Chapitre 12
Mesure de la durée de la vie humaine
p. 297-322
Texte intégral
1La Société de statistique de Paris réunissait principalement des économistes libéraux qui venaient de préparer les premiers traités de libre-échange, et des responsables d’administrations publiques, au premier rang desquelles la Statistique générale de la France1. Louis-Adolphe Bertillon faisait partie de ses membres fondateurs, mais y occupait initialement une position assez marginale (Schweber, 2006, p. 58-59). En 1862, il y avait présenté un mémoire sur la phtisie, qui dans le JSSP n’avait fait l’objet que d’un compte rendu sommaire2, le texte intégral paraissant dans les AHPML (1862d). En 1864, c’est encore une publication médicale, le DESM, qui avait accueilli la version longue d’un travail de Bertillon sur l’« acclimatement des diverses races » (1864a) dont le JSSP ne publiait qu’un résumé (1864b).
2C’est à propos de la mesure de la durée de la vie humaine3 que Bertillon allait faire entendre plus fortement sa voix. En mars 1865, il prononce sur ce thème une lecture devant l’Académie de médecine, publiée dans L’Union médicale (1865k) puis dans les AHPLM (1866c). En octobre 1865, dans une « lecture au Congrès médical de Bordeaux », il présente, toujours sur le même sujet, une communication plus étoffée, dont la publication ne connaît qu’une faible diffusion (1866a). En mars 1866, il fait reparaître ce texte dans le JSSP en le débarrassant des considérations propres au département de la Gironde. Abordant ainsi, dans une influente revue d’économie et de statistique, un thème central de la démographie, il s’affirme, pour la première fois au-delà des cercles médicaux, comme un spécialiste de la discipline émergente.
3Cette fois sa publication ne suscite pas de controverse. En 1862, Alfred Legoyt avait estimé trop coûteuses les préconisations de Bertillon en matière d’enregistrement des causes de décès (Legoyt, 1862, p. 141-143). En 1869, l’article de Bertillon sur la mortalité dans des institutions fermées ou semi-fermées – reproduit au chapitre suivant – donne lieu à des échanges assez vifs avec Toussaint Loua (1869h, p. 65-67). On verra aussi dans la troisième partie du présent ouvrage qu’après la non-attribution du prix Montyon de statistique à la Démographie figurée de la France, suite à un rapport très négatif du mathématicien Irénée-Jules Bienaymé, le JSSP donne la parole à un Bertillon indigné par l’injustice des critiques qui lui ont été adressées (1877g). Jusqu’en 1872, Legoyt, puis Loua, assuraient le secrétariat général de la Société de statistique de Paris, et Bienaymé était, depuis longtemps, membre de l’Académie des sciences. Donc Bertillon, dans ces controverses, faisait figure d’outsider, mais il n’y avait pas là de quoi tempérer sa fougue. En arrière-plan de ces affrontements scientifiques, on peut rappeler que ses adversaires, proches du régime, ne partageaient pas ses fervents engagements républicains et anticléricaux, ce qui pouvait faire monter plus vite le ton des débats.
4L’article de 1866 fait date à plusieurs titres. Il établit un solide bilan critique de la littérature sur la mesure de la durée de la vie humaine et sur les tables de mortalité. Il construit pour la France une table de survie abrégée (de pas quinquennal) portant sur vingt années d’observations, plus solidement établie que celle qu’Achille Guillard avait publiée en 1854 (Guillard, 1854a, p. 456). Et il montre que, parmi les départements français, les inégalités face à la mort diffèrent selon la tranche d’âge considérée. Cette analyse est encore fragile du fait de la petite taille du sous-ensemble observé (six départements « pris au hasard », mais qui n’incluent aucune grande ville) ; étendue et approfondie, elle sera au cœur de la Démographie figurée de la France (1874, voir la troisième partie du présent ouvrage).
5En 1879, Bertillon accèdera à une position de tout premier plan au sein de la Société de statistique de Paris puisqu’il en deviendra le président. Son article du JSSP sur les mesures de la durée de la vie humaine aura été un jalon majeur dans sa carrière de statisticien et de démographe.
6A. C.
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Des diverses manières de mesurer la durée de la vie humaine
7/45/ (Vie moyenne, vie probable, âge moyen des décédés, etc., en France et dans quelques départements. — Listes et Tables mortuaires ; idem de population. — Table de mortalité ; idem de survie, en France, pour la période 1840-1859.)
81° Il est inutile d’insister, dans un recueil de cette nature, sur la grande importance, pour les investigations de l’hygiène, d’une appréciation aussi exacte que possible de la durée de la vie humaine. C’est un fait dont la connaissance est plus familière aux statisticiens qu’aux médecins, que, lorsqu’une influence, même très légère, salutaire ou nuisible, s’étend sur un grand nombre d’individus, elle a pour résultat presque nécessaire d’agir sur la santé et, par suite, sur la mortalité dont elle affaiblit ou accroît l’intensité dans une proportion toujours appréciable, au moins si sa durée et les nombres observés sont suffisamment grands. Ce fait une fois bien constaté, il est naturel et légitime que la longueur de la vie soit prise comme mesure des conditions sanitaires des diverses collectivités humaines.
9Cette idée a fait fortune, et fortune peut-être trop rapide. Partout, aujourd’hui, nous voyons en effet citer des chiffres qui se donnent comme la véritable mesure de la vitalité et, par suite, de la salubrité.
102° Je n’hésite pas à affirmer que la plupart de ces mesures sont fautives ; je dis ces mesures, car je connais jusqu’à onze manières différentes d’apprécier la mortalité d’une collectivité ou agrégation d’individus. Chacune d’elles, appliquée isolément aux agrégations dont on veut comparer la vitalité, donne des résultats tellement divergents, qu’il est presque toujours possible d’en trouver une qui attribue une vitalité très satisfaisante au groupe pour lequel on a une sympathie particulière.
113° J’ai calculé comme exemple, dans le tableau ci-joint [tableau 1], pour la France en général et pour six départements pris au hasard, la mesure de la vitalité d’après dix des onze méthodes dont je viens de parler (je donne plus loin les modes de calcul et les vraies significations de ces valeurs)4.
/46/ [Tableau 1]. Table des diverses mesures employées pour la détermination de la durée de la vie

Ce tableau est destiné à montrer les différences qui existent entre les diverses mesures vulgairement employées pour déterminer la mortalité ou la durée de la vie.
12Les valeurs (A) sont déduites de nos tables calculées, et expriment seules la mortalité vraie, la vraie vie moyenne et la vraie vie probable d’après la mortalité de la période 1840-1849.
13Les valeurs (C) sont obtenues d’après les listes soit de décès, soit de dénombrements de la même période 1840-1849 ; ce sont les résultats des faits complexes qui ont agi sur la population depuis un siècle.
14Les rapports qui résultent de nos tables sont les suivants :
15- Vm : vie moyenne (voy. colonne a),
16- Vp : vie probable (voy. colonne b).
17- Mortalité générale (voy. colonne c).
18Après la mortalité générale (colonne d), les termes calculés sur les listes sont les suivants :
19- Rapport de la population aux naissances vivantes souvent pris comme mesure de la vie moyenne (colonne f).
20- Rapport de la population aux décès (colonne g).
21- Rapport de la population à la moyenne des naissances et des décès, proposé par M. Dupin comme mesure approchée de la vie moyenne (colonne h),
22- Ad Âge moyen des décédés calculé sur les listes (colonne e) : c’est la vie moyenne de beaucoup de statisticiens.
23- Ap Âge probable des décédés calculé sur les mêmes listes (colonne j).
24/47/ D’après ce tableau, la Dordogne, qui occupe le 4e rang pour la vie moyenne et la vie probable (calculées d’après nos tables), est au 9e et dernier selon le rapport (rapport de la population aux naissances moins les mort-nés), que beaucoup de statisticiens ont pris pour une mesure très approximative de la vie moyenne. Il est également au 9e, si l’on prend le rapport de la population aux naissances totales
ou aux décès
. Il est au même rang, si on calcule suivant la méthode de Price, adoptée par M. Ch. Dupin (rapport de la demi-somme des naissances et des décès à la population)5. Enfin il est au 7e pour la vie probable calculée d’après les listes mortuaires.
25Autre exemple : la Gironde, qui, selon ces diverses méthodes (listes mortuaires), est au 1er rang, descend, d’après nos tables, au 3e pour la vie probable, au 2e pour la vie moyenne ; etc. Rien donc de plus arbitraire que les mesures qui nous occupent, et c’est ce que je vais démontrer. Je proposerai ensuite de leur substituer une méthode véritablement scientifique et qui nous paraît la seule applicable à la détermination exacte des longévités des divers pays.
265° 6 Dans une lecture à l’Académie de médecine (voir L’Union médicale du 17 août 18657 ), dont ce mémoire est la suite, j’ai montré que, bien qu’il n’y ait vraiment qu’une valeur à laquelle convient la dénomination de Vie moyenne, les auteurs en ont employé jusqu’à six qui usurpent ce nom8.
276° Je m’étais arrêté à cette affirmation, que je vais développer, à savoir que, si l’on veut apprécier exactement la vitalité et la mortalité d’une collectivité, il faut absolument connaître, comme une des données fondamentales du problème, le nombre des vivants dont elle se compose à chaque groupe d’âges. Trop souvent, en effet, les auteurs se bornent, dans ce cas, à prendre le rapport des décès à la population totale, sans s’occuper de la répartition des vivants entre les divers âges, ce qui enlève à la mesure de la mortalité presque toute sa signification aux points de vue biologique et hygiénique, dont nous nous préoccupons ici. On comprend, en effet, que telle population, qui compterait beaucoup d’adultes, c’est-à-dire beaucoup d’individus aux âges de la plus grande force et de la plus grande vigueur, pourrait avoir une moindre mortalité que telle autre qui aurait beaucoup d’enfants et de vieillards. Pour la première, par exemple, on constaterait 10 décès annuels pour 1 000 vivants (soit mortalité 0,010), et, pour la seconde, 23 (soit 0,023), sans qu’il soit permis d’en inférer que l’une est dans de meilleures conditions sanitaires que l’autre.
287° On commettrait une erreur du même ordre si, remarquant, par exemple, que la mortalité générale féminine du département du Gard (période 1840-1849) a été environ de 27 décès annuels sur 1 000 vivants (plus exactement 0,0267), et à Paris (1850-1852) seulement de 26 décès environ (exactement 0,02575), on en concluait que la mortalité générale des femmes est plus faible et, par conséquent, leur condition hygiénique meilleure à Paris que dans le Gard, etc. En effet, une analyse de /48/ la population selon les âges ne tarde pas à montrer que, si la mortalité générale est moindre à Paris, cela tient seulement à ce que la population féminine de cette capitale renferme beaucoup d’adultes (640 de 45 à 50 ans), peu d’enfants (200 de 0 à 15 ans) et peu de femmes âgées (160 de 50 ans et au-dessus), tandis que, dans le Gard, elle se rapproche de celle de la France entière au point de vue de la distribution des âges. Si donc, au lieu de comparer la mortalité générale des femmes du Gard et de Paris, on compare la mortalité de chaque âge (et pour abréger des trois groupes d’âges ci-après), on trouve un résultat bien différent, comme le montre le tableau suivant (P" représente la population féminine ; D" les décès du même sexe) :
[Tableau 2]

29On voit que, si la mortalité générale est moindre à Paris (0,0258) que dans le Gard, la mortalité à chaque âge y est plus considérable. Cette moindre mortalité générale est donc un résultat tout à fait artificiel dû à une moindre proportion de petites filles et de femmes âgées dans cette grande ville.
308° On commet encore une erreur analogue, quand on compare (sans critique préalable) la mortalité générale d’une ville à elle-même aux diverses périodes de son développement, car une grande ville s’accroît surtout par des immigrations d’adultes dont la mortalité est généralement au-dessous de la moyenne. Il est donc naturel (au moins par cette cause) que, à mesure qu’une grande ville s’accroît, sa mortalité générale diminue. Ce fait s’est produit notamment à Paris.
319° Cependant on pourrait se flatter d’échapper à cette erreur, lorsque, au lieu des populations des villes dont la composition est évidemment artificielle, on compare les nations entre elles. On pourrait penser que ces populations présentent à peu de chose près les mêmes rapports dans la distribution des âges. Il est cependant bien loin d’en être ainsi. Pour le montrer, j’ai dressé9 les listes comparatives de la distribution des vivants selon les âges pour tous les pays de l’Europe ou de l’Amérique, pour lesquels il existe des renseignements officiels de cette nature. Mais, pour faciliter la comparaison et la concentrer sur l’objet de ce travail (influence de la distribution des âges sur la mortalité générale), j’ai séparé les groupes d’âges en trois séries : 1° de 0 à 14 ans ; 2° de 14 à 60 ans ; 3° de 60 ans et au-dessus, c’est-à-dire jusqu’au terme de la vie.
3210° Or, sur 1 000 vivants de tout âge, la France, comme on va le voir, est le pays qui renferme le moins d’impubères (de 0 à 14 ans). Les valeurs qui suivent se rapportent toutes à des périodes comprises entre 1850 et 1864 : /49/
[Tableau 3]

33Ainsi, tandis que la France ne compte que 257 impubères sur 1 000, la Prusse en a 348, etc. On comprend combien des proportions si différentes dans le nombre des enfants (la mortalité moyenne de 0 à 14 ans s’élevant environ à 0,02) modifient la mortalité générale, et combien il est inexact de prendre, pour de telles populations, le rapport de cette mortalité générale à la population totale.
3411° Le nombre respectif des adultes (de 14 à 60 ans), dont la mortalité moyenne est environ de 0,012, n’est pas moins caractéristique. En commençant par la France, qui en compte le plus, on a la série suivante (pour 1 000 habitants) :
[Tableau 4]

35On remarquera peut-être avec étonnement combien l’Angleterre et la Prusse ont relativement peu d’adultes. Tandis que, pour 1 000 habitants, nous en avons 635 aux âges de travail, ces deux États en comptent à peine 595.
3612° Cependant le nombre proportionnel des vieillards, qui exerce une si grande influence sur le chiffre de la mortalité générale (la mortalité de 0,07 à 0,08 au-delà de 60 ans), est encore plus variable. La France est encore ici au sommet de l’échelle, c’est elle qui conserve le mieux ses vieillards, et si ce n’est pas une force, c’est au moins une gloire. Voici la série :
[Tableau 5]

37Ainsi, quand la France conserve 108 vieillards, l’Autriche n’en a que 53, et la population esclave des États-Unis 35 !
38/50/ 13° L’hétérogénéité des populations des diverses nationalités est donc considérable. Si l’on rapproche de ce fait la différence non moins considérable de la mortalité de chacun de ces groupes d’âges (environ 0,020 de 0 à 14 ans ; 0,012 de 14 à 60 ans, et 0,07 à 0,08 à 60 ans et au-delà), on comprendra que la mortalité générale d’un pays comme la France, qui a conservé un grand nombre de vieillards (plus du dixième de sa population), ne saurait être comparée à celle de l’Autriche qui n’en a que le vingtième10.
39Il suffira d’ajouter que les fortes différences dans la distribution des vivants à chaque âge que nous venons de trouver pour les diverses nations ne sont guère moins caractérisées quand on compare entre elles les diverses parties du même pays. Ainsi, tandis qu’en France, on compte en moyenne 638 individus au-dessus de 20 ans sur 1 000 (et seulement 530 en Prusse), on en trouve 681 dans le Calvados.
4014° En résumé, il résulte des faits qui précèdent, que la mortalité générale de deux pays est une mesure tout à fait insuffisante de leur vitalité respective, puisque cette mortalité générale n’est pas moins influencée par la force respective de chaque groupe d’âges dans l’ensemble de la population, que par l’intensité de la mortalité elle-même. En un mot, cette mortalité générale se rapprochera d’autant plus de celle qui est propre aux enfants, ou aux jeunes adultes, ou aux vieillards, selon la prédominance parmi les vivants des uns ou des autres.
4115° Il est évident que ce qui est vrai pour ces populations prises dans leur ensemble, l’est encore plus quand il s’agit de groupes professionnels comprenant : les uns beaucoup de vieillards (groupes des médecins, celui des concierges à Paris), d’autres un grand nombre de jeunes gens (groupe des filles publiques, si bien étudié par le docteur Jeannel, groupes des domestiques, des blanchisseuses, etc.11). De là la haute utilité, dans toutes les enquêtes, administratives ou particulières, sur la population entière ou sur des groupes professionnels, de relever exactement les âges.
42Il importe d’autant plus que les census (dénombrements) de la population entière soient effectués par âge, qu’il n’est pas possible, comme plusieurs statisticiens l’ont essayé, de calculer cette distribution, même en connaissant les nombres annuels des naissances et des décès à chaque âge. C’est ce que je vais démontrer dans les paragraphes suivants.
4316° Si le nombre des naissances était immuable depuis un siècle, si le nombre annuel des décédés à chaque âge, que ces nés donnent en passant successivement d’âge en âge, l’était également (ce qui revient à dire : si la mortalité propre à chaque âge était invariable), si, enfin, aucun mouvement migratoire ne troublait les rapports de chacune de ces successions de vivants, dont l’ensemble forme la population, il est clair que les nombres de décès propres à chaque âge seraient identiques d’année en année, et, par exemple, que le nombre de décès de 70 à /51/ 71 ans (soit d70··71), que donne aujourd’hui l’état civil, sera le même encore dans 70 ans, parce qu’il s’appliquera à un même nombre de vivants (P70··71), émondé par une même mortalité. De cette régularité de mouvement, supposée constante depuis au moins la durée de la plus longue vie humaine (un peu plus d’un siècle), il résultera en effet la possibilité de faire le très simple calcul suivant. En parlant d’un nombre invariable annuel de naissances (moins les mort-nés), soit S0 (Survivants après l’accouchement, ou à 0 âge), et en retranchant du nombre les décédés dans le cours de leur première année, entre 0 âge et 1 an révolu (soit d0··1), on aura le nombre des Survivants à 1 an (soit S1). De même, en retranchant de S0 le nombre des décédés survenus entre la naissance et 2 ans révolus (soit d0··2), on aura le nombre de ceux qui (avec la mortalité de la période étudiée) doivent survivre à la fin de la seconde année (soit S2) ; ainsi de suite. Par exemple, de ce nombre fixe des naissances annuelles S0, en retranchant le nombre de décédés de 0 à 70 ans (soit d0··70), on devra avoir exactement le nombre actuel des vivants qui, dans le cours de cette année, atteindront leur 70e année, soit S70, puisque, selon l’hypothèse fondamentale de la méthode que j’examine, le nombre des décès survenus à chaque âge, d’année en année, est resté invariable. Il résulte encore de cette hypothèse d’uniformité, dite hypothèse ou méthode de Halley [Halley, 1693], que le nombre annuel des naissances (S0) est égal à celui des décès (D). En effet, on aura, comme ci-dessus, S100 = S0 – d0··100, et considérant que le dernier terme de la série décroissante S0, S1, S2,.. S100·· Sω-2, Sω-1,… est Sω, c’est-à-dire 0 (car zéro est nécessairement le nombre de ceux qui survivent au dernier âge révolu qu’il nous soit donné d’atteindre), on aura Sω = S0 – d0·· ω = 0, donc d0·· ω, c’est-à-dire la totalité des décès, soit D = S0. On comprend d’ailleurs qu’il doit en être ainsi, car, comme tous ceux qui naissent, meurent à leur tour, s’il y avait inégalité entre ces deux termes (S0 et D), si, par exemple, on avait S0 > D, cette inégalité ne pourrait résulter : ou que d’une augmentation graduelle des naissances, ou que d’une diminution du nombre annuel des décédés (diminution pouvant provenir elle-même soit d’émigration, soit d’une atténuation de la mortalité), mouvements qui sont tous contraires à l’hypothèse et à la méthode de calcul que nous examinons.
4417° Ainsi, dans ce cas de constance de tous mouvements, on a nécessairement S0 = D. Or, ces diverses conditions sont bien loin de se réaliser chez nous, puisque nous avons en moyenne S0 = 958 100, et seulement D = 843 42012. Aussi combien les résultats que donne cette méthode sont-ils éloignés de la réalité ! Recherchons notamment quel est, d’après elle, le nombre de nos vieillards de 70 ans.
45Conformément à ce qui est établi plus haut, on devrait trouver ce nombre par la formule S0 – d0··70 = S70, ce qui donne 958 100 – 681 400 = 277 000 ; ainsi nous aurions en France 277 000 vieillards, auxquels il serait donné, chaque année, de toucher à leur 70e année, tandis que, dans la réalité, ce nombre atteint à peine 177 000 ! Cette énorme différence est due à l’excédent constant de nos naissances sur nos décès, excédent que ne suppose pas la formule. Aussi, pour démontrer combien cette formule est vicieuse, il suffit de l’employer à déterminer S100, et surtout Sω. On trouve ainsi que, tandis qu’en France S100 égale à peine 250, il s’élèverait (d’après la formule) à 114 930 !
46/52/ Elle veut également qu’au lieu de 0, Sω = 114 860 ! 114 860 qui dépasseraient le plus grand âge auquel il nous soit donné de parvenir ! Pour échapper à ces absurdités, ceux qui ont voulu conserver la méthode de Halley en dehors de l’hypothèse à laquelle seule elle convient, ont négligé volontairement le chiffre des naissances annuelles donné par l’observation, et ils ont fait violemment S0 égale à D ! Ainsi, en France, ils ont supposé 843 240 naissances vivantes au lieu de 958 100, et, partant de cette erreur, ils ont calculé S1, S2, S3, etc., en écrivant 843 240 – d0··1 = 684 180 ; et 843 240 – d0··2 = 635 080, etc. Mais, en réalité, d0··1 (soit 159 060) ; d0··2 (soit 208 160), etc., ne sont pas fournis par 843 240, mais par 958 100 naissances. Par conséquent, il est absolument certain que S1 = 958 100 – 159 060 = 799 040 et non 684 180 ; que, de même, S2 = 749 940 et non 635 080 ; ainsi de suite. À la vérité, cette substitution du chiffre des décès à celui des naissances, qui altère si fortement la population des premiers âges, et a pour effet (au grand profit des compagnies d’assurances sur la vie) de supposer une mortalité beaucoup trop forte, éloignera moins de la vérité en ce qui concerne l’autre extrémité de la vie ; S100.. Sω-1 seront peut-être presque égaux, et on aura enfin Sω = 0.
4718° Ainsi, la première formule, S0 – d0··1 = S1, etc., donne exactement les survivants pour les premiers âges de la vie, et cela avec raison, parce que, pour l’évolution de ces 5 à 10 premières années, tous les éléments du calcul, S0 et d0··5··10, se sont produits dans la période que l’on étudie, durant laquelle on peut supposer le plus souvent l’uniformité des mouvements de population, par suite de la lenteur ordinaire de la marche définitivement progressive ou régressive de la natalité ou de la mortalité (les oscillations annuelles étant neutralisées par l’effet des moyennes). Il s’agit, d’ailleurs, d’un âge où l’émigration hors du pays est de peu d’importance. Ce moyen de déterminer avec exactitude les premiers âges est précieux et doit être conservé pour contrôler, corriger les dénombrements qui, à ces âges, en France, se caractérisent par de nombreuses omissions.
4819° Cependant, la seconde formule, celle qui part des décès assimilés aux naissances (D – d0··1, etc.), donnera-t-elle aussi avec quelque exactitude le nombre des individus parvenus aux derniers âges, et, par suite, pourra-t-on admettre que la population aux âges moyens sera une moyenne entre les valeurs résultant des deux formules ? Ce serait là une hypothèse tout à fait gratuite. En effet, les nombres calculés, en partant des décès, seront en principe et en fait constamment trop petits, tandis que nous avons vu que ceux déduits des naissances sont exacts en principe jusqu’à 6 à 10 ans (suivant la longueur de la période étudiée) et paraissent l’être en fait jusqu’à 30. Il n’y a donc pas là symétrie. Ajoutons qu’il n’est pas du tout certain que l’erreur de la formule basée sur les décès (D – d0··1 = S1, etc.) aille s’atténuant régulièrement jusqu’aux derniers âges, comme l’ont admis quelques statisticiens ingénieux qui, sur cette idée, ont essayé des formules mixtes. C’est même le contraire qui est certain.
4920° Pour comprendre qu’il n’y a rien de nécessairement régulier dans la succession des vivants, il faut considérer : 1° que la population de chaque âge a pour origine un chiffre de naissances datant d’hier pour les plus jeunes, d’un demi-siècle pour ceux de 50 ans, etc. ; 2° que les nombres de ces naissances sont souvent très différents ; 3° que chacune de ces descendances a été éclaircie par des causes très diverses et nullement comparables. Ainsi, nos vieillards de 60 à 70 ans ont été autrefois diminués et par une mortalité plus grande de l’enfance et par les /53/ guerres de l’Empire. Aussi, tandis que la mortalité actuelle (1840-1859), appliquée à notre chiffre moyen de naissances, ferait survivre (voyez nos tables) :
- 838 000 hommes âgés de 60 à 65 ans, les census n’en annoncent que 620 000 (218 000, ou plus du quart de moins !) ;
- 840 000 femmes de 60 à 65 ans, au lieu de 713 000 que donnent les dénombrements (127 000, ou un peu plus de 1 septième de moins) ;
- 682 000 hommes, âgés de 65 à 70 ans, les census n’en indiquent que 468 000 (212 000, presque le tiers en moins !), etc.
50Mais si nous appliquons les mêmes calculs à la population de 30 à 40 ans qu’aucun sinistre n’a décimée, le calcul et le fait seront presque identiques. Ainsi, on trouve 1 295 000 hommes de 35 à 40 ans et les census en annoncent 1 288 500 (6500, ou 1/200 seulement en moins).
5121° Il en résulte que les vivants qui survivent actuellement à chaque âge, p1··2, …. p35··40, .… p60··65, p65··70, .… p100··ω, ne constituent pas une succession dont chaque terme trouve sa raison d’être dans ses antécédents contemporains. Chaque terme est en fait le produit très complexe des événements particuliers qui ont pesé sur chacun des âges par lesquels il a déjà passé, événements qui peuvent fort bien n’avoir pas influencé les groupes précédents ou subséquents dans la série des âges. C’est ainsi, comme on vient de le voir, que les événements qui ont décimé ceux de 60 ans, n’ont pas agi sur ceux de 40 ans ; et que, pour les mêmes âges, ils n’ont pas agi également sur chaque sexe. C’est pourquoi les groupes de la population à chaque âge, dont la somme constitue la population générale, n’ont point entre eux de relation nécessaire ; ce sont presque des étrangers que le hasard des temps a rapprochés, et dont la force résulte des aventures différentes que chacun a supportées 13. Aucun calcul théorique ne peut donc déterminer ces valeurs, ni permettre de découvrir la succession des termes composant la Liste des vivants. Voilà pourquoi ni la méthode dite de Halley, ni les modifications plus ou moins heureuses apportées à cette méthode par voie de tâtonnement, ou inspirées par une vue incomplète du fait complexe à déterminer et en dehors de la théorie mathématique, ne sont pas acceptables. Enfin, voilà pourquoi il faut renoncer à demander au calcul le nombre des vivants à chaque âge. Cette distribution des vivants, dont nous avons prouvé (nos 5 à 15) que la connaissance est indispensable pour déterminer les conditions de la mortalité dans leur rapport avec la qualité des milieux, doit être demandée à l’expérience aussi bien que la distribution des décédés.
5222° Sans doute, les dénombrements sont encore bien imparfaits ; mais c’est en montrant, en déclarant bien haut qu’ils sont indispensables à la science, que nous hâterons leur perfectionnement. Nous nous sommes, d’ailleurs, assuré par un travail préparatoire très étendu que, dès à présent, et, malgré leurs nombreux desiderata, ils sont encore bien supérieurs à tous les calculs hypothétiques qui se sont produits. Une erreur de 5 à 10 ans chez un adulte, n’a pour nous aujourd’hui qu’une importance peu considérable ; mais ce qui est nécessaire pour les premières recherches dont nous devons nous contenter, c’est qu’un enfant ne compte pas comme un adulte, un homme jeune pour un vieillard. On peut, au surplus, et on doit contrôler les dénombrements : 1° en comparant entre eux plusieurs census successifs et en prenant leur moyenne ; 2° en comparant certains âges avec les conscrits, avec les électeurs inscrits ; d’où l’on déduit des valeurs minima, puisque les étrangers, les non domiciliés, les omis forment une masse très importante d’individus qui, /54/ s’ils ne comptent pas comme citoyens, fournissent des décès ; 3° en déterminant, par le calcul, à l’aide des naissances et des décès par âge, la population des premiers âges (0 à 5 ou à 10 ans, suivant la durée de la période que l’on considère), population sur laquelle porte, en France, le plus grand nombre des omissions. On peut ainsi apprécier la valeur des dénombrements et faire les corrections dont ils peuvent être susceptibles.
53Les Listes et les Tables qui accompagnent ce mémoire ont subi ces épreuves et corrections, nous allons indiquer succinctement tous les détails des calculs en les justifiant.
5423° Ainsi la liste des vivants pour la France est la moyenne de trois dénombrements par âge, de 1851, 1856 et 1861, contrôlés et rectifiés sur les données déjà indiquées. C’est par ce travail que nous avons obtenu ce que nous appelons la Liste de population par âge, tandis que les documents de l’état civil nous ont donné la Liste des décédés à chaque âge ou Liste mortuaire14.
5524° Coefficients et Tables de mortalité. — Ces deux Listes fondamentales ainsi arrêtées, rien de plus facile que d’en déduire la mortalité propre à chaque âge par la formule . Ainsi, puisque l’on compte en France 429 000 mâles de 0 à 1 an (pʹ0··1) ayant fourni, dans l’année, 87 610 décès (dʹ0··1),
= 0,204 sera, pour chaque enfant mâle de 0 à 1 an, le danger moyen de mourir dans l’année. En multipliant par 1 000, on pourra encore dire : sur 1 000 enfants mâles de 0 à 1 an, il y a 204 décès dans l’année. J’appelle 0,204 coefficient de mortalité de 0 à 1 an. De même
donne 0,065 pour coefficient de la mortalité masculine de 1 à 2 ans ; soit encore 65 décès annuels sur 1 000, etc. La succession de ces coefficients de mortalité à chaque âge forme ce que l’on doit appeler une Table de mortalité. On remarquera que la mortalité ainsi déterminée ne relève d’aucune hypothèse ; c’est la moyenne d’un fait collectif dont l’énoncé dépend seulement de l’exactitude des documents obtenus. C’est cette mortalité à chaque âge qui importe surtout à l’hygiéniste ; c’est elle qui, mieux que la Table de survie, la Vie moyenne, la Vie probable (dont nous allons bientôt indiquer la détermination et les significations), c’est, dis-je, cette mortalité à chaque âge, si facile à calculer et d’un sens si précis, qui indique les conditions de vitalité spéciales à chaque âge, à chaque sexe, à chaque milieu. Ainsi, quand on aura remarqué que les petites filles dans leur 1ère année (pʹʹ0··1) rapportées à leur chiffre mortuaire (dʹʹ0··1) donnent un coefficient de 0,172, au lieu de 0,204 pour les garçons, on connaîtra la profonde différence qui, dès cette première année de vie (il faut dire : surtout dans cette première année), sépare les deux sexes. Cependant comme il y a d’autres expressions fort en usage, bien que moins directes, moins simples, moins analytiques et d’une détermination beaucoup plus laborieuse, nous avons dû les calculer, et nous allons donner tous les détails nécessaires à la parfaite intelligence de leur signification, de leur portée et de la manière de les déterminer. D’ailleurs, la table de Survie (appelée souvent à tort table de mortalité) et la vie probable sont fort utiles aux calculs des assurances, des tontines, etc. ; et la Vie moyenne est une expression synthétique fort commode.
56/55/ 25° Table de survie. — Cette heureuse et significative expression, due à M. A. Guillard, est aujourd’hui généralement adoptée, et la dénomination de Table de mortalité, sous laquelle, en France, on confondait volontiers la Liste mortuaire et la Table de survie, est donnée exclusivement à la table des coefficients, indicateurs de la mortalité à chaque âge, à laquelle elle appartient légitimement.
57Si l’on suppose qu’un nombre convenu de nouveau-nés soit soustrait, de la naissance à la mort, à toute autre influence qu’à la mortalité propre à chaque âge durant la période étudiée, la Table de survie fait connaître comment, par suite de cette mortalité, les vivants se répartiraient selon les âges, ou, plus précisément, combien on compterait de survivants à la fin de chaque âge révolu.
5826° Pour calculer cette table, on part, par exemple, de 1 million de naissances (moins les mort-nés) = S0. La question est de calculer S1, ou le nombre des survivants à 1 an révolu ; or, notre table des coefficients de mortalité nous en donne le moyen approché en nous apprenant le danger de mourir dans la première année, soit 0,1891 = c0··1. Ce danger 0,1891 x 1 000 000 = 189 100 ; ce serait le nombre des décès que donnerait cette jeune population durant sa première année de vie, et, par suite, 1 000 000 – 189 100 = 810 900 = S1 serait le nombre des survivants. De même, partant de S1 et désignant par c1··2, et généralement cn··n+1, les coefficients de mortalité à chaque âge, on aura :
59S1 – S1 x c1··2 = S2 et généralement Sn+1 = Sn – Sn x cn·· n+1 [1] ;
60ainsi de suite, on trouvera toute la série de la Table de survie :
61S0, S1, S2, S3, S4, S5, … Sω-2, Sω-1, Sω = 0.
62Telle est, simplifiée dans sa forme, la formule donnée par l’illustre Quetelet (Bull. de la Comm. centrale de statistique belge, t. V, p. 1815 ).
6327° Nous avons fait subir à cette formule deux corrections qui, sans la compliquer notablement, la rendent plus rigoureuse. Nous nous réservons de donner, dans un autre travail, la démonstration mathématique de la formule ainsi modifiée ; ici, nous en essayerons une démonstration logique. Remarquons d’abord le défaut de la formule [1]. La mortalité cn··n+1 moyenne agissant pendant l’intervalle compris entre n et n+1 fait passer, en l’affaiblissant successivement, la valeur Sn (limite supérieure) jusqu’à la valeur Sn+1 (limite inférieure) ; or, il est clair que l’on ne peut exprimer fidèlement le résultat de cette action, ni par Sn x cn··n+1, ni par Sn+1 x cn··n+1 ; que la première valeur sera trop forte, et la deuxième trop faible, et que si on admet que la mortalité est également répartie durant le court intervalle n··n+1, il faudrait
64 [2].
65C’est en faisant cette correction que l’on trouve la formule générale suivante, d’une application numérique très facile :
66 [3].
6728° À cette formule, susceptible d’une démonstration mathématique, on peut arriver, il nous semble, par la seule force de la logique.
68En effet, si dn··n+1 était un nombre de décès portant sur un groupe qui, au commencement de l’année, serait pn··n+1 correspondant à Sn et qui, comme celui-ci, diminuerait constamment dans le courant de l’année par suite de ces décès, dans ce cas, pour calculer la réduction qu’éprouve en un an un groupe Sn, ayant la même /56/ mortalité que pn··n+1, on pourrait, comme le fait Quetelet, multiplier Sn par le coefficient cn··n+1 ou sa valeur , et on aurait
[1].
69Par exemple, sachant que, sur 1 million d’individus, il en meurt, en un an, 100 000, de telle sorte que le nombre des survivants soit 900 000, il est clair que, si on demande combien, sur 10 000, il en meurt en un an, il faudra multiplier 10 000 par le rapport 100 000/1 000 000 ou 1/10, ce qui donnera 1 000 décès et 9 000 survivants.
70Mais il n’en est pas ainsi. Par suite du courant qui entraîne les individus du groupe pn··n+1 dans le suivant et qui amène dans pn··n+1 les individus plus nombreux du groupe précédent pn– 1··n, on peut dire que les unités dn··n+1, à mesure que la mort les élimine du groupe pn··n+1, y sont remplacées par de nouvelles unités. Il en résulte que, dans l’intervalle de l’année, la valeur numérique du groupe pn··n+1 se maintient invariable. Donc les dn··n+1 décès se produisent aux dépens d’un groupe pn··n+1 qui, sans ces décès, passerait dans l’intervalle d’une année par les valeurs successives :
71pn··n+1 ; pn··n+1+ 1 ; pn··n+1+ 2 ; ..… ; ..… ; pn··n+1+ dn··n+1 ,
72valeurs dont la moyenne, calculée selon les règles de l’arithmétique, est . On peut donc imaginer que les décès portent sur un groupe variable (comme l’est Sn, qui devient Sn+1) qui aurait pour valeur initiale cette valeur moyenne, et l’on obtient alors, d’après ce qui a été expliqué ci-dessus, la formule :
73 [4].
7429° Cette formule suppose encore que, pendant l’intervalle n··n+1, la mortalité agit uniformément. Or, les documents sur la matière permettent rarement de prendre cet intervalle assez petit, au commencement et à la fin de la vie, pour que cette supposition puisse rester suffisamment approchée de la vérité. Par des recherches spéciales portant sur les rares enquêtes statistiques qui permettent de prendre avec quelque exactitude des périodes assez petites, nous avons donc déterminé expérimentalement les corrections qu’il faudrait faire subir à.la formule générale pour que, appliquée à ces mêmes enquêtes, considérées au point de vue des périodes en usage, on obtienne les mêmes résultats que si l’on avait opéré sur des divisions assez petites. Nous appelons α ce coefficient correctif.
75Nous avons pu dresser ainsi une table des valeurs successives de α pour tous les cas, beaucoup plus communs, où ces divisions n’existent pas. Sans doute, il n’est pas absolument rigoureux d’appliquer ainsi à tous ce qui n’a été déterminé que sur quelques-uns, et il vaudrait mieux avoir toujours, avec précision, avec vérité, toutes les divisions nécessaires, c’est-à-dire par jours, semaines et mois dans la première et même la seconde année de la vie; par année pour les dernières; mais, d’une part, ces détails manquent le plus souvent dans les documents officiels, et de l’autre, la science des enquêtes administratives sur la population est encore tellement rudimentaire que, lorsqu’ils sont fournis, ils ne méritent le plus souvent aucune confiance. Dans l’immense majorité des cas, les coefficients correctifs de notre table rapprocheront donc beaucoup mieux de la vérité. Pour les appliquer, il suffit d’écrire la formule précédente sous cette forme :
76 [5],
77dans laquelle t est la durée de la période d’âge pendant laquelle l’enquête a relevé les décès annuels dn··n+t (c’est-à-dire les décès annuels fournis par la population comprise /57/ entre l’âge n et l’âge n +t). La mortalité étant d’abord supposée uniformément distribuée, comme dans la formule [4], si t = 1 an, α = 1 ; de même si t = 5 ans, α = 5 et c’est là le cas le plus ordinaire au-delà des premières années d’âge, où les décès annuels et les vivants eux-mêmes ne sont plus fournis que de 5 en 5 années d’âge. Il faudrait faire α = 10 s’ils n’étaient donnés que de 10 en 10 ans ; mais cette période d’âge est déjà trop grande et s’éloigne trop notablement de l’hypothèse d’une intensité uniforme ou uniformément croissante de la mortalité dans toute la durée de chaque décade.
78Cependant nous avons dit que, pour la première année de la vie, cette hypothèse d’uniformité s’éloigne trop du vrai pour être admise. C’est pourquoi, à défaut d’une bonne enquête donnant les décès par jour pour la 1re semaine, par semaine dans le 1er mois, et par mois dans la 1ère année, il y a lieu d’introduire une correction dans la formule. On fera alors α = 0,958. De même, si les derniers âges à partir de 75 ans ne sont donnés avec quelque précision que par période d’âge de 5 ans, il y aura encore quelque avantage à introduire les corrections suivantes : de 75 à 80 ans, α = 4,89 ; de 80 à 85, α = 4,8 ; de 85 à 90, α = 4,6 ; de 90 à 95, α = 4,2 ; de 95 à 100, α = 3,8 ; de 100 à ω, α = 2,74. Si, après la première année, on avait le groupe 1-5 ans, il faudrait faire α = 3,92.
7930° C’est donc en suivant ces bases et en effectuant ces corrections que nous avons calculé la succession des survivants S1, S2, S3… S ω-1, qui constitue les tables de survie pour la France et pour chaque sexe. En même temps se sont trouvées construites les Tables mortuaires par la succession des valeurs :
80 [6]
81qui sont le nombre des décédés annuels que le groupe Sn fournit en devenant Sn+t ; nous désignons par dn··n+t ces termes16.
8231° Immédiatement après, nous avons calculé la Table de population que suppose nécessairement cette mortuaire. En effet, les nombres de survivants S20, S25, S30, etc., donnent le nombre de ceux auxquels il est donné d’atteindre leur 20e, leur 25e, leur 30e année révolue, mais non le nombre de ceux qui, à un moment quelconque de l’année, sont compris entre l’âge de 20 et 25 ans, de 25 et 30 ans, etc., tels que les donnent les census. Il est facile de comprendre, en supposant la distribution régulière des vivants, que la formule ou 2,5 (S20 + S25) donne la population de 20 à 25 ans (p20··25). De même, la population de 2 à 3 ans sera 0,5 (S2 + S3), et, en général,
83 ou mieux =
[7] ;
84α étant susceptible de prendre toutes les valeurs que nous lui avons attribuées dans la formule générale [5].
8532° Il faut remarquer, en effet, que la formule de p [7] suppose que, dans chaque groupe pn··n+t, les vivants sont répartis, de l’âge n à l’âge n+t, suivant une progression arithmétique. Cette hypothèse, suffisamment exacte pour la plupart des âges, ne l’est plus précisément aux âges où nous avons dû introduire une correction pour la détermination de la survie. La même correction, les mêmes valeurs /58/ successives de α aux mêmes âges, conviendront encore ici pour amender l’erreur qui résulte de cet écart entre l’hypothèse et le vrai ; ainsi on aura p0··1 = (S0 + S1) 0,479, etc. ; ... et à l’autre extrémité de la vie p100··ω = S100 x 1,37. C’est sur ces principes que nous avons dressé la Table de population générale et celle de chaque sexe.
8633° Listes et Tables. Les détails dans lesquels nous sommes entré ont dû faire nettement comprendre la différence qui sépare la Table de la Liste de population. La liste est le résultat du dénombrement rectifié ou supposé exact ; c’est le fait, de même que la liste mortuaire, ou tout simplement la mortuaire, est le résultat du dépouillement des registres de l’état civil. Mais, par la comparaison, âge par âge, de ces deux listes de fait, on a pu calculer, durant la période étudiée (période qui a fourni la mortuaire et les census), le danger de mourir à chaque âge ; et, dès lors, soumettant, âge par âge, un groupe convenu de nouveau-nés à cette seule cause de décroissance, on a obtenu la Table de population, la Table de survie et la Table mortuaire qu’elle suppose. Quoique se rapportant à une population idéale, ces tables sont des expressions exclusives, mais complètes de la mortalité telle qu’elle a pesé à chaque âge pendant la période étudiée. En effet, notre population deviendrait nécessairement identique à cette population idéale, si elle restait, durant un siècle, soumise exclusivement à la mortalité de la période étudiée.
87Nous avons montré, au contraire, que la Liste de population, population de fait et actuelle, porte les traces profondes de tous les événements qui sont survenus depuis plus d’un siècle et ont contribué à l’éclaircir. C’est donc seulement sur les Tables que l’on peut apprécier les conditions que la mortalité actuelle fait aujourd’hui à notre population et l’avenir qu’elle lui prépare.
8834° Vie moyenne. — C’est, par exemple, sur la Table mortuaire que nous calculerons la vie moyenne en faisant la somme de tous les âges vécus et en divisant par le nombre de ceux qui les ont vécus17. C’est en opérant ainsi que nous trouvons une vie moyenne de 40 ans pour les deux sexes. C’est seulement cette valeur, ainsi déterminée, qui satisfait à l’idée mathématique de la vie moyenne, due à Nicolas Bernoulli18. Ce mathématicien l’a conçue comme un cas particulier de l’espérance mathématique, qui sert, par exemple, à apprécier la part à laquelle chaque joueur a droit, s’il quitte le jeu avant la fin de la partie. De même, si un nouveau-né, au lieu d’être abandonné aux chances aléatoires de vie ou de mort qui peuvent le faire succomber à l’instant ou dans un siècle ; si, dis-je, ce nouveau-né pouvait changer /59/ cet avenir incertain contre un fixe assuré, quelle part de vie devrait lui être légitimement attribuée ? C’est évidemment le calcul de l’espérance mathématique qui en décidera, et cette part est précisément la vie moyenne à la naissance. C’est elle qui est donnée par nos formules. On peut dire encore que c’est la part de vie qui revient de droit à chaque nouveau-né en distribuant également entre tous les chances de vie et de mort qui menacent chaque âge dans la période étudiée. Il est clair, d’ailleurs, que cette part ne peut se calculer ni d’après un passé qui n’est plus, ni d’après un avenir encore inconnu, mais selon l’état présent. On peut présumer seulement qu’une atténuation progressive dans les chances de mort étant le plus probable, cette vie moyenne, calculée aujourd’hui pour nos jeunes générations, est une valeur minimum, qui sera sans doute dépassée en fait.
8935° Si on applique à la liste mortuaire la formule [8] de la vie moyenne, on trouve 35,66 ans, qui est l’âge moyen des décédés de la Liste. On voit combien cet âge, si souvent confondu avec la vie moyenne, s’en éloigne. Cette valeur ne mesure pas, ne résume pas les conditions de vie ; elle est le résultat complexe : 1° de la mortalité à chaque âge ; 2° du nombre relatif des vivants à chaque âge, arrangement qui résulte lui-même de causes multiples et très complexes (n° 20).
9036° Vie probable. — On donne assez improprement ce nom en mathématique à un âge médian, en d’autres termes, à l’âge auquel la mortalité, agissant d’âge en âge, aura réduit à la moitié le nombre des naissances d’où l’on est parti. C’est une mesure qui n’a égard qu’au nombre des survivants et non pas, comme la vie moyenne, au nombre des années vécues. Mais l’une et l’autre mesurent la vie selon des directions différentes et ne peuvent se déterminer que sur les Tables calculées. Ainsi, en France, cette vie probable est 44,3 ans ; elle indique que c’est à 44,3 ans que la moitié de nos nouveau-nés aura succombé si la mortalité actuelle persiste. Nous avons déterminé (voir le [tableau 1]) cette valeur pour plusieurs départements.
9137° Calculé sur la Liste mortuaire, cet âge médian est de 33,3 ans. Ce n’est pas là une mesure de la vie, mais un résultat complexe qui indique seulement que, par suite de la distribution actuelle, et de nos vivants, et de la mortalité à chaque âge, la moitié de nos décédés a moins de 33,3 ans, etc.
9238° Âge moyen des vivants. — On peut encore se proposer de déterminer, et sur la Table et sur la Liste de population, quel est l’âge moyen des vivants d’après la formule [8] qui a servi à la détermination de la vie moyenne19. On trouve ainsi que l’âge moyen de la Table de population est de 32,28 ans ; sur la Liste de population, elle est de 30,6 ans. Si on se propose de rechercher les conditions d’avenir que la mortalité actuelle prépare à notre population française, c’est le chiffre de la Table qu’il faut considérer. Mais si l’on veut apprécier l’influence de notre passé, quel qu’il ait été (mortalité, émigration, guerre, etc.), sur notre population actuelle ; ou si nous voulons estimer la force et l’état actuel des citoyens au point de vue économique, politique, etc., il est clair que c’est la Liste des vivants qui nous donnera ces notions. Il en est de même si l’on veut résumer la population dans les trois termes /60/ ci-après : 0-15 ans, impubères ; 15-60 ans, âge de fécondité, de force et de production ; 60-ω, vieillards.
93En France, sur 1 000 habitants (population de la Liste), on trouve la distribution suivante (pour la période 1840-1859) : 283 enfants ; 616 adultes de 15 à 60 ans ; et 101 vieillards. La Table, au contraire (population théorique ou représentative de ce que deviendrait notre population soumise, pendant toute une génération seulement, et sans perturbation, à la mortalité et à la natalité actuelles), donne la distribution suivante : impubères, 270 ; adultes de 15 à 60 ans, 600 ; vieillards, 130.
94On voit par la comparaison, terme à terme, de ces deux séries (283 : 270 ; 616 : 600 ; 101 : 130) que, si rien ne venait troubler le mouvement de notre population, nous verrions diminuer le nombre relatif de nos impubères de 46 ‰, et même de 26 celui des adultes, et augmenter de 33 à 34 celui de nos vieillards. Or, il importe de remarquer que, pendant que ce mouvement s’opérera dans les rangs de nos vivants, si nos conditions de vitalité à chaque âge restent identiques, la mortalité générale augmentera. Elle est aujourd’hui de (0,023) 23 ‰ ; elle s’élèvera à 0,025 ! D’un autre côté, l’âge moyen des décédés s’élèvera ; il est maintenant de 35,66 ans ; il sera de 40 ans. Mais les vraies mesures, résultantes générales de la mortalité à chaque âge, la Vie moyenne, la Vie probable, mathématiquement déterminées, indiqueront parfaitement le statu quo et resteront invariables. A cette époque, ceux qui prétendent mesurer les mouvements de notre vitalité par la mortalité générale, affirmeront que nous sommes en décadence ; tandis que ceux qui interrogeront l’âge moyen de nos décédés et continueront à le considérer comme mesure de la vie moyenne, célébreront notre progrès ! dissentiments qui ne seront dus qu’à la fâcheuse prétention de vouloir faire de la statistique avant d’en avoir suffisamment étudié la méthode !
9539° Nous donnons donc ci-après les Listes et les Tables dont nous venons d’étudier la construction et les significations. Nous les donnons pour les deux sexes réunis (France entière) et pour chaque sexe séparément, nous réservant de faire ressortir dans un autre travail les conséquences que l’on peut en tirer.
96Quoique la formule [5] soit assez simple et d’une application assez commode, elle pourrait être mise sous d’autres formes qui abrégeraient le calcul, mais seraient peut-être moins facilement abordables pour tout le monde. Au surplus, en examinant, dans un mémoire ultérieur, le problème de la construction des tables de survie à un point de vue plus particulièrement mathématique, nous serons conduits à deux formules logarithmiques d’une simplicité remarquable. Voici l’une d’elles qui n’est que la transformation de notre formule [3] :
97 [9]
98ou, en logarithmes, et en introduisant le coefficient correctif α :
99log Sn+1 = log Sn + log. (2 – αcn··n+1) – log. (2 + αcn··n+1) [10],
100formule assez expéditive, puisque l’on n’a que deux logarithmes à chercher pour le calcul de chaque terme et que les valeurs 2 – αc·· et 2 + αc·· sont d’un calcul très facile.
101Depuis, nous avons trouvé, et nous donnerons dans un prochain mémoire, une formule logarithmique en fonction de log. e (e étant la base des logarithmes Népériens), formule plus rigoureuse et peut-être encore plus commode ; mais elle exige un développement mathématique qu’il n’entrait pas dans notre pensée de donner ici.
/61/ [Tableau 6]. France, période 1840-1859. Les deux sexes réunis. Moyennes annuelles

/62/ [Tableau 7]. France, période 1840-1859. Sexes séparés. Moyennes annuelles

10240° Tableaux. — Le [tableau 6] donne les éléments de la vitalité pour la France entière. Il se divise, comme le suivant, en Listes et en Tables (voir n° 33). Les Listes comprennent : 1° la succession des vivants, moyenne de trois census ramenés à la population de 1840-1859, contrôlés et rectifiés selon les règles que nous avons tracées (nos 18, 22) ; 2° la succession des décès qui correspondent à chaque groupe de vivants et qu’ils fournissent en moyenne annuelle, succession donnée dans la même période par les registres mortuaires de l’état civil. La colonne suivante est la table de mortalité. Chaque terme s’obtient en divisant la mortuaire par la population ; elle donne le danger de mourir à chaque âge par individu ; en multipliant ces coefficients par 1 000 (par le simple déplacement de la virgule), on a le nombre des décès annuels fourni par 1 000 personnes du groupe d’âges auquel correspond le coefficient. Ainsi on voit que, de 20 à 25 ans, 1 000 individus donnent, année moyenne, 11,32 décès, et 100 000, 1 132 décès, etc.
103La colonne suivante est la Table de survie. Aux paragraphes 25° à 29° et formule [5], nous avons indiqué avec détail la manière de calculer cette table qui donne le nombre des survivants à chaque âge révolu. On doit aussi se reporter au [paragraphe] n° 33 pour bien saisir la différence 1° entre la Table mortuaire qui vient après cette survie et la Liste mortuaire, et 2° entre la Liste de population (1ère colonne) et la Table de population qui représente la distribution des vivants à chaque âge, s’ils n’eussent subi d’autre influence que celle de la mortalité dans la période étudiée (1840-1859). On remarquera, par exemple, comme nous l’avons déjà fait ([paragraphe] n° 38), combien cette Table est plus riche en vieillards (elle en renferme 1 263 690 de plus) ; et dès lors on s’expliquera pourquoi le chiffre de la mortalité générale de la Table est plus considérable que la mortalité générale de la Liste
, quoique la mortalité à chaque groupe d’âges soit exactement la même dans l’une et l’autre succession. On remarquera, en outre, que, de 20 à 30 ans, les nombres de vivants accusés par la Liste (census) surpassent ceux de la Table de population. C’est le résultat de l’immigration d’étrangers aux âges de travail (Allemands, Belges, etc.), immigration que les Tables ne supposent pas. Enfin, pour la France entière, nous avons donné une colonne des sommes des âges vécus par les décédés de chaque groupe de la Table mortuaire. Par exemple, cette table indiquera 12 300 décédés de 4 à 5 ans ; ils ont vécu chacun, en moyenne, 4 ½, et 12 300 x 4 ½ donnera la somme des années vécues par ce groupe (voy. [paragraphe] n° 34) ; d’un autre côté, la somme de ces produits d’années vécues divisée par le nombre D de ceux qui les ont vécues, donnera la Vie moyenne, soit 40,05.
104On remarquera dans ce tableau deux Survies. La première part de 958 000 S0 ou naissances vivantes20, nombre qui, année moyenne, se produit en France. Il s’ensuit que la population théorique qui résulte de ce point de départ peut, ainsi que nous venons de le faire, être comparée à la population de fait. Mais comme les auteurs partent habituellement d’un nombre rond de naissances vivantes, et que nous faisons de même pour toutes les autres survies, nous avons calculé, pour la France, une seconde table en partant de 100 000 S0. Cette survie pourra donc, ayant le même point de départ, être plus facilement comparée avec les autres.
105/64/ Le tableau suivant donne les mêmes éléments de vitalité pour chaque sexe séparément. Enfin le lecteur, en se reportant au premier tableau, y trouvera un résumé des principales valeurs de ces deux derniers tableaux rapprochées des valeurs correspondantes pour six départements. Mais tandis que, pour la France, la période étudiée est de vingt ans (1840-1859), elle n’a pu être que de dix ans pour les départements (1840-1849). Toutefois, nous nous sommes assuré que la différence est très peu sensible. Ce tableau contient les principales valeurs que l’on a coutume de calculer : Vie moyenne, Vie probable des Tables ; Âge moyen et Âge probable des décédés des Listes pris à la naissance S0. Le lecteur remarquera la grande différence qui existe entre la vie moyenne, 40,05, et l’âge moyen des décédés des listes (Ad), 35,66 ; la différence plus considérable encore entre la Vie probable (Vp) calculée sur la Table, 43,3 ans, et l’Age probable (Ap) de la liste, 33,5 ans. Il verra même que, suivant la valeur que l’on adopte comme appréciation de vitalité, l’ordination change, etc.
106Nous ajouterons seulement ici une valeur qui manque dans le premier tableau : L’Âge moyen des vivants. — Si on calcule cet âge sur la Liste de population (France entière), on le trouve de 30,6 ans ; si on le détermine sur la Table, il s’élève à 32,28 ans. Pour la population de fait mâle, il est de 30,12 (et de 32,16 selon la Table), et pour les femmes de la Liste, 30,8 (et 32,4 selon la Table).
107Enfin la comparaison de la mortalité à chaque âge suivant les sexes donnera lieu de remarquer que c’est la 1ère et la 2e année, puis de 20 à 30 ans, que la mortalité masculine dépasse dans la plus large proportion la mortalité de l’autre sexe, tandis qu’elle n’est jamais dépassée que dans de faibles limites par la mortalité féminine.
108On n’oubliera pas que ces éléments de la vitalité et de la mortalité s’appliquent à la période 1840-1859. Pour cette période, nous avons la conviction que, avec les documents connus, on ne peut approcher plus près de la vérité. Mais, soumis aux mêmes formules, les documents à venir, certainement plus précis, donneront aussi une approximation plus grande pour la nouvelle période qu’ils embrasseront.
109M. le Docteur BERTILLON
Notes de bas de page
1 Kang, 1993 ; Droesbeke, 2005a ; Schweber, 2006.
2 JSSP, t. 3 (4), « Vie de la Société », séances des 2 avril et 3 mai 1862, p. 122 et 141-143.
3 « Des diverses manières de mesurer la durée de la vie humaine »,JSSP, 7(3), mars 1866, p. 45-64 (1866b).
4 [En fait le tableau 1 ne renseigne la « mesure de la vitalité » que selon neuf méthodes, correspondant aux colonnes de a à j, le i n’étant pas utilisé. La partie B du tableau ne fournit que des mesures pour des tranches d’âge données.]
5 [Price, 1779 ; Dupin, 1828a.]
6 [Bertillon passe ici du 3e au 5e point en omettant le 4e.]
7 [1865k.]
8 Voyez le 1er tableau ci-dessus : les colonnes Ad, ,
,
, donnent les grandeurs qui ont été confondues ou données comme équivalentes à la vraie Vie moyenne donnée dans la première colonne (Vm). [Tableau 1.]
9 D’après les documents officiels de chaque pays ou ceux résumés dans l’excellente introduction au Recensement de 1861 (volume XV de la collection de la Statistique générale de France).
10 Il importe de remarquer, pour qu’on ne se méprenne pas sur la signification de ces faits, que la distribution des vivants entre chacun des trois groupes d’âges est due à plusieurs causes diverses, à savoir : la natalité (rapport des naissances à la population), les mouvements migratoires et la mortalité à chaque âge. Si cette dernière influence a la plus grande part dans ce qu’a d’anormal la distribution des âges dans la population esclave des États-Unis, c’est surtout l’immigration et une puissante natalité qui déterminent cette distribution dans la population blanche des mêmes États. Il faut, au contraire, attribuer à l’émigration, combinée avec une mortalité et une natalité assez prononcées, la même distribution pour les populations allemande, irlandaise et même anglo-saxonne ; tandis qu’en France des mouvements migratoires insignifiants, une natalité et une mortalité relativement assez faibles, nous donnent une distribution exceptionnelle.
11 [Bertillon avait publié en 1863 une recension élogieuse du Mémoire sur la prostitution publique du pharmacien, médecin et hygiéniste Julien-François Jeannel (1894-1896) (Jeannel, 1862 ; Bertillon, 1863c).]
12 Tous les nombres et calculs qui suivent, se rapportant à la France en général, sont les valeurs de l’année moyenne, s’appliquant à la période de 20 ans (1840-1859), et ne comprenant pas les trois nouveaux départements annexés.
13 [le début du paragraphe 21, jusqu’à « supportées », constitue une définition novatrice des effets de génération. Libby Schweber en a souligné l’importance en faisant l’exergue de Disciplining Statistics (Schwber, 2006, p. 1).]
14 Ces deux documents : census et décès par âge, sont extraits, ainsi que les naissances annuelles, des publications du ministère de l’ZAgriculture (division de la Statistique générale de France). Le chiffre des conscrits est emprunté aux Comptes rendus du recrutement (ministère de la Guerre).
15 [Quetelet, 1853.]
16 Comme il importe de ne pas confondre dans les formules les valeurs qui appartiennent aux listes de population et à celles des décédés, avec les valeurs correspondantes des tables calculées, nous représenterons les premières par les caractères ordinaires d, p ; et les secondes par les caractères italiques d, p.
17 Soit A, B, C.... U, le nombre des décédés de la Table mortuaire aux âges successifs a, b, c....u ; et Vm la vie moyenne, on a :
[8]
Les valeurs b, c, doivent en général être prises au milieu de la période d’âge de chaque groupe de décédés ; ainsi le groupe d3..4 sera multiplié par 3,5 ; le groupe d20..25 par 22,5 ; celui d25..30 par 27,5 ; ainsi de suite. Mais encore ici, à cause de la mortalité rapide des âges extrêmes, il importe beaucoup de faire quelques corrections, surtout pour le premier âge. En effet, il résulte de mes recherches particulières que l’âge moyen des décédés d0..1, au lieu d’être 0,5, est au-dessous de 0,3, soit 0,27 ; si on avait seulement d0..5, leur âge moyen est de 1,25 au lieu de 2,5 ! Si d0..10, âge moyen, = 1,85, d1..5, âge moyen, = 2,43 ; d1..2, âge moyen, = 1,485. Pour les âges extrêmes, la correction importe moins ; voici cependant les multiplicateurs que j’ai trouvés pour chaque groupe d’âges de 5 en 5 ans, à partir de d70..75, 72,47 , 77,36 , 82,26 , 87,16 , 92,05 , 96,7 , et enfin environ 100,8 pour d100..ω. Si les groupes de décès étaient de 10 en 10 ans, on trouve : d70..80 x 70,7 ; puis 83,9 ; et 92,8 pour le groupe d90..100 ; et environ 95 pour d90..ω.
18 Actorum eruditorum supplementa, t. IV, p. 159 [1742].
19 Dans le calcul de l’âge moyen des vivants, l’âge moyen de chaque groupe de vivants est très généralement le milieu de leur période d’âge. La correction qui résulte de l’inégale distribution des vivants dans le groupe a beaucoup moins d’importance que pour les décès, au moins dans la première année. Ainsi pour p0..1 l’âge moyen est environ 0,489, au lieu de 0,5 ; cependant au-delà de 70 ans, on pourra adopter les mêmes âges moyens qui conviennent au groupe correspondant des décédés. (Voy. note 16.)
20 En ajoutant en nombre rond 42 000 mort-nés dn, on a 1 million de naissances, nombre qui se trouve justement convenir à la France sans l’annexion.
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