Chapitre 5
Des inégalités qui perdurent tout au long de la vie
p. 73-91
Texte intégral
I. Le poids des hommes dans la population adulte
1La masculinisation de la population chinoise est un processus qui s’opère principalement « par le bas », c’est-à-dire qu’il touche d’abord les naissances (du fait de la sélection croissante du sexe des enfants en phase prénatale), puis les enfants (il est alors la conséquence de la surmortalité infantile et juvénile des filles), et se perpétue ensuite aux âges plus élevés au fur et à mesure que les cohortes vieillissent (Chu Junhong, 2001 ; Mo Lixia, 2005). La répartition des sexes aux âges adultes peut, quant à elle, être soumise à d’autres influences. En l’absence de migration différentielle selon le sexe, la masculinisation peut être enrayée par des améliorations dans la survie des femmes, en particulier aux âges de la reproduction, au fur et à mesure que l’espérance de vie féminine à la naissance augmente, ou par une détérioration des conditions de vie des hommes, en particulier aux âges actifs, du fait de comportements professionnels ou sociaux à risque, qui les exposent à une surmortalité. À l’inverse, le processus de masculinisation peut être renforcé, aux âges adultes, par des améliorations insuffisantes, voire une dégradation des conditions de vie des femmes comparées à celles des hommes, à l’origine de leur surmortalité relative.
2En Chine, entre 1953 et 2000, la proportion d’hommes aux âges adultes a augmenté dans les différentes tranches d’âges (figure 13). Les seules exceptions sont la classe d’âges la plus jeune (celle des 15-19 ans en 2000) et celle des 30-39 ans. Dans ces deux cas, pour lesquels la masculinité était particulièrement marquée en 1953, on a en effet assisté à un rééquilibrage partiel des sexes, alors que tous les autres groupes d’âges affichent une surreprésentation des hommes encore accentuée par rapport à 19531. La masculinisation est particulièrement marquée dans les groupes d’âges les plus élevés (au-delà de 50 ans), ce qui est contraire aux évolutions régulièrement observées dans un contexte de vieillissement démographique.
Figure 13 • Évolution du rapport de masculinité aux âges adultes, Chine, 1953 et 2000

Source : recensements correspondants (BNS, 1988 ; PCO, 2002).
II. Un régime de mortalité défavorable aux femmes
3La sélection de plus en plus fréquente du sexe des enfants en amont de la naissance est un facteur indéniable de la masculinisation de la population chinoise. Cette manifestation nouvelle de la préférence traditionnelle pour les fils, permise par un accès de plus en plus répandu aux méthodes de sélection prénatale du sexe de l’enfant, vient donc en renfort de pratiques anciennes consistant à négliger le traitement des filles, à l’origine de leur surmortalité et donc d’un déficit féminin relatif (Das Gupta et Li, 1999 ; Li et Zhu, 2001).
4Or, si la surmortalité infanto-juvénile des filles contribue incontestablement à la masculinisation de la population enfantine et au maintien d’écarts d’espérance de vie à la naissance entre les sexes relativement faibles, il est également possible que le déficit féminin soit accentué par la persistance d’une surmortalité féminine aux âges plus élevés. Or, la mesure de la surmortalité féminine au-delà du cinquième anniversaire s’avère plus hasardeuse que celle de la mortalité aux jeunes âges. En effet, alors que les niveaux de mortalité infanto-juvénile selon le sexe relèvent principalement de facteurs biologiques (Hill et Upchurch, 1995), ceux de la mortalité aux âges plus élevés sont déterminés par des facteurs génétiques mais aussi, dans une large mesure, par des facteurs comportementaux spécifiques à chaque sexe (Clarke, 2000 ; Vallin, 2002). Ainsi, la plupart des populations se caractérisent par une surmortalité des hommes aux âges adultes du fait de facteurs idéologiques, mais surtout d’une plus grande propension de ces derniers à adopter des comportements à risque.
5Les données tirées d’observations empiriques présentées ci-dessous montrent cependant que, même si aucune population ne peut être considérée comme totalement exempte de comportements propres à chaque sexe et à même de modifier leurs niveaux de mortalité, des tendances assez similaires sont observées entre pays. À espérance de vie masculine à la naissance équivalente, il apparaît, en effet, que les rapports des quotients de mortalité par âge des femmes à ceux des hommes affichent des valeurs qui se situent dans une fourchette de valeurs assez étroite, et présentent, à un niveau d’espérance masculine à la naissance donné, un niveau de dispersion somme toute faible (figures 14a, 14b, 14c et 14d). Cela tend donc à confirmer l’observation selon laquelle il n’y a pas de différences marquées entre pays dans le rapport de masculinité des décès à chaque âge (Clarke, 2000, p. 63).
6Les graphiques 14a à 14d ont été réalisés à partir de données empiriques relatives à vingt pays d’Europe, d’Amérique, d’Asie et d’Océanie à diverses dates au cours du xxe siècle. Quarante-quatre tables de mortalité pour la Suisse, la Belgique, la France, la Norvège, la Suède, la Finlande, le Danemark, l’Autriche, les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Angleterre et le Pays de Galles, l’Irlande, la Grèce, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Canada, le Japon, Taiwan et la République de Corée ont été sélectionnées car elles sont considérées comme étant de plutôt bonne qualité, disponibles pour diverses années au cours du siècle et offrant un éventail assez large de niveaux de mortalité (voir annexe 3 en fin de chapitre pour les données détaillées)2.
7Ces graphiques montrent la forte corrélation qui existe entre l’espérance de vie masculine à la naissance et les rapports des quotients de mortalité des femmes à ceux des hommes dans les différents groupes d’âges cumulant, en Chine, l’essentiel de la surmortalité féminine au-delà du cinquième anniversaire : 5-9 ans, 10-19 ans, 20-29 ans et 30-39 ans (figures 14a à 14d). En dépit d’une certaine dispersion des points, la relation est claire : plus l’espérance de vie des hommes augmente, plus les rapports des quotients de mortalité des femmes à ceux des hommes dans les différents groupes d’âges diminuent, ce qui signifie que l’écart se creuse entre les sexes à la faveur des femmes (avec des coefficients de détermination R2=0,565, 0,821, 0,688 et 0,454 et les coefficients de corrélation correspondants r=0,751, r=0,906, r=0,829 et r = 0,674 respectivement dans ces quatre groupes d’âges).
8Ce constat conduit à faire l’hypothèse selon laquelle l’écart entre hommes et femmes dans les quotients de mortalité par âge au-delà du cinquième anniversaire ne résulterait pas d’un processus totalement aléatoire mais de facteurs génétiques et de comportements socioculturels propres à chaque sexe qui, dans une certaine mesure, seraient communs à la plupart des populations, à espérance de vie masculine à la naissance donnée. À partir de ces observations empiriques et en nous inspirant de la méthodologie utilisée par Hill et Upchurch (1995) pour déterminer l’écart « attendu » entre les sexes dans les quotients de mortalité infantile et juvénile, nous avons donc tenté de déterminer l’éccart probable » attendu entre les sexes dans les quotients de mortalité au-delà du cinquième anniversaire. Cette méthodologie repose en outre sur l’idée selon laquelle, comme cela a été indiqué par Clarke (2000), les différences de mortalité entre les sexes sont, à chaque âge, à un niveau de mortalité donné, relativement homogènes d’un continent à l’autre et d’une culture à l’autre, alors que la Chine ne se conforme pas à cette observation générale.
Figure 14 • Corrélation entre les rapports des quotients de mortalité des femmes à ceux des hommes et l’espérance de vie masculine à la naissance, dans 20 pays à diverses dates

Sources : cf. annexe 3, p. 90-91.
9La comparaison de la situation dans différents pays, Chine exceptée (figures 15a à 15c), révèle, à espérance de vie masculine à la naissance équivalente, une certaine constance dans les rapports des quotients de mortalité des femmes à ceux des hommes à des âges donnés, même si des différences de niveau existent indiscutablement. Dans l’ensemble, c’est avant le cinquième anniversaire et aux âges de la reproduction que ces rapports sont les plus élevés et que les différences de mortalité entre hommes et femmes sont les plus faibles. C’est, en revanche, aux jeunes âges adultes (15-25 ans) et entre 55 et 65 ans environ, que les femmes sont les plus avantagées par rapport aux hommes, en termes de mortalité. Ainsi, cette situation relativement homogène montre que l’écart entre les sexes se situe, pour les pays considérés, dans une fourchette de valeurs relativement étroite, pour une espérance de vie masculine à la naissance donnée. La Chine, pourtant, ne se conforme pas à ce schéma. Elle affiche en effet, en comparaison des cas présentés ici, une surmortalité féminine en particulier dans la petite enfance (entre 0 et 5 ans), aux jeunes âges adultes – sans doute en partie du fait d’une mortalité maternelle toujours relativement élevée (voir annexe I)3 – et, plus récemment, entre les âges de 50 et 65 ans. Bien que ces résultats doivent être interprétés avec précaution, considérant que, jusqu’aux années 1990, les hommes chinois adultes avaient des comportements plus favorables à leur survie à des âges où, ailleurs, ils sont plus à même d’adopter des comportements à risque (Banister, 2007), la surmortalité relative des femmes chinoises ne peut être ignorée. De fait, comme cela a été noté par Phillips et al. (2002), les morts violentes par suicide et les blessures auto-infligées sont la principale cause de décès pour les femmes chinoises de 15-34 ans, en particulier pour celles vivant en milieu rural, cette cause de décès représentant, pour ces dernières, 31 % de l’ensemble des décès dans ce groupe d’âges et 15,8 % pour les citadines (contre 13,1 % et 7,4 % respectivement pour les hommes ruraux et citadins du même groupe d’âges) (tableau 21). La Chine est, en effet, parmi les rares pays au monde où les femmes se suicident plus que les hommes (quelque 600 suicides féminins quotidiens à la fin des années 1990, selon l’Organisation mondiale de la santé), avec des taux de mortalité s’échelonnant de 40 à 140 pour 100 000 chez les femmes âgées de 55 ans ou plus, soit quatre à cinq fois plus élevés que chez les hommes dans le même groupe d’âges (Phillips et al., 2002). Plus d’un suicide de femme sur deux dans le monde (56 %) est le fait d’une Chinoise. Actes impulsifs, ces suicides sont perpétrés par des femmes qui ne montrent aucun signe de trouble mental ni de dépression, et qui n’agissent pas non plus sous l’emprise de l’alcool4 (Attané, 2005) (voir annexe 2). Le suicide est aujourd’hui la première cause de décès chez les Chinoises de 15-34 ans. Chez les paysannes, il fait sept fois plus de décès que les complications médicales liées à la grossesse5 (Phillips et al., 2002).
Figure 15 • Rapports des quotients de mortalité des femmes à ceux des hommes en Chine et dans différents pays



Source : pour la Chine : CPIRC (1995) et Banister (2007) ; pour les autres pays : cf. annexe 3, p. 90-91.
10En appliquant la formule algébrique décrivant la corrélation entre l’espérance de vie masculine à la naissance et le rapport des quotients de mortalité par âge des femmes à ceux des hommes, dans chacun des groupes d’âges considérés, nous avons estimé une valeur standardisée du rapport des quotients de mortalité par âge des femmes à ceux des hommes, à un niveau donné d’espérance de vie masculine à la naissance (tableau 22). Ainsi, pour une espérance de vie masculine à la naissance de 70 ans, par exemple, la valeur correspondante pour le rapport des quotients de mortalité par âge des femmes à ceux des hommes est de 0,704 entre les âges de 5 et 9 ans, de 0,513 entre 10 et 19 ans, de 0,468 entre 20 et 29 ans et de 0,611 entre 30 et 39 ans. En Chine, le rapport des quotients de mortalité des femmes à ceux des hommes dans le groupe d’âges 10-19 ans était par exemple de 0,802 en 1990, à un moment où l’espérance de vie masculine était de 68,4 ans d’après le CPIRC (1995), alors qu’il aurait dû se situer autour de 0,569 d’après les valeurs standardisées, soit une surmortalité féminine de l’ordre de 40 % dans ce groupe d’âges. En 2000, date à laquelle l’espérance de vie masculine était, en Chine, de 69,3 ans, le rapport des quotients de mortalité par âge des femmes à ceux des hommes chez les 10-19 ans atteignait 0,671 alors qu’il devrait se situer autour de 0,541, soit une surmortalité féminine relative dans ce groupe d’âges excédant encore 24 %.
Tableau 21 • Principales causes de décès violents selon le sexe et le lieu de résidence, Chine, 1995-1999

Source : Phillips et al. (2002)
11Afin d’estimer l’ampleur de la surmortalité relative des femmes en Chine, les rapports des quotients de mortalité6 des femmes à ceux des hommes dans différents groupes d’âges ont été calculés puis comparés aux valeurs standardisées, à un niveau donné d’espérance de vie masculine à la naissance. À cette fin, il a été considéré que ces rapports standardisés reflétaient une situation dans laquelle les conditions de mortalité des pays concernés sont, dans l’ensemble, peu affectées par des discriminations envers les femmes, où chaque sexe présente des caractéristiques génétiques et comportementales communes entre pays, et qui résume le faible niveau d’hétérogénéité observé entre les différents pays considérés ici, à l’exception de la Chine.
Tableau 22 • Rapports standardisés des quotients de mortalité des femmes à ceux des hommes dans différents groupes d’âges *

* Obtenus à partir de données collectées pour différents pays d’Europe, d’Amérique, d’Asie et d’Océanie au cours du xxe siècle. Voir annexe 3 en fin de chapitre pour les données détaillées.
Source : calculs effectués par l’auteur.
12Il apparaît que, à un niveau équivalent d’espérance de vie masculine à la naissance, le rapport des quotients de mortalité des femmes à ceux des hommes est, en Chine, dans les classes d’âges considérées, généralement supérieur aux ratios standardisés. Ce constat traduit, soit des conditions de vie des femmes dans l’ensemble moins favorables à leur survie que ce que l’on observe ailleurs, soit à l’inverse, des conditions de vie des hommes dans l’ensemble plus favorables que ce que l’on observe ailleurs. Dans les deux cas, toutefois, ces écarts de mortalité entre hommes et femmes inférieurs aux écarts standardisés mettent en évidence la surmortalité féminine relative, qui indique que, globalement, les gains de survie des femmes ont été inférieurs à ce que des conditions de vie plus égalitaires entre les sexes auraient pu laisser escompter.
III. La surmortalité féminine aux jeunes âges adultes, une cause du déficit de femmes ?
13La surmortalité relative des femmes chinoises avant leur quarantième anniversaire, telle qu’elle est mise en évidence dans la comparaison avec diverses situations nationales, ne fait pas de doute. Mais il faut estimer son impact concret sur les effectifs de décès féminins.
14Sur le même principe que pour la surmortalité infantile et juvénile des filles estimée à partir des ratios standardisés établis par Hill et Upchurch (1995), nous avons estimé l’excédent de décès féminins entre les âges de 5 et 40 ans aux recensements de 1990 et 2000, par référence aux ratios standardisés figurant au tableau 22. Les simulations présentées dans les tableaux 23 et 24 donnent la mesure de l’excédent de décès féminins avant 40 ans, manifestement dus à des conditions de vie inéquitables entre hommes et femmes. Il apparaît ainsi que, à l’exception notable du groupe d’âges 30-39 ans en 20007, caractérisé par un rapport des quotients de mortalité femmes/hommes inférieur aux ratios standardisés, les femmes chinoises affichent une surmortalité relative récurrente. L’excédent de décès féminins entre les âges de 5 et 40 ans est ainsi estimé à environ 88600 en 1989 et à plus de 27 000 en 2000. À nouveau, une interpolation simple permet d’estimer à environ 697 000 l’excédent de décès féminins dans ce groupe d’âges entre 1989 et 2000, soit une moyenne annuelle de 58 069 au cours de ces douze années. Par conséquent, le déficit féminin dû à leur surmortalité relative peut être estimé à environ 190200 par an (ce qui est le résultat de l’addition de 58 069 décès annuels en excédent entre les âges de 5 et 40 ans, d’un nombre annuel moyen de 19600 décès juvéniles féminins et d’un excédent annuel moyen de 112560 décès infantiles).
15Pour la décennie 1990, le nombre moyen de filles éliminées chaque année par des avortements sélectifs a été estimé à environ 500 000 à 600 000 (cf. supra p. 42), des chiffres cohérents avec les estimations réalisées par Jiang et al. (2005), selon lesquels le déficit féminin cumulé relevé dans les cohortes nées entre 1990 et 2000 s’élevait à 6,3 millions. Cette estimation est également cohérente avec celles réalisées par Cai et Lavely (2003), qui ont établit le déficit féminin total dans les cohortes nées entre 1980 et 2000 à environ 12 millions. Dans les deux cas, en effet, on obtient un déficit annuel moyen de naissances de filles dû à des avortements sélectifs d’environ 500000 à 600000. Ce chiffre considérable amène donc à relativiser l’influence de la surmortalité féminine avant 40 ans sur le déficit féminin global, eu égard à l’ampleur de la responsabilité prise par la pratique d’avortements sélectifs. Il n’en reste pas moins que la surmortalité féminine pourrait, selon nos estimations, être à l’origine d’un excédent de plus de 190000 décès féminins chaque année. Elle doit donc être considérée comme l’un des facteurs explicatifs de la surmasculinité de la population chinoise.
Tableau 23 • Décès et quotients de mortalité observés et standardisés, et estimation de l’excédent de décès féminins, Chine, 1990

Sources : estimations réalisées à partir des données tirées de (a) PCO (1993) ; (b) PCO (2002) ; (c) et (d) CPIRC (1995) ; (e) : valeurs tirées du tableau 22 ci-dessus.
Tableau 24 • Décès et quotients de mortalité observés et standardisés, et estimation de l’excédent de décès féminins, Chine, 2000

Sources : estimations réalisées à partir des données tirées de (a) PCO (2002) ; (b) PCO (2002) ; (c) et (d) Banister (2007) ;(e) : valeurs tirées du tableau 22 ci-dessus.
16Logiquement, cette surmortalité féminine avant 40 ans en Chine ralentit les progrès de l’espérance de vie féminine. Une simulation de la table de mortalité des femmes chinoises après suppression de leur surmortalité avant le cinquième anniversaire (c’est-à-dire utilisant des quotients de mortalité infantile et juvénile des filles corrigés sur la base des ratios attendus établis par Hill et Upchurch, 1995) porte l’espérance de vie féminine à la naissance à 72,8 ans en 1990 et à 73,2 ans en 2000, soit respectivement 10,8 mois (ou 0,9 an) et 12 mois (soit 1 an) de plus que dans la situation observée, après ajustement (Banister, 2007) (tableau 25). Une autre simulation de la table de mortalité féminine, corrigée cette fois de leur surmortalité entre la naissance et le quarantième anniversaire, porte l’espérance de vie féminine à la naissance à 73,2 ans en 1990 et à 73,9 ans en 2000, soit respectivement 1,3 et 1,7 an au-dessus des valeurs initiales. Par conséquent, ces corrections rendent les écarts d’espérance de vie à la naissance entre les sexes plus conformes à ceux habituellement observés à niveau d’espérance de vie masculine équivalent : ils augmentent en effet de 37 % en 1990, passant de 3,5 à 4,8 ans, et de 58 % en 2000, passant de 2,9 à 4,6 ans.
17Alors que la sélection prénatale du sexe des enfants et les avortements sélectifs apparaissent comme la principale cause du déséquilibre des sexes aux jeunes âges et de la masculinisation récente de la population chinoise, le rôle joué par la surmortalité féminine, particulièrement avant le cinquième anniversaire mais également aux jeunes âges adultes, ne doit pas être sous-estimé. Ce constat amène donc, pour expliquer le déficit féminin, à aller au-delà de la seule relation entre préférence pour les fils et avortements sélectifs, et à s’interroger plus globalement sur les conditions de vie des femmes en Chine.
Tableau 25 • Espérance de vie des femmes à la naissance corrigée de leur surmortalité entre 0 et 40 ans, 1990 et 2000

* Les données corrigées sont en italiques.
Sources : ligne 1 : données ajustées par le CPIRC (1995) pour 1990 ; ligne 4 : données ajustées par Banister (2007) pour 2000 ; lignes 2, 3, 5 et 6 : valeurs tirées du tableau 22 ci-dessus.
Annexe
Annexes
Annexe 1. La mortalité maternelle
Le taux de mortalité maternelle, qui mesure la proportion de décès de femmes liés à la grossesse ou consécutifs à l’accouchement, pour 100000 naissances vivantes est, en principe, significatif quant aux conditions sanitaires dont bénéficie la population féminine. Il n’est, cependant, véritablement fiable que lorsqu’il est calculé sur la base d’une déclaration exhaustive des décès maternels, ce qui n’a pas été le cas en Chine jusqu’à la fin des années 1980 (Tan Lin, 2006). C’est pourquoi les données officielles relatives à cette période révèlent des niveaux de mortalité maternelle étonnamment bas, de même qu’une hausse marquée entre 1980 et 1990 – tout aussi peu plausible : la mortalité maternelle aurait augmenté de 140 % dans les villes et de 130 % dans les campagnes au cours de cette décennie. Aussi l’essentiel de cette hausse doit-il être attribué à un repérage et un enregistrement plus systématiques de la cause réelle du décès.
Les données disponibles à partir de 1989, date à laquelle le ministère de la Santé publique a organisé une enquête nationale sur la mortalité maternelle, révèlent des tendances plus vraisemblables. Cette année-là, la mortalité maternelle aurait été de 95 pour 100 000 dans l’ensemble du pays, dont 50 pour 100 000 en milieu urbain et 115 pour 100 000 en milieu rural. Elles montrent en outre un net recul de la mortalité maternelle qui serait passée, à l’échelle nationale, à 62 pour 100000 en 1995, puis à 53 pour 100 000 en 2000. Cette baisse rapide laisse la Chine en très bonne place par rapport aux deux autres géants d’Asie (Bangladesh : 684 pour 100000 ; Inde : 440 ; Indonésie : 390), mais loin derrière sa proche voisine, la Corée du Sud, notamment, qui enregistre 30 décès maternels pour 100 000 naissances8.
Les données disponibles témoignent d’une baisse assez régulière de la mortalité maternelle depuis le début des années 1990, qui peut être attribuée en partie aux progrès réalisés en matière de santé de la mère et de l’enfant depuis la fin des années 1970. Mais il faut également noter que la forte baisse de la fécondité et l’espacement des naissances qui se sont opéré simultanément ont permis, mécaniquement, de réduire les risques liés à la maternité et donc de diminuer le nombre de femmes décédant des suites d’une grossesse ou d’un accouchement. Il semblerait en outre que les efforts du gouvernement chinois pour lutter contre la mortalité maternelle au cours des années 1990 commencent à porter leurs fruits, aussi bien en milieu rural qu’en milieu urbain.
De fortes disparités persistent cependant entre provinces. À tous égards, les provinces du centre, et a fortiori celles de l’Ouest, sont défavorisées en termes de santé de la reproduction. L’accès à la contraception y est beaucoup plus restreint et les accouchements en milieu hospitalier, qui sont la règle dans les provinces développées de l’Est, y sont très peu répandus : une naissance sur quatre au Guizhou, une sur cinq au Tibet. Alors qu’à Beijing et à Shanghai, le taux de mortalité infantile avoisine ceux des pays les plus développés (autour de 5‰), au Xinjiang, plus d’un enfant sur vingt décède avant son premier anniversaire. Les décès maternels, résiduels à Beijing et à Shanghai (moins de 10 pour 100000 femmes), sont dix à quarante fois plus fréquents dans les provinces de l’Ouest : plus de 140 pour 100 000 au Guizhou, au Qinghai et au Xinjiang, 466 au Tibet. Calquées sur les disparités économiques et les différences d’accès à la santé, de profondes inégalités caractérisent les différentes provinces, tant dans l’accès à l’information qu’aux services.
Indicateurs de santé de la reproduction dans quelques provinces orientales et occidentales, 2000

Sources : Attané, 2006b, sauf les données suivies d’une * qui sont tirées de Tan Lin, 2006, p. 92.
La faible prise en charge hospitalière des accouchements reste sans doute l’un des principaux facteurs de mortalité maternelle : en 1985, moins d’une Chinoise sur deux (43,7 %) accouchait à l’hôpital, dont 73,6 % dans les villes et 36,4 % à la campagne. En 2000, cette proportion serait passée à 72,9 % à l’échelle du pays, avec toutefois le maintien de fortes disparités entre milieu urbain et milieu rural : 84,9 % et 65,2 % respectivement (WMC, 2004). De fortes inégalités entre provinces sont observées, la proportion de naissances survenant en milieu hospitalier étant par exemple supérieure à 99 % à Beijing, Tianjin et Shanghai, mais de 30 % au Tibet, 39 % au Guizhou, et entre 60 et 70 % au Yunnan, au Gansu, au Qinghai et au Xinjiang par exemple (Tan Lin, 2006).
Annexe 2. Suicides au féminin
La misère, les vexations des belles-mères ou l’impossibilité d’avoir un enfant mâle poussent de plus en plus de paysannes au suicide. Scène ordinaire dans la campagne chinoise : c’est l’heure du dîner chez les Zhang, une famille de paysans qui vit dans un hameau d’une centaine de maisons, dans le centre de la Chine. Éclairés par un mauvais néon, dans la pièce principale, les hommes mangent, assis autour d’une petite table, en discutant, fumant et en buvant de l’eau de riz fermentée. Autour d’eux, dans la pénombre, les femmes qui ont préparé leur repas, les observent, debout en silence. Lorsque les fils, frères et maris se lèveront, elles finiront leurs bols. Il leur restera principalement du zhou, de la bouillie de riz, qu’elles agrémenteront de quelques légumes. C’est ainsi depuis des millénaires. Les Zhang ne sont ni pauvres ni riches. Des paysans moyens en relation avec les petites villes de la région. Deux des fils sont même allés travailler à Shanghai pendant trois ans. Mais la situation de la femme dans les zones rurales reculées est restée celle d’un être de second rang. Bonne à reproduire, si possible des héritiers mâles, rude à la tache et fidèle à son mari. Un demi-siècle de communisme n’a rien changé aux traditions9.
La méthode employée est en général l’ingestion des pesticides :
Une jeune femme de 24 ans a tenté de mettre fin à ses jours. Son mari était parti chercher un travail en ville et sa belle-mère lui menait la vie dure. Son premier enfant était une fille et elle venait d’en mettre au monde une seconde. Obligée de payer une amende élevée pour avoir enfreint la règle de l’enfant unique, la famille lui reprochait d’être incapable de concevoir un garçon, seule garantie pour assurer la vieillesse de ses parents10.
Dans la culture chinoise, le suicide n’est pas réprouvé : après une humiliation, une déception, une querelle familiale, il permet un départ respectable. « Autrefois, les femmes, ici, se pendaient ou se jetaient dans les puits, mais il y avait beaucoup moins de suicides que maintenant », confie la grand-mère Zhang, âgée de 78 ans.
C’était ma voisine, elle avait 35 ans. Ses trois enfants étaient déjà grands, mais ils n’avaient pas assez de terres. Juste un mu11 pour toute la famille. Elle disait qu’elle n’avait plus rien à faire de sa vie12.
Aujourd’hui, la campagne subit les effets pervers des réformes économiques et croule sous le poids des contradictions du système. Pesanteurs sociales, tyrannie d’une belle-mère, manque de terre, paupérisation, désertion des hommes vers les villes laissant des villages peuplés de femmes, de vieillards et d’enfants, politique de limitation des naissances trop contraignante… Peu à peu, les paysannes prennent conscience qu’une autre vie serait possible ailleurs, en ville, avec tous les rêves que véhicule la société de consommation. Mais quand ces rêves restent mirages, la seule solution qui leur reste est le suicide, particulièrement répandu dans les régions agricoles où les gens ont moins de possibilités d’exprimer leur mécontentement ou d’aller en justice.
Annexe 3. Rapport des quotients de mortalité des femmes à ceux des hommes dans différents groupes d’âges à un niveau donné d’espérance de vie masculine à la naissance dans différents pays


Sources : colonne 1 : (sauf Japon) données tirées de The Human Life-table database, réalisée conjointement par le Max Planck Institute for Demographic Research, Rostock, Germany, Department of Demography at the University of California, Berkeley, USA, et par l’Ined, Paris, France disponibles sur le site http://www.lifetable.de/cgi-bin/datamap.plx. Les données relatives au Japon sont tirées de Abridged Life Tables, Institute of Population Problems, Ministry of Health and Welfare, Research Series, années correspondantes ; colonnes 2 à 5 : calculs réalisées à partir des mêmes sources.
Notes de bas de page
1 Nous ne sommes cependant pas en mesure d’avancer des explications satisfaisantes à l’évolution particulière observée dans ces deux groupes d’âges. Elle pourrait toutefois ne provenir que d’un effet de « lissage » opéré dans la période récente, alors que la période antérieure à 1953 a été plus chaotique d’un point de vue politique et social, et donc plus à même de faire varier le rapport de masculinité dans certaines classes d’âges.
2 Les tables de mortalité pour ces différents pays, à l’exception du Japon, sont tirées de The Human Life-table database, réalisée par le Max Planck Institute for Demographic Research, Rostock, Allemagne, par le département de démographie de l’université de Californie, Berkeley, États-Unis et par l’Ined, Paris, France. Elles sont disponibles à l’adresse http://www.lifetable.de/cgi-bin/datamap.plx. Les tables de mortalité pour le Japon sont tirées de Abridged Life Tables, Institute of Population Problems, Ministry of Health and Welfare, Research Series, années correspondantes.
3 Bien que la mortalité maternelle soit encore imparfaitement mesurée en Chine, cet argument est soutenu par la proportion relativement élevée de mères accouchant à domicile, estimé à 23 % en 2000 (WMC, 2004).
4 Ces facteurs étant communément associés au suicide en Occident.
5 Données estimées pour 1998.
6 Calculs effectués sur la base des données ajustées par le CPIRC (1995) pour 1981 et 1990 et par Banister (2007) pour 2000.
7 Il semble que cette situation soit la conséquence d’une surmortalité masculine dans ce groupe d’âges, due aux changements dans les comportements des hommes depuis les réformes économiques, comme expliqué précédemment.
8 Pour l’Inde, l’Indonésie et la Corée, il s’agit d’estimations de la Banque mondiale d’après des échantillons de populations, in The World Development Indicators, 1999, The World Bank. Les données pour le Bangladesh sont tirées du site Internet http://www.worldbank.org..
9 Les témoignages en italique sont tirés de Caroline Puel, « Les Chinoises tentées par la fort », Libération, 23 avril 1999.
10 Caroline Puel, op. cit.
11 Un mu équivaut à 1/15e d’hectare.
12 Caroline Puel, op. cit.
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