Chapitre 17
La démographie figurée de la France
p. 407-520
Texte intégral
1Par les thèmes traités, La démographie figurée de la France1 se situe dans la continuité des travaux antérieurs de Louis-Adolphe Bertillon. Mais ce livre innove par le mode d’expression adopté. Dans le titre, le terme « figurée » est crucial : il s’agit d’un atlas dont les doubles pages, montées sur onglets, se déploient sur un ample format (56 × 44 cm). Elles comportent à la fois des figures – des « cartes » et des « tableaux graphiques », c’est-à-dire des diagrammes, mais en 1874, Bertillon n’emploie pas encore ce terme2 –, des tableaux proprement dits et des commentaires. Chacune d’elles forme un tout qui, agrandi, peut être dissocié du reste de l’ouvrage et affiché dans le cadre d’une conférence ou d’une exposition. Le lecteur ou la lectrice – qui ne fait pas que lire : on ne lit pas des figures, on les regarde – peut parcourir dans l’ordre de son choix un ensemble d’informations interdépendantes traitant d’un même thème par trois moyens d’expression différents.
2Coûteux, difficiles à acheminer, les in-folio et les in-plano constituaient des produits de luxe, longtemps réservés à l’édition de cartes et d’œuvres d’art. Très rares étaient au xixe siècle ceux qui portaient sur des travaux statistiques3. La maison Masson ayant refusé d’endosser les risques commerciaux inhérents à un si grand format, Bertillon s’est lancé dans une édition à compte d’auteur – une option probablement pénible pour lui puisqu’il passait pour être très économe4 ; il fallait donc que sa conviction de la pertinence d’un tel format soit particulièrement forte. Dans son introduction, ainsi que dans le bon de souscription (reproduit à la fin de ce chapitre), il explicite les raisons de son choix :
« Malgré le surcroît de travail et de dépense qu’il m’en a coûté, j’adopte pour mode d’expression un procédé éprouvé sur moi-même et sur d’autres comme propre à frapper l’esprit plus fortement et à y laisser une empreinte plus durable que les fugitives abstractions numériques ordinairement en usage. Je représente donc toute quantité démographique, non seulement par son expression numérique et précise, mais encore par des teintes graduées, des surfaces, enfin par des figures qui parlent d’abord aux yeux et qui, par la spontanéité et la rapidité des impressions imagées, soulagent l’attention et fixent le souvenir. Ce mode d’expression a un avantage plus précieux encore : avec la notation numérique, on ne trouve guère que les rapports que l’on cherche pour les avoir soupçonnés a priori, tandis que la représentation figurée permet, par la presque simultanéité de la lecture, de saisir des rapports éloignés, inattendus, qui sautent aux yeux, et qui sont nouveaux justement parce que, n’étant pas soupçonnés, ils n’avaient pu être essayés. Telle est la raison d’être de cet Atlas de la démographie figurée » (1874a, p. 2).
3Pour Bertillon, les représentations graphiques offrent donc quatre avantages spécifiques : facilité de mémorisation, rapidité de lecture, stimulation de la découverte, rigueur.
4Premièrement, elles « frappent l’esprit », laissent « une empreinte durable », « fixent le souvenir » : elles s’ancrent mieux que les textes dans les mémoires.
5Deuxièmement, elles permettent de gagner du temps : « rapidité des impressions imagées », « presque simultanéité de la lecture », soulagement de l’attention. Bertillon aurait pu citer Napoléon Bonaparte, « Un bon croquis vaut mieux qu’un long discours », ou se référer à l’ingénieur Charles Minard, pionnier de la cartographie statistique, qui écrivait en 1859 :
« Le but de mes cartes figuratives est moins d’exposer des résultats statistiques, mieux établis par des nombres, que d’en faire saisir promptement les rapports à l’œil, rapports qui arrivent spontanément à l’intelligence par les figures et qui n’y pénètrent par les nombres que par l’intermédiaire d’un calcul mental5 ».
6Dans sa Sémiologie graphique, Jacques Bertin note qu’« il faut au moins 20 000 instants successifs de perception pour comparer deux tableaux de chiffres de 100 lignes sur 100 colonnes. Que les chiffres soient transcrits graphiquement et la comparaison est aisée, et peut même être instantanée » ; il aurait pu citer Minard et Bertillon.
7Troisièmement, « la représentation figurée permet […] de saisir des rapports éloignés, inattendus, qui sautent aux yeux » ; un texte oblige à suivre une séquence prédéfinie, alors qu’une figure, ou une composition associant graphiques, textes et tableaux, ont une fonction heuristique : la liberté d’investigation offerte au lecteur ou à la lectrice facilite la découverte de relations inattendues.
8Enfin, les graphiques auraient aussi une valeur éthique, se prêtant moins qu’un texte ou un tableau à des raisonnements entachés de préjugés. Ce quatrième point n’est pas le plus convaincant : il est vrai que les tableaux numériques peuvent donner lieu à des lectures de parti pris, mais il en va de même, par d’autres biais, avec les graphiques.
9Dans le cadre de la préparation de l’exposition de démographie et géographie médicale de 1878 à Paris, Bertillon soulignera que la représentation imagée des phénomènes démographiques est particulièrement adaptée lorsqu’il s’agit de toucher un public de non spécialistes :
« Dans une exposition publique, ce langage chiffré [de la démographie] ne peut se produire avec avantage, et seulement exceptionnellement, car le propre d’une exposition est de s’adresser à la vue et de parler rapidement aux yeux des passants. C’est pourquoi les nombres, ou plutôt leurs rapports gagneront beaucoup en clarté et en signification à être imagés au moyen de procédés graphiques, géométriques ou pittoresques » (1877c, p. 311).
10La conception, chez Bertillon, des propriétés des représentations « figurées » nous semble être, au total, très novatrice.
11Bertillon a aussi l’originalité de relever que les figures nécessitent des talents artistiques. Dans l’exposé de ses travaux en vue de sa candidature de 1875 à l’Académie de médecine, il constatait qu’« après avoir été l’ingénieur, le calculateur et le rédacteur [de son atlas], il a dû aussi être artiste et éditeur, peut-être médiocre artiste, mais à coup sûr inhabile éditeur » (1875a, p. 28). Des qualités de l’ordre de l’expressivité sont requises pour la réalisation des figures et pour leur mise en page. Dans le cas de La démographie figurée, l’assemblage complexe de quatre types d’éléments (titres, textes, images, tableaux) fait appel à des savoir-faire informels qui commandent la réussite de la composition. D’autres sont requis au long de la chaîne de fabrication : des nuances de trames peuvent disparaître à l’impression, certains gris virant au blanc ou au noir ; des choix pertinents à une échelle donnée ne le sont plus en cas de réduction ou d’agrandissement ; etc.
12Avant de tenter de cerner de plus près l’apport de Bertillon, explicitons les différents types de raisonnement auxquels correspondent des tableaux, des cartes, des diagrammes.
13Le cas des tableaux ne nécessite pas de longs commentaires : les tableaux à double entrée peuvent faire l’objet d’une lecture en ligne ou en colonne, alors qu’un texte ou une liste s’organisent en une seule dimension, mais leur lecture est toujours analytique. Ils ont constitué de longue date un moyen d’expression privilégié pour les statisticiens. Dans son introduction au premier volume des Recherches statistiques sur la ville de Paris, Gaspard de Chabrol les a opposés à « l’esprit de dissertation » :
« On a choisi la forme de tableaux comme étant l’expression la plus concise, et la plus propre à rendre les comparaisons faciles. L’esprit de dissertation et de conjectures est, en général, opposé aux véritables progrès de la statistique, qui est surtout une science d’observation. La rédaction des tableaux a l’avantage d’exclure les discussions inutiles, et de ramener toutes les recherches à leur but principal, qui est l’énumération méthodique des faits » (Fourier et al., 1821, p. VII).
14Les figures, dont l’usage en statistique est plus tardif que celui des tableaux, relèvent d’un autre type de perception.
Les figures n’illustrent pas seulement une pensée, elles lui donnent forme
15Toute pensée se manifeste par des actes de communication historiquement situés, engageant des moyens d’expression déterminés. Dans La raison graphique, l’anthropologue Jack Goody a montré que le recours à l’écrit transforme les façons de penser (Goody, 1979). Le psychologue David R. Olson a formulé une idée similaire dans le sous-titre de son livre L’univers de l’écrit : « La culture écrite donne forme à la pensée » (Olson, 1998). Goody s’est particulièrement intéressé aux formes d’expression sans rapport avec la reproduction de la parole : « tableaux, listes, formules, recettes » (Goody, 1979, p. 58). Il estime « que ces nouveaux moyens de communication transforment la nature même des processus de connaissance » (ibid., p. 60).
16Le mot « graphique » a deux acceptions usuelles : tantôt il inclut l’écriture, tantôt il vise spécialement des figurations autres que textuelles. Après Jacques Bertin (1967), nous l’employons ici dans la seconde de ces définitions. Les figures donnent à la pensée une forme distincte de celle des séquences discursives. Leur production et leur compréhension requièrent la maîtrise de conventions spécifiques.
17Chaque discipline produit des graphiques emblématiques qui, parce qu’ils « frappent les esprits » davantage que des textes ou des tableaux, accèdent à un statut de stéréotype visuel. La culture statistique, transversale à toutes les disciplines tournées vers la quantification, implique une familiarité avec des courbes et des figures typiques, souvent désignées en fonction d’analogies visuelles, le « chapeau de gendarme » de la courbe de Gauss, les « boîtes à moustaches », décrivant des distributions de variables, de John Tukey (Tukey, 1977), etc. Les sciences économiques ont produit les courbes de Laffer, de Phillips, de Lorenz, de Kuznets, celle en dos d’éléphant de Branko Milanovic (Milanovic, 2016, p. 31) , etc. Depuis que Pierre Bourdieu a accédé à une célébrité mondiale, l’intelligence sociologique implique de savoir interpréter (ce qui n’est pas si facile) les nuages de points issus des analyses des correspondances qui sont au cœur de La distinction (Bourdieu, 1979). Une discipline telle que la géographie fait plus que toute autre appel à l’image en impliquant la maîtrise de la « raison cartographique » (Castro, 2007), avec ses multiples conventions : le nord n’est pas toujours en haut ; il y a de nombreuses manières de projeter une surface sphérique sur un plan ; une carte statistique peut être faite d’à-plats de trames diverses (comme chez Guerry ou Bertillon), de semis de points dont la densité varie de manière continue (Quetelet, 1835), de courbes de niveau (Vautier, 1874, cité par Dupâquier et Dupâquier, 1985, p. 384), etc.
18En démographie, deux des formes graphiques les plus caractéristiques sont la pyramide des âges (Walker, 1874; Le Bras, 2007, p. 257) et le diagramme de Lexis6. « L’intelligence démographique » (Rosental, 2003) tient en grande part à une familiarité avec de telles figures, au travers desquelles on pense les populations. Pour produire ou pour lire une pyramide des âges, il faut savoir qu’il est d’usage de faire figurer les hommes à gauche et les femmes à droite, de représenter l’âge en ordonnées croissant du bas vers le haut, de tordre la notion originelle de pyramide en la rabattant sur un plan où les surfaces sont proportionnelles aux effectifs, alors qu’on pourrait la représenter en volume, comme l’a fait malicieusement Hervé Le Bras (2007, p. 262). Pour que les surfaces soient réellement proportionnelles aux effectifs, il faut que leurs contours soient une succession d’angles droits, et non une série de segments obliques reliant les valeurs centrales de chaque tranche d’âge. Or les premières pyramides, établies sous la direction du général Francis A. Walker, ne sont pas des histogrammes, leurs contours sont faits de lignes obliques, et il en va de même avec la moitié de pyramide (hommes et femmes ne sont pas distingués) que Bertillon publie en 1881 dans la première édition de l’Annuaire statistique de la ville de Paris7.
19Sur le diagramme de Lexis, il est convenu que l’âge figure en ordonnées croissantes vers le haut, la période en abscisses croissantes vers la droite, la cohorte en diagonale ascendante ; mais dans les publications originelles, les dates et les cohortes progressent vers la gauche (Lexis, 1880, p. 302). Quand on se penche sur la genèse de ces instruments, on constate donc que leur histoire est faite de tâtonnements : certains choix des pionniers ne sont pas devenus d’un usage courant.
20En quoi les innovations graphiques de La démographie figurée de la France ont-elles été des tentatives inabouties, en quoi ont-elles changé la pensée démographique ? Les cartes occupent les deux tiers des planches de l’atlas, ce qui témoigne du primat, chez Bertillon, d’un raisonnement écologique (Lécuyer, 1977, p. 461). Examinons en premier lieu les cartes, puis les diagrammes.
Les cartes de La démographie figurée
21Le recours à la cartographie statistique était encore rare en 1874, mais Bertillon venait après bien d’autres auteurs dont les apports respectifs ont été clairement identifiés par Gilles Palsky (Palsky, 1996). On ne sait pas s’il avait eu connaissance de la carte de Charles Dupin mettant en évidence la ligne Saint-Malo – Genève, ou de l’Essai statistique sur la population française d’Adolphe d’Angeville. L’allure de ses cartes est très similaire à celle de d’Angeville, avec des titres entourés d’un trait ovale et une France bordée de colonnes dans lesquelles les départements ont fait l’objet d’une « sériation », c’est-à-dire qu’ils sont rangés selon la variable d’intérêt et regroupés en classes ; mais il citait l’Essai sur la statistique morale de la France d’André-Michel Guerry, dont la carte III sur les niveaux d’instructions était très proche de celle de Dupin8. Ses références allaient surtout à ce que Palsky appelle « l’école de cartographie médicale et anthropologique », avec Joseph-François Malgaigne et sa Carte de la France hernieuse, Jean-Christian Boudin et celle de la France goitreuse, Paul Broca et sa géographie ethnique des petits Celtes et des grands Kimris9. Un autre précédent significatif était constitué par les trois « cartes figuratives » (l’expression a tout du pléonasme) de la France, des Pays-Bas et de la Belgique placées par Quetelet à la fin de Sur l’homme (Quetelet, 1835) ; elles portaient sur des sujets qui étaient au cœur de la « statistique morale » de l’époque, comme l’instruction et les crimes contre les biens ou contre les personnes, et faisaient appel à des semis de points de densité variable – et de médiocre lisibilité. Bien que Bertillon ne les évoque pas, il se peut qu’il se soit inspiré de leurs titres en mettant en avant le terme de « figure ».
22Toutes les cartes de La démographie figurée représentent la France divisée en départements10. Elles sont de deux types. Les unes portent sur une seule grandeur (le plus souvent, un taux de mortalité, ou un indice qui en dérive), avec un dégradé de « teintes » et trames allant du blanc au noir ; la teinte d’un département résulte d’un classement par rang suivi d’un découpage en neuf groupes comptant chacun, en moyenne, une petite dizaine d’unités. Les autres cartes, dites « à écussons », positionnent chaque département sur deux échelles de teintes, représentées respectivement sur un fond épousant les contours du département et sur un petit cercle, décrit comme « écusson de rappel » parce qu’il reproduit les teintes d’une carte simple antérieure11.
23Le classement par rangs présente l’inconvénient de donner autant d’importance à des écarts numériques minimes qu’à des écarts massifs. Bertillon ne relève pas ce point de technique statistique – une fois de plus, il se montre peu attentif aux indicateurs de dispersion. Mais il a le mérite de publier à la fois les rangs et les taux. Il ne relève pas non plus les effets de composition qui peuvent rendre fallacieux le lien écologique entre deux grandeurs, mais en cela il n’est qu’un homme de son temps12. Par ailleurs, le choix d’une répartition en neuf groupes (une dixième modalité correspondant aux valeurs manquantes), alors que ses prédécesseurs se limitaient à cinq ou six nuances, constitue un raffinement assez difficile à suivre à la lecture. La richesse du nuancier le conduit à jouer sur des trames complexes : quadrillages divers et semis de points plus ou moins denses, avec des risques d’empâtement à l’impression.
24Les chiffres représentés sur les cartes résultent tous de relevés effectués sur les publications de la Statistique générale de la France (recensements, mouvements de population13), à deux exceptions près : les observations sur la période 1840-1849, compilées par Xavier Heuschling dans les bureaux de l’administration française, et les effectifs des conscrits, qui proviennent de la série des comptes rendus sur le recrutement de l’Armée, de parution annuelle.
25Comme chez d’Angeville14, les cartes vont en général par paires : elles s’inscrivent dans un raisonnement comparatif qui se développe sur une double page. Souvent, un même titre courant de la page de gauche à celle de droite indique que le rapprochement s’effectue entre deux périodes, entre des hommes et des femmes, entre deux groupes d’âge, entre des enfants légitimes et illégitimes, etc. En reproduisant les cartes de La démographie figurée, nous nous efforçons, en dépit des difficultés liées au passage à un format réduit, de préserver la possibilité d’embrasser d’un même regard les figures que Bertillon avait placées sur une même double page.
26Ces appariements de cartes permettent à Bertillon d’entreprendre l’étude tâtonnante de la corrélation spatiale entre deux variables, à une époque où on ne parle encore ni de variable ni de corrélation – Galton met au point le coefficient de régression à peu près dans les mêmes années, et Pearson ne définira que plus tard celui de corrélation (voir Stigler, 1986). Dans sa lecture devant l’Académie de médecine de 1870, Bertillon avait clairement défini l’intérêt de tels jumelages : « Dans mes cartes I et II, j’ai mis en regard la mortalité de 0 à 1 an et celle de 1 à 5 ans, afin de montrer combien diffère la distribution géographique de la mortalité pour deux âges si rapprochés15. »
27Une carte à écussons comporte d’autant d’informations élémentaires que deux cartes simples, mais on doit, pour la lire, renoncer à la « spontanéité et la rapidité des impressions » et adopter un mode de lecture analytique assez laborieux ; Gilles Palsky considère que la formule est source de « confusion visuelle » (Palsky, 2002, p. 53). La juxtaposition, sur une même double page, de deux cartes à écussons permet d’entreprendre l’analyse des relations entre quatre variables : une variable dépendante (qui est toujours un taux ou un quotient de mortalité ayant fait l’objet d’une « sériation » en neuf tranches), l’espace des départements (de 84 à 89 unités), et deux autres variables, souvent dichotomiques – par exemple le sexe et la période, dans le cas des cartes IX et X. Sur une carte donnée, l’âge constitue une variable de contrôle puisque chacune d’elles (à l’exception des cartes XXXI et XXXII sur la mortalité d’ensemble) porte sur une seule tranche d’âge ; sur deux cartes appariées, il peut constituer une variable d’intérêt, comme avec les cartes I et II (mortalité avant 1 an, puis de 1 à 5 ans). À l’échelle de l’ensemble des deux doubles pages formées par les cartes IX et X (0 à 1 an), puis XI et XII (1 à 5 ans), on voit se déployer un riche dispositif d’analyse des effets croisés sur la mortalité de quatre variables : le département, le sexe, l’âge et la période. Bertillon témoigne ainsi d’une inventivité certaine en matière d’analyse spatiale multivariée.
28La plus célèbre des cartes de La démographie figurée, la première de l’ouvrage, porte sur la mortalité départementale des enfants de moins de 1 an. Pièce majeure dans le déclenchement de l’alerte à propos de la surmortalité des bébés mis en nourrice, elle figure aussi dans le rapport que Bertillon a présenté devant la commission parlementaire préparant la future loi Roussel (cf. chapitre 16 du présent ouvrage). Dans ses travaux ultérieurs, Bertillon préférera s’appuyer non plus sur des taux mais sur des quotients de mortalité, qu’il désigne comme des « dîmes mortuaires » (1879a, tableau IX, p. 572). La carte des taux de mortalité infantile par département sera en outre reproduite par Jacques Bertillon dans la recension de l’ouvrage paternel qu’il publie dans La Nature (Bertillon J., 1874) et, à quelques variantes près, dans son grand article de 1902 sur les effets de la loi Roussel16.
29Une difficulté de l’argumentaire déployé réside dans le fait que les taux de mortalité dans deux départements exportateurs de nourrissons, la Seine et le Rhône, sont mis en valeurs manquantes, en raison des incertitudes dues à des mouvements migratoires qui ne peuvent pas être quantifiés. Dans le cas du Rhône, Bertillon précise en note que « le département […] occupait dans le principe ce 9e rang, maintenant vacant parce que les éléments de sa mortalité nous ont paru trop incertains ». Le 9e rang situe le Rhône dans le quantile le plus favorisé, alors que les départements voisins connaissent une mortalité infantile moyenne ou forte, mais cette mortalité croît d’autant plus qu’on s’éloigne de Lyon en direction du Sud, alors que les « nourrissons » d’origine lyonnaise sont de moins en moins nombreux, ce qui suggère que d’autres déterminants sont en cause. Dans le cas de la Seine, le gradient d’une mortalité qui décroît à mesure que l’on s’éloigne de la capitale semble bien établi ; mais la « teinte » du département émetteur, mise en valeur manquante, serait noire également si l’on se reportait au taux indiqué par Bertillon lui-même dans une note du sommaire de son atlas où, en se fondant sur une étude d’Armand Husson, directeur de l’Assistance publique de Paris, il estime que la mortalité des enfants de moins de 1 an restés à Paris serait de 290 ‰ (Husson, 1870 ; Bertillon, 1874a, p. 3). Dans ces conditions, la mortalité infantile de la Seine serait supérieure à celle de la Seine-et-Oise (268 ‰) et à peu près identique à celle des départements voisins, tous classés dans le quantile le plus défavorisé. La mise en nourrice était peut-être nocive pour les enfants, mais le sort de ceux qui restaient dans la capitale ne semblait pas plus enviable – ils avaient l’avantage de rester auprès de leur mère, mais leurs parents étaient en moyenne plus pauvres. Six ans plus tard, Bertillon, cette fois chargé de la statistique parisienne, publiera des taux qui lui paraîtront invraisemblablement élevés :
« Nous attirerons l’attention sur le chiffre vraiment formidable de la mortalité de la première année de la vie à Paris. Elle serait telle que 1 000 enfants de 0 à 1 an qui, en France, fournissent 205 décès annuels, en donnent en moyenne environ 338 à Paris, et d’après les taux mortuaires de notre dernière semaine, jusqu’à 585 ! Ces coefficients mortuaires, mais surtout le dernier, sont vraiment peu vraisemblables ; pour se les expliquer, il faut observer : 1° que les dénombrements des enfants vivants du premier âge sont fort imparfaits et pèchent ordinairement par omission ; 2° que ces décès enfantins sont indûment grossis de tous ceux qui, devant être envoyés en nourrice à la campagne, succombent avant leur départ. Ces décès appartiennent à un groupe d’enfants qui ne saurait contribuer à accroître la population enfantine de Paris ; ils ne devraient donc pas figurer parmi ses décès. Cependant, cette dernière cause d’erreur ne saurait expliquer l’énorme mortalité du groupe d’âge suivant (de 1 an révolu à 5 ans) qui, étant de 35 par an et par 1 000 en France, s’élève à 53 en moyenne à Paris, et à 75 d’après le taux mortuaire de la onzième semaine ! On voit que cette semaine c’est un peu la variole, bien plus que la rougeole, plus encore la diphtérie, qui ont surtout contribué à surélever ce chiffre. » (1880j, p. 475).
30Dans de telles conditions, on ne peut écarter l’hypothèse que la mise en nourrice en province ait pu améliorer les chances de vie des nourrissons. Dans une recension du livre de Lion Murard et Patrick Zylberman, L’hygiène dans la République, Olivier Faure estime que ces auteurs « manquent largement de recul par rapport à leurs sources. Ils ne posent pas assez la question de savoir si les hygiénistes n’avaient pas intérêt à pousser le tableau au noir pour mieux convaincre les autorités de suivre leurs avis et de donner corps à leurs souhaits (Faure, 1999, p. 611 ; Murard et Zylberman, 1996). ». Dans La démographie figurée, en gommant les taux parisiens et lyonnais, Bertillon a poussé au noir, comparativement, le tableau des départements ruraux à la périphérie des métropoles et prête donc le flanc au même type de critique : si les taux de mortalité avaient été aussi élevés parmi les enfants restés à Paris que chez ceux transférés dans les départements voisins, la mise en nourrice n’aurait été ni meilleure ni pire que la prise en charge par les parents restés sur place.
31Le résultat le plus convaincant apparaît à la première double page de l’atlas : le contraste est frappant entre, à gauche, la carte de la mortalité de 0 à 1 an, avec sa principale zone sombre autour de la capitale (alors que le Bassin parisien est une région relativement riche), et, à droite, celle de 1 à 5 ans (carte II), où ce sont le Midi, le Nord et l’extrême Ouest qui subissent la plus forte mortalité. Une douzaine de départements voisins de la capitale se caractérise bien par une mortalité particulièrement élevée des enfants de moins de 1 an, et la recherche des causes de cet excédent passe par l’étude comparée des conditions de vie des bébés placés en nourrice et des autres enfants. Une fois l’appareil statistique idoine mis en place, Jacques Bertillon montrera que les enfants placés en nourrice sont effectivement plus nombreux à mourir que les autres, même après l’adoption de la loi Roussel (Bertillon J., 1902), et les développements de la puériculture permettront de mieux identifier les différentes causes directes de leur plus grande vulnérabilité (Budin, 1900 ; Rollet, 1990). La première double page de La démographie figurée, avec ses deux cartes très contrastées, est donc à la fois nouvelle, convaincante, et pertinente en termes d’urgence sanitaire, dans un contexte où la mortalité infantile progressait régulièrement depuis 184017.
Les figures
32L’une des originalités de l’atlas est de comporter de nombreux diagrammes (en 1874, Bertillon les nomme « tableaux figurés » ou « figures ») ; s’il innove en donnant une forme graphique à sa pensée, il tâtonne encore dans la désignation de ce qu’il produit. Dans le sommaire de La démographie figurée, il insère un erratum à propos des pages LV et LVI : « Comme titre écrire : tableaux au lieu de cartes » (1874a, p. 4) ; il ne s’agit en réalité ni de cartes ni de tableaux, mais de diagrammes. Beaucoup de « tableaux » et certaines « cartes » sont, en définitive, des figures18. Jacques Bertillon, pour sa part, utilisera largement les termes « cartogramme » et « diagramme » pour qualifier tant les graphiques de son père (Bertillon J. et al., 1883, p. 42) que les siens propres (Bertillon J., 1889a). Le diagramme préféré de Louis-Adolphe Bertillon ouvre la partie B de La démographie figurée, tout comme sa carte préférée ouvrait la partie A. Il représente les variations des taux de décès selon l’âge et a été réédité par Bertillon lui-même dans l’article « Mortalité » du DESM19. Constitué des « tableaux » XXXIII et XXXIV, qui forment en réalité un seul graphique occupant une double page, il est intitulé « Lois ou tables de la mortalité annuelle », une formule témoignant des hésitations de Bertillon à employer le terme « loi », qui lui semble probablement chargé d’ambitions excessives. Ce diagramme comporte trois maximums : le premier pour la tranche 0-1 an ; le deuxième, peu marqué, chez les 20-25 ans ; le dernier, enfin, chez les 90-95 ans. Les tranches de 2 à 65 ans donnent lieu à une « figure 2 » quintuplant l’échelle des ordonnées, de manière à rendre plus lisibles les variations de la mortalité aux âges intermédiaires, et donc à mieux faire apparaître le maximum qui concerne les hommes de 20 à 25 ans. Dans les pages de La démographie figurée ou de la notice « Mortalité », Bertillon ne dit rien des causes de cette surmortalité chez les jeunes hommes, mais il a évoqué, dans une conférence publique, l’insalubrité du casernement des soldats en temps de paix (cf. le chapitre 15 du présent ouvrage).
33L’échelle des abscisses n’est pas uniforme dans la partie gauche du diagramme : de 0 à 5 ans, la mortalité est observée année par année ; ensuite, la progression se fait par tranches de cinq années, de sorte que la longueur est la même de 0 à 5 ans que de 5 à 30 ans. Si on lit trop vite, on sous-estime le rythme de décroissance des « chances de mort » au long des cinq premières années.
34Un autre diagramme très original témoigne du fait que Bertillon s’affirme non seulement comme démographe mais aussi comme continuateur de la statistique morale de Guerry et précurseur de la sociologie. Selon son titre, il porte sur la « mortalité par âge et par état civil, comparée en France, à Paris, en Belgique et en Hollande20 ». Croisant onze classes d’âge, trois états civils (époux, célibataires, veufs), quatre zones géographiques et deux sexes, comportant donc 264 rectangles de hauteur proportionnelle au taux de décès, il constitue un bel exemple de ce qu’on n’appelle pas encore une analyse multivariée. Quels que soient le pays ou la ville considérés, la mortalité, à âge donné, est plus forte chez les célibataires que chez les personnes mariées, et plus forte chez les personnes veuves que chez les célibataires. Seuls font exception les très jeunes époux, et les épouses jusqu’à un âge plus avancé : 40 ans en Hollande, 45 ans en Belgique ; en France la situation des veuves est moins défavorable que celle des célibataires à partir de la quarantaine, voire de la trentaine à Paris. Dans la notice « Mariage » du DESM, Bertillon développe, davantage que dans La démographie figurée, les commentaires de cette statistique, qu’il présente cette fois sous la forme d’un tableau (1874b, p. 45), et qu’il prolonge par des considérations exploratoires sur les taux de suicide selon le sexe et la situation matrimoniale (ibid., p. 50-52) ; le contrôle des effets de l’âge, effectué par tranches de cinq ans pour la mortalité générale, est presque inexistant pour les taux de suicide et se limite à écarter les célibataires de moins de 16 ans. Après Farr, qu’il ignore, et Stark, qu’il cite (cf. le chapitre 19), Bertillon suit une voie de recherche qui sera de plus en plus fréquentée : son fils Jacques élargira au divorce la palette des situations matrimoniales prises en compte (Bertillon J., 1883) ; et c’est ensuite aux quatre mêmes variables susceptibles d’agir sur le taux de suicide (sexe, âge, statut matrimonial, localisation) que fera appel Émile Durkheim dans un tableau qui est au cœur de son ouvrage majeur sur le suicide (Durkheim, 1895, tableau XXII, p. 204), « un des plus beaux tableaux du suicide », selon Christian Baudelot et Roger Establet (Baudelot et Establet, 1984, p. 26). La double page LI-LII est aussi, à nos yeux, l’une des plus belles de La démographie figurée. Bertillon et Durkheim ont en commun d’omettre les distributions marginales des taux de mortalité (qui permettraient, par exemple, de mettre en évidence la surmortalité des hommes, ou les plus grands bénéfices que ceux-ci retirent du mariage, par comparaison avec les femmes). Bertillon, dans l’article « Mariage » – mais pas dans La démographie figurée – calcule des coefficients de surexposition des célibataires ou des veufs par rapport aux mariés (1874b, p. 47, notamment), Durkheim utilise, lui, des « coefficients de préservation » des mariés, c’est-à-dire des rapports inverses mais d’intérêt similaire ; il y a là un autre des emprunts d’outils conceptuels de Durkheim à l’égard de Bertillon (Borlandi, 2004, p. 25s). La principale différence entre les deux approches est que celle de Bertillon est principalement descriptive, alors que Durkheim s’efforce d’articuler ses observations sur une théorie de l’intégration et de la régulation sociales.
35Les comparaisons internationales nécessitent de la part de Bertillon père des recherches livresques ainsi que des démarches auprès de divers correspondants étrangers. Une régularité statistique qui s’observe dans une multiplicité de contextes géographiques différents témoigne probablement de relations causales ; il est donc important, pour Bertillon, d’inclure de nouveaux pays dans le champ de ses observations. La filière belge est la plus productive. Des rapprochements entre Belgique, Pays-Bas et France avaient déjà été pratiqués par Quetelet (Quetelet, 1835), et Achille Guillard avait produit une table de la mortalité française grâce à l’aide de Xavier Heuschling (Guillard, 1854a). Pour Bertillon, qui est membre correspondant de la Commission centrale de statistique de Belgique et qui échange depuis longtemps avec Heuschling et Quetelet, la réalisation de la planche LI-LII est un aboutissement qui n’a rien d’inopiné. Une tentative d’intégration de l’Autriche dans le champ des comparaisons internationales de La démographie figurée restera, pour sa part, infructueuse.
Le plan de La démographie figurée
36La démographie figurée s’organise selon une distinction entre deux types de représentations graphiques : des cartes et des diagrammes – bien que Bertillon ne l’utilise pas encore, nous préférons recourir ici au terme « diagramme », moins polysémique que « figure », qui recouvre tantôt les seuls diagrammes, tantôt les diagrammes et les cartes. L’unité territoriale élémentaire observée est le département français dans le cas des cartes, le pays (le plus souvent la France, mais aussi d’autres pays européens, et la ville de Paris) dans le cas des diagrammes. Les parties composées de cartes, désignées par la lettre A, sont au nombre de trois, et il y a deux parties à diagrammes, désignées par B. Les cinq parties, de tailles fortement décroissantes, se succèdent ainsi : A, B, Abis, Bbis, Ater.
37La première partie (« A. Étude de la France par départements ») comporte 32 cartes (allant par paires sur seize doubles pages) de la mortalité française par département, suivant une progression selon l’âge, avec identification, dans les commentaires, d’une série de risques sanitaires propres à chaque moment du cycle de vie :
- petite enfance, dénonciation des ravages de la mise en nourrice dans le Bassin parisien ;
- jeunes femmes, mortalité en couches ;
- vieillards, vulnérabilité particulière dans les régions les plus froides.
38Des comparaisons sont effectuées entre deux périodes (1840-1849 et 1857-1866), entre hommes et femmes, et entre deux mesures, taux et quotient de mortalité (pour les moins d’un an d’une part et pour les jeunes hommes soumis à la conscription d’autre part). Les cartes XXXI et XXXII, datées de 1873 alors que les précédentes sont de 1871 ou de 1872, portent sur la mortalité générale tous âges confondus. On relève un doublon, probablement volontaire et qui exprime l’importance, chez Bertillon, des comparaisons par paires : les cartes II et VI sont identiques ; il s’agit de repérer, d’une part, des effets d’âge, par comparaison avec la carte I (mortalité de 0 à 1 an) et la carte II (mortalité de 1 à 5 ans), et, d’autre part, des effets de période, par rapprochement avec la carte V (mortalité de 1 à 5 ans de 1840 à 1849) et la carte VI (mortalité de 1 à 5 ans de 1857 à 1866).
39Une deuxième partie (« B. Étude de la France en général »), à base de diagrammes, aborde quatre thèmes : mortalité générale par âge et par période ; mortalité infantile selon le sexe, l’âge, le lieu de résidence (ville ou campagne) ; saisonnalité selon l’âge (six pages) ; mortalité infantile comparée en France et en Suède selon l’âge et le lieu de résidence.
40Dans une troisième partie (Abis, sans autre titre) datée, comme la précédente, de 1873-1874, Bertillon cartographie en trois doubles pages (célibataires, mariés, veufs) les variations de la mortalité par département selon deux critères croisés, le statut matrimonial et le sexe (hommes en page gauche, femmes à droite).
41On retourne aux diagrammes dans la partie suivante (Bbis, 1874). L’analyse se situe cette fois à une échelle internationale. Une première double page porte sur la mortalité selon le statut matrimonial, le sexe et l’âge en France, à Paris, en Belgique et en Hollande (LI et LII), une autre sur la mortalité par âge et par sexe dans treize pays européens (LIII-LIV). Une dernière double page concerne l’Angleterre, seul pays où, grâce à William Farr, un bon contrôle des effets d’âge autorise une approche convaincante de la mortalité par profession (nous avons déjà évoqué au chapitre 15 la fragilité statistique des considérations moralisatrices de Bertillon à propos de la surmortalité des lords âgés de 35 à 45 ans).
42L’ultime partie, Ater, se réduit à une double page comparant les deux cartes de France des taux de mort-nés par rapport aux naissances vivantes, selon que les enfants sont légitimes ou non (LVII et LVIII). Bertillon indique que cette partie (datée de 1872) aurait dû constituer l’ouverture de son livre si la progression avait suivi strictement celle de l’âge des décédés ; mais le questionnement sur les effets du mariage était moins important, à ses yeux, que celui sur les effets de la mise en nourrice.
43Les dernières pages, « Résumé et conclusions », ne comportent que du texte. Plus qu’à un public savant, elles s’adressent à des décideurs politiques ou économiques de culture statistique modeste. Partant d’une évaluation du coût de la vie humaine, elles avancent l’idée que toute mort prématurée a un coût, puis récapitule, en passant des cartes aux diagrammes, les principaux apports de l’atlas concernant l’identification des domaines dans lesquels des vies, et aussi des ressources économiques, pourraient être épargnées.
Revisiter les cartes et diagrammes en les informatisant
44Rééditer La démographie figurée de la France dans un format réduit constitue une sorte de traduction qui est aussi, nécessairement, une trahison. Chaque double page de 56 × 44 cm comporte des titres, des cartes ou des diagrammes, des tableaux et des commentaires calligraphiés qui deviendraient illisibles si on en faisait un simple fac-similé réduit. Nous avons choisi de numériser non seulement les textes, mais aussi les cartes et les diagrammes. Cette lourde opération, assurée par Yannick Savina, ingénieur statisticien au Centre de recherche sur les inégalités sociales, présente un double intérêt. Elle permet de conserver une bonne lisibilité sous un format nettement réduit. Et elle constitue une revisite impliquant de rendre explicites toutes les conventions adoptées par Bertillon dans l’élaboration de ses figures, en repérant au passage d’éventuelles erreurs. Michael Friendly a déjà effectué une opération similaire en rééditant une partie des cartes de l’Essai sur la statistique morale de la France d’André-Michel Guerry, où les cartes numérisées, d’une surface environ seize fois inférieure à celle de l’édition originale, sont parfaitement lisibles (Friendly, 2007).
45Quant aux volumineux tableaux classant les départements par mortalité croissante, nous avons choisi de les rejeter dans des annexes librement accessibles en ligne21. Bertillon lui-même avait placé en annexe les tableaux par département de la notice « Démographie de la France » du DESM, qui comportent les mêmes taux de mortalité que La démographie figurée, mais classés selon l’ordre alphabétique des départements (1879a, p. 572-577). Par ailleurs, un fac-similé intégral de l’ouvrage est accessible en ligne sur la bibliothèque numérique de Sciences Po22.
46A. C.
* * *

Introduction
47/1/ Dans sa marche saccadée vers le progrès, qui est sa tendance invincible, l’humanité s’appuie alternativement sur l’expérience et sur les connaissances qu’elle fournit. La pensée s’éclaire de la pratique, et puis elle éclaire la pratique à son tour. De ce prêté-rendu sont nées toutes les sciences particulières. Elles ont pu se former, grandir et s’étendre, par d’immenses collections de faits individuels successifs. Mais on a reconnu à la fin que les lois naturelles, qui règlent le cours des choses et le sort des individus, règlent avec autant de force, et il semble avec plus de constance les collectivités humaines. De là est née la statistique sociale, qui est la science des phénomènes collectifs dont l’intensité et la fréquence sont représentées par les nombres. Les administrations publiques, qui sont avant tout fiscales, ont appliqué cette science, dès qu’elles en ont eu la première notion, à l’assiette de l’impôt, et les penseurs, à l’économie politique ou science des richesses, qui n’était, avant cette application, qu’un amas de conjectures, plus ou moins fondées.
48Mais les esprits attentifs et philanthropes ont compris que des investigations de même ordre pouvaient fournir des renseignements précieux sur les questions qui intéressent le plus vivement les hommes, sur la vie et la mort, sur la santé et la maladie, sur la moralité, l’instruction, la famille, les professions, le bien-être, – en un mot, sur l’état civil et social. Le pouvoir souverain légiférait ; l’administration manipulait ; le fisc pressurait ; la magistrature s’efforçait de combattre l’iniquité ; l’hygiène publique, la maladie ; la force publique, la violence ; tour à tour la religion poétique et crédule, puis la morale sentencieuse, enfin l’économie raisonneuse, dogmatisaient à l’envi. Et ces activités diverses, qui toutes prétendent s’exercer au plus grand profit de la société, s’agitent encore aujourd’hui sous la trompeuse lumière des opinions préconçues ; elles marchent bien souvent à l’inverse de leur but, frappent dans le vide, ou se heurtent, se contredisent, n’étant pas guidées par la connaissance de l’ensemble des faits sociaux, qui doivent être recueillis et coordonnés indépendamment de toute théorie spéciale et de tout enseignement systématique. De là les vacillations des lois, si légèrement imposées, abrogées et rétablies ; de là leur trompeuse indétermination ; de là les tergiversations et les débats stériles de l’économie politique et de la politique ; de là les contradictions que Pascal signale avec une amère éloquence, et qu’il a tort d’attribuer à la nature humaine, puisqu’elles ne proviennent que de ses grandes lois méconnues.
49C’est une condition d’existence pour chaque nation d’égaler au moins les nations voisines pour le nombre, la vigueur, l’intelligence des jeunes générations. Et cependant les hommes auxquels sont remis les destins des peuples ne s’enquièrent ni du nombre des familles qui fournissent ces générations, ni des conditions qui augmentent ou paralysent leur fécondité, ni des causes multiples et variées qui déciment cette jeunesse, ni du taux annuel de ses pertes, ni de leur proportion croissante ou décroissante, et encore moins des raisons qui président à tous ces mouvements ! Si ces gouvernants viennent à présumer, nonobstant les enseignements ecclésiastiques, que le mariage est meilleur que le célibat, que l’instruction vaut mieux que l’ignorance, ils ne savent ni dans quelle mesure ni dans quelles conditions ; ils manquent de preuves à opposer aux adversaires obstinés des voies modernes, et ils sont sans force pour préparer les applications que la pratique réclame.
50Il est donc certain que, pour constituer enfin les vraies sciences sociales, pour obtenir une législation appuyée sur la connaissance des phénomènes sociaux, une administration éclairée dans ces agissements, et pour réformer nos mœurs publiques et privées, il faut que la nation apprenne à se connaître elle-même, il faut que les hommes studieux, touchés de l’amour de l’humanité, acquièrent de solides notions de l’anatomie du corps social, de son fonctionnement physique, intellectuel et moral, c’est-à-dire de sa physiologie et de sa psychologie générales.
51C’est de cette nécessité, aujourd’hui reconnue, qu’est née la Statistique humaine, une des assises du grand monument que notre siècle élève aux sciences biologiques. À une science nouvelle il faut un nom nouveau. On aurait pu, avec le docteur Engel, de Berlin, appeler cette connaissance des peuples démologie23. Nous avons préféré, par droit de priorité, DÉMOGRAPHIE, et comme moins ambitieux et surtout parce que notre compatriote, M. Guillard, a le premier consacré cette expression, aujourd’hui adoptée en France comme à l’étranger. La Démographie a donc pour raison d’être l’adage socratique, le Γνῶθι σεαυτόν, se connaître soi-même, afin d’apprendre à se gouverner avec toute lumière : tel est manifestement le premier et le dernier mot de la sagesse humaine, pour les collectivités comme pour les individus. Mais, la méthode scientifique l’a péremptoirement établi, ce n’est pas avec des idéalités subjectives que nous pouvons réaliser cette connaissance ; comme toute science, la science des existences collectives est un édifice qui a pour matériaux indispensables les faits objectifs, les faits sociaux, et pour ciment la raison humaine, qui, les reliant, permet d’élever des assises d’autant plus solides que les faits recueillis et classés sont eux-mêmes plus nombreux et mieux ordonnés, deux conditions aussi nécessaires l’une que l’autre à la constitution des sciences.
52Depuis longtemps frappé de ce manque de connaissance précise des faits sociaux, lacune immense qui entrave fatalement les progrès des sciences humanitaires en les livrant sans défense aux métaphysiciens, je me suis appliqué, en diverses /2/ publications, à démontrer l’unité et la solidité de la démographie par des recherches et des exemples portant sur diverses nations ; je me suis efforcé d’attirer sur cette science l’attention des amis des hommes et de les porter à défricher avec nous un champ presque encore vierge et qui promet d’inestimables récoles. L’œuvre entamée par mes prédécesseurs (Quetelet, Villermé, Guillard, etc.) ne peut demeurer incomplète sans un grave détriment pour la science de l’homme.
53Ainsi préparé, je me suis voué particulièrement à l’étude de la collectivité française, dans l’espoir que les faits que je réussirais à mettre en lumière pourraient venir en aide au relèvement de notre patrie, contribuer à renseigner nos législateurs et à guider notre administration. J’entreprends aujourd’hui la publication du premier fruit de ces laborieuses recherches. J’apporte, avec beaucoup de vues nouvelles, un grand nombre de faits généraux qui n’avaient pas encore été reconnus. En outre, malgré le surcroît de travail et de dépense qu’il m’en a coûté, j’adopte pour mode d’expression un procédé éprouvé sur moi-même et sur d’autres comme propre à frapper l’esprit plus fortement et à y laisser une empreinte plus durable que les fugitives abstractions numériques ordinairement en usage.
54Je représente donc toute quantité démographique, non seulement par son expression numérique et précise, mais encore par des teintes graduées, des surfaces, enfin par des figures qui parlent d’abord aux yeux, et qui, par la spontanéité et la rapidité des impressions imagées, soulagent l’attention et fixent le souvenir. Ce mode d’expression a un avantage plus précieux encore : avec la notation numérique, on ne trouve guère que les rapports que l’on cherche pour les avoir soupçonnés a priori, tandis que la représentation figurée permet, par la presque simultanéité de la lecture, de saisir, des rapports éloignés, inattendus, qui sautent aux yeux, et qui sont nouveaux justement parce que, n’étant pas soupçonnés, ils n’avaient pas pu être essayés.
55Telle est l’origine et la raison d’être de cet Atlas de démographie figurée. J’ai été soutenu dans le long labeur qu’il a exigé par l’espérance d’apporter ma pierre au monument que notre siècle a le devoir d’élever à la science des peuples, s’il veut que ses persévérants efforts vers les progrès sociaux soient enfin fructueux et continus.
56Je n’ai pas choisi au hasard le sujet que je traite d’abord ici. Notre patrie est en quête de travailleurs et de défenseurs ; de toute part on se plaint, non sans raison, de leur lente et faible reproduction. Mais j’ai pensé qu’avant d’étudier leurs conditions d’accroissement, ainsi que j’en ai dessein, il est urgent de découvrir les causes qui les déciment ; en un mot, qu’il est mieux encore de conserver les générations que de les renouveler. C’est donc dans une vue de conservation que j’ai entamé mon œuvre par une étude, aussi complète que possible, des sévices de la mort, et particulièrement de la mort prématurée, sur la collectivité française. Pour combattre un tel ennemi, avec chance de le faire reculer, il faut d’abord reconnaître ses forces, ses manœuvres et ses moyens d’action : j’ai voulu être l’éclaireur de ces funèbres agissements !
57J’espère que les lecteurs qui voudront bien parcourir cette série de cartes, ou seulement les conclusions qui terminent cet Atlas, seront frappés du nombre considérable de faits nouveaux qui y sont dévoilés, et de la grande portée de beaucoup d’entre eux.
58Dr BERTILLON.
59Paris (20, rue Monsieur-le-Prince) 30 juin 1874.
60Nota bene. En terminant cette introduction, l’auteur croit pouvoir insister sur ce point que, quelle que soit la valeur de cette publication, ce n’est pas une compilation, mais le résultat d’un travail longtemps médité et poursuivi. C’est ainsi que, pour neutraliser les accidentelles perturbations annuelles, l’auteur, le premier et le seul pour la France, a, par un long labeur, réuni en un seul faisceau tous les éléments épars en dix années consécutives (et quelquefois en vingt années), non seulement pour la France en général, mais pour chacun des 89 départements, conduisant partout l’analyse aussi loin que le permettaient les documents officiels, signalant leurs lacunes et leurs desiderata, et, quand il l’a pu, les remplissant à l’aide des documents étrangers. Enfin il a contrôlé toutes les données utilisées, et surtout il n’a employé que des méthodes rationnelles longtemps étudiées et vérifiées par lui, soit pour la critique, soit pour la mise en œuvre des nombres. (Voy. pour ces méthodes les articles de l’auteur, soit résumés dans le Dictionnaire de médecine de Littré et Robin, 12e [1865h] et 13e éditions, soit plus détaillés dans ses articles du Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales [1874b, 1875c, etc.].)
Table des cartes et tableaux contenus dans cet atlas24
A. Étude de la France par départements [cartes]
Carte I. Mortalité des enfants de 0 à 1 an (2 sexes réunis) pendant la période 1857-186625

61Nota. – 1° Les chiffres de mortalité 26sont obtenus en divisant les décès moyens annuels de 0 à 1 an (D0··1) survenus dans la période de 10 ans (1857-1866) pour la population moyenne du même âge (P0··1) et en multipliant le quotient par 1 000 selon la formule . Les décès sont donnés par les registres de l’état civil et le terme P0··1 qui pourrait être la moyenne des trois census 1856, 1861 et 1866, est, pour cet âge, déduit plus précisément du chiffre des naissances vivantes S0 selon la formule P0··1 = (2S0 – D0··1) 0,47927. On ne confondra donc pas, comme il est arrivé à plusieurs, cette mortalité
avec le rapport des décès aux naissances
, rapport que nous appelons dîme mortuaire (voy. cartes III et IV). En France, la mortalité de 0 à 1 an a été de 204,2, tandis que la dîme mortuaire était de 179,1 ; la mortalité des garçons a été de 222, et leur dîme mortuaire de 192,7 ; la mortalité des filles a été de 187,4, et leur dîme mortuaire de 164,5.
622° La mortalité excessive, indiquée par la zone noire qui environne le département de la Seine, est uniquement due à l’émigration des enfants de Paris et à l’industrie nourricière ; Seine-et-Oise est relativement moins frappé parce que les nourrices, plus près de la surveillance des familles, y sont rémunérées à plus haut prix et mieux surveillées. La mortalité des départements de la Seine et du Rhône28, x, ne peut être déterminée, même approximativement, parce qu’un grand nombre des enfants nés à Paris ou à Lyon vont, en nombre inconnu, mourir dans les départements circonvoisins, sans qu’on en fasse le report sur les registres de décès de ces grandes villes.
Carte II. Mortalité des enfants de 1 à 5 ans (2 sexes réunis) pendant la période 1857-1866

63Nota. Les chiffres de la mortalité ci-contre 29sont obtenus en divisant les décès moyens annuels des enfants de 1 à 5 ans (D1··5) survenus dans la période de 10 ans (1857-1866) par la population moyenne des mêmes âges (P1··5), en en multipliant le quotient par 1000 selon la formule 1000 . Le terme P1··5 pourrait être obtenu par la moyenne des trois census de 1866, 1861 et 1866, mais encore à cet âge, il peut se déduire en général plus précisément du chiffre des naissances vivantes (S0) par la formule P1··5 = [2S0 – (2D0··1+D1··5)] × 1,9630 ; sauf pour le département de la Seine, chez lequel les déplacements des nourrissons ou la dissémination de leurs décédés dans les départements environnants ne permet pas l’application de cette formule, qui suppose l’absence de migration. On doit même admettre, pour la même cause que dans ces départements environnant le département de la Seine, la formule ci-dessus affaiblit la population enfantine de 1 à 5 ans et, par suit, grossit indûment leur mortalité déjà aggravée artificiellement par bon nombre d’enfants restés en sevrage. Il résulte de ces vices des documents officiels, qu’à cet âge (non plus qu’au précédent) nous ne pouvons apprécier la mortalité des enfants du départ[ement] de la Seine, et que celle que nous attribuons aux départements circonvoisins est un peu trop forte.
64L’excessive mortalité des enfants dans les départements méditerranéens n’était même pas soupçonnée avant ce travail. Sa cause nous est inconnue et ne pourrait être révélée que par une enquête spéciale.
Mortalité de la première année de la vie. Comparaison (d’après les teintes) de la France de 1840-1849 avec la France de 1857-1866
Dans l’une et l’autre carte, les mêmes teintes correspondent à la même mortalité.
Carte III. Dîme mortuaire de 0 à 1 an pendant la période 1840-1849

Carte IV. Dîme mortuaire de 0 à 1 an pendant la période 1857-186631

65Nota pour les cartes III et IV. 1° Ces deux cartes en présence ont pour but de faire apprécier l’augmentation très considérable de la mortalité de la première enfance survenue d’une période (1840-1849) à l’autre (1857-1866) : mortalité appréciée par le coefficient de la dîme mortuaire qui, sans être adéquate à la mortalité proprement dite, croît ou décroît comme elle.
66Nous avons expliqué dans la note de la carte I que l’on doit entendre par dîme mortuaire de la première année de la vie, le rapport des naissances vivantes (S0) aux décès survenus dans le cours de leur première année de vie (D0··1). La dîme mortuaire se calcule dont sur la formule .
672° On remarquera que les deux colonnettes adjacentes32 donnent, pour chaque département, le numéro d’ordre qu’il occupe dans l’une ou l’autre période. Ainsi, si je considère le département de l’Ariège, à l’une et à l’autre époque, la comparaison des teintes ou des coefficients : 113 décès pour la première période (1840-1849) et 131 pour la seconde (1857-1866), cette comparaison, dis-je, me prouve que la mortalité de ce département s’est sensiblement accrue d’une période à l’autre, cependant à la première époque il n’occupait que le 6e rang de vitalité, tandis que dans la dernière (1857-1866), il occupe la 3e ; ainsi, quoique sa mortalité se soit aggravée moins pour lui que pour les autres, puisqu’il accuse un rang meilleur dans la série, il faut en conclure que sa mortalité absolue s’est accrue, mais que sa mortalité relative comparée aux autres départements s’est atténuée. La carte VII montrera, pour chaque département, l’accroissement de la mortalité absolue d’une période à l’autre.
683° Dans les deux cartes, on a eu soin que les mêmes teintes correspondent aux mêmes coefficients de mortalité, c’est pourquoi dans la carte IV il n’y a aucun département blanc car la mortalité s’étant très notablement accrue de la première période (1840-1849) à la seconde (1857-1866), la faible mortalité de 87 à 115 décès par 1 000 naissances, observée pendant la première période, dans les dix départements les plus favorisés et laissés en blanc, ne se retrouve nulle part dans la seconde. Cette aggravation est presque générale et la carte VII montre les rares départements qui en ont été affranchis.
Mortalité de 1 à 5 ans. Comparaison (d’après les teintes) de la France de 1840-1849 avec la France de 1857-1866
Dans l’une et l’autre carte, les mêmes teintes correspondent à la même mortalité.
Carte V. Mortalité des enfants de 1 à 5 ans pendant la période 1840-1849

Carte VI. Mortalité des enfants de 1 à 5 ans pendant la période 1857-186633

69Nota. – La carte V montre la mortalité des enfants de 1 à 5 ans pendant la période 1840-1849, la carte VI (report de la carte II ci-avant) donne la même mortalité pendant la période 1857-1866 ; le rapprochement de ces deux cartes montre l’uniformité avec laquelle se distribue cette mortalité. D’ailleurs on a eu soin, pour ces deux cartes (V à VI) comme pour les deux cartes précédentes (III et IV), que les mêmes teintes, dans l’une et l’autre des deux cartes, soient représentatives de la même mortalité. Malgré les variations de la mortalité de quelques départements isolés plus soigneusement analysées dans la carte VIII, on voit que la distribution des teintes est restée la même : même aggravation subite vers l’extrême Occident (Finistère), vers l’extrême Nord (Somme, Pas-de-Calais, Nord), mais surtout même groupement des départements à forte mortalité sur les bords méditerranéens.
70Il faut donc que des causes bien constantes président à cette distribution. Voilà le point important sur lequel je veux appeler l’attention : sur la constance comme sur l’énergie des causes,
Si puissantes que, en 1857-1866, tandis que la mortalité n’atteint pas 22 ‰ dans les dix départements les mieux partagés, elle dépasse 61 chez les dix départements méditerranéens les plus frappés ;
Si persévérantes que, pendant les deux périodes décennales étudiées à quinze années d’intervalle34, elles groupent d’une façon identique les départements à forte mortalité. Il semble donc qu’il ne serait pas bien difficile de pénétrer des causes si énergiques et si constantes. Nous verrons dans la suite les inductions que nous permet l’imperfection des documents de la statistique officielle.
71Quant à l’étude des mouvements de la mortalité d’une période à l’autre, soit par département, soit par la France entière, nous réservons l’étude à la VIIIe carte.
Mouvement de la mortalité de 1840-1849 à 1857-1866 comparé (par écusson de rappel) à la mortalité absolue, en chaque département, pour l’âge de 0 à 1 an [VII], pour l’âge de 1 à 5 ans [VIII]
Carte VII. [Mortalité de 0 à 1 an]35

72Nota. Dans cette VIIe carte, chaque département présente deux teintes : 1° la teinte du fond indiquant le mouvement de la mortalité enfantine de la première période, 1840-1849, à la seconde, 1857-1866 (notons tout de suite que les huit départements à fond blanc sont les seuls dont la mortalité ait diminué) ; 2° la teinte de l’écusson rappelant l’intensité de cette mortalité pendant la première période et telle qu’elle est calculée et donnée en 1840-1849 dans la carte III. – Dès lors on interprétera comme il suit chaque département : puisque la Corse (n° 82) a un fond noir, c’est qu’elle se place parmi les huit départements dont la mortalité enfantine s’est accrue au plus haut point (dans le rapport 100 : 137 d’après les données numériques), tandis que son écusson blanc rappelle que sa mortalité elle-même était, en 1840-1849, une des moindres (voy. carte III). Conclusion inverse pour l’Aube (n° 8) : puisqu’elle a un fond blanc, c’est que sa mortalité a diminué (dans le rapport de 100 : 90), tandis que son écusson noir rappelle que sa mortalité enfantine est une des plus considérables (voy. carte III).
73Cela posé, on remarquera qu’en général les départements à écusson clair ont leur fond noir ou presque noir, ce qui veut dire que ce sont les départements à faible mortalité qui ont vu croître le plus leur chance de mort ; et, inversement, beaucoup d’écussons foncés sont sur champ clair ; de là les contrastes désagréables offerts par cette carte.
74Il est cependant des départements malheureux comme l’Ardèche (n° 81), Eure-et-Loir (n° 72), les Hautes-Alpes (n° 71), l’Yonne (n° 77), Haut-Rhin (n° 64), l’Oise (n° 62), dont le fond et l’écusson sont également foncés, c’est-à-dire qu’étant déjà, dès la première période, parmi ceux qui payaient le plus leur tribut mortuaire, ils sont encore parmi ceux qui, d’une période à l’autre, ont subi la plus forte aggravation de leur mortalité enfantine. L’accroissement de l’industrie des nourrices mercenaires explique sans doute ce mouvement pour l’Eure-et-Loir, l’Yonne et l’Oise ; l’accroissement de la grande industrie a eu sans doute le même résultat pour le Haut-Rhin. Quoi qu’il en soit, on voit que, pour cette première année de la vie, l’accroissement est le fait général et qu’il est dans le rapport de 100 : 112.
Carte VIII. [Mortalité de 1 à 5 ans]

75Nota. Dans cette VIIIe carte comme dans la précédente, l’écusson présente une teinte de rappel, remémorant la mortalité absolue pendant la période 1840-1849, mais pour la 1re à la 5e année de la vie, telle qu’elle a été établie carte V, tandis que la teinte de fond indique le mouvement de cette mortalité de la première période (1840-1849) à la seconde (1857-1866). On interprétera donc, comme dans les exemples suivants, les doubles teintes de chaque département : si l’écusson de la Creuse (n° 84) est blanc, c’est que, dans la période 1840-1849, sa mortalité de 1 à 5 ans était une des moindres, mais son fond est noir parce que, de cette période à la suivante, elle est parmi ceux qui ont vu augmenter le plus leur mortalité qui, de 22,5, s’est élevée à 27 (soit de 100 à 120) ; de même si le département des Pyrénées orientales (n° 85) a écusson noir sur fond noir, c’est que, ayant déjà une mortalité fort élevée en 1840-1849, il est encore parmi ceux qui ont vu croître le plus cette mortalité, à tel point que le même nombre de vivants qui pendant la première période fournissait annuellement 100 décès en donne 134 dans la dernière. Inversement, le Nord (n° 9) a un écusson noir sur fond blanc parce que sa mortalité, une des plus considérables, est aussi une de celles qui se sont le plus atténuées, et dans le rapport 100 : 81,9.
76En général, on voit que c’est au Nord-Est que la mortalité de 1 à 5 ans s’est atténuée avec le plus d’ensemble, tandis qu’au Nord-Ouest elle s’est généralement accrue.
77À ne considérer la France que dans son ensemble, on constate qu’à cet âge la mortalité n’a éprouvé que de faibles oscillations : de 35,8 décès pour 1 000 enfants pendant la période 1840-1849 (carte V), elle s’est un peu élevée (36,4) dans la décade suivante 1850-1859, pour redescendre à 34,65 dans notre dernière période étudiée (1857-1866). On pourrait donc considérer la mortalité de cet âge comme à peu près stationnaire ou même décroissante (100 : 96,7) ; mais ce qui doit apporter quelque réserve à ce pronostic favorable, c’est que c’est seulement un résultat d’ensemble, et que si on poursuit la comparaison par département, on en trouve, comme Lot-et-Garonne, Haute-Saône, Nord, qui ont vu leur mortalité diminuer du tiers ou du cinquième, etc., et en général, tous les départements à fond blanc ou blanchâtre (pointillé), ont suivi ce mouvement de mortalité décroissante, tandis que ceux à fond noirâtre ont vu croître la leur, et quelques-uns, comme ceux du Limousin, et surtout les Pyrénées-Orientales, dans la proportion du cinquième et même du tiers. Ainsi l’apparente fixité de la mortalité de cette seconde enfance n’est pas un résultat physiologique mais le fait, moins satisfaisant, d’une moyenne arithmétique.
Intensité relative de la mortalité36 des garçons de 0 à 1 an par rapport à la mortalité des filles prise pour 100.
En chaque département, les écussons rappellent la mortalité absolue des deux sexes de 0 à 1 an.
Carte IX. [1840-1849]

Carte X. [1857-186637]

78Nota. Les cartes IX et X sont destinées à faire apprécier la mortalité* relative des deux sexes pendant la première année de la vie en chaque département : la carte IX pour la période 1840-1849 et la carte X pour la période 1857-1866. La teinte du fond indique si la mortalité des garçons dépasse peu (fond clair) ou beaucoup (foncé) celle des filles, tandis que la teinte de l’écusson rappelle le rang qu’occupe le département dans la mortalité des deux sexes pris ensemble, telle qu’elle a été calculée dans les cartes I et II. Par exemple, si dans l’une et l’autre carte, l’Indre a un fond blanc, c’est qu’à l’une et l’autre époque, elle est l’un des départements dont la différence entre la mortalité de 0 à 1 an des garçons et celle des filles est la moindre ; on voit en effet, dans les expressions numériques, que pour 100 décès féminins, il y en a environ 108 (en 1857-1866) masculins, au lieu de 115 à 117, qui sont les valeurs moyennes. D’ailleurs l’écusson clair ou blanc montre que si la mortalité des deux sexes, toujours assez faible, s’est accrue, cet accroissement n’a guère altéré le privilège dont jouissent les petits garçons d’avoir une mortalité qui dépasse de peu celle des filles. De même si dans l’une et l’autre carte, la Haute-Loire a un fond noir, c’est que, aux deux époques, ce département a offert une intensité des plus marquées de la mortalité des garçons par rapport à celle des filles (125 à 126 décès de petits garçons contre 100 décès de petites filles) ; la teinte assez foncée de l’écusson, et plus foncée dans la seconde période, montre que la mortalité des deux sexes, déjà assez notable, s’est accrue.
79En général, en France, à chaque époque, la mortalité* des filles étant 100, celle des garçons s’est élevée à 115 en 1840-1849, et à près de 117 (116,8) en 1857-1866 ; ainsi la mortalité relative des garçons s’est accrue (leur mortalité absolue s’est accrue également puisque la dîme mortuaire (voy. la note de la carte I), 171 décès pour 1 000 naissances vivantes, s’est élevée à 192), ce qui veut dire que, dans l’accroissement général de la mortalité, constatée carte III à carte VIII, la mortalité des garçons a plus augmenté que celle des filles, et il importe de noter que ce résultat n’est pas seulement un fait d’ensemble, mais qu’il se retrouve en chaque groupe de teintes. Ainsi on voit, d’après la moyenne du premier groupe (départements à fond blanc), qu’en 1840-1849 il mourait 105,8 garçons contre 100 filles, mais en 1857-1866, il en mourait 108,25 ; dans le second groupe, il y avait, toujours pour 100 décès filles, 110,5 décès de garçons en 1840-1849, et 113 en 1857-1866 ; ainsi de suite, l’intensité relative de la mortalité des petits garçons étant toujours plus marquée, en chaque groupe, à la seconde époque qu’à la première de sorte que l’on peut affirmer que c’est surtout par l’accroissement de la mortalité des garçons que s’est accrue la mortalité générale. Cependant ces différences entre la mortalité de chaque sexe n’offrent pas une distribution géographique bien frappante ni à l’une ni à l’autre période et encore moins une distribution constante. Il y a pourtant des départements où, aux deux époques, l’intensité relative de la mortalité des petits garçons a été toujours très notable tels : Haute-Loire, Meurthe, Ariège, Jura, Hérault, Isère, Hautes-Alpes, Var, Côtes-du-Nord, etc. Tandis qu’il en est d’autres où la différence de la mortalité des deux sexes a toujours été à son minimum : Indre, Corrèze, Nièvre, Lot, Landes, Corse, Seine-Inférieure, Aveyron, Marne, Cher. Il y a des départements où la différence de mortalité des deux sexes a diminué : Corse (où elle a changé de signe), Charente, Rhône, Seine-et-Oise, Bas-Rhin, Loire, Gard, Saône-et-Loire, Haute-Marne, Seine-et-Marne, Tarn, Haute-Savoie, etc. ; d’autres, et en plus grand nombre, où elle s’est accrue : Basses-Alpes, Creuse, Vendée (où elle a changé de signe), Tarn-et-Garonne, Gironde, Allier, Aube, Dordogne, Vienne, Doubs, Loiret, Charente-Inférieure, Morbihan, Vosges, Gers, Drôme, etc. Enfin il en est quelques-uns où la différence de la mortalité des deux sexes est restée à l’une et l’autre époque dans la proportion moyenne : l’Orne, l’Eure-et-Loir, Calvados, etc.
80Quant aux causes de tous ces faits : pourquoi les petits garçons sont-ils constamment si frappés dans la Haute-Loire ? pourquoi toujours si épargnés dans l’Indre ? etc., il nous est impossible de les présumer, c’est à la statistique des causes de décès, quand elle sera établie en France comme elle l’est déjà depuis quarante ans en Angleterre et vingt ans en Belgique qu’il appartiendra seulement de résoudre des pourquoi si importants.
Intensité relative de la mortalité des garçons de 1 à 5 ans par rapport à la mortalité des filles prise pour 100
En chaque département, les écussons rappelant la mortalité absolue des deux sexes de 1 à 5 ans.
Carte XI. [1840-1849]

Carte XII. [1857-1866]

81Nota. De même que les deux cartes précédentes (IX et X) sont destinées à faire apprécier la mortalité relative des deux sexes à l’âge de 0 à 1 an, les deux cartes ci-dessus (XI et XII) sont destinées à montrer la même mortalité relative pour l’âge suivant, de 1 à 5 ans. Comme précédemment, la mortalité relative des garçons (c’est-à-dire l’excès de la mortalité des petits garçons sur celle des petites filles) croît comme l’intensité des teintes du fond, tandis que les teintes des écussons (rappel de celles des cartes V et VI) sont en rapport avec la mortalité absolue des deux sexes pris ensemble, au même âge (1 à 5 ans), et pendant la même période (1840-1849 pour la carte XI, et 1857-1866 pour la carte XII). – Cela convenu, on traduira donc comme il suit les teintes de chaque département : si, dans l’une et l’autre carte, l’Aube (n° 85 en 1840-1849 et n° 87 en 1857-1866)38 a un fond noir, c’est qu’à l’une et l’autre époque, la mortalité des garçons de 1 à 5 ans a dépassé au plus haut point la mortalité des filles (dans le rapport de 100 à 112 en 1840-1849, et de 100 : 120 en 1857-1866), et si son écusson est très clair, ou même blanc en 1857-1866, c’est qu’à cet âge la mortalité générale des deux sexes pris ensemble était une des moindres (voy. carte V).
82Tout en constatant les variations assez considérables d’une époque à l’autre, on remarquera pourtant que, pour un certain nombre de départements, le rang que leur assigne cette mortalité relative est resté à peu près le même (dans ces cas nous avons souligné les nombres indicateurs de ce rang) ; ainsi, à l’une et l’autre époque, l’Hérault, l’Indre, le Haut-Rhin, le Doubs et l’Aube sont au premier rang pour la faible mortalité relative de leurs petits garçons (ou, ce qui revient au même, pour la forte mortalité relative de leurs petites filles) ; de même, à l’une et l’autre époque : l’Orne, les Bouches-du-Rhône, le Var, l’Eure-et-Loir, la Sarthe, le Cantal ; mais surtout la Haute-Loire et l’Aube se font remarquer par la forte mortalité relative des garçons. Cependant, dans la liste des départements, nous avons fait précéder chacun d’eux du rang que lui assigne aux deux périodes la mortalité relative des petits garçons de 1 à 5 ans dans la carte XI, et dans la suivante nous y avons joint leur rang pour l’âge de 0 à 1 an donné dans les cartes IX et X. Il est facile dès lors de constater sur cette dernière liste s’il y a des départements où la mortalité des enfants de 0 à 1 an et de 1 à 5 ans demeure dans un rapport constamment exceptionnel. Or il n’y a vraiment que deux départements qui offrent ce phénomène : 1° l’Indre toujours aux premiers rangs pour la faible mortalité relative de ses garçons, et, à l’autre bout de l’échelle, la Haute-Loire toujours remarquable pour la forte mortalité de ces mêmes garçons. Une constance si remarquable exige des causes constantes que des enquêtes locales peuvent seules déterminer.
83J’attirerai encore l’attention du lecteur sur un phénomène qui tire l’œil et se trouve dans les deux cartes précédentes comme dans celles-ci : c’est le contraste si fréquent entre la teinte du fond et celle de l’écusson. Sans doute il y a des départements où le fond et l’écusson ont des teintes peu éloignées, ainsi ils sont tous les deux noirs ou foncés dans le Var, les Bouches-du-Rhône, etc. ; blancs ou très clairs dans le Doubs, etc., mais en général l’écusson clair est sur fond noir, ce qui indique qu’il y a une certaine opposition entre les mouvements de la mortalité générale et ceux de la mortalité relative des garçons ; autrement dit, quand la mortalité générale est faible (écusson clair), les filles paraissent bénéficier davantage de cette atténuation que les garçons dont la mortalité reste relativement élevée (fond noir) ; mais comme compensation, quand la mortalité générale est intense (écusson foncé), la mortalité des garçons ne s’accroît pas d’autant, elle reste relativement moindre (fond clair), en un mot, et sauf exceptions assez nombreuses, la mortalité des filles paraît plus flottante, plus facilement accrue ou diminuée que celle des garçons.
84Enfin on voit que la grande différence qu’il y avait dans la première année de la vie entre la mortalité des filles (100) et celle des garçons (116), a presque complètement disparu de 1 à 5 ans, puisqu’à l’une et l’autre époque, la mortalité des filles étant 100, celle des garçons est de 101, mais on remarquera qu’en 1857-1866 il y a des départements (Allier, Aube) où elle s’élève à 119 ou 120, différence énorme et qu’on ne rencontre pas à la première époque.
Mortalité des enfants des deux sexes
1° de 5 à 10 ans et 2° de 10 à 15 ans.
Carte XIII. [Ordre croissant de mortalité, de 5 à 10 ans]

Carte XIV. [Ordre croissant de mortalité, de 10 à 15 ans]

85Nota. La carte XIII donne la mortalité des enfants de 5 à 10 ans, et la carte XIV, de 10 à 15 ans. Cependant on a vu que, pour les âges précédents, nous avons préféré déterminer la mortalité par la comparaison des décès à une population calculée sur le chiffre des naissances (voy. cartes I et II), mais, pour des raisons diverses qu’il serait trop long de déduire ici, les dénombrements qui pêchent surtout par des omissions d’enfants, se rapprochent plus de la vérité à mesure qu’on s’éloigne plus de l’enfance, tandis que la population calculée, qui mérite toute confiance dans les premiers âges, devient de plus en plus erronée à mesure que l’on considère des âges plus élevés. D’après nos recherches aux âges de 5 à 10 ans, on peut avec autant d’approximation de la vérité s’appuyer sur l’une ou l’autre population. Ainsi, pour la France entière, et pour la période 1857-1866 calculée sur le chiffre des naissances d’après la formule (voy. cartes I et II pour la valeur des lettres), , donne une population de 3 480 000, tandis que la moyenne des trois dénombrements 1856, 1861, 1866 dénonce seulement 3 300 000. Il paraît donc certain qu’il y a eu des omissions assez nombreuses commises par les dénombrements, et qui, à en croire la population théorique, pourraient s’élever à 5 ou 6 % de cette population ; mais, d’un autre côté, il n’est pas impossible que cette population calculée (supposant depuis dix ans, ou l’immutabilité, ou au moins une régularité parfaite dans les mouvements de la natalité et de la mortalité) ne soit de son côté un peu trop forte. Cependant cette incertitude dans le nombre possible des vivants n’entraîne pas une différence bien notable dans l’appréciation de la mortalité, puisque cette population, comparée aux 29 356 décès annuels qu’elle fournit, donne une mortalité de 8,44 décès annuels par 1 000 vivants d’après la population calculée ; et 8,87 décès par 1 000 vivants d’après la population recensée. Nous avons supposé que la vérité se trouvait quelque part entre ces deux valeurs ; et quoique nous la pensions plus près de la population calculée, nous avons cru devoir adopter pour nos expressions numériques et pour la construction de la carte XIII, la moyenne arithmétique entre ces deux valeurs : soit 8,65 décès par 1 000 vivants. Quant à la carte XIV, nous estimons qu’elle s’éloigne déjà trop de l’enfance pour que la théorie puisse y poursuivre le calcul des vivants, aussi avons-nous simplement adopté la population moyenne des trois census susdits. Un coup d’œil jeté sur ces deux cartes montre une grande ressemblance dans la distribution dans la mortalité à chacun de ces deux âges, et on aurait certainement n’en faire qu’une seule carte s’il n’eut été bon de donner la preuve, de montrer la ressemblance de cette distribution. La double colonne 39qui accompagne la liste des départements de la carte XIV permettra de comparer avec précision le rang respectif de chaque département dans l’une et l’autre carte, tandis que la comparaison des deux cartes en regard permettra d’apprécier immédiatement que, dans cette période d’âge, les trois départements manufacturiers de l’extrême Nord et de la Seine-Inférieure, offrent une mortalité notable ; la Bretagne, le centre de la France (l’Indre-et-Loire exceptée), le versant des Alpes, les départements riverains de la Méditerranée et la Corse, offrent partout le maximum de la mortalité, tandis qu’en général les départements du Nord-Est et deux du Sud-Ouest sont particulièrement épargnés ; mais c’est à une statistique des causes de décès, qu’il faudrait demander les raisons de ces différences, qui ne laissent pas d’être considérables puisque, de 5 à 10 ans, elles sont environ dans le rapport de 6 à 12, et encore de 4 à 7 à l’âge suivant.
Intensité relative de la mortalité des garçons par rapport à la mortalité des filles prise pour 100
Les écussons rappelant la mortalité absolue des deux sexes.
Carte XV. [5 à 10 ans]

Carte XVI. [10 à 15 ans]

86Nota des cartes XV et XVI. Comme dans les cartes précédentes à écussons, les teintes du fond indiquent l’intensité relative de la mortalité des garçons (de 5 à 10 ans, carte XV ; de 10 à 15 ans, carte XVI) par rapport à la mortalité des filles représentée par 100. Comme à cet âge la mortalité des filles dépasse généralement celle des garçons40, il en résulte que dans les départements à fond clair comme l’Ardèche (n° 2), la Moselle (n° 1 et n° 9), la Drôme (n° 3 et 8), les Basses-Alpes (n° 5), la mortalité des filles dépassera beaucoup celle des garçons : ainsi dans l’Ardèche la mortalité absolue des filles de 5 à 10 ans s’élève à près de 11 (10,97), tandis que celle des garçons est seulement de 9,15 ; soit comme 100 : 83,4 ; de même de 10 à 15 ans, la mortalité absolue des filles est de 7,5 et celle des garçons de 5, soit dans le rapport de 100 : 66,6. Ainsi dans tous ces départements à fond blanc, la mortalité des filles surpasse de beaucoup celle des garçons, c’est le contraire dans les départements à fond noir, au moins pour l’âge de 5 à 10 ans. Ainsi dans les Côtes-du-Nord, la mortalité des filles de cet âge est de 9,78, mais celle des garçons s’élève à 10,21 décès annuels par 1 000 enfants de chaque sexe, soit dans le rapport de 100 : 104,3. Mais à l’âge suivant (10 à 15 ans) étudié dans la carte XVI, la mortalité des garçons ne dépasse celle des filles en aucun département. Ainsi dans l’Isère, qui présente la mortalité relative des garçons la plus élevée, il y a égalité entre la mortalité des deux sexes ; dans la Dordogne qui l’avoisine immédiatement, la mortalité absolue des filles (6,06) surpasse déjà un peu celle des garçons (6,03), et dans les Côtes-du-Nord, le seul département à fond noir dans l’une et l’autre carte, la mortalité des filles est de 6,66, et celle des garçons de 6,62 ; soit dans le rapport de 100 : 99,45.
87L’écusson, par sa teinte, rappelle, comme dans les cartes précédentes, le rang du département selon la mortalité absolue des deux sexes. Dans la carte XV, pour l’âge de 5 à 10, aucune loi ne paraît ressortir de ce rapprochement. Tantôt les départements à faible mortalité générale (écussons blancs) ont aussi un fond clair, c’est-à-dire une mortalité relative des filles plus accusée : tels la Haute-Marne (n° 9), la Meuse (n° 12), les Ardennes (n° 14) ; d’autres écussons blancs sur un fond noir : tels l’Aube (n° 85), l’Indre-et-Loire (n° 75), tandis que d’autres ont à la fois le fond et l’écusson noir : tels l’Hérault (n° 81), la Corse, les Côtes-du-Nord, la Loire, etc., c’est-à-dire ont une forte mortalité générale plus particulièrement marquée sur les garçons. Cependant on ne trouve pas aussi marqué le rapport inversé, forte mortalité générale (écusson noir) pesant surtout sur les filles (fond blanc) : l’Ardèche (n° 2), puis après la Dordogne (n° 8), se rapprochent seules de cet état.
88Pourtant, à l’âge suivant (10 à 15 ans, carte XVI), il semble qu’il soit plus facile de formuler quelques généralités : à cet âge où la mortalité générale est à son minimum pour les deux sexes pris ensemble ou isolément, mais où la mortalité relative des filles l’emporte partout sur celle des garçons, il semble qu’en général les départements du Nord et du Nord-Est (Meuse, Ardennes, etc.), comme ceux du Sud-Ouest (Ariège, Pyrénées Hautes et Basses), à faible mortalité générale (écussons clairs), sont aussi ceux où la mortalité des filles est la plus accusée (fond blanc), et inversement, beaucoup des départements à forte mortalité générale (écussons foncés) : Isère, Hérault, Corse, Côtes-du-Nord et autres départements bretons ont une mortalité relativement moindre des filles (fond noir). Mais ces généralités offrent beaucoup d’exceptions (l’Aisne, l’Eure, la Mayenne, etc.).
Carte XVII. Mortalité des jeunes gens des deux sexes de 15 à 20 ans. Période 1857-1866

89Nota. Cette carte XVII est destinée à montrer la distribution de la mortalité de nos jeunes gens sans distinction de sexes, de 15 à 20 ans, mortalité obtenue par la comparaison des décès de l’année moyenne (pendant la période décennale 1857-1866) avec la population du même âge (moyenne des trois dénombrements 1857, 1861, 1866.)
90On y voit, d’une part, les départements à faible mortalité se grouper en trois ou quatre centres dont deux bien accusés : l’un au Sud-Ouest et l’autre au Nord et Nord-Est ; on peut même constater que dans toute cette région de la France septentrionale, il n’y a que trois départements dont les teintes foncées dénoncent une forte mortalité : Seine-et-Oise avec un noyau noir, la Seine dont la grande ville semble projeter son ombre aux environs, puis la Seine-Inférieure avec de nombreuses et redoutables filatures.
91D’autre part, les départements à forte mortalité se rassemblent en une zone qui, partant de l’extrême Ouest (Bretagne), se dirige obliquement au Sud-Est pour aller aboutir aux rives méditerranéennes et surtout aux frontières italiennes et y présenter le maximum de mortalité. Dans cette zone, le bassin du Rhône est particulièrement frappé. On remarquera encore la teinte noire des deux départements qui forment l’ancien Limousin (n° 82 et n° 83) et la nuance encore très sombre des départements qui entourent ce noyau. Mais pourquoi le Lot devient-il tout à coup si différent de la Corrèze qu’il confine ? pourquoi le département limousin perd-il chaque année 9 à 10 jeunes gens par 1 000, tandis que le Lot n’en perd que 5 ? La population du Limousin est cruellement décimée par un tel excès de mortalité ; en effet, en nombre absolu, le seul département de la Corrèze perd annuellement 271 jeunes gens de 15 à 20 ans au lieu de 162 qu’il perdrait s’il était soumis au même tribut mortuaire que son voisin le Lot, c’est un supplément annuel de 109 décès à un âge si précieux, 109 jeunes gens qui, chaque année, semblent indûment ravis par la mort ! Comment la société reste-t-elle si peu soucieuse des causes de telles hécatombes annuelles ? Des enquêtes spéciales et surtout celles des causes de décès ne tarderaient pas à mettre en lumière les causes et peut-être les moyens préventifs d’un si cruel tribut annuel.
Carte XVIII. Intensité relative de la mortalité des garçons de 15 à 20 ans, la mortalité féminine étant prise pour 100. Les écussons rappelant la mortalité absolue des deux sexes de 15 à 20 ans

92Nota. La carte XVIII est destinée à montrer la mortalité relative de chaque sexe l’un par rapport à l’autre à l’âge de 15 à 20 ans, et les écussons à rappeler la mortalité absolue des deux sexes pris ensemble. À cet âge la mortalité de la femme est très généralement plus élevée que celle du jeune homme, ce qui tient vraisemblablement au danger qui accompagne la maternité et surtout les premiers accouchements. Il n’y a en France, que treize départements où la mortalité des jeunes hommes de 15 à 20 ans dépasse celle des femmes du même âge, ils sont en noir sur la carte. Dans tous les autres la mortalité des hommes est très notablement inférieure, de sorte qu’en France, la mortalité des femmes (7,75 décès annuels par 1 000) étant prise pour 100, celle des hommes (6,94) n’est que de 89,6, ou inversement la mortalité masculine étant prise pour 100, celle des femmes est de 111,6. Nos départements à fond blanc sont ceux où la mortalité des deux sexes présente le maximum de différence au profit des jeunes hommes ; ainsi c’est dans la partie inférieure du bassin du Rhône où se trouve un groupe remarquable de départements à fond blanc dont la mortalité relative des jeunes femmes est la plus accentuée ; il me semble en conséquence que l’on peut soupçonner la parturition d’être particulièrement dangereuse dans ces départements. À ce sujet j’observerai de quel grand intérêt serait la détermination de la mortalité, en chaque département, des jeunes épouses de 15 à 20 ans, à 25 [ans], à 30 ans, mortalité qui révélerait certainement les dangers relatifs de l’accouchement en chacun d’eux, cette étude, quoique laborieuse, serait facile si le ministère, qui possède ces documents, publiait simultanément, et par département, les décès par âge et par état civil, mais jusqu’à présent notre statistique officielle a fait l’économie de cette publication, et cette économie rend impossible une telle investigation.
93Quant aux rapports entre les écussons et le fond, ou rapports entre la mortalité absolue (rappelée par les écussons) et la mortalité relative (figurée par les teintes du fond), il y a peu de généralité à signaler. J’attirerai seulement l’attention sur quelques départements à fond et à disque également noirs, c’est-à-dire où la mortalité générale étant très forte pèse encore plus (malgré les dangers de la maternité) sur les jeunes hommes que sur les jeunes femmes (Corrèze, Hérault, Var, Corse, etc.). À ce point de vue, la Corse doit être signalée par l’extrême mortalité absolue et relative de ses jeunes hommes qui dépasse de beaucoup tout ce qui se rencontre en France.
Mortalité des jeunes hommes âgés de 15 à 20 ans. Période 1857-1866
Carte XIX. Mortalité des hommes d’après les données des census

Carte XX. Mortalité des hommes d’après les données des conscrits

94Nota. Les deux cartes XIX et XX donnent l’une et l’autre la mortalité du sexe masculin de 15 à 20 ans ; mais, puisant à des sources différentes, elles sont destinées à se contrôler et à montrer le degré de précision que nous pouvons espérer. En effet cette mortalité est obtenue (ici comme en toutes nos cartes) par la comparaison des décès à la population du même âge qui les a fournis dans l’année moyenne. Cependant cette méthode d’apprécier la mortalité, bien qu’elle soit la seule conforme aux lois du calcul, comporte une objection importante, c’est que si l’une des données, le nombre des décès de chaque groupe d’âge, extraite des registres de l’état civil, doit être regardée comme suffisamment précise, l’autre, les nombres de vivants de chaque groupe d’âge correspondant fournis par les dénombrements, peut être plus légitimement suspecté car la plupart de nos préfets exécutent les census, en chaque département, avec une négligence grande, mais inégale. Il était donc nécessaire d’apprécier quelle est l’erreur résultant de cette incorrection. La population masculine de 15 à 20 ans nous a paru propre à cette recherche, car deux sources indépendantes nous renseignent sur le nombre de ces jeunes hommes : la première est directe, ce sont les dénombrements quinquennaux et, pour la période de 10 ans (1857-1866) que nous étudions, les trois census 1856, 1861, 1866 nous fournissent une valeur moyenne à peu près affranchie des perturbations ou erreurs accidentelles. La seconde source, pour cet âge, ce sont les nombres annuels des conscrits. Nous dirons plus expressément, dans nos études sur la population (IIe série, Démographie statique), comment du nombre des conscrits de 20 ans (P20), en connaissant [le nombre] des décès mâles de 15 à 20 ans (D15··20), on peut avec une suffisante approximation calculer la population mâle de 15 à 20 ans avec la formule (2P20 + D15…20) × 2,5. C’est ainsi que, dans la période 1857-1866, le nombre moyen des conscrits ayant été de 314 800 ; celui des décès masculins de 15 à 20 ans de 11 088, on en déduit que la population mâle de 15 à 20 ans a été de 1 601 720 ; d’autre part, la moyenne des trois census donne 1 597 517. Ces deux valeurs ne diffèrent que de 2 à 3 millièmes, ce qui est insignifiant en ces matières ; en effet la mortalité moyenne d’après les conscrits est de 6,92 décès annuels par 1 000 vivants de 15 à 20 ans, et de 6,94 selon les données des census. Pour la France entière voilà donc des valeurs qui se confirment excellemment, mais ce contrôle ne donne pas un résultat aussi satisfaisant pour chaque département, il est en effet des causes spéciales qui aggravent chez les uns ou les autres, les erreurs dont est passible l’une ou l’autre donnée : il y a des départements où les dénombrements sont particulièrement mal faits, je les signalerai en leur lieu ; il en est d’autres où les migrations rendent fautifs les résultats obtenus sur les conscrits. C’est ainsi que les départements frontières et ceux de haute industrie (Nord, Ardennes, Moselle, Seine, Rhône, Bouches-du-Rhône, Gironde, etc.) appellent beaucoup de jeunes hommes qui, comme conscrits, restent en général sur les listes des départements où ils sont nés (ou qui ne comptent pas du tout quand ils sont étrangers ou fils d’étrangers), tandis qu’ils sont dénombrés là où ils sont le jour du recensement ; de là des départements, comme ceux cités plus haut, où la population calculée est trop faible, et par suite la mortalité qui la prend pour base trop forte, tandis que, par des raisons inverses, les départements pauvres qui sont le siège d’une émigration notable des jeunes hommes de 15 à 20 ans (Landes, Auvergne, Savoie, Limousin, Pays basque, etc.) donnent un résultat inverse, une population calculée trop forte (parce qu’on compte comme présents des conscrits émigrés) et par suite une mortalité trop faible ; mais quand ces migrations n’existent pas, les écarts qui se rencontrent entre la population calculée et celle dénombrée accusent la mauvaise qualité des recensements confiés sans contrôle aux administrations préfectorales, c’est le cas, je crois, de l’Ille-et-Vilaine, et de beaucoup d’autres. (Voy. la IIe série [jamais parue].) Cependant, malgré ces imperfections dévoilées par ces investigations, les deux cartes en présence sont assez similaires (les départements sièges des mouvements migrations notables mis à part) pour montrer que les défauts des dénombrements par âge ne sont pas de nature à masquer les influences un peu marquées qui allègent ou qui aggravent la mortalité ; ils s’opposent aux recherches délicates qui deviendront nécessaires dans l’avenir, mais non aux causes puissantes et constantes, les seules que nous ayons la prétention de mettre en lumière dans ce travail. Faire ressentir ce point important, et établir ainsi la solidité de nos conclusions générales, tel a été l’objet de ces deux cartes.
95Comme dans les cartes précédentes, nous avons souligné (carte XX) les numéros d’ordre qui dans l’un et l’autre cas sont presque identiques. Quant à ceux qui s’éloignent notablement, la raison de leur écart est dans l’une des deux circonstances signalées : ou mouvement migratoire notable avant vingt ans, ou mauvais dénombrement ; c’est sur quoi nos lecteurs de province seront mieux à même d’être instruits, et nous ajoutons que nous serions heureux qu’ils voulussent bien nous communiquer leurs appréciations.
96Dans la succession des départements, nous avons rapproché et mis entre parenthèses, pour chaque département, les valeurs correspondantes de la carte XIX déterminées d’après les données des recensements, et souligné les valeurs identiques, ou presque identiques 41.
Carte XXI. Mortalité des deux sexes de 20 à 30 ans. Période 1857-1866

97Nota. La XXIe carte est destinée à montrer la distribution de la mortalité des deux sexes pris ensemble de 20 à 30 ans. On voit qu’à cet âge, et pendant la période décennale 1857-1866, la mortalité moyenne en France a été de 9,31 décès annuels par 1 000 vivants ; que dans les départements les mieux partagés : l’Aube, l’Eure-et-Loir, l’Yonne, la Marne et l’Orne (en blanc dans notre carte), la mortalité est à peine de 7 à 8 décès annuels, tandis qu’elle s’élève à 12, à 13, et même monte jusqu’à 16,76 dans le Var. En présence du taux mortuaire si considérable dans le Var, nous nous sommes demandé si ce chiffre ne tiendrait pas à quelque erreur soit de nos calculs soit des documents ? Nos calculs ont été soigneusement repassés, mais la vérification des documents officiels est plus difficile, surtout (comme il arrive ici) lorsqu’une forte immigration d’étrangers ne permet pas de contrôler les dénombrements (ils paraissent laisser beaucoup à désirer dans le Var) par les relevés de l’état civil, par ceux de la conscription et par ceux des électeurs inscrits. Malgré ces motifs de circonspection, comme dans ce département une mortalité toujours très forte (bien que très variable) s’est rencontrée chaque année de la période 1857-1866 ; comme pour l’âge qui précède (15 à 20 ans, voir les cartes XVII, XIX et XX) et pour l’âge qui suit (30 à 40 ans, v. carte XXIII) la mortalité est partout des plus élevées, nous croyons que l’on peut regarder comme certain le tribut mortuaire très élevé du Var.
98D’ailleurs on peut voir que la similitude entre les cartes citées n’est pas restreinte à ce département, elle est très générale et très digne d’attention, car elle prouve que des causes constantes président à cette distribution de la mortalité et poursuivent leurs influences, louables ou funestes, aux âges successifs (15 à 40 ans) de vigueur et de production.
99Nous reviendrons avec plus de détail sur ce fait important dans la note de la XXIIIe carte.
Carte XXII. Intensité relative de la mortalité des hommes de 20 à 30 ans, la mortalité de la population féminine étant prise pour 100. Les écussons rappelant la mortalité absolue des deux sexes de 20 à 30 ans.

100Nota. La carte XXII est destinée à montrer, par les teintes du fond, la mortalité relative de chaque sexe à l’âge de 20 à 30 ans (de même que la XVIII pour l’âge de 15 à 20 ans). Comme dans nos cartes précédentes de même ordre, prenant en chaque département la mortalité féminine pour 100, nous avons cherché ce que devient alors la mortalité masculine et nous avons rangé les départements par ordre croissant de cette mortalité relative. Le département des Basses-Alpes est celui où elle est la moins élevée et où l’on compte, pour un même nombre de jeunes gens de chaque sexe, 78 décès masculins contre 100 décès féminins ; ainsi dans ce département et dans les quinze ou seize suivants, la mortalité des jeunes hommes est moindre que celle des jeunes femmes. Mais c’est évidemment là, pour l’âge de 20 à 30 ans, un fait exceptionnel ; la règle (au moins en France), c’est que, à cet âge, la mortalité masculine dépasse notablement la mortalité féminine, et à tel point qu’en France, pour 100 décès féminins, il y a 105 à 106 décès masculins (en supposant une population égale pour chaque sexe) ; il en résulte que dans les quelques départements où la mortalité des jeunes femmes se montre constamment supérieure (ceux à fond blanc ou à pointillé très espacé) on se demande si ce ne serait pas les dangers de la maternité qui seraient plus grands qu’ailleurs. Je signale notamment à ce point de vue le département des Basses-Alpes qui offre à la fois une mortalité absolue (écusson noir) et relative (fond blanc) excessive de nos jeunes femmes (voy. note et carte XVIII). D’un autre côté on remarquera que dans un nombre très considérable de départements, la mortalité de nos jeunes hommes est au contraire très forte, soit absolument soit relativement (écusson à fond et teinte foncées). Sous ce double rapport la Bretagne (après le Var) occupe le premier rang.
101La forte, très forte mortalité de nos jeunes hommes de 20 à 30 ans, soit comparée à celle de nos jeunes femmes (qui ont pourtant le danger si spécial de la maternité), soit comparée à la mortalité des jeunes hommes des autres pays de l’Europe, est un fait d’une haute importance que je signale ici, et sur lequel j’espère avoir l’occasion de revenir dans la comparaison de la France avec les autres pays de l’Europe.
Carte XXIII. Mortalité des deux sexes de 30 à 40 ans. Période 1857-1866

102Nota. La carte XXIII montre la distribution de la mortalité des deux sexes à l’âge de 30 à 40 ans, c’est-à-dire à l’apogée de l’existence. On voit qu’à cet âge, précieux entre tous, la mortalité moyenne en France (pendant la période 1857-1866) a été de 9,28 décès annuels par 1 000 vivants ; cependant il y a eu des départements plus favorisés comme ceux du bassin de la Garonne, comme l’Yonne, l’Aube, l’Eure et surtout l’Eure-et-Loir où cette mortalité oscille entre 6 et 7 décès annuels ; mais il y a des départements malheureux comme ceux de la Bretagne, la Corse, les Bouches-du-Rhône et les deux départements limousins (Haute-Vienne et Corrèze) chez lesquels cette mortalité s’élève à 12 ou 13.
103Cependant un fait aussi imprévu qu’intéressant se dégage de la comparaison des cartes XXI, XXIII et XXV, c’est la constance de la répartition des départements à faible et à forte mortalité de la 20e à la 50e année de la vie : c’est toujours le bassin de la Garonne et une partie de celui de la Seine ayant pour centre la Champagne et le Nord de la Bourgogne, et enfin un autre petit noyau ayant pour centre l’Eure-et-Loir et comprenant l’Eure, l’Orne, la Sarthe, qui offrent la moindre mortalité. Non moins constants sont les foyers de forte mortalité : la Bretagne, le Limousin, le Bassin du Rhône (Vaucluse excepté), la Corse ; et à l’autre extrémité, le bassin du Rhin.
104Il faut donc que des causes constantes président à une distribution si persévérante qui, s’annonçant déjà de 15 à 20 ans, se prononce de 20 à 30, se confirme de 30 à 40, se maintient de 40 à 50 et se poursuit en se modifiant à l’âge suivant. C’est évidemment l’enquête des décès par âge suivant les maladies et suivant les professions qui dénoncera ces constantes. Quelles qu’elles soient, ces causes sont intenses, puisque la mortalité des dix départements les plus favorisés est à celle des plus frappés comme 10 : 17 ou 18. Nous remarquerons en terminant combien la découverte de ces foyers constants (pour l’âge adulte) de faible et de forte mortalité donne d’autorité à notre travail, combien elle démontre que nos résultats ont leurs racines dans les causes profondes (physiques ou sociales) qui pèsent sur nos existences.
Carte XXIV. Intensité relative de la mortalité des hommes de 30 à 40 ans, la mortalité de la population féminine étant prise pour 100. Les écussons rappelant la mortalité absolue des deux sexes de 30 à 40 ans.

105Nota. Comme nos cartes précédentes portant les numéros pairs, la carte XXIV est destinée à faire connaître, par la distribution des teintes du fond, la répartition de la mortalité des hommes en fonction de celle des femmes prise pour 100 en chaque département (les écussons rappellent par leur teinte l’intensité de la mortalité absolue des deux sexes). On voit qu’à l’âge de 30 à 40 ans, et contrairement à ce qu’on a vu à l’âge précédent, la mortalité générale en France est moindre chez les hommes que chez les femmes puisque le même nombre de vivants de chaque sexe, produisant 100 décès féminins, ne donne guère que 89 décès masculins. Les dix départements à fond noir42 sont les seuls chez lesquels la mortalité masculine dépasse la mortalité féminine. On remarquera qu’à peu d’exceptions près, les départements à teinte noire ou foncée, c’est-à-dire à mortalité masculine relativement plus forte, sont nombreux vers le Nord, et réciproquement ceux à fond clair (mortalité féminine relativement plus marquée) se rencontrent surtout vers le centre et le Midi ; c’est d’ailleurs un mouvement qui va se prononçant de plus en plus aux âges suivants.
106J’attirerai encore l’attention sur deux départements (le Var et les Basses-Alpes) bien singuliers, puisque voisins, contigus, ils se conduisent si diversement. Tous deux, il est vrai, présentent au maximum l’écart existant entre la mortalité des deux sexes ; mais tandis que dans les Basses-Alpes c’est au détriment des femmes dont la mortalité est de beaucoup la plus considérable (fond blanc), c’est au contraire dans le Var au détriment des hommes (fond noir). Pourquoi donc, à nombre égal de vivants en chaque sexe, de 20 à 30 ans (XXIIe carte), 200 jeunes hommes succombent-ils dans le Var pour 100 femmes ? Pourquoi au même âge et surtout à l’âge suivant (30 à 40) compte-t-on dans les Basses-Alpes 165 décès féminins contre 100 masculins (carte XXIV) ? Quelles sont donc les influences de milieux qui, dans des départements si voisins, entretiennent d’âge en âge (car un écart de même ordre se retrouve aux âges suivants) des divergences si durables, si profondes et pourtant signalées ici pour la première fois ? Ce sont certes des questions d’un grand intérêt pratique, mais auxquelles pourrait seule répondre une enquête sur les décès relevés simultanément selon les âges, les causes de mort, les professions ; et ce serait un grand profit pour l’hygiène publique et privée.
Carte XXV. Mortalité des deux sexes de 40 à 50 ans. Période 1857-1866

107Nota. La carte XXV montre, par la distribution des teintes, la répartition de la mortalité des deux sexes à l’âge de 40 à 50 ans pendant la période 1857-1866. La mortalité comparée à celle de l’âge précédent (30 à 40 ans) a sensiblement augmenté : en effet, la mortalité de toute la France, qui était de 9,28 décès annuels pour 1 000 vivants de 30 à 40 ans, s’est élevée à 11,88 décès pour l’âge de 40 à 50 ans ; mais cet accroissement n’a pas modifié sensiblement la répartition de la mortalité : d’un côté les mêmes départements, déjà signalés (carte XXIII) du bassin de la Garonne et (à quelques exceptions près) du bassin de la Seine, sont les plus favorisés ; de l’autre ceux de la Bretagne, du Limousin, la Corse, etc., sont, comme aux âges précédents, les plus frappés ; il y a donc là des causes persévérantes et fort intenses puisque la mortalité des dix départements les plus malheureux est justement double (16,73) des dix départements les plus épargnés (8,42). Quelles sont ces causes qu’il importerait si vivement de connaître et pour l’hygiène publique et privée, et pour la prophylaxie ? C’est ce que nous ne saurons pas tant que l’administration se refusera à exécuter l’enquête des causes de décès à laquelle elle a été vainement conviée et par le Comité consultatif d’hygiène publique et par l’Académie de médecine. Mais cette enquête, qui s’exécute depuis plus de trente ans en Angleterre, de vingt ans en Belgique, notre administration française la déclare impossible ! Ainsi nos hommes adultes aux âges précieux de vigueur, de travail et de production paient un tribut mortuaire constamment double ici que là ; ainsi par le fait de ce funèbre tribut, qui dépasse si manifestement le taux mortuaire nécessaire, normal, des milliers de pères de famille sont chaque année ravis comme indûment à leur famille et à la patrie, et de telles hécatombes annuelles ne sont pas suffisantes pour décider l’administration à obtempérer aux vœux de l’Académie de médecine et à ceux de ses propres Conseils quand il est si manifeste que la première condition pour arriver à diminuer ce sanglant tribut serait d’être renseigné sur les causes !
Carte XXVI. Intensité relative de la mortalité des hommes de 40 à 50 ans, la mortalité de la population féminine étant prise pour 100. Les écussons rappelant la mortalité absolue des deux sexes de 40 à 50 ans

108Nota. La XXVIe carte, comme les cartes précédentes à écusson, est destinée à montrer, pour l’âge de 40 à 50 ans, la mortalité des hommes en fonction de celle des femmes prise pour 100 ; ainsi plus le fond est noir plus la mortalité des hommes est considérable, plus il est clair plus la mortalité relative des femmes est marquée ; on voit qu’à cet âge la mortalité relative des hommes est de 106, c’est-à-dire que, à nombre égal de vivants de chaque sexe, quand il succombe 100 femmes, il meurt 106 hommes ; mais la succession des départements de la liste montre qu’il en est (32) où la mortalité des hommes est au contraire moindre que celle des femmes (départements à fond blanc, ou largement pointillé) et où nous retrouvons ici le groupe des départements clairs du Dauphiné, du Languedoc et ceux qu’arrose la Charente, déjà remarquée à l’âge précédent ; il y a donc dans ces milieux des causes constantes qui favorisent moins la vitalité des femmes que celle des hommes ; mais c’est le contraire dans un plus grand nombre, surtout au nord de la Loire (à trois exceptions près), la mortalité masculine y dépasse la mortalité féminine et quelquefois dans des proportions considérables puisque pour 100 décès féminins on compte 137 décès en Seine-et-Oise, 151 dans le Var ! Nul département n’approche du Var : tandis que la mortalité absolue des femmes de 40 à 50 ans (11,1) y est plutôt inférieure à la mortalité générale de ce sexe en France (11,54), celle des hommes y est constamment beaucoup plus considérable (12,25 en France et 16,78 dans le Var) ! Quel méphitisme y poursuit donc le sexe masculin, à cet âge comme aux précédents ? Encore un problème que peut seule résoudre cette enquête des causes de décès que réclament si vainement nos corps savants. Comment expliquer cette indifférence administrative pour la vie humaine ? – Autrefois chacun devait se défendre lui-même contre les hommes de rapine ; c’était une dépense inouïe de force pour aboutir à cet idéal de bête féroce : « La force prime le droit. » La société s’est enfin décidée à constituer un organisme collectif pour protéger ses membres contre les sévices des hommes ; quand voudra-t-elle en organiser un autre contre les sévices morbifiques ? L’homme isolé est aussi faible contre le brigandage que contre les endémies (causes morbifiques de milieux), tandis que les moindres mesures prophylactiques indiquées par la science épargneraient chaque année des milliers d’existences, notre travail le prouve. Mais la science de la prophylaxie repose sur la connaissance complète des causes de décès ; quand l’administration, qui seule en a le pouvoir, nous fournira-t-elle cette base ?
Carte XXVII. Mortalité des deux sexes de 50 à 60 ans. Période 1857-1866

109Nota. La carte XXVII montre, par la distribution des teintes, la répartition de la mortalité des deux sexes à l’âge de 50 à 60 ans pendant la période 1857-1866. La mortalité comparée à l’âge précédent (40 à 50 ans) s’est sensiblement accrue puisque de 11,88 en France elle s’est élevée à 19,65 (100 : 166). Cependant les principaux centres de forte et de faible mortalité signalés aux âges précédents (depuis la 20e année) se retrouvent encore : même mortalité légère en Champagne, en Bourgogne, en Normandie (Eure, Orne, Calvados), en Eure-et-Loir et dans le bassin de la Garonne ; même mortalité élevée dans la Bretagne, dans le Limousin, dans la Corse et sur le versant occidental des Alpes. On remarquera qu’à cet âge, encore plus qu’aux autres, les départements à forte mortalité se répartissent en trois groupes : 1° en Bretagne, 2° au centre de la France, 3° sur notre frontière orientale. Cette disposition paraît liée à l’âge déjà avancé dont nous nous occupons, car on va la voir s’accentuer à l’âge suivant, de 60 à la fin de la vie.
110La différence du taux mortuaire entre les départements à faible mortalité et ceux à forte mortalité reste considérable, puisque, à ne considérer que les départements extrêmes, elle est encore comme 14,5 : 29, soit : 100 : 200 ; ou si, pour ne pas trop restreindre le champ de comparaison et par suite la rendre plus solide, on compare le taux de mortalité des dix départements les plus favorisés pris ensemble à celui des dix les plus frappés, on a le rapport 14,7 : 27,1 soit 100 : 184,5. À cet âge comme au précédent, on voit combien il y a d’économie à faire sur la mort, et quel profit il y aurait si l’hygiène publique et privée et la prophylaxie pouvaient ramener la mortalité nécessaire aux lois de notre organisme dans la mortalité de 25 à 30 décès annuels pour 1 000 vivants de 50 à 60 ans, quand il y a tant de localités où cette mortalité, au même âge, reste au-dessous de 15 ‰.
Carte XXVIII. Intensité relative de la mortalité des hommes de 50 à 60 ans, la mortalité de la population féminine étant prise pour 100. Les écussons rappelant la mortalité absolue des deux sexes de 50 à 60 ans

111Nota. La XXVIIIe carte, comme la plupart de nos cartes à écussons, est destinée à montrer pour l’âge de 50 à 60 ans, c’est-à-dire aux abords de la vieillesse, la mortalité des hommes en fonction de celle des femmes prises pour 100. Notons d’abord qu’à cet âge, comme à l’âge précédent, la mortalité masculine l’emporte sur la féminine dans le rapport considérable de 112 : 100. Cependant, dans la précédente carte, comme dans les précédentes de même ordre, plus le fond est noir plus l’emporte la mortalité masculine, plus il est clair plus l’emporte la mortalité féminine ; tandis que la teinte de l’écusson n’est qu’une teinte de rappel de la mortalité absolue ; ainsi, si l’Eure-et-Loir (n° 88) y a un fond noir, c’est que la mortalité masculine y dépasse de beaucoup la mortalité féminine (dans le rapport de 137 : 100), et l’écusson blanc rappelle que la mortalité des deux sexes pris ensemble est une des moindres ; inversement pour le département des Hautes-Alpes(n° 1) : la mortalité relative des femmes, qui est considérable (dans le rapport de 80,8 : 100), est accusée par le fond blanc, et la mortalité absolue des deux sexes, qui y est très forte, est dénoncée par l’écusson noir. Cela posé, une distribution remarquable se manifeste : à quelques exceptions près, c’est au nord de la Loire que se rencontrent les départements où la mortalité masculine l’emporte ; mais le Var, toujours si funeste aux mâles, et les Bouches-du-Rhône constituent des exceptions très singulières ; on voit au contraire tous les départements à fond blanc ou très clairs situés au midi de la Loire (l’Aube et la Moselle exceptées). Cette répartition est fort remarquable, mais nous n’en avons pas les causes. Cependant comme nous verrons ce mouvement prendre une intensité extrême à l’âge suivant (au-delà de 60 ans), il semble que le froid, toujours fort préjudiciable à la vieillesse (ainsi que nous le montrerons par notre étude selon les âges et les saisons), est surtout préjudiciable aux hommes.
Carte XXIX. Mortalité des deux sexes de 60 ans à la fin de la vie (de 60 à ω). Période 1857-1866

112Nota. La carte XXIX, comme les précédentes de numéros impairs, montre, par la distribution des teintes, la distribution de la mortalité au-delà de la 59e année (60-ω). Le nombre restreint de ces vieillards en chaque département, et le peu de précision dans le relevé de leurs âges, nous a déterminé à ne pas séparer ce groupe, malgré les grandes différences que les âges qu’il confond présentent dans les chances de mort ; c’est seulement quand les relevés officiels des âges des vivants et des décès seront faits avec plus de soin qu’on pourra avec profit essayer une plus fine analyse. Quoi qu’il en soit, la mortalité de la France entière, qui était de 19,65 décès annuels par 1 000 vivants à l’âge précédent (50 à 60 ans), s’est élevée à 70,5 au-delà du début de la 60e année (43 décès de 60 à 70 ; 99 de 70 à 80 ; 226 au-delà du début de la 80e année). Cependant la distribution déjà signalée à l’âge précédent s’est maintenue et accentuée ; on retrouve les trois groupes de forte mortalité : la Bretagne, le centre de la France ayant pour noyau le Limousin, enfin notre frontière de l’est et tout particulièrement le versant des Alpes. Mais, en dehors de ces centres, un département bien partagé jusqu’à cet âge, la Gironde, se fait tout à coup remarquer ici par sa noirceur, c’est-à-dire par sa forte mortalité, et l’on peut voir sur la carte suivante que les femmes contribuent plus que les hommes à cette aggravation. Un fait de même ordre est à signaler pour l’Indre-et-Loire.
113La différence de la mortalité entre les départements les mieux partagés et ceux qui le sont le moins est encore considérable, quoique moins marquée ; ce qui veut dire que les influences variables des milieux triomphent moins facilement qu’aux autres âges des fatalités des organismes usés de la vieillesse. En effet cette différence est au maximum, environ dans le rapport de 56 : 92, soit comme 100 : 164 (et non 100 : 200 comme à l’âge précédent) ou bien, en prenant la moyenne des dix départements extrêmes de part et d’autre, comme 59,6 : 84,3, soit comme 100 : 140 (et non 100 : 184 comme à l’âge précédent).
Carte XXX. Intensité relative de la mortalité des hommes de 60 ans à la fin de la vie, la mortalité de la population féminine étant prise pour 100. Les écussons rappelant la mortalité absolue des deux sexes de 60 à ω.

114Nota. La XXXe carte, comme nos précédentes à écussons, est destinée à montrer, pour 60 ans et au-delà, la mortalité des hommes en fonction de celle des femmes prise pour 100 (voy. la notice de la carte XXVII pour la signification respective des teintes du fond et de l’écusson). Au-delà de la 60e année et pour la France entière, la mortalité des deux sexes s’équilibre presque : celle des femmes l’emporte un peu dans le rapport 1 000 : 1 007 ; mais il n’en est pas ainsi dans chaque département, puisque, sur un même nombre de vieillards de chaque sexe, il meurt annuellement dans les uns (tels que l’Isère, les Hautes-Alpes) environ 81 hommes contre 100 femmes, tandis que dans d’autres (Orne, Aisne), 113 à 114 hommes pour 100 femmes.
115L’inspection de la carte met en évidence une distribution très remarquable, c’est qu’à quelques exceptions près (Loire-Inférieure, Bouches-du-Rhône, Finistère), tous ces départements, où la mortalité masculine dépasse notablement la mortalité féminine, se trouvent groupés dans la région du Nord et surtout du Nord-Ouest de la France.
116Je remarque même que le Var, si fatal au sexe masculin durant sa virilité, lui devient au contraire fort clément durant sa caducité !
Carte XXXI. Mortalité générale, sans distinction de sexe ni d’âge. Période 1857-1866

Carte XXXII. Teinte et rang moyens, selon qu’il est expliqué ci-dessous. Période 1857-186643

117Nota. Les cartes XXXI et XXXII sont des expressions approchées de la mortalité générale. La XXXIe se rapporte à la mortalité générale telle qu’on est en usage de la calculer, en divisant les décès (D) de tout âge par la population (P). Le défaut de cette expression D/P est d’être trop influencée par les nouveau-nés, dont les décès très nombreux (quand les naissances le sont) ont une influence beaucoup trop prédominante sur la mortalité générale. C’est ainsi que le département de l’Yonne, si remarquable par la vitalité supérieure de presque tous ses groupes d’âge (voy. ci-contre le tableau synoptique des rangs de chaque département44), excepté dans la première enfance, n’occupe ici que le 32e rang, et celui de l’Eure-et-Loir le 56e, malgré la vitalité de tous ses groupes d’âge, ceux de l’enfance exceptés. Inversement les départements comme la Creuse, l’Indre, etc., où une mortalité considérable pèse sur les âges adultes (âges précieux entre tous), figurent pourtant par leur teinte et leur rang parmi les départements où la mortalité est des plus faibles. Cette expression D/P de la valeur comparée des départements, au point de vue de leur vitalité, est donc fallacieuse, c’est pourquoi nous insistons sur la nécessité de rechercher la mortalité âge par âge. Nous avons essayé dans la XXXIIe carte une autre manière de résumer, pour chaque département, l’intensité de sa mortalité comparée à chaque âge : c’est de teinter les départements selon le rang moyen qu’ils occupent dans les cartes précédentes (dans celles de ces cartes où sont étudiées les mortalités des deux sexes pendant la période 1857-1866). Ainsi si, dans la XXXIIe carte, le département de la Creuse porte le n° 51 avec la 6e teinte, c’est que 51 est la moyenne des rangs qu’il occupe selon sa mortalité à chacun des groupes d’âges successifs que nous avons étudiés, comme on peut s’en assurer dans le tableau situé sous cette carte, où nous avons fait suivre chaque département des rangs successifs qu’il a occupés par l’intensité de sa mortalité de 0 à 1 an ; de 1 à 5 ans ; de 5 à 10 ; de 10 à 15 ; de 15 à 20 ; de 20 à 30 ; etc. Il en résulte encore que la teinte de chaque département, dans la carte XXXII, est la teinte moyenne qu’il a revêtue dans les cartes précitées. Ici encore, il faut observer que la mortalité ayant été étudiée en dix groupes d’âges successifs parmi lesquels l’enfance en occupe deux (de 0 à 1 an, de 1 à 4 ans), tandis que les importants âges de 20 à 30 ans sont réunis en un seul, il en résulte que la mortalité de 0 à 5 ans entre pour 2/10e dans la teinte moyenne et dans le rang moyen de chaque département, tandis que l’âge de 20 à 30 ans, et chacun des groupes suivants, n’y entre que pour 1/10e, etc. ; c’est là un défaut manifeste de la XXXIIe carte.
B. Étude de la France en général [diagrammes]
Tableau XXXIII, tableau XXXIV. Lois ou tables de la mortalité annuelle propre à chaque année d’âge de 0 à 5 ans et à chaque période quinquennale d’âge de 5 à 95 ans et pour chaque sexe. Période 1857-1866
Les fins pointillés déterminant les colonnettes et les chiffres en parenthèses se rapportant à la période 1840-1859.
Figure 1 [de 0 à 95 ans] et figure 2 [de 2 à 65 ans]

118Nota. Ces deux figures sont destinées à représenter à l’œil, par les hauteurs respectives des colonnettes qui les composent, les chances de mort propres à chaque âge et à chaque sexe, en France, pendant la période 1857-1866. Considérons, par exemple, dans la figure 1 (grande figure du bas), la colonne représentative de la mortalité de 50 à 55 ans ; cette bande ou colonne, comme toutes les autres, est formée de deux colonnettes juxtaposées, celle de gauche, large et sombre, représente par sa hauteur la mortalité du sexe masculin de 50 à 55 ans, elle a 18 millimètres de hauteur45, et, par-là, indique que 1 000 mâles de cet âge fournissent pendant le cours de l’année moyenne 18 décès ; de même la colonnette adjacente, à droite de celle-là, plus étroite et plus claire, est, par sa hauteur, représentative de la mortalité des femmes du même âge ; elle a 16 millimètres de hauteur, et par conséquent montre que 1 000 femmes de 50 à 55 ans fournissent 16 décès pendant l’année moyenne ; ainsi de suite pour tous les autres âges ; de sorte que les nombres inscrits dans chaque colonne indiquent (dans la figure 1) soit sa hauteur en millimètres, soit le nombre de décès que les survivants de chaque groupe fournissent en l’année moyenne. Les hauteurs des colonnettes sont donc rigoureusement proportionnelles à la mortalité de chaque groupe d’âge et de sexe, et l’œil qui parcourt leur succession donne une idée exacte de la mortalité selon l’âge et le sexe.
119Cependant, pour les âges intermédiaires, les différences entre la mortalité de chaque groupe deviennent plus faibles et souvent bien peu appréciables à l’œil, c’est pourquoi, pour ces âges, nous avons quintuplé toutes les hauteurs dans la figure 2. Il en résulte que les différences des niveaux sont aussi quintuplées et partant bien manifestes46. C’est ainsi que la différence entre les colonnettes représentatives de la mortalité de chaque sexe de 10 à 15 ans est à peine appréciable dans la figure 1 où elle n’est que de 1 millimètre ; mais elle devient manifeste dans la figure 2 puisque la différence de leurs niveaux s’y élève à 5 millimètres. Enfin, pour faire profiter ce travail de toute la généralité que lui permettaient de lui donner nos travaux antérieurs, nous avons indiqué par un fin pointillé (et décès entre parenthèses) le nouveau sommet de chacune de nos colonnettes et la hauteur qu’elle devrait avoir pour représenter la mortalité de la période 1840-1859 ; période de 20 ans, mais ayant subi plusieurs graves épidémies de choléra, des temps de guerre et de disette. On voit que, dans la dernière période, 1857-1866, après la 1re année d’âge jusqu’à 50 ans (hom.) et 60 ans (fem.), la mortalité a sensiblement diminué ; de 60 à 75 ans elle est restée la même pour les femmes ; qu’elle s’est accrue pour les autres âges.
120Nota sur les mort-nés (dn). – Les mort-nés déclarés par l’état civil (par les registres des mairies) se composent : premièrement de vrais mort-nés au sens médico-légal, n’ayant pas respiré et morts soit avant, soit pendant l’accouchement ; de faux mort-nés ayant respiré, ayant vécu quelques heures ou même quelques jours (un ou deux), mais morts avant l’inscription de leur naissance sur les registres de l’état civil et dès lors enregistrés comme mort-nés. Or d’après les documents belges qui en font distinction : sur 100 mort-nés ainsi inscrits, il y a environ 76 vrais mort-nés si ce sont des garçons, et près de 78 si ce sont des filles ; de là, la rectification que nous avons fait subir à nos documents.
Tableau XXXV, tableau XXXVI. Détails sur la mortalité de la première année de la vie selon le sexe, l’état civil, l’âge et l’habitat (France, 1856-1865)
Figure 1 et figure 2

Figure 2 et figure 3

121Légende. Dans les figures 1, 2 et 3, la mortalité de l’enfance est représentée et rapprochée par les hauteurs des colonnes accouplées : la mortalité des enfants légitimes par la colonne la plus large et la plus claire de chaque couple, et celle des illégitimes par la colonne la plus étroite et la plus foncée. Ces couples, ainsi composés de deux colonnes inégales, sont eux-mêmes rapprochés deux à deux, et forment, pour chaque âge, un assemblage de deux groupes binaires : 1° le couple de gauche qui représente la mortalité des citadins, son « grisé » est obtenu par rayures, – simples pour les enfants légitimes, – croisées pour les enfants illégitimes, 2° le groupe de droite qui représente la mortalité des ruraux ; son « grisé » est obtenu par pointillés, – espacés pour les enfants légitimes, – serrés pour les illégitimes. Il fallait encore traduire dans nos figures 1° la mortalité propre des garçons et celle des filles de chaque état civil en chaque habitat ; 2° la mortalité générale des garçons et celle des filles en chaque habitat, mais sans distinction d’état civil ; nous y sommes parvenus par diverses lignes horizontales dont les hauteurs sont proportionnelles à la mortalité : le sommet des colonnes donne la mortalité des garçons et une ligne blanche celle des filles de chaque catégorie d’habitat et d’état civil ; les lignes pleines et continues, reliant chaque couple de colonne, indiquent la mortalité sans distinction d’état civil : les horizontales maigres, celle des garçons, et les horizontales grasses, celles des filles.
122D’ailleurs, on remarquera que la mortalité des filles étant toujours moindre que celle des garçons de même catégorie, l’horizontale dont la hauteur indique la mortalité des filles est toujours située au-dessous de celle des garçons.
A. Mortalité enfantine par semaine (α), par mois (β), par an (γ), ou rapport des décès aux vivants de chaque catégorie (légitimes ou illégitimes, citadins ou campagnards, garçons ou filles) : combien de décès par 1 000 vivants de chaque catégorie

B. Rapports des décès entre eux, et aux naissances vivantes. En chaque catégorie : α combien faut-il de naissances vivantes pour fournir 1 000 décès, 1° dans le 1er mois de la vie, 2° dans la 1re année ; β distribution de 1 000 décès, 1° dans le 1er mois, 2° dans la 1re année de la vie

123On lit ainsi les tableaux numériques ci-contre :
124Tableau A. Sur 1 000 enfants illégitimes de 1 mois à 3 mois, c’est-à-dire dont l’âge est compris entre le début du 2e mois et la fin du 3e (9 et 10e lignes et 2e colonne), il y a, par mois moyen (en nombre rond), 35 décès de petits garçons et 31 décès de petites filles habitant les villes, tandis qu’à la campagne on compte 66 décès masculins et 56 féminins, etc.
125Tableau B. 1 000 décès d’enfants mâles illégitimes survenus dans les villes de 0 à 1 an d’âge, d’une part supposant 3 382 naissances vivantes ; et d’autre part sont ainsi distribués : 507 sont âgés de moins d’un mois ; 197 sont âgés de 1 à 3 mois ; 142 sont âgés de plus de 3 mois et de moins de 7 ; enfin 154 décès sont âgés de 6 à 12 mois.
126On ne confondra pas ces rapports des décès entre eux, données par le tableau B, avec les rapports des décès aux vivants, ou mortalité, donnés par le tableau A47.
127Conclusions. – Ces tableaux figurés ou numériques mettent en lumière un grand nombre de faits généraux aussi nouveaux que féconds en applications ; je ne puis pourtant en signaler très succinctement que quelques-uns. On verra d’abord combien est considérable la mortalité absolue et relative du début de la vie, puisque, parmi ceux qui doivent succomber dans la première année, environ 40 % des enfants légitimes, et près de 50 % des illégitimes, meurent dans le premier mois ; de même pour les enfants qui doivent s’éteindre dans le premier mois de leur existence, 40 % des légitimes et 30 % des illégitimes sont déjà morts dans la première semaine (tableau numérique B). Ce dernier fait, assez inattendu, ne veut pas dire que, dans la première semaine, la mortalité des illégitimes soit moindre que celle des légitimes, elle est au contraire presque double (tableau numérique A et figure 1), mais cette mortalité des illégitimes se soutient pendant plusieurs semaines, et même, fait bien singulier, elle s’accroît encore dans la semaine suivante, tandis que celle des légitimes diminue immédiatement. On voit, dans tous les cas, que la mortalité des filles est constamment moindre que celle des garçons, différence qui a son maximum dès les premiers instants de la vie et se continue, en s’atténuant, au-delà du 12e mois. La mortalité des petits enfants est généralement moindre à la campagne qu’à la ville (figures 1 et 2), nous verrons (tableau XLIII et XLIV) dans les autres pays, en Suède par exemple, cette action favorable de la campagne sur la première enfance ; mais en France, des exceptions remarquables se présentent : l’une pour le premier mois de la vie (et se retrouvant manifeste pour chacune des semaines qui le composent) ; ce n’est même qu’après le troisième mois de la vie que le bénéfice de la campagne se prononce un peu pour les enfants légitimes ; la seconde exception est plus remarquable encore, elle porte sur la mortalité des enfants illégitimes qui, ainsi que le montrent les longues colonnes plus foncées de notre figure 1, 2 et 3, demeure constamment beaucoup plus considérable à la campagne qu’à la ville ! Pourquoi donc la campagne, bientôt si favorable aux enfants légitimes, surtout après leur sixième mois, reste-elle si singulièrement funeste aux enfants nés hors mariage ? Sans doute parce que la fille mère y est plus cruellement repoussée que dans les villes où une certaine sympathie suit la vaillante fille mère assez courageuse pour entreprendre l’œuvre héroïque d’élever seule un enfant abandonné par son père ! On remarquera aussi un fait fort singulier propre aux enfants illégitimes, et contraire à la loi générale de la mortalité de l’enfance qui, d’ordinaire, va s’atténuant à mesure qu’on s’éloigne du moment de la naissance, tandis que pour les enfants illégitimes de la ville comme de la campagne, la mortalité, tant des garçons que des filles, est plus prononcée dans la deuxième semaine de leur existence que dans la première !
128C’est là un fait grave pour les malheureuses filles mères, plus grave encore pour nos cruelles lois, car la physiologie ne saurait ni l’expliquer ni l’admettre. Il nous paraît bien plutôt relever de cette amère « maxime » de La Rochefoucauld : « Il faut se défier de son premier mouvement, il est presque toujours bon. » Le premier mouvement de la mère abandonnée est de soigner son enfant, le second… En résumé la mortalité des illégitimes dans le premier mois de leur vie est si formidable (deux fois et demie à la ville [100 : 247] et près de trois fois [100 : 290] à la campagne, plus grande pour les illégitimes que pour les légitimes) que, malgré la disposition disgracieuse que j’ai dû adopter, je n’ai pu encore faire tenir dans ma feuille la haute colonne qui représente la mortalité des illégitimes de la campagne ; j’ai donc rapporté à côté le sommet de la colonne tronquée. (Voy. tableaux XLIII et XLIV la comparaison avec la mortalité de quelques autres pays.)
Tableaux XXXVII et XXXVIII. Mortalité selon les mois de l’année moyenne (période 1856-1865) appréciée par la répartition mensuelle des décès annuels de chaque sexe, de chaque groupe d’âge, de chaque habitat : campagne, villes, département de la Seine


129Dans [chaque] figure, la hauteur des colonnettes teintées est proportionnelle aux nombres des décès de chaque mois (mois supposés tous égaux en jours) observés dans la population rurale ; un trait horizontal pointillé indique la hauteur que devrait avoir chaque colonnette pour représenter les décès des citadins, tandis qu’un trait plein donne la même indication pour le département de la Seine. La distinction des sexes, conservée à tous les âges dans les tableaux numériques, n’a été figurée par des colonnettes, plus sombres pour les hommes, plus claires pour les femmes, que dans les deux premiers groupes d’âge.
Distribution mensuelle de 12 000 décès annuels de chaque catégorie d’âge, de sexe et d’habitat (en supposant tous les mois de 31 jours), et tels qu’ils sont fournis par la population

130Conclusion. On remarquera d’abord que l’influence des saisons est à son maximum aux âges de faiblesse ou de débilité, à savoir : dans la première enfance, puis, comme nous le verrons dans les tableaux suivants, dans la vieillesse confirmée ; mais ce qui était moins prévu c’est que cette influence se fait sentir à tous les âges. Un fait général, non encore signalé, se manifeste très énergiquement pour la première enfance et se poursuit, en s’atténuant, aux âges suivant, c’est d’abord l’existence dans l’année de deux périodes alternatives de forte et de faible mortalité, celle-ci ayant pour temps d’élection, d’une part, la fin du printemps et le commencement de l’été, et de l’autre la fin de l’automne et le commencement de l’hiver ; celle-là (la forte mortalité) sévissant d’une part à la fin de l’hiver et au commencement du printemps, et de l’autre à la fin de l’été et au commencement de l’automne ; mais ce qui est bien inattendu et contraire aux idées reçues, c’est de voir la fin de l’été et le commencement de l’automne si extraordinairement préjudiciables à la première enfance de 0 à 1 an et de 1 à 5 ans, âges que l’on croyait surtout sensibles aux rigueurs de l’hiver, tandis que ce sont évidemment celles de l’été qui leur sont surtout nuisibles. En rapprochant ce fait de deux autres : 1° la moindre mortalité du département de la Seine en août et septembre ; 2° la distribution dans nos divers départements de la mortalité de l’enfance de 1 à 5 ans (donnée dans les cartes II, V et VI), on sera conduit à attribuer, d’une part à la température modérée des étés et des automnes de Paris, sa moindre mortalité en cette saison, et d’autre part aux chaleurs caniculaires, aux sécheresses de l’automne, sous le ciel de la Provence, l’aggravation si extraordinaire de la mortalité de l’enfance que nous y avons découverte. On voit qu’à mesure que l’enfance avance en âge, elle supporte mieux les chaleurs de l’été, et alors c’est la fin de l’hiver et le printemps qui, surtout à Paris, deviennent le temps d’élection de la forte mortalité. Bien d’autres faits ressortent encore de l’examen attentif de nos figures : c’est ainsi que la succession des traits horizontaux pointillés montre que dans nos villes (Paris excepté) les chaleurs de l’été sont plus préjudiciables aux jeunes enfants (de 0 à 5 ans), tandis que la fin de l’hiver et le commencement du printemps leur sont moins défavorables qu’à la campagne ; mais c’est tout le contraire pour le département de la Seine (traits horizontaux pleins), c’est en février, mars et avril que se trouvent les maximums de la mortalité de 1 à 5, à 10, à 20 ans, tandis qu’après la première année de la vie, l’automne (et surtout septembre) est particulièrement favorable. On remarquera encore qu’à la campagne comme à la ville, comme dans le département de la Seine, les influences défavorables de l’hiver et du premier printemps sont plus marquées chez les petits garçons, et celles de la fin de l’été chez les petites filles ; etc., etc. Nous tenons à constater que la plupart de ces faits n’étaient pas même soupçonnés par les pathologistes et les hygiénistes : ainsi on croyait que c’était l’hiver qui était la saison funeste à la première enfance tandis que c’est la fin de l’été, et pourtant, dans nos tableaux numériques, on voit que la mortalité du mois de décembre est à celle du mois d’août environ comme 1 910 : 700 dans la première année de la vie, et encore, comme 1 400 : 800 dans les quatre années suivantes ! Il importe à la science et à la méthode de constater que des influences de cette importance ont pu échapper à l’observation des faits isolés, et qu’elles sont, non seulement mises en évidence, mais encore mesurées par la statistique.
Tableau XXXIX, tableau XL. Mortalité selon les mois de l’année moyenne (période 1856-1865) appréciée par la répartition mensuelle des décès annuels de chaque sexe, de chaque groupe d’âge, de chaque habitat : campagne, villes, département de la Seine

Distribution mensuelle de 12 000 décès annuels de chaque catégorie d’âge, de sexe et d’habitat (en supposant tous les mois de 31 jours), et tels qu’ils sont fournis par la population


131Dans [chaque] figure, la hauteur des colonnettes teintées est proportionnelle aux nombres des décès de chaque mois (mois supposés tous égaux en jours) observés dans la population rurale ; un trait horizontal pointillé indique la hauteur que devrait avoir chaque colonnette pour représenter les décès des citadins, tandis qu’un trait plein donne la même indication pour le département de la Seine. Les deux sexes sont réunis dans les figures.
132Conclusion. Nous avons constaté dans les deux tableaux précédents que l’influence des mois de l’année sur la mortalité allait en s’affaiblissant depuis la première enfance, où elle est à son apogée, jusqu’à l’adolescence (10 à 20 ans) ; pourtant cette influence augmente un peu de 20 à 30 ans, mais spécialement pour les hommes dont nous avons vu la vitalité faiblir à cet âge évidemment critique pour nos jeunes Français (voy. tableaux XXXIII et XXXIV), puis l’influence mensuelle s’atténue encore à l’âge suivant (30 à 40 ans). Mais à la simple inspection il est facile de constater qu’à l’âge de 40 à 50 ans, et surtout de 50 à 60 ans, l’influence des saisons reprend plus d’empire. En même temps, s’annonce une autre distribution des mois chargés de la moindre et de la plus lourde mortalité : de 20 à 30 ans, on voit se maintenir entre les saisons les deux maximums et les deux minimums de la mortalité ci-avant constatés, mais déjà à l’âge suivant (30 à 40 ans), cette distribution va s’effaçant pour faire place à un nouvel ordre qui commence à se manifester vers l’âge mûr (40 à 50 ans), et s’accentue à l’âge suivant (50 à 60 ans), c’est-à-dire aux abords de la vieillesse. Alors ce sont les quatre ou cinq mois de chaleur (surtout juillet) qui deviennent exclusivement les mois élus de faible mortalité relative, tandis que les mois de froid et d’humidité : novembre, décembre, janvier, février et mars, ou, d’après les dénominations si caractéristiques de nos pères : brumaire, frimaire, nivose, pluviose, ventose, germinal, deviennent ceux de forte mortalité, et l’on verra cet arrangement se marquer encore davantage aux âges suivants. Si, dans ces mouvements, on recherche l’influence des trois habitats dont les éléments nous sont donnés à part, on est d’abord frappé d’une grande similitude entre la ville et la campagne ; Paris seul s’isole un peu, sans doute par le fait de son climat modéré, le printemps continue à y être relativement moins favorisé, l’été et surtout septembre sont meilleurs que partout ailleurs, mais octobre est constamment marqué par un brusque retour de la mortalité dont il est difficile de se rendre compte.
133L’influence du sexe sur cette distribution nous a paru tellement irrégulière et capricieuse que nous n’avons pas jugé à propos de l’analyser dans nos représentations graphiques, mais nous la rapportons fidèlement dans nos tableaux numériques.
134En résumé, il résulte de ces tableaux, graphiques et numériques, que l’homme, même aux âges où il est à l’apogée de sa force (20 à 50 ans), reste toujours soumis, quoique plus faiblement, à son milieu météorologique. Cependant c’est aux âges suivants, au-delà de sa soixantième année, que (dans les tableaux suivants XLI et XLII) nous allons voir cette influence reprendre toute sa puissance.
Tableaux XLI et XLII. Mortalité selon les mois de l’année moyenne (période 1856-1865) appréciée par la répartition mensuelle des décès annuels de chaque sexe, de chaque groupe d’âge, de chaque habitat : campagne, villes, département de la Seine

Distribution mensuelle de 12 000 décès annuels de chaque catégorie d’âge, de sexe et d’habitat (en supposant tous les mois de 31 jours), et tels qu’ils sont fournis par la population


135Dans [chaque] figure, la hauteur des colonnes teintées est proportionnelle aux nombres des décès de chaque sexe et de chaque mois (mois supposés tous égaux en jours) observés dans la population rurale ; un trait horizontal pointillé (double pour les femmes) indique la hauteur que devait avoir chaque colonne pour représenter les décès des citadins, tandis qu’un trait plein (doublé pour les femmes) donne la même indication pour le département de la Seine. La distinction des sexes, conservée à tous les âges dans les tableaux numériques, n’a été figurée par des colonnes, plus sombres pour les hommes, plus claires pour les femmes, que jusqu’à 90 ans48.
136Conclusion. En comparant les quatre figures ci-dessus, s’appliquant à la vieillesse (au-delà de 60 ans), avec les quatre figures du tableau précédent, se rapportant à l’apogée de la vie (20 à 60 ans), il devient d’abord manifeste que l’influence des mois et saisons, qui s’était atténuée pour le milieu de la vie, reprend, durant la vieillesse, l’empire énergique qu’elle avait eu pendant l’enfance (tableau XXXVII). Mais en rapprochant la distribution mensuelle des décès de cette enfance (de 0 à 1 an, de 1 à 5 ans et encore de 5 à 10 ans), on sera frappé de la différence profonde avec laquelle ces deux extrémités de l’existence supportent les influences météorologiques : pour les vieillards auxquels s’appliquent les figures ci-dessus il n’y a plus, en effet, qu’une saison de faible mortalité, c’est l’été (juin, juillet, août, et encore septembre à Paris) ; il n’y a non plus qu’une période de mortalité maximum, celle des froids et des intempéries de la saison rigoureuse (décembre, janvier, février et mars). Si ce n’était février et mars et même avril qui sont, à tous les âges, des mois où la mortalité est notablement au-dessus de la moyenne, il y aurait opposition complète entre la distribution mensuelle de la mortalité de l’enfance et celle de la vieillesse : nous avons vu (tableau XXXVII) les chaleurs de l’été, les sécheresses du commencement de l’automne être surtout, et à un haut degré, préjudiciables à l’enfance, tandis qu’on les voit ci-dessus être les conditions les plus favorables à la vieillesse ; ce sont les rigueurs de l’hiver qui sont mortelles aux vieillards tandis que novembre, décembre, janvier sont les mois de moindre mortalité pour l’enfance ! Les conséquences pratiques qui se dégagent de ces traits généraux sont très nettes et très fécondes : elles concluent à faire émigrer les vieillards vers le Midi en hiver, et surtout à mettre les enfants à l’abri des ardeurs de l’été et des sécheresses de l’automne, surtout sous le ciel de la Provence (voy. cartes I à VI), etc., etc. Si l’on cherche à dégager l’influence de l’habitat, on remarquera d’abord que cette influence est secondaire, et que chaque séjour est presque également soumis aux règles posées ci-dessus ; que notamment il y a, sous le rapport qui nous occupe, presque identité entre le séjour des villes et celui des campagnes ; cependant, à ces âges avancés comme aux premiers âges de la vie (voy. tableau XXXVII), il est manifeste que l’été et l’automne sont particulièrement salubres à Paris, tandis que, par un retour, sans doute nécessaire, l’hiver et le printemps paraissent moins favorables ; mais ce n’est peut-être là qu’une apparence résultant de ce que nous n’apprécions que la mortalité relative des mois, et non leur mortalité absolue. En ce qui concerne l’influence spéciale des mois sur la mortalité relative de chaque sexe, quelques traits généraux peuvent être saisis et formulés : il est manifeste, d’après nos figures, que l’hiver et le premier printemps sont plus particulièrement funestes aux femmes âgées, tandis que l’été et l’automne leur sont particulièrement favorables ; c’est un fait que nous avons déjà rencontré pour la première enfance.
Tableau XLIII, tableau XLIV. Mortalité des enfants de 0 à 12 mois comparée d’après leurs âges, leur sexe (fig. 3), leur habitat (fig. 4), en France (1857-1866) et en Suède (1860-1866)49
Figure 1 et 2

Figure 3 et 4

137Légende. Toutes ces figures sont destinées à montrer aux yeux la mortalité enfantine comparée de la France et de la Suède, pays de l’Europe où ces documents sont relevés avec le plus de précision et de détail. En chacune de ces figures la mortalité à chaque âge est représentée par des colonnes correspondantes dont la hauteur est proportionnelle à la mortalité50.
138Dans les figures 1, 2 et 3 les colonnes entières sont ainsi constituées : les soubassements clairs (raies parallèles) s’appliquent à la Suède et traduisent par leur hauteur la mortalité enfantine propre à chaque âge ; en outre, chacune de ces colonnes claires est surmontée d’une partie sombre (raies croisées) qui par sa hauteur représente pour chaque âge l’excès de la mortalité des enfants de France sur celle de Suède ; il en résulte nécessairement que chaque colonne entière (partie claire et partie sombre) est représentative de la mortalité française. On remarquera que, pour les groupes d’âge au-delà du 1er mois (et des deux premières semaines, fig. 1), les colonnes claires sont, par leur sommet, réunies, ou par deux ou par trois ou par six, dans une partie sombre représentative de l’excès de la mortalité française, réunion obligée parce qu’en France les âges ne sont pas relevés par mois, comme en Suède, mais par groupe : 2-3 mois, 4-6 mois, 7-12 mois.
139Conclusions. – La figure 1 est représentative de la mortalité par semaine (1/4 de mois), elle peut se résumer dans le tableau suivant dont les chiffres indiquent combien de décès sont fournis en une semaine par 1 000 enfants de chaque groupe.

140On remarquera encore combien la correction que nous avons faite des faux mort-nés pour la France (voy. tableau XXXIII) [38 par 1 000 au lieu de 28] paraît s’accorder ici, bien qu’évaluée par une tout autre considération : 1° à la régulière régression de la mortalité de la 1re à la 2e semaine en Suède et en France (21 : 12,3 : : 100 : 59 en Suède et 38 : 23 : : 100 : 82 en France51) ; à la continuité des rapports de la mortalité enfantine des deux pays, rapport qui est 21 : 38 ou 100 : 181 pour le 1er mois, avec addition des mort-nés, en France, et de 12,3 : 23 ou 100 : 187 pour le second, tandis que sans la correction des mort-nés cette différence si prononcée dans le 2e mois, ne serait dans le 1er mois que de 21 : 28 ou 100 : 133. Les figures 2 et 3 représentent la mortalité par mois, la figure 2 pour les deux sexes pris ensemble, la figure 3 pour les garçons par la hauteur des colonnes mesurée à partir des sommets clairs pour la Suède et foncés pour la France ; et pour les filles par les raies horizontales toujours sous-situées, puisque c’est une invariable loi, en Suède comme en France, que pour cette première année de la vie, la mortalité des garçons surpasse celle des filles. On voit qu’à chaque âge et chaque sexe la mortalité française dépasse de beaucoup la mortalité suédoise, comme le montre le tableau suivant :
Combien de décès par mois (ou mois moyen en France) sur 1 000 enfants vivants de chaque catégorie

14152Cette figure est destinée à montrer l’influence de l’habitation à la campagne fort différente en France et en Suède. Que le lecteur veuille bien remarquer que dans cette figure, les colonnes destinées à figurer la mortalité française et celles qui montrent la mortalité suédoise ne sont plus superposées comme dans les figures précédentes, mais adjacentes ; de là une couple de colonnes répondant à chaque âge ou groupe d’âge : celles qui, à chaque couple, représentent la mortalité en France, sont vers la gauche plus larges et plus sombres ; celles qui se rapportent à la Suède sont à droite de chaque couple, plus étroites et plus claires. Pour figurer à part, en chaque âge, la mortalité de villes et celle des campagnes, nous avons adopté : pour le grisé des villes, des rayures (parallèles pour la Suède, croisées et plus sombres pour la France) ; et pour la campagne, le pointillé (espacé pour la Suède, rapproché et plus sombre pour la France). En outre chaque colonne est composée de deux parties : un soubassement qui, par sa hauteur, représente, à chaque âge et en chaque pays, la mortalité de l’habitat le plus favorisé ; ainsi pendant le 1er mois de la vie on voit que ce sont les villes en France et les campagnes en Suède, dont la mortalité est la moindre. Cependant ces bases des colonnes sont surmontées par des troncs de colonnes se rapportant à l’habitat le moins favorisé et représentant, par leur longueur, l’excès de la mortalité de l’habitat le moins favorisé sur l’habitat le plus favorisé (base de la colonne) ; par conséquent la hauteur totale de chaque colonne sera représentative de l’habitat le moins favorisé dont le nom est indiqué par le grisé de son sommet. On voit par exemple que, dans le second trimestre d’âge (4e, 5e, 6e mois) : en France la mortalité est un peu moins forte dans nos campagnes que dans nos villes, mais qu’à cet âge la différence est extrêmement faible (11,3 : 11,6), tandis qu’en Suède la mortalité des enfants campagnards n’est que les 2/3 de la mortalité des villes, puisque la hauteur de la colonne pointillée égale environ les 2/3 de la hauteur totale.
142En résumé on voit que la bonne influence de l’habitat rustique, si prononcée à tous les âges en Suède, n’est manifeste en France qu’après le 6e mois, et qu’avant l’âge de trois mois, nos enfants campagnards succombent plus que ceux des villes !
143Nous croyons émettre une opinion probable en attribuant ces résultats : d’une part, à l’ignorance, aux préjugés et aux superstitions qui dirigent nos paysannes dans les soins qu’elles donnent à la première enfance si débile et par suite si dépendante des circonstances ambiantes, et d’autre part aux soins relativement éclairés dont sont entourés les petits enfants des villes. En Suède l’instruction très générale de la population campagnarde est sans doute la raison qui préserve les petits enfants de cette cause de mort et leur permet de profiter à tous les âges, et dans une très large mesure, du milieu plus salubre de l’habitat champêtre. On voit d’ailleurs par le tableau numérique ci-contre que pour l’ensemble de la 1re année la mortalité des petits enfants de 0 à 12 mois est toujours moindre en Suède qu’en France ; ce rapport qui est de 146,5 : 216 ou 100 : 148 sans distinction de sexe ni d’habitat est encore à très peu près de 100 : 148 pour chaque sexe comparé isolément. Cependant la mortalité des villes des deux pays est presque identique : si on la suppose de 100 en Suède, elle n’est que de 102 en France ; mais combien est différent le rapport de la mortalité des enfants campagnards des deux pays : si on fait la mortalité égale à 100 en Suède, elle s’élève à 157 en France, tant est homicide l’ignorance !
Abis. [Mortalité selon les groupes d’état civil (cartes)]
Mortalité des célibataires ayant atteint l’âge du mariage. Période 1857-1866
Carte XLV. Hommes de 18 ans et au-delà

Carte XLVI. Femmes de 15 ans et au-delà

144Nota. L’âge étant la condition qui pèse le plus lourdement sur la mortalité, il faut neutraliser son action si l’on veut qu’elle ne masque pas les influences moins intenses que l’on cherche à découvrir ; c’est ainsi que voulant étudier, par département, les influences des diverses catégories d’état civil (célibataires, époux, veufs) sur la mortalité, il faudrait décomposer chacune en divers groupes d’âge (ainsi qu’il sera exécuté pour la France dans son ensemble), mais les documents officiels, en ce qui concerne les décès, ne sont pas assez analytiques pour que l’on puisse opérer ainsi en chaque département. Tout ce que nous pouvons faire pour nous rapprocher de cet idéal de la méthode, c’est d’enlever au groupe des célibataires, vivants et décédés, les enfants qui, bien plus nombreux en certains départements (départ. bretons et alsaciens, Lozère, Savoie, Nord, etc.), que dans d’autres (Lot-et-Garonne, Gironde, Eure, etc.), masqueraient l’influence que nous cherchons à découvrir. Après cette élimination des enfants, nous pensons qu’à peu d’exceptions près les célibataires des divers départements peuvent être considérés comme ayant environ le même âge moyen53. En France cet âge moyen est de 29,2 ans pour les célibataires hommes âgés de plus de 18 ans (de 26,8 ans pour ceux ayant plus de 15 ans) et de 28,42 ans pour les filles au-dessus de 15 ans. Il résulte pourtant de ces considérations que les différences de la mortalité, accusées dans les cartes ci-dessus, ne seront indicatrices des conditions sanitaires qu’autant que l’hypothèse ci-dessus s’éloignera peu de la réalité ; si pour quelques départements (ils seront déterminés dans notre 2e série54), comme celui de la Seine, il y a lieu de supposer que les vieux célibataires sont relativement plus nombreux qu’ailleurs, la teinte sombre revêtue par ces départements sera expliquée, au moins en partie, par cet excès, et inversement. Ces réserves faites, l’aggravation de la mortalité des célibataires qui pèse sur certains départements y est sous la dépendance d’autres causes constantes qui altèrent plus particulièrement la vitalité de ce groupe d’état civil, c’est, par exemple, un fait remarquable pour les hommes dans les Alpes-Maritimes, la Nièvre, le Rhône, etc., et plus encore pour les filles dans le Lot-et-Garonne, la Gironde, etc., puisque la mortalité des autres catégories d’état civil y est ou faible ou moyenne. Inversement on voit que l’Yonne, le Tarn, l’Aube, les Landes, etc., sont particulièrement favorables à la vitalité des célibataires des deux sexes, mais l’Aube, la Moselle, le Nord plutôt au sexe masculin ; le Loir-et-Cher, les Pyrénées-Orientales, la Loire-Inférieure, la Haute-Saône, l’Allier, la Corse particulièrement favorables aux filles, et ce dernier point est d’autant plus remarquable que la plupart de ces départements sont le siège d’une mortalité intense pour les autres catégories comme on peut s’en assurer dans les colonnettes adjacentes55 marquant les numéros d’ordre des départements pour chacune des autres catégories. Quelles sont les causes d’attributs si singuliers de certains départements et si marqués que la mortalité des uns est presque la moitié de celle des autres ? Ce sera à la statistique des décès relevés selon leur cause, selon les professions, selon les mois, etc., à répondre, quand on aura trouvé utile de s’inquiéter des conditions de vie et de mort de la population française !
Mortalité des époux. Période 1857-1866
Carte XLVII. Mortalité des hommes mariés

Carte XLVIII. Mortalité des femmes mariées

145Nota. Ces deux cartes, comme les précédentes, mettent en évidence, par la répartition des teintes, celle des divers degrés de la mortalité – pesant ici sur la population mariée, comme la précédente l’avait figuré pour les célibataires. Nous avons à faire la même restriction à propos de l’influence perturbatrice des âges : pour que l’intensité relative de la mortalité des époux, en chaque département, y soit indicatrice des conditions hygiéniques, etc., il faudrait que les âges respectifs des groupes d’époux que l’on compare puissent être regardés comme identiques au point de vue de leur mortalité, et il y a des raisons pour croire qu’il n’en est pas rigoureusement ainsi : il y a des pays où on se marie plus jeune (ceux des bassins de l’Oise, de la Garonne, de l’Eure, les départements de l’Aisne, de l’Allier, etc.) ; il y en a où on se marie plus tard (Alsace et Lorraine, assez généralement la Bretagne (Finistère excepté), Franche-Comté, Cher, etc.). L’âge moyen des époux sera donc un peu moindre chez les premiers, et par suite les chances de mort dues à l’âge un peu moindres. En France l’âge moyen des époux est de 45,8 ans pour les hommes (43 ans en Angleterre, nation où on se marie le plus jeune) ; et de 42,5 ans pour les femmes (40,5 en Angleterre). Nous conclurons qu’il serait certainement plus rigoureux, si les décès étaient publiés simultanément par âge, par département et par état civil, d’établir la mortalité des époux âge par âge en chaque département, et ainsi que nous le ferons pour la France entière, mais c’est une analyse qui n’est pas indispensable, et pour la grande majorité des départements cette lacune ne touche qu’à la précision. D’ailleurs nous donnerons (2e série) l’âge moyen des époux de chaque département, et cette donnée, rapprochée des présents coefficients mortuaires, sera suffisante pour faire apprécier la très légère part des différences de mortalité dues aux différences d’âge. Parmi les remarques nombreuses auxquelles peuvent donner lieu ces deux cartes, je m’arrêterai à celles qui résultent de leur comparaison avec les deux précédentes (comparaison facilitée par les numéros de renvoi des colonnettes adjacentes). Le groupe des célibataires étant plus jeune (âge moyen 29,2 ans pour les garçons et 28,4 pour les filles), et comprenant moins de vieillards que le groupe des époux (45,8 ans et 42,5), il est naturel que par cela seul, la mortalité des premiers soit moindre que celle des seconds ; et en effet pour la France entière la mortalité des garçons (14,34) est à celle des époux (17,85) : : 100 : 124,4 ; et de même celle des filles (13,4) est à celle des épouses (15,82) : : 100 : 11856 ; mais il s’en faut de beaucoup que les choses se passent toujours ainsi. Il y a des départements où tantôt un sexe, tantôt tous deux, voient leur mortalité s’accroître dans une proportion beaucoup plus forte en passant du groupe des célibataires à celui des époux. Ainsi la mortalité des filles étant 100, celle des épouses devient 136 en Vendée ; 143 en Charente et Loire-Inférieure ; 144 dans les Landes, et 170 en Morbihan ! De même la mortalité des garçons étant 100, celle des époux (de 124 en France) s’élève à 150 en Charente ; à 166 en Ille-et-Vilaine et à 169 dans les Landes ! Mais inversement, il y a des départements où, non seulement l’accroissement des chances de mort du groupe des époux est moins marqué, mais (phénomène bien extraordinaire) où les époux, malgré leur âge élevé, ont une mortalité moindre que les célibataires ! Ainsi, soit toujours 100 la mortalité des célibataires de chaque sexe, celle des épouses devient 98,4 en l’Oise, 96 en Calvados ; 85,5 dans la Seine et le Lot-et-Garonne ; 84,7 en Gironde et 83 dans le Var ! Et de même celle des époux devient 97 dans l’Aube ; 95 dans la Gironde ; 88 dans la Nièvre !
146La comparaison de la mortalité des époux et des épouses n’est pas moins intéressante : ce rapport (la mortalité des épouses étant 100), de 112,8 en France, s’élève au détriment des hommes à 126 et 127 dans l’Eure-et-Loir et le Lot, et à 135 dans le Calvados ; mais il s’abaisse (au détriment des femmes) à 99 dans la Creuse, à 94 dans les Basses-Alpes, à 91 dans l’Isère ! Tant sont grandes et surprenantes ces différences, tant sont grandes notre ignorance et notre incurie !
Mortalité des veufs. Période 1857-1866
Carte XLIX. Mortalité des hommes veufs

Carte L. Mortalité des femmes veuves

147Nota. Ainsi que nous l’avons expliqué pour les deux groupes précédents, et plus encore pour celui-ci, l’influence de l’âge est un élément important de la mortalité qui, en chaque département, devrait être analysé âge par âge ; mais cette investigation n’étant pas actuellement possible, admettons, sous toute réserve, et en attendant des documents mortuaires plus analytiques, que les veufs et les veuves soient à chaque groupe d’âge assez semblablement répartis sur le territoire français, pour que, par ce fait, la mortalité d’ensemble de chacun de ces deux groupes reste suffisamment comparable. Disons seulement, pour déterminer l’âge du veuvage, qu’en France 52 % des veufs existants (ou 51,6 % des veuves), c’est-à-dire un peu plus de la moitié des veufs (et veuves) classés selon leur âge, sont compris entre 55 et 75 ans ; que 32 veufs (et 13,9 veuves) sont moins âgés, et 16 veufs (et 32,5 veuves) le sont davantage ; qu’en résumé l’âge moyen des veufs existants est de 61 ans (et 60 ans celui des veuves), et leur âge médian ou probable est de 62 ans (et 60,25 ans pour les veuves), c’est-à-dire qu’il s’en rencontre autant au-dessous qu’au-dessus de cet âge. L’âge moyen des décès est de 71,4 ans pour les veufs, comme pour les veuves.
148Nous verrons dans la 2e série de cet ouvrage57 ce que deviennent toutes les valeurs en chaque département et leur comparaison jettera quelque lumière sur l’influence des âges, sur la distribution de la mortalité des veufs et veuves en chaque département. En attendant faisons abstraction de cette influence qui nous paraît devoir être non nulle, mais d’importance secondaire ; et cette réserve faite, signalons les différences suivantes, demandons aux documents à venir que la science réclame pourquoi la Corse, qui offre aux deux sexes de si fâcheuses conditions de vie à l’état de mariage, est celui de tous les départements de France qui assure à ses veufs comme à ses veuves la meilleure vitalité ? D’ailleurs cette compensation peu désirable n’est pas de règle, mais d’exception, car le Morbihan, l’Isère, etc., etc., sont également funestes aux époux et veufs, aux épouses et aux veuves. La Seine, comme la Corse, quoiqu’à un moindre degré, paraît relativement plus favorable aux veufs qu’aux époux de l’un et l’autre sexe ; mais peut-être l’émigration en province des veufs et veuves valétudinaires en rend-elle raison. On ne saurait expliquer de même manière des faits de même ordre que l’on remarque dans le Finistère, la Vendée, la Creuse, l’Allier, etc., tandis que c’est le contraire qui arrive dans le Tarn-et-Garonne, etc., si bien placés pour la vitalité de leurs époux et prenant un si mauvais rang pour celle de leurs veufs et veuves. Supposera-t-on que c’est parce que les époux vivant plus longtemps y deviennent veufs plus âgés ? Faible influence qui n’empêche pas l’Hérault ou le Gard de bien conserver à la fois ses époux et épouses comme ses veufs et veuves, etc. Pourquoi certains départements sont-ils favorables aux veufs d’un seul sexe ? L’Ardèche, le Loiret, la Lozère, l’Yonne, les Deux-Sèvres, etc., et aussi les Hautes- et Basses-Alpes aux hommes ; tandis que la Seine, les Bouches-du-Rhône, la Haute-Marne, la Seine-et-Oise, et aussi la Haute-Vienne, l’Ille-et-Vilaine et surtout la Manche, le sont relativement beaucoup plus aux veuves ? Quelle bonne occasion de découvrir les conditions qui augmentent nos chances de longévité que notre indolence laisse échapper !
Bbis [Mortalité européenne comparée. Diagrammes]
Cartes LI et LII. Mortalité par âge et par état civil comparée en France, à Paris, en Belgique, en Hollande. Aire mortuaire comparée des époux, des célibataires et des veufs en chaque groupe d’âge jusqu’à 70 ans (J’appelle aire mortuaire les surfaces des rectangles ci-dessus, lesquelles sont en effet proportionnelles à la mortalité de chaque groupe d’état civil en chaque âge)


149Légende. On voit que la moitié gauche du tableau est représentative de la mortalité masculine et la moitié droite, de la mortalité féminine ; que chaque moitié est occupée par quatre colonnes verticales et séparées s’appliquant : la 1re à la France entière ; la 2e à Paris ; la 3e à la Belgique ; la 4e à la Hollande 58 . Chacune de ces colonnes [est] composée : d’une part de onze assises horizontales séparées correspondant à chacun des 11 groupes d’âges ; avant 20 ans ; de 20 à 25 ans ; de 25 à 30 [ans]…, de 65 à 70 ans ; et d’autre part de trois colonnettes verticales adjacentes et correspondant : 1° aux époux ou épouses ; 2° aux célibataires ; 3° aux veufs ou veuves. Enfin les nombres inscrits sous chaque rectangle indiquent : d’une part le nombre annuel des décès que fournissent mille vivants de chaque catégorie ; et d’autre part les surfaces respectives de ces triangles59 qui sont proportionnelles à ces nombres. Ainsi ces nombres, ou les aires mortuaires qui les représentent, peuvent être pris comme mesure de la mortalité respective de chaque catégorie.
150Conclusions. Si donc on considère en France l’âge de 25 à 30 ans, on verra que 1 000 époux de cet âge fournissent chaque année un peu plus de 6 décès (6,2) ; que 1 000 célibataires du même âge donnent plus de 10 décès (10,2) ; et que 1 000 veufs du même âge donnent près de 22 décès (21,8) ; que dans la ville de Paris on retrouve presque les mêmes rapports : 7 décès pour les époux, 10 à 11 pour les garçons, et 10 à 18 pour les veufs ; que des rapports presque identiques se retrouvent pour l’âge suivant (30 à 35 ans), et en France et à Paris ; enfin, qu’à l’exception des jeunes (trop jeunes) époux âgés de moins de 20 ans qui sont partout moissonnés par une mortalité très considérable, à cette remarquable exception près, dis-je, les époux ont une mortalité bien moindre que les célibataires, et les célibataires eux-mêmes moindres que les veufs ; c’est un fait qui, se reproduisant à chaque âge et pour tous les pays étudiés, mérite le nom de fait général ou de loi60.
151Les épouses comparées aux filles paraissent (surtout en France) éprouver aussi (bien qu’à un moindre degré) un bénéfice sanitaire de l’association conjugale ; cependant, même en France, ce bénéfice n’est manifeste qu’après la 45e année. Nous croyons être en mesure de prouver que ce sont les dangers de la maternité (très tardive en Belgique) qui, aux âges de parturition, masquent les conditions sanitaires du mariage, ou même en changent le signe.
152On remarquera la mortalité généralement plus élevée des vieilles filles, surtout en France, ce qui semble montrer que les plaisirs de l’amour et ceux de la maternité, loin d’être préjudiciables comme on l’a cru, sont au contraire salutaires puisque celles qui les ont éprouvés ont une vitalité plus assurée que celles qui en ont été plus ou moins privées !
153Nous n’avons pu, faute d’espace, étendre ces mortalités figurées au-delà de la 70e année, mais la même loi se poursuit jusqu’aux limites des âges ; à tous les âges les époux et épouses sont les privilégiés de la vie, les célibataires et les veufs ceux de la mort.
154Pour rendre encore plus claires les différences considérables entre les chances de mort qui pèsent sur les personnes de même âge, selon leur état civil, on peut ramener, pour chaque âge, la mortalité de l’un des groupes, des mariés par exemple, à 100, et chercher ce que devient la mortalité du même âge chez les célibataires et chez les veufs ; ou, ce qui revient au même, on peut se proposer de considérer un certain nombre de vivants de même force pour chaque groupe d’âge et tel qu’il le faut pour fournir, dans l’unité de temps, 100 décès parmi la population mariée, puis déterminer combien le même nombre de vivants fournira-t-il de décès parmi les célibataires, combien parmi les veufs ? Ainsi en France, de 30 à 35 ans, la mortalité des mariés étant 100, et convenant à un certain nombre de vivants, celle des célibataires, convenant au même nombre, s’élèvera à 169, et celle des veufs à 281 ! De même à l’âge suivant, la mortalité des mariés étant 100, celle des célibataires sera de 175 et celle des veufs de 233 ; mêmement de 40 à 45 la mortalité des célibataires sera de 174, et celle des veufs de 198 ; de 45 à 50 ans ces deux valeurs deviendront 171 et 194 ; de 50 à 55, 165 et 172 ; de 55 à 60, 149 et 172 ; de 60 à 65, 141 et 146 ; de 65 à 70, 133 et 143 ; ainsi de suite. On voit que l’influence désastreuse du veuvage va s’amendant fort régulièrement avec l’âge, mais elle persiste jusqu’à la fin de la vie avec une constance bien significative. Quant à la mortelle influence du célibat, elle n’est pas moins constante ; elle a son apogée de 35 à 45 ans, et avant et après cet âge, elle va s’atténuant presque régulièrement. (Voir la monographie de l’auteur sur le mariage étudié au point de vue démographique et hygiénique, Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales [1874b].
155Je prie mes lecteurs, et surtout mes censeurs, de remarquer que dans tous ces tableaux, je constate les faits, et souvent des faits jusqu’ici inaperçus, mais que je n’ai pas l’espace nécessaire pour en discuter les causes. Des critiques, il me semble plus pressés que judicieux, ont prétendu objecter à ces résultats que si les époux avaient la vie plus assurée que les célibataires, c’était parce que le mariage constitue une sélection où les meilleurs (en santé, en conduite, en fortune) sont appelés en plus grand nombre61. Je ne nie pas cette assertion, mais je réponds : 1° qu’elle n’est pas « une objection » comme on l’a dit, mais une explication proposée des faits révélés ; 2° que cette explication, toute plausible qu’elle soit, a le tort d’être en contradiction avec la mortalité partout supérieure des veufs qui font nécessairement partie de ces meilleurs puisqu’ils ont été, eux aussi, les élus du mariage. Il en résulte au contraire que c’est l’association conjugale qui paraît être surtout salutaire (et non les qualités de ceux qui y sont appelés) puisque dès que l’association est rompue, le bénéfice s’évanouit ! Cette remarque montre encore, contrairement à ce qui a été dit, que la statistique peut, non seulement constater les faits, mais éclairer dans la recherche de leurs causes.
Tableaux LIII et LIV. Mortalité comparée à chaque groupe d’âge des diverses nations de l’Europe, pendant une période de plusieurs années normales comprises entre 1850 et 1870


156Légende. Six groupes d’âge sont étudiés à part et comparés en treize nations (Norvège, Suède, Suisse, Angleterre, Belgique, France, Hollande, Prusse, Autriche, Bavière, Italie, Espagne, Russie). Chaque colonnette représente par sa hauteur (ou sa surface) le nombre annuel de décès fournis par 1 000 hommes de chaque groupe d’âge et en chaque nation ; les initiales ci-dessus inscrites et placées au pied de chaque colonne, disent le pays dont elle traduit la mortalité, et le chiffre de leur sommet, le nombre annuel des décès pour 1 000 vivants. Enfin on remarquera expressément que les hauteurs des colonnettes sont déterminées :
1571° pour la première année de la vie à raison de 1 millimètre62 par décès (sauf contraction du papier) ;
1582° pour tous les autres groupes d’âge à raison de 5 millimètres par décès (voy. nos cartes XXXIII-IV). Ainsi les colonnettes représentatives de la mortalité de 0 à 1 an doivent être quintuplées pour être rendues comparables à celles des autres âges. Les sommets des colonnes teintées se rapportent à la mortalité masculine (excepté en Espagne et en Italie où on a dû se borner à celle des deux sexes pris ensemble). Les mortalités féminines sont indiquées par des traits pleins et horizontaux situés aux environs de ces sommets, ces traits marquent les hauteurs que devraient avoir les colonnettes pour figurer la mortalité des femmes.
159Critiques et réserves. Pour des motifs divers et qu’il serait trop long d’analyser ici (voy. DESM, nos articles « Bretagne (Grande-) », p. 606 [1869c], et « Mortalité » [1875c]), mais se rapportant en général à la mauvaise ou incomplète inscription des naissances et des décès des non baptisés, surtout dans les pays où le clergé catholique est chargé de cette inscription (Espagne, Italie, sans doute la Russie ?), ou bien dans ceux, comme l’Angleterre, où les décès des premiers jours sont omis en partie ou entièrement ; pour ces causes diverses, les résultats que nous donnons en ce qui concerne la mortalité de 0 à 1 an ne sont qu’approximatifs et sans doute au-dessous de la vérité pour les pays signalés. Pour la Belgique et la France, ils peuvent être considérés comme exacts, car si ces pays atténuent le nombre officiel des décès des premiers jours de la vie en portant indûment au compte des mort-nés ceux qui, nés vivants, sont morts avant l’inscription civile, nous avons pu, en restituant ces faux mort-nés aux naissances et aux décès, corriger cette cause d’erreur (voy. les cartes XLIII et XLIV). Pour plusieurs pays nous devons faire aussi nos réserves pour d’autres groupes d’âge : pour l’Italie, l’Espagne, à cause de l’insuffisance et de la médiocre qualité des documents ; pour la Russie, la Bavière et aussi pour la Suisse et la Norvège, parce que nous avons dû calculer nos coefficients, non sur des documents originaux et officiels, mais sur des tables de survie données par Quetelet (1870) et dressées par des savants étrangers, nous ne savons pas par quelle méthode ; enfin pour la Prusse et pour l’Autriche les remaniements du territoire et ceux des documents de la Statistique, ainsi que les années de guerre ne nous ont permis d’établir nos calculs que sur une base de trois années.
160Conclusions. – On voit d’abord combien sont considérables les différences des chances de mort qui, à chaque âge, pèsent sur chaque nation. Ces différences, mises ici en pleine lumière, avaient échappé aux auteurs qui, à l’exemple de Quetelet, les avaient recherchées par année d’âge et d’après la comparaison des tables de survie, dites à tort, de mortalité, et nullement propre à cet objet.
161On remarquera que la France, dont nous avons un peu foncé la nuance pour que l’œil la retrouve plus facilement, occupe partout un rang qui, sans être excellent, est cependant au-dessus de la moyenne, et cela à tous les âges, excepté de 15-30 ans, âge précieux entre tous, où nous ne venons pourtant qu’au 9e rang, après l’Espagne, après l’Autriche et au niveau de la Russie ! Nous montrerons pourquoi dans notre article « France » du Dictionnaire encyclopédique [1879a]. Les petits pays comme la Suède, la Norvège, la Suisse et même la Belgique révèlent, par leur faible mortalité, les qualités sanitaires de leur sol et de leurs institutions sociales et politiques, c’est le contraire qui est manifeste en Italie, en Russie et en Espagne.
Cartes LV et LVI. Mortalité en Angleterre selon les classes et les professions (1860-1861)63
LV. Mortalité des enfants des deux sexes au-dessous de 5 ans (pour 1 000)

LVI. Mortalité des hommes en chaque groupe d’âge adulte et en dix-huit groupes professionnels (pour 1 000)

162Légende. La partie supérieure [LV] figure la mortalité de l’enfance suivant les diverses catégories sociales, la partie inférieure [LVI], la mortalité du sexe masculin en quelques groupes professionnels (on a réuni les professions qui, prises à part, donne à peu près la même mortalité : clergé et magistrats, etc.), mais analysée et comparée par mêmes groupes d’âge ; en effet les différences de composition par âge des diverses collectivités professionnelles sont telles que les influences de l’âge, le plus souvent prépondérantes, masquent celles de la profession et feraient croire, par exemple, que les mineurs, dont la mortalité générale est à peine de 16 par 1 000, sont mieux partagés que les magistrats ou le clergé où elle dépasse 17. Dans toutes ces figures les bandes horizontales montrent par leur longueur64, si diverse à chaque âge, les différences qui existent entre la mortalité des divers groupes, tandis que les nombres à leur suite traduisent avec précision la mortalité en disant les décès par an et par 1000 vivants de chaque groupe.
163Conclusions. – En haut, on voit les différences formidables de la mortalité de l’enfance suivant les diverses catégories sociales ; c’est donc avant que l’homme, par son mérite ou son démérite, se soit fait une place dans le monde, c’est à l’âge de l’innocence même, qu’il est le plus frappé par les inégalités sociales ! et que de différences dans les joies et les douleurs de ces premières années de vie ne dénoncent pas de telles différences devant la mort !
164Au-dessous, on constate ce qui concerne les âges adultes. Attirons seulement l’attention : 1° sur les conditions si exceptionnellement favorables à chaque âge des ministres du culte (généralement pères de famille) et des magistrats ! Elles traduisent la triple influence de l’aisance, de la moralité et du savoir. 2° sur les nobles et hauts rentiers qui présentent le double enseignement : 1) d’une mortalité notable, on peut même dire élevée (presque le double de celle des magistrats) de 35 à 45 ans, et alors aussi plus élevée que celle de la plupart des manœuvriers ! 2) et d’une mortalité des plus faibles dans leur vieillesse, à l’âge où ils appliquent enfin à soigner leur organisme la fortune qu’ils avaient d’abord employée à en abuser. 3° combien il est plus favorable (et pour des hommes, plus digne aussi) d’être valet d’écurie que valet de chambre ! 4° sur les médecins dont la fatigante et dangereuse profession leur fait une des mortalités les plus élevées, au moins jusqu’à 55 ans, c’est-à-dire jusqu’à ce que l’âge, d’une part les ait rendus moins impressionnables aux contagions et aux tristesses de la profession, et de l’autre leur ait permis d’en modérer les exigences et les fatigues. 5° sur les mineurs dont le dur labeur se traduit comme on voit par une énorme mortalité à tous les âges, et qui n’est égalée (et même surpassée avant 55 ans) que par une profession, qu’a priori on jugerait fort douce et favorable, les aubergistes et marchands de spiritueux ! C’est que l’alcoolisme est le pire ennemi, il ne dégrade pas seulement, il tue après avoir dégradé !
Ater [Mortalité des enfants légitimes et illégitimes. Cartes]
Mort-nés (les deux sexes pris ensemble) suivant les registres de l’état civil. Période 1856-1865
Carte LVII. Légitimes

Carte LVIII. Illégitimes

165Légende. Dans ces deux cartes comme dans toutes les précédentes, la teinte se fonce proportionnellement à la mortalité, et ici, au nombre relatif de mort-nés (sans distinction de sexe) dans leur rapport avec les naissances vivantes.
166Critique, addenda et conclusions. Nous avons déjà expliqué qu’en France comme en Belgique, les mort-nés de la statistique comprennent tous les enfants morts avant leur inscription sur les registres des naissances, et non, comme en médecine légale, ceux qui sont morts avant d’avoir respiré ; il résulte de là que les mort-nés selon l’état civil (au moins en ces deux pays) se divisent en deux catégories : les vrais mort-nés, au sens précis et médico-légal, et les faux mort-nés ayant respiré et morts dans le cours soit du 1er, soit du 2e ou du 3e jour (la loi française et belge accordant trois jours pour la déclaration de naissance, et certainement on en prend davantage quand l’enfant est agonisant). Nous avons dit dans nos cartes précédentes, et d’après les documents belges, la part de ces faux mort-nés ; elle est telle que 1 000 mort-nés déclarés se décomposent en 777 vrais mort-nés (791 dans les villes, 771 dans les campagnes) au sens médico-légal et 223 faux-mort-nés ; mais chez les légitimes ces deux nombres sont 770 et 230, et chez les illégitimes 800 et 200.
167Dans nos tableaux numériques nous avons dû accepter les mort-nés tels qu’ils sont dénoncés par les registres de l’état civil. Les rapports que nous donnons sont ceux qui existent entre les naissances vivantes (S0) et les mort-nés (dn). Il serait sans doute plus conforme aux autres rapports de la Démographie de comparer les mort-nés (dn) aux naissances générales, mort-nés compris (N, de sorte que S0+dn=N), selon la formule ; mais comme ce sont les survivants à l’accouchement (S0) qui sont donnés par les documents, l’usage du rapport des mort-nés au seules naissances vivantes, soit
, a prévalu. On peut se faire une idée de la différence qui en résulte et voir comment, par la formule
, on peut passer du second rapport au premier ; ou
du premier au second, sur le tableau ci-après. Il résulte de ces explications que l’on ne peut guère comparer les mort-nés en des pays soumis à des usages ou des législations si disparates : depuis les îles Britanniques qui ne relèvent pas leurs mort-nés ; la Grèce qui en inscrit moins de 2 par 1 000 naissances ; la Hongrie, moins de 10 ; l’Espagne, 13 ; l’Italie et l’Autriche, 21 à 22, tous rapports manifestement insuffisants et résultant d’une inscription fort incomplète ; nous dirons la même chose en France de la Corse qui sur 1 000 naissances légitimes annonce moins de 13 mort-nés ; de l’Ardèche qui n’en a que 13 ; de la Corrèze ; du Cantal et de la Creuse qui en trouvent 21 ou moins, etc. Et cependant on voit que la Suède, qui apporte un grand soin à l’inscription des vrais mort-nés, en dénonce encore 34 par 1 000 naissances vivantes ; la Norvège et le Danemark, 40 à 41 ; la Prusse et le Wurtemberg, 43 ; la Belgique, la Saxe, au moins 4665 ; et la Bavière dont la mortalité enfantine est considérable (voyez carte LIII) n’en annonce que 34,2 ; mais comment se fait-il que la Hollande en compte 54 ? quoiqu’elle prétende, comme les pays scandinaves et les pays germains, n’inscrire que les vrais mort-nés au sens médico-légal ? Enfin, en France, pourquoi la Savoie, la Meurthe, l’Ille-et-Vilaine, où ne se rencontre aucune grande ville, sont-ils toujours si chargés de mort-nés ? Pourquoi ?
168Accroissement. Les nombres relatifs des mort-nés ne cessent pas de croître en France (ainsi que dans toute l’Europe), comme le montre ce petit tableau :
Mouvement des mort-nés en France, 1846-1868 ; sur 1 000 naissances vivantes

169On remarquera que, de 1846-1868, tandis que les mort-nés hors mariage ont augmenté dans le rapport de 100 : 115, ceux survenus dans le mariage se sont accrus plus vite et dans le rapport de 100 : 126 ! La cause de cet accroissement est sans doute complexe, mais une des causes les plus manifestes, et que nous croyons principales, est le progrès de l’inscription ; c’est ainsi en France que des départements d’ignorance comme la Corse, l’Ardèche, etc., où l’inscription est encore si manifestement incomplète, rendent forcés des accroissements à venir.
Combien de mort-nés, 1° selon l’état civil en France (1856-1865), et 2° selon le sens médico-légal en Suède (1861-1865)

Résumé et conclusions
170Dans la succession des cartes et des tableaux précédents, nous avons suivi la mortalité par âges, par sexes, par état civil, etc., d’abord en chaque département, puis dans l’ensemble de la France. Cette analyse était indispensable pour la découverte d’un grand nombre de faits, mis en lumière par nos figures, mesurées avec précision par nos tableaux numériques, et succinctement formulés dans les notes qui l’accompagnent.
171Cependant il nous a paru que toutes ces remarques éparses gagneraient à être rapprochées et résumées dans des conclusions finales.
172C’est pourquoi, indépendamment de notre Introduction, destinée surtout à dire le but de ce travail et sa méthode de recherche et d’exposition, indépendamment de notre Table générale, très propre à donner une idée du champ et de l’étendue de nos investigations, nous avons cru devoir employer deux dernières feuilles à grouper les faits les plus saillants et à signaler leurs conséquences les plus certaines. Nous diviserons cette étude en trois paragraphes, suivant qu’elle porte ou sur les départements, ou sur la France dans son ensemble, ou enfin qu’elle résume nos conclusions les plus générales.
I. La mortalité étudiée par âges et par sexes en chaque département
173(Voy. la table et les cartes énumérées sous les paragraphes A ; Abis, Ater.)
a. Dissemblance étrange des départements
174Le fait le plus général et le plus important qui me paraît ressortir de l’analyse et de la comparaison des départements, ce sont les différences qui existent entre eux sous le rapport de la chance de mort à chaque âge, différences telles que, entre les moins frappés par la mort et ceux qui le sont le plus, le rapport de mortalité est souvent de 1 à 2, et quelquefois de 1 à 3 (de 1 à 5 ans). Oui, dans notre pays, si justement fier de son unité, il y a pourtant des départements qui, sur un même nombre de vivants, fournissent seulement un tribut mortuaire de 100, tandis que d’autres, quelquefois fort voisins, payent 200, et quelquefois 300 ! Ces différences formidables sont constantes ; elles se reproduisent chaque année, et l’on ne sait pas pourquoi ! Bien plus, on ne se doutait pas de leur existence !
b. Chances inégales pesant particulièrement sur les jeunes générations. – Conséquences
175Enfin l’étude de ces taux différentiels de la mortalité, poursuivie à chaque âge, amène à la découverte d’un fait plus grave encore, mais qui semble ouvrir une espérance meilleure à l’avenir : c’est que c’est surtout sur les enfants et sur les jeunes adultes, c’est-à-dire à un âge où la vie, si précieuse à la famille et à la patrie, a aussi le plus de ressort, que ces différences sont les plus marquées, les plus constantes ; au-delà de 60 ans, elles s’affaiblissent, de telle sorte qu’au lieu d’être, comme aux autres âges, environ de 100 à 200 et plus, entre les dix départements extrêmes, elles ne sont plus que de 100 : 164. Ce phénomène de mortalité inégale ne pourrait-il pas se traduire ainsi ? Avant 60 ans, ce sont les conditions de milieu, variables avec les localités, qui décident du taux mortuaire ; mais après cet âge, le funèbre tribut est tarifé par les conditions organiques et d’hygiène individuelle, très variables encore avec les individus, et aussi par leurs conditions d’aisance, ainsi que le prouve notre feuille LV et LVI de mortalité par groupes d’âges et de professions ; conditions variées, mais qui tendent à se compenser dans une collectivité un peu plus large. Or ces conditions individuelles ne peuvent être que difficilement atteintes par les mesures administratives. Elles ont leurs racines dans le passé soit des individus, soit des familles ; le passé est acquis, il ne se refait pas ; on peut seulement, par un long vouloir et une patience incessante, y mieux préparer les générations à venir. Au contraire, les conditions de milieu, qui déciment si inégalement les jeunes générations, tombent bien plus directement sous le pouvoir social : c’est là que les applications des sciences biologiques et démographiques sont appelées à communiquer une impulsion et une puissance toutes nouvelles à la prophylaxie et à l’hygiène publique, arts restés encore dans l’enfance, mais qui pourront un jour conserver aux familles tant de membres qui font leur espoir et leur force, et à la patrie ses défenseurs et sa richesse. Comment ! il existe des départements voisins, limitrophes, et pourtant si distants dans leur manière de se comporter devant la mort que, par exemple, à l’âge où la vie semble le plus solide, où elle est à son plus haut prix (car l’homme, enfin élevé, va indemniser la famille et la société), de 15 à 20 ans, voulons-nous dire, voici le Lot qui ne fournit à cette mortalité prématurée que 100 jeunes hommes, quand la Corrèze perd 271 jeunes gens de 15 à 20 ans, tandis qu’elle n’en perdrait que 162 si elle était soumise aux mêmes lois mortuaires que son voisin le Lot ! C’est, à chaque année, un supplément de 109 jeunes existences qui, au moment de produire, sont ravies au département.
176En estimant seulement le côté pécuniaire de cette perte (suivant le mode et les évaluations américaines) à 4 ou /LX/ 5 000 francs l’un, il en résulte un tribut de 4 à 500 000 francs qu’un de nos plus pauvres départements paye chaque année à la mort hâtive pour le seul âge de 15 à 20 ans !
c. Évaluation générale des prélèvements indus de la mort, tant en existences qu’en richesses
177Pour mieux faire ressortir quelles sont nos misères actuelles, et quels peuvent être nos progrès, étendons ces considérations aux vingt départements les plus décimés à chaque âge par la mort prématurée, et limitons provisoirement l’ambition de l’hygiène publique et de la prophylaxie à réduire leur tribut mortuaire si exagéré au taux de mortalité aujourd’hui moyen ; et cependant cette moyenne est encore bien supérieure aux nécessités organiques, dont le maximum est déterminé à chaque âge par les coefficients mortuaires des départements à moindre mortalité. Négligeons encore les âges un peu avancés, ne tenons compte que des réductions à obtenir avant la cinquantième année. Si donc, pour donner une idée, même affaiblie, des économies de vies humaines que la société, éclairée par la démographie et armée de l’hygiène publique, pourrait dès aujourd’hui se proposer de poursuivre et de réaliser, nous faisons le compte d’après les bases indiquées, nous trouvons :

178Ainsi, en supposant que les efforts conjugués de la prophylaxie et de l’hygiène n’aboutissent qu’à abaisser d’un degré la mortalité prématurée des départements, aujourd’hui décimés par un tribut double ou triple de la mortalité nécessaire, la France y réaliserait, chaque année, un profit de près de 50 000 jeunes existences ; ce serait un gain annuel capable de constituer, en peu d’années, une population supérieure à celle qui nous a été ravie par la conquête66.
179Si maintenant nous voulons apprécier, d’après la méthode américaine, la perte pécuniaire (seule évaluable en chiffres) que nous inflige cet excès de mortalité prématurée, et si, pour mettre tout au plus bas, nous estimions à 2 000 francs la valeur fiduciaire moyenne perdue par chaque décès prématuré avant la cinquantième année d’âge, nous trouverions une perte annuelle d’environ 100 millions de francs !
d. Mortalité anormale des jeunes hommes français
180Il s’en faut de beaucoup, cependant, que nous ayons compté toutes les pertes indues révélées par nos investigations. D’abord nous n’avons aspiré qu’à ramener à la mortalité, aujourd’hui moyenne, les vingt départements où la violence est le plus manifeste ; mais nous en avons omis vingt autres dont le taux mortuaire dépasse encore cette moyenne actuelle. Et pourtant cette moyenne elle-même est fort supérieure à la mortalité des dix départements qui n’en ont que le minimum, la seule que l’on puisse (au moins de notre temps) regarder comme la mortalité nécessaire. Nous avons fait une autre omission, dont il faut au moins signaler l’importance : c’est d’avoir négligé l’aggravation de la mortalité de nos jeunes hommes, manifestement anormale, car elle ne se rencontre guère que dans notre pays ; c’est celle que l’on voit dans nos tableaux XXXIII et XXXIV ; elle porte principalement sur les âges de 20 à 25 ans, pour la période 1857-1868, et elle est encore plus prononcée en 1840-1849 ; de telle sorte que dans notre pays, et dans notre pays seulement, se rencontre ce phénomène paradoxal, qu’un jeune homme de 22 ans court plus de risque de mourir dans l’année qu’un homme de 40 ans ! Si, en France, conformément aux prévisions de la physiologie et conformément à l’observation des pays cités, la mortalité croissait régulièrement, de 10-15 ans où elle est au minimum, jusqu’à 40 ans où elle va s’accélérer67, la part prélevée annuellement par la mort prématurée, sur nos jeunes hommes de 15 à 35 ans, qui est en réalité de 52 000 environ, ne serait que de 42 000 ; ainsi, à cet âge précieux, il y a, chaque année, environ 10 000 décès que ne justifient ni la biologie, ni l’observation des autres pays68 !
181/LXI/ On peut donc dire, un tribut mortuaire annuel de 10 000 jeunes hommes, non justifié par les fatalités organiques, dont il est vraisemblable que la connaissance des causes nous permettrait de nous affranchir, et dont, tout au moins, nous avons le devoir de poursuivre le dégrèvement !
e. Funestes effets des noces trop hâtives
182Quelque osées que puissent paraître ces vues, mon travail me permet déjà de prouver, au moins par un exemple, qu’elles n’ont rien de chimérique, et que l’on peut, dès aujourd’hui, en réformant une mauvaise loi, préserver chaque année plus de 172 jeunes hommes de 19 ans d’une mort prématurée, à laquelle notre ignorance les condamne. En effet, de 18 à 20 ans, la mortalité normale est de 6,7 décès par 1 000 vivants : en France il existe 4 000 jeunes hommes de cet âge déjà mariés, et qui, par le seul fait de ces noces hâtives, payent à la mort prématurée l’énorme tribut de 50 décès annuels pour 1 000 (voy. tableau LI et l’article « Mariage » cité [1874b]), soit, pour l’ensemble de ces précoces époux, environ 200 décès annuels, au lieu de 28 qu’ils fourniraient, si une loi inspirée par la science reculait un peu l’époque de cette énervante émancipation. Ainsi, dès aujourd’hui, il est au pouvoir du législateur, enfin averti par la Démographie, de supprimer une cause léthifère, et de sauver à coup sûr, chaque année, au moins 172 jeunes hommes de 10 à 20 ans ! Je dis au moins, car une plus fine analyse des documents, les relevés de décès par année d’âge, qu’il ne tient qu’à l’administration de se procurer, permettraient de préciser à quel âge, entre 15 et 20 ans pour les femmes, entre 20 et 25 ans pour les hommes, le mariage est dans des conditions d’innocuité ; le législateur aurait alors une donnée scientifique et un moyen certain de réduire encore la part de la mort due à ces voluptés trop précoces, et l’on peut dire illégitimes pour la nature, quoi qu’en ait décidé une législation non éclairée. La même connaissance fournirait aussi à l’opinion publique, aux mœurs, le moyen de revenir aux anciens usages de nos ancêtres, ces prétendus barbares, qui regardaient comme débauché, entaché dans son honneur et digne du mépris public, tout jeune homme qui s’abandonnait à la volupté avant 25 ans.
183Quoi qu’il en soit, voilà un exemple non douteux, où le législateur, en ne réglant pas la loi sur la science, a grossi le nombre des morts prématurées. Instruit aujourd’hui, son premier et impérieux devoir n’est-il pas de réformer une loi homicide (art. 144 et 145 du Code civil) ? N’est-il pas, à partir du jour où cette connaissance est publiquement acquise, responsable des morts hâtives qui proviennent de cette erreur ?
f. Diverses influences des saisons sur la mortalité, très variables selon les âges de la vie
184Cependant, ce travail ne sert pas seulement à préciser nos pertes ; il peut encore, par les influences qu’il révèle, jeter une vive lumière sur les causes léthifères, et par suite sur les mesures à prendre pour les affaiblir. Ainsi, notre étude de la mortalité suivant les mois de l’année (tableaux XXXVII à XLII) décèle plusieurs faits inattendus, celui-ci entre autres, que les chaleurs et les sécheresses de la fin de l’été et du début de l’automne (juillet, août, septembre et octobre) sont des plus redoutables à la première et à la seconde enfance (voy. tableau XXXVII). Or, en rapprochant de ce fait remarquable et si peu soupçonné la distribution non moins étrange de la mortalité selon les départements pour l’enfance de 1 à 5 ans (non celle de la première année de la vie, âge où les nocuités de l’industrie nourricière priment et masquent toutes les autres – voy. cartes II, V et VI), on constatera que les départements méridionaux, surtout les Méditerranéens, et notamment la Provence, sont le siège presque exclusif de la forte mortalité de cette enfance ; et l’on sera convaincu que rien n’est plus redoutable pour elle (après les nourrices mercenaires) que les sécheresses de l’été et de l’automne.
185On conçoit combien la découverte des causes de la mortalité excessive qui frappe cette aimable enfance de 1 à 5 ans, est de nature à éclairer l’hygiène publique et privée, et combien elle donne l’espoir de parvenir à diminuer ce tribut supplémentaire de 13 à 18 000 jeunes enfants qui, chaque année, nous sont ravis par surcroît69. En continuant cette même étude de la nocuité comparée des mois selon les divers âges, on découvre qu’aucun âge n’est entièrement soustrait à cette influence ; mais on trouve aussi que ce même été, ce même automne, si redoutables aux jeunes enfants, sont, avec juin, la bonne saison des âges avancés. Ces résultats ne sont pas sans conséquence, même pour l’hygiène privée ; ils prendraient une signification plus précise, et se traduiraient en un enseignement tout à fait pratique, si les documents permettaient de poursuivre cette recherche en chaque région climatérique de France et pour chaque catégorie professionnelle ; car il est peu probable que le citadin et le villageois, que le magistrat et le laboureur éprouvent de la même façon l’influence des saisons ; et nos tableaux, en séparant la mortalité mensuelle des citadins et des campagnards et celle du département de la Seine, ont déjà montré qu’il y a là des influences spéciales à étudier à part. /LXII/
g. Mortalité excessive des adultes dans quelques départements
186Cependant d’autres âges sont encore le siège d’une mortalité singulièrement aggravée ; les enquêtes locales pourront seules en éclairer le mystère. C’est ainsi qu’à tous les âges les adultes sont décimés hors de proportion dans le Limousin, dans la Bretagne, dans les Bouches-du-Rhône, le Var, la Corse, le Lyonnais, etc.
h. Parallèle des sexes
187Ayant étendu mon analyse à la mortalité comparée de chaque sexe, j’ai eu à signaler, à ce point de vue, des faits bien remarquables, les uns confirmatifs de lois déjà énoncées dans mes précédentes publications, telle est la mortalité toujours moindre des filles dans la première année de la vie, loi qui ne rencontre pas d’exception ; les autres tout à fait nouveaux, et par exemple, à ce même âge, la nocuité plus grande, pour les filles, des sécheresses de l’été, et plus grande, pour les garçons, des dangers de l’hiver et du printemps. Mais à l’autre extrémité de la vie, l’influence est inverse, et c’est, d’un côté la fin de l’hiver et le premier printemps qui sont surtout léthifères aux femmes âgées, et de l’autre les chaleurs de l’été, favorables aux deux sexes, le sont particulièrement aux vieilles femmes. Mais ce qui était le moins soupçonné, encore bien que plus prononcé, ce sont les différences constantes que présentent certaines régions, par exemple, la Haute-Loire, l’Aube, où se rencontre toujours une aggravation de la mortalité des petits garçons de 0 à 1 an (voy. cartes IX et XI), tandis que dans l’Indre l’aggravation pèse toujours sur les petites filles, etc., etc. Les âges adultes offrent ailleurs des faits de même ordre : d’un côté la Corse, le Var, les Côtes-du-Nord, la Manche, l’Eure, où prédomine presque à tous les âges la mortalité du sexe masculin ; de l’autre côté, Vaucluse, la Drôme, l’Ardèche, la Lozère, surtout les Basses-Alpes, où prédomine, presque à chaque âge aussi, la mortalité féminine !
i. La loi des compensations ne règle pas les dissemblances de la mortalité de chaque âge, en chaque département
188Au point de vue des dangers de mort qui se succèdent à chaque âge, plusieurs faits singuliers et d’une haute importance théorique et pratique sont mis à jour. Il y a des départements, comme les Bouches-du-Rhône, l’Ardèche, qui, après avoir été funestes à tous les âges antérieurs, deviennent tout à coup favorables aux vieillards ; il y en a d’autres, comme Indre-et-Loire, la Gironde, qui, peu léthifères jusqu’à 60 ans, le deviennent au plus haut point après cet âge !
189Des esprits pressés de théorie, ou des partisans de la doctrine des compensations, verraient-ils dans ces alternances la manifestation d’une loi générale, nécessaire ? Cette généralisation trop hâtive sera réfutée par les départements assez nombreux qui n’ont, à tous les âges, qu’une mortalité des plus faibles, tels que l’Aube, les Ardennes, les deux Marnes et surtout la Haute, l’Yonne, l’Eure, et Eure-et-Loir après la dixième année, etc. ; et par d’autres qui ont le malheur de retenir à tous les âges une mortalité formidable, tels que les Hautes-Alpes, la Corrèze, la Loire, la Haute-Vienne, la Seine, le Finistère, etc.70
j. Mortalité comparée des époux, des célibataires et des veufs
190Notre analyse de la mortalité selon l’état civil en chaque département (cartes XLV à L) pourrait aussi donner lieu à des remarques curieuses, aujourd’hui sans explication, mais peut-être appelées à un haut enseignement quand nous pourrons poursuivre l’investigation en chaque profession et chaque cause de décès. Nous renvoyons aux notes qui accompagnent ces cartes. Mais nous prions le lecteur d’arrêter son attention sur les tableaux LI et LII, qui résument, pour la France entière, la puissante influence de l’état civil, c’est-à-dire de l’état de mariage, de célibat et de veuvage, sur les chances respectives de vie et de mort qui incombent à chaque âge pour chacun de ces trois groupes.
191Elle est tellement prononcée, l’heureuse influence du foyer conjugal, que sur les 2 116 680 célibataires hommes âgés de plus de 25 ans (dont 1 794 250 âgés de moins de 50 ans) existant en France (1856-1866), et y subissant, à chacun de leurs âges respectifs, les chances de mort propres à leur état civil, il se produit annuellement environ 37 690 décès (dont 22 060 – ou 0,59 – âgés de moins de 50 ans), si ces célibataires n’étaient tributaires, à chaque âge, que de la mortalité propre aux époux ; – soit une économie annuelle sur la mort de 13 000 hommes (dont 9 000 au-dessous de leur 50e année) si par impossible tous ces célibataires étaient amenés à troquer leur vie isolée et malsaine contre les salutaires soucis de la vie conjugale71 ! Et il s’en /LXIII/ faut certainement de beaucoup que ce profit fût le seul pour la nation ! Quand donc les enquêtes statistiques nous fourniront-elles les documents nécessaires pour évaluer la différence du travail fructueux de ces deux groupes d’état civil, sous les deux formes qu’il revêt : création d’un capital ou d’une œuvre durable, et celle d’une progéniture ? Si l’on en juge par l’ensemble des faits connus (voy. la monographie de l’auteur sur le « Mariage » ), on peut craindre que le premier produit ne soit, ni en qualité ni en quantité, supérieur au second.
192Si j’ajoute ici que les aptitudes à la folie, au suicide et au crime, se conduisent comme la mortalité, qu’elles pèsent moins lourdement sur les époux que sur les célibataires ; enfin si je rappelle que la seule exception à l’influence si énergiquement protectrice du mariage est celle des jeunes gens qui deviennent époux avant leur vingtième année (et sans doute aussi avant leur vingt-deuxième ou vingt-troisième année), jeunes hommes qui, pour avoir usé de la mauvaise loi autorisant le mariage prématuré, multiplient par sept leur chance annuelle de mort, et prennent à 19 ans la mortalité des vieillards de 70 ans ! on conviendra que les résultats de ces études, et que les tableaux qui les mettent en pleine lumière, ne sont pas indignes des méditations du législateur.
k. Mort-nés
193Je mentionne seulement les cartes LVII et LVIII se rapportant aux proportions des mort-nés légitimes et illégitimes, et la note où la France est comparée aux autres pays sous ce rapport. Le fait le plus considérable sur lequel j’attire l’attention est moins l’extrême différence que présentent à ce point de vue nos départements (différence qui tient à des causes trop complexes), que les divergences singulières qu’offrent quelques autres, tels que la Garonne, l’Hérault, qui, placés au-dessous de la moyenne par le nombre de leurs mort-nés légitimes (39 à 40 mort-nés par 1 000 naissances vivantes), sont parmi les plus chargés de mort-nés (119 à 154) pour leurs naissances illégitimes ! Il est manifeste que des faits si anormaux ne sauraient être expliqués par des causes physiologiques, ou ethniques, ou géographiques !
II. Conclusions relatives à la France prise dans son ensemble
194(Voy. la table les tableaux énumérés sous les paragraphes B et Bbis.)
195Dans les pages précédentes (paragraphes d, e, f et j), pour mieux mettre en évidence certaines influences de la mort prématurée, nous avons déjà rapproché la mortalité par département de la mortalité générale. – Il nous reste à signaler d’abord ce qui a trait à la mortalité générale par âges et par sexes, telle qu’elle est figurée dans les tableaux XXXV, XLIII et XLIV pour la première année de la vie, et dans les tableaux XXXIII et XXXIV pour tous les autres âges.
a. Mortalité anormale, considérable et croissante de l’enfance
196En ce qui concerne la première année de la vie, nos résultats sont très remarquables et très graves ; mais, nous l’avouons, vu leur nombre, ils sont trop resserrés dans les deux seules feuilles que nous leur avons consacrées. Nous avons déjà remarqué que la mortalité de la première enfance s’était sensiblement et régulièrement accrue de 1840-1849 à 1857-1866. Les tableaux XLIII et XLIV, fig. 1, 2 et 3, montrent qu’elle dépasse de beaucoup la mortalité des petits enfants suédois. Cette comparaison met encore en lumière un trait singulièrement accusateur de la négligence de nos campagnards à l’égard de leurs nouveau-nés. En Suède (il est vrai que l’instruction élémentaire y est universelle), la classe rurale est celle qui conserve le mieux ses enfants ; c’est le contraire chez nous ! Nos enfants, dans les premiers mois de leur existence, ont la vie plus assurée dans les villes que dans les campagnes. Mais c’est surtout pour les enfants illégitimes que cette nocuité des campagnes est extrême. Sous ce rapport, et sous plusieurs autres (signalés dans nos notes), nous ne saurions trop recommander à l’attention du législateur, du moraliste, du philosophe, les tableaux sus-indiqués, révélateurs de faits fort imprévus et fort graves.
197Nos tableaux XLIII et XLIV, dans lesquels est comparée la mortalité de six groupes d’âges de la vie en France et dans les principaux pays de l’Europe, montrent que notre nation occupe un rang assez médiocre (environ moyen) en ce qui touche la vitalité de nos nouveau-nés, meilleur pour nos adolescents, décidément mauvais pour la conservation de la vie, si précieuse, de 15 à 30 ans, mais décidément bon après cet âge.
b. Absence fâcheuse des relevés mortuaires par profession
198Cependant, l’investigation par excellence, au point de vue de l’hygiène et de la prophylaxie publique et privée, résiderait dans l’étude de la mortalité séparément pour chaque groupe d’âges et de professions ; l’hygiène tout entière des professions (c’est-à-dire de tout le monde) requiert pour première base cette étude comparative et détaillée. Pourquoi faut-il qu’une si nécessaire et si simple enquête nous manque absolument en France ? Il ne serait cependant pas difficile de relever les professions des décédés en même temps que leur âge.
199Ne pouvant montrer avec des documents français l’importance d’une telle enquête, nous avons essayé de le faire avec des documents anglais dans nos tableaux (par erreur on a écrit cartes72) LV et LVI. Nous prions le lecteur de considérer surtout la colonne qui s’applique à l’âge de 35 à 45 ans, à cet âge que l’on peut regarder comme l’apogée de la vie, et où l’activité de la profession et par suite son influence sont à leur maximum. Nul récit ne manifeste aussi vivement les nocuités relatives des professions : la douceur des unes, comme la magistrature et la prêtrise (le prêtre anglais est époux), et les tribulations des autres, les fatigues diurnes et nocturnes, avec les contagions morbides pour les médecins, – le farniente mauvais conseiller pour les hauts rentiers, – les insalubrités de la vie et du travail de l’atelier pour les ouvriers, – les dangers et les méphitismes du travail souterrain pour les mineurs, – enfin, et par-dessus tout, nocuité plus funeste que les excès du travail et du plaisir, que l’air impur des manufactures et des houillères, plus meurtrière que la misère même, à savoir les redoutables séductions de l’alcool pour les paisibles débitants de spiritueux ! Devant l’éloquence d’un pareil enseignement, devant les conclusions aussi imprévues qu’inéluctables qu’il sollicite, et les foudroyants arguments qu’il fournit à la moralité publique, il nous semble qu’une pareille enquête s’impose pour l’instruction des hommes, au point de vue des mœurs non moins que de l’hygiène.
III. Conclusions générales
200De l’ensemble de ces faits, il résulte avec évidence que, dans notre société française, la mort prématurée fait de nombreuses victimes, que n’expliquent ni la faiblesse, ni les imperfections de nos organismes, ni les sévices de la guerre, ni les fatalités invincibles. Sans doute il faut faire une part moyenne et même large à toutes ces causes léthifères, qui, de nos jours, quoiqu’agissant avant le temps, doivent pourtant être dites de force majeure. Mais cette part étant faite, il reste encore un gros tribut mortuaire, que ne légitime et que n’explique aucune de ces cruelles nécessités. Une telle défaillance de la vie française est due à notre incurie encore plus qu’à notre ignorance, à nos lois inintelligentes, à nos mœurs inharmoniques, à nos milieux malsains, toutes conditions funestes et absolument inférieures à notre état scientifique. Et j’ai montré que ce tribut, aussi humiliant que douloureux, pèse principalement sur les jeunes générations, espoir du lendemain, et sur les âges de vigueur et de fécondité, force et richesse d’aujourd’hui !
201Sans doute il serait insensé de croire que, de notre temps, il fut possible de supprimer toutes les causes de mort prématurée ; mais il serait aussi absurde et beaucoup plus préjudiciable de prétendre que nous n’en pouvons supprimer ni amoindrir aucune !
202Or nous avons montré que plus de 50 000 de ces décès annuels sont en excédant de toutes les nécessités ; qu’il en est qui sont déterminés par de mauvaises institutions (nourrices mercenaires) ; d’autres par des causes de milieux toutes locales qu’il faut déterminer (Limousin, Bretagne, etc.) ; d’autres par des lois condamnables (pronubium) qu’il appartient au législateur de réformer ; d’autres par de mauvaises mœurs – le grand nombre de célibataires adultes dont nous avons démontré l’énorme mortalité – qu’il incombe à l’opinion et au législateur de modifier. Toutes ces constatations fournissent des indications précieuses sur les voies et moyens à employer pour diminuer, pour circonscrire l’ouverture béante où s’engloutissent nos jeunes générations, et avec elles le fruit le plus cher comme le plus précieux de notre travail quotidien !
203Que notre pouvoir législatif, qui a pour mission toute spéciale d’alléger, d’épurer les charges qui pèsent sur la nation en supprimant les budgets non justifiés, s’applique à nous décharger du plus désastreux, celui que nous payons indûment à la mort prématurée ; qu’il réforme les mauvaises lois pourvoyeuses de ce funèbre budget ; qu’il supprime les mauvaises institutions, ou tout au moins qu’il limite et règle celles qu’il ne peut supprimer ; mais surtout qu’il ordonne des enquêtes propres à l’éclairer sur les causes léthifères qui atteignent cette précieuse jeunesse ; enfin qu’il censure les budgets de la mort avec non moins de sévérité que ceux de l’État. Car si tous n’admettent pas avec nous que l’on peut, dès aujourd’hui, diminuer de plus d’un dixième le tribut des morts prématurées, nous ne croyons pas qu’il y ait des esprits éclairés qui, après avoir parcouru ce travail, refusent d’admettre qu’on puisse en alléger le poids.
204Que si des hommes hostiles à toute nouveauté repoussent cette intromission du pouvoir législatif dans les questions d’hygiène et de prophylaxie publique, rappelons-leur que l’un des plus anciens législateurs, et en beaucoup de points l’un des plus positifs, Moïse, a le premier donné ce grand exemple, beaucoup trop oublié de nos jours, de faire de l’hygiène l’objectif principal de la législation. D’ailleurs je constate avec joie que notre Assemblée nationale actuelle (1874), toute troublée qu’elle est par ses divergences politiques, entre dans cette voie féconde, en préparant une loi protectrice de la vie, quoiqu’elle limite aujourd’hui cette loi à la première enfance. C’est une première étape, à laquelle la Démographie n’aura pas été étrangère, puisqu’une reproduction de notre carte concernant la distribution de la mortalité de la première enfance entre comme pièce justificative dans l’œuvre si remarquable du rapporteur, M. le docteur Th. Roussel, qui sert de base à la loi projetée. Nous espérons que ce n’est là qu’un premier pas et une prise de possession de la prophylaxie et de l’hygiène publique par notre pouvoir législatif. C’est certainement un éclatant exemple des services que peut et doit rendre la Démographie, appliquée avec discernement aux progrès des lois et des mœurs.
Annexe
Bulletin de souscription à La démographie figurée de la France
205Monsieur,
206Le gouvernement des hommes ne saurait échapper à la loi commune. De même que la métallurgie s’inspire surtout de la physique et de la chimie ; que la médecine a pour base et pour guide la biologie ; de même enfin que toute pratique des choses doit aujourd’hui être appuyée sur une ou plusieurs sciences d’observation, de même le gouvernement des hommes doit aussi s’inspirer, et des études historiques qui montrent plus particulièrement les évolutions politiques des sociétés humaines, et de la connaissance intime de l’état actuel des peuples et de leurs mouvements intestins. C’est sous ce dernier rapport que cette branche de la statistique appliquée à l’étude des peuples, qui fut appelée d’abord populationistick par les Allemands73, et qui est connue aujourd’hui sous la dénomination plus heureuse de Démographie, se recommande à nos Savants ainsi qu’à nos Législateurs et hauts Conseillers comme la base la plus solide des sciences économiques et sociales, et notamment de l’hygiène publique.
207C’est même en démontrant ce dernier côté de la Démographie que j’ai pu, par mes travaux antérieurs, la faire accepter comme une science accessoire de la médecine, et qu’une place importante lui a été accordée dans la publication médicale la plus importante de notre siècle : le Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, en cours de publication (les articles « Acclimatation », « Autriche », « Bavière », « Belgique », « Grande-Bretagne »… « Mariage », entre autres, peuvent dès aujourd’hui donner une idée de l’importance de ces laborieuses monographies).
208Déjà en 1864, MM. Littré et Robin me priaient d’introduire dans leur excellent Dictionnaire (dit 12e édition de Nysten [1865h]) un ensemble d’articles : « Démographie », « Mariage », « Mortalité », « Natalité », « Population », « Statistique », « Table de mortalité », « Taille et poids », « Vie moyenne et vie probable », pouvant donner de cette science une idée sommaire, en rapport avec la concision de leur publication.
209Enfin, Monsieur, depuis vingt ans, l’objet de mon ambition et de mes constantes méditations a été de contribuer à fonder cette science de l’être collectif, qui est à la collectivité ce que l’anatomie et la physiologie sont à l’individu, et d’en faire une branche importante et féconde du savoir de ceux qui ont l’humanité pour objet. Je pense notamment, d’un côté à nos législateurs, à nos hauts conseillers et administrateurs, et de l’autre à nos médecins. Aux premiers, la Démographie fournira des bases vraiment scientifiques qui manquent trop souvent à leurs déterminations ; aux seconds elle offrira toute une série de faits généraux qui étendra singulièrement leur autorité en hygiène publique.
210J’ai déjà réussi à faire entrer la Démographie dans des publications biologiques de premier ordre ; j’ai pu encore, par des communications réitérées et toujours reçues avec faveur, y intéresser les corps savants et notamment l’Académie de médecine.
211Cependant, Monsieur, si, comme science accessoire aux études médicales, j’ai pu obtenir ces succès en faveur de la Démographie, ne puis-je espérer un accueil au moins aussi favorable quand je la présente, comme aujourd’hui, à ceux pour qui elle n’est plus une science accessoire, mais principale ? C’est ce qui m’inspire l’espoir, Monsieur, que vous voudrez bien me prêter votre aide pour faire un pas de plus, mais décisif, si j’y réussis.
212Mon objet est, en effet, de vulgariser cette science à laquelle a fait tort le langage exclusivement chiffré dont elle s’est servie jusqu’à présent. Pour y parvenir, j’ai projeté, j’ai commencé une grande publication, la Démographie figurée, dans laquelle je me suis efforcé de rendre toute quantité simultanément, et par son expression numérique, et, soit par des teintes graduées, soit par des surfaces, soit par des longueurs ou des courbes, … quelquefois même par des couleurs74, enfin par un ensemble de figures qui parlent d’abord aux yeux et qui, par la spontanéité et la rapidité des impressions, soulagent l’attention. Mais ce mode d’expression a un avantage plus précieux encore : avec la notation chiffrée on ne trouve guère que les rapports que l’on cherche, parce qu’on les a soupçonnés a priori, tandis que la représentation figurée permet, par la presque simultanéité de la lecture, de saisir des rapports éloignés, inattendus, qui sautent aux yeux et qui sont nouveaux justement parce que, n’ayant pas été soupçonnés, ils n’avaient pas été essayés. On en verra un exemple bien frappant dans la carte II du spécimen ci-joint, par le rapport qu’on y découvre entre les départements à mortalité rapide de 1 à 5 ans et le littoral méditerranéen. On en découvrira d’autres dans la mortalité comparée et figurée des époux, des célibataires et des veufs, que provisoirement, dans ce spécimen, j’ai fait imprimer sur le verso75.
213Je ne puis cependant, Monsieur, donner suite à cette publication dont le sommaire est au verso du spécimen ci-joint, et dont une grande partie, déjà prête, est dans mes cartons, sans m’être assuré le concours d’un assez grand nombre de souscripteurs pour couvrir mes frais généraux.
214Si donc mon entreprise vous paraît digne d’être encouragée, si elle vous intéresse assez pour que vous vouliez bien m’apporter votre concours, au moins par votre souscription, j’en serai aussi heureux qu’honoré, et mes travaux vous devront, Monsieur, ce qui seul peut les rendre fructueux, le grand jour de la vulgarisation, la vraie publicité, la publicité féconde.
215Agréez mes civilités,
216Dr BERTILLON
217Lauréat de l’Institut, lauréat de l’Académie de médecine, vice-président de la Société d’anthropologie, membre correspondant de la Commission centrale de statistique belge, membre de la Société de statistique de Paris, etc.
218Paris (24, rue Gay-Lussac)

Notes de bas de page
1 La démographie figurée de la France, ou étude statistique de la population française, avec tableaux et graphiques traduisant les principales conclusions. Mortalité selon l’âge, le sexe, l’état civil, etc., etc., en chaque département et pour la France entière comparée aux pays étranger, Paris, Masson, in-folio, 68 pages, 58 cartes ou tableaux (1874a).
2 Le mot « diagramme » apparaît sous la plume de Bertillon dans l’annuaire statistique de la ville de Paris (1881a, p. 160s).
3 Un autre cas marquant est celui des Ouvriers européens de Frédéric Le Play, qui met au cœur de chacune de ses monographies un tableau représentant, sur chaque double page de 68 × 52 cm, l’ensemble du budget d’une famille, les recettes figurant à gauche et les dépenses à droite (Le Play, 1855). L’atlas d’André-Michel Guerry, Statistique morale de l’Angleterre comparée avec la Statistique morale de la France, atteint des dimensions encore plus importantes, qui contribuent à en faire une publication très confidentielle (Guerry, 1860). Jacques Bertillon dirigera un Atlas de statistique graphique de la ville de Paris qui connaîtra deux éditions, en in-folio puis in-quarto (Bertillon J., 1889b ; Bertillon J., 1891b).
4 « Père suscita une de ces odieuses discussions d’argent, qui eut pourtant un bon résultat : il me concéda 5 francs par mois pour indemnité d’omnibus, et autres dépenses de locomotion » (28 octobre 1872 ; Jacques Bertillon allait atteindre sa majorité quinze jours plus tard ; Bertillon J., 1872, p. 39-40). Mais ailleurs dans ce journal intime, Jacques Bertillon reconnaît que son père doit faire face à de lourdes charges, tenant notamment à l’éducation de ses trois fils (Archives Bertillon, JB 1872-1). Jacques ne quittera le domicile parental qu’à l’âge de 28 ans (Soresina, 1996, p. 84).
5 Carte figurative et approximative de l’importance des ports maritimes de l’Empire français, 15 janvier 1859 (cité par Palsky, 1996, p. 127). Minard est l’un des pionniers de la cartographie des flux, après le Britannique Henry Harness (Palsky, 1996, p. 112s). Funkhouser le décrit comme « le Playfair français » (Palsky, 1996, p. 138). Dans son ouvrage The Commercial and Political Atlas and Statistical Breviary, l’Écossais William Playfair (1759-1823) publie des diagrammes et des graphiques représentant des séries chronologiques qui lui valent d’être étiqueté par Funkhouser comme « le père de la méthode graphique en statistique » (Playfair, 1786 ; Funkhouser, 1937, p. 273, cité par Palsky, 1996, p. 53-58).
6 Bodio et Messedaglia, 1880 ; Lexis, 1878, p. 448-449 (graphiques transposés en couleurs dans Bertillon J., 1879b, p. 470) ; Lexis, 1880, p. 302 ; pour une recherche approfondie sur la paternité du diagramme dit de Lexis, voir Vandeschrieck, 1992.
7 Francis A. Walker rend compte en 1874 des résultats du recensement de 1870 aux États-Unis (Walker, 1874), et L.-A. Bertillon, du recensement de 1876 en France (1881a, diagramme 4, face p. 160). Dans La population française, Émile Levasseur, comme Walker, fait figurer les hommes à gauche et les femmes à droite ; il a recours tantôt aux lignes obliques (Levasseur, 1891, p. 262), tantôt aux histogrammes avec des contours à angle droit (ibid., p. 271s).
8 Dupin, 1827 (voir Chartier, 1992) ; Guerry, 1833, p. 45 (cité par Bertillon, 1856c) ; D’Angeville, 1837.
9 Palsky, 1996, p. 96-98 et 178-191 ; Malgaigne, 1840 ; Boudin, 1851 ; Broca, 1860b ; Broca, 1871. Cf. aussi le chapitre 20 dans le présent ouvrage.
10 Toutes les cartes de l’atlas incluent les départements alsaciens et lorrains perdus à la suite de la défaite contre la Prusse, même lorsque les données sont manquantes parce que la date d'observation est postérieure à 1870.
11 Voir la carte VII et les suivantes. La formule de la carte à écusson sera reprise par Jacques Bertillon, qui la rendra plus chargée encore en traçant des doubles écussons et en modulant leur taille (Bertillon J., 1885, p. 485).
12 Voir Robinson, 1950, ainsi que la présentation du chapitre 8 du présent ouvrage.
13 Les effectifs de la population répartie par âge, sexe et département, publiés par la Statistique de la France à partir de 1851 pour les recensements et de 1856 pour les décès, peuvent être entachés de coquilles et d’erreurs de calcul. Noël Bonneuil en a repéré un assez grand nombre, mais parmi les correctifs apportés, rares sont ceux d’une ampleur significative qui portent sur les années prises en compte par Bertillon ; l’un des plus massifs concerne la Dordogne lors du recensement de 1866 (les hommes de 30 à 35 ans sont au nombre de 16 883 et non de 1 883 ; Bonneuil, 1989, p. 832), mais les taux de la carte XXIV de la Démographie figurée ne sont manifestement pas calculés sur la base de l’effectif erroné.
Dès 1857, Bertillon lui-même relevait trois sources d’erreurs affectant les recensements de population : omission de nouveau-nés et d’enfants, âges arrondis à des multiples de 5 et de 10, et omission d’hommes d’une vingtaine d’années cherchant à échapper à la conscription (1857a, p. 62-63). Étienne van de Walle, puis Nicolas Bonneuil, ont effectué un très ample travail de reconstruction des effectifs de la population féminine au xixe siècle, par modélisation et lissage des effectifs publiés autrefois (van de Walle, 1974 ; Bonneuil, 1997). Le présent travail étant centré sur Bertillon plus que sur l’histoire de la population française, nous ne nous sommes pas lancés dans l’entreprise consistant à refaire les cartes de La démographie française à partir d’effectifs corrigés.
14 Dans la réédition, en 1969, de L’essai statistique sur la population française, les appariements sont mal restitués du fait d’un décalage dans la pagination : au lieu de se faire face sur une même double-page, les cartes à comparer occupent le recto et verso d’une même feuille (d’Angeville, 1836).
15 1870d, p. 37 ; dans La démographie figurée elle-même, Bertillon omet de rappeler ce qui fait l’intérêt majeur de ses grandes doubles pages.
16 Bertillon J., 1902, p. 295. Jacques Bertillon distingue cette fois treize groupes de départements, classés non plus par rangs mais par tranches de 15 millièmes, et par quotients de mortalité (cf. la carte IV de Louis-Adolphe Bertillon).
17 Pour la France entière, le quotient de mortalité des enfants de moins d’un an passe de 160 à 178 ‰ de 1840-1849 à 1857-1866 (1874a, cartes III et IV) ; voir aussi Jacques Bertillon, 1902 (p. 290) : en 1840-1849, le taux de mortalité est de 160 ‰ ; en 1853-1856, 168 ; 1857-1866, 178 ; 1867-1869, 179 ; 187-1871, 212 ‰.
18 Voir les « tableaux » XXXII, XXXIII, XLIII, XLIV, LIII et LIV, ainsi que les « cartes » LI, LII, LV et LVI.
19 1875c, p. 728-729. La planche suivante (XXXV-XXXVI) est reprise elle aussi dans le DESM, p. 744-745. Les commentaires de ces deux planches occupent une quinzaine de pages de la notice « Mortalité », au format in-octavo.
20 Sur la double page, Bertillon désigne ses graphiques comme les « cartes » LI et LII alors que, dans la table des matières, il parle des « tableaux » LI et LII ; il ne s’agit pourtant ni de cartes ni de tableaux, mais de diagrammes ou de « tableaux figurés », comme il est dit ailleurs à propos d’autres planches.
21 https://nakala.fr/collection/10.34847/nkl.0a389e64, LAB-1874-2 (https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.34847/nkl.cdeb5j9x). Les feuilles du classeur Excel sont numérotées comme les tableaux de La démographie figurée : L’annexe en ligne LAB 2022-1 réorganise les mêmes informations en vue de l’établissement des figures numérisées.
22 Bibliothèque numérique de Sciences Po :https://archive.org/details/BERTILLON.
23 [Pour Ernst Engel, la démologie n’était pas tant une appellation concurrente de la démographie qu’une discipline aux ambitions plus générales, pouvant être définie comme la statistique appliquée à l’étude des peuples (voir Labbé, 2006).]
24 [Les cartes et tableaux sont datés : I à IV, 1871 ; V à XXX, 1872 ; XXXI à XLVI, 1873 ; XLVII à LVI, 1874 ; LVII et LVIII, 1872.]
25 La reproduction des cartes et des diagrammes a été réalisée par Yannick Savina.
26 [Cette page de l’atlas comporte, outre la carte I et le commentaire intitulé « Nota », un tableau rangeant les départements par mortalité croissante. Comme indiqué dans la présentation de ce chapitre, nous ne le reproduisons pas ici et renvoyons à l’annexe en ligne LAB-1874-2. Ce tableau figure en outre au chapitre 16, p. 383, en regard de la carte présentée par Bertillon à la commission parlementaire qui préparait la loi Roussel.]
27 Voyez les notes de la 3e série.
28 Le département du Rhône occupait dans le principe le 9e rang, maintenant vacant, parce que les éléments de sa mortalité nous ont paru trop incertains.
29 [Voir le tableau des taux de mortalité dans l'annexe en ligne LAB-1874-2 (https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.34847/nkl.cdeb5j9x).]
30 Voyez les notes de la 3e série. [Voir plus loin la partie « Résumés et conclusions ».]
31 [La carte IV est la seule de tout l’atlas où les départements sont répartis en huit classes, et non en neuf.]
32 [Les "colonnettes" de chiffres sont consultables en ligne, annexe LAB 1874-2.]
33 [Carte identique à la carte II.]
34 [Dix-huit années, en fait.]
35 [Nous rectifions deux petites erreurs de Bertillon, qui met deux départements au 16e rang et qui, ayant mal classé l’Yonne, décale d’un cran une dizaine de départements, du 66e au 77e rang. Ces changements ne modifient pas la répartition par groupes de teinte.]
36 [Sur son exemplaire de travail, Bertillon a rayé « mortalité » et écrit à la place « dîme » ; des astérisques signalent plus loin les autres endroits où il a effectué le même remplacement.]
37 [Les tableaux correspondant aux cartes IX et X sont accessibles en ligne (collection Nakala LAB-1874-2).]
38 [Sur son exemplaire de travail, Bertillon a corrigé l'indice de l’Allier, 124 au lieu de 119, par suite, ce département passe au n°88, et l’Aube rétrograde au n° 87.]
39 [Voir l'annexe en ligne LAB-1874-2.] .
40 En effet, dans les tableaux numériques et récapitulatifs qui paraîtront à la suite de nos cartes figuratives de la mortalité, nous donnerons aussi les chiffres de la mortalité absolue de chaque sexe, à chaque âge ; on y verra que, de 5 à 10 ans, la mortalité annuelle des garçons est de 8,45 décès par 1 000 vivants, et celle des filles de 8,86 ; qu’à l’âge de 10 à 15 ans, la mortalité des garçons est 5,025 et celle des filles de 6,01.
41 [Ce dernier paragraphe concerne un tableau qui est ici rejeté en annexe (LAB 1874-2).]
42 [Les départements à fond noir sont en fait au nombre de douze.]
43 [Voir l’annexe en ligne LAB 1874-2.]
44 [Voir l’annexe en ligne, https://nakala.fr/collection/10.34847/nkl.0a389e64, LAB-1874-2, feuille XXXII].
45 Ces hauteurs étaient précises sur le papier encore humide, mais la sécheresse a contracté le papier et leur a fait perdre environ 1/20e [Les dimensions du diagramme sont ici les 2/5e de celles de l'original (18 mm sont ramenés à 7 mm environ].
46 [Ce changement d’échelle permet à Bertillon de mettre en relief la « bosse de surmortalité » (Remund et al., 2021) qui s’observe sur les jeunes adultes, notamment de sexe masculin.]
47 [Le nombre de décimales, variable chez Bertillon, a été ramené à un.]
48 Nota. Au-delà de 90 ans, les nombres nous ont paru trop faibles (les irrégularités mensuelles en témoignent) pour qu’il soit utile de figurer graphiquement la distribution des sexes.
49 [Voir plus haut, dans la table de La démographie figurée, les addenda et errata apportés par L.-A. Bertillon aux commentaires des tableaux XLIII et XLIV.]
50 La hauteur de ces colonnes, au moins en chaque travée, est proportionnelle au temps, avec cette restriction que, dans la figure 4 où pour chaque âge ou groupe d’âge, deux colonnes adjacentes représentent l’une la France l’autre la Suède, celle-ci est moitié en largeur de celle-là.
51 [Le signe « : : » indique ici l’équivalence entre les rapports 21/12,3 et 100/59 pour la Suède, 38/23 et 100/82 pour la France.]
52 [Sur son exemplaire de travail, Bertillon introduit des corrections à propos des taux de mortalité pour la France aux 2e et 3e mois : il écrit que « campagne et ville sont au même niveau », la campagne étant 18,88 et non 19,2 ‰, la ville à 18,97 et non 17,6 ‰.]
53 D’ailleurs on a vu par notre table de mortalité (tableau XXXIV) que la mortalité variait assez peu de 15 à 40 ans, ainsi quelques différences dans l’arrangement des célibataires dans cette période d’âge auraient fort peu d’influence.
54 [Rappelons que le plan d’ensemble de La démographie figurée prévoyait que la section B – dynamique démographique – comporterait quatre séries : nuptialité, natalité, mortalité et migrations.]
55 [Les rangs des départements selon les taux de mortaité des célibataires, des mariés et des veufs figurent dans l'annexe en ligne LAB 1874-2.]
56 [Autrement dit, la mortalité des garçons (14,34) est à celle des époux (17,85) ce que 100 est à 124,4 ; et de même celle des filles (13,4) est à celle des épouses (15,82) ce que 100 est à 118.]
57 [Rappelons que la 2e série de la Démographie figurée de la France, non parue, devait porter sur la natalité.]
58 Bertillon a tenté d'inclure l’Autriche dans le champ de son étude. Le 30 juillet 1873, il a écrit au docteur Flicker, directeur de la Statistique administrative en Autriche : « Monsieur le Directeur, Votre honorable prédécesseur, M. le baron de Czoernig, a eu plusieurs fois l’obligeance, pour m’aider dans les publications dont je suis ici chargé, de m’envoyer plusieurs des publications (ci-après désignées) concernant la statistique de population des États d’Autriche-Hongrie. Ayant actuellement à rédiger les importants articles « Mortalité », « Population » et « Natalité », pour la grande Encyclopédie des sciences médicales dont je vous envoie quelques spécimens (parmi lesquels je vous signale l’article « Mariage », qui a eu en France quelque retentissement – j’ai envoyé autrefois, 1867, l’article « Autriche » de la même encyclopédie à M. de Czoernig, malheureusement il ne m’en reste plus), je viens vous demander si vous pourriez m’accorder la même faveur que votre prédécesseur en mettant à ma disposition les plus récentes publications de votre direction – voici celles que je dois à l’obligeance de M. de Czoernig […]. Il y a encore des cahiers (Hefte) comme un 8e Heft contenant les établissements de santé et de bienfaisance qui seraient sans doute précieux pour moi et que je n’ai pas ; des documents sur l’armée, la conscription, ne me seraient pas moins précieux ; – enfin tout ce qui concerne la population, les collectivités humaines, et les documents les plus récents. Permettez-moi à ce propos l’expression d’un vœu : si vous ouvrez mon article Mariage à la page 45, vous y verrez l’influence extraordinaire de l’état civil (célibat, mariage, veuvage) sur la mortalité à chaque âge et en France, et en Belgique et en Hollande – j’aurais bien voulu pouvoir faire les mêmes recherches en d’autres pays et notamment en Autriche où la diversité des populations donnait un haut intérêt à cette investigation, mais pour cela il me fallait la liste des vivants, et celle des décès annuels simultanément par âge, sexe et état civil, or c’est une analyse qui manque et à votre dénombrement et à vos belles mortuaires – il y a sexe et âge, mais pas état civil. Convaincu [sic] par mon travail de l’importance de cette division, la Suède va désormais l’ajouter à sa belle statistique, je serais bien heureux si je vous inclinais vers cette opinion. Agréez, Monsieur le Directeur, mes respectueuses civilités, et mon remerciement pour ce que vous pourrez faire pour favoriser mes travaux. Bertillon. Paris, rue Mr le Prince, n° 20. Dr Bertillon, président de la Société d’anthropologie de Paris, membre correspondant de la Commission centrale de la Statistique belge, membre du Conseil général de l’Association des médecins de France, de la Société de statistique de Paris ; ex-inspecteur général des établissements de bienfaisance de France, ex-membre du Conseil général des hôpitaux de Paris, etc., etc.
On pourrait confier tels volumes qu’on voudrait à M. Macquaire (qui veut bien se charger de mon envoi et de cette lettre), délégué des mécaniciens en précision de Paris à l’exposition de Vienne, sinon Monsieur Walcher de Moltheim, consul général adjoint d’Autriche à Paris, qui est un de mes souscripteurs à la Démographie figurée, accepterait, je n’en doute pas, de me les faire parvenir. » Cette lettre étant restée dans les papiers de famille, on ne sait pas si elle est parvenue ou non à son destinataire (Archives Bertillon, LAB 1873-2). Quoi qu’il en soit, l’Autriche ne figure pas parmi les pays décrits à la planche LI-LII.
59 [Il faut manifestement lire ici « rectangles » et non « triangles ».]
60 On n’a étudié que ces pays parce qu’ils sont les seuls qui jusqu’à ce jour publient leurs décès avec analyse simultanée par âge et par état civil.
61 [C’est Herbert Spencer qui est visé (1875h ; Spencer, 1873) ; cf. le chapitre 19 du présent ouvrage.]
62 [[Avec le changement d’échelle de la présente réédition, 1 mm devient 0,3 mm environ.]
63 [Les documents nécessaires à cette investigation (les décès par âge et profession) manquent en France. Les diagrammes LV et LVI ont été reproduits par Jacques et Michel Dupâquier dans leur Histoire de la démographie (Dupâquier J., Dupâquier M., p. 347).]
64 À raison de 2 millimètres par décès annuel pour 1 000 vivants [Dans cette réédition, environ 1 mm et non 2].
65 Mort-nés en Belgique, dont 35,7 sont de vrais mort-nés.
66 Nous savons que cette assertion demanderait à être discutée et prouvée, d’abord en montrant que les 1 600 000 Français arrachés à la France fournissaient une annuité d’environ 46 000 naissances ; et que ces nouveau-nés, tout d’abord décimés par une forte mortalité, n’équivalaient pas aux 48 000 existences conservables ci-dessus énumérées ; mais surtout il resterait à établir, que, dans des conditions normales de prospérité, notre France n’est pas tellement pleine, ni les sources du travail et de la production tellement accaparées, qu’une telle économie d’existences déjà pourvues ne puisse, comme je le crois, se développer et reconstituer la population perdue, indépendamment du territoire ravi. Mais l’espace me manque pour cette discussion, qui touche aux problèmes les plus délicats de la population, et qui n’est plus mon sujet actuel.
67 C’est-à-dire que si la succession des coefficients mortuaires à chaque groupe quinquennal d’âge, au lieu d’être : 5 (10 à 15 ans) – 6,9 – 10,6 – 8,4 – 8,6 – 9 (de 35 à 40 ans), était : 5 – 5,8 – 6,6 – 7,4 – 8,2 et 9.
68 Parmi les nombreux départements où cette aggravation est notable, nos cartes XXI et XXII signalent surtout la Manche, le Morbihan avec le Finistère et les Côtes-du-Nord, la Nièvre, la Loire, le Rhône, l’Isère, l’Aveyron, le Var, la Corrèze, les Pyrénées (Hautes et Basses), les Hautes-Alpes, le Cantal, la Sarthe, le Calvados, Maine-et-Loire, le Doubs, la Moselle, les Vosges, etc.
69 On ne saurait objecter qu’il n’appartient pas à l’homme de modifier le brûlant climat de la Provence, de diminuer la sécheresse de son atmosphère, ce qui n’est peut-être pas…, ce qui certainement ne sera pas toujours entièrement hors de notre pouvoir ; au moins lui appartient-il, et dès aujourd’hui, d’édicter une alimentation qui ne suscite pas les redoutables entérites fatales à tant de jeunes enfants, et de les garantir, par une hygiène appropriée (lotions, bains, domicile et vêtement), des influences torrides les plus directes, enfin de transporter les jeunes malades et les plus délicats dans des localités plus propices.
70 En l’un et l’autre cas, il faut excepter la première année de la vie pour les départements où fleurit l’homicide industrie des nourrices mercenaires soustraites à l’œil maternel : car leur mortelle influence l’emporte tellement sur toutes les autres que, là où elles se rencontrent, les meilleurs milieux sont les pires (tels Eure, Eure-et-Loir, Yonne, Côte-d’Or, etc.), et les plus mauvais, où elles manquent, deviennent par comparaison les meilleurs (tels la Corrèze, la Haute-Vienne, le Finistère, la Corse, les Hautes-Alpes, etc.).
71 Cette économie annelle de 9 000 hommes de 25 à 50 ans se décompose ainsi : 3 180 de 25 à 30 ans ; 1 970 de 30 à 35 ; 1 470 de 35 à 40 ;1 270 de 40 à 45, et en outre 4 300 hommes âgés de plus de 50 ans. Cependant dans cette évaluation, qui porte exclusivement sur le sexe masculin (l’on peut voir tableaux LI et LII que le sexe féminin bénéficie aussi du mariage), nous ne faisons pas entrer les veufs persistant dans le veuvage et dont nous avons constaté la mortalité considérable, d’abord parce que nous ne prétendons pas qu’il soit loisible à tous les veufs de se remarier : chefs de famille, ils ont souvent d’autres devoirs ; nous doutons même que cet acte soit profitable à tous les âges ; quand on a le malheur de perdre sa compagne, on ne saurait se flatter, à tout âge, d’en pouvoir refaire une autre ; je dirai plus, on peut regarder comme présumable que les veufs déjà un peu âgés qui cèdent au vif penchant que nous avons constaté (voir « Mariage » [1874b]) les entraînant à des unions avec de jeunes conjoints, sont loin d’améliorer leur chance de vie. Dans cette question d’hygiène, comme en beaucoup d’autres, des enquêtes statistiques pourraient fournir à la Démographie des documents hautement instructifs et inspirateurs de l’opinion et des mœurs.
72 [On note que les documents LV et LVI ne sont ni des cartes ni des tableaux, mais des figures – ou des diagrammes –, mais Louis-Adolphe Bertillon n’emploie pas encore ce terme, auquel Jacques Bertillon aura amplement recours.]
73 [Le terme Populationistik – et non populationistick – a été introduit par Christophe Bernoulli (Bernoulli, 1841), qui était Suisse et non pas Allemand.]
74 [Nous n’avons identifié aucune publication de Bertillon comportant des graphiques en couleurs. Dans le brouillon d’un discours prononcé lors d’une visite de l’exposition universelle de 1878 (section « Anthropologie », salle « Démographie »), Bertillon indique que beaucoup de graphiques étaient coloriés ; ainsi, sur l’un des panneaux présentés, correspondant aux « tableaux » XLIII et XLIV de La démographie figurée, des couleurs foncées sont employées pour la France (vert pour les campagnes, rouge pour les villes) et des claires pour la Suède (vert clair pour les campagnes, rose pour les villes – Archives Bertillon, LAB 1878-3, p. 7).]
75 Il est bien entendu que si les tarifs postaux ont fait tirer le spécimen ci-joint sur papier mince, l’ouvrage est au contraire sur papier très fort.
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