Chapitre II
La population et l'économie avant l'ère Meiji
p. 33-42
Texte intégral
I. Avant l'époque des Tokugawa
1. La population et l'économie dans l'Antiquité et au Moyen Âge
1Les rares documents qui existent sur cette période manquent d'exactitude. Cependant, les objets découverts montrent l'existence d'une agriculture à l'époque Yayoishiki (environs du ier siècle), dont la technique semble s'être particulièrement développée entre les vie et viiie siècles. En effet, l'ouvrage historique Nihon-shoki (720) mentionne la présence de canaux d'irrigation et l'usage de l'engrais. Des instruments agricoles comme la houe, la bêche, le coutre, la faucille ont été découverts dans les anciennes sépultures. D'après les documents historiques, on cultivait surtout le riz, le blé, les haricots, le soja, le millet, etc. La culture du riz fut très probablement la plus importante. Désireux de stocker le riz en prévision d'éventuelles famines, le gouvernement, en 702, essaya de vulgariser la culture du blé en distribuant des semences aux paysans. Mais les paysans se montrèrent peu enclins à suivre ces directives. Le riz était déjà la céréale préférée et la nourriture habituelle des Japonais, et la famine seule les faisait recourir au blé ou aux autres céréales.
2L'agriculture demeura la principale activité de l'Antiquité et du Moyen Âge. Mais nous ne possédons aucun document susceptible de nous renseigner sur la superficie des terres cultivées à cette époque. Comme nous l'avons mentionné dans le chapitre précédent, le système de répartition des terres cultivées fut adopté à la suite de la réforme de Taika. Et, en 646, on établit dans tout le Japon des registres d'état civil et un cadastre ; leur révision devait avoir lieu tous les six ans. Toutefois il n'était pas d'usage alors de publier ces informations ; et seul le Wamyôsho, dictionnaire édité vers 980 par Minamoto Shitagô, peut nous fournir quelques renseignements. D'après celui-ci, la superficie des terres cultivées était de 862 797 chôbu, soit de un million de chôbu (environ) d'aujourd'hui. Ces chiffres sont approximatifs, néanmoins ils sont admis par les savants japonais. Ils représentent, à peu de chose près, le cinquième de la culture actuelle. Si au Moyen Âge l'agriculture représentait la production de base, l'artisanat et le commerce avaient également leur place. Les paysans fabriquaient eux-mêmes presque tous les articles d'usage domestique, et ceux qu'ils devaient fournir à la Cour (fil, étoffe, soie, porcelaine, objets de bois laqués, etc.). Ces articles confectionnés par les paysans étaient très simples, sinon frustes. Cependant on trouve, parmi les articles utilisés par l'aristocratie, des objets très raffinés, introduits de Chine ou faits par des artisans venus de Corée.
3À l'époque de Heian, Kyoto (capitale) notamment, abrita d'habiles artisans japonais. Le musée Shôsô-in, de Nara, conserve quelques-unes de leurs œuvres.
4L'échange des produits agricoles et des produits manufacturés commença dès l'époque de Nara. De midi au coucher du soleil, on s'assemblait en des lieux fixés pour le marché. Les nobles n'y avaient pas accès, aussi envoyaient-ils à leur place des serviteurs qui vendaient le surplus de leur production. Paysans, artisans, ouvriers apportaient leur production et y trouvaient en même temps des matières premières ; on vendait également à domicile. À la fin de l'époque de Heian, la population de Kyoto augmenta et, outre le marché, de nombreux magasins ouverts en permanence commencèrent à s'établir. On dit même qu’à l'époque de Nara, on utilisait la monnaie sur les marchés. Mais ce n'est qu'au milieu de l'époque de Heian que l'usage de la monnaie se développa et favorisa ainsi l'expansion commerciale. À la suite de la réforme de Taika et grâce à la création des registres d'état civil, l'on aurait dû connaître avec exactitude le chiffre de la population. Mais le défaut d'information populaire, et à la fin de l'époque de Nara, la puissance naissante des seigneurs (consécutive à l'affaiblissement du pouvoir central) qui, maîtres de domaines privés empêchèrent une distribution intégrale des terres, nuisirent à un recensement rigoureux. Le phénomène s'accusa davantage à l'époque féodale, lorsque les Bushi prirent le pouvoir ; en effet les suzerains avaient l'habitude de tenir secret le nombre de leurs vassaux et de leurs sujets. Les estimations de la population de l'époque, basées sur le nombre de foyers mentionnés dans certains ouvrages anciens, ne peuvent donc être que très approximatives.
5En 646 eut lieu, comme nous l'avons déjà indiqué, le premier recensement à des fins fiscales et agraires, aussi son exactitude est-elle très relative. On peut savoir néanmoins, d'après le registre d'une des régions de l'époque1 conservé au Shôsô-in, que les femmes étaient plus nombreuses que les hommes, dans la proportion de 3 femmes contre 2 hommes2. Fait assez exceptionnel dans le monde primitif où, en général, la règle inverse est de rigueur. Il faudrait plutôt attribuer cette forte proportion de femmes à l'enregistrement inexact des hommes sur les registres de l'état civil ; chiffre d'autant plus faible qu'étaient plus lourds les impôts et les corvées exigés d'eux. Toutes ces raisons expliquent les variations des dénombrements de la population de l'Antiquité et du Moyen Âge. Voici, à titre d'exemple, le résultat des études effectuées par Yokoyama3 :

II. À l'époque des Tokugawa
1. Le recensement à l'époque des Tokugawa
6Pendant environ cent trente ans à partir de la fin du gouvernement shôgunal de Muromachi (vers 1470), se déroula une période obscure durant laquelle les seigneurs ne cessèrent de guerroyer. Les souffrances du peuple furent pires que sous la domination des Bushi. À l'avènement du gouvernement shôgunal des Tokugawa, en 1603, les diverses industries commençaient à se développer et un système monétaire était institué.
7Yoshimune, 8e shôgun des Tokugawa, habile politique, chercha par différentes méthodes à affermir son gouvernement. En 1721, il fit recenser toute la population japonaise ; depuis lors et jusqu'en 1846, 20 recensements suivirent. Yoshimune pour sa part en usa fréquemment ; sans doute en avait-il besoin pour assurer sa propre politique4.
a. Époque du recensement
8Conformément à un édit du gouvernement shôgunal des Tokugawa, le premier recensement eut lieu en 1721 ; par la suite, on procéda tous les six ans à son renouvellement, mais rien ne précise le mois et le jour des opérations. Elles avaient lieu dans une région, au printemps, dans une autre, en automne, et non, comme aujourd'hui, à une date déterminée et unique.
b. Limites régionales du recensement
9Il ne s'étendait pas au Japon tout entier. Les Kouriles et Hokkaidô furent exclus du premier recensement et très probablement certaines îles où les communications étaient difficiles.
c. Objet du recensement
10Selon les instructions du gouvernement shôgunal des Tokugawa, on recensa les paysans, les commerçants, le personnel des temples Shintô, les religieux bouddhistes, etc., à l'exclusion des membres de la famille impériale, des nobles et des Bushi. Ces instructions sur le recensement étaient données aux daimgô, mais ne concernaient ni la Cour impériale ni les nobles. L'exonération accordée aux Samouraïs, en matière de recensement, avait pour objet de ne pas révéler à l'extérieur l'importance de la force militaire dont disposaient les seigneurs. Les humbles furent aussi exemptés du recensement. Quant aux enfants du peuple âgés de moins de 15 ans, c'était aux seigneurs qu'appartenait la décision de les déclarer ou non. C'est pourquoi, dans certaines régions, tous les habitants étaient recensés, alors que, dans d'autres, étaient dénombrés tous ceux de plus de 2 ans ou bien seulement ceux de plus de 15 ans.
d. Méthode de recensement
11Le recensement, sous les Tokugawa, était basé sur les registres d'état civil, alors qu'aujourd'hui des bulletins spéciaux sont distribués dans chaque famille. La population recensée à cette époque ne représentait donc pas le chiffre réel, mais le nombre d'habitants enregistrés. Le recensement était ainsi encore très incomplet.
2. Fluctuations de la population à l'époque des Tokugawa
12Le recensement à cette époque était si fruste et si incomplet, tant sur le plan technique que sur le plan statistique, qu'il est difficile d'ajouter foi à ses résultats.
13Le tableau 2 indique approximativement ces fluctuations de population. D'après ce tableau, la population totale, en 1846, s'élevait à 26,9 millions d’habitants, et le gouvernement de Meiji déclarait, en 1872, un chiffre de 34,8 millions. D’où une augmentation, en 26 ans, de 7,9 millions d’âmes. Étant donné les circonstances dans lesquelles s'opérait le recensement à l'époque des Tokugawa, cet accroissement démographique serait plutôt dû à son inexactitude. Bien des savants avancent des hypothèses sur le nombre des individus exemptés du recensement en 1846. Droppers5, par exemple, avance le chiffre de 3,72 millions, Komiyama6 de 2,62 millions. Sekiyama7, lui, juge insuffisants les chiffres présumés de ces deux savants, et estime ce nombre à 4 millions, comme il évalue d'ailleurs à 30 millions environ le chiffre de la population totale du Japon en 1846. Les chiffres du tableau 2 ne concernent en réalité qu'une partie de la population ; il semble qu'elle n'ait guère augmenté pendant cent vingt-sept ans, de 1721 à 1848 ; au contraire, en 1786 et 1792, la population était plutôt en régression. Pour quelles raisons ? Outre les recensements défectueux, l'augmentation rapide du taux de la mortalité due à la famine et aux épidémies, la restriction des naissances par avortements et les infanticides, en étaient les principales causes.
Tableau 2. Population totale du Japon à l’époque des Tokugawa (unité 1 000)

3. Diminution de la population due à la famine
14L'agriculture, principale ressource de l'époque, était dans ce temps encore plus étroitement liée aux conditions atmosphériques. Mais qui dit mauvaise récolte ne dit pas obligatoirement famine. Pourtant sous les Tokugawa, l'étroite autarcie dans laquelle les seigneurs confinaient le pays, en raison de leur politique mercantiliste, ne permettait guère de remédier à l'insuffisance d'une récolte. Car l'isolement et le manque total de relations entre seigneuries provoquaient de fréquentes famines. Celles de 1732, de 1783 et de 1836 furent particulièrement dures. Les documents évaluent pour 1732 à 2,64 millions le nombre des affamés et à 170 000 ceux qui succombèrent à la disette. En 1783, la région de Tôhoku subit la plus grande famine qu'elle eut jamais connue et, de 410 000 habitants, la population de l'actuel département d'Akita, tomba à 270 000 ; dans la région de Sendai (actuellement département de Miyagi) sur 700 000 habitants, il n'en survécut que 500 000. La famine de 1836 ravagea presque toutes les régions du Japon, et, encore une fois, tout particulièrement celle de Tôhoku. Nombreux sont les villages qui se virent réduits au tiers de leur population initiale8.
4. Diminution de la population due aux épidémies
15Sous les Tokugawa, indépendamment des mauvaises récoltes, les installations sanitaires étaient très rudimentaires, et les épidémies fréquentes ; aux famines succédaient presque toujours les épidémies. Ono note, dans son ouvrage consacré aux famines9 que de nombreuses personnes se nourrissaient d'aiguilles de pin ; et Fujikawa note dans son livre paru en 1941 (Histoire de la médecine japonaise) : « Il existait, à l'époque des Tokugawa, des maladies épidémiques telles que le choléra, la petite vérole, la peste, le typhus, et des centaines de milliers de malades étaient emportés par ces maladies... ».
5. Avortement et infanticide
a. Mesures prises contre ces pratiques
16Ces crimes étaient sûrement pratiqués bien avant le règne des Tokugawa ; mais c'est au milieu de cette époque qu'ils devinrent particulièrement fréquents. Nous disposons de nombreux documents datant de la deuxième période des Tokugawa, qui relatent que ces avortements et infanticides étaient pratiqués chez les citadins, les Samouraïs, mais surtout chez les paysans. Satô10, économiste du temps des Tokugawa, écrit notamment : « Dans toutes les régions, il y a d'innombrables paysans pauvres, mais rares sont les paysans riches. N'ayant pas les moyens d'élever leurs enfants, les femmes enceintes se trouvent souvent dans l'obligation de se faire avorter clandestinement, ce qui explique la régression de la population agricole. » Nishikawa11 dit aussi, dans son ouvrage : « Dans les villages agricoles et les régions montagneuses, le premier et le second enfant, à la rigueur, étaient élevés ; mais ceux qui suivaient faisaient en général l'objet d'avortement. Si, par hasard, des jumeaux venaient au monde, les parents étaient couverts de honte et les tuaient aussitôt. » Il semble donc que l'avortement et l'infanticide s'étaient généralisés et à peu près dans toutes les régions du Japon, à partir de la seconde moitié de la période des Tokugawa. Mais pourquoi à cette époque leur nombre augmenta-t-il dans de telles proportions ? L'explication en est facile. Dans la première période de l'époque des Tokugawa, le Shôgunat et les seigneurs encourageaient les paysans à défricher les terres abandonnées, et l'augmentation des surfaces cultivables permettait de supporter plus facilement l'accroissement de la population. Le commerce et l'artisanat se développaient aussi dans les petites cités seigneuriales et dans les villes telles que Edo (actuellement Tokyo), Osaka et Nagasaki. Les jeunes paysans (exception faite du fils aîné qui devait perpétuer l'agriculture) trouvaient un débouché soit dans le commerce, soit dans l'artisanat. C'est pourquoi pendant la première période des Tokugawa les avortements furent moins fréquents.
17Cependant, à partir de la seconde moitié de cette période, il n'y eut plus guère de terres à défricher ; la production agricole avait atteint son maximum et les impôts (une des causes principales) devenaient de plus en plus lourds. De plus, il arrivait fréquemment au gouvernement d'exiger à l'avance les redevances annuelles. Tout ceci contribua incontestablement à augmenter les cas d'avortements et d'infanticides. Satô12 dit : « Un individu qui n'aime pas son enfant cela n'existe pas ; mais s'il arrive néanmoins à l'un d'eux de le tuer, la famine et le froid en sont la cause, et il ne s'offre pas d'autre issue. »
18Si la diminution de la population agricole résultait en partie de la famine et des épidémies, l'avortement et l'infanticide en restèrent cependant les causes principales. Le gouvernement et les seigneurs s'efforcèrent de prendre des mesures, pour enrayer ces habitudes meurtrières et, en 1767, interdirent toute pratique de cet ordre. Ceux qui passaient outre furent sévèrement punis. Comme ces crimes étaient, pour les paysans, l'ultime moyen de lutter contre la famine, il était difficile de les supprimer par un simple ordre ou par une pénalisation. Le gouvernement blâmait officiellement les paysans, affirmant que rien n'était plus immoral que l'avortement et l'infanticide. Mais un auteur de l'époque, Satô, déclare dans son ouvrage : « Si l'on supprima un grand nombre d'enfants, ce n'était pas à cause de l'immoralité des parents, mais en raison de l'attitude inhumaine du gouvernement et de l'extrême misère des paysans. » C'était malheureusement exact et le gouvernement et les seigneurs comprirent qu'ils ne pourraient être obéis par un simple décret. Aussi, en 1794, une loi prescrivant l'obligation de nourrir les enfants fut promulguée par le clan seigneurial de Sendai. Et, tout en créant, dans chaque région, des institutions chargées d'élever les enfants indigents, le gouvernement s'efforça de faire comprendre à leurs parents que l'avortement et l'infanticide constituaient des actes contre nature. Ces institutions étaient, par la même occasion, chargées de recenser toutes les femmes enceintes et de les inscrire sur les registres de l'état civil. Lorsque les parents étaient trop pauvres, ils recevaient une prime d'accouchement. Par la suite, d'autres seigneurs, suivant l'exemple du clan de Sendai, créèrent des établissements analogues. Cependant, ces systèmes d'allocations variaient selon les seigneuries. Les primes étaient données à la naissance soit du premier enfant, soit du second ou du troisième. Le montant était parfois proportionnel au nombre des enfants, parfois fixe. La durée de cette allocation était indéterminée ; elle pouvait être versée pendant trois, cinq, sept ou même quinze ans.
19Si ce système améliora un peu la situation tragique d'alors, il ne contribua guère à relever le taux de natalité. La population demeura stationnaire jusqu’à la fin du gouvernement des Tokugawa. Malgré la chute de la population provoquée par une famine, elle aurait dû s'accroître grâce à l'augmentation de la natalité. Il n'en fut rien. À vrai dire, le véritable responsable était le seigneur féodal lui-même. Celui-ci exigeait un tel tribut des paysans que l'aide qu'il leur fournissait était absorbée et n'adoucissait aucunement leur misère. Voilà pourquoi le chiffre de la population ne changea pas à cette époque.
6. Concentration urbaine et mesures politiques
20Il existait déjà, même avant l'époque des Tokugawa, des villes. De nombreux habitants, en dehors de la famille impériale et des fonctionnaires, vivaient à Nara ou à Kyoto, centre des activités politiques. Osaka fut la plus grande ville commerciale, au carrefour de tous les produits nationaux. Les cités comme Edo, qui fut certes la plus importante, naquirent près des demeures seigneuriales autour desquelles s'aggloméra peu à peu la population, dès l'époque des Tokugawa. Dans ces villes habitaient, outre les guerriers, des commerçants et des artisans. En 1590, Tokugawa Ieyasu (premier Shôgun des Tokugawa) fixa sa demeure à Edo qui était alors une lande désolée où s'éparpillaient quelques maisons. Ieyasu y fit construire des ponts, tracer des rues. Le port de Tokyo date aussi de ce moment. Le gouvernement se transporta en 1603 à Edo, qui devint le grand centre politique des féodaux. Des résidences destinées aux 80 000 guerriers vassaux des Tokugawa, et aux seigneurs de passage, furent construites dans cette ville. Mais les familles des vassaux des Tokugawa, expédiés en mission pour gouverner les provinces, étaient obligées de rester à Edo, afin d'éviter que, loin de la surveillance gouvernementale, elles n'acquièrent une trop grande influence. En effet, l'ordre était donné aux seigneurs dont on craignait la trahison de rester à Edo une année sur deux ; mais leur famille devait y demeurer en permanence ; elle devenait ainsi une sorte d'otage. La fixation de cet effectif de population contribua incontestablement au développement de ce centre et à sa prospérité.
21Nous ne connaissons pas avec précision la population d'Edo, mais on prétend qu'elle comptait, au début du xviiie siècle, plus de 500 000 âmes, non compris les seigneurs, vassaux et leurs familles. Le total ainsi présumé de la population se montait à environ un million. Or les villes de plus d’un million d'habitants étaient, avant la révolution industrielle, très rares dans le monde entier. À l'époque des Tokugawa, Osaka, qui était le véritable centre économique et commercial, fut surnommée la « cuisine » de l'empire. La population y aurait atteint 260 000 habitants vers 1660, 350 000 vers 1700 et plus de 400 000 vers 177013. Depuis l'époque de Heian et pendant un millénaire, Kyoto demeurera la capitale du Japon. Les nobles de la Cour en avaient fait un centre intellectuel et culturel. On dit même que les habitants de Kyoto éprouvaient un léger mépris pour ceux d'Osaka14.
22Toutes les villes qui abritaient des châteaux seigneuriaux étaient de petites « Edo », construites de façon analogue. Celles qui comptaient une population relativement importante étaient Nagoya, Kanazawa et Sendai, avec 50 000 à 60 000 habitants ; Okayama, Himeji, Fukui, Tokushima, Fukuoka, Kumamoto, Takada, Kôchi, Akita et Hikone, avec 20 000 à 30 000 âmes (population de la classe moyenne seulement)15.
23Parallèlement au développement du commerce et de l'industrie, la population des villes augmentait. Non pas tellement en raison de l'accroissement naturel, mais surtout à cause de l'exode rural. Comme indiqué précédemment, les paysans n'avaient pas le droit de changer de métier ni de domicile ; mais leurs fils, l'aîné excepté, ainsi que ceux qui ne pouvaient payer leurs impôts, étaient obligés de chercher un emploi dans les villes. Lors des famines, il y eut aussi de nombreuses familles de paysans dont les membres se séparèrent pour aller vivre à la ville. Ils y devinrent employés de commerce, travailleurs manuels, domestiques, etc. Les économistes de l'époque considérèrent ainsi cet exode obligatoire : « Les paysans n'aimaient pas cultiver la terre et préféraient devenir commerçants pour tenter leur chance. » Les chefs féodaux blâmèrent cet exode. Le gouvernement et les seigneurs en vinrent à punir sévèrement ceux qui essayaient de quitter leur village. Car cette immigration paysanne portait préjudice à leurs finances. Cependant, ils ne réussirent pas, malgré leur toute-puissance, à arrêter ce mouvement. L'interdiction d'immigrer vers les villes, seule chance pour les paysans de sortir un peu de la misère, faite en dehors de toute politique d'amélioration de leur condition, resta lettre morte. Devant cet échec, le gouvernement autorisa un nombre limité de paysans, en 1776, à quitter provisoirement les villages, mais seulement pendant une durée déterminée. Dès que le terme venait à expiration, ils étaient obligés de regagner leur village. Malgré ces mesures, les villages ne cessaient de se vider, alors que des villes, comme Edo et Osaka, commençaient à être surpeuplées. Aussi le gouvernement shôgunal renforça-t-il sa politique, en 1791, par un contrôle plus sévère des migrations. Il en résulta une diminution appréciable de la population urbaine. Edo, qui comptait, en 1843, 168 549 « immigrants », n'en comprenait plus, en 1844, que 157 333, soit une diminution d'environ 10 000 âmes. On dit que ce nombre baissa d'année en année. Il en est de même pour Osaka, dont la population, qui était de 350 000 en 1842, fut réduite, l'année suivante, à 332 000.
Notes de bas de page
1 Kokushi T., L'Histoire générale du Japon, vol. 12 (en japonais).
2 Sekiyama N., 1942, L'Histoire de la population japonaise (en japonais) ; Omori S., 1955, Le riz, la population et l’histoire (en japonais).
3 Yokoyama Y., 1926, Histoire des rizières au Japon (en japonais).
4 Honjô E., 1941, Histoire de la population au Japon (en japonais).
5Droppers G., « The population of Japan in the Tokugawa period », Transactions of the Asiatic Society of Japan, vol. XXII, p. 262.
6 Komiyama S., 1903, Sur l'histoire du Japon, p. 816 (en japonais).
7 Sekiyama N., 1948, Études sur la population japonaise contemporaine, p. 69 (en japonais).
8 Ono T., 1924, Histoire des famines dans le Japon moderne (en japonais) ; Umemori S., 1893, Sur les mauvaises récoltes (en japonais) ; Ogashima M., 1894, Histoire des cataclysmes au Japon (en japonais).
9 Ono T., 1926, Histoires des villages japonais (en japonais).
10 Satô S., 1832, « Méthodes de culture des plantes », In Œuvres complètes, vol. I (en japonais).
11 Nishikawa K., 1721, « Les paysans », In Ouvrage complet sur l'économie du Japon, vol. 4 (en japonais).
12 Satô S., 1832, Traité de politique agricole (en japonais).
13 Horie Y., 1930, « Tableau de la population japonaise », Études sur l'histoire économique, no 7 (en japonais).
14 Horie Y., 1931, « La ville de Kyoto et sa population », Études sur l'histoire économique, no 19 (en japonais).
15 Sekiyama N., 1947, Études sur la population japonaise moderne (en japonais).
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