Chapitre III
La population et l'économie après la révolution de Meiji
p. 43-118
Texte intégral
I. Politique fondamentale du gouvernement de Meiji
1. Prospérité nationale et puissance militaire
1Le gouvernement de Meiji, après l'effondrement du régime shôgunal, assura la liberté du commerce avec l'étranger. Cependant, le Japon de cette époque était essentiellement agricole et l'industrie, peu développée, en était encore au stade artisanal. Placé dans une situation extrêmement défavorable vis-à-vis des pays capitalistes occidentaux, le Japon se vit dans l'obligation d'établir d'urgence un système d'économie capitaliste lui permettant de traiter avec eux sur des bases égalitaires. Comme mentionné dans le chapitre I, le gouvernement de Meiji s'efforça de développer ce régime aux dépens des paysans, et d'accorder aux capitalistes privés une aide importante. Par ailleurs, le développement des forces militaires, sous ce régime, avait d'abord pour but de maintenir l'ordre à l'intérieur du pays et d'étouffer les révoltes paysannes. Cependant, la défense nationale devint rapidement la raison d'être et, avec l'expansion de la puissance nationale, le militarisme se renforça.
2Les réformes issues de la révolution firent disparaître l'asservissement de certaines classes sociales de l'époque féodale, mais le développement du régime capitaliste engendra une opposition profonde entre la classe capitaliste et la classe prolétarienne, entre les propriétaires fonciers et les fermiers à bail. C'est là toutefois une conséquence inévitable de tout régime capitaliste ; et nullement un trait particulier du capitalisme japonais.
3Le gouvernement de Meiji, comme tous les gouvernements postérieurs de Taishô et Shôwa1, était convaincu qu'un capitalisme outrancier développerait la puissance économique du pays et contribuerait, avec l'expansion des forces militaires, à rehausser le prestige national. Malgré l’âpre tension causée par l'opposition des différentes classes, la politique de « prospérité nationale et de militarisme » permit de relever considérablement le prestige extérieur du Japon et, au cours d'une courte période de 80 ans, il réussit à s'élever au niveau des grandes puissances mondiales. La défaite de la dernière guerre consacra l'effondrement de ce système.
4Depuis l'ère de Meiji, les hommes politiques japonais avaient foi dans un système démographique prospère lié à un système économique de type mercantile, système dans lequel une forte population contribue à la puissance nationale, étant donné qu'économie et puissance militaire en dépendent. Cette idée a conduit le Japon à appliquer une politique démographique. Pour créer une grande puissance, une population importante ne suffit pas ; il est indispensable de former le plus grand nombre possible d'hommes compétents. Dans ce but, de gros efforts furent déployés pour le développement de l'éducation nationale et de l'instruction technique. Le système de scolarité obligatoire n'existant pas sous le gouvernement shôgunal, la plupart des Japonais étaient illettrés. Le gouvernement de Meiji l'établit en 1872. Les illettrés disparurent peu à peu et, de nos jours, à part un petit nombre d'infirmes, tous les Japonais fréquentent au moins l'école primaire2.
2. La politique démographique
5Mais les hommes politiques, qui voyaient en la population le baromètre de leur puissance, montraient par ailleurs une attitude négative à l'égard de la politique d'émigration. Aussi la politique démographique japonaise depuis le début de l'ère de Meiji jusqu’à la dernière guerre fut celle de l'accroissement intrinsèque de la population. Et, chaque année, l'augmentation fut considérable. Toutefois, jusqu'en 1925, grâce au développement parallèle de l'économie nationale, le surpeuplement ne jouera pas. Mais, en 1927, l'attention des hommes politiques et des savants fut attirée par le Bureau des statistiques du gouvernement, qui annonça que l'augmentation de population, en 1926, avait dépassé un million.
6À la suite de ces constatations, le gouvernement fut amené à créer, en juillet 1927, un « Comité d'investigation des problèmes démographiques et alimentaires », qui avait pour but d'examiner ces questions et d'en délibérer. Toutefois, aucun contrôle concernant l'accroissement de population n'était prévu. En effet, on peut lire, dans l'exposé relatif aux buts de ce comité :
« La population japonaise marque une très nette augmentation, d'année en année, et nous devons nous féliciter de ce symbole de prospérité, qui représente non seulement le rayonnement du peuple japonais, mais aussi le développement des ressources nationales. Néanmoins, notre territoire est très limité et manque de ressources naturelles. Notre industrie n'est pas suffisamment développée pour répondre à la demande, tout particulièrement celle d'ordre alimentaire. En conséquence, l'accroissement de population peut susciter des inquiétudes pour la prospérité nationale. Nous devons donc nous efforcer d'instaurer une politique d'approvisionnement de produits alimentaires, répondant à l'augmentation de population ».
7Ainsi demandait-on un développement plus poussé de l'économie et un effort pour augmenter la production alimentaire, afin de nourrir une population toujours croissante.
8Dans ce but, le gouvernement chercha à augmenter la production alimentaire de Formose et de la Corée, alors sous la souveraineté de l'Empire japonais. Toutefois, cette impulsion répondait aux seuls besoins alimentaires résultant de l'accroissement naturel de la population, et non à une planification de cet accroissement. Or, en 1941, le gouvernement publia un « Programme instituant une politique de population », qui insistait sur la nécessité d'accroître activement la population. Car à la suite de l'incident de Mandchourie de 1931, le Japon était entré en guerre avec la Chine en 1937, guerre dont on n'entrevoyait pas la fin. Et devant le manque d'ouvriers et de soldats, le gouvernement voulait renflouer ses réserves humaines. Cette politique, en raison de l'éclatement de la dernière guerre, ne put donner de résultats probants.
9En résumé le gouvernement japonais s'est donc efforcé — convaincu qu'une grande population constituerait la base fondamentale de sa puissance nationale —, de développer la richesse économique afin de répondre à l'accroissement démographique pendant une période longue de plus de 80 années.
10L'accroissement naturel de la population dépend de deux facteurs : la natalité et la mortalité. Nous allons exposer maintenant les mesures prises par le gouvernement japonais à leur égard.
a. Mesures prises contre la mortalité
11Le taux élevé de la mortalité, sous le shôgunat, résultait d'épidémies diverses, de l'état rudimentaire des installations médicales et de l'absence totale de la notion d'hygiène publique. Aussi, le gouvernement de Meiji chercha-t-il à moderniser le système médical en introduisant les méthodes occidentales. En 1872, il créa, au sein du ministère de l'Éducation nationale, un service de santé publique, responsable des questions médicales et de l'hygiène. Nagayo Sensai, doyen de l'école de médecine de Nagasaki, effectua, en 1871, un voyage d'études pour s'initier aux méthodes médicales européennes. À son retour, il transforma ce simple service de santé en département ministériel et assuma lui-même les fonctions de premier directeur. Ce département administrait les études de médecine et tout le système médical. Des spécialistes étrangers furent invités au Japon pour enseigner. Mais l'administration de l'hygiène publique ne commença à fonctionner réellement qu'en 1876, lorsque le département de la Santé fut transféré au ministère de l'Intérieur. Ce département était composé, au début, de trois sections : affaires générales, vaccinations, pharmacie, auxquelles trois autres furent ajoutées plus tard : affaires médicales, hygiène et stastistiques ; à ce moment le système d'hygiène publique démarra. En 1877, Nagayo Sensai présenta au gouvernement une note relative aux installations d'hygiène ; elle fut approuvée et s'ensuivit une loi sur la santé publique prévoyant un contrôle des médecins, des pharmaciens, des produits pharmaceutiques et, en cas d'épidémie, un système d'enregistrement des malades et de visites médicales obligatoires. En 1938 fut créé le ministère de la Santé publique, office rempli jusqu'alors au sein du ministère de l'Intérieur par le département de la Santé. Trois nouveaux services lui furent rattachés, dont celui de Médecine préventive et d'hygiène. À l'heure actuelle, il existe six sections : médecine, pharmacie, hygiène publique, affaires sociales, assurances sociales et problèmes de l'enfance.
Mortalité par tuberculose
12Les efforts déployés par le gouvernement de Meiji en vue de l'organisation administrative de l'hygiène et du développement des installations médicales ont réussi à vaincre les épidémies de peste et de choléra. Suite à la vaccination obligatoire, la variole disparut également. Néanmoins, à cause de la déficience du service des eaux, les cas de typhoïde et de dysenterie étaient encore très fréquents, et la mortalité par tuberculose et la mortalité infantile se maintenaient toujours à un taux élevé. Devant cette situation, le département de l'hygiène publia successivement un arrêté du ministère de l'Intérieur relatif à la prévention contre la tuberculose (1904), une loi relative à la création de sanatoriums et à l'assistance de l'État (1914), et une loi relative à la prévention de la tuberculose (1919). Suite à la révision de cette loi, en 1942, un système de déclaration obligatoire des tuberculeux fut établi et, dans la même année, le Conseil des ministres, en appliquant des mesures contre la tuberculose, prouva la ferme intention du gouvernement de lutter contre cette maladie. En dépit de cela, la mortalité due à la tuberculose ne diminua guère qu'avec l'introduction des nouveaux traitements, après la Deuxième Guerre mondiale.
13Le tableau 3 présente le nombre de décès par tuberculose pour 10 000 habitants depuis 1905.
Tableau 3. Mortalité par tuberculose (pour 10 000 habitants)

14La mortalité par tuberculose reste stationnaire jusqu'aux alentours de 1930. De plus, par comparaison aux pays occidentaux, le taux en est extrêmement élevé. À l'aide des mesures prises contre cette maladie, la mortalité commença à baisser à partir de 1935 ; baisse encore à peine perceptible qui ne deviendra tangible qu'après la dernière guerre, grâce aux antibiotiques.
15La mortalité par tuberculose affectait surtout les classes jeunes ; c'est pour cette raison que le taux en fut si élevé avant la guerre. Après celle-ci, la mortalité totale a considérablement baissé. La mortalité par âge des tuberculeux, en 1920 et en 1950, s'établit comme indiqué dans le tableau 3bis (la mortalité par âge, entre 1951 et 1954, ne peut être calculée, faute de statistiques sur les classes d’âges).
Tableau 3bis. Mortalité par tuberculose par âge (pour 10 000)

Mortalité infantile
16La mortalité infantile était aussi beaucoup plus élevée que dans les pays occidentaux. Si l'on admet l'hypothèse d'un parallèle entre la natalité et la mortalité des nouveau-nés au Japon, où la natalité est très élevée, la mortalité des nouveau-nés devait l'être également. Néanmoins, la mortalité des nouveau-nés semble dépendre dans une large mesure de la protection des mères et de leurs enfants. Malheureusement, des mesures de protection n'ont été prises sérieusement que tout récemment et si, depuis l'ère Meiji, la mortalité infantile était restée si forte, le manque de protection en était certainement une des principales causes. La promulgation de lois relatives à la protection des mères et des enfants et à l'établissement de dispensaires ne date que de 1937, et la loi relative au bien-être des enfants, de 1942. Grâce à ces trois lois, la mortalité des nouveau-nés a beaucoup baissé ces dernières années.
Tableau 4. Taux de mortalité infantile (pour 100 enfants nés vivants)

17Comme le montre le tableau 4, la mortalité infantile du Japon, avant 1930, était toujours supérieure à 10 %. Depuis la fin de la dernière guerre, elle marque une nette tendance à la baisse, et actuellement elle n'est pas plus élevée qu'en Europe. On doit ces résultats à l'aide apportée aux mères et aux enfants.
18Grâce à l'organisation des services sanitaires et au développement des installations médicales, la mortalité par tuberculose et la mortalité infantile furent donc graduellement réduites, de sorte que la mortalité générale diminua progressivement à partir de 1920, et encore davantage après la dernière guerre.
19Le tableau 5 indique le taux de mortalité depuis 1900 :
Tableau 5. Taux de mortalité (pour 1 000 habitants)

b. La politique de natalité
20Le gouvernement de Meiji ne prit aucune mesure positive pour encourager la natalité. Il considérait sans doute qu'avec la suppression de l'avortement et de l'infanticide, le taux de natalité se relèverait de lui-même. Or, ces pratiques ayant pour origine la faiblesse économique, le gouvernement porta tous ses efforts sur le développement économique du pays et interdit légalement l'avortement et l'infanticide. Les résultats ne purent se faire sentir immédiatement, car ces procédés antinatalistes constituaient des pratiques ancrées dans les mœurs et, par ailleurs, l'amélioration économique ne pouvait être obtenue du jour au lendemain. On peut donc estimer que le contrôle volontaire des naissances était encore largement pratiqué. Cependant, en raison du développement économique et du renforcement des lois contre l'avortement, celui-ci fut de moins en moins utilisé et, entre 1900 et la dernière guerre, la natalité japonaise se maintint au taux élevé de 30 ‰.
21Néanmoins, le Jimmin Shimbun (Journal du peuple) publia, en 1903, un ouvrage sur les améliorations sociales, préconisant la nécessité de la restriction des naissances et enseignant les méthodes anticonceptionnelles. Le peuple, toutefois, y prêta peu d'attention. Il semble donc que la limitation des naissances fut presque nulle à l'époque. Or, depuis 1922, année où Mme Sanger se rendit pour la première fois au Japon, MM. I. Abe et K. Ishimoto créèrent l'Institut d'enquête sur le contrôle des naissances, et M. K. Majima ouvrit le Bureau de consultation pour la restriction des naissances. Aussi ce problème devint-il d'ordre public. Cependant, le gouvernement interdisait la fabrication de produits et instruments anticonceptionnels et essayait d'empêcher la généralisation de la restriction des naissances, qui remplaçait l'avortement et l'infanticide. En dépit de cela, certains estiment que les tendances contraceptives naquirent à cette époque, dans les milieux salariés et intellectuels. Cependant, faute de preuves véritables, on ne peut connaître les conséquences de cette restriction, ni dans quelle mesure elle était pratiquée. On note simplement une baisse de la natalité autour de 1920. En admettant qu'elle ait comme origine la limitation des naissances, cette baisse est néanmoins négligeable. Apparemment, elle provient plutôt — pour des raisons financières —, d'une nuptialité plus tardive.
22Les hostilités sino-japonaises (1937) nécessitèrent un recrutement massif de soldats et de civils, et la natalité qui dépassait alors 30 ‰ diminua jusqu’à 26,7 ‰ en 1938 et 26,1 ‰ en 1939. La guerre exerça une influence considérable sur la natalité, comme le montrent les statistiques des principaux pays belligérants. C'est pourquoi le gouvernement, afin d'encourager les naissances, appliqua le système des permissions militaires. Les traits fondamentaux de cette politique furent dictés par « les principes de la politique démographique », publiés en 1941. Des mesures furent prises d'ailleurs pour la première fois au Japon, afin d'améliorer la situation des femmes enceintes telles que le système d'allocation ou d'allégement des charges fiscales des familles nombreuses. Toutefois, au cours de la guerre du Pacifique, la situation précaire du pays et le manque des produits les plus nécessaires firent que ces mesures d'encouragement à la natalité ne donnèrent pas les résultats escomptés.
23Après la défaite, l'économie japonaise se trouva presque paralysée, et le peuple ne dut sa survie qu'aux denrées alimentaires distribuées par les forces d'occupation. Malgré cette situation misérable, la natalité augmenta considérablement ; elle atteignit le taux élevé de 34,3 ‰ en 1947 et de 33,5 ‰ en 1948, résultat du rapatriement massif des troupes et des mariages différés par la guerre. Combiné avec une très notable baisse de la mortalité, le taux d'accroissement démographique atteignit un chiffre sans précédent. Alarmée, l'opinion publique demanda un contrôle actif de cet accroissement et de nombreux groupements pour la planification des naissances se constituèrent. Parmi ces propagandistes se trouvaient nombre d'opportunistes qui avaient encouragé précédemment l'expansion du peuple japonais. Le gouvernement autorisa la restriction des naissances, la fabrication et la vente de produits et instruments anticonceptionnels. De nombreux résultats d'enquête concernant la généralisation des pratiques anticonceptionnelles après la guerre ont été publiés, montrant avec certitude son développement. Mais, sans doute, la récente baisse importante de la natalité ne serait pas due à ces mesures, mais à l'avortement. Profitant des lois relatives à l'eugénisme, les cas d'avortements augmentèrent notablement après la guerre (voir chapitre IV).
24Le tableau 6 donne les taux de natalité depuis 1900. On peut évaluer l'accroissement naturel de la population japonaise en le comparant avec le tableau 5 (mortalité).
Tableau 6. Taux de natalité (pour 1 000 habitants)

II. Apparition de la statistique
1. L’origine du système statistique
25En 1871, le gouvernement de Meiji institua, pour la première fois dans l'histoire du Japon, un organisme centralisateur de toutes les statistiques administratives. Après avoir subi au cours des années quelques modifications, il devint finalement l'actuel Bureau des statistiques du cabinet du Premier ministre. Ce bureau central publiait depuis 1882, avec les éléments fournis par les différents ministères, l'Annuaire statistique du Japon. Sa mission principale était de compiler les statistiques des mouvements de la population et son état.
2. Historique de la statistique démographique
26Les statistiques de la natalité et de la mortalité furent dressées à partir de 1872, celles du mariage et du divorce à partir de 1880 et celles des mort-nés à partir de 1886. Le ministère de l'Intérieur étant l'organisme compétent en matière d'affaires sociales, le bureau des Statistiques établissait ses statistiques en se basant sur les matériaux fournis par ce ministère. Mais, en 1898, ce service fut transféré du ministère de l'Intérieur au ministère de la Justice. Au cours de la même année, une ordonnance ministérielle créa un « Système de fiches pour l'établissement de statistiques démographiques ». Elle améliorait le mode de déclarations à l'état civil, en les facilitant, et permettant aussi de constituer des archives. Ces nouvelles mesures rénovèrent les statistiques démographiques ; dès lors, le Bureau des statistiques du ministère pouvait établir et publier annuellement lesdites statistiques en rassemblant les bulletins de naissances, de décès, des mort-nés, des mariages et des divorces, déclarés au cours de l'année. En 1948, les statistiques des mouvements de population échurent au ministère de la Santé publique. Et aujourd'hui, les services sanitaires locaux transmettent ces bulletins au service des Statistiques dudit ministère, qui procède à leur compilation.
3. Historique des statistiques d'état civil
27En 1871, le gouvernement de Meiji promulgua la loi sur l'état civil et, le 29 janvier 1872, établit le système du registre officiel de l'état civil. Cette loi prévoyait la révision des recensements, tous les six ans. À la suite d'amendements ultérieurs, l'administration de l'état civil fut transférée, en 1898, du ministère de l'Intérieur au ministère de la Justice, et le recensement de la population fut désormais du ressort du Bureau des statistiques du ministère. Par une ordonnance ministérielle de la même année, il fut décidé que les enquêtes statistiques relatives à la population auraient lieu tous les cinq ans, le 31 décembre. Ainsi, le recensement de la population eu-t-il lieu régulièrement jusqu'en 1918, suivi chaque fois de la publication des résultats. Ce recensement, toutefois, n'était pas de première main, car il se basait sur les registres de l'état civil. C'est seulement en 1920, bien que préconisé depuis longtemps, qu'un recensement établi selon les normes modernes fut instauré au Japon. Déjà, en 1896, M. Hanabusa, président de l'Association des statistiques de Tokyo, avait proposé au gouvernement de procéder au recensement général en 1900 ; de même M. Watanabe et dix-sept autres personnalités étaient intervenus dans ce sens auprès de la Chambre des députés. Bien que la Diète eût déposé une résolution à cet effet, le gouvernement refusa son accord, sous prétexte que les préparatifs étaient insuffisants. Toutefois, lorsque le projet de loi sur le recensement passa à la Chambre en 1902, la date d'exécution du premier recensement fut fixée à l'année 1905. Mais entre-temps éclatait, en 1904, la guerre russo-japonaise. Et le recensement fut renvoyé sine die. Dans les années qui suivirent, nombre d'obstacles empêchèrent son exécution, et ce n'est qu'en 1920 que fut effectué le premier recensement. Dès lors, il se renouvela tous les cinq ans jusqu'en 1940 ; mais en 1945, la guerre en empêcha l'exécution. Par la suite, une loi relative aux statistiques fut promulguée en 1947, abolissant l'ancienne loi sur le recensement ; selon les nouvelles dispositions, un recensement extraordinaire fut effectué dès sa promulgation (1947). Depuis 1950, le recensement a lieu régulièrement. Depuis 1920, les résultats étaient donnés à la fois sur le plan national et sur le plan départemental.
4. Examen des éléments statistiques de la population
a. Les mouvements de la population
28Au début de l'ère Meiji, le personnel de l'administration des statistiques manquait d’expérience et sa technique était tout à fait élémentaire. Le peuple, il va sans dire, en ignorait le premier mot. Établies dans ces conditions, les données ayant trait aux mouvements de population étaient évidemment entachées d'erreurs. En 1882, l'Allemand Meyet3 releva des lacunes dans les statistiques des mouvements et de l'état de la population japonaise. M. Fujisawa4 fit, en 1889, la même constatation. Ce savant, en établissant pour la première fois dans le pays une table des espérances de vie, trouva d'innombrables lacunes dans les déclarations de naissance et de décès.
29Bien que les statistiques des mouvements de population se soient perfectionnées avec le temps, celles antérieures à 1899 sont loin d'être précises et ne peuvent guère servir à l'étude de la statistique. Puis, parallèlement à la mise au point du système en 1898, le personnel acquit plus de dextérité et le peuple même contribua à la bonne exécution des recensements. Ainsi ces statistiques devinrent-elles de plus en plus rigoureuses. Les statistiques sur les mouvements de population au Japon prirent, en 1899, une forme définitive, et les techniques d'enquête furent modernisées. Toutefois, il s'écoule souvent un certain délai entre la date des mouvements effectifs de population et celle de leur publication. Aussi doit-on toujours faire quelques réserves sur ces statistiques.
Statistiques des naissances
30La déclaration de naissance doit être faite dans un délai de quatorze jours. Si cette prescription était strictement observée, les statistiques des naissances seraient très exactes ; mais en réalité les déclarations sont souvent faites, au Japon, de manière à avancer ou à retarder intentionnellement la date de naissance.
31Citons quelques exemples. Selon les statistiques de la natalité, en 1906, le pourcentage des garçons était supérieur à celui des filles. Il est vrai qu'au Japon, comme dans certains pays, le sex-ratio se chiffre généralement par 105 contre 100 pour les filles. Mais en 1906, cette proportion augmenta sensiblement, passant au chiffre 108,7. Par contre, en 1905 et 1907, elle tomba à 102,7. Ce phénomène résulte de fausses déclarations des naissances de 1906 ; en effet, un nombre considérable en fut soit avancé soit retardé. Car selon une superstition, les filles nées au cours de l'année Hinoe-uma du calendrier japonais (1906 était une de ces années), pouvaient difficilement trouver un époux. Telle semble être la raison pour laquelle on évita de déclarer des naissances de filles en 1906.
32Par ailleurs, un certain nombre de naissances ne font l'objet d'aucune déclaration ou bien celle-ci a lieu après les délais légaux, parfois une ou deux années après. Il est impossible d'estimer les naissances non déclarées d'une année donnée. Mais le Bureau des statistiques dresse l'état de celles déclarées avec un ou deux ans de retard (tableau 7).
Tableau 7. Nombre de naissances déclarées avec retard

Statistiques des décès
33Une personne responsable doit, d'après la loi japonaise, dans les sept jours où elle a appris le décès, en faire la déclaration, en joignant un certificat médical de constat. Les déclarations de décès sont toujours plus exactes que les déclarations de naissances, car il est impossible de procéder aux obsèques sans avoir au préalable mentionné le décès. Les déclarations de décès étant généralement faites dans les délais légaux, les statistiques des décès sont les plus précises parmi celles afférentes aux mouvements de population. Toutefois, en raison d'un certain nombre de non-déclarations qui se produisent toujours chaque année, ces données ne sont pas encore parfaites (tableau 8)
Tableau 8. Nombre de décès déclarés après un délai d'un an ou plus

Statistiques des mort-nés
34L'expression « mort-né » signifie, comme chacun le sait, l'accouchement à terme du fœtus mort. Au Japon, l'expulsion d'un fœtus de 4 mois ou moins se nomme « fausse-couche », pour établir une distinction avec le mort-né. La fausse-couche ne nécessite pas de déclaration, aussi celle-ci n'est-elle pas incluse dans les statistiques.
35Le baptême des nouveau-nés n'est pas répandu chez les chrétiens japonais, à plus forte raison quand il s'agit de mort-nés. Par contre, la mortalité néo-natale (dans les trois jours) n'est pas assimilée à la mortinatalité.
Statistiques des mariages et des divorces
36La loi japonaise ne rend pas obligatoire la déclaration du mariage ou du divorce dans un délai déterminé, opérations qui deviennent légales le jour de leur déclaration. Par conséquent, même si le mariage ou le divorce ont pratiquement eu lieu, ils ne peuvent être reconnus juridiquement s'ils n'ont pas été déclarés (ils sont reconnus socialement, selon les circonstances, même sans déclaration).
37Les statistiques sur les mariages et sur les divorces n'englobent que les cas légaux. Si les déclarations étaient effectuées aussitôt après l'événement, les statistiques seraient correctes. Mais en pratique, il arrive très fréquemment que la déclaration ne coïncide pas avec le jour du mariage. De même pour les divorces : la déclaration ne suit pas toujours la séparation, le divorce de fait5. En conséquence, ces statistiques mentionnaient un grand nombre de mariages et de divorces qui avaient eu lieu au cours des années précédentes. D'où leur manque d'exactitude.
38Afin de pouvoir déterminer le chiffre exact des mariages et des divorces au cours d'une année donnée et dresser un état séparé de ceux se rapportant aux années précédentes, le ministère de la Santé publique, après la dernière guerre, prit des dispositions pour que soient déclarées aussi bien la date du mariage de facto que celle du divorce de facto. Ainsi avons-nous pu obtenir, pour 1952, 676 995 déclarations de mariage de facto, dont 378 396 se rapportaient à l'année en cours et 298 599 aux années précédentes. De même, on enregistra en 1952, 79 021 divorces, dont 44 899 avaient été décidés au cours de l'année et 34 122 les années précédentes.
39Les statistiques sur les mariages et les divorces sont non seulement inexactes au point de vue évaluation, mais, comme elles comportent également un certain nombre de mariages et de divorces se rapportant à des années précédentes, l’âge des intéressés se trouve, de ce fait, faussé. Si, par exemple, la déclaration de mariage est retardée de deux ans, il est bien évident que les intéressés avaient, à l'époque de leur union, deux ans de moins que l’âge déclaré. Cette question a été amplement traitée dans mon ouvrage intitulé Mariages de fait, mariages légaux et statistiques matrimoniales au Japon (Congrès mondial de la Population, 1954), les lecteurs sont priés de s'y référer.
b. État de la population
40Le gouvernement de Meiji, en 1872, soucieux d'établir un registre d'état civil, avait déjà entrepris des enquêtes sur la population à travers tout le pays. Plus tard et jusqu'en 1918, le recensement se fit d'après les registres de l'état civil et selon un système du « registre de population », tenu à jour au moyen d'un contrôle effectué à domicile. L'enquête sur la population basée sur ces différents registres ne permet d'établir des statistiques que d'après le sexe, l’âge et la situation de famille, sans faire état de la profession et du degré d'instruction. Cette enquête comporte une autre lacune : elle ne permet pas d'obtenir le chiffre exact de la population, en raison d'un certain nombre d'omissions de déclarations de naissances ou de décès sur les registres de l'état civil. Aussi, les statistiques issues de ces registres sont-elles loin de la réalité. Par ailleurs, les renseignements recueillis à domicile n'offrent pas plus d'exactitude sur la population effective de chaque quartier. En dépit d'un règlement prescrivant à toute personne émigrant d'une région dans une autre d'en faire la déclaration (d'entrée et de sortie), on négligeait souvent la déclaration de sortie. De telle sorte que les chiffres de ce registre dépassaient le chiffre réel. En 1913, par exemple, le recensement obtenu par le registre de l'état civil se chiffrait à 53 362 189, alors que celui établi au moyen du « registre de population » s'élevait à 55 131 270.
41La population « légale » du dernier recensement de 1918 était de 56,67 millions (d'après les registres de l'état civil) ; et de 58,09 millions (d'après le registre de population), d'où une différence de 1,42 million. Le recensement de 1920 dénombrait une population de 55,96 millions d’habitants. Pendant cet intervalle de deux ans, elle aurait donc diminué de 710 000 ou de 2,17 millions, soit qu'elle fût comparée au chiffre de la « population légale », ou à celui du « registre de population ». Les résultats des recensements sont donc plus exacts. Enfin, calculé d'après les statistiques des mouvements de population, l'accroissement naturel, pendant ces deux années, s'élève à 1,52 million. En conclusion, les recensements effectués au moyen des registres donnent des chiffres nettement supérieurs aux chiffres réels. La natalité, calculée sur les bases de cette surestimation, représentait 32,2 ‰ en 1918 et 31,6 ‰ en 1919 ; la mortalité, calculée selon la même méthode, donnait les taux de 26,8 ‰ en 1918 et 22,8 ‰ en 1919. Or en 1920, la natalité et la mortalité s'élevèrent respectivement à 36,2 ‰ et 25,4 ‰. Cette hausse sensible en 1918 et 1919 provient de l'application, au cours de l'année 1920, d'une méthode moderne de recensement.
42Mais si les résultats de ce dernier sont plus exacts, il n'est pas exempt d'erreurs. Lors du premier recensement de 1920, l'enquête sur les professions aboutit à un véritable échec, en raison de l'ambiguïté du terme « profession ». On se demandait si on devait inscrire la profession ou l'industrie à laquelle on appartenait. Finalement, la notion d'industrie l'emporta. Ce qui donna un résultat peu conforme à la réalité. Lors du recensement de 1925, on ajouta une rubrique supplémentaire sur le chômage. Nouvel échec. La question du chômage, il est vrai, s'avère l'une des plus difficiles, même dans les pays étrangers, car la stricte définition du chômage laisse à désirer et le terme a toujours tendance à être interprété par les intéressés de manière très subjective. Ainsi, on n'arrive jamais à saisir l'état réel de la situation. Après l'échec de 1925, l'enquête sur le chômage fut abandonnée et reprise seulement en 1950. Sur une population de 36,31 millions de travailleurs, on ne comptait à cette date que 730 000 chômeurs, soit un taux de 2 %, chiffre vraiment surprenant au Japon, où le développement économique est très faible. Comment 98 % de la population ouvrière – plus de 36 millions d'habitants – trouvent à travailler ? Comment expliquer ce plein-emploi ? Simplement se sont vues rangées dans la catégorie des travailleurs toutes personnes embauchées dans des œuvres de secours contre le chômage, les sans-travail vivant aux crochets des agriculteurs ou des commerçants, et les journaliers.
43Un autre problème se pose lors du recensement : la définition de l'état matrimonial. Au Japon sont déclarés mariés, non seulement les époux légaux, mais aussi les époux de fait. Les enquêtes d'état civil ont tenu compte, jusqu’à présent, de cette situation. Par contre, si les concubins meurent, leur état civil ne portant pas la mention « mariés », mais « non mariés », le taux de mortalité des mariés (rapport du nombre des décédés mariés légalement au nombre des mariés du recensement) est évidemment faux et inférieur à la réalité. Cette différence augmente de jour en jour car les « époux de fait » deviennent de plus en plus nombreux. Le recensement de 1940 établit une distinction entre les « mariages légaux » et les « mariages de fait ». On découvrit alors, parmi les jeunes, un grand nombre de couples mariés de fait. Les résultats de cette enquête sont indiqués dans le tableau 9.
Tableau 9. Les « mariages légaux » et « mariages de fait » dans la population des mariés (recensement de 1940)

III. Bouleversement démographique apporté par la reforme de Meiji
1. Tendance à l'accroissement
44La population japonaise augmenta de 2,6 fois pendant les derniers 83 ans. De 34,8 millions en 1872, elle passa en 1955 à 89,27 millions. Il est surprenant de voir comment, dès la réforme de Meiji, une population, restée stagnante pendant toute la dernière moitié de l'ère des Tokugawa, augmenta dans de telles proportions. La disparition des grandes famines, l'amélioration des installations sanitaires et le développement économique du pays en sont les principales causes. Car ce brusque accroissement démographique n'aurait pu avoir lieu sans un fort soutien économique. Mais depuis la réforme de Meiji jusqu’à nos jours, cette cadence ne fut pas régulière. Le tableau 10, où nous avons indiqué l'importance de la population par recensement quinquennal et son taux d'accroissement de 1875 à 1955, le montre bien.
Tableau 10. Accroissement démographique d'après les recensements quinquennaux

Figure 1. Accroissement de la population

45L'accroissement de la population japonaise, relativement lent jusqu'en 1900, s'accélère subitement au début du XXe siècle, favorisé dans une certaine mesure par le régime économique capitaliste, instauré par le gouvernement de Meiji (figure 1). Les répercussions de cette réforme commencèrent à se faire sentir surtout après la guerre russo-japonaise ; l'on constata alors le développement parallèle de la population japonaise et de son économie.
46La baisse des taux d'accroissement entre 1915 et 1920, est due à une grippe meurtrière, qui sévit entre 1918 et 1919. Puis nouvelle chute entre 1940 et 1945, le taux d'accroissement tombe à 1,2 % (baisse de la natalité et hausse de la mortalité et également départs de nombreux civils et militaire vers les pays d'outre-mer). Par contre, pendant les 5 années d'après-guerre, le taux d'accroissement atteint 15,2 %. Il faut ajouter, au bénéfice de la paix, le rapatriement de quelque 6 000 000 de Japonais. (Le chapitre IV parlera de la situation de cette population d'après-guerre). Quant à l'émigration, elle a eu peu d'influence sur l'accroissement du peuple japonais (nous en reparlerons plus tard), conséquence plutôt d'un taux de natalité supérieur à celui de la mortalité (tableau 11). Vu l'inexactitude des statistiques des mouvements de population, avant 1899, il nous a été presque impossible de les rétablir. Nous avons donc repris les chiffres tels qu'ils ont été publiés par le Bureau des statistiques du ministère. Ce ne sont donc pas des renseignements sûrs, mais ils permettent néanmoins de se rendre compte de la courbe générale des mouvements de la population japonaise.
47La figure 2 indique, de 1890 à 1915, un taux de mortalité se maintenant à peu près autour de 20 ‰ alors que celui de la natalité passe graduellement de 28 ‰ à 30 ‰, d'où le taux progressif d'accroissement naturel. Après 1920, les taux de natalité et de mortalité commencent à baisser, mais sans interrompre encore la croissance de la population. Même phénomène après la Seconde Guerre mondiale où, malgré une très forte chute de la natalité, une très faible mortalité permit un taux d'accroissement élevé. Le taux de natalité, toujours plus élevé que celui de la mortalité, exception faite pour la période de guerre, constitue la principale cause de l'accroissement démographique du Japon.
Figure 2. Taux de natalité et de mortalité

Tableau 11. Taux de la natalité, de la mortalité et taux d'accroissement naturel (‰)

2. Population urbaine et population rurale
48Le taux d'accroissement de la population n'est pas uniformément réparti. Comme dans tous les pays, il est élevé dans les villes et bas dans les campagnes.
Tableau 12. Population urbaine et population rurale

49En 1920, 18 % seulement de la population était urbaine, atteignant 37 % en 1940 (tableau 12). Après la chute soudaine de 1945, due à l'exode des villes, la population urbaine augmenta à nouveau et, en 1955, elle dépassait celle des campagnes (figure 3). Accroissement particulièrement frappant dans les six grandes villes suivantes : Tokyo, Osaka, Kyoto, Nagoya, Kobe et Yokohama. Tokyo, Osaka et Kyoto qui étaient déjà, sous les Tokugawa, d'importantes cités de plusieurs centaines de milliers d’habitants, n'ont pas cessé depuis lors de s'agrandir.
Figure 3. Proportions de populations urbaines et rurales de 1920 à 1955

50Tokyo qui, en 1920, comptait 2,17 millions d’habitants n'en avait plus, en 1925, que 1,99 millions. Le grand séisme de 1923, obligeant de nombreux sinistrés à déserter Tokyo, en est la cause. Quelques années plus tard, Tokyo recommença à se peupler (6,77 millions d’habitants en 1940) ; mais la guerre vint arrêter cet élan. Devant les bombardements, la population (particulièrement les femmes, les vieillards et les enfants) abandonna la capitale. Et en 1945, Tokyo n'abritait plus que 3,48 millions d’habitants. Puis les réfugiés regagnèrent leur ville ; et en 1950, la population de Tokyo, qui n'avait pas encore retrouvé son chiffre d'avant-guerre, atteignit cependant, en 1955, grâce à sa forte fécondité, le chiffre considérable de 8 millions. Osaka, de 1,25 millions d’habitants en 1920, passa à 3 millions en 1940, avec une baisse en 1945 (1,1 million). Mais en 1955, Osaka comptait 2,5 millions d’âmes (tableau 13). Sans la guerre, la population de ces six grandes villes se serait vraisemblablement accrue de façon plus considérable encore.
Tableau 13. La population des six grandes villes du Japon

51Les migrations intérieures des Japonais sont à l'origine de ce relèvement démographique urbain. À l'aide des recensements par lieu de naissance de la population, de 1930 et de 1950, on a pu établir (tableau 14) le nombre des habitants nés et demeurés dans leurs villes et ceux des migrants (des zones rurales).
Tableau 14. Population des six grandes villes d'après l'origine (en milliers)

52Ainsi, en 1930, plus de 50 % des habitants des six grandes villes étaient d'origine rurale. En 1950, cette proportion était moins importante, et résultait d'un règlement interdisant l'exode rural vers les villes, en raison de la crise du logement qui, à la suite de la guerre, sévissait dans tous les grands centres. Malgré ces mesures, les migrants représentent actuellement 40 % de la population totale des villes. La guerre favorisa cette transplantation, et fit connaître à beaucoup les attraits des villes.
IV. Modification structurelle de la population
I. Suivant l'âge
53L'événement démographique de ces dernières années réside incontestablement dans l'abaissement des taux de natalité et de mortalité. Si cette tendance se maintient, la structure par âges de la population subira un profond bouleversement ; cependant, comparé aux pays européens, le Japon représentait un type de pays à haute natalité et mortalité ; sa répartition par âge correspondait graphiquement à une pyramide parfaite (large dans le bas, mince dans le haut). Celle-ci, en raison des quelques 2 millions de morts de la guerre et des baisses récentes des taux de natalité et de mortalité, a subi quelques modifications. Le tableau 15 représente la répartition par âge de la population en 1940 et en 1955.
Tableau 15. Répartition par âge de la population pour les deux sexes (en 1940 et en 1955)

54Comme le montre clairement la figure 4, le diagramme de la structure par âges de la population, en 1940, prend donc, à peu de chose près, la forme pyramidale. Mais celle de 1955 change sensiblement, car la proportion de la couche d’âges de 0 à 4 ans devient inférieure à celle de 5 à 9 ans. Ce changement est consécutif, nous l'avons dit, à la diminution importante du taux de natalité d'après-guerre. La baisse de la mortalité et de la natalité s'est répercutée sur la tranche 15-29 ans, plus importante en 1955 que celle de 1940. Quant à la proportion de la population masculine de 30 à 39 ans, tranche d’âges particulièrement touchée par la guerre, en 1955 elle est inférieure à celle de 1940.
Figureo4. Structure par âge et par sexe de la population (en 1940 et en 1955).

2. Changement de structure de la population industrielle
55Au début de l'ère Meiji, la ressource principale était l'agriculture. D'après les statistiques dressées en 1875, les agriculteurs représentaient, en 1873, 78 % de la population active, c'est-à-dire 15,32 millions d’habitants sur 19,89 millions, alors que la population industrielle occupait seulement 680 000 individus, soit 3 % de la population active. D'après l'ouvrage Avis en vue du développement industriel, publié par le ministère du Commerce et de l'Agriculture, la population agricole comptait encore, en 1877, 77 % de la population active, et la population industrielle seulement 4 %. Mais après 1877 et ceci jusqu'en 1920, il n'existe aucun document statistique sur la population industrielle japonaise. Voir ci-dessous le tableau de la population active répartie en ses trois activités productives de 1920 à 1950 (tableau 16).
Tableau 16. Répartition de la population active en trois activités

Figure 5. Répartition de la population active

56D'après le tableau 16, la population active primaire (tout particulièrement l'agriculture) occupait, en 1920, plus de 50 % de la population active, et elle représentait encore, en 1940, 44 %. Mais si l'agriculture absorbait une grande partie de la population active, celle-ci, en raison de la superficie cultivable limitée, resta presque invariable de 1920 à 1940. En 1950, la proportion de la population agricole atteint 48 %, car, en raison du chômage industriel, un grand nombre de travailleurs regagnèrent alors leur village natal et y restèrent (figure 5).
57L'on considère généralement l'ère de Meiji comme une période de grand essor industriel ; ce le fut en effet, mais pour le seul monde asiatique, car en 1920, 20 % seulement de la population active japonaise se consacrait à l'industrie. Et l'accroissement de la population industrielle (26 %), en 1940, résulte surtout du développement de l'industrie de guerre.
V. L'agriculture et la population rurale
1. La surface cultivée
58Dès le début de l'ère de Meiji, par la mise en culture des terres abandonnées dans l'île de Hokkaido, et le défrichement de nouvelles rizières dans les îles de Hondo, Kyushu et Shikoku, la surface cultivable s'agrandit. Malheureusement, au cours de la dernière guerre, l'implantation d'usines et de terrains militaires la réduisit. Le tableau 17 montre la superficie cultivée depuis 1880 (1 chô = 1, 27 ha).
Tableau 17. Surface cultivée (unité : 1 000 chô)

59Ainsi la surface cultivée, de 4 469 000 chô en 1880, augmenta graduellement chaque année, et atteignit 6 084 000 chô en 1920. Cette hausse atteint 36 % au cours de ces quarante années. Puis elle resta stationnaire de 1920 à 1940, et diminua pendant la dernière guerre.
60Le riz n'était certes pas la seule culture ; environ la moitié des sols arables était réservée aux légumes, fruits, mûriers, etc. Avant la guerre, les légumes suffisaient à la consommation nationale ; quant à la production fruitière, non seulement elle y répondait, mais le surplus (mandarines par exemple) était exporté. Les mûriers étaient destinés à la sériciculture, et la soie largement excédentaire constituait une des principales marchandises d'exportation. Mais le riz, nourriture par excellence du Japonais, a toujours tenu la place principale. Aussi, la population augmentant, l'on a dû pousser sa culture, étendre la surface arable et améliorer la technique agricole. Mais si sa production s'intensifia, elle resta toujours inférieure aux besoins du pays. Le tableau 18 montre la production et la consommation du riz depuis 1880 (1 koku = 1,8039 hectolitre).
Tableau 18. Production et consommation du riz (unité : 1 000 koku)

61En observant ce tableau 18, on constate que, presque chaque année, la consommation dépasse la production. Il fallait alors faire appel au riz étranger. Puis la prise de Formose et de la Corée (en 1910) furent pour le Japon une ressource importante. Afin d'échanger le riz de ces pays contre les produits manufacturés, le Japon développa son industrie manufacturière. La diminution sensible de la production rizicole, en 1945, peut être attribuée aux conditions climatiques, au manque d'engrais, et surtout à une main-d’œuvre en grande partie faite de femmes et de vieillards, sans compter les difficultés de transports inhérentes, elles aussi, à l'état de guerre. Il en résulta un rationnement alimentaire très strict et une sous-alimentation générale de la population.
62À la fin des hostilités, en août 1945, l'armée d'occupation distribua une quantité considérable de nourriture. Cette manne sauva véritablement les Japonais. Si la guerre avait continué plus longtemps, des millions d'entre eux seraient morts de faim pendant l'hiver 1945-1946. Après elle, l'amélioration de l'alimentation japonaise suscita de nombreuses discussions et l'on chercha à diffuser l'usage du pain, au même titre que celui du riz. Les importations de blé et de farine augmentèrent et ces denrées furent vendues à un prix inférieur au riz. Le pain commence à être adopté peu à peu par les citadins, mais le peuple préfère encore le riz.
2. La structure de l'entreprise agricole
63L'abondance des paysans et la faible superficie des terres arables réduisent à l'extrême les dimensions de l'entreprise agricole, et il faut, pour en assurer le rendement, pratiquer une culture intensive. Le tableau 19 indique la densité des agriculteurs par rapport à la surface cultivée des années 1941-1954.
Tableau 19. Densité des agriculteurs (par chô cultivé)

64Ainsi, plus de 60 % des agriculteurs cultivent des champs de moins de 1 chô, et cela avant comme après la guerre. Malgré de bonnes récoltes dues à une culture intensive, la vie des paysans, en raison de l'exiguïté des champs, est encore bien misérable. L'agriculture seule ne peut subvenir à leurs besoins ; aussi la plupart d'entre eux sont-ils obligés de s'adonner à d'autres travaux pendant l'hiver. Le tableau 20 indique la proportion des agriculteurs s'occupant exclusivement d'agriculture et ceux ayant une occupation accessoire (Résultats d'enquête sur la situation économique des travailleurs agricoles, enquête effectuée par le ministère de l'Agriculture en 1941).
65Ainsi, 78,4 % des exploitants cultivant moins de 0,5 chô, et 59,1 % de ceux possédant entre 0,5 et 1 chô exercent une activité connexe. Le nombre des agriculteurs (eux ou leur famille) s'adonnant à une occupation accessoire varie en raison inverse des dimensions de l'exploitation.
Tableau 20. Nombre d'agriculteurs se consacrant exclusivement à l'agriculture (A) ou ayant une occupation accessoire (b) en 1941

3. Le système agraire
66Les exploitants cultivant leur propre terre sont appelés « propriétaires-exploitants » ; ceux qui cultivent des terres en location sont appelés « fermiers ». Les premiers sont seulement astreints à l'impôt foncier. Les fermiers, par contre, doivent payer aux propriétaires les droits de fermages, comprenant les impôts fonciers. Finalement les gains des fermiers sont très faibles et ils conditionnent essentiellement la misère des régions rurales. Si dissemblables que soient la condition du fermier et celle de l'ouvrier, ils sont cependant tous deux aussi démunis en regard du propriétaire pour l'un et du capitalisme industriel pour l'autre. Les exploitations agricoles, dont l'échelle est fort petite au Japon, n'appartiennent que très exceptionnellement au type de la grande propriété capitaliste, aussi l'ouvrier agricole est-il très rare. Il existe encore une troisième catégorie qu'on pourrait appeler « fermiers semi-propriétaires ». Ce sont des exploitants agricoles qui cultivent des terres louées en sus de celles qui leur appartiennent. Le tableau 21 indique le nombre d'exploitants agricoles, classés selon les différents systèmes de tenure, durant l'année 1941. Le nombre des propriétaires-exploitants ne représente que 31 % du total, tandis que les fermiers et les fermiers semi-propriétaires représentent plus de 68 %.
Tableau 21. Nombre d'agriculteurs selon la structure agraire en 1941

67Le ministère de l'Agriculture a entrepris, en 1941, une enquête pour connaître la surface arable louée par les propriétaires terriens. Le résultat démontra que cette superficie s'élevait à 2 767 000 chô, représentant 45 % de la superficie totale du sol arable. Mais l'étendue de la surface louée variait selon les propriétaires. Et bien qu'il existât un certain nombre de grands propriétaires fonciers possédant plus de 1 000 chô, ceux possédant environ 5 chô étaient déjà considérés comme faisant partie d'une classe privilégiée. La majeure partie était donc constituée par des propriétaires qui, la plupart du temps, cultivaient eux-mêmes leurs terres, ou en louaient une partie, moins de 1 chô, aux fermiers.
4. La réforme agraire après la dernière guerre
68Toutefois, après la guerre, les autorités d'occupation ayant donné l'ordre de reconvertir les terres, le gouvernement dut entreprendre la réforme agraire en cédant aux fermiers les terres arables qu'il acheta aux propriétaires fonciers. Mais nombreux furent les propriétaires prévoyants qui vendirent leurs terres jusqu'alors en fermage ou en demandèrent la restitution pour en assurer eux-mêmes la culture. Cette réforme était à peu près achevée en 1949 ; mais déjà en 1947, le pourcentage des terres en « fermage » était réduit à 39,5 % contre près de 50 % avant-guerre. En 1949 enfin, ce pourcentage n'était plus que de 13,1 %. Les terres arables, dont les propriétaires ne résidaient pas sur place, furent entièrement reconverties. Ceux résidant sur leurs terres reçurent en moyenne 1 chô à louer en fermage. En 1949, il restait encore 13,1 % de terres en fermage. Après la réforme agraire, les propriétaires fonciers possédant plus de 50 chô et qui en 1921 étaient au nombre de 4 277, disparurent complètement. Leurs domaines se situaient plus particulièrement dans les départements de Niigata et de Yamagata, au nord-ouest du Japon, lieu des plus importantes cultures rizicoles.
5. La situation financière des exploitants agricoles
69Pour la déterminer, le ministère de l'Agriculture procéda, en 1952, à une enquête parmi les différentes couches sociales. Loin d'être parfaite, cette enquête indique cependant, de façon très générale, la situation économique des exploitants agricoles. Avec 6,5 personnes en moyenne, la dimension des familles d'exploitants est nettement supérieure à celle de l'ensemble des familles japonaises (la dimension moyenne d'après le recensement de 1950 étant de 4,9). On compte en général 2,9 personnes actives par famille et une surface arable moyenne de 1,2 chô par groupe familial, ce qui ramène la surface cultivée par personne à 0,4 chô. Malgré l'extrême pauvreté de l'exploitation agricole japonaise, elle occupe une importante partie de la population. Quels sont les dépenses et les revenus annuels moyens d'un exploitant agricole ? (tableau 22).
Tableau 22. Revenus et dépenses annuels d'un agriculteur en 1952

Tableau 23. Dépenses domestiques d'un agriculteur en 1952

70On estime que 30 % de leurs revenus proviennent d'activités privées exercées par eux ou par leur famille. Sans cet apport, les agriculteurs pourraient difficilement subsister. Comme la somme totale des dépenses s'élève à 118 112 yens, il leur reste pour couvrir les frais domestiques 277 872 yens. Le tableau 23 montre le détail de ces frais.
71Faibles dépenses alimentaires, car les exploitants trouvent la nourriture sur place. En outre, le prix du charbon et celui du charbon de bois sont plus bas que dans les grands centres, parfois même gratuits dans les régions forestières, ce qui réduit beaucoup les dépenses de chauffage et d'éclairage. La plupart du temps, propriétaires de leur maison, ils n'ont que les frais d'entretien. Mais malgré ces avantages, leur niveau de vie reste misérable et il leur faut subvenir aux besoins de 6,5 personnes, soit annuellement avec moins de 50 000 yens par tête.
6. Les horaires de travail des paysans
72Les agriculteurs exploitent leur terre aidés de leur famille. En 1933, l'Association impériale agricole entreprit une enquête sur l'horaire de travail des paysans, selon le sexe et l’âge. Comme, depuis cette époque, les méthodes de travail dans les entreprises agricoles n'ont guère changé, on peut se servir des résultats de cette enquête (voir tableau 24).
Tableau 24. Somme annuelle des heures de travail des agriculteurs en 1933

73Supposons, maintenant, qu'un ménage de 31-50 ans, pourvu d'un enfant de moins de 16 ans, soit engagé dans la même entreprise agricole. Leurs heures de travail normales seraient d'environ 4 330 et celles consacrées aux travaux supplémentaires de 630. Par contre, les heures de travail des salariés et des ouvriers industriels sont de 48 heures par semaine, soit environ 2 400 heures par an, sans compter les heures de travail supplémentaires. Ainsi, le temps consacré aux travaux agricoles est très long. De plus, les revenus d'un exploitant agricole étant beaucoup plus petits que ceux d'un salarié ou d'un ouvrier industriel, on peut en conclure que l'entreprise agricole est extrêmement désavantagée du point de vue économique.
7. Les ouvriers agricoles et leurs salaires
74Seules les grandes exploitations nécessitent des ouvriers agricoles. Mais à la suite de la réforme agraire, ces derniers, déjà peu nombreux avant la guerre, ont probablement encore diminué (les statistiques récentes ne sont pas encore publiées). En 1941, par exemple, leur nombre approximatif s'élevait à 552 000 et ils recevaient un salaire journalier de 1 yen pour un homme et de 0,8 yen pour une femme, tandis que l'ouvrier industriel gagnait 3,22 yens, et la femme 1,27 yens. Le salaire des ouvriers agricoles était donc beaucoup plus bas que celui des ouvriers d'usines.
8. La population des villages agricoles
75Le slogan « La prospérité chez les paysans », aussi nécessaire pour le village que pour le pays tout entier, pose un problème difficile à résoudre. La relation entre la population et la production économique détermine l'existence ou la non-existence du phénomène du surpeuplement. Ainsi, pour le Japon d'après-guerre, son État surpeuplé résulte plus de la cessation presque totale de son activité économique que de son accroissement démographique.
76Cependant, il faut ajouter la prolifération continuelle de la population rurale qui, à l'étroit sur ses terres, dut envoyer son excédent vers les villes industrielles.
77Dès ses débuts, l'industrie japonaise réalisa de tels progrès pour se moderniser qu'elle fut en mesure d'employer tout l'excédent de la population active venue des régions rurales. Malheureusement, elle avait un point faible : elle préférait utiliser des ouvriers avec un salaire modique que des machines coûteuses, immobilisant des capitaux.
78Tel fut le cas, en particulier, de l'industrie textile japonaise, l'une des industries légères les plus poussées. Fait curieux d'ailleurs, sa main-d’œuvre est composée presque exclusivement d'ouvrières originaires des campagnes, dont le salaire serait encore plus bas dans leur village (moindre encore que celui des hommes). En outre, ces femmes s'engagent comme ouvrières, car généralement elles ne trouvent plus de travail dans leur campagne. Cette pratique des bas salaires est commune à toute l'industrie japonaise ; elle permit au Japon de se lancer dans le dumping des marchés internationaux et de subir les invectives du monde entier.
79Toutefois, la politique des bas salaires risque de provoquer de graves conflits sociaux et elle ne contribue pas nécessairement au développement de l'industrie japonaise. À quoi peut-on attribuer cet accroissement rapide de la population agricole dont on a parlé plus haut ?
80Premièrement, depuis la restauration du pouvoir impérial, en 1868, les hommes d'État, fortement imbus du principe : « il n'est de force que d'hommes », ne s'alarmèrent pas de la hausse brutale de la natalité, mais au contraire l'encouragèrent. En cas de guerre, pensaient-ils, la seule victoire possible serait celle du nombre ; d'autre part, le développement industriel permettrait l'absorption de tout excédent de main-d’œuvre. Pas un seul instant, ils ne songeaient que cette surpopulation pouvait être à l'origine de la misère paysanne.
81Deuxièmement une philosophie faite de résignation et de stoïcisme imprégnait fortement alors la masse paysanne. Elle érigeait la pauvreté en vertu et le luxe en vice. Cette non-conscience de leur misère favorisait les plans des impérialistes du gouvernement de Meiji et de certains capitalistes qui y voyaient, entre autres, le moyen de maintenir la fécondité à un taux élevé. Les paysans, en effet, persuadés des vertus de leur vie de privations, ne songeaient nullement à l'améliorer en restreignant leur descendance.
82Mais, vers 1920, le peuple japonais commença à s'éveiller et à s'opposer dans sa grande masse aux impérialistes et aux grands capitalistes. Les intellectuels prirent les premiers conscience de leur individualité. Et même sans être de taille à lutter ouvertement contre le gouvernement et les grosses fortunes, ils songèrent à diffuser les moyens contraceptifs afin d'élever le niveau de vie du peuple. La natalité commença alors mais très lentement à baisser, grâce à la limitation des naissances pratiquée dans les milieux intellectuels. Mais ce procédé était encore, jusqu’à cette dernière guerre, considéré par les paysans comme un acte criminel.
83Troisièmement, le coût financier de l'éducation des enfants. Les enfants des paysans n'allaient généralement pas au-delà de la période de scolarité obligatoire ; la durée de leurs études était donc plus courte que celles des enfants de salariés ou des riches propriétaires terriens. Leur entretien coûtait peu, d'autant plus que l'école terminée, ils étaient repris par les travaux agricoles. Les parents ne voyaient pas, là non plus, le besoin de restreindre les naissances.
84Quatrièmement, le mariage précoce est général dans les régions rurales. Au Japon, il n'existe pas encore de statistiques sur l’âge au mariage d'après la profession. Nous pouvons cependant nous référer au tableau 25, fait d'après nos recherches effectuées dans le département d'Aichi, sur l’âge moyen des mariages en 1936.
Tableau 25. Âge moyen au mariage selon la profession, département d'Aichi (1936)

85C'est chez les paysans que l’âge moyen au mariage, pour les hommes et pour les femmes, est le plus bas. Aussi est-il naturel que, se mariant jeunes, le taux de natalité soit le plus élevé, si les circonstances ne changent pas. Pourquoi les paysans se marient-ils si jeunes ? La raison est très simple.
86Dès la fin de leurs études primaires, les garçons peuvent travailler et fonder relativement jeunes un foyer. Installation favorisée par le faible coût des frais d'habitation et de nourriture, ce qui n'est pas le cas pour les salariés. Pour eux, au contraire, le mariage représente des dépenses supplémentaires. Les statistiques suivantes vont encore confirmer ces quatre principales causes de la forte fécondité des paysans.
9. La fécondité des paysans
87L'Institut d'étude des problèmes démographiques procéda, en 1940 et en 1952, à une enquête sur la fécondité. Ce fut un essai unique au Japon. Le tableau 26 montre, d'après cette enquête, le nombre d'enfants, classés d'après la profession du père et dont la mère a plus de 45 ans.
Tableau 26. Nombre d'enfants classés d'après la profession du mari

88Ainsi, le chiffre moyen le plus fort fut trouvé dans la classe paysanne en 1940 et en 1952. Si, chez les salariés et les ouvriers, la natalité en 1952 était plus faible qu'en 1940, le phénomène inverse se produisit chez les paysans. Ces chiffres signifieraient que, pendant douze ans, les paysans sont restés totalement étrangers au problème de la planification des naissances.
89Si l’âge moyen du mariage, relativement bas chez les paysans, est une des causes de leur fécondité, elle n'est pas la seule. En effet, à âge égal de nuptialité féminine, le nombre moyen des nouveau-nés, chez les paysannes, reste toujours plus fort. Le tableau 27 montre, d'après l'enquête effectuée en 1952, le nombre d'enfants issus d'époux dont les femmes ont toutes plus de 45 ans, et dont l’âge au mariage se situe entre 20 et 24 ans, et 25-29 ans.
Tableau 27. Nombre moyen d'enfants selon la profession du mari et l'âge au mariage de la femme

10. La natalité chez les paysans
90La forte fécondité et la constance d'un taux de natalité élevé chez les paysans sont nécessairement liées. D'ailleurs, on aurait intérêt à établir un taux comparatif de natalité selon les professions.
91L'accroissement naturel de la population étant conditionné à la fois par la mortalité et par la natalité, il faut tenir compte lorsque l'on compare des taux de natalité, des taux de mortalité également répartis selon les catégories professionnelles.
92Malheureusement, nous n'avons aucun élément statistique sur la natalité par profession et nous sommes réduits à employer les documents sur la seule natalité urbaine et rurale. Tous les habitants ruraux ne participent pas, cela va sans dire, aux travaux agricoles, mais l'agriculture occupe cependant la plus grande partie de la population rurale. De même, si la population urbaine n'est pas entièrement composée de salariés, il n'y rentre en tous cas que peu d'agriculteurs. C'est pourquoi il est permis, sans un coefficient d'erreur trop grand, d'utiliser cette répartition de la natalité.
Tableau 28. Taux de la natalité et de la mortalité urbaine et rurale

93D'après le tableau 28, les taux de natalité et de mortalité, dans les campagnes sont plus élevés que dans les villes. Et le taux d'accroissement naturel, également plus fort à la campagne qu’à la ville. En somme, s'il n'y avait pas de mouvement de la population, la population rurale augmenterait beaucoup plus rapidement que celle des villes. En réalité, l'accroissement démographique des campagnes est faible à côté de celui des villes, où la population rurale ne cesse d'affluer.
11. Le taux d'accroissement de la population
94De 1920 à 1955, la population japonaise augmenta de 60 % environ, avec une prolifération très marquée de la population urbaine (tableau 29). En effet celle-ci en 1955 avait presque quintuplé depuis 1920, alors que la population rurale était restée stationnaire. Cette dernière ne bougera pas durant vingt ans (1920 à 1940), et augmentera légèrement entre 1940 et 1945 à la suite de l'arrivée des citadins fuyant les bombardements.
Tableau 29. Taux d'accroissement de la population (pour 10 000)

95L'exode rural vers les villes et l'absorption des villages agricoles entourant les grandes villes, conformément au plan de regroupement des municipalités, peuvent expliquer en partie la dépopulation massive des campagnes qui sévit entre 1950 et 1955. La concentration urbaine, ainsi favorisée, fut extrêmement rapide ; elle absorba pour ainsi dire la presque totalité de l'accroissement rural.
96Cette population venue de la campagne est composée à peu près exclusivement d'éléments jeunes. D'un côté les villes trouvent naturel d'avoir près d'elles ces réservoirs inépuisables de population active, de l'autre sans ce déversoir, l'espace cultivable déjà si réduit des paysans, le serait davantage et pire encore serait leur détresse.
97Et ainsi s'explique la faiblesse des salaires de l'ouvrier japonais, car plus l'offre de la main-d’œuvre est forte, plus son prix en est bas.
98Mais revenons à l'exode de cette classe jeune. Son départ provoque évidemment un déséquilibre de la structure d’âges de la population rurale. Que se passe-t-il alors, par exemple, dans les régions agricoles de Tôhoku, de Hokuriku et Niigata, productrices de la plus grande masse de population active ? Le département de Niigata étant le plus typique, examinons la structure par âge de sa population et sa faiblesse. J'ai choisi les statistiques de l'année 1935 (tableau 30), parce qu'elles témoignent, me semble-t-il, de l'état le plus normal de cette population, qui sera bouleversée plus tard par le conflit sino-japonais et la Seconde Guerre mondiale.
Figure 6. Structure par âge des habitants du département de Niigata (1935)

99
Figure 6 bis. Structure par âge de la population japonaise (1935)

100Sur le graphique représentant la pyramide des âges des habitants du département de Niigata (figure 6) apparaissent nettement les encoches des classes creuses entre 15 et 30 ans ; par contre, le diagramme matérialisant la composition du Japon tout entier affecte la forme d'une pyramide presque parfaite (figure 6 bis).
101Ainsi s'affirme éloquemment l'exode des jeunes et le retour des vieux au village natal. Néanmoins, le taux de natalité du département de Niigata est toujours très élevé, il atteignait 34,6 ‰ entre 1934 et 1936, alors que celui du Japon était de 30,5 ‰. De ces calculs très approximatifs, on peut tout de même déduire la très forte fécondité des départements agricoles, en généralisant le taux moyen de natalité de la population agricole de Niigata qui est de 39,5 ‰.
102Les lois successorales qui demeurèrent en vigueur au Japon jusqu’à la fin de la seconde guerre reconnaissaient le droit d'aînesse. Aussi les paysans, pères de nombreux enfants, étaient-ils contraints d'en envoyer un certain nombre en ville. Après la fin des hostilités, le régime d'égalité en matière de succession fut instauré. Mais, en fait, ces nouvelles lois ne changèrent en rien le régime du partage des terres, car si elles avaient dû être appliquées, le morcellement du sol aurait été tel, que la culture serait pratiquement devenue impossible. Aussi les enfants, en général, abandonnent-ils leur part d'héritage au frère aîné et sont-ils obligés de chercher, comme autrefois, un emploi en dehors de l'agriculture. Mais, fournir un travail à cette population active, en excédent dans les villes, représente actuellement le problème crucial. En réalité, aucune solution ne pourra être apportée au problème rural, tant que subsistera un taux de natalité aussi fort.
Tableau 30. Structure par âge de la population du département de Niigata (1935)

VI. Industrie et population industrielle
1. Caractéristiques de l'industrie japonaise
103On peut dire que l'industrie japonaise a commencé à se moderniser et à prendre un très grand essor, vers le milieu de l'ère de Meiji, mais il reste qu'un de ses aspects typiques est la coexistence continue de grandes, de moyennes et d'une fourmilière de petites entreprises. La Statistique industrielle, publiée par le ministère du Commerce extérieur et de l'industrie, évalue l'importance des entreprises par le nombre d'ouvriers qui y travaillent. Ceci est indiqué dans le tableau 31.
104Selon ce tableau, 233 000 entreprises sur 405 000 n'ont que quatre ouvriers et moins. Celles de quatre à neuf ouvriers sont encore des entreprises de petites dimensions et leur effectif dépasse 82 000. Le total de ces deux catégories représente donc près de 80 % des entreprises japonaises. Les grandes usines, avec plus de 500 ouvriers, ne dépassent pas 914, et correspondent à 0,2 % du total.
Tableau 31. Classement des entreprises d'après le nombre de leurs ouvriers

105Après la défaite, toutes nos fabriques de munitions furent fermées. Si certaines ont repris de l'activité pour fournir des munitions à l'armée de l'ONU après le déclenchement du conflit de Corée, ce fut sans importance en regard de l'industrie en général. En effet en 1942, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, alors que la fabrication des munitions battait son plein, le nombre des usines de plus de 1 000 personnes n'étaient que de 425.
106Les grandes entreprises industrielles, donc peu nombreuses étaient, pour la plupart, dirigées par des zaibatsu (trusts), pourvus de gros capitaux. Pour encourager les industries modernes et leur permettre de lutter contre celles des pays capitalistes étrangers, les gouvernements depuis la restauration de Meiji, y investissaient leurs fonds, prélevés surtout par l'impôt foncier ; à défaut ils usaient de moyens inflationnistes : émission de billets de banque ou lancement d'emprunts. La formation de ces grandes industries diffère tout à fait des entreprises européennes et américaines formées par des capitaux privés.
107Avant la guerre, quatre grands zaibatsu (Mitsui, Mitsubishi, Sumitomo et Yasuda), à la tête d'énormes capitaux, occupaient une position prédominante dans l'industrie japonaise, grâce à une forte protection gouvernementale. En dehors de ces quatre trusts existaient également ceux d'Ayukawa, Nakajima, Kawasaki, Furukawa, Matsushita, Nomura, Okura, Okawachi, Asano et Shibusawa, qui venaient après les quatre grands zaibatsu mais avaient une énorme influence dans les milieux industriels et financiers du Japon (tableau 32).
108À la fin des hostilités, il existait 41 380 sociétés au capital global de 37 500 millions de yens. Les quatre zaibatsu cités dans le tableau 32 représentaient environ 22 % des capitaux du Japon.
Tableau 32. Actifs des quatre grands zaibatsu à la fin des hostilités

109Le 22 septembre 1945, le Grand quartier général des forces alliées interdit au Japon toute fabrication de munitions ; de plus, le 6 novembre suivant, l'ordre fut donné de dissoudre les grands zaibatsu. Ces dernières instructions découlaient probablement de la résolution suivante :
« la dissolution des grands trusts industriels et financiers dont l'influence joue considérablement sur la plupart des branches commerciales et industrielles, constitue un moyen très efficace, dans le domaine économique, d'éviter une nouvelle agression du Japon. » (déclaration de Potsdam, 26 juillet 1945).
110Mais la politique de contrôle économique du Japon par le Grand quartier général cherchant à affaiblir son économie subit, de son fait même, quelques dérogations, notamment lors du conflit coréen. L'armée américaine, alors en garnison au Japon, commanda à des fabriques japonaises des pièces détachées d'automobile, la bombe au napalm, etc. Ces commandes étaient illégales. Et en mars 1952, le Grand quartier général des forces alliées autorisa, sous certaines conditions, le gouvernement japonais à fabriquer des armes. Les commandes de l'armée s'étendirent alors des pièces détachées aux canons de tranchées, aux obus, fusées lumineuses, etc.
111Depuis l'entrée en vigueur du traité de paix, et surtout depuis le règlement des dettes de guerre (usines remises à titre de dommages), non seulement l'industrie de guerre a repris, utilisant en particulier les anciennes installations de l'armée, mais, par ailleurs, la mécanique, les chantiers navals, l'industrie aéronautique, l'industrie automobile, etc. ont, elles aussi, retrouvé leur activité. De plus, le gouvernement a consenti un prêt officiel ; en 1955, ce prêt s'est élevé à 12 000 millions de yens pour les moyennes et petites entreprises, tandis que les grandes entreprises et la « Société pour le développement des ressources énergétiques » ont bénéficié d'un prêt colossal de 83 350 millions de yens, se répartissant ainsi : 30 500 millions attribués à « la Banque pour le développement de l'industrie », 22 000 millions à « la Banque de l'import-export » et 30 850 millions pour « la Société pour le développement ». Les gros financiers épurés par la guerre furent, en 1951, autorisés à retravailler. Par ailleurs, diverses compagnies affiliées autrefois aux zaibatsu (dissous, rappelons-le, en 1945 par les forces alliées) reprirent leur activité dès l'application du traité de paix d'avril 1952, et ce furent les grandes banques des anciens zaibatsu : Mitsui, Mitsubishi, Sumitomo et Fuji (Yasuda), ainsi que leurs compagnies d'assurance vie qui leur fournirent des capitaux. Et voilà comment les grandes entreprises japonaises furent reprises en main par les anciens grands zaibatsu.
2. Petite histoire du développement de l'industrie moderne
112Au début de l'ère de Meiji, l'industrie suivant la conception du Shôgunat Tokugawa, était restée artisanale. Le gouvernement de Meiji mit tout en œuvre pour transformer notre industrie artisanale en industrie moderne. Il s'y côtoyait, comme nous l'avons dit plus haut, quelques très grandes entreprises et un nombre considérable de petites organisations ; ce qui n'empêcha pas le Japon d'occuper le premier rang parmi les pays industriels, tout au moins parmi ceux de l'Est asiatique. Le développement industriel lancé par les hommes de Meiji, s'est accompli en un peu moins d'un siècle. Quatre époques marquent cette évolution. La première prend fin à la guerre russo-japonaise ; la deuxième à la Première Guerre mondiale ; la troisième s'étend de cette dernière à la fin de la Seconde Guerre mondiale ; enfin la quatrième est l'actuelle.
a. L’industrie à ses débuts
113Le gouvernement de Meiji lui donna son premier essor, en introduisant d'Europe et d'Amérique des techniques modernes. Ainsi, en 1870, le gouvernement, désireux de pousser l'industrie textile, confia la direction de la filiale de soie de Tomioka (département de Gunma) à un ingénieur français. Pour développer l'industrie cotonnière, on importa des broches du Royaume-Uni. Plus tard, les industriels japonais reçurent ces usines à crédit (payable par décennie et sans intérêt).
114Des fabriques de munitions et d'armes furent construites à Tokyo et à Osaka, et, en 1892, un chantier naval militaire à Kure ; par la suite, on procéda à de nombreuses installations de ce genre. Elles restèrent, à l'exception des autres industries, propriété nationale, jusqu'au moment de leur suppression (après cette guerre). En troisième lieu, à peu près à cette même époque on exploita officiellement les mines d'Ikushima (département de Hyôgo), de Sado (département de Niigata) et de Kamaishi (département d'Iwate) et on mit en route les chantiers navals de Yokosuka (département de Kanagawa), de Hyôgo (département de Hyôgo) et de Nagasaki (département de Nagasaki). L'industrie légère était à l'époque, la principale industrie. L'industrie textile fit des progrès assez considérables : le nombre de fuseaux était 16 fois plus fort en 1900 qu'en 1887, et le chiffre de la production était multiplié par 33.
b. L'industrie durant la deuxième période
115Un peu avant la guerre russo-japonaise, en 1901, fut construite la fonderie de fer nationale de Yawata (département de Fukuoka). Elle devint la base du développement de l'industrie lourde, qui après la guerre russo-japonaise fit un bond prodigieux. Essor redevable aux ressources de minerai de fer et de charbon de Mandchourie et de Corée (territoires acquis par la victoire japonaise contre la Russie) et, aux impératifs militaires, conséquences de la poussée impérialiste.
116Les nouveaux besoins de l'industrie lourde à l'activité sans cesse croissante, favorisèrent la production des machines-outils, et le développement des industries chimiques, électriques et gazières. D'ailleurs, l'industrie japonaise doit sa transformation si remarquable au déclenchement de la Première Guerre mondiale. Elle profita, en effet, de l'incapacité des principaux pays belligérants de maintenir leur position sur le marché mondial, pour s'en emparer. Et notre pays, qui se trouvait hors du conflit, atteignit une prospérité sans précédent.
117De l'ensemble de la productivité industrielle, celle de l'industrie manufacturière est de loin la plus élevée. En 1914, la répartition de la production se décomposait comme suit :

c. L'industrie durant la troisième période
118La Première Guerre mondiale s'est soldée par la défaite de l'Allemagne et l'apparition d'un nouveau pays industriel, le Japon. Celui-ci prit alors rang parmi les concurrents des pays d'Europe et d'Amérique, pionniers de l'industrie. Bien entendu, la technique japonaise était loin de valoir celle, depuis longtemps rodée, de ces pays et la qualité de ses produits n'était pas excellente. Mais en revanche, grâce à l'abondance de la main-d’œuvre, la marchandise valait relativement bon marché. Ces bas prix nous permirent d'envahir les marchés asiatiques qui réclamaient des objets peu coûteux ; prix également avantageux par rapport à ceux d'Europe et d'Amérique. Mais la palme en revint surtout à l'industrie textile : grâce à la perfection de sa technique et aux salaires infiniment bas de ses jeunes ouvrières (on y employait presque exclusivement des femmes), elle parvint à devenir un rival redoutable du Royaume-Uni.
119Mais, après la guerre, l'économie japonaise subit le contrecoup de la vague de prospérité qu'elle avait suscitée. En 1927, en effet, éclata une crise financière ; ses répercussions marquèrent fortement l'industrie et beaucoup de moyennes et petites entreprises durent fermer leurs portes. Même la grande industrie textile et celle des produits alimentaires en ressentirent un choc terrible ; et l'on ne pût éviter le stockage des marchandises invendues et l'augmentation des chômeurs. De plus, la crise mondiale de 1929 frappa fortement l'industrie japonaise. Mais ce sont surtout les barrières douanières instituées en 1932 par le Commonwealth, qui, par ses droits de douane très élevés, paralysèrent presque complètement l'économie japonaise.
120C'est vraiment pour éviter cette paralysie économique dont il sentait la menace, que le Japon joua sa dernière chance en constituant en 1933 le bloc économique nippo-mandchou, garantissant l'équipement économique de la Mandchourie.
121Au préalable, le Mandchoukouo, créé en 1932, reconnu seulement par un nombre très restreint de pays étrangers, car il n'était qu'un « État fantoche » du Japon, amena ce dernier à se retirer de la Société des Nations. Sous l'effet de cette tension internationale, le bloc économique nippo-mandchou concentra ses efforts autour d'un double système économique de défense. Cette auto-défense correspondait, il est inutile de le préciser, à une attitude semi-belliqueuse. En outre le Japon estimait insuffisants pour ses besoins les produits de l'économie mandchoue, aussi dès 1943 jeta-t-il ses regards sur la Chine du Nord.
122À la suite de slogans prônant le développement économique de la Chine du Nord, la coopération économique sino-japonaise, la formation du bloc économique Japon-Chine-Mandchoukouo, etc., les premiers remous capitalistes pénétraient dans cette partie de la Chine.
123Cette propagande monta les Chinois contre les Japonais et en 1937 éclata le désastreux incident de Chine. Le Japon procéda alors au blocus maritime de toute la côte chinoise et les secours envoyés par les États-Unis durent, pour entrer en Chine, passer en partie par l'Indochine française. Pour couper cette route, le Japon envoya ses troupes en Indochine, déclenchant ainsi plus ou moins directement la guerre du Pacifique.
124Depuis l'incident de Mandchourie, le gouvernement japonais avait jugé nécessaire de renforcer sa puissance militaire afin d'intensifier l'économie japonaise, et de lui faire franchir les mers à l'exemple du Royaume-Uni. En 1933, le gouvernement abandonna la fonderie de Yawata, en faveur du secteur privé. On assista alors à la formation d'un grand trust intitulé Nihon Seitetsu Sha (Fonderie du Japon), regroupant Wanishi Seitetsu, Fusan Kôzan (mine de Fusan), Fuji Seikô (aciérie de Fuji), Mitsubishi, Seitetsu et Kyûshû Seikô autour de la fonderie de Yawata. Le capital de la nouvelle compagnie était principalement constitué de fonds d'État et de capitaux de Mitsui et de Mitsubishi. En 1936, la compagnie produisit 92 % de la fonte en gueuse, 51 % des lingots d'acier et 40 % des aciers laminés des diverses productions nationales créées pour augmenter la fabrication du matériel de guerre.
125Parmi les industries d'armement, la mécanique subit un développement considérable ; et entre 1931 et 1938, son coefficient d'augmentation fut de 8. Cette industrie était très en retard sur l'industrie textile ; l'exportation de machines était faible et, en revanche, on en importait beaucoup. Mais, pendant la période citée ici, le chiffre des exportations se multiplia par 9 et les importations diminuèrent sensiblement. En dehors de cette industrie, les industries chimiques, et notamment celle de l'acide sulfurique, accomplirent des progrès remarquables.
126L'incident de Chine et la guerre du Pacifique firent passer l'économie du Japon d'une conjoncture de paix à une conjoncture de guerre. En effet, l'industrie légère, surtout celle du textile, subit des restrictions très sévères. D'autre part, la production agricole diminua fortement par suite de la pénurie des engrais et de la main-d’œuvre. Citons, à titre d'exemple, les articles textiles qui, en 1940, diminuèrent de 50 % par rapport à la production de 1935-1937. Par contre, l'industrie de guerre marqua une prospérité extraordinaire. L'industrie lourde accusa, en 1941, un coefficient d'augmentation de 1,7 par rapport à la production de 1935-1937. En particulier, la production de l'industrie mécanique quintupla dans la même période. Pour augmenter la production de munitions et renforcer son contrôle étatique sur les autres industries, le gouvernement institua des compagnies nationalisées comme : la Teikoku Nenryô (Compagnie impériale des combustibles), la Nihon Sankin (production métallurgique), la Teikoku Kôgyô (industrie minière), la Nihon Hassôden (production et distribution d'énergie électrique), la Hokushi Kaihatsu (développement de la Chine du Nord), la Chûshi Shinkô (développement de la Chine du Centre), etc. Mais l'industrie lourde atteignit sa production maximum en 1943 et, depuis lors, elle ne fit que décroître. Par exemple, la production d'acier diminua par suite de la pénurie de ferraille, ce qui entraîna la diminution de la production d'armes, de bateaux et de machines.
127En outre, les installations industrielles du Japon furent vers la fin de la guerre du Pacifique, considérablement endommagées par les bombardements continuels et leur activité presque réduite à néant ; leur production après la clôture des hostilités représentait moins de 20 % de celle de 1937 (année de l'incident de Chine).
128Les pertes subies par l'industrie japonaise, et notamment celles de l'industrie manufacturière, puis leur rétablissement après la guerre seront décrits dans le chapitre IV. Par ses efforts incessants depuis la restauration de Meiji, d'un pays à structure primaire, le Japon est passé maintenant à celui de pays industriel le plus puissant de l'Asie. Quelle était alors la place de l'industrie manufacturière ? L'évolution de la population qu'elle emploie, comparée à celle de la population active totale nous le dira. En 1873, la population active était estimée à environ 19 millions d’âmes et celle de l'industrie manufacturière à 680 000. Elle ne représentait donc que 3 %. Dix ans plus tard, en 1883, sa proportion était de 4 %. Le tableau 33 indique la répartition de la population active d'après les recensements faits entre 1920 et 1950.
Tableau 33. Répartition de la population active

129Au cours de ces années, la proportion de la population agricole a donc toujours été la plus forte, celle de l'industrie manufacturière venant immédiatement après. Néanmoins si la première reste presque étale entre 1920 et 1940, la seconde s'accroît considérablement pendant cette même période. À la suite de l'incident mandchou de 1931 s'amorce le développement intensif des industries lourdes et de l'armement, nécessitant par là une augmentation rapide de la population industrielle. Mais cette augmentation se serait, semble-t-il, produite de toute façon.
130La guerre ruina particulièrement l'industrie manufacturière. Ses installations fortement endommagées par les raids aériens accusent encore une certaine vétusté, par suite du manque de réparations. De plus, la difficulté de trouver des matières premières et l'absence d'emprise sur les marchés étrangers aggrava cette dépression et abaissa considérablement le chiffre de la population manufacturière. Elle augmentera de nouveau, nous l'espérons, au fur et à mesure de la remontée de l'économie japonaise.
131Faute de statistiques, nous nous abstiendrons de montrer la place occupée par l'industrie manufacturière (notons seulement que le service des recherches de l'École commerciale de Nagoya a publié l'indice de production par industrie de 1880 à 1936). Yamada a publié en 1951 les « Données statistiques sur les revenus du peuple japonais », en analysant les différentes statistiques économiques. Parmi les tableaux annexés à ce livre, se trouvent les chiffres de production des principales industries (tableau 34).
Tableau 34. Indice de production des principales industries (millions de yens)

132D'après le tableau 34, parmi la production nationale, le pourcentage de l'industrie manufacturière n'était, en 1880, que de 18,4 %, alors que celui de l'agriculture atteignait 76,2 %, montrant bien le rôle principal de l'agriculture dans l'économie japonaise. Par la suite, la production de l'industrie manufacturière atteignit, en 1910, 42 %, mais resta encore inférieure à celle de l'agriculture qui était de 46,6 %. Après 1915, la situation se renversa et l'industrie manufacturière atteignit plus de 50 % de la production totale, taux qui, entre la Première Guerre mondiale et la guerre du Pacifique, passa à 70 %.
Tableau 35. Production des industries manufacturières (millions de yens)

133Le tableau 35 compare l'augmentation de la production de l'industrie manufacturière avec celle des diverses industries. En subdivisant cette industrie, on peut remarquer ses fluctuations, parfois considérables, suivant le fil des ans.
134En 1880, d'après ce tableau, l'industrie alimentaire dépassait largement les autres (62 % de la production totale), même l'industrie textile qui alors produisait seulement un peu plus de 16 % du total ; quant à l'industrie lourde, elle représentait une part minime. Cependant la production textile progressait rapidement et, déjà en 1895, elle dépassait 50 %. Mais ce n'est qu’à la fin de la Première Guerre mondiale que la mécanique, la métallurgie et l'industrie chimique commencèrent à se développer.
3. Évolution quantitative des usines par industrie
135L'Annuaire statistique du Japon, publié annuellement depuis 1882, contient de nombreux éléments statistiques sur les usines. Mais jusqu'en 1909, les méthodes d'enquêtes peu rigoureuses, font douter de la sûreté de ces statistiques. Après cette date, un arrêté du ministère de l'Agriculture et du commerce les réglementa. Dès lors, on obtint des renseignements susceptibles d'être utilisés ; mais de 1909 à 1920, ces recensements n'eurent lieu que tous les cinq ans ; ils ne deviendront annuels qu’à partir de 1921. En 1939, l'arrêté fit place à un « règlement sur l'enquête de l'industrie de fabrication ».
136Toutefois dans le recensement des ouvriers de 1921, l'enquête fut élargie et étendue indistinctement à tous les établissements équipés d'un appareillage électromécanique, même s'ils employaient moins de 5 ouvriers. Par contre, depuis 1923, tous les établissements ayant plus de 5 ouvriers régulièrement employés font l'objet du recensement.
4. Entreprises de plus de 5 ouvriers
a. Évolution en général
137Dans ce paragraphe, nous nous bornerons à l'étude des entreprises ayant plus de 5 ouvriers. Disons simplement que l'ensemble des entreprises de moins de 5 ouvriers totalisait en 1942 un nombre d'employés très inférieur à celui des précédentes, respectivement 1 156 403 et 3 924 457 ; soit pour les petites entreprises, à peine un tiers du total des ouvriers. Cependant les entreprises de moins de 5 ouvriers étaient au nombre de 512 802 contre 126 392 employant plus de 5 ouvriers. La plupart sont des entreprises secondaires qui dépendent de plus grandes, mais dont la base économique est tellement fragile que la moindre crise les mettra par terre. En période de marasme, les grandes usines se trouvent elles-mêmes dans une situation difficile. Le mot marasme signifie d'ailleurs pour les petits industriels « fermeture immédiate de leur entreprise ». La plupart des ouvriers réduits au chômage rentrent dans leurs villages. Les villages japonais font donc à la fois office de fournisseurs d'ouvriers et d'asiles pour chômeurs.
138Mais revenons à notre sujet, et essayons d'entrevoir les grandes lignes de l'industrie japonaise. Le tableau 36 montre l'évolution des entreprises de plus de 5 ouvriers, de 1909 à 1947.
Tableau 36. Nombre des usines par industrie


139Augmentation du nombre des usines : de 1909 à 1947, celui-ci s'accrut d'année en année et à une augmentation lente pendant les vingt années qui suivirent 1909, succéda entre 1929 et 1942 une nette accélération. En effet, de 32 228 en 1909, leur nombre atteignit 59 887 en 1929. Il doubla donc en vingt ans. Or, en 1942, il était passé à 126 392, dépassant le doublement en treize ans.
140L'industrie se développa, selon un cours normal, jusque vers les années 1929. Puis l'incident mandchou-japonais vint accélérer son rythme, uniquement pour répondre aux besoins de l'armée que requérait le régime militaire alors institué dans le pays.
141Sans les incidents mandchou-japonais, sino-japonais et la guerre du Pacifique, le nombre des usines n'aurait pas augmenté si rapidement.
142La chute des entreprises suivit immédiatement la défaite de 1945, leur nombre tombant brusquement à 58 561, chiffre inférieur à celui de 1929. L'arrêt total de l'industrie d'armement, le manque de matières premières, la perte des débouchés d'outre-mer à la suite de l'interruption des communications avec l'étranger en sont les causes. Toutefois, depuis 1946, les usines ont repris leur activité et leur nombre atteint maintenant à peu près celui de 1938.
b. Évolution selon les industries
143En outre, l'évolution quantitative diffère selon les industries. L'industrie textile, par exemple, chef de file de toutes les autres, après l'énorme élan donné par le gouvernement de Meiji, se développa par la suite moins rapidement. Si entre 1909 et 1938, le nombre de ses usines augmenta de 90 %, ce taux diminua et revint à ce qu'il était, ou presque, en 1909. Pendant la guerre, elles diminuèrent naturellement au profit de celles consacrées à l'armement. Et en 1945, le textile subit un contrecoup terrible.
144Par suite du manque de coton, et de l'absence des débouchés outre-mer, le nombre de ses usines par rapport à 1942 fut réduit à moins d'un tiers. Les imprimeries et la presse perdirent également de nombreux ateliers ; il n'en resta que le quart, faute de papier.
145Mais un développement particulièrement frappant fut celui des industries métallurgiques, mécaniques, d'équipement et chimiques, c'est-à-dire celles justifiées par les besoins militaires. Cette avance extraordinaire fut dès 1945 réduite de moitié (par rapport à 1942).
c. Évolution par ordre chronologique
146Enfin essayons de déterminer l'évolution chronologique du nombre d'usines dans chaque industrie.
147En 1909, le nombre d'usines de l'industrie textile représentait 45 % du chiffre total affirmant dès cette époque sa suprématie. En 1942, elle occupait toujours la première place, mais son pourcentage, par rapport au total des usines des autres industries, diminua désormais peu à peu. Le nombre des usines de l'industrie alimentaire vient immédiatement après ; en 1909, elle détenait plus de 19 % du total, et tint la deuxième place jusqu'en 1934. La mécanique et l'équipement atteignaient, en 1938, 15,64 % et évincèrent alors l'industrie alimentaire. La métallurgie et la chimie, en dépit de leurs progrès pendant la guerre, représentaient une faible proportion du total. En 1942, le nombre des usines métallurgiques n'était que de 8,71 % et celui des usines chimiques de 6,95 %.
5. Répartition des usines d'après leur effectif
a. Entreprises de plus de 5 ouvriers
148La plupart des entreprises japonaises emploient moins de 5 ouvriers. Mais jetons d'abord un coup d’œil sur celles de plus de 5 ouvriers (tableau 37).
149Comme nous l'avions vu, le nombre des entreprises alla croissant d'année en année. En 1942, elles avaient presque quadruplé depuis 1909 (3,9 fois plus). Cette prolifération est d'ailleurs plus marquée pour les grandes usines. En effet si en 1909, 58 usines seulement employaient plus de 1 000 ouvriers, en 1942 il y en avait 425 (soit 7,3 fois plus). Pour celles comptant entre 500 et 1 000 ouvriers, de 82 en 1909, elles passèrent à 453 en 1942 (soit 5,5 fois plus).
Tableau 37. Répartition des usines selon le nombre de leurs ouvriers

150En dehors de ces deux catégories, les entreprises occupant entre 5 et 9 ouvriers et celles de 10 à 29 ouvriers s'accrurent également, mais dans des proportions moindres : respectivement de 4,1 et de 3,8 entre 1909 et 1942.
b. Répartition pour différentes années
151Examinons ensuite la répartition des usines dans une même année, d'après le nombre d'ouvriers employés. En 1909, les entreprises de 5 à 9 ouvriers représentaient 52,14 % de la totalité ; celles de 10 à 29 ouvriers 33,55 %. Le total de ces deux catégories d'entreprises atteignant 85,69 % montre bien l'abondance des petites entreprises. Les entreprises de 30 à 499 ouvriers ne représentent que 13,88 % et 0,91 % seulement emploient plus de 500 ouvriers.
152Le pourcentage des petites entreprises (5 à 9 et 10 à 29 ouvriers) augmenta à diverses périodes et notamment lors de l'incident mandchou. Ainsi, le nombre des usines de 5 à 9 ouvriers était en 1934 de 56,54 % ; en 1938 de 57,24 % et en 1942 de 54,40 %. Augmentation due probablement aux besoins croissants de l'industrie de guerre.
153Les grosses entreprises industrielles (plus de 500 ouvriers) suivirent aussi cette courbe ascendante. En 1942, 0,36 % des usines faisaient travailler chacune entre 500 et 999 ouvriers et 0,34 % plus de mille. En contrepartie, la proportion des usines moyennes baissa.
6. Répartition du personnel des entreprises
154Nous examinerons ici le nombre d'ouvriers dans les entreprises groupant plus de 5 personnes. Le personnel d'une entreprise comprend naturellement, non seulement les ouvriers, mais encore des employés, des techniciens et divers personnels subordonnés. Comparons d'abord la proportion des ouvriers au total du personnel (tableau 38).
155D'après ce tableau, la proportion des ouvriers, par rapport à l'ensemble du personnel, se situa aux environs de 90 %, jusqu'en 1938. Après 1942, cette proportion baissa, surtout après la défaite, pour tomber à 76,91 % en 1947. Les ouvriers diminuèrent en raison de l'augmentation des employés. En 1938, par exemple, la proportion des employés, par rapport à la totalité du personnel, était de 4,59 % et, en 1942, elle atteignait 8,34 %, car pendant la dernière guerre, un grand nombre de Japonais furent réquisitionnés, mais certains d'entre eux ne pouvaient travailler comme ouvriers, et furent affectés aux postes d'employés. Après la défaite, la proportion des employés augmenta encore. En 1946, elle atteignit 11,76 % et, en 1947, 12,12 %. Résultat de la législation du travail née après la dernière guerre, laquelle nécessite un important appareil administratif.
156Si la proportion des techniciens augmenta également au sein de chaque usine (3,11 % en 1938 ; 4,38 % en 1942 ; 5,65 % en 1946 ; et 5,70 % en 1947), il ne semble pas que ce soit pour répondre à une demande plus grande, mais plutôt pour une raison terminologique. En effet, pendant et après la guerre, des ouvriers expérimentés apparentés auparavant aux simples ouvriers, se sont trouvés par suite des besoins, promus au rang de contremaîtres, et souvent classés parmi les techniciens. Après 1942, la rubrique « technicien » comprend donc, outre les techniciens proprement dits, quelques ouvriers spécialisés.
Tableau 38. Distribution du personnel industriel par emploi

7. Évolution numérique des ouvriers d'usine par catégorie industrielle
a. En général
157De 1909 à 1942, le nombre des ouvriers augmenta d'année en année (tableau 39). De 800 637, en 1909, il passa à 1 825 028 en 1929. Il augmenta donc de plus du double dans les vingt ans qui suivirent 1909 (2,2 fois plus) ; et pendant les treize ans qui suivirent 1929, ce nombre ne fit que croître, pour atteindre, en 1942, le chiffre de 3 924 457. Le coefficient d'accroissement fut donc plus marqué pendant la période récente, corollaire de l'intensification de la production industrielle décidée après l'incident mandchou. La défaite l'arrêta, et nombre d'usines ayant été détruites, l'effectif ouvrier fut ramené à 1 730 587 en 1945, chiffre inférieur à celui de 1924. Dès 1946, l'activité industrielle reprit, mais l'effectif actuel n'a pas encore rattrapé celui de 1942.
Tableau 39. Évolution numérique des ouvriers par catégorie industrielle


b. Selon les Industries
158En vingt ans (de 1909 à 1929), le nombre total des ouvriers augmenta d'un peu plus du double (2,2, fois plus) et cette évolution affecta plus spécialement la métallurgie. Le coefficient d'augmentation de son effectif fut de 76. Toutefois en raison de ce nombre très faible encore jusqu'en 1919, nous prendrons pour base de comparaison les 16 982 ouvriers métallurgistes de l'année 1919. En 1929, ils étaient 90 939, ayant donc plus que quintuplé pendant ces dix ans. Augmentation d'ailleurs continue dans cette industrie. Ensuite viennent la mécanique et l'équipement, la chimie, le gaz et l'électricité. De 1909 à 1929, le nombre d'ouvriers dans la métallurgie, la mécanique, l'équipement et l'industrie du gaz et de l'électricité tripla à peu près et augmenta de 2,8 fois, dans la chimie. Augmentation donc assez considérable dans l'industrie lourde, moindre dans la légère. Dans l'industrie textile, par exemple, très importante au Japon, le nombre d'ouvriers doubla seulement, durant ces vingt années. Car déjà proche de 500 000 en 1909, elle occupait, au total, plus de 60 % des ouvriers japonais. Si l'augmentation en valeur absolue des ouvriers est grande dans cette industrie, elle est relativement faible en pourcentage.
159Entre 1929 et 1942, le nombre total des ouvriers japonais augmenta de plus du double. L'augmentation fut particulièrement importante, dans l'industrie lourde. Dans la mécanique et l'équipement, le nombre d'ouvriers augmenta de plus de 8 fois ; dans la métallurgie, de plus de 5 fois ; dans la chimie, d'environ 3 fois. Par contre, dans l'industrie textile, le nombre d'ouvriers diminua de 269 000, soit de 26 %. Dès l'entrée en guerre, dans le Pacifique, les industries légères furent réduites. L'industrie textile, entre autres, dut diminuer considérablement ses horaires de travail, étant donné l'insuffisance des matières premières.
160Les effectifs de l'industrie textile diminuèrent terriblement après la guerre (réduction de deux tiers) ainsi que ceux des industries mécaniques et d'équipement (2,5 fois moins nombreux). Le nombre d'usines métallurgiques diminua aussi de moitié. S'il était naturel de constater à la fin des hostilités une diminution des ouvriers de l'industrie lourde par rapport au recrutement poussé lors de la guerre, celle du textile ne s'explique pas par les mêmes raisons. Car cette réduction avait déjà commencé avant la fin du conflit. De 1942 à 1945, le nombre d'ouvriers a diminué d'année en année ; il nous est toutefois impossible d'en apporter la preuve, faute de statistiques en 1943 et 1944. Cependant la situation commença à se rétablir peu à peu, après la guerre, dans chaque industrie.
161Mais le démarrage le plus rapide se manifesta parmi les ouvriers des industries de la presse, du textile, du gaz et de l'électricité. Leur nombre avait presque doublé entre 1945 et 1947 ou dépassé le doublement.
c. Pour diverses années
162Examinons enfin la répartition des ouvriers des différentes catégories industrielles pour une année donnée. En 1909, par exemple, les ouvriers de l'industrie textile occupaient la première place, avec 60,77 % du total, venait ensuite l'industrie alimentaire, avec 11,08 % seulement de la totalité des ouvriers, soit à peine le cinquième du chiffre de l'industrie textile. À cette époque, encore à l'aube de l'ère industrielle, le pourcentage des ouvriers de l'industrie lourde était très faible ; la mécanique et l'équipement n'en employaient que 7,97 % ; la chimie 5,44 % et la métallurgie 0,15 % seulement ; le centre de gravité des industries se situait dans le textile.
163Même une fois ce temps révolu, le nombre d'ouvriers dans l'industrie textile a toujours occupé la première place, jusqu'en 1938. Mais sa part dans l'ensemble de l'industrie a diminué d'année en année, l'effectif des ouvriers ayant augmenté moins vite que celui des autres industries. En 1938, avec 30,38 % l'industrie textile était encore en tête, suivie de près par la mécanique et l'équipement qui groupaient déjà 26,75 % des ouvriers. Ceux de la métallurgie et de l'industrie chimique augmentaient également, et atteignaient 10 % du total. L'effectif des industries lourdes était alors près d'atteindre son plafond. En 1942, il occupait le premier rang. Cette même année, le nombre d'ouvriers de la mécanique et de l'équipement conquit enfin le rang principal en atteignant 42,87 %, dépassant de beaucoup celui de l'industrie textile (18,74 % du total). Le pourcentage des ouvriers métallurgistes et chimistes a également augmenté. Le pôle attractif des industries japonaises se transféra alors à l'industrie lourde.
164Après 1942, malgré la baisse considérable du nombre d'ouvriers, survenue après la défaite, leur répartition resta à peu près la même. L'industrie mécanique détient le plus gros pourcentage suivie de l'industrie textile puis, en troisième, de l'industrie métallurgique.
8. Nombres des ouvriers classés selon la dimension des entreprises
165Nous avons vu l'évolution générale du nombre des ouvriers ; elle varie probablement, selon la dimension des entreprises. Le tableau 40 montre la distribution des ouvriers dans les entreprises de plus de 5 ouvriers.
166Le nombre total des ouvriers était, nous l'avons constaté, passé de 800 637 en 1909 à 3 924 457 en 1942 ; se trouvant ainsi multiplié par 4,9. Mais ce taux diffère notablement selon la dimension des usines. Il est d'autant plus élevé que l'usine emploie plus d'ouvriers. Dans les grandes usines employant plus de 1 000 ouvriers, leur nombre est passé de 111 279 en 1909 à 1 306 355 en 1942, se trouvant donc multiplié par 11,7. Ce coefficient d'augmentation se trouve réduit à 5,6 pour les entreprises de 500 à 999 ouvriers et à 3 ou 4 pour les entreprises ayant moins de 500 ouvriers.
167La figure 7 montre le coefficient d'accroissement des usines et des ouvriers, classés selon la dimension des usines. On obtient ce graphique en comparant le nombre d'ouvriers de 1909 à celui de 1942, d'après les tableaux 37 et 40.
Tableau 40. Nombres d'ouvriers classés selon l'effectif de leurs usines

168Le taux d'accroissement du nombre des petites entreprises employant de 5 à 9 ouvriers, de 10 à 29 ouvriers et de 30 à 49 ouvriers, serait plus élevé que celui du nombre global de leurs ouvriers. Par conséquent, le nombre moyen des ouvriers des petites usines a diminué. Par contre, l'inverse s'est produit pour les entreprises comptant de 100 à 499 ouvriers et de 500 à 999 ouvriers, et le phénomène s'accuse davantage pour celles de plus de 1 000 ouvriers, où le taux d'augmentation du nombre des usines s'avère beaucoup plus faible que celui des ouvriers. Hausse donc très sensible dans les grandes entreprises.
169Examinons ensuite la distribution des ouvriers, dans une même année, pour chaque catégorie d'usine. En 1909, les usines employant de 100 à 499 ouvriers accaparaient 22,58 % des ouvriers et prenaient la deuxième place. Venaient ensuite les usines employant plus de 1 000 ouvriers, où le nombre de ceux-ci atteignait 13,90 % de la totalité. En quatrième lieu se trouvaient les entreprises employant de 5 à 9 ouvriers avec un pourcentage de 13,54 % ; et comme nous l'avons déjà vu, représentant 52,14 % de l'ensemble des entreprises. S'opposant ainsi aux entreprises de plus de 1 000 ouvriers qui avec un effectif à peu près semblable n'occupaient que 0,18 % du total.
Figure 7. Coefficient d'accroissement des usines et des ouvriers de 1909 à 1942 (à partir de 1942, les statistiques manquent)

170À dater de cette année et jusqu'en 1924, la proportion des ouvriers des petites entreprises baissa peu à peu, tandis que celui des grandes usines augmentait d'année en année. Dans les petites entreprises employant de 5 à 9 ouvriers, la proportion par rapport au total des ouvriers était de 9,94 % en 1914 ; de 8,52 % en 1919 et de 8,60 % en 1924. Dans les entreprises employant de 10 à 29 ouvriers, la proportion était de 19,48 % en 1914, de 16,41 % en 1919 et de 14,72 % en 1924. Au contraire, dans les usines employant plus de 1 000 ouvriers, la proportion était de 16,95 % en 1914, de 22,47 % en 1919, de 27,53 % en 1929. Mais en 1929, la crise économique générale fit tomber quelque peu le nombre des usines de plus de 1 000 ouvriers et celui des ouvriers employés par elles, dont le taux s'abaissa jusqu’à 19,72 % du total des effectifs. Néanmoins, les grandes usines gardaient toujours un chiffre supérieur à celui des petites. En outre, en 1934, l'augmentation des effectifs ayant été relativement importante dans les petites usines, celle des grandes usines baissa corrélativement pour tomber à 18,60 %. Mais la création, après l'incident sino-japonais, de nombreuses usines de vastes dimensions, renfloua ces effectifs qui, en 1938, remontèrent à 26,43 % et en 1942 à 33,29 %.
Tableau 41. Répartition par sexe des ouvriers

Tableau 42. Nombre d’ouvriers et d’ouvrières dans les principales industries

Tableau 42. suite

9. Répartition par sexe des ouvriers
171Ayant déjà constaté le développement progressif du nombre des ouvriers, examinons à la lumière du tableau 41 ce développement selon les sexes. Le taux d'augmentation des ouvriers est toujours plus grand que celui des ouvrières : de 1909 à 1929, celui des ouvriers de sexe masculin fut de 2,8 et celui des ouvrières de 1,9 ; de 1929 à 1942, la masse des ouvriers tripla et le coefficient d'augmentation des ouvrières ne fut que de 1,2. En 1945, baisse dans les deux sexes indistinctement, mais plus marquée chez les ouvrières, qui à cette date, ne représentaient plus que 20 % de l'effectif de 1909. Si les ouvriers du sexe masculin diminuèrent également, leur importance restait encore à l'époque triple de celle de 1909. De 1946 à 1947, le taux d'augmentation des ouvrières fut faible, et celui des ouvriers beaucoup plus fort.
172Comparons ensuite, au cours de différentes années, le nombre des ouvriers et celui des ouvrières (tableau 41). De 1909 à 1929, les ouvrières étaient plus nombreuses que les ouvriers. Plus nous remontons dans le passé, plus nous trouvons élevée la proportion des ouvrières. En 1909, par exemple, la proportion des ouvriers était de 38,36 % et celle des ouvrières de 61,64 %. Par la suite, cette proportion baissa. Cependant si en 1929, la proportion des ouvrières était encore de 53,14 %, et celle des ouvriers de 46,86 %, à partir de 1934, la situation fut renversée. Le pourcentage des ouvriers atteignait alors 53,02 % de la totalité et celui des ouvrières 46,98 % et en 1942, 69,05 % pour les ouvriers et 30,95 % pour les ouvrières. La cause en fut le lent développement de l'industrie textile, à main-d’œuvre en grande partie féminine, contrastant avec le brusque essor des industries lourdes, qu'animait un grand nombre d'ouvriers masculins.
173D'après le tableau 42, pour chaque année et dans toutes les usines, à l'exception des textiles, la masse des ouvriers est beaucoup plus grande que celle des ouvrières. Notamment dans la métallurgie, la mécanique, l'équipement, dans l'industrie du gaz et de l'électricité, 95 % des ouvriers sont des hommes. Toutefois, depuis 1942, la main-d’œuvre féminine a quelque peu augmenté dans les trois premières industries ; et si elle y occupait seulement 15 % du total, ce chiffre était bien inférieur avant 1942. En d'autres termes, les ouvriers de sexe masculin représentaient plus de 90 % de la main-d’œuvre industrielle.
174Par contre, dans l'industrie textile, la situation est tout à fait différente, la quantité des ouvrières y est très supérieure. Leur proportion atteignait, en 1909, 85,15 %. Ce taux élevé baissa récemment, mais se maintint encore à plus de 80 %. Le nombre absolu des ouvriers du textile, avant la guerre, ayant été très grand par rapport au nombre absolu de l'ensemble des ouvriers, et la proportion du nombre des ouvrières y ayant été aussi très supérieure, le pourcentage de celles-ci, au total, se trouve porté à un chiffre relativement grand dans le tableau 41.
10. Répartition par âge des ouvriers en général
175Le Bulletin de statistique industrielle du Japon n'offre, sur l’âge des ouvriers, que des informations très sommaires. L'échelle de classement par âge des ouvriers n'est pas bien graduée (par exemple, on classe les ouvriers comme suit : au-dessous de 16 ans, de 16 à 59 ans, au-dessus de 60 ans). Bien plus, cette échelle n'est pas souvent la même selon les années. Enfin, dans les statistiques de ces dernières années, il n'existe aucune échelle par âge. Ces éléments sont donc très incomplets. Essayons tout de même d'indiquer d'après ces statistiques, la répartition par âge et par sexe des ouvriers, de 1929 à 1942 (tableau 43).
176D'après cet état la majorité des ouvriers des deux sexes appartiennent à la tranche d’âges 16-49 ans. En 1929, les hommes de cette tranche d’âges représentaient 93,46 % de la totalité des ouvriers, et les femmes 78,43 % de l'ensemble des ouvrières. Mais c'est là un phénomène très naturel, car cette classe d’âges représente la majeure partie de la population active. Cette tendance se perpétue toujours, avec seulement depuis 1938, une petite diminution dans le taux des ouvriers masculins et au contraire une légère augmentation dans celui des femmes.
Tableau 43. Répartition par âge des ouvriers

177Il y a ici au moins deux questions qui retiennent notre attention.
1781) Le taux d'ouvriers masculins de la classe d’âges 16-49 ans est toujours supérieur à celui des ouvrières de la même classe d'âges. Ceci découle de la très forte proportion de femmes de moins de 16 ans employées dans l'industrie, et dont le coefficient dépasse de beaucoup celui des ouvriers de moins de 16 ans. Ainsi, en 1929, ces derniers représentaient 3,35 % de l'effectif total, et les femmes 20,38 %.
1792) Toutefois, après 1942, le pourcentage des ouvriers de moins de 16 ans tend à augmenter quelque peu, alors que l'inverse se produit chez les ouvrières. Pour quelles raisons ? Après l'éclatement de la guerre du Pacifique on réquisitionna pour les usines d'armement de nombreux garçons au-dessous de 16 ans. Par contre les ouvrières nouvellement embauchées se recrutaient chez celles de plus de 16 ans. Car l'industrie textile occupait — on le sait — une forte proportion de jeunes filles de moins de 16 ans ; de plus, bon nombre d'entre elles furent transférées des usines textiles à celles d'armement. La réserve des ouvrières de moins de 16 ans ayant été ainsi épuisée, le recrutement dut se faire a fortiori parmi le reste de la population.
Tableau 44. Répartition par âge des ouvriers des principales industries (d'après l'Enquête statistique pratique du travail) en 1933

Tableau 44 (suite). Répartition par âge des ouvriers des principales industries (d'après l'Enquête statistique pratique du travail) en 1933

180Le Bulletin de la statistique industrielle du Japon donne des renseignements succincts sur l’âge des ouvriers. Mais depuis 1924, la Direction des statistiques du Cabinet du président du Conseil fit effectuer, à plusieurs reprises, des enquêtes sur le travail. Elles avaient pour but de dresser la statistique exacte de la situation ouvrière. Le rapport présenté à la suite de ces enquêtes apporta des renseignements très détaillés sur l’âge des ouvriers et des ouvrières, et nous allons les utiliser ici pour compléter les informations données par « Le Bulletin de statistique industrielle du Japon ».
11. Répartition par âge pendant l'année 1933
a. En général
181Les chiffres fournis sont valables pour l'année 1933. Cette date nous semble marquer la limite du développement relativement normal de l'industrie et de sa structure ouvrière, et c'est pourquoi nous l'avons choisie. Toutefois, un écart assez grand existe entre les chiffres relevés par le Bulletin de statistique industrielle du Japon et les Enquêtes statistiques pratiques du travail. Ainsi, le Bulletin de statistique industrielle du Japon de 1933 indique 2 010 203 ouvriers et les Enquêtes statistiques pratiques du travail, seulement 1 428 058. Ces enquêtes ayant été effectuées à des dates différentes, à la fin de l'année pour la Statistique industrielle, le 10 octobre pour les Enquêtes du travail, la non-concordance de ces chiffres, si elle n'était pas si grande, ne serait pas tellement étrange ; mais, en fait, la première enquête concernait les entreprises de plus de 5 ouvriers, et l'autre, celles de plus de 30 ouvriers.
182Jetons d'abord un coup d’œil sur la répartition par âge des ouvriers (tableau 44). Au-dessous de 16 ans, il y a 17 ‰ ouvriers du sexe masculin et 126 ‰ du sexe féminin. Entre 16 et 19 ans, 67 ‰ hommes et 192 ‰ femmes. Dans ces deux classes d’âges, le nombre des ouvrières est donc très supérieur à celui des ouvriers. C'est d'ailleurs dans ces deux groupes d’âges que se recrutait la plus grande quantité des ouvrières6.
Figure 8. Répartition par âge des ouvriers japonais (‰)

183Entre 20 et 24 ans, le nombre d'ouvriers et d'ouvrières est à peu près égal : 97 ‰ hommes et 103 ‰ femmes. Mais dans les classes d’âges plus élevées, l'effectif des ouvrières diminue rapidement et devient inférieur à celui des ouvriers. Ainsi de 25 à 29 ans, on trouve 94 ‰ ouvriers du sexe masculin et 29 ‰ du sexe féminin. Dans la tranche d’âges 30-34 ans, le nombre des ouvriers est de 83 ‰ et celui des ouvrières de 16 ‰. Plus l’âge augmente, plus le nombre d'ouvriers, sans distinction de sexe diminue, mais avec une tendance plus marquée chez les ouvrières. La figure 8 montre, dans ses grandes lignes, la répartition des ouvriers par sexe et par âge, dans différentes industries du Japon.
Figure 9. Répartition par âge des ouvriers correspondant à la catégorie A

Figure 10. Répartition des ouvriers correspondant à la catégorie B

Figure 11. Répartition des ouvriers correspondant à la catégorie C

b. Par industrie
184Ensuite nous observerons les caractéristiques de la répartition par âge particulière à chaque industrie. Ces particularités peuvent être classées en trois catégories.
185Catégorie A. La répartition hommes-femmes est à peu près identique dans chaque classe d’âges ; catégorie valable pour l'industrie chimique, céramique et produits des carrières (figure 9).
186Catégorie B. Dans cette catégorie entrent les industries où le nombre de jeunes ouvrières est très grand. L'industrie textile répond à cette répartition. La figure 10 indique la répartition par âge des ouvriers et ouvrières dans l'industrie textile.
187Catégorie C. À l'antipode de la catégorie B, celle-ci comporte très peu d'ouvrières (de tout âge) et une importante proportion d'hommes. Sauf dans les groupes d’âges de moins de 16 ans et de plus de 50 ans. Les industries électriques, gazières, métallurgiques, mécaniques, d'équipement appartiennent à cette catégorie.
188En outre, ce groupe a quelques particularités qui lui sont propres. La classe d’âges 30-34 ans fournit la majorité des ouvriers du sexe masculin du gaz et de l'électricité ; pour la métallurgie, ce sera la classe d’âges 25-29 ans ; pour la mécanique et l'équipement, la tranche 20-24 ans. Si les ouvriers de moins de 15 ans sont peu nombreux dans le gaz et l'électricité, ce groupe sera relativement important dans l'industrie de la céramique (figure 11).
VII. L'émigration
1. L'émigration au début de l'ère de Meiji
189La politique de Meiji, à ses débuts, se désintéressait des questions coloniales et de l'émigration. Alors que le Royaume-Uni prenait, en 1874, possession des Fidji, la France de Tahiti (1877), l'Allemagne des îles Marshall, en 1885, et que le Royaume-Uni, l'Allemagne et les Pays-Bas se partageaient en 1885 la Nouvelle-Guinée, on parlait bien au Japon de s'emparer des îles Mariannes et des Carolines, mais seulement dans des colloques privés.
190Et même en 1884, lorsque l'occasion se présenta – des pêcheurs japonais venaient d'y être assassinés par des indigènes – le gouvernement ne prit aucune mesure pour s'emparer des Marshall. Il se contenta d'y envoyer deux fonctionnaires des Affaires étrangères : Gotô Taketarô et Suzuki Tsunenori. Et seul en resta le Récit de l'exploration dans les Mers du Sud, publié par Suzuki.
191Une première émigration, après la restauration de Meiji7 amena en 1868 un groupe de 153 personnes aux îles Hawaï, un de 40 personnes à l'île Guam et, en 1869, un dernier contingent de 40 individus en Californie. Ces émigrants – sauf ceux à destination d'Hawaï qui étaient guidés par des Américains – furent patronnés par des étrangers résidant au Japon. À Hawaï, les conditions étaient les suivantes : durée : trois ans, salaire : 4 dollars par mois, frais de logement, nourriture et soins médicaux à la charge du patron. Le travail consistait à cultiver des patates douces. Au Japon, on critiqua beaucoup l'envoi de ces émigrants à Hawaï, et on le compara au trafic des esclaves nègres. L'on dit même qu'il s'agissait d'une sorte de traite. L'ambassadeur des États-Unis au Japon notifia aux Américains l'interdiction d'introduire des émigrants japonais aux États-Unis. Nos émigrants furent alors transportés en Californie par des Hollandais ; ils devaient s'y livrer à l'agriculture et à la sériciculture. Cette dernière se termina par un échec complet, auquel vinrent s'ajouter de fréquents accidents compromettant sérieusement cette tentative.
192En 1876, le gouvernement australien envoya un représentant au Japon pour inviter des agriculteurs japonais, mais le gouvernement de Meiji déclina l'offre. Il le fit, suppose-t-on, pour éviter un conflit probable entre les deux pays sur les questions d'émigration, et pour ne pas affaiblir la population japonaise qui avait pour devise : « pays riche = armée forte ». Cependant, les Anglais réussirent, par contrat privé, à faire venir des Japonais, comme pêcheurs de perles en Australie : 37 Japonais se rendirent dans ce pays en 1883. Mais le gouvernement japonais n'autorisa l'émigration en Australie qu'en 1888 et cette même année, 100 Japonais s'y rendirent comme travailleurs agricoles.
193En 1881, le roi de Hawaï se rendant en Europe, passa par le Japon et fit part de son intention de faire venir des émigrants japonais aux îles Hawaï. L'année suivante, le chargé d'affaires hawaïen au Japon renouvela cette offre ; mais le gouvernement la prétextant contraire aux usages internationaux, en raison de traités conclus entre le Japon et certains pays étrangers, la refusa. Ne renonçant pas pour si peu, le gouvernement hawaïen redemanda en 1884 au Japon, par l'intermédiaire de son représentant diplomatique, l'envoi d'émigrants. Acculé par ces demandes réitérées, le gouvernement japonais conclut, en 1884, avec le gouvernement hawaïen, un traité d'émigration et de navigation.
2. Polémiques en faveur de l'émigration
194Cependant si le gouvernement de Meiji délaissait les questions d'émigration, dans le pays, de nombreux polémistes réclamaient l'envoi d'émigrants à l'étranger. En effet, la restauration de Meiji entraîna par suite de la destruction de la classe des Samouraïs, une notable quantité de chômeurs, et un immense surcroît de pauvres, amenés par l'inflation économique, due à la nouvelle politique de libre-échange. L'émigration était donc considérée, par certains, comme une nécessité. C'est ainsi que Shiga Jukô exposa les avantages de l'émigration dans son article, publié en 1887 : « Événements d'aujourd'hui dans les Mers du Sud ». Il en énuméra les raisons :
1951) Pour les ouvriers, il est très difficile de trouver un emploi au Japon, en raison de la très forte densité de population et de son économie peu développée ; tandis qu'aux îles Hawaï s'offrent des emplois bien rémunérés, qui permettraient à nos émigrants d'acheter des produits japonais. En somme un émigrant pourrait faire vivre trois ouvriers japonais.
1962) Il n'existe pas de législation du travail au Japon et ses conditions sont donc irrégulières. En envoyant des émigrants à l'étranger, on apprendra à connaître d'autres méthodes et l'on pourra adopter les plus judicieuses.
1973) L'économie japonaise retirera un profit de l'émigration.
1984) L'émigration sera un moyen de lutte contre la surpopulation.
199Selon Mutô8, si beaucoup de pauvres n'étaient pas envoyés à l'étranger, cela risquerait de provoquer des émeutes comparables à celles d'Irlande, ou la formation d'un parti nihiliste semblable à celui existant sous le tsarisme. Et il en vint à proposer la constitution d'une « Association pour l'émigration vers l'Amérique ».
200Hattori9 et Tsuneya10 parlent tous deux de la surpopulation japonaise et insistent sur les nécessités de l'émigration. Vers 1890, la population de notre pays était d'environ 40 millions d’âmes, moins de la moitié de la population actuelle, et la densité à peu près de 100, c'est-à-dire les deux cinquièmes de celle d'aujourd'hui. Malgré cela, on parlait déjà du danger d'une trop forte densité. Un premier essai de prévisions démographiques amena Tsuneya à insister sur la nécessité absolue, devant une telle croissance, de favoriser une émigration immédiate. Mais diverses critiques s'élevèrent contre un départ massif d'émigrants. C'est ainsi que Hamada écrivit dans un article intitulé « Émigration »11, que l'accroissement d'une population n'était qu'un phénomène passager. Tsuneya estimait lui, selon ses calculs, que la population japonaise atteindrait 80 millions en 1960 et demandait l'envoi de gens à Hokkaïdô plutôt qu’à l'étranger.
3. Modification de la politique gouvernementale
201Si l'émigration était critiquée par quelques-uns, la tendance générale lui était plutôt favorable et, en 1893, fut constitué l’« Institut d'Émigration ». Ses statuts précisaient :
2021) L'émigration sera utile à la lutte contre la surpopulation.
2032) Le peuple japonais, désavantagé par la politique autarcique et isolationniste des Tokugawa, trouvera par là le moyen de renforcer ses liens d'amitié internationale. (Voir le numéro 1 du Rapport de l'Institut publié en avril 1893).
204Conformément au Traité d'émigration conclu entre les gouvernements japonais et hawaïen, 945 Japonais émigrèrent en 1885 aux îles Hawaï et signèrent un contrat avec le représentant du gouvernement hawaïen au Japon. Comme ils devaient se munir d'une autorisation du gouvernement japonais, ils étaient appelés communément « émigrants gouvernementaux ». Le gouvernement accordait son autorisation pour une certaine durée (ordinairement trois ans) aux émigrants-ouvriers. Leur nombre augmentait chaque année. Pour simplifier le travail administratif, le gouvernement institua, en 1894, le règlement sur la protection des émigrants et, en 1896, la loi sur la protection des émigrants, qui étaient destinés à faire traiter les questions des émigrants par la Compagnie civile de l'émigration. C'est ainsi qu’à dater de 1894, les questions d'émigration passèrent du secteur public au secteur privé. Le règlement sur la protection des émigrants avait pour but de surveiller ladite compagnie.
205La compagnie Ogura fut créée pour la première fois en février 1894 et, après la guerre sino-japonaise, d'autres compagnies virent le jour. Une certaine concurrence entre elles créait souvent une situation économique défavorable aux émigrants, contrevenant tout à fait aux stipulations des statuts. D'autre part, un problème très épineux surgit entre ces compagnies et les émigrants. En effet, en 1898, les îles Hawaï furent annexées par les États-Unis d'Amérique et, en 1900, ceux-ci décidèrent de pratiquer la proscription rigoureuse des émigrants sous contrat. Or, la plupart des émigrants des îles Hawaï se trouvaient sous contrat. Leur nombre diminua fortement et les compagnies subirent des revers sérieux qui les obligèrent à se dissoudre les unes après les autres. Par contre, les émigrants libres pouvaient entrer sans difficultés. Ils émigrèrent non seulement à Hawaï, mais aussi en Amérique et au Canada. Parmi les émigrants des îles Hawaï, certains s'y fixèrent et d'autres allèrent sur le continent. Ainsi le nombre d'émigrants d'Amérique augmenta constamment : 53 100 en 1904, 61 000 en 1905, 73 000 en 1906, 89 000 en 1907 et 103 000 en 1908.
4. L'attitude américaine
206Mais depuis le début de ce siècle, le désir d'éliminer les Japonais envahissait progressivement le continent américain. En 1907, le gouvernement japonais conclut avec le gouvernement américain un Gentlemen’s Agreement, qui nous mit dans l'impossibilité d'envoyer des émigrants sur le continent américain et aux îles Hawaï. La proscription des émigrants non européens en Amérique ne visait à l'origine que les ressortissants chinois. Comme ces derniers avaient, vers 1850, commencé à émigrer en masse vers la Californie, cet État adopta des mesures restrictives pour en endiguer le flot.
207Ces méthodes étaient bien entendu anticonstitutionnelles et le gouvernement des États-Unis reconnut aux Chinois, en 1868, le droit d'entrée, en concluant le Burlingame Treaty et condamnant comme illégale l'attitude de la Californie. Cependant cette tendance gagnait de plus en plus de terrain et en 1879, une loi sur l'élimination des Chinois fut votée au Congrès. Mais le Président R. B. Hays fit jouer son veto. Cependant, en 1882, le Chinese Exclusion Act entra en vigueur et, en 1892, il devint effectif. Ainsi, l'Amérique se ferma aux Chinois. L’ Immigration Act de 1924 stipula l'expulsion d'Amérique de tous les non-Américains. Les Chinois furent chassés de Hawaï en 1898, et des Philippines en 1902.
208Après la prohibition des Chinois, l'Amérique aborda celle des Japonais. L'émigration japonaise vers l'Amérique se pratiquait depuis le début de l'ère Meiji. Selon les recherches de l'Administration des émigrants, 148 Japonais se trouvaient, en 1880, en Amérique, et 2 039 en 1890. Par la suite, les émigrants vinrent en Amérique non seulement directement du Japon, mais aussi de Hawaï. Ainsi, au commencement de ce siècle, près de 40 000 Japonais habitaient l'Amérique. L'expulsion des Japonais ne se produisit pas tout d'un coup. En 1891, 53 émigrants japonais, à bord d'un bateau allemand, ne furent pas autorisés à débarquer à San Francisco ; l'Amérique avait pour se justifier une bonne raison, car parmi les passagers se trouvait un certain nombre de prostituées. Grâce à l'intermédiaire du consul du Japon, les émigrants en situation régulière purent mettre pied à terre, sauf évidemment ces femmes. L'incident était ainsi clos.
209Puis après la guerre sino-japonaise, l'émigration japonaise reprit de plus belle et en 1900 plus de 10 000 personnes avaient quitté le sol natal. La proscription se renforça et l'Amérique interdit sous différents prétextes, sans évoquer toutefois le racial, le débarquement des Japonais.
210Beaucoup d'émigrants japonais sont cheminots, domestiques, ouvriers non spécialisés et par là même s'attirent la déconsidération. En outre, l'Amérique juge le Japon par ses émigrants, et il en résulte une atteinte à notre prestige.
211Or les deux seuls moyens d'augmenter à l'étranger notre revenu national sont les transports maritimes et le commerce extérieur. Mais ce mouvement migratoire créait un climat défavorable qui risquait d'empêcher les échanges commerciaux entre nos deux pays ; sans donc interdire toute émigration, il fallait la limiter et la sélectionner.
5. Nouvelles mesures restrictives du gouvernement japonais
212À ces fins, le gouvernement du Japon prit, en août 1900, des mesures pour limiter sévèrement l'émigration vers l'Amérique du Nord et le Canada. En effet, l'opinion publique américaine était devenue favorable au Japon ; cependant, après la guerre russo-japonaise, le slogan du « péril jaune » lancé par le Kaiser, renversa la situation. Les Californiens ne se contentèrent pas seulement d'interdire l'arrivée de nouveaux émigrants du Japon, mais ils allèrent jusqu’à chasser ceux qui se trouvaient en Amérique. Le 7 mai 1905 se tint à San Francisco une assemblée de citoyens afin de constituer une ligue pour exclure les Japonais et les Coréens ; les divers syndicats ouvriers y participèrent également. Le 11 octobre de la même année, l'administration de l'Enseignement de la ville de San Francisco interdit aux enfants d'origine japonaise l'accès des écoles fréquentées par des enfants américains.
213Cette mesure fut très maladroite. Car si nous-mêmes Japonais comprenions le souci des Américains de ne pas se laisser envahir par nos ressortissants plus ou moins indésirables, l'enseignement de leur propre culture dispensée à nos enfants servait plutôt leur intérêt.
214L'Amérique limitait l'entrée des ouvriers, mais par ailleurs donnait libre accès aux étudiants japonais venus pour parachever leurs études. Ce numerus clausus contre les enfants d’âge scolaire était donc parfaitement illogique et revenait à renier les droits des Japonais reconnus par le traité américano-japonais conclu en 1894. Le gouvernement japonais adressa une protestation au département d'État américain et le problème fut résolu à l'amiable, mais ce n'était que justice...
6. Nouvelle vague anti-japonaise
215Pourtant, par la suite, les mesures prohibitives contre les Japonais furent poussées à leur paroxysme et amenèrent, en 1907, le gouvernement japonais à conclure, avec celui des États-Unis, un Gentlemen’s Agreement. Cet accord interdisait l'entrée de tous nouveaux émigrants, à l'exclusion des père, mère, femme et enfants de Japonais se trouvant déjà installés en Amérique comme agriculteurs, étudiants ou commerçants. En conséquence, le gouvernement du Japon ne délivra plus de passeports aux ouvriers désirant se rendre en Amérique.
216Cette mesure avait un double but : arrêter l'émigration ouvrière japonaise et repousser les Japonais résidant en Amérique, sur la bordure du Pacifique ; 17 projets de loi sur la prohibition des Japonais furent soumis en 1909, au Congrès de l'État de Californie, et peuvent se répartir en trois catégories :
2171) Interdire la possession de terres par des étrangers n'ayant pas le droit de se faire naturaliser.
2182) Isoler les élèves japonais.
2193) Isoler les quartiers des Japonais.
220Ces projets ne furent pas sanctionnés légalement, grâce à l'intervention du gouverneur de l'État de Californie, mais une nouvelle loi fut votée, interdisant la possession de biens immobiliers par les Japonais. L'entrée en vigueur de cette loi leur porta un coup très dur. En effet, les terres appartenant à des Japonais qui n'étaient pas nés – Nisei – en Amérique, furent vendues aux enchères.
221En 1915, l'interdiction du droit de bail fut évoquée, mais la Première Guerre mondiale l'enterra pour un certain temps. Le problème fut soulevé à nouveau et, en 1920, les projets de lois sur l'interdiction du droit de bail des Japonais et la ségrégation des élèves japonais furent soumis au Congrès de l'État de Californie. Ils ne furent pas votés, mais leurs promoteurs étaient suffisamment influents pour promouvoir l'exclusion des Japonais. Leurs directives étaient, à peu de chose près, les suivantes :
2221) Enlever aux Japonais le droit de bail.
2232) Interdire l'entrée en Amérique de fiancées choisies sur photographies. (NB : en cas de mariage entre un Japonais habitant l'Amérique et une Japonaise se trouvant au Japon, celle-ci était autorisée à venir).
2243) Renoncer au Gentlemen's Agreement et interdire l'entrée en Amérique des émigrants japonais.
2254) Ne pas octroyer aux Japonais la naturalisation.
2265) Ne pas octroyer la citoyenneté américaine aux nouveau-nés japonais.
227Le projet de loi voté en 1921 enlevant le droit de bail aux Japonais entra en vigueur le 5 novembre et les Japonais furent ainsi privés d'un droit reconnu par l'ancienne loi foncière. Par la suite, la Ligue pour l'expulsion des Asiatiques (nouveau nom donné à la Ligue pour l'expulsion des Japonais) tenta d'établir une loi supprimant l'émigration japonaise. En 1923, un projet de loi interdisant l'entrée en Amérique des émigrants japonais fut voté au Congrès des États-Unis et signé par le Président, et souleva le mécontentement du gouvernement japonais. Cependant il apparut assez rapidement que le gouvernement américain n'en tiendrait pas compte. Probablement, l'Amérique jugea par la suite inutile d'exacerber les sentiments anti-nippons, en raison de l'utilité des échanges commerciaux entre les deux pays. Le gouvernement japonais conclut, en 1908, un Gentlemen’s Agreement avec le gouvernement du Canada et ne protesta pratiquement pas contre l'Australie et la Nouvelle-Zélande qui avaient interdit leurs frontières aux émigrants japonais.
228L'attitude américaine répondait plus à des considérations sociales qu’à un préjugé racial. En effet, des sentiments racistes auraient dès le début, en dépit du manque de main-d’œuvre, interdit toute immigration japonaise. En réalité, ce mouvement migratoire, peu cultivé dans l'ensemble, s'adaptait mal à la vie du pays, et les Américains voyaient d'un mauvais œil grossir la masse de ces individus qui ne s'intégraient pas dans leur société. Le Japon aurait dû sans doute, avant d'envoyer ces émigrants à l'étranger, leur faire subir un entraînement capable de les adapter aux conditions de leur nouveau pays. En fait, le gouvernement du Japon s'en souciait peu et laissait cette tâche aux compagnies privées.
7. Politique active du Japon en faveur de l'émigration après 1920
a. Vers le Brésil
229Comme ils l'avaient fait pour l'Amérique du Nord, de nombreux émigrants japonais commençaient maintenant à affluer en Amérique du Sud, et surtout au Brésil. Le gouvernement, changeant d'attitude, encourageait et aidait ces émigrants, car l'économie japonaise commençait à ressentir les effets de la crise de 1920 et le nombre de chômeurs augmentait de plus en plus. Le gouvernement essayait de lutter en entreprenant des travaux pour employer les chômeurs et en envoyant au Brésil, à des fins agricoles, l'excédent des ouvriers.
230Au début, la section d'immigration du ministère des Affaires étrangères s'était occupée des formalités administratives des émigrés, et les établissements consulaires à l'étranger de leur protection, surveillance et orientation. Puis en 1921, la direction des Affaires sociales du ministère de l'Intérieur fut chargée d'encourager l'émigration et elle accorda une subvention à la Compagnie industrielle d'outre-mer (Kaigai Kôgyô Kaisha — Compagnie d'émigration) pour le développement de l'émigration. À partir de 1924, ce ministère paya les frais de voyage des émigrants se rendant au Brésil. En 1929, fut créé le ministère des Affaires d'Outre-Mer, qui avait pour but d'administrer les affaires des émigrants, de les conseiller et de les diriger vers les entreprises d'outre-mer.
231En 1928, fut institué le Centre national de réception des émigrants à Kobe. Avant leur établissement, les émigrants vers le Brésil avaient coutume de loger en groupes, dans les « auberges d'émigrants » au port de départ — Kobe — pour y attendre le bateau. Le centre eut mission de protéger et d'éduquer les émigrants. C'était la première fois qu'un tel institut voyait le jour. Les émigrants logeaient là, à titre gracieux, et étaient initiés sommairement à la langue, à la géographie, aux coutumes, à l'hygiène, à la religion, à l'agriculture, etc., du Brésil.
232Tout en menant une active politique d'émigration vers le Brésil, le Japon essayait de ne pas avoir d'ennuis avec ses habitants. Les émigrants japonais furent généralement bien reçus et leur nombre augmenta chaque année. En 1930, le gouvernement brésilien promulgua un règlement tendant à restreindre l'entrée des émigrants étrangers, mais celui-ci ne fut pas appliqué aux émigrants japonais, qui bénéficiaient d'un régime spécial. En effet, leur activité agricole et leur fidélité étaient très appréciées. En 1924, les militaires fomentèrent à Sao Paulo une révolution à laquelle participèrent de nombreux étrangers, sauf des Japonais. Ceux-ci déclarèrent : « Si une armée étrangère envahissait le Brésil, nous, émigrants japonais, prendrions le sabre pour la combattre ; par contre, nous ne pouvons participer à un combat entre Brésiliens. » Cette circonstance aurait, dit-on, encore rehaussé leur prestige. Cependant, ils n'échappèrent pas au quota des émigrants, fixé en 1933.
233La dernière guerre stoppa pendant une dizaine d'années ce mouvement, redevenu possible seulement depuis 1951. La section d'émigration du ministère des Affaires étrangères se transforma, en 1955, en direction de l'Émigration, et son pouvoir fut élargi.
b. Vers la Mandchourie et le Mandchoukouo
234Immédiatement après la guerre russo-japonaise se posa la question de l'émigration en Mandchourie. Gotô Shimpei, premier président de la Compagnie du chemin de fer sud-mandchourien, fit connaître officiellement son projet concernant l'émigration d'un million de personnes en Mandchourie. Mais le Japon n'acquit que le droit d'exploitation de la Compagnie de chemin de fer et du terrain environnant, soit seulement 295 km2, superficie d'ailleurs trop faible pour une mise en culture. Sur les 30 millions de chôbu qui représentaient la terre arable mandchoue (soit 5 fois plus que celle du Japon), 13 millions étaient alors cultivés. Mais les émigrants japonais n'eurent pas le droit d'y travailler, et c'est pourquoi très peu d'émigrants agricoles s'installèrent sur les terres de la Compagnie entre 1908 et 1931.
235L'établissement du Mandchoukouo souleva à nouveau le problème. Le ministère des Affaires d'Outre-Mer établit, en 1932, un plan d'émigration. Ce plan prévoyait à titre d'essai l'envoi d'émigrants dans le Nord. Entre 1932 et 1935, il y eut 4 départs d'émigrants ; et, en 1936, l'on projeta un envoi massif au Mandchoukouo d'un million de familles, autrement dit de cinq millions de personnes, devant s'échelonner sur vingt ans à partir de 1937. Quatre phases étaient envisagées. Pendant la première période (de 1937 à 1941), le nombre de familles qui allèrent en Mandchourie n'atteignit que 45,4 % des prévisions. Par suite des hostilités dans le Pacifique, l'exécution de ce projet devint de plus en plus difficile et finalement fut arrêtée par notre défaite.
236Ce plan avait deux buts bien arrêtés : le ravitaillement en produits alimentaires rares au Japon et l’éparpillement de notre excédent de population. Si comme prévu nos cinq millions d'émigrants agricoles s'étaient établis en 20 ans, les Japonais auraient atteint 10 % de la population du Mandchoukouo et auraient bénéficié d'une influence considérable.
8. Résultat de l'émigration
237L'émigration japonaise subit, depuis l'aurore de l'ère Meiji, de grosses difficultés, et en dépit des diverses tentatives, le mouvement ne fut jamais très considérable. Comparé à notre population sans cesse croissante, son chiffre est insignifiant. L'émigration n'apportait donc aucun remède pour lutter contre notre surpopulation.
Tableau 45. Japonais résidant à l'étranger (en 1940)

238Nous montrons, dans le tableau 45, le nombre de Japonais résidant à l'étranger en 1940.
239En outre d'autres Japonais habitaient, à cette date, dans des dépendances japonaises et se dénombraient ainsi :

240Donc, le total des Japonais qui se trouvaient, en 1940, hors du Japon, était de 3 385 144 (année où le conflit sino-japonais obligeait certains militaires et employés civils de l'armée à rester en Chine, au Mandchoukouo, en Corée, à Formose, etc., mais ils sont exclus de ce calcul).
241Ce chiffre représentait un peu plus de 4 % de la population intérieure, qui était alors de 71,83 millions d’habitants (sans compter des Coréens et autres étrangers résidant au Japon au nombre de 1,3 million). Si ce faible effectif ne pouvait apporter un remède au surpeuplement, son activité contribua incontestablement à renforcer l'économie japonaise. À la suite de la dernière guerre, presque tous les Japonais fixés en Extrême-Orient ou dans le Sud-Est asiatique furent contraints de regagner leur pays. Ces trois millions de rapatriés pesèrent considérablement sur le Japon, alors en plein marasme économique. Parmi les Japonais qui se trouvaient en Chine ou au Mandchoukouo, un grand nombre d'entre eux avaient laborieusement et péniblement édifié leur situation, et ils revinrent dans leur patrie en malheureux réfugiés.
Notes de bas de page
1 Meiji : 1868-1912 ; Taishô : 1912-1925 ; Shôwa : depuis 1925 [NdT].
2 Obligatoire jusqu’à 15 ans depuis la réforme de 1946 [NdT].
3 P. Meyet, « Japanische Bevölkerungsstatistik, historisch, mit Hinblich auf China, und Kritisch betrachtet, gehalten » am 20 dez. 1882 vor der Deutschen Gesellschaft für Natur und Völkerkunde Ostasiens.
4 Fujisawa R., Assurance sur la vie, 1889 (en japonais).
5 Le divorce est une affaire purement privée, ne nécessitant aucune intervention judiciaire [NdT].
6 Pour le Japon d'après-guerre, il faut noter que l'enseignement est désormais obligatoire jusqu’à 15 ans, et qu'en 1956 plus de 40 % des enfants fréquentaient les écoles jusqu’à 18 ans. Ce dernier pourcentage augmente d'année en année [NdT].
7 Irie T., 1938, L'Histoire de l'expansion des Japonais à l'étranger.
8 Mutô S., 1887, Émigration aux États-Unis.
9Hattori T., 1891, Politique des mers du Sud.
10 Tsuneya M., 1891, Émigration vers l'étranger.
11 Hamada K., 1891, Revue économique de Tokyo.
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