Chapitre 13
Les dynamiques linguistiques : entre permanences et bouleversements
p. 185-196
Texte intégral
1Lors de sa dernière prise de parole à la télévision, en janvier 2011, le président Ben Ali s’est exprimé en arabe dialectal, à la grande surprise de tous. Jusqu’alors, seul l’arabe littéral – unique langue officielle du pays – était utilisé dans ses discours, même si elle n’est la langue natale d’aucun Tunisien. Cet événement marque un tournant dans la façon dont les hommes politiques s’adressent aux citoyens, laissant place à une pluralité de modes d’expression dont la campagne présidentielle de 2019 a pu témoigner. La langue n’est donc pas seulement un outil de communication, elle est aussi l’un des symboles d’une nation, et la Tunisie, sur le modèle jacobin de la France, a choisi, à partir de 1956, de véhiculer la culture nationale du pays à partir d’une langue unique. Toutefois, au-delà d’un monolinguisme officiel, le français jouit d’un statut privilégié depuis le protectorat. À sa prise de pouvoir, Bourguiba n’a d’ailleurs pas cherché à évincer cette langue seconde. Plus récemment, par le biais de la scolarisation mais aussi des réseaux sociaux, d’autres langues sont plébiscitées, et l’anglais s’introduit également dans les échanges. Pour autant, ces langues n’occupent pas la même place au quotidien. Elles ne sont pas mobilisées pareillement suivant les pratiques ou les thèmes abordés. La position dominée ou dominante d’une langue s’explique en prenant en considération de nombreuses dimensions qui relèvent de la synchronie (ordre social, économique, scientifique, technique, etc.) et de la diachronie (historique, politique, économique, culturelle, etc.) des sociétés qui la parlent (Sayad, 2014, p. 72).
2Dans la perspective d’étudier les changements démographiques et sociaux en Tunisie, le présent chapitre s’intéresse aux langues parlées (dans la sphère privée comme à l’extérieur) et à leur transmission. Les dynamiques linguistiques sont en effet essentielles pour appréhender certains bouleversements culturels, économiques ou politiques.
3Pour analyser ces dynamiques linguistiques en Tunisie, l’enquête statistique ETST a été mobilisée, en particulier le module « Pratiques linguistiques et culturelles » (encadré 1). Ce chapitre vise donc, à partir de ces données, à saisir le paysage linguistique de la Tunisie. Après avoir dressé un panorama de la situation, il montrera comment les pratiques linguistiques varient en fonction des caractéristiques des locuteurs, mais aussi au regard des activités exercées.
Encadré 1. Approche méthodologique
Le module « Pratiques linguistiques et culturelles » de l’enquête ETST porte sur les langues parlées en famille et sur celles utilisées dans les échanges avec des amis et des collègues. Ce bloc comporte six questions portant sur les langues mobilisées lors des échanges oraux familiaux passés et actuels, mais aussi au cours d’activités pendant lesquelles certaines langues sont susceptibles d’être plus souvent utilisées que d’autres. Compte tenu de la situation linguistique de la Tunisie, trois principales langues ont été identifiées : l’arabe, le français et l’anglais. Un item « Autre langue » était proposé, mais il ne donnera pas lieu ici à une analyse spécifique, dans la mesure où moins de 1 % des répondants en ont fait mention. Enfin, une dernière question interroge les perceptions individuelles sur les compétences langagières de la population tunisienne. Le questionnaire a été rempli en arabe dialectal, avec l’intermédiaire d’une enquêtrice, puis rédigé dans un arabe standard. L’objectif était de s’adapter aux profils des répondants, en utilisant des mots de français si nécessaire.
I. La situation sociolinguistique de la Tunisie
4La principale langue d’usage dès la naissance en Tunisie est l’arabe dialectal (derja), parlé par la très grande majorité de la population. Les enfants apprennent ensuite, dès leur première année d’école, l’arabe littéral qui diffère sensiblement de leur idiome natal. Ils vont s’initier exclusivement à cette langue durant deux années, puis le français est introduit en tant que langue seconde à partir de la troisième année. L’arabe littéral et le français ne sont cependant pas inconnus des enfants avant leur entrée dans l’institution scolaire, car l’arabe dit « standard » est aussi utilisé dans les administrations ou dans certains médias, et le français est visible sur de nombreux affichages publicitaires ou sur les emballages alimentaires (Najem-Narmissi, 2008). Toutefois cette imprégnation au plurilinguisme est variable selon les lieux de vie et les milieux sociaux. C’est l’une des pistes explorées dans ce texte. En outre, dans le secondaire, une autre langue (principalement l’anglais) peut être enseignée et ensuite mobilisée par les locuteurs. On cherchera donc à savoir dans quels cadres cette autre langue peut être utilisée et si des effets générationnels sont perceptibles.
5Depuis la révolution, on entend, dans les médias et les discours politiques, des propos alarmistes sur le rapport des Tunisiens à la langue arabe, mais aussi sur la place du français et de l’anglais. Les termes utilisés laissent supposer que la situation linguistique du pays se dégrade. Dans un discours de 2011, Moncef Marzouki, ancien opposant au régime de Ben Ali et qui a été président de la République de 2011 à 2014, déplorait ainsi l’usage d’une « langue bâtarde » dans laquelle « des mots en français se mêlent au dialecte tunisien et à des phrases en arabe littéraire ». La même année, Rached Gannouchi, cofondateur et chef du mouvement Ennahdha, mentionnait sur une antenne radiophonique une « pollution linguistique » liée à l’usage du français (Boughnim, 2015). Parallèlement, l’opinion publique laisse entendre que les compétences en français des nouvelles générations seraient détériorées.
6Le volet linguistique de l’enquête ETST comporte plusieurs questions sur la perception des compétences linguistiques, en particulier du français. Près de 84 % des personnes interrogées estiment que la connaissance de cette langue seconde s’est dégradée. Elles considèrent que « les jeunes ne savent plus parler français », et cette opinion se renforce parmi les plus diplômés. De façon plus surprenante, on constate que cette opinion varie peu au fil des âges. Ainsi, les plus jeunes partagent avec les plus âgés le sentiment que la pratique du français a décliné. Ce ressenti va de pair avec l’idée généralisée que l’arabe dialectal parlé par les jeunes est « vulgaire » (cf. chapitre 14). En effet, le langage vernaculaire des jeunes, principalement dans les milieux populaires, est devenu plus visible par le biais de certaines musiques ou encore des réseaux sociaux. Par là même, cet arabe non standardisé se répand à d’autres milieux et se banalise progressivement. Là encore, on retrouve dans des proportions similaires (85 %) la perception d’une dégradation de l’usage de l’arabe, une opinion plus répandue dans les milieux urbains.
7Au vu de ces résultats, il convient sans doute de s’interroger sur le sens de ces opinions largement partagées. Plusieurs sociologues (Blumer, 1948 ; Bourdieu, 1984) ont expliqué le côté artificiel de telles opinions. Toutefois, dans le contexte tunisien d’une transformation de la société et d’une éventuelle démocratisation, cette construction de l’opinion publique est intéressante à étudier. En effet, la transformation d’un fait social en problème public émane avant tout de l’approche de certains acteurs (journalistes, personnalités politiques), qu’ils imposent au plus grand nombre (Neveu, 2015).
8Si les adultes partagent largement le sentiment que les jeunes parlent un arabe « vulgaire » et ne savent plus parler français, ils considèrent également que le plurilinguisme est indispensable aujourd’hui (tableau 1). Plus de neuf personnes sur dix estiment en effet que la pratique du français est nécessaire en Tunisie mais aussi que la maîtrise de l’anglais est essentielle – ce qui est plus inattendu. En cela, les Tunisiens ne semblent pas favoriser une langue plutôt qu’une autre. Ils envisagent davantage un plurilinguisme qui cumulerait l’arabe, le français et l’anglais (il sera question plus loin des pratiques déclarées des répondants).
Tableau 1. Perception des compétences langagières (%)

9Dans les faits, une langue mixte franco-arabe a fait son apparition dans différents médias : à la radio ou à la télévision, par exemple via la traduction de feuilletons turcs en arabe dialectal avec des mots en français (Pouessel, 2018). Cette composante linguistique reflète fortement les milieux urbains proches de la capitale, qui connaissent une libéralisation des mœurs plus visible depuis la révolution. Ces microcosmes fortement connectés, tournés vers l’international et plurilingues ne sont pas toujours bien perçus dans d’autres régions du pays. Ils revendiquent l’usage de la derja en tant que langue du peuple et dans l’optique, reprise de Bourguiba, de s’inscrire dans une « tunisification » du pays, y compris dans les instances politiques. Toutefois, comme l’écrit Stéphanie Pouessel (2018), cette revendication linguistique et politique des partis de « gauche » du pays « s’apparente davantage à une revendication élitaire, celle d’une classe sociale urbaine, connectée notamment au monde francophone et anglophone1 » (Pouessel, 2018, p. 368).
10En effet, si cette mixité linguistique est rendue visible, elle reste minoritaire, et la langue du quotidien, celle qui est transmise de génération en génération, est toujours l’arabe dialectal seul. En France métropolitaine, le français est hégémonique dans l’espace public, mais avec des familles héritières de nombreuses langues régionales ou d’immigration, ce qui conduit à des processus de transmission plurilingues fréquents. En Tunisie, les migrations restent limitées et les langues régionales sont inexistantes. Ainsi, l’arabe dialectal au sein des familles reste le principal outil de communication, avec toutefois des variantes liées à des accents ou des prononciations.
II. La transmission de l’arabe : une évidence
11En tant que langue première pour la quasi-totalité des répondants, l’arabe est omniprésent en Tunisie, et surtout dans la sphère privée, car la diversité linguistique du pays est restreinte. Seule une poignée d’autres langues ont été listées comme étant parlées entre parents et enfants2.
12Dans l’enquête ETST, trois questions permettent d’approcher la transmission familiale de l’arabe. La première porte sur ce que la personne interrogée dit avoir entendu, enfant, au domicile parental ; la deuxième concerne les répondants parents qui mentionnent la ou les langues qu’ils transmettent (ou ont transmis) à leurs enfants lorsque ceux-ci ont (avaient) moins de 12 ans ; et la troisième cible l’usage familial actuel. Les réponses montrent une centralité de l’arabe dialectal, qui est cité plus de neuf fois sur dix comme étant l’unique langue d’usage. Certes, dans l’espace public, le plurilinguisme entre l’arabe littéral, l’arabe dialectal et le français est quotidien, et sans doute plus présent que dans certaines régions de France dans lesquelles l’usage du français est exclusif du fait d’une quasi-absence de migrants et parce qu’aucune langue régionale n’a perduré. En revanche, la tendance semble s’inverser dans l’espace familial, où le foisonnement linguistique est bien plus important en France (Héran et al., 2002).
13Des parents aux enfants, des mères ou des pères vers leurs filles ou leurs fils, les différences de transmission sont insignifiantes. Dans tous les cas de figure, rares sont les parents des enquêtés qui transmettent (ou ont transmis) conjointement l’arabe et le français (environ 10 %) (tableau 2). La situation évolue peu dans le temps. À la génération suivante, les répondants ayant des enfants à leur tour transmettent principalement l’arabe de façon exclusive, et ce, sans grande différence au fil des âges. Toutefois, en milieu urbain et pour les personnes les plus diplômées, on observe des taux de transmission plus importants.
Tableau 2. Transmission de l’arabe selon le lieu de vie, le niveau d’études et l’âge (%)

14Ainsi, les principales formes de transmission dépendent du niveau scolaire du répondant et de ses parents. Plus les ménages sont diplômés, plus le français est présent dans la sphère familiale : un quart des répondants diplômés du supérieur ont reçu de leur mère l’arabe et le français dans leur enfance, et un quart d’entre eux transmettent conjointement ces deux langues à leur propre descendance. Ces résultats s’expliquent de deux façons : d’une part, seuls les parents les plus diplômés et donc initiés au français ont pu transmettre cette langue à leurs enfants ; d’autre part, la présence du français dans la sphère privée a pu favoriser la scolarité des enfants et aider à l’obtention de diplômes du supérieur (encadré 2).
Encadré 2. L’enseignement supérieur : une rupture avec le secondaire
La Tunisie compte 13 universités qui accueillent plus de 300 000 étudiants. Dans ces établissements, l’enseignement du français pose la question du statut épistémologique et institutionnel de cette langue. Elle sert de langue véhiculaire pour transmettre des savoirs aux étudiants, mais constitue également une discipline d’enseignement, comme l’arabe en France. Le premier enjeu, qui ne se pose pas en métropole, est à l’origine de difficultés et malentendus entre les étudiants et les enseignants. En effet, il semble que les exigences et les attendus concernant les compétences en français ne correspondent pas au niveau des étudiants, qui ne seraient donc pas (ou plus) en mesure d’accéder aux savoirs dispensés en français. De ce fait, seule une minorité d’étudiants qui ont été familiarisés à cette langue hors de l’institution scolaire parviendraient à assurer leur réussite universitaire. Alors que le système éducatif tunisien était plutôt exemplaire en Afrique du Nord à partir des années 1960, sous l’impulsion de la politique de Bourguiba, il semble aujourd’hui, face à la massification, rencontrer certaines difficultés.
En juin 2014, j’ai effectué un entretien avec M. Abdellatif Miraoui, qui était alors président de l’université Cadi Hayyad de Marrakech et à la tête de l’Agence universitaire de la francophonie. Lors de cet échange, ce dernier a mis en avant la nécessité, pour les universités africaines, de s’ouvrir davantage sur l’extérieur via l’usage du français, mais il a aussi souligné qu’une telle mise en œuvre était rendue difficile par l’hétérogénéité croissante du public étudiant et par une grande hétérogénéité des cursus d’un pays à l’autre.
15Soulignons toutefois que, même dans les milieux a priori francophones, l’usage exclusif du français reste extrêmement rare, puisque moins de 1 % des répondants déclarent avoir été socialisés uniquement en français dans le foyer parental.
16Par ailleurs, vivre en milieu rural limite fortement l’usage familial du français. Outre le fait que les populations y sont moins diplômées, l’explication tient également au fait d’un cosmopolitisme plus faible, en particulier parce que l’activité touristique y est moins présente.
III. Le français en Tunisie : un statut ambigu
17Le français est présent de longue date en Afrique du Nord, mais son statut est complexe. Parfois déprécié dans la mesure où il a été la langue du colonisateur, il est aussi envisagé comme une « langue d’ouverture ». Si l’arabe classique est la langue du paradis, le français reste la langue du pain. En effet, il conserve un statut privilégié dans le système scolaire où il figure comme langue seconde. Toutefois, son apprentissage ne se fait pas toujours dans une visée linguistique, en tant qu’outil de communication ; il s’oriente aussi dans une perspective culturelle qui est certes intéressante mais ne favorise pas nécessairement la maîtrise de ce parler (Ben Abdelkrim, 2006). C’est pourquoi, malgré une formation en français très précoce, certains chercheurs insistent sur la faiblesse des acquis au sortir de l’enseignement secondaire (Belhaj et Lepez, 2009). Il existerait en cela un hiatus important entre les attentes universitaires et les acquis du secondaire. Dans les filières scientifiques et techniques, l’enseignement du français est dominant. Au-delà, cette langue garde aussi une place centrale dans les sphères économiques (banques, entreprises, etc.), administratives et sociales. Toutefois, son apprentissage serait de plus en plus concurrencé par celui de l’anglais et certains chercheurs (Mahiou, 2011) estiment que la langue française se perd en Afrique du Nord.
18Si la transmission du français apparaît stable dans la sphère familiale au fil des générations, d’après les premiers résultats de l’enquête ETST, on peut s’interroger sur son usage dans d’autres sphères, comme les relations amicales ou professionnelles. On peut également se demander si sa pratique s’est renforcée dans les milieux les plus connectés.
19Tout d’abord, il apparaît que le non-recours au français comme langue exclusive dépasse le cadre familial et s’étend à la sphère amicale et professionnelle. De façon générale, quelles que soient les caractéristiques sociodémographiques, les personnes interrogées utilisent très rarement (moins de 2 %) le français seulement. A contrario, une pratique couplée du français et de l’arabe dialectal émerge significativement dans certaines configurations sociales. Cela concerne avant tout les réseaux amicaux et professionnels, et cet usage est renforcé parmi les plus jeunes et les plus diplômés (tableau 3). Ainsi, plus de la moitié des populations urbaines et diplômées du supérieur ont une pratique conjointe de l’arabe et du français au travail. Ces usages linguistiques ne diffèrent pas entre hommes et femmes.
Tableau 3. Usage actuel d’un mixte arabe-français (%)

IV. Des usages linguistiques distincts selon les pratiques culturelles
20Si l’arabe reste la principale et souvent l’unique langue familiale, les usages linguistiques des Tunisiens sont variés et dépendent fortement du type d’activité. Dans l’ensemble, neuf personnes sur dix regardent les informations, écoutent la radio ou assistent à des spectacles en arabe (tableau 4). En revanche, le visionnage de films se fait pour une part significative (plus d’un cinquième des répondants) en anglais, soit deux fois plus souvent qu’en français. Cette pratique est plus élevée chez les plus jeunes et les plus diplômés.
Tableau 4. Langues utilisées pour effectuer différentes activités culturelles en fonction du milieu de résidence, du niveau d’études et de l’âge (%)

21Enfin, l’écriture d’un courrier, une pratique qui ne concerne que la moitié des répondants, se fait largement en français. En moyenne, plus d’un tiers des répondants ayant l’occasion d’écrire le font en français. Là encore, ce sont dans les sphères les plus longuement scolarisées, parmi les plus jeunes et dans les milieux urbains que cet usage est le plus répandu. Dit autrement, écrire un courrier en français diminue continûment avec l’âge. Pourtant, on note également que, parmi les 10 % des individus qui déclarent regarder un film ou lire les journaux en français, un sursaut apparaît parmi les plus âgés. Les personnes de plus de 55 ans semblent en effet plus familières avec l’emploi de cette langue (à l’oral uniquement) que les générations précédentes. Elles se comportent de façon similaire aux générations les plus jeunes. On retrouve ici, pour ces générations nées à la fin de la période du protectorat français, l’incidence durable de la présence française sur les usages linguistiques. Si l’imposition du français a été moins violente qu’en Algérie, les effets restent perceptibles, même s’ils tendent à disparaître. Aujourd’hui, le poids du français pour une certaine jeunesse n’est pas le fruit d’une transmission de la part de parents eux-mêmes francophones. C’est avant tout le résultat d’une scolarisation de plus en plus longue et d’une internationalisation des échanges via les réseaux sociaux.
22En définitive, la pratique de l’anglais et du français augmente en milieu urbain, parmi les plus diplômés et chez les plus jeunes. Toutefois, l’usage de ces deux langues concerne des activités différentes, et ce, quel que soit le milieu social d’origine. Ainsi, les premiers résultats de l’enquête ne semblent pas confirmer une concurrence entre l’anglais et le français, mais un plurilinguisme élargi dans lequel l’arabe, le français et l’anglais se côtoient pour des usages distincts.
Conclusion
23Les pratiques linguistiques des Tunisiens rendent compte d’une continuité certaine au fil des générations, l’arabe occupant toujours une place centrale en famille. Avant comme après la révolution, le dialectal tunisien reste la langue de l’intimité dans la sphère privée. Ainsi, au-delà de discours alarmistes laissant entendre une dégradation des compétences linguistiques en dialectal comme en français, l’usage déclaré de ces deux langues ne semble pas décliner, mais il a sans doute changé de forme, le français devenant plutôt mobilisé pour l’écrit.
24Les principales transformations des usages linguistiques sont également liées à l’accès massif d’un grand nombre de Tunisiens à Internet et aux réseaux sociaux depuis la révolution, ce qui a largement favorisé l’ouverture linguistique. Dans ces échanges informels, les langues sont mêlées et l’insécurité linguistique est moindre, compte tenu de ce format d’échanges. Toutefois, ces hybridations sont aussi parfois mal perçues et se cumulent souvent avec un parler jeune jugé « vulgaire ».
25Enfin, l’une des préoccupations majeures de la Tunisie, comme de nombreux autres pays d’ailleurs, concerne l’insertion professionnelle des jeunes générations. Massivement diplômés, beaucoup de jeunes ne trouvent pas d’emploi. Les familles attendent donc toujours plus de l’école et, par là même, de la formation linguistique en français et en anglais, espérant qu’elle favorisera l’accès de leurs enfants à l’emploi.
Bibliographie
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Notes de bas de page
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