Chapitre 1
Statistique et démographie, quatorze mots-clés
Notices du Dictionnaire de médecine de Littré et Robin1
p. 87-124
Texte intégral
1Émile Littré et Charles Robin publient en 1865 une douzième édition, amplement refondue, d’un Dictionnaire de médecine qui avait été lancé par Joseph Capuron en 1806 et réorganisé par Pierre-Hubert Nysten en 1833. Dans un contexte où le monde de la médecine est profondément divisé par des tensions religieuses et politiques, Littré et Robin se positionnent en libres penseurs et en organisateurs de la « sphère positiviste » (Schweber, 2006, p. 89). Dans leur préface, ils indiquent que ce dictionnaire « doit à M. Bertillon les articles de statistique médicale » (p. vi).
2Les contributions de Bertillon consistent en quatorze notices : Démographie, Mariage, Mésologie, Mortalité, Mort-né, Moyenne, Naissance, Natalité, Population, Statistiques, Table [de mortalité], Taille, Vie moyenne, Vie probable. Elles seront reprises sans changement notable dans des éditions ultérieures (1873, 1880, etc.). Pour la première fois dans l’histoire, le terme de « démographie » donne lieu à une entrée de dictionnaire, et c’est Bertillon qui en est l’auteur.
3Censé couvrir tout le domaine de la « statistique médicale », Bertillon traite bien de statistique, mais très peu de médecine. C’est surtout la démographie qui l’intéresse. On note que l’un des quatre piliers de la discipline émergente est manquant : aucune notice n’est consacrée aux migrations. Celles-ci, conformément aux analyses de Paul-André Rosental (Rosental, 2006, p. 13), sont implicitement considérées comme contingentes, exogènes, perturbatrices.
4Bien que succincts, les articles comportent des indications méthodologiques assez détaillées. Le dictionnaire visant un lectorat doté d’un socle de culture scientifique, Bertillon, prosélyte, aborde non seulement des notions générales, mais aussi des questions pratiques de statistique et de démographie.
5Parallèlement, à partir de 1864, il publie dans le Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales (DESM) dirigé par Amédée Dechambre, des articles plus nombreux et plus développés. Les migrations vont faire cette fois l’objet d’une notice, dans laquelle Bertillon érige en modèle les colonisations de peuplement qui s’organisent dans le cadre de l’Empire britannique (1873d ; Andersen, 2015, chap. 1)2.
6Dans l’article « Démographie », ayant indiqué que la moyenne est l’instrument statistique majeur de la démographie, Bertillon choisit un exemple qui peut paraître surprenant, la taille des conscrits du Finistère – les plus petits de toute la France. On pourrait considérer que de telles observations relèvent plutôt de l’anthropologie physique. Dans un de ses derniers écrits, la notice « Démographie » du DESM, il explicite enfin les raisons pour lesquelles la taille concerne la démographie :
« Lorsque l’anthropologiste, anatomiste, mesure un grand nombre de fois le même organe (crâne, membres, poids et tailles, etc.), afin de découvrir les variations individuelles, il fait de la statistique humaine, et non de la démographie ; mais, s’il étend ce travail à divers groupes sociaux pour apprécier les différences qui les caractérisent, il est démographe en même temps qu’anthropologiste » (1882b, p. 652).
7Il revient sur le thème de la taille des conscrits non seulement dans la notice « Taille » du dictionnaire de Littré et Robin (voir ci-après), mais aussi, et plus longuement, dans l’article « Moyenne » du DESM (1876b ; voir le chapitre 20 du présent ouvrage). Ce choix d’exemple témoigne de l’encastrement, chez Bertillon, de la démographie dans le domaine plus vaste de l’anthropologie : l’anthropologie est l’étude des peuples, la démographie est l’étude statistique des peuples.
8En 1865, Bertillon donne de la démographie une définition générale, « statistique appliquée à l’étude collective de l’homme », où le mot « homme » est au singulier, mais dans la notice « Taille », il choisit un exemple où il distingue deux sortes d’hommes, les petits et les grands conscrits du Doubs. En 1876, l’inscription de la démographie dans la sphère de l’anthropologie trouve un aboutissement institutionnel avec sa nomination comme professeur de démographie à l’École d’anthropologie de la Faculté de médecine de Paris. En 1877, il met sa définition générale en harmonie avec ses choix d’exemples en voyant dans la démographie « l’étude statistique des peuples », et non plus « de l’homme » (1877c, p. 311). Termes polysémiques, « peuple » et « race » se sont chargés, au fil de l’histoire, de significations et de connotations diverses. Bertillon n’en donne jamais de définition générale explicite ; en pratique, il les voit comme les produits conjoints des déterminations par le milieu et par l’hérédité3.
9Parmi les quatorze intitulés de notices, celui de « Mésologie » désigne l’étude de l’effet du milieu, ou de l’environnement (par opposition principalement aux effets génétiquement héréditaires), sur les phénomènes démographiques. Bertillon, sans le dire, emprunte ce néologisme – proche de ce qu’on appelle aujourd’hui l’écologie – à l’un des deux directeurs du Dictionnaire de Nysten, Charles Robin, qui l’avait lancé en 18484.
10À l’entrée « Natalité », on constate qu’en 1865 Bertillon n’est pas nataliste : « C’est ainsi que peut varier la signification de la natalité suivant les temps et les contrées, les états sociaux, et qu’il y a lieu de se féliciter tout à la fois et de la faible natalité de la vieille France, et de la puissante natalité de la Nouvelle-France ou Canada » (p. 993). Après la défaite de 1870, il prendra de plus en plus nettement parti en faveur d’un relèvement de la natalité française.
11Dans la notice « Population », Bertillon ne fait référence ni à Mirabeau père (L’ami des hommes, ou traité de la population, 1756-1760) ni à l’Encyclopédie, qui jouèrent un rôle clé dans l’évolution du sens de ce terme ; celui-ci désignait auparavant tantôt l’action de peupler (ce qu’on appelle aujourd’hui le peuplement), tantôt l’ensemble des habitants d’un lieu (Théré et Rohrbasser, 2002). Au xixe siècle, cette dernière acception l’avait pleinement emporté.
12Bertillon, précurseur, y ébauche une distinction entre effet d’âge et effet de cohorte : « La mortalité qui, par exemple, a décimé le premier âge de ceux qui ont aujourd’hui 60 et 70 ans, peut être fort différente de celle qui agit sur les premières années des enfants d’aujourd’hui ».
13Dans l’article « Statistique », Bertillon critique l’approche du médecin qui avait été étiqueté comme le père de la « méthode numérique », Pierre-Charles-Alexandre Louis. Louis avait observé que la part des décès dus au typhus était plus importante dans les hôpitaux civils que dans les hôpitaux militaires (Louis, 1825). Bertillon, se référant allusivement aux calculs de probabilité de Laplace (Laplace, 1812), estime que la différence entre les deux types d’établissements pourrait être d’origine purement aléatoire.
14L’entrée « Taille » est traitée en trois pages. Bertillon avait prévu d’en développer la substance dans un long article du DESM. Il meurt avant que ce vaste dictionnaire ne parvienne à la lettre T, et c’est Jacques Bertillon qui publie le texte annoncé, témoignant une fois encore de sa grande proximité intellectuelle avec son père (Bertillon J., 1885a).
15A. C.
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Démographie
16/423/5 Statistique appliquée à l’étude collective de l’homme (Guillard6). La démographie peut être considérée dans son objet et dans sa méthode. À ce double point de vue, elle a des rapports étroits avec les sciences médicales, notamment avec l’hygiène et la mésologie (V. ces mots). Elle est l’instrument obligé de l’anthropologie. Elle a pour objet de dire la force des principaux phénomènes physiologiques et sociaux dont les populations sont le sujet : telles sont les naissances, les mariages, les décès ; la mesure des forces et des développements physiques, moraux, intellectuels, etc. ; mais surtout de déterminer les rapports, les lois selon lesquels se développent, s’accélèrent ou se ralentissent ces mouvements. Aujourd’hui ces rapports sont peu connus, et la démographie est encore dans l’enfance ; elle manque de bons documents. Comme méthode, la démographie suppose avec raison que, pour connaître une collectivité naturelle et apprécier les rapports qui la régissent, il faut déterminer sur chaque individu qui la compose (ou sur un aussi grand nombre que possible pris au hasard, sans choix ni exclusion), la grandeur de chacun des attributs généraux qui sont propres à cette collection. Il faut ensuite, par des procédés spéciaux (V. Statistique), trouver et exprimer la résultante de ces mesures individuelles, résultante qui donne la notion, résumée mais précise et scientifiquement déterminée, de la force de chaque attribut appartenant à la collectivité étudiée. Cette résultante peut être exprimée sous deux formes différentes : ou par une moyenne arithmétique (qui s’obtient en divisant la somme des grandeurs relevées par le nombre des faits observés) ; ou par une série formée au moyen de l’arrangement, selon l’ordre de grandeur, de toutes les mesures relevées ; mais, avant cette sériation, les mesures les plus voisines doivent être préalablement agrégées en petits groupes réglés sur un module uniforme, approprié au sujet et à la précision qu’il comporte. Élucidons succinctement ces principes de la méthode en prenant par exemple la taille, un des attributs de la collectivité humaine. Les comptes rendus du recrutement en France fournissent des masses de faits observés que nous chercherions en vain pour les autres attributs. Ces faits sont distribués par département. Ainsi, pour le Finistère par exemple, qui donne les tailles les plus petites de France, on trouve que la moyenne de la taille des conscrits est 1,612 mètre. Pour dresser la série des tailles, nous prendrons 8 centimètres pour module du groupement préalable (les comptes rendus groupent par 27,07 millimètres, c’est-à-dire par pouce ancien, groupement bizarre et incommode qui n’a sa raison que dans des mesures surannées et interdites7) ; 1 centimètre vaudrait mieux pour ce sujet, il donnerait en quelque sorte la série chromatique des tailles, mais il exigerait et des détails que les comptes rendus nous refusent, et un tableau d’une étendue que cet ouvrage ne comporte pas. La série de 8 en 8 centimètres donne donc, pour le Finistère, sur 1 000 conscrits :

17Cette résultante sérielle est beaucoup plus expressive, plus riche en enseignements, qu’une simple moyenne, contraction qui, fondant en un seul terme tous les faits observés, en efface toutes les nuances. Celle-là, au contraire, conserve les détails utiles de ces faits (si le module est bien choisi) et se prête à leur étude analytique. Elle montre quel est le degré d’affinité qui les relie, et souvent par là si la collectivité étudiée est naturelle ou artificielle. Enfin, cette série permet toujours de déterminer approximativement : la grandeur moyenne (ici de 1,612 m) ; les limites de la grandeur probable ou celle qui comprend la moitié des faits observés (ici comprise environ entre 1,568 m et 1,654 m, ce qui donne un écart probable de 43 millimètres de chaque côté de la moyenne) ; les limites de la grandeur possible (comprise ici entre 1,41 m et 1,81 m, d’où un écart possible de 20 centimètres), et enfin la probabilité que telle grandeur donnée se rencontre dans la collectivité étudiée et dans chacun des groupes de la série qui la compose. La concision d’une résultante sérielle est en raison directe de la grandeur du module adopté pour former les groupes ; mais la délicatesse avec laquelle les détails se dessinent, et la richesse des enseignements qui en résultent, l’approximation de la moyenne et des probables, sont en raison inverse de cette grandeur (V. Moyenne et Série). Le mode d’enquête, le nombre absolu des faits observés et le temps de l’observation doivent être toujours relatés. Ainsi, nos valeurs sur la taille des conscrits, calculées sur les comptes rendus du recrutement, embrassant la période décennale 1851-1860, portent sur un total de 16 709 observations (les deux premiers groupes de la série sont déterminés par la méthode de A. Quetelet8). Parmi les principaux attributs démographiques qui doivent être relevés et exprimés en séries, ou au moins en moyennes, mais alors avec les grandeurs probables et possibles, nous citerons : les tables de population, avec subdivision selon les âges, les sexes, les états civils et les tables mortuaires (V. Table) ; les professions ; les lieux d’origine ; les naissances ; les mariages ; les tailles ; les poids et volumes, soit du corps entier, soit de ses principales parties (circonférences thoraciques, mesures céphaliques, pelviennes, etc.) ; les nuances et les qualités des cheveux, des yeux, de la peau, etc., suivant les normes adoptées par la Société d’anthropologie de Paris ; les espèces pathologiques, mesurées dans leur fréquence et dans leur puissance par leurs effets (maladies et décès) (V. Nocuité, Mortalité) ; la consommation, la production ; les qualités intellectuelles et morales, mesurées par le nombre et la puissance des principales manifestations spontanées, par leurs produits, etc. ; ajoutons que tous ces attributs doivent, autant que possible, être donnés selon les âges, les sexes, les professions, etc.
18V. Statistique.
Mariage
19/903/ Contrat synallagmatique et authentique, par lequel les conjoints s’assurent, outre les rapports de sexe, la communauté de vie, d’efforts et d’intérêts, dans la vue de se donner mutuellement société et secours, et d’élever les enfants à venir. Cette union légale a une influence assez /904/ marquée sur la santé physique et morale des populations pour qu’il importe à la démographie biologique de la faire entrer dans son cadre. La statistique prouve, en effet, que le mariage diminue les chances de mortalité, d’aliénation et surtout de criminalité ; qu’il est favorable à la fécondité et plus encore à la vitalité des nouveau-nés. Il y a donc lieu de rechercher, dans chaque localité, le rapport : 1° des unions annuelles, 2° des couples déjà existants, à la population adulte (ou, dans l’insuffisance des documents, à la population totale). Ces deux rapports ne doivent pas être confondus, car ils ont souvent une marche divergente et même inverse. C’est ainsi que, dans la période 1851-1860 et par rapport à la population totale, le coefficient des unions contractées en France est, année moyenne, de 0,0079 (soit 79 sur 10 000), et celui des couples existants de 0,195 (soit 1 950 couples, ou 3 900 gens mariés, sur 10 000) ; en Angleterre, le premier est de 0,0085, et celui des couples de 0,169 ; en Irlande, le premier est de 0,0111, et le second, de 0,144. Ainsi, plus de mariages annuels et moins de couples existants en Angleterre qu’en France, en Irlande qu’en Angleterre. En l’absence de documents directs, la confrontation de ces rapports peut évidemment servir à apprécier la durée moyenne des mariages. On peut même déterminer cette durée par le quotient des deux rapports, si, en moyenne, le coefficient des unions annuelles est stationnaire depuis la durée présumée des mariages, comme il arrive en France, et si les migrations sont peu importantes. On trouve ainsi qu’aujourd’hui, en France, cette durée est de 24,7 ans, tandis qu’en Angleterre, si l’on néglige l’émigration, on ne pourra l’évaluer qu’à 20, au plus 21 ans. Le mariage offre encore à étudier : 1° les âges respectifs des époux, soit au jour de l’engagement, soit pendant sa durée ; 2° le nombre, le sexe et la qualité des enfants suivant les qualités des époux. Ainsi, on a cru remarquer des rapports constants entre le sexe des enfants et les âges des époux (V. Sexe), entre la consanguinité de ceux-ci et la santé de ceux-là. Mais il importe de faire observer sur ce dernier point (et sans préjuger la question), que les documents de la statistique générale sur lesquels on s’est fondé, sont reconnus fautifs ; que les mariages consanguins qu’ils dénoncent ne sont qu’une fraction indéterminée des nombres réels. C’est seulement à partir de 1864 que l’on pourra espérer avoir des nombres approchant de la vérité. Alors il faudra encore retenir que, si les conclusions que l’on tirera des données de la statistique générale sont de nature à suffire aux besoins actuels de la législation, ils ne jugeront pas sans appel la question théorique, s’ils sont défavorables à la consanguinité ; car les effets de la seule consanguinité y seront toujours confondus avec ceux de l’hérédité morbide, et celle-ci a plus de chances de s’ajouter, de s’aggraver dans les croisements en dedans.
Mésologie
20/932/ Nom donné par Bertillon à la science des milieux. La mésologie est la science des rapports qui relient les êtres aux milieux dans lesquels ils sont plongés. Les mutations réciproques entre l’être organisé et ce qui l’entoure et les coordinations qui résultent de ces rapports sont le sujet et le but de ces études. En effet, tout être, inerte ou vivant, a des rapports nécessaires et incessants avec le milieu dans lequel il est immergé : rapports d’ordre physique, caloricité, hygrométrie, électricité, ozonométrie, gravité, etc., et d’ordre chimique, suivant les affinités propres aux éléments et aux composés constituant les deux termes en présence ; puis plus particulièrement pour l’homme, des rapports d’ordre psychologique s’établissent entre l’individu et le milieu social. De ces divers rapports résultent des influences réciproques du milieu et des êtres inclus, par lesquelles ils se modifient mutuellement dans le rapport de leur force respective, jusqu’à ce que leurs actions antagonistes se soient mises en équilibre ou que le plus fort ait détruit le plus faible. Ainsi, tout état stable de l’être résulte nécessairement du conflit entre un état primitif et le milieu dans lequel il s’est rencontré. C’est cependant cette coordination, cette harmonie entre le corps immergé et son milieu, condition nécessaire de leur existence, qui a donné lieu à des admirations autrefois si naïves, aujourd’hui si niaises, sur l’harmonie préétablie entre les divers êtres et leur habitat. En raison de l’équilibre peu stable, où flottent pour ainsi dire les organismes vivants, et de leur activité incessante, leurs rapports avec les milieux sont plus variables et plus complexes, plus étendus et plus intimes, plus modifiables, leurs harmonies plus faciles à détruire, plus difficiles à déterminer. De là l’importance, signalée par Aug. Comte9 et par de Blainville10, de l’étude spéciale de ce groupe particulier de phénomènes biologiques, de leur sériation, enfin de leur constitution scientifique. Nous avons appelé mésologie cette science abstraite des milieux, dont les sciences appliquées corrélatives sont l’hygiène, l’acclimatation, la domestication. Ce mot remplace avec avantage les expressions de théorie ou science des milieux (de Blainville, A. Comte), puisque son radical μέσςν a dans la langue grecque les mêmes acceptions que le mot milieu en français, et qu’il désigne notamment, par une sorte de métonymie, le lieu, le tout vague et indéfini qui contient en son milieu un ou plusieurs êtres déterminés. Le mot mésologie satisfait donc aux analogies du langage technique, à l’analogie étymologique comme au besoin de la science. Il est évident que la mésologie suppose la connaissance préalable du milieu au point de vue physique, chimique, biologique, ainsi que celle de l’être inclus. Cependant il arrivera bien souvent que l’on voie surgir certains faits mésologiques qui ne pourront être ni prévus, ni expliqués par ce que l’on sait de la constitution de chacun des deux termes : ainsi, le milieu dit paludéen, celui qui engendre la fièvre jaune, celui de toute endémie, de toute épidémie, révèlent, par leurs effets, des agents spéciaux encore insaisissables et montrent en même temps combien nos connaissances analytiques sont incomplètes, et combien il importe, pour y suppléer et pour ouvrir des indications et des voies nouvelles aux recherches analytiques, de coordonner, de systématiser en une science à part tous les phénomènes mésologiques.
Mortalité
21/962/ Manifestation de cette condition des êtres vivants qui les rend sujets à la mort (V. Mort). Quand on la considère collectivement, elle peut varier d’intensité et devient une grandeur susceptible d’augmentation et de diminution. Alors elle se mesure par le rapport entre le nombre des décédés et le nombre des vivants qui les ont fournis dans l’unité de temps. L’unité de temps usitée en démographie (V. ce mot) est l’année moyenne (V. Moyenne).
22– Détermination de la mortalité. Elle se détermine en divisant le nombre moyen annuel des décès par la population moyenne (V. Population), soit D/P. C’est ainsi qu’en France, au milieu de notre siècle, on trouve que la mortalité générale des périodes décennales oscille entre 0,023 et 0,024 (soit 23 à 24 ‰), fraction qui exprime le danger de mourir dans l’année. Ce rapport devient ainsi un véritable coefficient de la mortalité, de même ordre que les coefficients de dilatation, etc., d’un usage si fréquent et si commode en physique. Il suffit de multiplier un nombre quelconque de vivants (soumis à la même mortalité) par ce coefficient, pour connaître le nombre moyen annuel de décès qu’il fournira. Dans le cas cité, 10 000 vivants donneront donc annuellement environ 235 décès.
23– Précautions à observer. L’expérience a prouvé que, dans une collectivité, les moindres circonstances qui touchent aux conditions de la vie, agissent sur la mortalité. Ainsi la mortalité varie non seulement suivant les âges, les sexes, les lieux, les habitats, les temps et les races ; mais encore selon les professions, le degré d’aisance, les conditions morales et intellectuelles ; selon l’état civil, /963/ les habitudes et les conditions du milieu social, le prix des denrées, etc. ; elle varie encore selon les conditions telluriques, météorologiques, par conséquent selon les années, les saisons, les mois, et selon le jour ou la nuit. Chacun de ces éléments entre (dans des proportions fort différentes, il est vrai) dans l’intensité de la mortalité générale. Si la teneur moyenne de l’un d’eux est notablement modifiée, la mortalité moyenne le sera dans le rapport de l’importance de l’élément dérangé de sa normale. L’âge est l’élément le plus important de la mortalité. Lorsque, pour apprécier la solidité respective de deux peuples, de deux races, on compare leurs mortalités, il faut préalablement rechercher si les deux groupes présentent des arrangements analogues dans la distribution des âges. Ainsi, dans notre colonie algérienne (1853-1856), la mortalité des colons espagnols et celle des colons italiens sont l’une et l’autre de 0,030 (soit 30 ‰). Mais la natalité (V. ce mot) espagnole est de 0,047, tandis que celle des Italiens est seulement de 0,039. Il résulte de là que le groupe espagnol est certainement composé d’un plus grand nombre de nouveau-nés, dont la mortalité ordinaire (0,20 environ dans la première année de la vie, ou 200 ‰) est bien supérieure à la mortalité générale ; elle accroît donc celle-ci quand elle y entre pour une plus grande part. On conçoit donc que, sans cet excédent de nouveau-nés, la mortalité espagnole n’atteindrait pas le chiffre 0,030, et que malgré l’égalité des mortalités générales espagnoles et italiennes, la mortalité à chaque groupe d’âge est certainement moindre pour les Espagnols que pour les Italiens. Mais les colons français, dont la natalité est de 0,041 et la mortalité de 0,047, ne laissent point de doute sur leur mortalité supérieure. Il sera donc toujours nécessaire de rapporter la natalité à côté de la mortalité.
24– Desiderata. Pour ces études de comparaison des peuples et des races, il y aurait toujours un grand intérêt à connaître les décédés et les vivants par groupes d’âges. Comme la mortalité diminue depuis la naissance jusqu’à 12 ou 15 ans, qu’elle croît assez lentement à partir de cet âge jusqu’à 60 ans, et s’accélère ensuite jusqu’à la fin de la vie, on pourrait provisoirement adopter au moins ces trois groupes : de 0 à 15, de 15 à 60, de 60 à ω (la fin). En France, dans la période 1840-1849, les coefficients successifs de la mortalité de chacun d’eux ont été : 0,030, 0,0115 et 0,068. Si, eu égard aux facilités de la pratique, on divise de 0 à 20 ans, etc., on trouve les coefficients : 0,0249 de 0 à 20 ans et 0,0123 de 20 à 60 ans ; ou encore de 0,0210 au-delà de 20 ans. La mortalité des nouveau-nés, qu’il est souvent facile de se procurer, offre un grand intérêt ; elle est aujourd’hui en France de 0,18 à 0,19. Elle est très différente suivant les sexes : 0,20 pour les garçons et seulement 0,165 pour les filles. Mais, dans beaucoup de cas, ces divisions ne sont plus assez analytiques, comme dans l’appréciation de la salubrité relative de deux professions ; il faut alors connaître, au moins de cinq en cinq ans, la succession des groupes d’âges qui composent les vivants et les décédés, afin de dresser, pour chacune, une table de mortalité (V. Table). Si les autres éléments dont nous avons parlé, et notamment l’aisance, peuvent être considérés comme égaux de part et d’autre, si les nombres sur lesquels on opère sont assez grands pour être affranchis des perturbations accidentelles, la comparaison des deux tables traduira la salubrité relative des deux professions.
25– Erreur à éviter. Il faut se garder de confondre la notion de mortalité (résultant toujours d’un rapport entre les décédés et les vivants) avec la force relative des différents groupes de décès comparés entre eux. C’est ainsi que, si l’on compare les décès de 20 à 30 ans aux décès généraux , on trouve les rapports 0,0615 pour le siècle passé et 0,0753 pour le milieu du nôtre ; mais ces rapports, indicateurs de la force relative des divers groupes de décédés, ne préjugent point le rapport de mortalité des deux époques. En effet, la mortalité de 20 à 30 ans
était au siècle passé de 0,013 à 0,014 pour les deux sexes ; elle est aujourd’hui de 0,010 à 0,011. Ces deux résultats ne sont pas contradictoires ; ils signifient que, tandis que le danger de mourir de 20 à 30 ans s’est atténué du xviiie au xixe siècle, il a moins diminué cependant que la mortalité de tous les autres âges réunis, et conséquemment un même nombre de décès comprendra aujourd’hui plus de décès de 20 à 30 ans qu’au siècle passé. La mortalité d’une maladie s’obtiendra par le rapport des décès qu’elle cause à la population générale qui les a fournis (d/P). Ainsi la mortalité phtisique (δ/P) a pour coefficient à Genève 0,0025, et à Londres 0,0029 (25 et 29 décès phtisiques annuels sur 10 000 vivants). La comparaison des décès phtisiques (δ) aux décès généraux (D) donne (δ/D) pour fréquence relative des décès phtisiques 0,124 à Genève et seulement 0,114 à Londres. Ces doubles rapports prouvent que, tandis que la mortalité ou le danger annuel de mourir phtisique est moindre à Genève qu’à Londres, cependant, comme les autres causes de mort sont encore plus aggravées à Londres, il en résulte que, sur un même nombre de décédés (1 000) de part et d’autre, on trouvera moins de phtisiques à Londres (114) qu’à Genève (124). C’est donc une grosse erreur et fort préjudiciable à la science que de confondre, comme on l’a fait trop souvent, le coefficient de la mortalité et celui de la force relative des différents groupes de décédés : le premier est l’élévation du danger qui menace chaque année les vivants, le second celle de la fréquence relative d’une espèce de décès par rapport à tous les autres sans considération de temps.
26(V. Table mortuaire).
Mort-né
27/964/ Se dit, en biologie et en médecine légale, de l’enfant qui est mort avant d’avoir vécu de la vie extérieure et individuelle, avant d’avoir respiré. Cette mort peut avoir lieu : 1° dans le sein de la mère avant l’accouchement ; 2° pendant le travail ; 3° immédiatement après l’expulsion et avant d’avoir respiré. En médecine légale, un enfant qui n’est pas né viable n’est pas nécessairement réputé mort-né s’il a respiré, ne fût-ce que quelques minutes. L’ensemble des conditions qui déterminent les mort-nés n’a pas encore été suffisamment étudié. Cette recherche devrait être faite : 1° au point de vue des conditions extérieures à l’enfant ; elles dépendent : a, des causes internes, comme vice de conformation de la mère, accidents de l’accouchement, etc. ; b, des causes externes, comme traumatisme ; 2° au point de vue des conditions dépendantes de l’organisme de l’enfant, telles sont : a, les monstruosités ; b, les maladies proprement dites du fœtus, soit héréditaires, soit de causes encore indéterminées. La loi française, sans être aussi formelle que pour le nouveau-né (il y a eu des décisions contradictoires), exige que l’enfant mort-né soit déclaré à la mairie et inscrit sur le registre de l’état civil. Jusque vers 1840, cette inscription était faite, quand elle l’était, seulement aux décès. Depuis, mais surtout à partir de 1853, elle a été faite à part, de sorte qu’aujourd’hui les mort-nés, écartés des décès et des naissances, ont une colonne à part. On ne trouve pas dans la loi (ni en biologie) une distinction nettement définie entre le mort-né et l’avorton, produit dont le développement a été arrêté à une époque trop voisine de la conception pour qu’il puisse être regardé comme viable, et dont la loi ne paraît pas exiger l’inscription. On peut dire que le produit expulsé avant le sixième et mieux avant le cinquième mois n’est qu’un avorton. Mais, dans l’inscription usitée à l’état civil, les mort-nés ne comprennent pas seulement ceux qui ont été déterminés ci-dessus, mais encore les enfants qui, ayant vécu, sont morts avant d’avoir un état civil, c’est-à-dire avant la déclaration de naissance ; déclaration qui, d’après la loi, doit être faite « dans les trois jours de l’accouchement ». Il en résulte que, jusqu’à ce jour, le groupe des prétendus mort-nés, dénoncé par l’état civil et par les statistiques officielles, est composé : 1° des morts avant d’avoir respiré, mort-nés dans le sens médico-légal ; 2° des nés vivants mais morts avant l’inscription, c’est-à-dire dans le premier jour, souvent dans le second, quelquefois même dans le troisième. En France, la force respective de chacune de ces catégories est tout à fait indéterminée ; réunies, leur coefficient est aujourd’hui 0,043 (soit 43 ‰) des naissances vivantes. La Belgique, régie par le même code, mais beaucoup plus soigneuse de la démographie, donne 0,048 (soit 48 ‰). De plus, elle publie une information qui permet d’établir la part des mort-nés vrais et de ceux qui, ayant respiré, ne sont dits mort-nés que pour l’état civil. La part de ces derniers est un peu moins du quart des mort-nés des registres (0,23 à 0,24, ou 230 à 240 ‰). Alors le coefficient des morts avant d’avoir respiré devient seulement de 0,037 (37 ‰) des naissances vivantes. Si le nombre des mort-nés de l’état civil augmente presque partout sur les relevés (non en Angleterre où cette catégorie démographique n’est pas encore née), c’est parce que l’enregistrement est de plus en plus complet, et parce qu’un plus grand nombre de nés avant terme et d’avortons sont inscrits, notamment dans les villes. Dans les campagnes au contraire, maints mort-nés, soustraits aux registres, sont enterrés dans l’enclos voisin. C’est l’inégalité de ces inscriptions qui explique avec le plus de vraisemblance les énormes différences que présentent aujourd’hui les localités. Mais un rapport de la plus grande régularité dans les mort-nés, soit de fait, soit d'état civil, c’est la proportion des sexes : elle est en France d’environ 0,6 garçon et 0,4 fille (soit 6 garçons pour 4 filles) ; en Belgique 0,57 garçon et 0,43 fille, rapport mortuaire qui se poursuit après la naissance.
28V. Mortalité, Sexe, Tables de mortalité.
Moyenne
29/970/ Se dit d’une grandeur qui tient le milieu entre des quantités plus grandes et plus petites de même nature. C’est une valeur abstraite créée de manière à constituer la résultante unique d’un grand nombre de quantités observées. La moyenne d’une masse d’observations s’obtient en divisant la somme des grandeurs observées par le nombre des observations11.
30– Séries. L’importance des valeurs moyennes dans les sciences d’observation, et notamment dans les sciences anthropologiques, exige le plus souvent que ces valeurs soient contrôlées, étendues et fortifiées par la sériation des documents qui ont servi à les calculer, sériation qui s’obtient par l’arrangement de ces documents selon leur ordre de grandeur. Il faut remarquer que la série a la même forme et la même signification, soit que les valeurs qui la constituent résultent de la succession des essais faits pour déterminer une seule grandeur inconnue et difficile à mesurer (c’est le cas où les astronomes emploient le plus souvent les moyennes), soit qu’elle résulte de la mesure d’un nombre considérable de grandeurs variables (le plus souvent accidentellement variables) mais reliées entre elles par une loi de continuité (c’est le cas qui se présente pour les statisticiens). Dans le premier cas, chercher la moyenne, c’est chercher la grandeur vraie à travers les erreurs en plus ou en moins des erreurs expérimentales. Dans le second cas, c’est chercher une grandeur idéale – mais on peut dire aussi – la grandeur du type, à travers les accidents qui la font varier en plus ou en moins dans chaque cas particulier. Afin de sortir des considérations purement abstraites, prenons, comme exemple, 358 crânes de différentes époques extraits des cimetières de Paris et mesurés par P. Broca12. Leur capacité moyenne est de 1433 cm3. En les arrangeant selon l’ordre de grandeur (prenant 100 cm3 pour module de précision (V. Démographie), l’expérience donne, pour 100 crânes, les sept groupes suivants : 5 crânes de 1101 à 1200 cm3 ; 14 crânes de 1201 à 1300 cm3 ; 23 crânes de 1301 à 1400 cm3 ; 29 crânes de 1401 à 1500 cm3 ; 18 crânes de 1501 à 1600 cm3 ; 8 crânes de 1601 à 1700 cm3 ; 3 crânes de 1701 à 1800 cm3. D’un autre côté, si un nombre très considérable de géomètres concouraient isolément à rechercher la capacité crânienne d’une tête donnée dont la mesure vraie, mais inconnue (et ne pouvant être atteinte expérimentalement), serait de 1433 cm3, le calcul des probabilités démontre (en posant seulement que l’écart possible soit le même que dans le cas précédent, et qu’il n’y ait aucune raison de se tromper plutôt en un sens qu’en sens contraire), démontre, dis-je, que les capacités approximatives calculées seraient réparties, dans chaque groupe de grandeurs, d’une façon presque exactement pareille à la distribution des 358 crânes cubés. Ainsi, pour 100 mesures de part et d’autre, la série expérimentale a donné : 5, 14, 23, 29, 28, 8, 3, le calcul donnera : 4, 13, 23, 29, 19, 8, 2. Elles sont donc presque identiques. Ces groupes successifs sont constitués, dans une série, par des grandeurs de fait, dans l’autre, par des mesures erronées, mais qui se succèdent dans l’une et l’autre série par des groupes correspondants de même force, également progressifs et symétriques, autour d’une grandeur inconnue, réelle d’un côté, idéale de l’autre, mais qui est, de part et d’autre, la raison d’être, et, comme l’âme de la série, et constitue son unité. On remarquera, en effet, que le quatrième groupe, qui renferme la moyenne, est en même temps le plus fort et se trouve au milieu de la série ; mais, comme cette moyenne, 1433 cm3, ne tombe pas exactement au milieu du groupe composé de crânes ayant de 1401 à 1500 cm3 (ce qui aurait lieu si la capacité moyenne était de 1450 cm3), comme elle incline vers le 3e groupe (23), celui-ci sera plus fort que son symétrique, le cinquième (18), parce qu’il est plus près de la capacité moyenne ; pour la même raison, le deuxième groupe (14) sera plus fort que son symétrique (8) et le premier plus fort que le dernier. Cet arrangement symétrique, autour de la moyenne, est une des caractéristiques d’une collectivité naturelle et composée d’un nombre assez considérable d’observations. Un groupement arbitraire s’éloigne toujours plus ou moins de cette symétrie et de cette régularité. C’est ainsi que 35 crânes de nègres du Muséum, provenant des diverses régions de l’Afrique, et quelques-uns de l’Océanie, offrent une capacité moyenne de 1356 cm3 ; mis en série, selon leur capacité et sur le même module que précédemment, ils donnent : 3, 34, 28, 23, 8, 3, 0. On voit tout de suite combien cette série est loin de la symétrie des précédentes, comment, du minimum 3, elle s’élève tout d’un coup au maximum 34. La capacité moyenne (1356) est comprise dans le troisième groupe (28) et même un peu plus près du quatrième que du deuxième, et pourtant ce troisième groupe n’est pas le plus fort ; le plus grand est le second dont la capacité (1201 à 1300 cm3) est loin de la moyenne, etc. On voit donc combien la place de la moyenne dans la série, et la symétrie de celle-ci, peuvent jeter de lumière sur les qualités d’une collectivité. Dans nos crânes parisiens et dans la série contractée que nous en avons donnée, non seulement le groupe moyen est le plus grand et se trouve au milieu, mais, dans l’arrangement un à un des 358 crânes, la capacité moyenne se trouve au 176e, c’est-à-dire qu’elle occupe à trois rangs près (179e), le milieu de la série.
31– Limites des moyennes. Quand on cite une grandeur moyenne, il importe beaucoup de dire en même temps les deux termes extrêmes (le plus petit et le plus grand de la série) dont elle est la résultante. Car ces extrêmes sont les limites de l’écart possible de variation, et l’intervalle qui sépare les écarts constitue l’amplitude possible de variation. Mais il n’est pas moins nécessaire de signaler l’écart probable de chaque côté de la moyenne, c’est-à-dire celui dont /971/ l’amplitude probable renferme la moitié du nombre des faits observés13. En effet, si l’on a opéré sur un assez grand nombre d’observations (ce qu’on jugera par l’épreuve indiquée plus bas), ce sera surtout le degré de resserrement ou de relâchement de cet écart probable autour de la moyenne, qui déterminera la qualité de la collectivité étudiée, et si les individualités mesurées sont reliées par une forte affinité. S’agit-il d’une grandeur anthropologique, on saura que la collectivité offre, dans sa majorité et pour le rapport étudié, une grande unité de composition, si l’écart probable est étroit ; que cette unité est douteuse, que le type a été mélangé et en quelque sorte étendu, si cet écart est considérable. Les faits d’une minorité, les anomalies, les monstruosités seront plutôt révélées par l’écart probable. Dans nos 358 crânes parisiens, l’écart possible, au-dessous de la capacité moyenne, est de 1433 – 1100 = 333 cm3, et au-dessus, il est de 1885 (capacité du plus grand crâne) – 1433 = 452 cm3. Ainsi l’amplitude de variation possible, pour les crânes de Paris, est de 785 cm3. Cette amplitude est considérable, elle témoigne sans doute du mélange de plusieurs types et plus encore peut-être des anomalies et des monstruosités ; car l’écart probable est beaucoup moins large ; il est de 100 cm3 de chaque côté de la moyenne, c’est-à-dire que la moitié des crânes est comprise entre 1333 cm3 et 1533 cm3. L’amplitude probable de variation, dans la capacité, est donc ici de 200 cm3. Nous montrerons, aux mots Taille et Statistique, comment la position de la moyenne dans le plus grand groupe de la sériation, et la décroissance symétrique et régulière des groupes qui précèdent et qui suivent, comme dans nos crânes parisiens, doivent faire présumer une population dont les variétés, les types primitifs ayant concouru à former sa majorité, sont intimement mêlés ; mais que le contraire prouve certainement des populations non encore fondues.
32– Nombre suffisant des faits observés. Si l’on a relevé un nombre peu considérable de grandeurs variables, la moyenne que l’on en tire a très peu de valeur. Mais quel est le nombre qui devra être jugé suffisant ? Les arrangements sériels, dont nous avons fourni des exemples, peuvent déjà, par leur régularité, indiquer quelle est la quantité de la moyenne et si elle est tirée d’un nombre suffisant d’observations. Mais il est une épreuve plus concluante et très facile, très pratique, dont on ne doit jamais se dispenser pour apprécier (je ne dis pas déterminer) le degré d’approximation de la moyenne considérée. Elle consiste à séparer, sans choix, en deux parties, toutes les observations recueillies, à rechercher les moyennes de l’une et l’autre partie, et leurs limites, et à les mettre en série. Si ces nouvelles moyennes, ces nouvelles séries diffèrent très peu entre elles, on peut regarder le nombre d’observations comme suffisant ; sinon « il est presque inutile de présenter au lecteur des conséquences qui ne sont pas vérifiées par ces comparaisons des valeurs moyennes » (Fourier). À plus forte raison doit-on s’abstenir absolument (l’exemple fâcheux de quelques statisticiens nous oblige à cette recommandation) de faire des moyennes au juger, en déclarant que, telle journée, telle année, tel crâne, etc., ayant paru d’une grandeur moyenne, on les considérera comme tels, etc. Ajoutons enfin que, dans les grandeurs qui sont soumises à des perturbations individuelles et à des perturbations annuelles, telles que celles qu’étudient la démographie (V. ce mot), la climatologie, etc., l’enquête doit embrasser, non seulement un grand nombre d’observations, mais encore un grand nombre d’années (dix ans au moins). En résumé, la statistique ne devient méthode d’investigation et d’analyse que par des sériations, des moyennes et leurs limites. Une moyenne qui satisfait aux conditions que nous avons posées, représente et résume, en un seul terme, un nombre considérable d’observations : elle facilite singulièrement la comparaison des résultats, elle la rend possible dans une foule de cas où elle ne le serait point, elle nous rend capable de discerner les effets des lois constantes parmi les accidents innombrables qui les masquent, elle soulage la mémoire, éclaire et simplifie le raisonnement. Mais comme elle est moins significative que la sériation de tous les faits par ordre de grandeur, on peut et l’on doit consolider et étendre sa portée en citant toujours avec la moyenne : 1° le nombre d’observations et, quand il y a lieu, d’années (et lesquelles) qu’elle résume ; 2° l’écart possible et l’écart probable autour de la moyenne.
33V. Démographie, Taille, Statistique ; pour l’âge moyen des vivants, V. Population, et pour l’âge moyen des décédés, V. Vie moyenne, Vie probable.
Naissance
34/988/ […] En démographie (V. ce mot), la considération du nombre annuel des naissances est un des éléments les plus importants de l’étude d’une collectivité humaine, puisque les naissances constituent l’intarissable source où s’alimente la population incessamment décimée par la mort. Le nombre des vivants est donc nécessairement subordonné au rapport des naissances (N) aux décès (D). Si N = D, la population est stationnaire dans son ensemble ; si N > D, la population s’accroît ; elle diminue si D > N. Nous indiquerons au mot Population (P) les principales conditions qui commandent ces rapports et, par suite, les mouvements de P. (V. aussi Natalité). Il importe de ne pas considérer une ou quelques années isolées pour déterminer la force moyenne du chiffre des naissances, car ce chiffre varie sous des influences diverses, très complexes et souvent inconnues. Il faut prendre un grand nombre d’années (dix ans par exemple), et appliquer la règle donnée au mot moyenne pour reconnaître si les nombres observés sont assez considérables. Ainsi, en France (Savoie et Nice non compris), dans la période 1851-1860, le nombre moyen annuel des naissances vivantes (soit S0, c’est-à-dire les survivants à l’accouchement et dont l’âge est 0) a été de 953 593. Si, pour apprécier la solidité de cette moyenne, on la compare à la moyenne des cinq années paires et à celle des cinq années impaires de la même période, on a successivement, pour ces deux moyennes quinquennales, 953 836 et 953 351, valeurs qui ne diffèrent entre elles guère que d’un demi-millième, approximation bien suffisante ; et pourtant les limites des plus grandes variations ont été 901 861 et 1 017 896, tandis que les limites des variations probables se sont resserrées entre 940 000 et 970 000. (Il est bon de remarquer que, dans cet exemple comme dans beaucoup d’autres, il ne faudrait /989/ pas, dans l’épreuve des moyennes, comparer la moyenne des cinq premières années successives de la période avec celle des cinq dernières, car les influences perturbatrices qu’il s’agit de neutraliser influent souvent sur plusieurs années successives ; c’est pourquoi, pour faire les groupes d’épreuves, il faut entremêler les années.)
35Les naissances doivent être encore étudiées selon le rapport des sexes. Les naissances masculines (N΄) l’emportent toujours sur les féminines (N΄΄). Le rapport était en France, au commencement du siècle, 106,75΄/100΄΄ (soit encore N΄/N = 0,517 = coefficient de la sexualité masculine par rapport aux naissances générales N). Cependant la prédominance des mâles tend à diminuer : dans la période 1841-50, N΄ n’est plus que 105,5΄ (N΄/N = 0,514), et dans la décade suivante, 105,25΄ (N΄/N = 0,513). Mais ce mouvement décroissant peut résulter, en totalité ou en partie, de l’inscription à part plus rigoureuse des mort-nés (ND), car le rapport des sexes étant bien plus prononcé pour ceux-ci (148΄/100΄΄, soit ND΄/ND = 0,597), on conçoit que, enregistrés et confondus avec les naissances vivantes (S0), ils ont dû grandir le rapport N΄/N΄΄et le coefficient N΄/N. Ce rapport varie encore selon l’état civil : dans la période 1851-1860, on trouve pour 100 naissances féminines 105,4 garçons nés dans le mariage et 103,3 hors mariage. Enfin les localités, les mois de l’année, mais surtout les âges respectifs des époux ont des influences constantes sur le rapport N΄/N΄΄. Mais les effets de ces influences sont mal déterminés jusqu’ici. Dans toutes les considérations sur les naissances, il est indispensable de dire si les mort-nés (V. ce mot) sont compris ou mis à part. En général, il est passé en usage de ne comprendre les mort-nés ni aux naissances, ni aux décès, mais de les mentionner à part. La grande variabilité (inégalité d’enregistrement) des chiffres des mort-nés rend cet isolement tout à fait utile, les mouvements de N et de D en seraient troublés inégalement et indûment, car on peut admettre que les mort-nés dérangent peu la fécondité effective des familles, et moins encore la natalité générale d’une nation. Si l’enfant mort-né ne compte ni dans la famille ni dans la nation, et qu’il n’entre dans aucun recensement, il n’y a pas lieu de le faire entrer dans les mouvements de la population.
36V. Population.
Natalité
37/992/ Se dit, en démographie, du rapport des naissances à la population qui les a fournies dans l’unité de temps. (L’unité de temps employée en démographie est l’année moyenne.) La natalité se détermine en divisant le nombre moyen annuel des naissances vivantes (S0) par la population moyenne (P) de la même période, soit S0/P. En France, la natalité au milieu de notre siècle (1841-1860) oscille entre 0,02161 et 0,0265 (261 à 265 naissances vivantes sur 10 000 vivants), fractions limites de l’amplitude probable du coefficient de natalité (V. Moyenne). Les précautions à observer pour l’exacte détermination de la natalité sont celles que nous avons dites pour la mortalité, les moyennes, les naissances et la population (V. ces mots).
38– Relation de la natalité avec les autres éléments démographiques. Dans une même race, la natalité croît généralement avec les subsistances ou selon la facilité d’en créer de nouvelles, ou encore avec l’appel à l’émigration du travail (à moins que cet appel ne puisse être satisfait par l’immigration comme en France), mais ces subsistances facilement disponibles peuvent résulter (entre autres causes) d’une forte mortalité, soit des adultes qui cèdent rapidement leur place sur le chantier du travail, soit des nouveau-nés qui laissent souvent leur place vide au banquet de la famille. Ainsi une mortalité rapide est une des causes de l’accroissement de la natalité : si cette forte mortalité est accidentelle (guerre, épidémie, etc.), la natalité ne croîtra que passagèrement ; elle restera constamment élevée si cette mortalité devient normale. Mais d’un autre côté il faut noter expressément que la découverte, la mise en possession au profit de la collectivité, d’une source nouvelle de richesse, quelle qu’en soit la nature, pourra agir, agira le plus souvent dans le même sens, donnera plus d’ampleur à la natalité (V. Population). Mais, dans l’un ou l’autre cas, l’accroissement de la natalité aura pour résultat nécessaire d’augmenter la mortalité générale D/P ; et cependant, dans ce cas même, il pourra se faire que la mortalité propre à chaque âge n’ait pas changé, ou même qu’elle se soit atténuée, si l’accroissement de la natalité résultait d’une cause de bien-être, d’une source croissante de richesse accessible à toutes les couches de la nation, car alors la cause qui ferait croître la natalité ferait aussi croître la vitalité (V. ce mot). Ainsi la grandeur de la natalité n’a pas par elle seule une signification déterminée. Une forte natalité pourra être, ou le signe d’un accroissement rapide et /993/ d’une courte durée des générations, ou celui d’une abondante et facile production accessible à tous ; réciproquement on conçoit qu’une natalité faible ou décroissante puisse être l’indice ou d’un milieu funeste par des conditions soit climatériques soit économiques (Antilles françaises et anglaises, îles Ioniennes). Mais jusqu’ici la statistique a eu rarement l’occasion de constater cet ensemble physiologique, soit que de telles sociétés périclitant ne tiennent pas de registre de leurs mouvements, soit que la natalité ne puisse être que rarement et passagèrement restreinte par ces causes mésologiques qui, diminuant la population, sollicitent à nouveau la natalité. Dans les climats tempérés de notre vieille Europe, au contraire, une faible natalité est le plus souvent l’indice d’une population dense, peu émigratrice, mais vivace, vigoureuse, étreignant leur fécondité au profit de leur bien-être, acquérant ainsi une longue vitalité et par suite une lente succession dans les mouvements de ses générations, car dans ces milieux pressés une naissance nécessite et dénonce un décès (quelquefois une émigration) ; une forte natalité y est donc le plus souvent le signe d’une mortalité également rapide (Bavière). Mais il en est sans doute tout autrement en Amérique, au Canada, partout où abondent la terre, un travail salubre et des institutions libérales. Là les naissances n’ont plus à se proportionner avec les décès ; il y a place pour tout le monde. C’est ainsi que peut varier la signification de la natalité suivant les temps et les contrées, les états sociaux, et qu’il y a lieu de se féliciter tout à la fois et de la faible natalité de la vieille France (0,026 à 27) et de la puissante natalité de la Nouvelle-France ou Canada (0,037 environ). Voilà pourquoi l’indication de la natalité doit toujours être accompagnée des autres valeurs qui déterminent sa signification : de la mortalité générale D/P ; de la densité de la population, de l’âge moyen des vivants, – des adultes, – des époux, – des décédés, mais surtout de la mortalité à chaque groupe d’âge.
39V. surtout Mortalité, Vitalité, Naissances et Population.
Population
40/1205/ Nom collectif qui désigne l’ensemble des individus qui peuplent un territoire. La population est l’élément dont la démographie (V. ce mot) entreprend d’étudier : 1° l’état ; 2° les mouvements. L’état d’une population comprend le nombre, la densité, les rapports des âges, des professions, des sexes, l’état civil, enfin la force, en nombre et en grandeur, de tous les attributs physiques, moraux et intellectuels. Les mouvements de population comprennent l’étude de tous les phénomènes périodiques : natalité, mortalité, mariage (V. ces mots), migrations, etc., qui peuvent changer les rapports constitutifs de son état. La connaissance du nombre des vivants, leur distribution à chaque âge par sexes et par professions, mais surtout par âges, est la base indispensable de toute connaissance démographique. L’expérience a prouvé que les perturbations éprouvées par les générations dans le cours de leur durée sont trop multiples, trop irrégulières, ont trop échappé aux registres et aux enquêtes, pour que la distribution par âges puisse être trouvée par théorie ou même par tâtonnement. Pour comprendre cette indétermination, il faut considérer que la population de chaque âge a pour origine un chiffre de naissances qui date, d’hier pour les plus jeunes, d’un siècle pour les centenaires, d’un demi-siècle pour ceux de 50 ans, etc. ; – que les proportions de ces naissances sont souvent très différentes, et en outre, – que chacune de ces descendances a été décimée par des causes très complexes, très diverses, et nullement comparables, que, par conséquent, les vivants qui surnagent maintenant à chaque âge P1, …, P10, …, P20, …, P21, …, P30, P50, …, P51, …, P52, …, P70, …, ne constituent pas une succession dont chaque terme trouve son sa raison dans ses antécédents, mais est un résultat complexe des causes variables qui viennent d’être indiquées. La mortalité qui, par exemple, a décimé le premier âge de ceux qui ont aujourd’hui 60 et 70 ans, peut être fort différente de celle qui agit sur les premières années des enfants d’aujourd’hui. Ainsi les groupes de population à chaque âge, pn, dont la somme constitue la population générale P, sont presque comme des étrangers que les hasards des temps ont rapprochés, mais dont les grandeurs démographiques résultent des aventures différentes supportées par chacun. Cependant il n’en est pas de même de la population actuelle aux premiers âges p0··1, p1··2, …, p5··6. Ces groupes résultent du nombre S0 des naissances vivantes, diminué du nombre des décès à chaque âge, d0··1, d1··2, …, d5··6 de la même période, qui nous sont parfaitement connus, et sont sensiblement constants ; les migrations sont peu sensibles s’il s’agit d’un grand territoire (on peut d’ailleurs /1206/ tenir compte de la progression de S0 si elle est notable) ; dès lors les documents de l’état civil permettent de calculer la population des premiers âges. Ainsi, connaissant S0 et d0··1, d1··2, …, d5··6 de la même période, on a S0 – d0··1 = S1 ; de même S1 – d1··2 = S2 , ainsi de suite, les termes S0, S1, S2, S3 , … (qu’il ne faut pas confondre avec la population à chaque âge p0··1, p1··2, …) étant les nombres de ceux auxquels il est donné : de naître vivant ; de toucher à la fin de leur première, – de leur seconde, – de leur troisième année ; on les appelle encore les survivants à l’accouchement, – à 1 an, – à 2 ans, etc. Cependant, ces survivants, qui ont précisément 1, 2, etc., ans révolus, ne sont pas la population ; p0··1, p1··2, … sont les nombres de ceux dont, en un jour quelconque de l’année, l’âge est compris entre 0 et 1 an, entre 1 et 2 ans, etc., entre 5 et 6 ans. Mais ce nombre p5··6, par exemple, est nécessairement compris entre S5 et S6, et l’on a P5··6 = (S5 + S6) x 0,5. Si la mortalité de la première année était également répartie entre chaque mois d’âge, on aurait de même P0··1=(S0 + S1) x 0,5. Mais cette uniformité n’existe pas ; le premier mois, la première semaine sont le plus chargés de décès ; plus des 0,7 des décès de la première année ont lieu avant le sixième mois. J’ai trouvé par tâtonnement qu’on se rapproche très près de la vérité en posant p0··1 = (S0 + S1) x 0,478 et p1··2 = (S1 + S2) x 0,498 ; le reste comme la formule p5··6. D’ailleurs les irrégularités, les inconnues, les mouvements des naissances, de la mortalité, etc., permettent rarement de continuer ainsi au-delà de cinq à six ans. On peut et l’on doit avec ces formules contrôler les recensements des premiers âges. C’est par elles que nous nous sommes assuré que le recensement français de 1851, qui ne paraît pas plus mauvais qu’un autre, avait omis environ 350 000 enfants dans la première année de la vie et 500 000 de 0 à 7 ans (sans préjudice des erreurs aux autres âges) ; que le recensement de la même année en Angleterre avait omis 35 000 enfants de 0 à 1 an ; que celui de la Suède n’en avait point omis, etc. Cette distribution de la population suivant les âges, encore si mal exécutée en France et en Angleterre, est pourtant une considération aussi importante pour l’économiste que pour le physiologiste. Le premier appréciera la vigueur réelle d’un pays, sa force pour la défense et pour le travail, non par le nombre absolu des vivants, mais par le nombre de ceux arrivés aux âges de travail et de production, et par le rapport de ces producteurs avec les impubères, qui ne sont que consommateurs. Le second, en comparant les vivants à chaque âge avec les décès aux mêmes âges, reconnaîtra le coefficient de mortalité propre à chaque groupe d’âge. Il ne s’en laissera pas imposer par une mortalité générale un peu lourde, qui pourrait être due seulement à un grand nombre de jeunes enfants, ou inversement (à défaut de distribution par âges, la considération de la natalité, comparée à la mortalité, pourrait encore l’avertir) (V. Natalité, Mortalité et Tables). Rappelons seulement ici, au point de vue économique, que sur 1 000 vivants, la France en compte 531 de 20 à 60 ans, et l’Angleterre 476. L’âge moyen de la population, surtout au point de vue économique et politique, est une bonne mesure qui résume assez bien en un seul terme la force d’une population ; cet âge moyen est actuellement (1861) en France environ de 31,15 ans (V. Vie). Jusqu’à présent, tout ce qui concerne l’état de la population : nombre absolu, rapport des âges, etc., etc., n’a pu être déterminé que par les recensements, et nous avons vu avec quelle imperfection, dans notre France, pays que son admirable état civil met cependant au premier rang pour la connaissance des mouvements (naissances, décès, mariages). La statistique humaine n’offrira aux économistes, aux physiologistes, aux hygiénistes, à l’administration elle-même, une base solide et féconde pour les investigations de toute sorte, que par un fonctionnement permanent, régulier, des registres de population, où chaque citoyen soit immatriculé avec son âge, sa profession, ses principaux attributs. Ces registres de population, depuis longtemps tenus en Suède, aujourd’hui en Belgique, complèteraient notre état civil, et permettraient de résoudre en très peu de temps un grand nombre de problèmes sociaux. Avec l’incertitude du nombre des vivants dans chaque groupe, toute solution démographique devient incertaine au même degré. La tenue des registres de population qui donnerait les professions avec les détails d’âge, de sexe, de cause de mort, etc., serait de la plus haute importance pour l’hygiène publique, et pour toutes les sciences qui ont l’homme pour objet. Ces documents font défaut, et les dénombrements n’y suppléent que bien imparfaitement. Celui de 1856 nous apprend en résumé qu’en France, sur 1 000 vivants de tout âge et de tout sexe, 530 subsistent par l’agriculture, 292 par l’industrie, 46 par le commerce, 15 par les professions libérales, 12 par les armes ; 11 sont attachés à l’administration, 4 à l’autel ; enfin 90, rentiers sans profession et vagabonds. La densité de la population (nombre des vivants dans l’unité de surface) est encore un élément très important d’étude. Cette densité est très variable : en France on compte 68 habitants par kilomètre carré ; en Belgique, 151 ; en Angleterre, 129 ; en Écosse, 36 ; en Suède, 8, etc. L’accroissement de la population résulte de la balance des naissances avec les décès, et de celle des émigrations avec les immigrations. Mais les enquêtes statistiques n’enregistrent encore avec soin que le premier élément, ce qui empêche de pouvoir contrôler les dénombrements périodiques par la confrontation des accroissements qu’ils annoncent avec ceux qui résultent de cette balance. Quand un excès des naissances sur les décès se prononce davantage dans une population, ce mouvement peut résulter d’une plus grande natalité ou d’une plus faible mortalité. C’est donc surtout en comparant ces deux coefficients (V. Natalité et Mortalité) que l’on peut apprécier la manière dont s’accroît une population. La cause intime de cet accroissement ne résulte pas en effet de la fécondité ou aptitude virtuelle à la reproduction : cette aptitude est toujours tenue en bride par les conditions de l’existence qui sont les subsistances procurées par le travail. Lorsqu’une nouvelle source de travail est ouverte ou que les sources connues s’élargissent, il arrive ordinairement que la natalité se développe en conséquence. Mais certaines races ont un autre génie : leurs populations, plus avides de bien-être, de confort, emploient ce supplément de ressources à augmenter leur aisance, leur vitalité, leur instruction, et très peu à accroître le nombre de leurs enfants ; ils préfèrent la qualité au nombre. Nos départements normands non manufacturiers nous offrent un exemple de cet emploi de l’accroissement de la richesse ; c’est que ce résultat est surtout obtenu quand la richesse ne peut être que lentement acquise, et par l’industrie, la spontanéité de /1207/ chacun. Alors c’est moins la population générale qui augmente que le nombre des adultes. Ainsi la population anglaise, déjà si dense, s’accroît toujours, sollicitée par les travaux croissants de sa grande industrie ; mais sur 1 000 vivants, elle en a 548 au-dessus de 20 ans. Depuis près d’un demi-siècle, l’accroissement du Calvados est très lent, semble s’arrêter ; mais sur 1 000 vivants, il en a 681 au-dessus de 20 ans, et la France en moyenne, 638. C’est entre ces deux modes d’accroissement (exclusivement par la vitalité, exclusivement par la natalité) que se tiennent la plupart des nations de l’Europe, chacune suivant son génie, ses mœurs et ses conditions antérieures d’existence, inclinant plus, les unes vers l’accroissement lent par augmentation de la vitalité et par suite des adultes, les autres vers un accroissement rapide par la natalité. Quelques rares contrées doivent à leur faible densité, et sans doute à de bonnes conditions intrinsèques qui ne nous sont pas connues, de pouvoir se développer avec succès par la natalité et la vitalité, telle est la Suède. L’accroissement annuel des populations varie depuis 0 jusqu’à 3 et 4 % (États-Unis, Canada). Quelques-unes même sont saisies d’un mouvement réel de décroissance, par suite de mauvaises conditions météorologiques (Islande, Martinique) ou économiques (îles Ioniennes, Irlande), qui amènent d’énervantes émigrations, ou une profonde altération des deux sources qui président à l’accroissement de la population, la natalité et plus souvent la vitalité. Il résulte de ces considérations que les calculs, fort à la mode, des époques de doublement de la population d’après leur coefficient d’accroissement annuel, sont dépourvus de toute valeur effective, car ces coefficients d’accroissements que l’on suppose constants varient sans cesse, et diminuent à mesure que la densité de la population augmente ; et l’on ne peut pas plus supposer l’extension indéfinie et toujours égale des subsistances, que la fin de toute aspiration progressive vers une aisance croissante.
41V. Natalité, Mortalité, Mariage, Tables, Vie.
Statistique
42/1428/ Dans les sciences naturelles, les divers attributs qui caractérisent chaque phénomène sont le plus souvent très variables dans leur fréquence et dans leur grandeur. Cette mobilité, qui tient à la complexité changeante des causes multiples dont dépend chaque attribut, est l’obstacle qui s’oppose à ce que l’on puisse reconnaître les rapports qui relient ces manifestations à leurs causes, et déterminer la part de chacune d’elles dans la production et la grandeur de chaque attribut étudié. La statistique a justement pour but de surmonter cet obstacle. Elle y parvient : en traduisant par des chiffres les degrés de fréquence et d’intensité de chaque manifestation dont on se propose de reconnaître les conditions évolutrices ; puis en mesurant et en enregistrant le plus grand nombre possible de ces quantités, et en calculant ensuite leur grandeur moyenne. De plus, sériant par ordre de grandeur /1429/ les quantités relevées, on détermine leurs écarts possibles et leurs écarts probables autour de cette moyenne (V. ce mot). Dès que, par l’emploi des méthodes appropriées, ces valeurs statistiques (écarts et moyenne) ont été déterminées, il suffira de faire varier une des causes présumées, ou, ce qui revient au même, de profiter d’une perturbation naturelle qui fait varier l’une d’elles ; alors une nouvelle enquête, conduite comme la précédente, donnera une nouvelle moyenne avec ses écarts, et leur rapport avec les valeurs correspondantes de la première enquête dénoncera, mesurera la part de la cause présumée. Cependant, si l’écart des deux moyennes est peu prononcé, ou si le nombre des observations de chaque enquête est petit, s’il ne s’élève pas au moins à plusieurs milliers de cas, l’écart des deux moyennes peut tenir à ce que des moyennes expérimentales, même obtenues dans des conditions identiques (comme le seraient deux tirages d’une même urne de boules noires et blanches), ne coïncident que très exceptionnellement entre elles ou avec la moyenne réelle inconnue et cherchée ; elles ne peuvent jamais être regardées que comme des approximations de cette moyenne inconnue, dont elles s’approchent d’autant plus que les nombres des observations qui les ont formées sont plus considérables. C’est pour cela que la démographie (V. ce mot), qui possède facilement ces grands nombres, a montré la première et la plus brillante application de la méthode statistique. Mais aujourd’hui nous connaissons assez la théorie de ce puissant instrument d’investigation, pour l’appliquer à des sujets plus difficiles. Les phénomènes de la nature et particulièrement ceux de la vie, justement à cause de leurs innombrables et incessantes variations, y trouveront surtout une nouvelle méthode d’analyse. À mesure que les sciences naturelles et biologiques auront épuisé la détermination de l’enchaînement des causes qui, par leur constante énergie, peuvent être facilement perçues et rattachées à leurs effets, il faudra affiner l’observation et l’investigation ; on sera porté à la considération des collectivités, afin de grossir (en les multipliant par un fort coefficient) les influences qui, dans les faits isolés, sont masquées par les causes plus énergiques.
43– En médecine proprement dite, la statistique a surtout pour objet de déterminer la nocuité propre à chaque espèce de maladie, d’abord avec l’expectation, ensuite sous l’influence des divers modes de traitement. La nocuité s’appréciera non seulement par la fréquence moyenne de chaque terminaison, mais aussi par la durée et encore par la fréquence et la gravité moyenne des accidents secondaires. On peut affirmer, dès aujourd’hui, que la méthode statistique est la seule qui, dans la plupart des cas, nous permettra de déterminer la valeur respective des divers traitements vantés, et leur supériorité réelle ou fictive sur la seule expectation. C’est donc une erreur de croire que les cas à additionner doivent être exactement semblables : s’ils étaient tels, la statistique serait presque inutile ; il suffit, par exemple, si c’est une influence thérapeutique que l’on veut apprécier, que les observations appartiennent à un même groupe morbide auquel le praticien croit devoir appliquer les mêmes moyens de traitement.
44– Plus généralement, il faut et il suffit que l’ensemble des causes possibles (connues et inconnues) qui régissent le développement de l’attribut que l’on mesure reste invariable pendant toute la durée des épreuves. Ainsi, les sociétés mutuelles ont déterminé le nombre de jours que leurs membres payent chaque année à la maladie suivant leur âge : de 20 à 30 ans, 6 à 7 jours ; de 55 à 60 ans, 23 jours, etc. ; les causes individuelles de maladie sont certainement fort diverses, fort mobiles ; mais tant que le même ensemble de causes qui les amène et régit leur durée reste invariable, et que le groupe de la mutualité est nombreux, les moyennes observées annuellement oscillent fort peu autour de la moyenne réelle inconnue. Au contraire, un déplacement ou constant ou plus considérable d’un même côté de la moyenne accusera l’intervention d’une influence nouvelle. Ainsi deux difficultés subsistent seulement. L’une consiste à circonscrire nettement chacun des groupes morbides sur lesquels on veut faire porter l’observation, afin que, par l’admission régulière de ces étrangers, on n’ajoute pas, pendant la durée de l’épreuve, des causes morbides nouvelles à l’ensemble des causes propres au groupe en observation. Ce premier point est déjà facile à obtenir avec une précision suffisante, pour les groupes morbides les plus importants. D’ailleurs, cette délimitation variera suivant le but de l’investigation : elle prendra en plus grande importance les analogies du traitement, si c’est une influence thérapeutique qu’elle veut découvrir ; de l’acuité ou de la chronicité, si c’est la durée, etc. La seconde difficulté repose sur l’écart que présentent presque nécessairement les moyennes résultant de plusieurs séries d’observation recueillies pendant un même ensemble de causes productrices, et sur la difficulté de distinguer cet écart de celui qui résulte de l’introduction d’une influence nouvelle. Quand les enquêtes statistiques portent sur un très grand nombre d’observations, il sera le plus souvent facile de distinguer d’abord le léger écart accidentel de l’écart considérable et significatif ; on pourra d’ailleurs essayer la méthode du dédoublement des nombres, indiquée à l’article Moyenne ; mais, si l’on veut plus de précision et surtout si le nombre des observations recueillies est peu considérable, s’il est de quelques centaines seulement, cette épreuve ne peut plus guère être tentée avec fruit ; et c’est pourtant avec ces petits nombres d’observations que l’écart possible, compatible avec un même ensemble de causes, est assez considérable pour en imposer et faire croire à l’effet d’une influence nouvelle. Il faut alors en référer aux formules de Poisson, adoptées et déjà appliquées à notre sujet par Gavarret14, admettre d’abord, pour simplifier et abréger, qu’un événement qui a 112 chances de se produire contre une de ne se produire pas, peut être regardé comme à peu près certain. Dès lors, considérant deux événements qui s’excluent, comme la mort ou la guérison d’un malade, faisant m et n chacun égal à l’un des deux nombres indiquant combien l’une ou l’autre terminaison a été observée ; et μ égal à la somme de tous les cas, de sorte que l’on a : m + n = μ ; enfin E égal à l’écart maximum possible ; dès lors l’intervalle à
indiquera l’amplitude possible de l’oscillation de la moyenne compatible avec l’invariabilité de l’ensemble des causes. Selon Poisson :
. Si, par exemple, sur 100 malades observés (μ), il y eu 25 décès (m) et 75 guéris (n), la mortalité a été de 0,25 ; la formule donne E = 0,06, et l’on pourra conclure seulement de ce petit nombre d’observations, que la mortalité moyenne est comprise entre 0,19 et 0,31 ; si cette même mortalité (0,25) résultait de 1 000 malades observés, alors E = 0,0387 (soit 0,04), et l’on conclura que la mortalité est certainement comprise entre 0,21 et 0,29. Mais si l’observation avait porté sur 10 000 malades, E = 0,006, et la mortalité (tant qu’elle restera soumise au même ensemble de causes) restera certainement (à 1/112e près) comprise en 0,244 et 0,256 ; et, si une seconde série de 10 000 malades donnait, par exemple, une mortalité de 0,26, on serait déjà autorisé à conclure à l’intervention d’une cause nouvelle défavorable. De même, d’après la statistique médicale de l’armée, en 1862 il a y a eu 2 514 malades atteints de fièvre typhoïde, dont 690 décès, soit une mortalité de 0,274. En appliquant la formule ci-dessus, on trouve E = 0,025, et par suite une mortalité que l’on doit regarder comme vraiment comprise entre 0,299 et 0,249. Mais si, au lieu de la seule enquête μ, donnant une seule moyenne dont on fixe ainsi les limites d’oscillation, on a à comparer deux enquêtes μ et μ΄, et par suite deux moyennes, leur différence compatible avec un même ensemble de causes productrices sera plus resserrée, et donnée par le double de la racine carrée de la somme des deux quotients
de chaque enquête, soit par la formule
.
45Ainsi Louis15 avait observé dans les hôpitaux civils 140 typhiques dont 52 décès, soit une mortalité de 0,37. Cette mortalité paraît bien différente de celle de 0,274 trouvée pour l’armée en 1862. Mais l’application de la formule précédente prouve que la différence entre ces deux moyennes peut s’élever à 0,118. Or, cette différence est moindre de 0,104 donnée par l’expérience ; donc la distance entre les deux moyennes, quoique considérable, ne nécessite pas absolument l’intervention d’un ensemble de causes différentes, elle aurait pu se produire aussi forte dans deux tirages de boules noires et blanches provenant de la même urne. Cependant, comme la différence atteint presque la limite de la différence possible (à 1/112e près), on peut présumer qu’une influence favorable se rencontre dans la jeune population de l’armée ; c’est à une plus longue observation ultérieure de décider. Voilà dans quelles limites doivent être retenues les conclusions de la statistique médicale pour ne pas s’en laisser imposer par les hasards des séries heureuses, comme le font si souvent les médecins, au grand préjudice de la médecine et de la statistique.
Table
46/1490/ Table de mortalité, table mortuaire, table de population, – de survie – de vitalité. On entend par table, en statistique et plus généralement en mathématiques, une série de nombres dont la grandeur et la coordination sont déterminées par leurs rapports avec une ou plusieurs variables auxquelles on donne successivement toutes les valeurs particulières convenables au sujet qu’on se propose. En démographie (V. ce mot), les seules tables dont nous nous occuperons ici sont celles qui donnent la distribution suivant la variable âge des vivants, des décédés, des chances de vie ou de mort. D’après notre définition du mot Table, et ce que nous avons dit au mot Population, un recensement par âges ne saurait être qualifié de table de P, parce que la loi de succession des nombres qui la constitue est brisée par maintes aventures qui en ont plus ou moins effacé la trace. La même observation s’applique à la mortuaire résultant du dépouillement des registres de l’état civil. C’est pourquoi nous proposons le nom de listes à ces successions de faits, et nous réservons le nom de Tables à celles qui résultent du calcul saisissant un instant de repos relatif au milieu de la mobilité incessante des mouvements de P, déterminant les coefficients des mouvements propres à cet instant (natalité, mortalité à chaque âge), et les appliquant ensuite à une population fictive que l’on suppose soumise, de la naissance à la mort, à ces seuls et mêmes coefficients,, et soustraite pendant tout un siècle à toute autre perturbation. La confusion de ces deux successions, l’une de fait, l’autre toute théorique, a jeté le plus grand trouble dans les idées ; il importe donc extrêmement de les distinguer par le langage. En effet, les Listes de faits et les Tables données par le calcul, ainsi que toutes les valeurs qui en sont issues (vie moyenne, vie probable, âge moyen des décédés, etc. ; V. Vie), ne se confondraient que dans le cas d’une P invariable dans tous ses mouvements et sans migration, depuis au moins un siècle. (Dans nos formules nous représenterons les valeurs de fait ou des Listes, par des caractères romains, et les valeurs correspondantes des Tables par des caractères italiques.)
47Listes de Population : Les listes de P par âges sont encore fort irrégulières ; nous avons indiqué au mot Population quelques-unes des corrections qu’on doit leur faire subir. En France, la confrontation avec les conscrits et avec les électeurs inscrits peut encore, pour les hommes, être la source de quelques corrections, quoique ces valeurs et surtout la dernière ne donnent qu’une liste minimum. La liste de la population française distribuée par âges, selon la moyenne de trois recensements, que nous rapportons ci-après, a subi ces corrections.
48Liste mortuaire : En France, en Belgique, dans les pays qui ont depuis longtemps un état civil, les listes mortuaires, ou succession des décédés selon les âges, peuvent être considérées comme suffisamment exactes ; il suffit de rétablir la régularité de la succession rompue par l’attraction des nombres ronds.
49– La Table de mortalité, qui donne la succession des coefficients de mortalité à chaque groupe d’âge, indique la chance de mourir avant d’avoir atteint l’âge suivant. Le complément arithmétique de ces fractions donnerait la Table de vitalité, ou la probabilité pour chaque âge d’atteindre l’âge suivant : 0,01 étant la probabilité de mourir dans l’année pour l’enfant de 5 à 10 ans, 1 – 0,01 = 0,99 sera la chance d’atteindre l’année suivante.
50Table de survie, appelée souvent à tort table de mortalité : C’est celle qui indique combien, sur un nombre déterminé de naissances totales N, il en survit : 1° après la naissance effectuée ou à 0 âge, soit S0 (V. Mort-nés) ; 2° après la première année révolue, ou à 12 mois, soit S1 ; 3° après la seconde année révolue, ou à 2 ans, soit S2 ; … combien à la fin de leur ne année, soit Sn ; à la fin de leur dernière année soit Sω = 0. La méthode mathématique à employer pour dresser cette table a donné lieu à de nombreux débats. Nous dirons seulement que la méthode dite de Halley16 et celles qui s’y rapportent ont essayé cette construction en l’appuyant sur la seule liste mortuaire, modifiée ou non par la confrontation du chiffre annuel des naissances. Toutes ces méthodes reconnues insuffisantes doivent être rejetées ; elles ne fournissent que des approximations éloignées, d’autant plus éloignées que la P s’est plus écartée depuis un siècle de l’invariabilité absolue de tous ses mouvements, invariabilité toujours supposée par ces méthodes. La méthode de calcul dont nous ne donnons ici que les formules (nous les légitimerons dans le Dict. encyclopédique des sciences médicales) se rapproche d’ailleurs de la méthode de Moser17, de Quetelet, dont elle complète et augmente la précision. Comme elle, il lui faut pour données une liste mortuaire et une liste de population ; car sans cette double base le problème est insoluble à moins d’hypothèses de régularité toujours fort éloignées du réel ; avec elle, notre formule donne des résultats dont l’exactitude ne dépend plus absolument que de celle des deux données. Soit dn, n+1 les décès moyens annuels à chaque groupe d’âge (de l’âge n à l’âge n+1) ; pn, n+1, la population correspondante du même âge ; a, un coefficient dont nous donnons les valeurs variables suivant la durée des périodes d’âge prise pour unité de temps ; on a alors très généralement :

51Si l’unité de la période d’âge est l’année, alors a = 0,5 ; on voit donc qu’ayant la liste de population et celle des décédés, il suffira d’ajouter à chaque terme la moitié du terme correspondant de la mortuaire (0,5 d n, n+1), puis de chercher le rapport entre le nombre entier des décédés de chaque groupe d’âge (car 2a = 1) et ces sommes. D’autre part, le premier terme des survivants S0 étant pris ad libitum, soit 10 000 (soit 958 100, moyenne des naissances vivantes en France), on trouvera par notre formule la succession S1 ; S2 ; S3 … ; et en général Sn+1/1 l’antécédent Sn /1491/étant connu ; puisqu’il suffit de retrancher de Sn le produit de Sn avec le rapport indiqué. Mais la valeur 0,5 que nous avons attribuée à a suppose une mortalité constante pendant toute l’unité de temps compris entre n et n+1 et s’exerçant pendant le même temps que d, c’est-à-dire ici pendant un an ; or, l’unité de temps donnée par la plupart des Listes de fait est de un an pour les cinq premières années, et de de cinq années pour les périodes successives, et il faut avouer que l’enquête démographique n’est pas encore arrivée à une précision suffisante pour pouvoir utilement donner plus. Bien que l’on puisse par des interpolations établir à peu près la succession des nombres d’année en année pour toute la durée de la vie, on peut aussi s’en tenir au fait et accepter pour unité de temps un an pour les cinq premières années et cinq ans pour les suivantes ; seulement la première année de la vie et les dernières ne peuvent s’en accommoder à cause des mouvements rapides de la mortalité à ces âges extrêmes. Des recherches expérimentales nous ont prouvé que pour la première année de la vie on doit poser a = 0,48, de sorte que la formule pour cette 1re année devient18

52Pour les années suivantes on se servira de la formule générale ; mais si, comme dans les tables ci-contre [tableau 1], on veut s’en tenir au fait sans interpolation et, après les premières années, trouver les survivants de cinq ans en cinq ans, il suffira de multiplier le coefficient a par 5 ; on fera donc dans la formule générale a = 2,5, et elle devient

53En effet dn,n+1 étant le nombre moyen des décès annuels, 5 dn,n+1 sera le total de ceux de la période quinquennale. Mais pour les dernières périodes quinquennales de la vie, à cause de l’accroissement rapide de la mortalité à partir de 75 à 80 ans, la valeur de a devra être modifiée et devenir 2,45 ; puis 2,4 pour la période suivante ; puis 2,3 ; 2,2 ; enfin 2 environ de 95 à 100 ans et au-delà. Ces valeurs de, a trouvées par tâtonnement, n’ont pas la prétention d’être bien précises ni absolument applicables à toute /1492/ population ; mais en l’absence de bons documents donnant avec certitude le détail de ces âges par années (et par semaines et mois pour les premiers âges), elles augmenteront beaucoup la précision du résultat. Nous les avons employées pour construire les tables suivantes. La Table de survie permettra très facilement de construire la Table de population, puisqu’on a généralement Pn.n+1 = (Sn + Sn+1) x 0,5 si l’unité de temps est l’année, ou Pn.n+1 (Sn + Sn+1) x 2,5 si l’unité de temps est cinq années. Au-delà de 75, on substituera à la valeur 2,5 les différentes valeurs de a déjà données.
[Tableau 1. Tables de survie (France, 1840-1859)]

54– La Table mortuaire sera encore plus facilement trouvée par simple soustraction des termes successifs de la survie : Sn··1 – Sn+1 = Dn…n+1, etc. Ces Tables de Population et de décédés sont celles qui conviendraient en fait à une population sans mouvements migratoires et ayant annuellement et pendant tout un siècle (c’est-à-dire pendant la plus longue durée d’une génération) la natalité et la mortalité à chaque âge égales à celles du moment observé et qui ont servi à calculer la Table de survie ; la différence de ces deux Tables avec la Liste de Population et la Liste mortuaire que l’on remarquera dans le tableau ci-contre [tableau 1] est la résultante des mouvements qui ont agité les diverses couches de Population dans le siècle écoulé. Ainsi, dans la Liste de Population, on comprend facilement que c’est par l’adjonction des immigrants qui viennent en France aux âges de travail (de 15 à 40 ans) que la P de ces âges dans la liste surpasse celle de la table ; mais ensuite ceux qui, vers 1850, ont plus de 40 ans, appartiennent à des générations dont les jeunes âges ont été bien éclaircis, et par la mortalité plus rapide de l’enfance, et par les guerres de l’Empire ; de là ce moindre nombre de nos vieillards de la liste, comparé à ce qu’il devrait être selon la Table, avec la seule mortalité de la période 1840-1859. Et, comme première conséquence, ce fait bien remarquable que la mortalité générale, qui selon les Listes est de 0,023, s’élève à 0,0249 selon les Tables, quoi que la mortalité à chaque âge soit rigoureusement la même de part et d’autre ! Nous pouvons ajouter, comme seconde conséquence, que l’âge moyen des décédés est de 35,66 ans, selon la Liste mortuaire ; et que ce même âge moyen ou Vie moyenne s’élève à 40,12 ans selon la Table mortuaire ! Nous expliquons cette apparente contradiction au mot Vie moyenne.
55V. Population, Mortalité et Taille.
Taille
56/1496/ Longueur du corps humain de la plante des pieds au vertex (en vétérinaire, celle des animaux se mesure du point le plus élevé du garrot du sol). La taille est un des éléments démographiques (V. ce mot) les mieux connus, grâce à sa facile détermination et aux exigences de la conscription. Cependant les données du recrutement sont loin d’être précisément exactes, mais les erreurs sont contenues dans des limites assez étroites et uniformes pour en permettre la correction. On sait, en effet, que l’on peut facilement, suivant la tension des muscles, suivant que le corps est dispos ou courbaturé, gagner ou perdre 1 ou 2 centimètres de la taille normale. Il résulte de là que, dans les listes des conscrits rangés par ordre de hauteur, le nombre de ceux qui sont donnés comme n’atteignant pas la taille réglementaire, 1560 millimètres, est notablement accru de ceux qui ont réellement 1560 millimètres ou un peu plus. D’autre part, les corps d’élite, comme le génie, exigeant au moins 1679 millimètres, ceux qui sous-limitent ce maximum passent facilement au-dessus par un redressement momentané des courbures du rachis. Ainsi se trouve altérée la succession des nombres, comme on peut le voir dans la colonne A du tableau que nous donnons ci-après [tableau 2]. Mais le calcul des probabilités permet de faire disparaître ces erreurs et de rétablir la régularité de la succession avec une approximation bien supérieure à la donnée administrative. C’est ce que nous avons effectué dans la colonne B du tableau en regard de la succession de la liste. De plus, en admettant seulement que la probabilité des groupes situés au-dessous de la moyenne soit la même que celle des groupes situés au-dessus (symétrie que confirment toutes les enquêtes démographiques), nous avons pu distribuer par ordre de grandeur tous ceux qui sont réformés pour défaut de taille, et que les Comptes rendus persévèrent malheureusement à donner en bloc. C’est seulement par cette mise en série B qu’il nous a été possible de calculer la taille moyenne et la taille probable (V. le mot Moyenne) de nos jeunes hommes de vingt et un ans. En effet, les Comptes rendus ne donnent la taille moyenne (1654 millimètres) que du seul contingent, c’est-à-dire de ceux qui atteignent et dépassent 1560 millimètres. Notre table seule permet de calculer la taille moyenne de l’ensemble de nos conscrits, qui est de 1640 millimètres. Il n’y a, en réalité, que 9 847 conscrits (sur 100 000) qui soient au-dessous de la taille réglementaire, au lieu de 12 590 que donnent les Comptes rendus ; 2 743 ont donc pu échapper aux rigueurs de la règle. Le même tableau B permet de calculer la taille probable de nos conscrits, c’est-à-dire celle qui renferme la moitié des cas. Elle est comprise à très peu près entre 1600 et 1 680 millimètres, par conséquent resserrée sur un écart de 4 centimètres de chaque côté de la moyenne 1 640. La moyenne taille du contingent, calculée sur la table B, est de 1651 millimètres, c’est-à-dire 3 millimètres au-dessous de celle qui est donnée dans les Comptes rendus, en prenant la moyenne de dix ans (1851-1860), différence très petite, qui s’explique par l’exhaussement fictif de ceux qui tiennent à entrer dans les corps d’élite, le génie, la cavalerie, l’artillerie. Cependant, comme d’après Quetelet, l’homme continue à croître, jusqu’à 25 et même 30 ans, d’environ 12 à 15 millimètres, la taille moyenne du Français (homme) dont la croissance est achevée, serait de 1655 millimètres.
57– La loi du développement de la taille a été donnée au mot Croissance ; seulement il faut remarquer que le tableau annexé à ce mot se rapporte seulement au sexe mâle et à la Belgique.
58– Au-delà de 50 ans la taille diminue ; et, pour continuer le tableau du mot Croissance, un groupe ayant 1684 millimètres de taille moyenne à 30 ans et à 40 ans, n’a plus que 1674 millimètres à 50 ans ; 1639 à 60 ans ; 1623 à 70 ans, et 1613 à 80 ans, en ne mesurant que les individus restés droits19. Ainsi l’homme perd jusqu’à 7 centimètres de sa taille. La loi de croissance de la femme n’est pas absolument la même que celle de l’homme : la femme naît moins grande (10 millimètres environ), croît moins vite et s’arrête plus tôt, de sorte qu’elle a en moyenne 10 centimètres de moins que l’homme.
59– La taille du citadin est de 2 à 3 centimètres plus élevée que celle du campagnard.
60– Mais c’est l’hérédité et notamment la race qui jouent le plus grand rôle dans le développement de la taille et dans sa distribution sur le sol français (Broca20). Au mot Démographie nous avons donné un petit tableau de la taille des conscrits bretons du Finistère, dont la taille moyenne (1612 millimètres) est une des plus petites de France. Nous donnons ici la série rectifiée, et complétée, relative au département du Doubs, qui a la taille la plus élevée de France (moyenne des conscrits 1668 millimètres ; moyenne du contingent 1673 millimètres). La série du Doubs est remarquable à un autre égard : elle a deux maxima, entre lesquels est située la moyenne arithmétique ci-dessus /1496/. Cette forme révèle, au point de vue anthropologique, deux tailles moyennes, types de deux races non encore fondues et ayant des nombres à peu près égaux de représentants ; l’une conserve la taille propre à la France entière, puisque son plus grand groupe, 17 061, correspond au maximum de la série B de la France, et à l’intervalle 1625-1651 dont la moyenne est tout à fait voisine de 1640 millimètres, taille moyenne générale de nos conscrits ; le second maximum, 17 701, a pour taille au moins 1720 millimètres, et appartient sans doute au type Burgonde.
[Tableau 2. Taille des conscrits en France et dans le Doubs (1851-1860)]

61Le rapport de la taille avec le poids n’est pas constant ; la moyenne oscille, chez les hommes bien faits, entre 372 et 402 grammes par centimètre de taille ; le rapport n’est pas plus constant avec le carré des tailles, comme l’a prétendu Quetelet21, ni avec leur cube, comme l’a avancé Buffon. Une loi certainement plus intime (mais encore indéterminée) lie les rapports de la circonférence thoracique au poids ; le rapport simple est d’environ 700 à 725 grammes par centimètre de circonférence.
62Les dimensions et les rapports des diverses parties du corps humain, si étudiées du point de vue artistique, sont encore déterminés avec peu de précision au point de vue scientifique et anthropologique (V. Squelette pour les rapports des longueurs osseuses, mais le tableau donné ne se rapporte qu’aux Européens). Les rapports des poids, des volumes, des dimensions des divers viscères (cerveau, foie, rate, rein, testicule, etc.), dans les divers groupes humains et dans les divers climats, qui seraient d’un si haut intérêt pour la physiologie, l’anthropologie et la mésologie comparées, sont presque inconnus.
63V. Démographie, Moyenne, Population, Statistique.
Vie moyenne
64/1637/ (V. d’abord Population et Tables).
65Si l’on a enregistré l’âge au décès d’un très grand nombre de personnes, la somme des âges vécus par chacune divisée par la somme des personnes donnera l’âge moyen des décédés de cette collectivité quelconque. Mais, si l’observation portait exclusivement sur un très grand nombre de nouveau-nés suivis de la naissance à la mort en notant l’âge du décès de chacun d’eux, sans en omettre aucun, sans y mêler aucun étranger, alors, dans ce cas spécial, l’âge moyen des décédés prend le nom de Vie moyenne, c’est la part de vie qu’en moyenne peut espérer un nouveau-né se trouvant dans ces mêmes conditions. Mais, dans une Population dont chacun des éléments perturbateurs (natalité, mortalité et migration à chaque âge) serait parfaitement compensé et invariable depuis plus d’un siècle, il est clair que tous les groupes d’un même âge ayant existé dans les années successives seraient égaux ; que, par exemple, aujourd’hui comme il y a trente ans, il y aurait le même nombre de vivants compris entre 20 et 25 ans, etc., etc. ; et que chaque groupe donnerait lieu aujourd’hui à un même nombre de décédés qu’autrefois. On pourrait opérer sur les uns comme sur les autres, de sorte que, dans une telle population, il suffirait de relever pour l’année moyenne (V. ce mot) le nombre des décédés de chaque groupe d’âge pour avoir une mortuaire (V. ce mot) sur laquelle on pourrait calculer la Vie moyenne. Cependant les mathématiciens, auxquels on doit ces considérations abstraites, en ont supposé trop facilement la réalisation effective. En fait, il est fort improbable que l’on rencontre une Population se rapprochant assez, et depuis assez longtemps, de cette stabilité pour réaliser les hypothèses posées avec une approximation suffisante. Mais, si la complexité ne peut être évitée dans les faits bruts, il est facile de tirer de ceux-ci les éléments qui permettent d’établir la simplicité que suppose la théorie en appliquant la mortalité observée à chaque âge (V. Mortalité) à une Population théorique soustraite à toute autre perturbation. C’est ce que nous avons fait pour dresser nos Tables se rapportant à la France (période 1840-1859) (V. Tables). Ainsi, tandis que la somme des âges vécus divisée par les décédés de notre Table mortuaire donne 40,12 ans pour la durée de la Vie moyenne, la somme des âges vécus calculée sur la liste mortuaire et divisée par la somme de ses décédés, ne donne que 35,6 ans ; mais ce dernier nombre n’est plus la Vie moyenne, ce n’est pas la part de vie que peut espérer chaque nouveau-né de notre temps, la part qui lui adviendrait si l’on partageait également entre toutes les naissances vivantes les chances de mortalité observée dans la période étudiée, car cette part est vraiment 40,12 ans ; quant à 35,6 ans, c’est l’âge moyen des décédés, c’est le nombre d’années qui (par addition ou soustraction à son âge actuel) ferait la part de chacun des membres de la population de fait, si ce bien pouvait et devait tout à coup être également réparti entre tous.
66– Les considérations et les calculs que nous venons d’appliquer aux mortuaires peuvent l’être aussi aux listes et aux Tables de Population pour déterminer l’âge moyen des vivants. En faisant la somme des âges déjà vécus par chaque groupe d’âge : 1° sur la liste de P. donnée par les census, on trouve l’âge moyen de cette Population de fait, soit pour la Population française (1840-1859) 30,6 ans ; cette valeur moyenne est un bon indice de la puissance comparée des nations comme force militaire ou productrice ; 2° sur la Table de Population, on trouve l’âge moyen d’une Population en puissance, telle qu’elle serait si elle s’était développée depuis un siècle sous les seules influences propres à la période étudiée. Cette valeur est en France (1840-1859) de 32,3 ; ce n’est donc qu’un indice de vie, mais moins sensible que la Vie moyenne, et pour cela non en usage.
67– Pour calculer les âges vécus, soit par les décédés (d), soit par les vivants (p), on multiplie chaque groupe par la demi-somme des deux âges précis entre lesquels sont compris les vivants ou les décédés. Ainsi : d0··5 x 2,5, d0··7 x 3,5, d0··15 x 7,5, d0··25 x 12,5, etc. ; de même, p1··4 x 1,5, etc. Pour la première année, à cause de l’inégale répartition de la mortalité, on doit faire l’analyse par semaine et par mois. Mais à défaut de documents qui le permettent, on préférera les coefficients suivants : d0··1 x 0,274 ; d1··2 x 1,485 (si l’on n’avait que le groupe d0··4 , on le multiplierait par 1,5 an ; si d0··10 , au plus par 1,85 environ) ; pour les vivants, p0··1 x 0,49. De même pour les âges extrêmes, à défaut de bons documents par années, on posera : d70··75 x 72,4 ; d75··80 x 77,3 ; d80··85 x 82,2 ; d85··90 x 87,1 ; d90··95 x 92 ; enfin d95··ω x 97 (?) environ. Pour les vivants, à ces âges élevés, on se rapprochera de la vérité en adoptant les mêmes coefficients diminués de 0,1 ; ainsi p70··75 x 72,3 ; etc.
68– Cependant les statisticiens, arrêtés par le manque de bons documents ou par les difficultés de leur mise en œuvre, ont essayé d’apprécier la Vie moyenne d’après les seuls mouvements de Population. En effet, dans l’hypothèse d’une Population stationnaire en tous ses mouvements, où les mathématiciens se sont complus à rester, on a, année moyenne, les Naissances égales aux Décès, soit N = D ; de plus le chiffre moyen des naissances, la Vie moyenne et P étant immuables depuis un siècle, on conçoit que la Population est égale au nombre annuel des Naissances multiplié par le nombre des années qu’ils vivent, soit par la Vie moyenne V ; donc P = NV = DV, et par suite V = P/N = P/D. Quelques statisticiens ont donc cru pouvoir retenir encore une de ces équations, et surtout la première, pour apprécier la Vie moyenne dans une Population quelconque ; mais ces égalités cessent d’exister avec les hypothèses qui ont permis de les établir. Ainsi en France où l’âge moyen des décédés est de 35,7 et la Vie moyenne de 40,12 ; on a P/N = 38,24 et P/D = 43,45. Ch. Dupin, remarquant que ces deux valeurs s’éloignent à peu près également en plus ou en moins de V, a proposé : P/(N+D) x 0,5 = V ; /1638/ mais, devant une démonstration aussi insuffisante, bien que cette formule empirique se vérifie avec une assez grande approximation pour notre période, et donne V = 40,7, nous croyons qu’elle ne doit être acceptée qu’avec beaucoup de circonspection.
69V. Vie probable.
Vie probable, ou limite des âges qu’il est également probable de dépasser ou de n’atteindre pas
70/1638/ Sur une Table mortuaire il y a un âge médian en çà et au-delà duquel on trouve un même nombre de décédés ; il y a donc autant de probabilité, pour chaque nouveau-né, de mourir avant qu’après cet âge. Cette limite, appelée âge intermédiaire par Fourier22, âge médian par Cournot23, est connue sous la dénomination impropre de vie probable. Dans nos Tables mortuaires on trouvera qu’elle est très près de 45 ans (43,3 ans) ; mais dans la liste mortuaire, cet âge médian n’est que de 33,4 ans. Ce dernier chiffre n’est plus la vie probable, il n’indique pas la limite où il y a probabilité égale pour le nouveau-né de mourir avant ou après, mais seulement l’égale probabilité pour qu’un décès quelconque de la population de fait se trouve au-dessus ou au-dessous de 33 ans. On voit combien il importe de ne pas confondre les listes et les Tables, et les valeurs tirées des unes et des autres. L’âge médian que nous venons de considérer pour les décédés sur les mortuaires, peut aussi être recherché pour les vivants sur les listes et sur les Tables de Population. Sur notre liste de P., cet âge médian est de 28 ans ; c’est-à-dire qu’il y a autant de Français au-dessus qu’au-dessous de cet âge ; cette valeur est (comme l’âge moyen des vivants des listes) un indice qui intéresse les politiques et les économistes. L’âge médian des Tables (29,75 dans notre Table), pour les mêmes raisons que leur âge moyen, n’est point utilisé. Ces âges médians et moyens dont nous venons de parler (V. Vie moyenne) se rapportent tous à la naissance ; mais ils peuvent également être déterminés pour un âge quelconque de la vie. On dira plutôt avec Cournot survie moyenne, survie probable. Ainsi on trouvera sur notre Table de survie, qu’à 5 ans, un enfant a : d’une part, encore cinquante ans de survie moyenne, c’est-à-dire qu’il peut espérer encore cinquante ans d’existence (selon les règles de l’espérance mathématique) ; et d’autre part qu’il y a encore 56,6 ans de survie probable, c’est-à-dire qu’il a autant de chances pour vivre encore plus de 56,6 années, soit au-delà de 61,6 ans d’âge, que de mourir avant ce temps.
71V. Population et Table.
72BERTILLON
Notes de bas de page
1 É. Littré. et C. Robin (dir.), Dictionnaire de médecine, de chirurgie, de pharmacie, des sciences accessoires et de l’art vétérinaire de P.-H. Nysten, 12e édition, entièrement refondue [Dictionnaire dit « de Nysten »], Paris, Baillière, 1865 (1865h).
2 Parmi les quarante-trois entrées du DESM dues à Bertillon (textes de trois pages au moins), celles qui développent des rubriques du dictionnaire de Nysten sont : Démographie, Démologie (1882c), Mariage (1874b), Mésologie (1873a), Mortalité (1875c), Mort-nés (1876a), Moyenne (1876b), Natalité (1876c). Les rubriques Âge (1865d) et Migration (1873d) figurent dans le DESM mais pas dans le Nysten.
3 « Nous savons que nos maladies et nos causes de mort se rangent sous deux chefs : celles qui ont leur raison d’être dans le milieu où s’agite la vie, et celles qui viennent des ancêtres. Les influences imaginables ayant leur racine à l’une ou l’autre source, forment par leur entrelacement le tissu dont sont faites nos destinées » (1875c, p. 791).
4 Augustin Berque indique que le terme « mésologie », au sens d’« étude des milieux », a été créé par le médecin positiviste Charles Robin (1821-1885), qui le proposa lors de la séance inaugurale de la Société de biologie, le 7 juin 1848. Cofondateur de la Société, Robin fixait, parmi les tâches de la biologie à venir, celle de développer la mésologie, définie dans la première édition du Petit Larousse (1906) comme la « partie de la biologie qui traite des rapports des milieux et des organismes » (Berque, 2014). La Charte mondiale de la nature, adoptée par l’Organisation des Nations unies en 1982, comporte l’article 15 suivant : « Les connaissances relatives à la nature seront largement diffusées par tous les moyens possibles, en particulier par l’enseignement mésologique qui fera partie de l’éducation générale » (résolution A/RES/37/7).
5 [La pagination d’origine est signalée entre barres obliques.]
6 [C’est en vain que nous avons cherché une telle définition dans les publications d’Achille Guillard. L’article où le mot « démographie » apparaît pour la première fois s’ouvre sur une définition de la statistique humaine (« Nous entendons par la Statistique humaine la connaissance mathématique des populations, de leurs mouvements généraux, de leur état physique, intellectuel, moral, civil et social […] Elle serait peut-être bien définie par l’histoire naturelle et sociale de l’espèce humaine », Guillard, 1854b, p. 423). Dans l’introduction des Éléments de statistique humaine, ou démographie comparée, Guillard distingue une définition large et une définition restreinte de la démographie : « C’est, dans son sens le plus étendu, l’histoire naturelle et sociale de l’espèce humaine. Dans le sens restreint où nous devons la prendre ici, c’est la connaissance mathématique des populations, de leurs mouvements généraux, de leur état physique, civil, intellectuel et moral » (Guillard, 1855, p. xxvi). La définition prêtée ici à Guillard semble être une reformulation due à Bertillon, ou transmise oralement à ce dernier.]
7 [Les mesures de taille étaient prises en centimètres lors des conseils de révision, et reportées dans des intervalles définis en pouces – ou en équivalents millimétriques de pouces – dans les tableaux récapitulatifs des Comptes rendus sur le recrutement de l’Armée. Cette conversion était source de biais ; voir la présentation du chapitre 20 dans le présent ouvrage.]
8 [Quetelet, 1846.]
9 [Comte, 1830-1842.]
10 [Blainville, 1833.]
11 [Les deux premières phrases de ce paragraphe avancent des critères qui concernent non seulement la moyenne, mais aussi la médiane, et la troisième porte sur la seule moyenne arithmétique, et non sur la moyenne en général. Bertillon n’est pas à l’aise avec les définitions mathématiques.]
12 [Broca, 1862.]
13 [L’« écart possible » est la différence entre les valeurs extrêmes ; dans le cas d’une distribution symétrique, l’« écart probable » est la moitié de ce qui sera ultérieurement désigné comme l’écart interquartile.]
14 [Gavarret, 1840.]
15 [Louis, 1825.]
16 [Halley, 1693 ; sur Halley, voir Behar, 2012.
17 [« Quetelet mentionne enfin un commentaire du médecin Königsberg Ludwig Moser qui, citant l’Essai de physique sociale publié en 1835 par l’astronome belge, affirme être d’accord “avec la comparaison que [celui-ci] fait des deux méthodes pour calculer les survivants à un âge donné, soit par les tables de mortalité, soit par le dénombrement direct. Excepté les survivants à 1 an, le dénombrement donne toujours des valeurs inférieures de la loi de mortalité” (Moser, 1839, p. 99). » (Rohrbasser, 2022, p. 7, citant Quetelet, 1851).]
18 [Bertillon se trompe manifestement en écrivant ici S0 = S0 – … et non S1 = S0 - … .]
19 [Bertillon effectue ici une comparaison instantanée entre des groupes d’âges qui appartiennent à des générations différentes. La taille moyenne à un âge donné s’accroît au fil des générations (Weir, 1997, p. 191), de sorte que la diminution notée par Bertillon est, pour partie, un effet de génération et non un effet d’âge. C’est dans les ADI, revue dont L.-A. Bertillon est le principal contributeur, que paraît pour la première fois en français un texte distinguant les effets d’âge, de période et de cohorte (Lexis, 1880, p. 297-324), mais Bertillon – comme la plupart de ses contemporains – ne mesure pas l’importance de cette triple distinction.]
20 [Broca, 1860b.]
21 [« Les poids chez les individus développés et de hauteurs différentes sont à peu près comme le carré des tailles » (Quetelet, 1833, p. 23). La formule proposée par Quetelet lors de la séance du 2 juin 1832 de l’Académie royale de Belgique allait prévaloir sous le nom d’indice de masse corporelle.]
22 [Recherches statistiques sur la ville de Paris…, 1821, p. 11.]
23 [Cournot, 1843.]
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