33-42 ; Hertrich, 1996, p. 17-60 ; Leguy, 2001, p. 19-49). L’intérêt de ces multiples présentations du pays des Bwa, le Bwatun, est que chaque présentation, en fonction du projet de l’auteur, met l’accent sur tel ou tel aspect sans exclure les autres. Voir également le chapitre 1 pour une présentation de la zone d’enquête du programme DyPE.
5 On ne rencontre presque pas de griots conteurs, peut-être parce que leur rôle social est d’abord de servir d’intermédiaire lors des demandes en mariage, des demandes de pardon entre belligérants et autres commissions.
6 Au début de l’hivernage, les gens vivent pratiquement « en brousse ». Après les travaux champêtres et les récoltes, ils « rentrent au village » où ils vont passer le plus clair du temps en célébrations et festivités.
7 Rappelons que les contes du corpus ont été enregistrés en situation ordinaire lors de veillées villageoises organisées à la demande des techniciens de Radio Parana, dans différents villages de la région, auprès de conteurs et conteuses réputés ou dont on leur signalait le talent et qui acceptaient d’être enregistré·es pour passer à la radio ensuite (voir chapitre 10).
8 La personne appelée cɛɓwɛ, qui conte en jouant du ‘uanni, est souvent un forgeron. Spécialisée dans cette pratique, elle est sollicitée pour accompagner les fêtes de mariage et autres manifestations festives. Une majorité des conteurs enregistrés par Radio Parana sont des cɛɓwɛ bien connus dans la région.
9 Le ‘oro compte parfois plus de cordes, jusqu’à huit, selon le répertoire de ce qu’on veut chanter.
10 On peut lire à ce sujet l’argumentaire que fait Alexis Dembélé sur les « contes et mythes », spécialement chez les Bwa (Dembélé, 2010).
11 Suzanne Platiel remarquait de même, chez les San du Burkina Faso, l’absence de la famille élargie dans les contes (Platiel, 1981).
12 Dans l’introduction de son article « La part idéelle du réel. Essai sur l’idéologie », Maurice Godelier fait remarquer que deux thèses caricaturales s’affrontent dans le vieux débat sur les rapports entre les idées et les réalités sociales : soit nous disons que ce sont les idées qui mènent le monde parce qu’elles façonnent à l’origine les réalités sociales et poussent les sociétés et leur histoire dans un certain sens pour longtemps ; soit nous concevons qu’une société ne se réduit pas aux idées que ses membres peuvent s’en faire. Les réalités matérielles auraient le primat sur les idées et participeraient aussi efficacement de la structuration et restructuration de la réalité sociale (Godelier, 1978).
13 Contrairement à ce qui peut être observé dans certaines sociétés voisines où l’on peut voir un homme d’âge mûr épouser une jeune fille, les Bwa n’apprécient pas qu’on trouble ainsi les différences entre générations.
14 Idéalement, l’ordre de naissance détermine l’ordre des mariages. Un jeune homme qui voit ses cadets prendre femme avant lui a en quelque sorte « laissé passer son tour » et doit chercher lui-même une épouse s’il ne veut pas rester célibataire (Leguy, 2014).
15 On retrouve ici le motif initiatique des deux cheminements parallèles bien étudié par Calame-Griaule dans le Conte des deux filles (1987), mais au masculin.
16 Le tô (en bamanankan, do en boomu) est la nourriture de base des Bwa. Fait à partir de farine de mil, parfois de maïs, il se mange avec diverses sauces aux feuilles de baobab, gombo ou feuilles de haricot et autres. Le tô est une nourriture sacrée pour les Bwa, on doit le respecter comme on respecterait une personne humaine.
17 Nuu we te zo ‘a lo ɲan ɓwɛ ‘uanni ‘a ‘o yo.
18 Hɛ’ɛ-yuo yi hua mi ɲun-yare na, to lo lo mi sɛ vara ‘a ye.
19 Dans l’imaginaire boo, fonio et oseille sont semés ensemble dans le même champ, et sont donc toujours associés, l’image signifiant ici que l’homme et la femme sont toujours associés et faits pour vivre ensemble.
20 Voir le détail dans le chapitre 1.
21 Certains lignages sont considérés comme « rivaux » (on les désigne du terme de bayare en boomu), souvent du fait d’une ancienne rivalité matrimoniale. Il est généralement impossible d’épouser un membre d’un lignage rival.
22 Forgerons et griots forment des groupes endogames et les agriculteurs, considérés comme « nobles », ne sauraient prendre femme dans ces catégories sociales sous peine de déchéance. Certains lignages sont également connus pour être de condition inférieure (descendant·es d’esclave par exemple). Ces distinctions ancestrales sont toujours d’actualité en zone rurale. Viennent s’y combiner aujourd’hui des distinctions religieuses, une famille de chrétiens pouvant, par exemple, refuser que leur fille épouse un garçon non baptisé.
23 Sterculia setigera (Del.).
24 Voir le chapitre concernant le thème des « échanges successifs » dans Paulme, 1976, p. 138-164.
25 ‘O ferona yi ‘a Debwenu li ta bwe ‘a nuu ɲan ‘o.
26 Comme souvent dans les contes, ce trou est comme une porte vers un monde souterrain idéal.
27 Dans le chapitre 11 nous avons pu voir à partir du même corpus de contes bwa combien la figure maternelle telle qu’elle est mise en scène dans la littérature orale est fondamentalement néfaste à l’éducation de l’enfant, voir chapitre 11.
28 ’Un yi yu ba sabia feni nɛ ‘un bo han si bin.
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