Chapitre 7
Les progrès de la santé
p. 177-196
Texte intégral
1La relation entre la baisse de la mortalité infantile et la fécondité est assez complexe. Cependant, plusieurs études ont prouvé que la diminution de la mortalité infantile pouvait amener au déclin de la natalité. Il existe des théories sur les effets de types biologique ou physiologique de la diminution de la mortalité infantile sur la fécondité et d’autres sur les effets comportementaux (remplacement et assurance) induits par ce phénomène. Après avoir donné un bref aperçu sur la situation sanitaire et la mortalité infantile et maternelle en Égypte, on essaiera d’établir un lien entre mortalité infantile et fécondité à l’aide de ces théories et de plusieurs sources de données : l’état civil, les recensements, les données des enquêtes EFS et EDHS, les statistiques des Nations unies.
I. Les politiques de santé en Égypte depuis le xixe siècle
1. L’éradication des grandes épidémies
2Au début du xixe siècle, quand Méhémet Ali prend le pouvoir en Égypte, la situation sanitaire du pays était lamentable. Il charge donc un médecin français, Antoine Barthélémy Clot (plus connu sous le nom de Clot-Bey), de réorganiser les systèmes de santé militaire et civil. Clot-Bey fonde une école de médecine et une école de sages-femmes. Il ouvre plusieurs hôpitaux à travers le pays et entame des campagnes de vaccination antivariolique dans tout le pays. En 1835, il parvient à enrayer une terrible épidémie de peste. Mais à partir des années 1830, alors que le pays est sous la domination des Anglais, les réformes de M. Clot sont ralenties. Entre 1902 et 1910, les Anglais mettent en place de grands travaux publics dans le domaine de l’irrigation afin d’améliorer la production agricole : dans la région du Delta du Nil, les bassins sont convertis en irrigations perpétuelles, ce qui a pour conséquence d’aggraver les conditions sanitaires dans tout le pays à cause de la diffusion des maladies infectieuses comme la bilharziose, l’ankylostomiase et d’autres maladies d’origine hydrique, qui étaient jusque-là cantonnées à certaines zones de la Haute ou de la Basse-Égypte (Gallagher, 1990).
3À cette époque, la situation sanitaire des campagnes, habitées par 70 % de la population, était très mauvaise. Du fait d’une pénurie de médecins, la médecine moderne y était rarement pratiquée et la médecine traditionnelle était largement répandue dans le pays. Les Anglais étaient conscients de la situation : en 1883, Clifford Lloyd créa le département de la Santé publique au sein du ministère de l’Intérieur (Gallagher, 1990), mais les financements donnés à ce nouvel organisme étaient insuffisants pour améliorer le système de santé publique et l’engagement britannique ne fut pas à la hauteur : par la suite, seulement 1 % du budget de l’État fut consacré à la santé et à l’éducation. Les seuls progrès notables concernèrent la mise en place de la quarantaine, suite à l’épidémie de choléra qui frappa le pays entre 1896 et 1902. La maladie fut éradiquée pendant plusieurs années.
4Mais au niveau des structures, le nombre de médecins était trop insuffisant pour les besoins du pays, malgré le développement et la modernisation des écoles de médecine égyptiennes. Au début du xxe siècle, l’Égypte avait encore trop peu d’hôpitaux ; les seuls réellement adaptés à la situation se trouvaient au Caire et à Alexandrie. En outre, la présence de communautés européennes créait un fossé entre établissements publics et privés : les hôpitaux privés, le plus souvent financés et gérés par des Européens ou des missionnaires religieux avaient meilleure réputation que les hôpitaux publics.
5À l’époque, deux organisations de volontariat privées furent fondées, spécialisées dans les soins médicaux : l’Association de bienfaisance Mohamed Ali et l’Association égyptienne du Croissant rouge (l’équivalent de la Croix Rouge dans les pays musulmans), respectivement en 1909 et en 1912. Elles établirent progressivement des cliniques et des hôpitaux, au Caire et à Alexandrie. À la même époque, une autre organisation de santé publique d’origine américaine fut également active en Égypte : la Fondation Rockefeller qui agissait dans le monde entier pour soutenir la recherche scientifique en médecine et la formation du personnel médical.
6Pendant la première guerre mondiale et dans les années qui suivirent, la situation sanitaire égyptienne s’aggrava, et ce fut seulement vers la moitié des années 1930 que le parti Wafd proposa un projet de réforme du système social dans le pays. En 1936, le département de la Santé publique, actif depuis 1883, fut converti en ministère de la Santé dont une section était dédiée à la santé en milieu rural. Créé en 1939, le ministère des Affaires sociales s’occupa d’établir des centres dans les zones rurales du pays, qui devaient fournir des services sociaux et de santé. Ils avaient aussi un rôle économique et offraient des services à l’agriculture et à l’industrie. Cependant, beaucoup de ces programmes d’amélioration de la santé publique, notamment dans les zones rurales, ne furent pas exécutés pour des raisons politiques et financières (Gallagher, 1990).
7L’état général de la santé en Égypte subit encore une aggravation pendant la seconde guerre mondiale. Toutefois, les réformes tardèrent à être mises en place.
8La question de la santé publique devint d’actualité seulement à partir de la moitié des années 1940, suite à trois grandes épidémies qui frappèrent le pays à l’époque : le paludisme en 1942-1944, la maladie de Lyme en 1946 et le choléra en 1947. D’autres maladies infectieuses telles que la fièvre typhoïde, la tuberculose, la schistosomiase et l’ankylostomiase étaient déjà présentes en Égypte depuis longtemps, mais pas autant qu’elles le devinrent à cette époque (Gallagher, 1990). Cette situation prit de l’importance au niveau politique et à travers des débats publics. Dans une période historique où le nationalisme était le protagoniste en Égypte, les mauvaises conditions de la santé publique étaient attribuées au sous-développement du pays, dû, en grande partie, aux mauvais effets de la colonisation anglaise.
9Nancy Gallagher (1990) parle d’une véritable guerre combattue contre les épidémies par l’initiative publique et privée, par des employés gouvernementaux et par des volontaires, par des experts égyptiens et étrangers. Il y eut donc une mobilisation générale qui permit au secteur de santé égyptien de se développer. Cette mobilisation, bénéficia de l’aide et de l’expertise de plusieurs acteurs qui s’étaient occupés de la santé publique en Égypte depuis l’époque de Méhémet Ali et dont on a parlé au début du paragraphe.
2. Le tournant des années 1950 : les politiques de santé publique
10Depuis les épidémies des années 1940, le rôle des politiques de santé publique est fondamental, tant au niveau social que politique. La réforme du système fut l’une des priorités des Officiers libres après la révolution de 1952. En effet, selon les articles 16 et 17 de la nouvelle Constitution de 1952, l’État doit fournir aux citoyens les services de santé, ce que stipule également la Charte nationale de 1962. La santé est désormais un droit pour tous les citoyens ; l’État, d’empreinte socialiste, se chargera dorénavant de fournir ce service gratuitement aux Égyptiens. La recherche épidémiologique se développe à cette époque grâce au sous-secrétaire de la médecine préventive au ministère de la Santé, A. M. Kamal dont le rôle avait été déterminant durant l’épidémie de choléra. La création de l’Institut supérieur pour la santé publique en 1963 à Alexandrie permet de développer de nouvelles méthodes de contrôle les maladies infectieuses et l’éradication de ces épidémies meurtrières qui avaient sévi à grande échelle dans tout le pays.
11Le secteur de la santé publique voit augmenter son importance en termes de structures hospitalières : le nombre de lits dans les hôpitaux publics, qui était environ de 26000 au début des années 1950, atteint 110 000 en 1991.
12Malgré ces progrès, les financements du secteur sanitaire restent insuffisants et d’énormes difficultés grèvent le budget destiné à la santé publique, impliquant des changements dans la politique de santé de l’État à partir des années 1970, en même temps que la politique d’ouverture économique menée par Sadate. Le changement plus significatif est celui relatif à la gratuité dans les prestations, uniquement maintenue pour les classes les plus démunies.
13Le système d’assurance maladie mis en place dès 1936 fut largement répandu à partir de 1964 ; destiné aux employés dans les secteurs public et privé, il permet le remboursement des frais pour les soins reçus dans le secteur de la santé publique. Les classes sociales les plus faibles et plus spécialement les enfants, les femmes et les personnes âgées, en sont toutefois exclues.
14Les hôpitaux et les cliniques privés se sont développés à partir des années 1970 : l’accès à ce type de soins est évidemment très cher et donc réservé aux classes les plus riches de la population égyptienne. À la même époque, en même temps que le mouvement de réislamisation, on assiste à la création de cliniques privées gérées par des organisations religieuses islamiques, offrant des services de santé de bonne qualité à des prix accessibles. La médecine de type occidental est largement pratiquée et reconnue dans ces cliniques, qui représentent, pour la population égyptienne, un système familier et acceptable. Avec le temps, elles sont devenues une alternative aux hôpitaux publics et privés. La présence des services de santé fournis par des communautés religieuses n’est pas nouvelle en Égypte puisque, comme on l’a vu dans le paragraphe précédent, nombre d’hôpitaux gérés par des chrétiens européens existaient dès le début du xxe siècle.
15Le système de santé publique est organisé selon une structure pyramidale : à la base, on trouve les unités de soins présentes dans les villages en zones urbaine et rurale ; aux échelons supérieurs, il y a les chefs-lieux de districts, puis les chefs-lieux de provinces et enfin les grandes villes (Le Caire et Alexandrie). Les services offerts sont de types très différents : dans les petits villages sont seulement présents des services de base. En revanche, dans les grandes villes, tous les types de soins sont à disposition (Chiffoleau, 2005). Les services sont gérés de manière décentralisée : les gouvernorats sont directement financés par le ministère des Finances.
16Le système d’assurance maladie a été modifié depuis sa création en 1964 : le nombre de bénéficiaires est d’environ 5 millions (en 1995), c’est-à-dire 9,7 % de la population. La cotisation varie entre 2 et 5 % du salaire ; les veuves sont aussi couvertes par l’assurance, mais elles ne cotisent pas. Le pourcentage de personnes qui bénéficient de l’assurance maladie est moins élevé parmi la population qui vit dans les zones rurales de Haute et Basse-Égypte.
17Depuis 1993, un autre système d’assurance a été introduit, le programme d’assurance médicale pour les étudiants qui couvre tous les élèves inscrits à l’école publique et qui est financé par la cotisation des étudiants et par des taxes (sur le revenu et sur les cigarettes).
18L’Égypte bénéficie donc d’un réseau d’assistance publique pour les soins primaires, bien distribué sur le territoire, mais les services offerts par le système demeurent insuffisants du fait d’un manque de personnels formés (médecins et infirmières) et d’équipements modernes. En ville comme à la campagne, les patients qui ont recours à l’assistance publique se résignent à subir un service lent et inefficace. Cela a pour conséquence un recours de plus en plus important aux services de santé privés, qui malgré leurs coûts très élevés, sont plus fiables et plus rapides. En 2002, seulement 22,7 % de la population utilise des structures publiques contre 57 % qui se sert des hôpitaux et des cliniques privés. Il existe donc de grandes disparités non seulement sur le plan socioéconomique, mais également entre les régions, qui nécessitent une prise en charge politique de ce problème (UNDP, 2004). Le gouvernement égyptien a élaboré en septembre 2010 une version provisoire d’un nouveau système d’assurance maladie. Elle est à l’étude du gouvernement avant d’être discutée au parlement1. La réforme prévoit une couverture universelle et obligatoire des soins, financée par le gouvernement pour les classes sociales les plus défavorisées et par les classes sociales plus aisées pour le reste2.
19Depuis 1997, un programme de réformes du système de santé est mis en place, qui fait suite à une série d’études. Il est effectué en partenariat avec des organisations internationales et suit leurs orientations et directives (Chiffoleau, 2005).
20Les objectifs de la réforme sont multiples et visent en particulier à améliorer l’efficience du secteur tout en séparant la gestion financière, la fourniture des services et le management. La capacité institutionnelle du ministère de la Santé et de la Population (MOHP) ainsi que de l’Organisation d’Assurance Maladie doit être renouvelée. La politique des ressources humaines doit aussi être réformée. L’un des objectifs importants de ce processus est sans doute la décentralisation. Des projets pilotes ont été menés à partir de 1999 dans les gouvernorats d’Alexandrie, de Sohag et de Menoufia : ils visent à faire des gouvernorats et des provinces les protagonistes du changement tout en gardant la centralité des décisions au sein du ministère de la Santé et de la Population. Un autre objectif concerne la répartition des fonds publics qui doivent être utilisés pour les programmes à priorité élevée et pour les soins des classes sociales les plus pauvres. Nombre de ces projets sont soutenus et supervisés par l’Organisation mondiale de la Santé, la Banque mondiale, l’Usaid, le Fnuap, l’Union européenne, l’Unicef et les agences internationales de plusieurs pays européens. Des accords bilatéraux existent aussi avec la plupart des pays arabes et africains pour la coopération dans le domaine de la santé (http://www.mohp.gov.eg, en arabe).
21L’évaluation des résultats n’est pas encore possible ; néanmoins, on peut d’ores et déjà mettre en évidence que beaucoup d’efforts ont été réalisés pour mettre en place des services au niveau des Gouvernorats, par exemple aux niveaux du support technique, de la planification, du financement des services et de la formation du personnel (UNDP, 2004).
3. Les programmes de vaccination et de prévention
22Depuis les années 1980, l’État égyptien a mis en place des programmes de vaccination (Program of Expanded Immunisation, PEI) et des politiques préventives de santé (Acute Respiratory Disease Program, ARDP), principalement destinés à réduire la mortalité infantile encore très élevée au milieu des années 1980. La diarrhée – et la déshydratation qui lui est associée – étaient la première cause de décès des enfants en Égypte : le gouvernement, avec les fonds de l’USAID, a établi en 1982 le Projet de Contrôle national des Maladies diarrhéiques. Le but de ce programme était de former d’une part, les employés dans le secteur des soins de santé et d’autre part, les familles sur les thérapies de réhydratation orale. La mortalité pour cause de maladies diarrhéiques a été réduite de 60 % entre 1983 et 1988.
23En 1988, la création du Conseil national pour l’enfance et la maternité, destiné notamment au bien-être et au développement des enfants et des mères, a permis de développer des politiques de vaccination sur tout le territoire. Les résultats ont été satisfaisants, la santé des enfants s’étant beaucoup améliorée et la mortalité infantile ayant baissé. Aujourd’hui, environ 95 % des enfants de moins de 5 ans sont immunisés, d’après les données du ministère de la Santé (http://www.mohp.gov.eg, en arabe).
24L’une des plus grandes campagnes d’immunisation a été celle destinée à lutter contre la poliomyélite, menée par le ministère de la Santé et de la Population. Elle rentre dans le cadre de l’Initiative mondiale pour l’éradication de la poliomyélite, lancée en 1988 par l’OMS, l’Unicef, les Centers for Disease Control and Prevention des États-Unis (CDC) et le Rotary International. L’Égypte a aussi bénéficié d’un important soutien financier du gouvernement japonais. Les cas de polio en Égypte se sont considérablement réduits : seuls 7 nouveaux cas ont été enregistrés en 2002, un en 2003 et 2004. Le pourcentage d’enfants de moins de 5 ans vaccinés contre le virus de la poliomyélite dans les zones du Caire et de Gizeh est passé de 36 % en 2002 à 63 % en 2003. À chaque nouveau poliovirus, le gouvernement répond par le lancement de grandes campagnes d’immunisation (les Journées nationales d’immunisation, JNI) pour empêcher la propagation de la maladie et ce, avec le soutien de l’UNICEF. Ces campagnes ont pour objectif de sensibiliser les différentes couches de la population égyptienne, les acteurs des médias et les leaders politiques et religieux.
25L’État se mobilise également pour couvrir des zones plus marginalisées qui n’ont pas encore eu accès à ces programmes de vaccination. Quelque 100 000 employés du secteur de la santé aidés de volontaires font partie d’une action de vaccination contre la polio qui s’effectue sur tout le territoire par le porte-à-porte.
26Une autre maladie est en passe d’être éradiquée, il s’agit du tétanos maternel et néonatal (TMN) qui se développe du fait des mauvaises conditions d’hygiène durant l’accouchement. Le vaccin demeure la forme la plus simple de prévention de cette maladie. Avec l’aide de l’Unicef, le ministère de la Santé et de la Population avait pour objectif de déclarer l’Égypte « MNT free » en 2005, objectif réalisé à travers des campagnes d’immunisation, la sensibilisation de l’opinion publique et la formation du personnel spécialisé. Une enquête réalisée en 2007 dans le district de Somosta a donné des résultats conformes aux hypothèses d’élimination de la maladie (WHO, 2007).
27D’autres maladies demeurent présentes en Égypte dont l’élimination est plus difficile à contrôler, comme la bilharziose (ou schistosomiase) qui se diffuse par des parasites présents dans l’eau stagnante des canaux d’irrigation. Le gouvernement a mené plusieurs campagnes de sensibilisation de la population sur les risques d’utilisation des eaux stagnantes et a réussi à baisser le taux de prévalence de cette maladie désormais très bas en Égypte. Un projet de développement d’un vaccin est actuellement en cours, financé grâce à l’USAID. L’hépatite C et la tuberculose ont fait leur apparition récemment et sont en train de se propager en Égypte. L’USAID étudie son développement et recherche des méthodes pour interrompre sa transmission, qui pourrait aussi impliquer la diffusion d’autres maladies comme le Sida.
28Les campagnes de vaccination ont été accompagnées par des politiques de scolarisation et par un meilleur accès à l’eau potable. Tout cela a contribué à améliorer la condition des enfants en Égypte à la fin du xxe siècle. L’État est très engagé dans la tutelle de l’enfance : en 2000, la « Deuxième Décennie pour la protection et le bien-être de l’enfant égyptien (2000-2010) » et l’Agenda de développement social, ont été inaugurés. Leurs programmes visent les jeunes et les plus démunis.
Figure 44. Égypte, enfants entre 12 et 23 mois ayant reçu tous les vaccins, 1988-2008 (%)

Sources : EDHS, 1988-2008.
29Les résultats des politiques d’immunisation sont présentés dans la figure 44 : on observe que depuis 1988, les enfants vaccinés sont de plus en plus nombreux. La proportion d’enfants entre 12 et 23 mois qui ont reçu tous les vaccins prescrits dès le très jeune âge3 est passée de 54 % en 1988 à 90 % en 2008.
II. La mortalité infantile en Égypte
1. Les sources de données
30Les sources de données dont on dispose pour le calcul de la mortalité infantile sont les mêmes que celles de la fécondité : l’état civil, les recensements de population et les enquêtes EFS, EDHS et PapChild. Dans le chapitre 2, on a rappelé les caractéristiques de ces données et leur fiabilité par rapport à la détermination de l’Indice synthétique de fécondité. Pour les données des enquêtes, les mêmes observations, relatives au déplacement de la date de naissance des enfants, sont valables aussi dans le cas du calcul de la mortalité (voir chapitre 2 § II.1). En effet, les taux de mortalité sont calculés pour les enfants nés dans les 5 ans précédant l’enquête (Rutstein, 2003) : les enquêteurs pourraient déplacer cette date pour éviter d’interviewer des femmes sur la partie du questionnaire réservée aux enfants nés dans les 5 ans avant l’enquête.
31D’autres erreurs possibles sont, la sous-déclaration des naissances d’enfants qui décèdent par la suite, et le mauvais report de l’âge au décès. Ces problèmes sont plus évidents pour les naissances et les décès qui sont assez distants dans le temps au moment de l’enquête. L’omission des naissances ou des décès est sans doute l’erreur la plus sérieuse, car elle a une influence directe sur les estimations du niveau de la mortalité (NPC et OCR Macro, 2001). On estime4 que dans les enquêtes EDHS, l’erreur dans les estimations de la mortalité est de moins de 5 %. L’enregistrement des décès à l’état civil égyptien est moins fiable que celui des naissances et en particulier dans le cas des enfants. Les parents ont en effet tendance à ne pas déclarer la mort des enfants si l’événement est arrivé dans les premières semaines de vie.
32Plusieurs chercheurs ayant étudié la mortalité infantile en Égypte à partir des registres de l’état civil, ont adopté des méthodes indirectes de détermination de cette variable. Sur la base des résultats obtenus par ce biais, les estimations de la mortalité infantile de l’état civil ont donc été corrigées (Rashad, 1981 ; Fergany, 1975 ; Fargues, 2002b). Les données relatives à l’espérance de vie sont tirées des annuaires démographiques des Nations unies et des Rapports sur le Développement humain, toujours menés par l’ONU.
2. L’évolution de la mortalité infantile depuis 1950
33Le niveau de la mortalité infantile et dans l’enfance est un bon indicateur de l’état sanitaire en Égypte (UNDP, 2004). En effet, le taux de mortalité infantile est l’une des composantes majeures du taux de mortalité général et de l’espérance de vie à la naissance. Pour analyser l’évolution dans le temps de la mortalité infantile et dans l’enfance, nous nous servirons des données de l’état civil et des enquêtes EFS et EDHS ; ces dernières seront la source pour le calcul de la mortalité au-dessous de 5 ans.
34Bien que la mortalité générale en Égypte ait diminué depuis la moitié du xixe siècle, la mortalité infantile est restée très élevée durant longtemps. Elle est demeurée au-dessus de 300 ‰, jusqu’à la fin des années 1930 ; en 1945, elle était encore de 255 ‰ (Fargues, 2002b).
35La figure 45 représente les estimations du taux de mortalité infantile d’après les données de l’état civil corrigées et des enquêtes EFS et EDHS ; les valeurs sont assez proches pour les années les plus récentes. Pour les années plus anciennes, les valeurs des enquêtes ne suivent pas parfaitement celles de l’état civil corrigé : les taux estimés par les enquêtes sont en effet moins élevés que ceux de l’état civil. Pour les années 1950, 1960 et 1970, les données utilisées sont celles de l’enquête EFS de 1980. Comme nous l’avons observé auparavant, les mères interviewées ont tendance à oublier les décès des enfants qui se sont produits longtemps avant la date de réalisation de l’enquête. Cela semble la cause plus probable de cette divergence et permet d’affirmer que les données EFS sous-estiment le taux de mortalité infantile pour cette période.
Figure 45. Égypte, évolution du taux de mortalité infantile 1948-2007

Sources : état civil : 1948-1970 corrigé par Fergany (1975), 1971-1992 corrigé par Fargues (2002b), 1993-2007 corrigé par l’auteur. EFS, 1980 et EDHS, 1988-2008.
36Depuis les années 1950, on assiste à une baisse plus ou moins durable de la mortalité infantile, mais ce taux est demeuré longtemps élevé et c’est seulement à partir des années 1980 qu’il est descendu sous la barre des 100 ‰ ; entre 1970 et 1986, le taux de mortalité infantile a baissé d’environ 50 % (de 148 ‰ en 1971 à 74 ‰ en 1986). Au cours des années 1980 et 1990, la mortalité infantile a encore enregistré des progrès significatifs. En 2001, le nombre de décès pour 1000 naissances a été de 38 contre 97 en 1984. Une telle amélioration de l’état de santé des enfants dans leur première année de vie est à attribuer en grande partie aux efforts menés par le gouvernement égyptien en termes de politiques de vaccination et de prévention évoqués précédemment.
37Mais les différences demeurent encore très significatives entre gouvernorats (figure 46) : dans les gouvernorats urbains, le niveau atteint en 2008 est de 29 décès pour 1000 naissances. Dans la Haute-Égypte rurale, la mortalité reste très élevée : environ 39 ‰. Dans la figure 46, on remarque aussi que la situation de santé des enfants est, en général, meilleure en ville qu’à la campagne.
Figure 46. Égypte, taux de mortalité infantile par région de résidence, 1988-2008

Sources : EDHS, 1988-2008.
38D’après Fargues (2002b, p. 178), la géographie de la mortalité infantile aurait été constante en Égypte au cours du xxe siècle et cela « désigne sans doute la persistance d’une inégalité économique dans les régions ». Dans le même temps, il affirme que « c’est autant une géographie sociologique qu’il faut lire dans la structure régionale de la mortalité infantile […] ». Selon lui, les caractéristiques socioéconomiques du ménage et notamment de la mère, sont des facteurs très importants pour la mortalité infantile, ce que confirment les données EDHS qui montrent des taux de mortalité plus élevés pour les mères qui n’ont pas d’instruction ; cela confirme l’existence d’une relation inverse entre niveau de la mortalité et éducation (figure 47).
Figure 47. Égypte, taux de mortalité infantile par niveau d’éducation de la mère, 1988-2008

Sources : EDHS, 1988-2008.
39La mortalité infantile peut être décomposée en mortalité néonatale, c’est-à-dire dans le premier mois de vie de l’enfant et mortalité post-néonatale, c’est-à-dire de l’âge de 1mois jusqu’à 12 mois.
40Depuis les années 1970, suite à la baisse du taux de mortalité infantile, la mortalité dans la première année de vie est beaucoup plus concentrée dans le premier mois de vie de l’enfant (tableau 53). Cela est tout à fait normal, puisque c’est entre 0 et 1 mois que prévalent les causes de décès appelées endogènes (traumatismes, malformations) ; en revanche, dans la période suivante, ce sont les causes exogènes (maladies infectieuses et autres facteurs liés à l’environnement extérieur) qui l’emportent (Bourgeois-Pichat, 1951). En Égypte, les causes exogènes de mortalité infantile se sont considérablement réduites, suite aux programmes de vaccination et de prévention. Les causes endogènes sont donc devenues plus significatives.
Tableau 53. Égypte, décomposition du taux de mortalité infantile, 1974-2008 (%)

Sources : EDHS, 1988-2008.
41Les taux de mortalité juvénile et infanto-juvénile ont été calculés à partir des enquêtes EFS et EDHS : cela a permis de reconstruire leur tendance pour une longue période. Les valeurs plus anciennes sont très probablement sujettes à des sous-estimations, à cause des raisons rappelées au début de paragraphe.
42L’étude de la mortalité au-dessous de 5 ans (figure 48 et tableau 54) montre que la mortalité infanto-juvénile est huit fois moins élevée en 2008 (28 ‰) qu’au milieu des années 1960 (243 ‰). Comme dans le cas de la mortalité infantile, la baisse a été plus importante à partir des années 1980. Seulement 17 % des enfants égyptiens meurent désormais après la première année de vie ; en 1974, ils étaient 44 % du total des enfants décédés. La mortalité se concentre donc dans la première année de vie de l’enfant, et plus particulièrement dans le premier mois.
Figure 48. Égypte, taux de mortalité infanto-juvénile, 1967-2005

Sources : EFS, 1980 et EDHS, 1988-2008.
Tableau 54. Égypte, mortalité dans l’enfance, 1974-2008 (%)

Sources : EDHS, 1988-2008.
43La mortalité infantile en Égypte se différencie selon le sexe de l’enfant (tableau 55) : dans les premiers mois de vie, les filles ont moins de probabilités de décéder que les garçons. Les garçons sont plus avantagés par la suite et ont, entre 1 mois et 4 ans, plus de probabilités de survivre que les filles pendant la période étudiée, sauf en 2008.
Tableau 55. Égypte, mortalité dans l’enfance selon le sexe de l’enfant, 1978-2008 (%)

Sources : EDHS, 1988-2008.
44Plusieurs chercheurs ont étudié la surmortalité féminine pendant l’enfance dans les pays en développement. Parmi les causes évoquées, on trouve le comportement discriminatoire des parents envers les filles avec la mesure plus commune de l’état nutritionnel. Ceci dépendrait des différences dans l’alimentation des filles et des garçons. Un autre facteur très important serait l’accès différentiel aux soins. D’après une étude de Yount, (2001) sur la surmortalité infantile des filles aux Moyen-Orient, elle serait très répandue en Égypte. Cette chercheuse attribue ces résultats à la persistance, dans certains des gouvernorats égyptiens, d’un comportement discriminatoire par rapport notamment aux soins de santé. L’inversion de tendance enregistrée dans la dernière enquête EDHS, laisse présager des comportements plus égalitaires des parents envers leurs enfants.
45La mortalité infantile reste encore élevée en Égypte, nonobstant les politiques intensives de vaccination et de prévention menées depuis les années 1980.
46Cela pourrait justifier le niveau de fécondité assez haut enregistré dans le pays, malgré le fait que le processus de baisse ait commencé depuis longtemps.
47Des études au niveau micro (réalisées avec les données de l’Egyptian Fertility Survey) sur les causes de la mortalité infantile en Égypte, menées par Ali H. Y. (1990, 1991), ont montré l’importance des variables démographiques, notamment la durée de l’allaitement, le rang de naissance de l’enfant, l’intervalle entre les naissances et le sexe de l’enfant. L’hypothèse du remplacement de l’enfant qui postule l’existence d’une relation positive entre fécondité et mortalité infantile a donc été confirmée par ces études. En outre, la préférence pour les enfants de sexe masculin est aussi réaffirmée. Les politiques démographiques devraient encourager les mères à allaiter plus longtemps et à espacer les naissances. Ceci serait favorable à la survie des enfants et à la baisse de la fécondité.
3. La mortalité maternelle en Égypte
48En Égypte, la mortalité maternelle demeure encore élevée : ce phénomène est associé à l’absence de bons soins médicaux avant, durant et après l’accouchement (Khalil et Roudi-Fahimi, 2004). Le suivi médical de la part de personnel qualifié serait indispensable pendant la grossesse et lors de l’accouchement, afin d’aider à prévenir les décès. Cependant, de nombreuses femmes égyptiennes ne reçoivent pas des soins prénatals car elles ne sont pas informées de l’importance de ce type de suivi. Malgré le fait que les soins après l’accouchement soient aussi très importants, la proportion des femmes qui y ont recours est encore moins élevée que pour les soins prénatals.
49Afin d’étudier ce phénomène et de prévoir des politiques adéquates pour améliorer la situation actuelle, la Direction de la santé de la mère et de l’enfant du ministère de la Santé et de la Population, en collaboration avec le Capmas en 1992-1993 et en 2000, ont mené deux « Études nationales sur la Mortalité maternelle » grâce aux financements d’Usaid.
50Les résultats sont encourageants car la mortalité maternelle a baissé d’environ 52 % durant les huit ans qui se sont écoulés entre les deux enquêtes : le taux de mortalité maternelle est passé de 174 pour 100 000 naissances vivantes en 1992 à 84 pour 100 000 naissances vivantes en 20005. Cette baisse concerne tout le pays et a été plus significative dans les gouvernorats urbains et en Haute-Égypte. L’augmentation significative des accouchements effectués en présence de personnel spécialisé a été l’un des facteurs déterminants : en 1988, ils représentaient 35 % des accouchements totaux ; en 2000, ce chiffre avait atteint 61 % et en 2008 à 74,4 % (données EDHS).
51La formation dispensée au personnel, l’amélioration des installations, les campagnes dans les médias ainsi que l’utilisation de méthodes contraceptives modernes et la baisse de la fécondité ont contribué aux progrès dans le domaine de la santé des mères et des enfants.
52Une autre cause de décès, qualifiée de « facteur évitable6 » dans les enquêtes, sont les soins obstétriciens qui restent au-dessous de la moyenne. Elle représente 47 % des facteurs évitables en 1992 et 43 % en 2000. En revanche, l’absence de soins prénatals reste stable dans le temps : 52,9 % des femmes égyptiennes déclarent avoir eu un suivi médical avant leur accouchement en 1992 et en 2000. Les résultats de l’enquête sur la mortalité maternelle de l’an 2000 montrent clairement que 19 % de décès des mères dépendent du manque de suivi prénatal et 15 % des décès peuvent être attribués à des soins prénatals de mauvaise qualité (Khalil et Roudi-Fahimi, 2004).
53La situation s’est néanmoins améliorée dans la dernière décennie : en 2008, 66 % des femmes interviewées dans l’enquête EDHS ont reçu des soins prénatals de façon régulière au cours de leur dernière grossesse.
54Plusieurs projets liés à la santé maternelle ont été réalisés dans le pays durant la période qui a séparé les deux enquêtes. On peut citer ici, à titre d’exemple, le programme « Healthy Mother/Healthy Child », réalisé par le ministère de la Santé et de la Population et l’Usaid, et le programme « Maternité sans risques », financé par l’Usaid et l’Unicef. Ces programmes ont été accompagnés de campagnes médiatiques d’information visant à encourager les familles à avoir recours aux soins prénatals et aider les futures mères à détecter les symptômes de situations à risques pendant la grossesse. Cette mobilisation a sans doute joué un rôle positif dans la lutte contre la mortalité maternelle (Khalil et Roudi-Fahimi, 2004).
55Les progrès réalisés dans la prévention de la mortalité infantile, juvénile et maternelle ont contribué à l’augmentation de l’espérance de vie à la naissance en Égypte : son niveau est passé de 47,5 ans en 1960-1965 à 72,2 ans en 2008. Les progrès les plus importants ont été réalisés dès les années 1980, suite à la baisse de la mortalité infantile.
56Si l’on observe l’évolution de l’espérance de vie par sexe (figure 49) on remarque que pour les deux sexes, celle-ci a considérablement augmenté au cours des cinquante dernières années. Les différences dans l’espérance de vie entre hommes et femmes égyptiens étaient minimes jusqu’aux années 1980, phénomène dû à la surmortalité féminine en âge fécond, à cause de la mortalité maternelle. Depuis que l’espérance de vie a augmenté, ces différences se font plus importantes : ce phénomène a été observé dans tous les pays du monde, mais les explications restent incertaines.
Figure 49. Égypte, évolution de l’espérance de vie à la naissance par sexe, 1950-2008

Sources : pour les années 1950-1996 : UN, Demographic Yearbook, Historical supplement ; pour l’année 2002 : UNDP, Egypt Human Development Report, 2004, pour l’année 2008 : Capmas.
57En conclusion, on peut affirmer qu’en Égypte, la mortalité infantile et juvénile, la mortalité maternelle et par conséquent, l’espérance de vie, se sont beaucoup améliorées au cours des dernières décennies. Néanmoins, il reste encore nombre de progrès à réaliser, notamment dans la mortalité néonatale et maternelle en milieu rural. Cela implique aussi la réduction des disparités de genre devant la mort dont nous avons parlé dans ces paragraphes. Il s’agit d’un phénomène très important et qui sous-entend une amélioration de la condition des femmes, qui joue un rôle déterminant dans la baisse de la fécondité.
III. La relation entre mortalité infantile et fécondité en Égypte
1. Aspects théoriques et analyse macro
58De nombreux démographes ont affirmé que la mortalité infantile était un déterminant important de la fécondité et que sa réduction pouvait être une pré-condition aux efforts dans les politiques de contrôle des naissances. La relation entre mortalité infantile et fécondité a été longtemps l’objet d’analyses en démographie : l’idée dominante est qu’un haut niveau de fécondité est une réponse biologique et comportementale à un taux de mortalité infantile élevé (Davis, 1945).
59Du point de vue biologique ou physiologique, le décès d’un enfant de très jeune âge a pour conséquence l’interruption soudaine de l’allaitement, qui amène à la fin de la période d’aménorrhée post-partum et donc, à l’augmentation d’une période d’exposition à une nouvelle conception (Palloni et Rafalimanana, 1999). Les femmes qui ont fait l’expérience du décès d’un enfant ont donc des intervalles entre les naissances plus courts, en moyenne, que les femmes dont les enfants ont survécu. De ce fait, elles auraient une plus haute probabilité d’avoir un grand nombre d’enfants (Knodel, 1979). Une réduction de la mortalité infantile rendrait les intervalles entre naissances plus longs, et amènerait en conséquence, à une réduction de la natalité.
60Du point de vue des effets comportementaux, il s’agit d’une idée déjà présente dans la théorie de la transition démographique (Davis, 1945 ; Notenstein 1945) : la baisse de la fécondité est la réponse rationnelle à la baisse de la mortalité infantile car les parents auraient besoin d’avoir moins d’enfants pour obtenir le nombre d’enfants survivants désiré. Freedman (1963) affirme en effet, que le déclin de la mortalité peut être considéré comme une condition nécessaire à la baisse de la natalité. Cependant, d’un point de vue empirique, très peu de travaux ont montré cette relation. Cette hypothèse est dite du remplacement : les parents essayent de remplacer les enfants qui décèdent à un très jeune âge. Il s’agit d’une stratégie de la part des parents pour obtenir le nombre désiré d’enfants survivants. L’une des implications de cette hypothèse suppose un retard de la baisse de la fécondité par rapport à celle de la mortalité, qui peut durer jusqu’à 35 années, c’est-à-dire toute la vie reproductive d’une femme (Palloni et Rafalimanana, 1999), car c’est seulement à la fin de la vie reproductive d’une femme que la baisse de la mortalité infantile est clarifiée.
61Une autre hypothèse est celle de l’assurance ou de la survie des enfants : les couples auraient un nombre élevé d’enfants pour faire en sorte que le nombre souhaité survive jusqu’à l’âge adulte (Preston, 1975). Ce type de mécanisme est en général difficile à mesurer avec les données dont on dispose (Palloni et Rafalimanana, 1999).
62D’un point de vue empirique, plusieurs analyses des données historiques sur l’Europe et sur des pays en développement ont mis en doute les effets du déclin de la mortalité sur la baisse de la fécondité7.
63Récemment, les études de Hanson et al. (1994) pour les pays en développement et de Galloway et al. (1998) sur l’Europe ont trouvé une relation positive entre mortalité infantile et natalité. Suliman El Daw (2003) montre l’existence d’une corrélation positive entre le taux de mortalité infantile et l’indicateur synthétique de fécondité dans tous les pays du monde pour les années 1960, 1970, 1980, 1990 et 2000.
64Dans une étude au niveau macro sur la mortalité infantile dans les pays arabes, Shawky (2001) analyse les facteurs démographiques, sociaux, sanitaires et économiques qui influencent cette variable pendant la période 1978-1998. Il trouve une corrélation positive entre taux de mortalité infantile et taux de fécondité en Égypte. On procède donc au test de ce résultat (corrélation positive) à l’aide de notre série de données sur le taux de mortalité infantile (figure 45) et le taux de natalité (voir figure 6, chapitre 2). On a calculé le coefficient de corrélation linéaire de Pearson sur la période 1948-1999 : il est égal à 0,76, il y a donc une forte relation positive entre mortalité infantile et natalité en Égypte. Cela veut dire que la hausse de la natalité est corrélée à une augmentation de la mortalité infantile et vice-versa.
65On a donc continué l’analyse macro par une régression linéaire de type y = a + bx ; la variable dépendante y est le taux de natalité, la variable explicative x est le taux de mortalité infantile, la période observée est toujours 1948-1999. On trouve une relation de type y = 28,06 + 0,07x, la constante et la mortalité infantile sont donc significatives avec une probabilité p < 0,001 et une valeur de R2 = 0,58. La mortalité infantile est donc liée positivement à la natalité. Le paragraphe suivant traite de l’étude du lien entre fécondité et mortalité infantile avec un modèle de type micro pour expliquer la fécondité.
2. Analyse multidimensionnelle
66On utilise le modèle de régression logistique pour étudier le lien entre fécondité et mortalité infantile ; les données sont celles des enquêtes EDHS 1992-2003. On se sert des variables déjà utilisées pour expliquer le lien entre fécondité, emploi féminin et éducation dans le chapitre 4, paragraphe III. Dans ce modèle, la mortalité infantile sera considérée comme une variable de type endogène. À la différence des modèles construits dans les chapitres précédents, ici, la fécondité sera décomposée en fécondité précoce et tardive (Suliman El Daw, 2003) c’est-à-dire avant que la femme atteigne l’âge de 30 ans et après. De même, la variable mortalité infantile sera dissociée en mortalité infantile précoce et tardive, c’est-à-dire qu’elle sera exprimée par le nombre d’enfants décédés avant atteindre un an d’âge et avant ou après l’âge de 30 ans de la femme.
67La désagrégation de type temporel des variables fécondité et mortalité infantile sert à réduire la difficulté due à l’étude de ces variables d’une manière simultanée. Cela permet donc de voir quels sont les effets de la mortalité infantile précoce sur la fécondité tardive (Entwisle et al., 1982), etc. On construit donc deux modèles : dans le premier, la fécondité précoce est la variable à expliquer de nature quantitative ; elle est représentée par le nombre d’enfants nés vivants avant que la femme atteigne 30 ans d’âge. On étudie la probabilité que la femme ait un nombre d’enfants égal ou supérieur à 3. On va en effet chercher à comprendre les causes d’une fécondité au-dessus de la valeur de l’indice de fécondité pour les femmes de moins de 30 ans qui est d’environ 3 enfants par femme.
68Les variables explicatives sont : le niveau d’éducation de la femme, l’emploi après et avant le mariage, le type de résidence, la région de résidence, la région de résidence pendant l’enfance, la situation socioéconomique du ménage, la religion (disponible seulement pour les années 1992 et 1995), la mortalité infantile précoce (nombre d’enfants qui sont décédés avant atteindre l’âge d’un an et avant que la femme ait 30 ans), l’âge au mariage, l’utilisation de la contraception.
69Il s’agit de variables discrètes de type dichotomique, sauf l’âge au mariage qui est une variable de type continu et la mortalité infantile précoce qui est une variable multinomiale. La mortalité infantile précoce est significative pour toutes les années étudiées8 : il s’agit d’une relation positive avec la fécondité ; la mortalité infantile précoce fait augmenter la fécondité précoce d’une femme. On retrouve les effets biologiques et comportementaux dont nous avons parlé dans le paragraphe précédent : la mortalité infantile précoce produit l’interruption de l’allaitement et la réduction de l’intervalle entre naissances. Les facteurs de remplacement et d’assurance peuvent aussi jouer un rôle et contribuer à cette relation positive.
70Parmi les autres variables, on remarque que le niveau d’éducation secondaire (et plus) de la femme, l’emploi avant et après le mariage, l’utilisation de la contraception, l’âge au mariage, la situation socioéconomique (classes moyennes et supérieures), la région de résidence et la résidence pendant l’enfance, sont aussi significatives. On trouve une relation positive entre le niveau de fécondité précoce des ménages les plus riches et leur situation socioéconomique. La résidence en Haute-Égypte, l’emploi de la femme, augmentent la probabilité d’un haut niveau de fécondité précoce. Le niveau d’éducation supérieure est lié négativement à une fécondité précoce élevée comme l’âge au mariage élevé et l’utilisation de la contraception.
71L’effet du recul de l’âge au mariage en terme de baisse de la fécondité peut être ainsi analysé : par exemple, si l’âge au mariage d’une femme augmente de 5 ans, la probabilité d’avoir 3 enfants et plus serait réduite d’un quart. On remarque a contrario que l’effet de la religion, pour les années dont on dispose de cette information (1992 et 1995), n’est pas significatif. Cela confirme les hypothèses évoquées dans le chapitre 6.
72Dans le deuxième modèle, la fécondité tardive est la variable à expliquer de nature quantitative. Elle est représentée par le nombre d’enfants nés vivants quand la femme a 30 ans ou plus. On étudie la probabilité que la femme ait un nombre d’enfants égal ou supérieur à 2. Nous allons en effet chercher à comprendre les causes d’une fécondité qui se situe au-dessus de la valeur de l’indice de fécondité pour les femmes de 30 ans et plus qui est d’environ 2 enfants par femme.
73Les variables explicatives sont les mêmes que celles du premier modèle sauf que dans celui-ci, on retient la mortalité infantile tardive plutôt que la mortalité infantile précoce. Elle est exprimée par le nombre d’enfants décédés avant l’âge de 1 an pendant que leur mère avait 30 ans et plus. Nous avons donc : niveau d’éducation de la femme, emploi avant et après le mariage, type de résidence, région de résidence, région de résidence pendant l’enfance, situation socioéconomique du ménage, religion (disponible seulement pour les années 1992 et 1995), mortalité infantile tardive, âge au mariage, utilisation de la contraception. Il s’agit de variables discrètes de type dichotomique, sauf l’âge au mariage qui est une variable de type continu et la mortalité infantile tardive qui est une variable multinomiale.
74Les résultats sont représentés dans le tableau 6B (annexe 6 en fin d’ouvrage) : la relation entre fécondité tardive et mortalité infantile tardive est positive, ici aussi. Les effets physiologiques et de comportement jouent donc un rôle sur le nombre d’enfants qu’un couple décide d’avoir. On trouve aussi une relation négative entre le niveau de fécondité tardive des ménages les plus riches et leur situation socioéconomique. Le niveau d’éducation supérieur est aussi lié négativement à une fécondité tardive élevée.
75L’âge au mariage élevé et l’utilisation de la contraception, la résidence en Haute-Égypte, l’emploi de la femme, augmentent la probabilité d’un haut niveau de fécondité tardive. Encore une fois, l’effet de la religion n’est pas significatif et ne change pas la fécondité d’une femme.
76La situation sanitaire en Égypte s’est améliorée lentement au cours du xxe siècle : à la fin de la première guerre mondiale, la situation était encore très mauvaise et la création d’un ministère de la Santé en 1936 ne donna pas les résultats attendus, car la santé n’était pas une priorité au niveau politique. En outre, l’État manquait de fonds nécessaires pour mettre en place des réformes.
77Dans les années 1940, trois grandes épidémies (paludisme, maladie de Lyme et choléra) ont placé la santé au centre du débat public et politique, provoquant de grands changements dans le système de santé égyptien. Depuis cette époque, la santé est devenue prioritaire pour le gouvernement et l’opinion publique. La Constitution de 1952 garantit les services de santé aux citoyens. Un système d’assurance maladie a également été aussi en place et activé depuis 1964. Malgré les progrès réalisés et la présence, sur le territoire égyptien, d’un réseau d’assistance publique pour les soins primaires, la santé publique offrait encore, au début des années 1990, un service lent et inefficient. Pour ces raisons, une réforme du système est engagée depuis 1997, avec l’aide des organisations internationales.
78Le niveau de la mortalité infantile est largement influencé par les politiques de santé de l’État, notamment les politiques de vaccination et de prévention : ces dernières ont été mises en pratique seulement à partir des années 1980. Par conséquent, la mortalité infantile est restée assez élevée en Égypte au cours du xxe siècle, malgré une tendance générale à la baisse. Suite aux politiques des années 1980, le niveau de la mortalité infantile a diminué plus rapidement que par le passé. Néanmoins, il demeure encore assez élevé (environ 25 ‰ en 2008). Par ailleurs, il existe des différences importantes par niveau d’éducation de la mère et par région de résidence. Des analyses conduites au niveau micro sur la fécondité des femmes égyptiennes confirment l’hypothèse que la mortalité infantile contribue au maintien d’un niveau de fécondité élevé. La lente baisse de la mortalité infantile est donc parmi les causes d’une transition de fécondité tardive. Cela est aussi accompagné par une mortalité maternelle encore élevée, surtout en milieu rural.
Notes de bas de page
1 Al Masri Al Youm, 20 septembre 2010, Government studies final draft of social health insurance law.
2 « State of health » par Reem Leila, Al Ahram Weekly, 28 January-3 February 2010.
3 Tuberculose, DT Polio, hépatites A et B, rougeole.
4 D’après des contrôles effectués par les responsables des enquêtes. Pour plus d’explications sur la qualité des données, voir le rapport EDHS 2000, Appendix D.
5 Le taux en 2008 est de 55 pour 100 000 naissances vivantes.
6 Dans les enquêtes « Études nationales sur la Mortalité maternelle », les causes de décès ont été divisées en évitables et non-évitables. Parmi les causes évitables, il y a 1) les facteurs liés à la femme et à la famille ; 2) les facteurs liés aux installations de santé ; 3) les facteurs liés au personnel médical.
7 Voir par exemple Coale (1973), Van de Walle (1986), Chesnais (1986), Knodel (1979).
8 Par praticité, les tableaux sont présentés dans l’annexe 6.
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