CHAPITRE XI
Les migrations
p. 253-270
Texte intégral
1Le terme de migration est appliqué ici aux déplacements géographiques de population ayant pour effet un changement de résidence durable, sinon définitif. On considérera par exemple qu’un individu qui a quitté l’Europe à 20 ans pour l’Amérique et qui en revient 30 ans ou 40 ans plus tard a accompli dans sa vie deux migrations. De même, un rural français qui est venu après le service militaire travailler à Paris et repart à 55 ans ou 60 ans pour son département natal est deux fois migrant. Mais assurément, la migration la plus efficace au point de vue de la répartition géographique de la population est celle qui s’effectue sans retour et fait souche d’une nouvelle génération dans le pays d’arrivée.
Ancienneté et diversité du phénomène migratoire
2Le phénomène migratoire est une caractéristique permanente de l’espèce humaine. Il a été déjà signalé que c’est à sa permanence à toutes les phases de développement de l’humanité que sont dus les mélanges ethniques que l’on constate dès la plus haute antiquité sur tous les continents, surtout sur le continent eurasiatique. Mais ses données, ses conditions, ses modalités sont profondément différentes d’une époque à une autre, et les ressemblances apparentes n’autorisent pas à des identifications systématiques. Chaque période de l’histoire à ses migrations et ses types de migrations propres. Malgré les tentations faciles, il n’est pas sans danger d’assimiler l’installation en Prusse des protestants français chassés par la Révocation de l’Édit de Nantes, à l’établissement en Israël des Juifs fuyant les persécutions hitlériennes et survivant aux exterminations massives. La tâche des géographes n’est pas, en tout cas, de se hasarder à ce jeu périlleux des assimilations, mais seulement de distinguer des types, au cours du dernier demi-siècle, d’en examiner les antécédents sûrs et l’évolution.
3Depuis le début du xxe siècle, trois séries de grands déplacements de population attirent l’attention :
41° Les grandes migrations d’Européens vers l’Amérique et vers les « nouvelles » sociétés anglo-saxonnes de l’hémisphère sud, qui, avant la Première Guerre mondiale, ont abouti au transfert de plus de 10 millions de personnes en une douzaine d’années.
52° Les mouvements imposés par des décisions politiques à l’issue de la Première Guerre mondiale (relativement peu importants quantitativement), et surtout entre 1940 et 1950, en liaison avec les profonds bouleversements sociaux et politiques liés à la Deuxième Guerre mondiale en Europe et à ses corollaires extra-européens : plus de 12 millions de personnes déplacées à l’issue de la guerre en Europe, du fait des expulsions de Volksdeutsche des États non allemands de l’Europe centrale, de l’émigration balte, des échanges de population entre l’Union soviétique et la Pologne1, autant par suite des échanges de population entre l’Union indienne et le Pakistan, au moins 1 million d’Arabes exclus du territoire de l’État d’Israël, etc.
63° Le glissement de population de régions rurales vers les régions industrielles et vers les villes, apaisé dans les vieux pays industriels, mais intense dans tous les pays du monde où s’effectue un processus quelconque d’industrialisation, en Afrique centrale aussi bien qu’en Sibérie.
Trois conjonctures différentes
7Ces trois grandes séries appartiennent à trois complexes économiques et sociaux différents : la grande migration transocéanique correspond à la phase d’expansion économique européenne dans les continents offrant à la fois des ressources énormes et des espaces vides à occuper et à exploiter. Elle est déterminée par les besoins de la mise en valeur des terres vierges, de la création d’industries nouvelles, beaucoup plus que par les pressions démographiques exercées sur les populations des pays de départ. Quand le peuplement de l’Amérique ou de l’Australie a atteint son point de saturation, quels que soient les désirs d’émigration des populations les plus pauvres de l’Europe, le courant s’interrompt, ne se rétablit, plus tard, qu’avec un débit beaucoup plus faible. C’est donc essentiellement un événement historique, dont il convient de rechercher les prolongements actuels. Les transferts de population et les exodes politiques sont, à plus forte raison, des phénomènes circonstanciels. Ils comportent deux variantes : le déplacement décidé par des gouvernements ou des conférences internationales, qui est un mouvement massif et relativement rapide (la remise en place des populations s’effectue dans un délai d’un ou de deux ans) ; le départ de réfugiés qui quittent leur pays d’origine parce qu’ils ne s’y sentent plus en sécurité ou qu’ils n’acceptent pas la nouvelle condition économique et sociale, les modalités de vie politique et professionnelle qui leur sont imposées. La prise de conscience de cette insécurité ou de l’impossibilité d’adaptation aux circonstances nouvelles est plus ou moins immédiate, elle procède d’autre part de l’évolution de la politique intérieure des États. Le mouvement peut donc être d’assez longue durée, comporter des variations d’intensité. La fixation des réfugiés dans les pays étrangers fait figure de problème permanent. Les facteurs de départ sont politiques. Et, ici, c’est le pôle de départ de la migration qui est le pôle actif. L’émigré part, même s’il a conscience des difficultés de son intégration à une autre communauté, parce que tout lui paraît préférable à l’acceptation de la condition nouvelle qui lui est faite dans son propre pays. Enfin, le glissement de population des régions rurales vers les régions industrielles et urbaines répond aux exigences d’une révolution à la fois technique et économique. Il s’affirme dans les formes et les degrés de développement les plus divers, en économie capitaliste comme en économie socialiste, au moment où les premiers chantiers industriels et les premiers chantiers du bâtiment et des travaux publics recrutent des forces jeunes dans les villages, aussi bien que plus tard, quand la petite propriété rurale en difficulté se convertit en entreprises commerciales urbaines ou envoie ses cadets vers les administrations publiques ou l’armée de métier. Mais l’intensité est ici aussi très variable. Le vieillissement des campagnes, la saturation du marché de main-d’œuvre en période d’accroissement de la productivité, à plus forte raison aux moments de récession, la surcharge du secteur tertiaire, contribuent à freiner le transfert de ruraux vers le secteur industriel et vers la résidence urbaine. Au contraire, toute révolution industrielle à ses débuts ouvre les écluses d’un flot migratoire puissant.
8Différents par leur nature profonde, n’ayant guère de commun que leur caractère de circonstancialité, qui en fait les conséquences dans le domaine de la mobilité de la population de certains événements économiques ou politiques, ces divers types de déplacements ont des contenus démographiques également différents, ce qui les place sur des plans distincts en face des réalités et des exigences économiques.
I. Migrations liées à l’industrialisation régionale ou nationale
Points d’aboutissement : les villes
9Ces migrations sont en forte majorité des migrations « intérieures », en ce sens qu’elles ne comportent pas de franchissement de frontières et de passage dans le contexte juridique et humain d’une autre nationalité que celle du pays d’origine. Mais le tracé des frontières par rapport à la répartition des régions industrielles et des « réserves » rurales de main-d’œuvre peut associer à une migration intérieure une migration internationale. Les points d’aboutissement sont bien définis : ils s’identifient avec les régions industrielles et les grandes villes, dont l’essor est lancé par le développement des spéculations financières commerciales liées à l’industrialisation, sans exclure d’ailleurs leur propre industrialisation. En chaque époque, ces points d’aboutissement peuvent s’exprimer quantitativement par une certaine capacité annuelle de population neuve, et surtout de population active neuve. Leur rythme d’accueil est subordonné au développement des affaires qui y sont domiciliées et qui, suivant les cas, requièrent divers types de main-d’œuvre. Ce rythme est difficile à mesurer en termes perspectifs, les incertitudes relatives à l’avenir même très proche étant toujours grandes. Mais il doit pour chaque cas être l’objet d’évaluations précises pour la période immédiatement passée, nombre de personnes fixées dans la ville, nombre de personnes d’âge actif y ayant trouvé du travail. On peut ainsi dresser des cartes des centres les plus attractifs au cours des dix ou quinze dernières années et mettre les résultats observables sur ces cartes en rapport avec les données de l’évolution économique de l’État ou de la région. Ainsi s’esquisse une notion encore très imparfaite et d’interprétation prudente de potentialité d’accueil de population.
Points et circonstances de départ
10En contrepartie, on peut chercher à définir les bases de départ de la population. On peut considérer, en premier lieu, comme virtualité de migration, toutes les formes de surpeuplement relatif dans l’espace et dans le temps. Une région dont la population est trop nombreuse pour pouvoir prétendre atteindre les niveaux de vie moyens qui sont accessibles ailleurs, et plus particulièrement dans les régions industrielles, est appelée à voir une partie importante de sa population la quitter. Mais aussi, une région dont le niveau de vie, même relativement satisfaisant, reste stationnaire pendant que celui des zones industrielles ou des villes s’élève, ne pourra pas davantage garder sa population. Le problème des rythmes respectifs de développement économique et de distribution de pouvoir d’achat est donc nettement posé dans les faits. Il se complique de la confusion fréquente entre revenus en espèces, suppléments d’un revenu en nature, et du revenu brut total, qui fausse les comparaisons subjectives faites par les intéressés. Mais il ne suffit pas qu’une région possède des virtualités de migration pour que des mouvements massifs se déclenchent. De multiples forces d’inertie retiennent la population aux lieux d’existence de ses ancêtres. Pour qu’elles soient vaincues, il faut qu’une brèche soit faite dans les habitudes de vie locale. Cette brèche peut avoir des origines lointaines : la pratique de migrations saisonnières est souvent à l’origine de courants qui ont vite pris de la puissance au moment où l’industrie a fait appel à la main-d’œuvre rurale. Ailleurs, c’est la construction des chemins de fer qui a rompu l’obstacle de l’isolement traditionnel. Ou bien c’est un événement circonstanciel qui, en éloignant pour plusieurs années les paysans de leurs terres ingrates, les en a finalement séparés pour toujours : la guerre, les années de captivité au bout desquelles on renonce au dur labeur d’autrefois, et l’on cherche une autre existence ailleurs.
11C’est qu’il ne faut pas manquer l’heure du départ. Il est un moment dans la vie de l’individu où le choix est possible. Sauf dans les périodes d’aspiration massive de main-d’œuvre rurale, le moment du choix passé, le sort de l’homme est réglé. S’il n’est pas parti avant le service militaire ou au retour de l’armée, ou exceptionnellement à la fin de la guerre qui l’a déraciné, il restera paysan, même si sa condition sociale est misérable. L’industrie a besoin de main-d’œuvre jeune, et si elle ne peut trouver une main-d’œuvre professionnellement formée, elle doit la prendre à un âge où elle peut encore lui imposer ses cadences, ses rythmes de vie propres. L’émigration rurale vers les régions urbaines est un mouvement de jeunes de moins de trente ans. Elle est, suivant les cas, à dominante masculine ou à dominante féminine, selon les habitudes de placement des jeunes de la campagne. Elle est plus rarement émigration de ménages, ce qui n’exclut pas le choix par le migrant d’un conjoint au pays, après sa fixation en ville. Ce qui importe, pour le pays d’accueil comme pour le pays de départ, c’est que le premier reçoit une vague démographique jeune, à l’âge de la fécondité maxima, et que le second enregistre une perte correspondante qui accroît vite sa tendance démographique au vieillissement. Celui-ci peut être accru par la fidélité des migrants au souvenir du pays natal, qui les y ramènera une fois achevée leur vie active.
Rythme et durée
12On a parlé de traditions migratoires de certaines régions, et l’on a cherché à mettre ces « traditions » en rapport avec des facteurs économiques ou sociaux ou psychologiques (les explications de l’exode rural du Sud-Ouest par exemple). Il serait peut-être aussi opportun de parler de cycles de migrations. Le point de départ est facile à définir : un ensemble de difficultés d’existence procédant de mauvaises méthodes de production, d’une structure sociale peu favorable aux travailleurs de la terre et décourageant de l’effort techniquement progressif (le métayage par exemple), l’impossibilité pour tous les jeunes de trouver un emploi permanent, etc. Une fois la voie tracée, par le processus d’amorçage de la migration évoqué plus haut, les départs vont se succéder à un rythme plus ou moins rapide suivant les succès des premiers migrants, suivant le jeu des solidarités familiales. Tant que le mouvement ainsi déclenché ne met pas en cause le renouvellement des générations, il peut se prolonger quasi indéfiniment, donnant ainsi l’impression d’un mouvement perpétuel, traditionnel. Si une immigration étrangère vient compenser les départs et alimenter à la deuxième génération de nouveaux effectifs disponibles pour la migration, le résultat sera le même, même si l’exode a atteint la fécondité régionale. Ce cas est, grosso modo, celui du Sud-Ouest français.
13Mais si les départs ont épuisé la population, abaissé sa fécondité jusqu’à ne plus laisser en place qu’une population de vieillards, comme dans certaines vallées des Alpes méridionales, alors on peut parler de fin de cycle migratoire. Il est possible qu’à cette occasion des regroupements de terre aient relevé sensiblement le niveau de vie des quelques familles restées fidèles à la terre. Mais ce ne sont plus des considérations économiques qui freinent l’exode, c’est le tarissement démographique de sa source.
14L’indice du passage de la phase de stabilité démographique et de l’alimentation d’un courant de migration continue à une phase de déclin entraînant, au bout d’un temps plus ou moins long, ralentissement ou tarissement du mouvement migratoire, est la baisse du taux de natalité régional. L’exemple breton, et surtout celui des Côtes-du-Nord, est suggestif à cet égard.
15Il est d’ailleurs à signaler que l’épuisement démographique ne ralentit pas ipso facto le mouvement migratoire. Il peut au contraire, au début, l’accélérer, en ce sens que la vie des jeunes est de plus en plus insupportable dans une campagne vieillie qui ne progresse plus techniquement et économiquement. Ce n’est qu’après cette accélération que le mouvement tend brusquement à diminuer.
Mutation professionnelle
16Déterminée par une transformation de la structure de l’économie, la migration de populations rurales vers les régions industrielles et les villes, qui intéresse surtout des collectivités à l’âge d’entrer dans la vie active, s’accompagne d’un changement de contexte professionnel. Le jeune paysan qui a vécu à la terre jusqu’à la fin de son adolescence et qui, de ce fait, a connu un début d’activité professionnelle à la terre, change de métier. C’est même souvent parce qu’il veut changer de métier, ne pas prendre celui d’agriculteur, qu’il quitte son village. Il est donc possible de considérer que la migration s’accompagne d’une mutation professionnelle, bien que les intéressés n’aient encore été que fort peu engagés dans l’activité professionnelle. Elle recrute les catégories qui font la caractéristique de la ville : ouvriers d’industrie, personnel des divers services urbains, services publics, services de transport, services de sécurité, activités commerciales, activités administratives. La répartition des migrants entre ces diverses activités procède de multiples facteurs. Le premier est assurément l’état du marché du travail. Mais l’origine et la formation du migrant comptent également. Suivant qu’il a reçu ou non dans son milieu d’origine une instruction suffisante, il peut prétendre à un emploi comportant une certaine qualification, ou est contraint d’accepter un travail qui n’appelle pas de préparation préalable. À cet égard, deux catégories de migrants vont se trouver dans des situations différentes : la première rassemble tous ceux qui sont recrutés directement dans les campagnes, et qui ont rarement bénéficié d’une formation culturelle et professionnelle les qualifiant pour d’autres emplois que ceux d’ouvriers ou d’agents de services publics, la seconde, outre quelques ruraux qui ont exceptionnellement acquis une instruction développée, se compose d’originaires de petits centres urbains, incapables de donner à leurs habitants une promotion sociale, souvent frappés par le marginalisme de leurs entreprises, mais qui bénéficient d’un équipement scolaire et de centres de formation professionnelle qui manquent à la campagne. Pour cette raison, on a parfois considéré que la petite ville servait de relais dans la migration ville-campagne. Les modalités de cette fonction de relais sont multiples. Elles peuvent ne pas exister dans le cas de migrations directes, comme c’est par exemple celui des migrations bretonnes en France.
Les « filières »
17L’analyse de divers courants montre que les « filières » qui conduisent les provinciaux vers les régions industrielles et les grandes villes sont multiples et souvent fort différentes. Dans certains cas, les habitudes de vie rurale créent une prédisposition pour certains métiers. Il s’agit surtout des métiers du bâtiment pour lesquels les paysans des régions où l’on a l’habitude de construire en pierre au village même apparaissent qualifiés. Ce fut naguère la condition des maçons creusois en France. Certaines régions italiennes fournissent des ouvriers du bâtiment non seulement aux nombreux chantiers de construction de l’Italie elle-même, mais également à ceux de l’étranger. La Sardaigne est de ces régions. La pratique d’activités saisonnières non agricoles dans les campagnes, sous forme de recherche de ressources d’appoint, a formé, surtout au xixe siècle, en Europe occidentale, des mains-d’œuvre utilisables dans certaines industries des fils et tissus, du bois et de la tournerie, etc. Le même phénomène peut se produire lors du passage de pays en cours de développement de l’économie artisanale de village à l’économie industrielle. L’installation de ressortissants d’une région dans un centre d’implantation joue en faveur de l’arrivée d’autres représentants de cette région. L’aide apportée par les migrants installés en ville à leur famille restée à la campagne peut en effet s’exercer de deux façons : par des envois d’argent et par le placement d’autres jeunes du pays dans la ville où l’on a acquis une certaine autorité. À chaque époque, dans chaque ville, on cite par ailleurs le cas d’un ou de plusieurs personnages qui ont « réussi » dans les affaires ou dans la vie politique et qui, en tout désintéressement ou pour se créer une clientèle personnelle, assurent le placement des jeunes gens de leur pays dans les affaires qu’ils contrôlent, dans les services publics des villes qu’ils administrent, etc. Les modalités de ces filières exercent une influence sur la nature de la mutation professionnelle qui accompagne le déplacement. Les diverses formes de solidarité régionale vont s’exercer dans le sens d’une colonisation du secteur commercial : les laitiers de Bordeaux à partir de la vallée d’Aspe, d’une activité publique ou semi-publique : des transports parisiens à partir du département de l’Yonne, ou celui d’administrations municipales ou publiques à Marseille et, au-delà de Marseille, à partir de la Corse.
Paroxysmes et apaisements
18Lié fondamentalement à la mise en place du dispositif de production et de services de l’économie industrielle, le déplacement de population des campagnes et des petits centres traditionnels vers les zones de concentration des activités industrielles et des activités issues du développement des industries est un événement dans l’histoire de la population d’un pays donné. Après la phase de mise en place de la population en fonction du dispositif nouveau de production et de gestion, il s’atténue. La migration continue dans la mesure où la fécondité urbaine est faible. Elle est poursuivie au-delà des limites considérées comme rationnelles de développement quantitatif des grandes agglomérations, par suite de la force difficilement réductible des processus de concentration industrielle, commerciale et même administrative, par l’alourdissement des mécanismes de gestion de tous ordres, alors que l’industrie aurait tendance à alléger sa demande par suite de l’accroissement de la mécanisation et de la productivité. L’irrationalité de certaines formes d’exploitation rurale contribue aussi à pousser de nouveaux contingents de paysans, chassés de la terre par la décadence au moins relative de l’économie des petites exploitations, sur le chemin des villes et des régions industrielles. Mais la fréquence des récessions, l’arrivée de classes plus nombreuses à l’âge de la production, jouent le rôle de frein dans les pays qui ont réalisé déjà depuis longtemps leur transformation en pays industriels. Les migrations ne sont plus que l’écho atténué de celles du siècle dernier.
19Par contre, le marginalisme de certaines industries de petites villes ou de régions mal situées pour résister aux épreuves issues des progrès techniques et des nouveaux agencements des relations économiques internationales (Marché commun) met en porte à faux économique des fractions plus ou moins importantes de population déjà industrielle ou commerciale, dans ces petites villes. Si des reconversions locales n’en assurent pas l’emploi, elles constituent des masses plus ou moins importantes quantitativement de candidats à la migration vers les gros centres, un danger d’accroissement de la congestion des régions urbaines majeures. Mais le mouvement ne peut avoir lieu à une échelle notable que si le marché du travail dans les régions favorisées s’y prête. Toute période de crise économique généralisée est période d’immobilité de la population. Le cas très suggestif de la population anglaise entre 1920 et 1940 a été examiné dans un ouvrage précédent2.
20Aujourd’hui, les pays où l’on enregistre de grandes migrations des villages vers les zones industrielles et les villes en cours de développement rapide sont ceux où s’effectue de nos jours la révolution industrielle. On sait que la population urbaine de l’URSS a augmenté de 60 millions d’habitants. En attribuant à la population urbaine de 1926 (27 millions) le taux moyen d’accroissement de la population de l’URSS, elle aurait augmenté, par le seul accroissement naturel, d’un peu plus de 10 millions en trente ans. L’accroissement par migration est donc de l’ordre de 50 millions pour ces mêmes trente années.
21L’industrialisation, combien plus timide, du continent africain, a mis aussi en marche des contingents considérables, malgré le sous-peuplement d’une partie des régions rurales : plus de 2 millions d’Africains dans la seule Afrique centrale ont gagné les villes au cours des vingt dernières années.
22La population urbaine de l’Inde a augmenté d’une vingtaine de millions au cours de la même période.
Processus irréversible sauf aux États-Unis
23Sauf en Amérique du Nord, ce processus apparaît irréversible, car si le rural arrivant en ville peut espérer trouver une place individuelle acceptable dans le cadre d’une production ou d’une activité collective de masse, en revanche un citadin qui arriverait à la terre sans posséder les moyens d’acquisition d’une entreprise serait condamné aux plus basses besognes et relégué au bas de l’échelle sociale. Aux États-Unis, la mobilité de l’exploitation agricole, le caractère technique de la production agricole, l’équipement des régions de production agricole en cadres-pilotes et l’importance du crédit rendent possible, pour de petits nombres, la migration ville-campagne qui n’est représentée en Europe que par un mouvement de retraités et de pensionnés, ou s’identifie avec une déchéance sociale.
II. Les personnes déplacées et les réfugiés
24La migration des personnes déplacées et des réfugiés revêt deux formes :
251° l’expulsion ou l’exode massif de collectivités numériques importantes (de plusieurs millions au moins) ;
262° le passage ininterrompu pendant des périodes plus ou moins longues de petits groupes d’un pays à un autre.
Migrations de populations globales
27C’est la première forme qui pose le plus grand nombre de problèmes difficiles à résoudre. En effet, quelle que soit la cause de l’exode, il est par définition un exode de groupe. Le groupe peut être une nationalité persécutée (Juifs par exemple) ou déplacée pour simplifier la structure nationale d’un ou de plusieurs États : les Allemands des Sudètes en 1945, Hindouistes et Musulmans de l’Inde de 1945 à 1949, un groupe social dépouillé de ses avantages antérieurs et placé dans une situation d’insécurité (aristocratie et bourgeoisie russe — Russes Blancs — en 1917), d’une manière plus générale n’importe quel groupe vaincu dans une révolution politique et sociale. Le groupe s’identifie, dans le cas le plus simple, avec une fraction complète de la population d’origine comprenant toutes les classes d’âges et comportant des représentants de toutes les professions et de tous les niveaux sociaux. Tel fut le cas des Allemands des Sudètes, paysans, industriels et ouvriers, fonctionnaires, membres des professions libérales, intellectuels, artistes…
Migrations de classes sociales
28Quand l’exode est provoqué par une révolution qui élimine une catégorie sociale, le contingent émigré présente un caractère socio-professionnel beaucoup plus restreint : propriétaires fonciers, anciens officiers supérieurs et hauts fonctionnaires, intellectuels, artistes, avocats et hommes de loi, etc. L’émigration est, comme dans le premier cas, une émigration familiale. La composition par âges de ce contingent est donc différenciée. Il existe certes des exceptions : l’émigration de combattants d’une armée populaire comme l’armée républicaine espagnole en 1938 comportant surtout des hommes jeunes, prêts à s’incorporer à n’importe quelle profession manuelle.
29Le cas de l’émigration juive, tout en s’apparentant par certains caractères au premier type, celui de l’émigration d’une population complète, présente aussi des traits identiques à ceux du second type : par suite de l’élimination de fait des Juifs de certaines professions dans les pays européens, surtout depuis le Moyen Âge, l’émigration juive est essentiellement une émigration de commerçants, d’artisans, de membres des professions libérales, d’intellectuels, d’artistes.
Problèmes de l’accueil
30L’accueil de ces collectivités suppose, de la part du pays qui les reçoit, la possibilité d’assurer l’emploi par transfert ou par reclassement d’activités professionnelles de toutes les catégories socioprofessionnelles et de supporter la charge des classes d’âge non productives. Étant donné les difficultés d’adaptation de certaines personnes déjà âgées et de reclassement professionnel difficile, dans un pays de culture et de langue différente de celle du pays d’origine, l’accueil d’une telle immigration s’accompagne d’une aggravation des charges sociales, requiert l’appel soit à des subventions publiques — ou internationales —, soit à l’aide d’associations privées. Dans beaucoup de cas, il impose un décalage sensible du niveau de vie et du rang social d’un grand nombre d’individus. Toutefois, certaines compétences professionnelles sont immédiatement assimilables. Le sort de chacun dépend donc en grande partie de ses activités professionnelles, de son niveau scientifique et technique, de son expérience de l’étranger, de sa connaissance des langues étrangères et aussi des capitaux qu’il a pu expatrier avec lui.
31Mais, dans l’ensemble, l’accueil d’une immigration ayant pour origine un exode politique, racial ou religieux, implique des dépenses, des sacrifices de la part du pays qui accorde l’hospitalité. C’est pourquoi cette hospitalité prend beaucoup plus l’aspect d’un acte politique ou d’un acte de solidarité humaine que celui d’une opération économique.
32La colonisation d’un pays avec une immigration de ce type et surtout avec une immigration dépourvue de paysans et de travailleurs de force exige une reconversion totale des activités d’une grande partie des migrants. L’expérience a été faite en Israël.
Près de 30 millions de personnes déplacées en cinq ans
33Entre 1945 et 1951, les migrations imposées de population complètes au sens de leur composition par âges et de leur composition professionnelle ont intéressé 9 à 12 millions d’Allemands, 10 millions d’Indous et de Pakistanais, 2 millions de Coréens, 1,5 million de Polonais, 1,5 million de Japonais, 1 million d’Arabes de Palestine transférés par voie autoritaire ou par suite d’options, plus 1 million à 1,5 million de réfugiés ayant quitté le territoire de l’Union soviétique (Républiques baltes, Ukraine) et celui des Républiques populaires, sans compter les Allemands passés de la République démocratique en République fédérale, et, d’autre part, les quelque 250 000 Européens qui ont quitté les anciens territoires coloniaux de l’Asie du Sud-Est parvenus à l’indépendance. Il s’agit donc d’un déplacement de l’ordre de 26 à 30 millions d’hommes et de femmes de tous âges, de toutes professions, dépassant de beaucoup en ampleur les vagues d’immigration en Amérique au début du siècle, pour un délai comparable. En fait, c’est d’un seul coup 15 millions d’hommes qu’il a fallu absorber en Europe ou dans les pays susceptibles d’accueillir une émigration d’origine européenne, et à peu près autant en Asie. Il s’agit d’un phénomène démographique, sociologique aussi, et plus généralement historique de première grandeur, dont les conséquences pèsent encore sur le développement des pays qui ont été les plus directement touchés par ces migrations, et sur le sort de beaucoup de ceux qui ont été entraînés dans ce bouleversement de leur situation et de leur résidence. Bien que l’Allemagne soit parvenue à absorber presque intégralement dans sa population active les Volksdeutsche en âge de travailler sans qu’il en résulte un accroissement sensible du chômage, la présence des « réfugiés » pose de nombreux problèmes, y compris des problèmes politiques. La misère de Calcutta a été accrue par le reflux de centaines de milliers d’Hindouistes du Bengale oriental passé au Pakistan, les Arabes expulsés de Palestine sont pratiquement toujours dans l’attente d’une solution améliorant leur sort.
34La sensibilité des populations transférées est avivée par la persistance d’une émigration chronique, accélérée par certaines crises, plus réduite dans les périodes de détente, qui entretient l’actualité des problèmes les plus épineux, attise les regrets et les espoirs de retour, rend ces collectivités particulièrement influençables par les propagandes de toute nature. Il y a un problème particulier d’assimilation des transférés et des réfugiés, très différent du problème général de l’assimilation des immigrés déplacés par la pression des conditions économiques.
35C’est une des raisons pour lesquelles, même assez longtemps après ces mouvements massifs, mais de relativement courte durée, ils continuent à faire partie des conditions géographiques de la vie politique de certains États ou de la vie régionale.
III. Les migrations internationales de producteurs
36L’intérêt d’un pays qui dispose de réserves de ressources exploitables, et dont l’économie peut déboucher sans risque de crise sur une phase d’expansion, est de recevoir, en complément de la population active autochtone, les immigrants qui peuvent contribuer à augmenter la production et, par voie de conséquence, le revenu national. L’opération est bénéficiaire si l’accroissement du revenu national est plus rapide que celui de l’effectif de population active résultant de l’immigration. Cette situation a été celle des États-Unis jusqu’à la Première Guerre mondiale.
L’immigration dans les « pays neufs » du xixe siècle est terminée
37Au xixe siècle et au début du xxe siècle, les pays que l’on appelait alors les pays neufs recrutaient des travailleurs jeunes et solides susceptibles de jouer le rôle de pionniers et de défricheurs dans la mise en valeur d’espaces jusque-là inoccupés et inexploités, et de servir de main-d’œuvre de force dans les chantiers miniers, pour la pose des voies ferrées, la création des premiers complexes industriels, la construction des villes. Une fois la période de mobilisation de l’espace exploitable et de premier équipement passée, les générations se remplaçant avec un solide excédent naturel, les besoins d’une force de travail de cette espèce diminuent rapidement. Les progrès techniques, l’augmentation de la productivité du travail à la terre comme à l’usine, posent même assez tôt le problème du sous-emploi. C’est là, tout autant que le souci affirmé de ne pas altérer l’intégrité nationale américaine, la cause du blocage légal de l’immigration aux États-Unis par la législation des quotas après la Première Guerre mondiale. Les immigrants d’hier, à plus forte raison leurs fils, ne sont pas les moins actifs pour exiger la limitation ou l’arrêt de l’immigration qui, en élargissant la concurrence sur le marché du travail, les menace de chômage ou de réduction de salaires. L’attitude des Australiens ne diffère pas à cet égard de celle des Américains.
Les besoins actuels d’immigration
38Cependant, certains secteurs de l’économie nationale peuvent demeurer dégarnis de travailleurs, lors même que le sous-emploi en affecte chroniquement d’autres. À un besoin quantitatif d’immigration succède éventuellement un besoin qualitatif — ce qui ne signifie pas que l’on recherche une immigration « de qualité », mais certaines qualités d’immigrants. Il s’agit d’abord de ceux à qui on peut imposer les activités pénibles, dangereuses, malsaines, que délaissent les populations qui ont pris l’habitude de certaines formes de bien-être. Mais on peut aussi rechercher certains spécialistes qui seraient relativement coûteux à former sur place et que l’on préfère faire venir, une fois qu’ils ont acquis leur compétence productive à la charge du pays de départ. Un savant coûte souvent moins cher qu’un brevet, surtout quand toute sa formation et une partie de ses expériences ont été acquises dans un autre pays. Tout immigrant qui apporte un capital ou représente un capital par la thésaurisation que constitue sa formation de cadre, est un bénéfice, une manière d’importation de valeur pour le pays d’accueil.
39Or, en fait, les pays d’immigration n’ont jamais recherché que l’immigration qui convenait à leurs besoins de développement dans une circonstance donnée de leur évolution. Les mouvements internationaux de population sont entièrement dominés par la situation de la demande. À peine si des circonstances historiques exceptionnelles comme celles qui ont été évoquées précédemment et ont nécessité la création et l’action d’organismes internationaux comme l’OIR (Organisation internationale des réfugiés) apportent quelques exceptions à cette règle.
40Il convient d’ajouter, d’autre part, que les gouvernements intéressés ne manquent pas de prendre simultanément en considération les besoins économiques et techniques et les opportunités de la politique générale : refus d’une immigration de population issue de pays sous-développés dont les habitudes sociales (niveaux de vie, salaires) et le comportement démographique, l’idéologie, sont radicalement différents des populations nationales, parmi lesquelles elles auraient de grandes chances de constituer des minorités fermées (racisme réciproque), capables d’une forte expansion démographique (attitude américaine, attitude australienne). On va aujourd’hui plus loin. Les autorités contrôlant l’immigration ont mission d’écarter des pays d’accueil tous éléments susceptibles d’apporter un trouble quelconque dans la vie politique ou d’y renforcer l’opposition aux pouvoirs établis.
41L’immigration très largement libérale au xixe siècle est devenue très étroitement sélective, surtout depuis la Deuxième Guerre mondiale.
Le cas de la France
42Il n’est pas jusqu’aux pays que le vieillissement de leur population avait ouvert à l’immigration en Europe même, et avant tout la France, qui ne doivent reconsidérer avec prudence leur politique de l’immigration. Pendant la période intermédiaire entre les deux guerres mondiales, de 1921 à 1936, la France n’a augmenté sa population active de 400 000 unités que par le recours à l’immigration : 1,4 million d’étrangers en 1921, 2,4 millions en 1936. Elle avait à cette époque à combler les brèches creusées par la Première Guerre mondiale. Les effets d’un birth control déjà ancien se faisaient sentir sur les effectifs des classes d’âge actif. Les travaux ingrats ne trouvaient plus preneurs. La Pologne, l’Espagne, l’Italie surtout ont fourni des ouvriers agricoles, des mineurs, des ouvriers des chantiers de travaux publics et du bâtiment. Jusqu’à la période de la crise (1931), qui a déterminé des expulsions et l’arrêt d’exécution des contrats d’immigration, les naturalisations ont été nombreuses, surtout au bénéfice d’immigrants d’origine latine. Après la Deuxième Guerre mondiale, les besoins de main-d’œuvre de la reconstruction et de la restauration de l’économie dégradée par l’occupation et les bombardements ont paru légitimer le retour à une politique de large immigration, et l’on a songé recourir à un appel important de travailleurs italiens. La constatation de la modification du rythme de l’accroissement naturel pendant les dix ans qui ont suivi la Libération a fait apparaître le danger d’une immigration qui d’emblée, ou au bout de peu de temps, prenait l’aspect d’une immigration familiale, donc engageait l’avenir pour une époque où déboucheront sur le marché du travail les classes nombreuses nées à partir de 1946. Aussi a-t-on cherché à limiter l’immigration, y compris l’immigration italienne, qui demeure cependant la plus importante, et à assurer l’exécution des travaux pour lesquels on recourait à cette immigration par l’utilisation d’une main-d’œuvre nord-africaine venant pour quelques années et se composant presque exclusivement de célibataires ou d’hommes seuls.
43Sélective sur le plan professionnel, l’immigration contemporaine est non moins sélective que l’immigration du xixe siècle ou que l’appel vers les villes de populations rurales, sur le plan de l’âge. Le travailleur de force doit être un adulte jeune, et si quelque expérience peut faire accepter l’homme mûr aux côtés du manœuvre de 20 ans à 30 ans, on ne prend pas volontiers l’immigrant dont les forces risquent d’être déclinantes. Les considérations d’âge jouent certes moins pour le recrutement d’un cadre supérieur, mais elles sont toujours importantes, surtout dans des pays où le dynamisme des affaires et aussi le dynamisme démographique portent à la tête des affaires et des services une majorité d’hommes jeunes.
Difficulté d’accommodement des besoins d’émigration et des besoins d’immigration
44La confrontation de la demande d’immigrants et du potentiel d’immigration fait apparaître surtout des discordances :
45— Discordance quantitative : les pays susceptibles, dans les conditions actuelles de développement et de structure économiques, d’accueillir des immigrants, ne peuvent en recevoir et ne veulent en recevoir que des contingents minimes chaque année. Les besoins d’émigration des pays souffrant d’un surpeuplement relatif sont bien supérieurs à ces possibilités d’accueil. Certains pays n’ont même aucune chance de voir accepter leurs nationaux dans un quelconque pays qui reçoit de maigres contingents d’Européens : c’est le cas de tous les pays asiatiques — à une faible exception près pour le Japon.
46— Discordances qualitatives : dans la mesure où se manifestent des besoins de travailleurs de force, il peut y avoir harmonisation entre la demande et l’offre de migrants. Par définition, en effet, la pression démographique s’exerce d’une manière plus sévère sur les catégories inférieures d’une société quelconque. C’est parmi les gens les plus pauvres que se recrute la majeure partie des émigrants. Ces paysans sans terre, ces chômeurs virtuels ou réels, sont les travailleurs dont ont besoin les industries à emplois ingrats. Mais plus l’évolution technique fait rechercher des spécialistes, au moins des travailleurs possédant une instruction générale et professionnelle, moins les pays économiquement attardés peuvent répondre à la demande. L’émigrant allemand ou néerlandais, pourvu d’une culture générale et technique, l’emporte sur le Sicilien. La formation préalable à l’émigration est devenue un souci des pays qui souhaitent trouver un débouché pour une partie de leurs excédents de population dans l’émigration et une des activités des organisations internationales contrôlant l’émigration : le CIME (Comité intergouvernemental pour les migrations européennes).
47Moins d’un million d’Européens trouvent place chaque année dans les pays d’outre-mer : moins que l’accroissement annuel des seuls pays méditerranéens. Des transferts de capitaux dans des régions ou la création de nouvelles économies productives pourraient assurément débloquer certaines possibilités de peuplement, donc d’émigration. Mais la nécessité d’investissements, pour assurer le développement des économies nationales ou régionales, de pays qui subissent de très fortes pressions démographiques, peut à juste titre bénéficier de la priorité. Et, sauf dans des cas limite de surpeuplement de pays déjà complètement équipés (Pays-Bas), il est assurément plus rationnel de rechercher les moyens d’employer sur place la force de travail représentée par une population nombreuse, que d’envisager les conditions du transfert des excédents à grande distance. D’autant plus que ce n’est pas un plus mauvais moyen d’agir sur le taux de fécondité. Il reste que l’échéance d’une politique d’équipement est à plus ou moins long terme, tandis que l’obligation d’alléger la surcharge de peuplement peut être immédiate. L’émigration peut être une nécessité temporaire dans un pays en cours d’équipement. Mais, d’un point de vue strictement humain, elle n’est jamais qu’un pis-aller, malgré tout le folklore dont on a voulu l’entourer, pour alléger la peine de l’émigrant ou recruter plus facilement les foules qui caressaient, dans les entreponts de bateaux d’émigrants, le rêve de l’oncle d’Amérique…
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