Chapitre 4
Fécondité, éducation et emploi des femmes
p. 93-115
Texte intégral
1Ce chapitre ainsi que ceux qui suivent étudient la baisse de la fécondité en Égypte à travers l’analyse de ses déterminants lointains ou indirects, de nature soit démographique, soit socioéconomique. Parmi eux, l’emploi et l’instruction peuvent avoir un impact indéniable. L’éducation est un droit fondamental des femmes et a un effet sur tous les types de comportements démographiques. Elle peut influencer la fécondité, dans le sens où, plus le niveau d’instruction des femmes est haut, moins leur fécondité sera élevée. L’évolution de l’instruction féminine et sa mise en relation avec la fécondité permettront d’apporter quelques éclairages. En Égypte, les progrès réalisés en termes d’éducation féminine depuis les cinquante dernières années ont été très importants. Néanmoins, l’analphabétisme touche encore une partie de la population féminine et des différences persistent entre l’éducation des filles et celle des garçons.
2En ce qui concerne l’emploi des femmes, dans le contexte social égyptien, celles-ci ne sont pas encouragées à travailler pour plusieurs raisons, qui tiennent à la définition de leur rôle dans une société encore patriarcale, à la législation, à la situation de crise économique actuelle et au processus de privatisation entamé par l’État égyptien dans les années 1980. D’un point de vue statistique, la mesure de l’emploi féminin fait l’objet de nombreux débats qui seront développés dans ce chapitre. En fin de chapitre, une analyse de type multidimensionnel sera exposée afin de mieux étudier l’effet de ces deux variables sur le nombre d’enfants des ménages égyptiens.
I. L’éducation féminine en Égypte
1. Une volonté politique
3L’influence de l’éducation et notamment celle des femmes sur la fécondité est fondamentale. Elle permet non seulement aux individus d’accéder à de nouvelles connaissances et d’ouvrir leur esprit vers de nouvelles idées et valeurs, mais elle joue un rôle très important dans l’évolution démographique, car elle amène à une baisse de la mortalité infantile et, par la suite, de la fécondité. Il existerait en effet une relation inverse entre fécondité et d’instruction féminine (Ladier-Fouladi, 2003).
4D’après le Rapport sur le Développement humain de l’Égypte des Nations unies dédié à l’éducation :
En tant que valeur en soi, l’éducation a un rôle fondamental dans le développement de la personnalité, la capacité à apprendre de façon autonome, l’objectivité, la tolérance et la volonté de participer à tous les aspects du développement humain. En tant que « moyen », c’est un formidable instrument de réussite et de soutien au développement économique, à la réduction de la pauvreté et à l’accroissement de l’égalité1 (UNDP, 1999, p. 1).
5En Égypte, le système d’éducation moderne a été établi par Méhémet Ali, vice-roi d’Égypte, au début du xixe siècle, dans le but premier de fournir des cadres à l’armée égyptienne (les premières écoles dépendaient directement du ministère de la Guerre). En 1826 fut fondée l’École de Commerce, en 1829, l’École d’Ingénieurs et en 1834, l’École d’Administration. Méhémet Ali commença par organiser les niveaux les plus élevés de l’éducation, puis il se consacra aux enseignements primaire et secondaire ; pour cette raison, son modèle a été appelé « pyramide de l’éducation inversée ». Le ministère de l’Éducation fut fondé en 1837 et l’éducation sectorisée en plusieurs niveaux : primaire, préparatoire et spécialisé. L’objectif de Méhémet Ali n’était pas d’instruire les masses, comme il l’avait écrit à son fils Ibrahim :
L’Europe souffre d’avoir généralisé l’éducation à tous les niveaux de la société […] ils n’ont pas la possibilité d’éviter ce qui est arrivé. Face à cet exemple qui nous est donné, notre devoir est de leur apprendre à lire et à écrire jusqu’au point nécessaire qui permet d’accomplir un travail satisfaisant et de ne pas faire progresser l’éducation au-delà de ce niveau2 (Cochran, 1986, p. 38).
6Quarante ans après la création du ministère de l’Éducation, le Khédive Ismail, petit-fils de Méhémet Ali, s’attacha à développer l’éducation publique. La loi de 1867 sur l’enseignement général instaure les premières écoles publiques, primaires, secondaires et supérieures. Elle permet la réorganisation du système éducatif et reconnaît la nécessité de diffuser l’éducation dans la population. En 1873, la femme du Khédive fonde la première école pour femmes.
7Durant la colonisation britannique (1882-1922), l’école publique ne s’est pas développée : le manque d’intérêt pour cette institution arriva même au point que Sir Evely Baring, consul général des Anglais, interdisit l’éducation gratuite en 1907 (Cochran, 1986). Ceci eut pour conséquence la création de nombreuses écoles privées (étrangères et religieuses) et celle de la première université laïque.
8Entre 1920 et 1952, les efforts plus importants en termes d’éducation furent consacrés à l’éradication de l’analphabétisme. En 1952, seules les élites, des garçons pour la plupart, avaient accès à l’éducation ; moins de 50 % de la population en âge de scolarisation allaient à l’école et près de 75 % des plus de 10 ans étaient analphabètes (90 % pour les femmes). En 1923, la nouvelle Constitution rendit l’éducation primaire gratuite et obligatoire pour tous les enfants entre 6 et 12 ans. À l’époque, l’éducation secondaire fut aussi développée pour donner à l’Égypte une classe dirigeante séculaire.
9Après la révolution des Officiers libres, en 1952, la politique de l’État vis-à-vis de l’éducation changea radicalement : il s’engagea à offrir une instruction gratuite pour tous. Une attention particulière fut apportée au développement de l’éducation technique et aux sciences dans le but notamment de former des techniciens aptes à remplacer les étrangers qui travaillaient sur le canal de Suez avant sa nationalisation en 1956. Auparavant réservée aux élites de la haute bourgeoisie, l’éducation touchait désormais l’ensemble de la population et les différences entre les classes sociales s’estompaient dans l’accès à l’instruction.
10Au cours des années qui suivirent, l’État investit encore beaucoup dans l’éducation : en 1975, plus de 25 % du budget de l’État était dédié à l’éducation. L’éducation universitaire se développa aussi très rapidement : dans les dix premières années après la Révolution, les dépenses dans ce secteur s’accrurent de 400 %. Rapidement, l’instruction scolaire se diffusa : d’abord parmi les garçons, puis parmi les filles :
L’institution de l’école moderne, prenant appui sur un modèle patriarcal dominant, renforça ainsi singulièrement la hiérarchie traditionnelle des sexes (Fargues, 2002, p. 190).
11Dans les années 1970, à la faveur des difficultés qui suivirent la guerre de 1973, le fossé entre les élites et le reste de la population se creusa à nouveau. À l’époque de Sadate, par manque d’enseignement et d’infrastructures, les écoles publiques ne purent faire face à l’explosion démographique. Seules les classes sociales les plus riches purent se rabattre sur l’école privée, qui leur permettait aussi de meilleures perspectives en termes d’emploi futur. La loi de 1981, qui réglemente l’instruction pré-universitaire, a rendu le cycle de base d’éducation obligatoire (9 ans) mais encore aujourd’hui, beaucoup de parents empêchent leurs enfants de terminer ce cycle composé de 6 ans d’éducation primaire et de 3 ans d’école préparatoire. Cette loi n’a pas été renforcée par la suite et dans certaines zones rurales de Haute-Égypte, environ 50 % des élèves formellement engagés, ne fréquentent pas l’école.
12Au début des années 1980, un Plan quinquennal est mis en place pour le développement et l’innovation de l’éducation en Égypte. Il prévoit l’expansion de l’éducation dans les années pré-scolaires, la résolution des problèmes de l’école primaire et préparatoire, la modernisation du système d’éducation secondaire et le développement de l’éducation technique.
13Malgré cela, comme il a été souligné dans le Rapport sur le Développement humain de 1998-1999, le système éducatif égyptien souffre de plusieurs maux, comme l’abandon précoce du cycle d’éducation obligatoire, un grand nombre d’élèves par classe, mais aussi, des programmes de qualité moyenne. Nonobstant les progrès obtenus dans la scolarisation tout au long du dernier siècle, il reste des différences importantes entre les niveaux atteints en ville et ceux du milieu rural. La Haute-Égypte se caractérise par des niveaux encore élevés d’analphabétisme3 qui atteint, en 2005, 55 % dans les zones rurales. Concernant l’éducation féminine, si celle-ci atteint de bons résultats aux niveaux primaire et secondaire où le nombre de filles est quasiment identique à celui des garçons ; la différence est encore grande au niveau universitaire, mais tend à se réduire.
2. Les progrès de l’éducation féminine
14À la quatrième Conférence mondiale sur les femmes de Pékin (1995), il a été reconnu que l’alphabétisation des femmes était un élément-clé pour accroître leur participation au sein de la société civile et pour améliorer le bien-être des familles. L’éducation des femmes revêt une grande importance car elle entraîne la baisse de la mortalité infantile et de la fécondité ; la scolarisation des filles implique aussi une hausse de la participation féminine sur le marché du travail ; les enfants des femmes instruites ont plus de probabilité d’être scolarisés ; les femmes scolarisées sont plus actives politiquement et elles connaissent mieux leurs droits (Moghadam et Roudi-Fahimi, 2003).
15En Égypte, « l’instruction scolaire n’a cessé de gagner du terrain tout au long du [xxe] siècle » (Fargues, 1994, p. 117). En outre, l’accès des femmes à l’éducation s’est sensiblement amélioré dans les dernières décennies. Du point de vue de l’éradication de l’analphabétisme, on peut constater les progrès réalisés au cours de la période 1947-2006 (figure 20) : au milieu du siècle dernier, les trois quarts de la population égyptienne ne savaient ni lire ni écrire contre environ 30 % environ aujourd’hui pour les plus de 10 ans.
16Le taux d’analphabétisme féminin reste assez élevé en Égypte par rapport aux autres pays arabes et à d’autres pays en développement, avec un niveau comparable de revenu par tête comme par exemple l’Algérie, la Tunisie et la Turquie (Moghadam et Roudi-Fahimi, 2003). Ce que confirme Fergany :
L’Égypte […] n’est pas encore parvenue à éradiquer l’analphabétisme ni à enrayer l’augmentation en donnant à ses citoyens une scolarisation de base […] (Fergany, 1994, p. 101).
Figure 20. Égypte, taux d’analphabétisme par sexe, pour les personnes de 10 ans et plus, 1907-2006

Sources : Capmas, Statistical Yearbook et Unesco, Statistical Yearbook.
17Cependant, si l’on considère le nombre de personnes sachant lire et écrire par génération, on voit que l’analphabétisme est en cours d’éradication pour les générations nées dans les années 1970 et 1980 (figure 21) (cf. Fargues, 1994). Il s’agit en effet, comme le rappelle Fargues (1994, p. 117), de « deux manières différentes d’observer le même phénomène » : dans un cas, on compare la population à deux dates successives, dans l’autre, des générations différentes.
Figure 21. Égypte, proportion (en %) de personnes sachant lire et écrire par génération et par sexe, 1912-1986

Source : Fargues, 2002.
18La méthode par générations a comme avantage principal d’être dynamique et de tenir compte des conditions du moment ; elle est donc sensible aux progrès de la scolarisation. Dans l’analyse par générations, on remarque l’une des caractéristiques du processus de scolarisation : l’école introduit en effet une différenciation verticale dans la population, dans le sens où les différentes générations d’une époque donnée n’ont pas eu le même accès à la scolarisation. Ce sont les générations les plus jeunes qui bénéficient de cette différenciation car elles sont plus instruites que les générations les plus âgées.
19Un autre type de différenciation qui peut se produire est de type horizontal, il s’agit des personnes appartenant à la même génération, mais avec des caractéristiques différentes (sexe, situation socioéconomique, etc.) ; dans ce cas, les différences entre classes sociales dans l’accès à l’éducation ont disparu petit à petit et les différences de genre sont en train de disparaître (Fargues, 2003).
20L’accès aux différents niveaux d’instruction (primaire, secondaire et supérieur) est aussi un indicateur des progrès de l’éducation féminine. L’étude des taux de scolarisation est en effet un indicateur fondamental pour estimer l’efficacité du système. Il est très important, dans un système éducatif, d’optimiser le nombre d’inscriptions et de contrer au maximum les abandons, notamment au niveau primaire. On parle de taux brut et net de scolarisation. Dans le premier cas, on rapporte le nombre d’élèves d’un niveau donné à la population totale dans le groupe d’âges correspondant au niveau de scolarisation considéré, pour l’année étudiée. Ce taux peut excéder 100 car au numérateur il peut y avoir des élèves en dehors de ce groupe d’âges4. Le taux net de scolarisation rapporte deux populations appartenant à la même classe d’âges (nombre d’élèves/population totale), il ne dépasse donc jamais 1005.
21La participation des femmes à l’éducation s’est accrue au cours des 20 dernières années : dans le primaire et dans le secondaire, le pourcentage de filles par rapport aux garçons était de 47 % en 2000 contre 40 % et 37 % en 1980. À l’école primaire, le taux brut de scolarisation en 2005 a été de 105 % pour les garçons et de 98 % pour les filles. Ce taux s’est amélioré pour les deux sexes au cours des 25 dernières années et la différence entre filles et garçons, de 23 % en 1980 est tombée à 7 % en 2005. Ces progrès dans l’éducation primaire féminine sont aussi visibles à travers le taux d’analphabétisme des jeunes qui a baissé tout au long des années 1980 et 1990 pour atteindre 10 % pour les garçons et 21 % pour les filles entre 15 et 24 ans au milieu des années 2000. À nouveau, l’écart entre hommes et femmes s’est réduit et les progrès des filles ont été beaucoup plus significatifs (le taux d’analphabétisme féminin entre 15 et 24 ans est passé de 61,5 % à 20 % en 25 ans).
22L’éducation de base n’est pas encore universelle en Égypte : nombre de filles des zones rurales en sont encore exclues. Plusieurs programmes de développement de la scolarisation féminine ont été mis en place par le ministère de l’Éducation et l’Unesco (comme le projet Community schools) visant à réduire l’écart entre filles et garçons dans l’accès à l’éducation. Ces programmes se penchent sur l’amélioration de la qualité de l’enseignement et sont dédiés aux filles qui vivent en milieu rural : l’éducation est complètement gratuite et de qualité élevée (Fergany, 2000).
23À l’école secondaire, le nombre d’élèves et, en particulier, de filles scolarisées a augmenté au cours des dernières décennies : en 2005, le taux brut de scolarisation secondaire a atteint les chiffres de 91 % pour les garçons et 85 % pour les filles ; la participation féminine dans l’éducation secondaire a plus que doublé depuis 1980. Dans le cas de l’éducation supérieure, on peut encore parler d’une évolution positive pour la période 1980-2005 et d’une réduction de la différence entre garçons et filles (tableau 21). Cependant, les données du taux brut de scolarisation pas sexe ne sont pas disponibles pour la période 1996-2005. Pour les deux sexes, il était 35 % en 1999 et 31 % en 2005. Cela indique une progression de l’éducation tertiaire depuis quinze ans. Selon le Capmas, les femmes représentaient 49 % des étudiants universitaires égyptiens en 2005.
Tableau 21. Égypte, taux de participation féminine, taux de scolarisation et d’analphabétisme, 1980-2005

Sources : World Bank, 2004 pour les données jusqu’à 2000 et Unesco pour les données 2005.
24La figure 22 représente l’évolution de la scolarisation par génération et par sexe, exprimée en nombre moyen d’années d’études : les générations nées au début du xxe siècle accédaient rarement à l’éducation, puis les garçons eurent accès aux niveaux les plus élevés de scolarisation dans les années 1940 et 1950 ; à partir des années 1960, les filles commencèrent à rattraper la distance pour atteindre peu à peu le même nombre d’années d’études que celui des garçons.
Figure 22. Égypte, nombre moyen d’années d’études par génération et par sexe, 1912-1976

Source : Fargues, 2002.
25Les femmes ont presque rattrapé les hommes dans l’éducation primaire et sont en cours de rattrapage dans l’éducation secondaire et tertiaire. Le nombre moyen d’années d’études est devenu quasi égal pour les garçons et les filles grâce aux progrès réalisés en quinze ans.
3. L’impact de l’éducation féminine sur la fécondité
26Comme on l’a déjà souligné, l’éducation donne aux femmes et à leurs familles une série d’opportunités et d’avantages. Elle leur permet de mieux se préparer au marché du travail, de comprendre leurs droits et d’être plus libres dans leurs choix en matière de reproduction et de planning familial. Easterlin et Crimmis (1985) a élaboré un cadre d’analyse des déterminants de la fécondité : selon ce cadre, les progrès de l’éducation et de l’autonomie des femmes peuvent agir sur la fécondité à travers l’offre d’enfants, la demande d’enfants, les coûts et les obstacles au contrôle de la fécondité. Par rapport à l’offre d’enfants6, les progrès de l’éducation féminine ont eu des effets importants dans l’évolution de la fécondité en Égypte : dans un pays où existe une tradition ancienne au mariage précoce, le prolongement des années d’études a eu une influence importante sur le recul de l’âge au premier mariage. Le chapitre précédent a montré que l’éducation des femmes influençait sur le choix d’un mariage plus tardif.
27L’éducation permet aussi aux femmes d’avoir des familles en meilleure santé (en termes de santé des enfants et de santé de la mère). D’après les enquêtes EDHS, les femmes ayant un niveau d’éducation plus élevé recourent plus souvent aux suivis médicaux prénatals et le taux de mortalité infantile est moins élevé pour leurs enfants. Les femmes les plus instruites ont aussi tendance à avoir des familles plus petites et à être mieux au courant de leur santé reproductive et des méthodes de planning familial ; ceci revient aux facteurs qu’Easterlin définit comme coûts et obstacles au contrôle de la fécondité. Il s’agit de contraintes économiques et non économiques. Par exemple, en terme de connaissance et d’utilisation des méthodes de contraception, on a déjà remarqué dans le chapitre précédent qu’au cours de toute la période étudiée (1988-2008) à travers les données EDHS, les femmes moins instruites ont beaucoup moins recours aux méthodes modernes de contraception par rapport aux femmes ayant un niveau universitaire.
28L’accès à la lecture des quotidiens et des magazines est aussi très important pour se renseigner sur le planning familial : en 2000 (données EDHS), 78 % des femmes égyptiennes ayant un niveau d’éducation secondaire ou supérieur ont déclaré avoir eu accès à des informations sur ce sujet par la presse écrite, contre 22 % des femmes sans instruction ou avec éducation primaire, lesquelles s’adressent surtout à la télévision. Les femmes plus instruites ont aussi une tendance plus marquée à discuter au sujet des choix de planning familial avec leur mari.
29Le tableau 22 et la figure 23 montrent l’évolution de la fécondité des femmes égyptiennes entre 1988 et 2008 selon le niveau d’éducation. Le nombre moyen d’enfants par femme à la fin de leur vie féconde (femmes entre 40 et 49 ans) est de 4,8 pour les femmes sans éducation : ce chiffre se réduit proportionnellement au niveau d’instruction des femmes et diminue jusqu’à 3,1 enfants pour les femmes qui ont une éducation supérieure.
Tableau 22. Égypte, nombre moyen d’enfants par femme entre 40 et 49 ans selon le niveau d’éducation, 1988-2008

Sources : EDHS, 1988-2008.
Figure 23. Égypte, indice synthétique de fécondité par niveau d’éducation de la femme, 1988-2008

Sources : EDHS, 1988-2008.
30La fécondité totale d’une génération, exprimée par l’indice synthétique de fécondité, donne cependant d’autres informations : celle des femmes les plus instruites (niveaux secondaire et supérieur) demeure pratiquement stable, autour de 3,6-3,0 enfants par femme dans la période considérée. En revanche, ce sont les femmes les moins éduquées qui ont vu leur fécondité baisser le plus : de 5,4 à 3,4 enfants par femme pour les femmes sans éducation et de 4,8 à 3,2 pour les femmes d’éducation primaire. Il semblerait donc que le « leader group » des femmes plus instruites ait à présent un niveau de fécondité stable tandis que le groupe de femmes ayant des niveaux d’éducation moins élevés conduit la baisse. Cela nous amène à étudier l’effet de l’éducation des mères sur les facteurs liés à la demande d’enfants, c’est-à-dire au nombre d’enfants désirés par le couple. D’après Easterlin, l’indépendance économique des femmes, facilitée par l’éducation, devrait réduire la dépendance des mères vis-à-vis de leurs enfants, dépendance qui se manifeste à travers le travail des enfants, l’assistance pendant la vieillesse et une légitimation de la position des femmes à l’intérieur du ménage.
31La figure 24 représente le nombre moyen idéal d’enfants selon le niveau d’éducation de la femme, au cours de la période 1988-2008 : on voit que le désir d’enfants demeure stable et au-dessus de 2,5 enfants en moyenne pour les femmes égyptiennes, et cela pour tous les niveaux d’éducation.
Figure 24. Égypte, nombre idéal d’enfants en moyenne, par niveau d’éducation de la femme, 1988-2008

Sources : EDHS, 1988-2008.
32Plusieurs études7 ont été menées sur le chemin à parcourir entre un niveau de fécondité égal au niveau de substitution des générations en Égypte et le nombre idéal d’enfants. Elles montrent que si les femmes égyptiennes ne s’opposent pas à une famille avec deux enfants, la famille avec trois enfants reste encore très prisée. D’après El Zeini (2008), il faut chercher des explications dans les politiques de planning familial, la stratification de genre et la situation économique. On reviendra sur ce dernier aspect dans le chapitre 5.
33La stabilité dans le désir d’enfants aide à comprendre pourquoi les femmes les plus instruites ont encore trois enfants en moyenne : l’hypothèse d’une indépendance économique favorisée par l’éducation ne semble pas encore s’être réalisée en Égypte et la dépendance des femmes vis-à-vis de leurs enfants est encore très prégnante, tant du point de vue affectif qu’économique. L’effet de l’éducation sur la fécondité dépend de la situation socioéconomique et culturelle, du niveau de développement et des rapports de genres propres à la société (Jejeebhoy, 1995).
34En Égypte, l’éducation féminine a amélioré la situation des femmes, mais elle n’a pas été suivie par une participation plus importante que par le passé au marché du travail. L’« émancipation incomplète » (Fargues, 2003) des femmes égyptiennes sur le marché du travail serait donc la cause d’une fécondité stable, malgré les progrès réalisés dans la scolarisation.
II. Les femmes et le marché du travail
1. Aperçu historique
35La participation active sur le marché du travail a un rôle fondamental dans le processus d’émancipation et d’autonomisation des femmes : comme dans le cas de l’éducation, elle amène à des changements importants du point de vue des choix en matière de reproduction et de planning familial. Bien que la relation entre emploi de la femme, taille du ménage et autonomie ne soit pas uniforme, plusieurs chercheurs sont d’accord sur le fait qu’une femme qui travaille a plus de probabilités de se marier tard, d’utiliser des méthodes de contraception modernes et d’avoir moins d’enfants qu’une femme qui ne travaille pas (Kulcwycki et Juàrez, 2003).
36L’importance du travail féminin a été soulignée à plusieurs reprises par la communauté internationale. Dans le programme d’action de la Conférence internationale sur la Population et le Développement de 1994 au Caire, le rôle des femmes dans le processus de développement est mis en évidence à travers leur participation active dans la vie politique et sociale. Pour cela, la femme doit avoir accès de plein droit à l’éducation et à l’emploi (cf. chapitre 4, section A du programme d’action).
37D’après Tucker (1985), au xixe siècle, à l’époque de Méhémet Ali, beaucoup de citadines égyptiennes étaient employées dans l’industrie à domicile et dans le commerce. L’État avait établi, durant cette période, un système de corporations : il fournissait aux travailleurs des matières premières et demandait en contrepartie des produits finis pour lesquels les employés étaient rémunérés. Nombre de femmes étaient actives dans ces corporations, notamment dans le secteur du textile (Tucker, 1985 ; Ibrahim B., 1980). Durant la colonisation britannique, ces types d’activité ont perdu leur importance économique car les Anglais préféraient faire produire les matières premières par les Égyptiens, notamment le coton, pour ensuite les transformer dans leurs propres usines.
38Au début du xxe siècle, occupées dans des petites productions indépendantes ou dans des entreprises familiales, elles faisaient toujours partie de l’économie urbaine et il existait peu de ségrégation entre les sexes. En revanche, elles deviennent peu à peu quasiment exclues du travail rémunéré (Tucker, 1985). C’est à cette époque que commence à se produire une séparation marquée entre genres sur le marché du travail. En effet, l’industrialisation, qui s’est développée à partir des années 1920 a apporté beaucoup de changements, car les activités productives ont été déplacées à l’extérieur de la ville ; par conséquent elles sont devenues moins accessibles aux femmes. Dans la première moitié du xxe siècle, seules les femmes des classes sociales les plus aisées ont pu rester en contact avec la vie politique et sociale. Dans les autres classes sociales, la différence des rôles entre hommes et femmes est devenue de plus en plus marquée (Hoodfar, 1997). Selon Tucker (1985), ce phénomène résulte des transformations d’ordres politique, social et économique8 qui ont eu lieu en Égypte vers la fin du xixe et au début du xxe siècle, les femmes ayant subi à une discrimination sexuelle grandissante, encouragée par les lois et les traditions islamiques.
39Au xixe siècle, en milieu rural et notamment dans les régions cotonnières du Delta du Nil, les femmes aidaient aux champs pendant les périodes de pointe. Dans la vallée du Nil, beaucoup plus traditionnaliste, les activités agricoles étaient rarement effectuées par des femmes. Elles étaient davantage occupées par des activités à domicile, comme par exemple l’artisanat.
40Le taux d’activité féminine des pays arabes est parmi les plus faibles au monde : si, d’une part, il y a une sous-estimation des taux pour plusieurs raisons sur lesquelles on reviendra par la suite, d’autre part, la tradition patriarcale a sans doute contribué à décourager le travail des femmes et à accentuer l’importance première du rôle de la femme en tant que mère et épouse. Par conséquent, l’islam et la culture sont souvent les explications données au fait qu’au Moyen-Orient, les taux d’activité féminine sont restés parmi les plus bas au monde. Cependant, d’autres explications, notamment la politique économique de ces pays, doivent être prises en considération. Selon les économistes, les programmes d’industrialisation conduits à partir des années 1960 n’ont pas favorisé les opportunités d’emploi pour les femmes (Mabro, 1988 ; Waterbury, 1983). Ceci parce qu’il s’agit d’économies de type rentier (la rente pétrolière) ; en outre, l’industrialisation a été orientée vers la substitution des importations, et le secteur manufacturier pour les exportations s’est peu développé. L’activité des femmes a donc été limitée dans des secteurs à forts capitaux (Moghadam, 1993).
41Dans les dernières décennies, la division traditionnelle entre « sphère sociale masculine et sphère familiale féminine » (Ladier-Fouladi, 2003, p. 213) a été remise en cause dans plusieurs pays musulmans grâce aux progrès enregistrés en terme d’éducation des femmes et à l’amélioration des conditions socioéconomiques (Moghadam, 1993). La naissance et le développement des mouvements féministes et des associations de défense des droits des femmes dans la région ont aussi contribué à réduire la ségrégation sexuelle traditionnelle et à modifier le rôle de la femme dans la famille et sur le marché du travail. Les politiques des gouvernements peuvent jouer un rôle important dans le processus d’émancipation des femmes. Au Moyen-Orient, certains pays conservateurs n’ont pas fait beaucoup d’efforts pour améliorer la situation des femmes ; en revanche, dans certains pays d’Afrique du Nord comme en Tunisie ou au Maroc, les politiques de l’État ont favorisé la participation des femmes à la vie publique (Moghadam, 1993). Malgré tout, dans plusieurs de ces pays, si la loi prévoit une attention spéciale pour les femmes qui travaillent et des garanties en cas de grossesse, son application reste encore aléatoire et beaucoup des femmes ne connaissent pas leurs droits.
2. Les progrès théoriques de la législation
42Le droit du travail influence les conditions et la qualité du travail :
La législation est un des facteurs les plus importants qui influencent la position de la femme sur le marché du travail et doit être appropriée aux conditions économiques et sociales de la société concernée9 (Hoodfar, 1997, p. 108).
43Du point de vue du droit du travail, la révolution de 1952 a permis d’améliorer la situation des femmes. En effet, Nasser pensait que les Égyptiennes devaient participer activement au processus de développement du pays ; pour cela, il fallait leur garantir des droits sur le marché du travail. Ce n’est qu’en 1954 que l’emploi des femmes a été réglementé pour la première fois par une loi destinée aux employées du secteur public, qui empêche toute forme de discrimination contre les femmes. Celles-ci ont droit à cinquante jours de congé de maternité, pendant lesquels elles reçoivent 75 % du salaire, et elles ont le droit de garder leur emploi durant leur absence. Les employeurs publics ayant plus de 100 femmes employées dans leurs usines doivent accueillir une crèche.
44En 1979, sous Sadate, la réforme de la loi dite de Statut personnel permet aux femmes de travailler en dehors de la maison si les conditions économiques du ménage le nécessitent. Cette loi leur donne donc le droit de travailler : ainsi, le rôle de la femme en tant que mère de famille est souligné et l’article 11 de la Constitution de 1971, qui rappelle la double responsabilité des femmes dans leur famille et dans la société, est en accord avec la loi islamique (Hoodfar, 1997). Les avantages donnés aux femmes dans la fonction publique ont rendu ces emplois très attractifs et sont les plus demandés par les Égyptiennes.
45La loi 137 décrétée en 1981 qui s’applique à tous les travailleurs, sauf quelques rares exceptions, fait mention de l’emploi des femmes. Complétée par les décrets 22 et 23 de 1982, la réglementation sur l’emploi féminin stipule qu’il est interdit aux femmes de travailler entre vingt heures et sept heures du matin, excepté dans certains cas décrits par la loi. Les femmes n’ont pas le droit d’exercer certaines professions jugées dangereuses pour leur santé ainsi que pour leur croyance. Après un accouchement, les femmes ne doivent pas travailler pendant 40 jours. Un congé de maternité de 50 jours leur est accordé si elles ont travaillé au moins 6 mois chez le même employeur, congé qu’elles peuvent utiliser à trois reprises différentes. Lorsqu’elles reprennent le travail, elles ont le droit de prendre deux pauses supplémentaires de 30 minutes chacune et ce, pendant un an et demi. Si les femmes travaillent dans une société de plus de 50 employés, elles peuvent, si elles le désirent, prendre un congé sans solde pour une durée d’un an, de façon à pouvoir s’occuper de leurs enfants (Al-Bassusi et El-Kogali, 2004).
46En 2003, une nouvelle loi remplace la loi 137 : les changements majeurs touchent plutôt les employeurs, qui obtiennent plus de liberté pour le recrutement et pour le renvoi des employés. Parallèlement, les employés ont obtenu le droit de grève, même si celui-ci est régi sous certaines conditions.
En vigueur depuis juin 2003, la loi 12/2003 regroupe toutes les clauses concernant les relations du travail en une seule législation de 259 articles, tout en définissant la relation entre patron et ouvriers, droits et devoirs […] La loi a été d’ailleurs adoptée suite à de nombreux tiraillements. En fait, en 1989, le gouvernement a entamé un gigantesque projet législatif visant à regrouper toutes les clauses concernant les relations au sein du travail en une seule loi unifiée allant de pair avec le libéralisme économique. Toutes les fois que l’on annonçait que le projet de loi unifié sur le travail allait passer à l’Assemblée du peuple, des débats acharnés avaient lieu entre les défenseurs des droits des ouvriers (partis de l’opposition, notamment de la gauche, et les ONG) et les responsables (Atta M., Nasreddine H., 2005, « Une législation qui ne règle rien », Al-Ahram Hebdo, 26 avril 2005).
47Les syndicats et ONG qui déclarent défendre le droit des femmes ont vivement critiqué cette nouvelle loi : alors que l’ancienne donnait trois congés de maternité tout le long de la vie professionnelle, la nouvelle loi n’en permet que deux10. Les 6 mois de travail nécessaires pour bénéficier de ce genre de congé, sont passés à 10 mois. Certaines catégories d’employées comme les femmes de ménage ou celles qui travaillent dans le secteur de l’agriculture, qui n’ont pas droit aux assurances ont été oubliées (Darwich D., Al-Mekkawi H., « Les droits perdus des travailleuses », Al-Ahram Hebdo, 24 avril 2002). En outre, l’application de la loi n’a pas abouti à l’amélioration souhaitée au départ et a eu comme effet pervers d’encourager l’embauche des hommes. Les types d’emplois accessibles aux femmes étant limités, les contraintes dans leurs horaires de travail, les bénéfices dont elles pouvaient jouir sont finalement considérés par les employeurs comme des coûts supplémentaires. En outre, la loi prévoyait l’obligation de créer des crèches dans les établissements de plus de 50 employés, mais cette recommandation a été très peu appliquée.
48Sur le marché du travail égyptien, on trouve donc une double inégalité, culturelle car les femmes sont d’abord perçues dans leur rôle de mère et d’épouse, et sociale car la loi et la structure du marché du travail leur interdisent un accès à l’emploi égal aux hommes.
3. Les statistiques sur l’emploi des femmes
49Les méthodes pour mesurer l’activité des femmes dans les pays en développement sont souvent inappropriées et par conséquent, les données dont on dispose sous-estiment la contribution économique réelle des femmes au marché du travail. Le débat sur la mesure du travail féminin a commencé dans les années 1970 avec les études menées par Ester Boserup (1970). Par la suite, nombre d’auteurs ont souligné la sous-estimation de l’activité économique des femmes dans les recensements de population et dans les enquêtes sur l’emploi (Beneria, 1981 ; Dixon, 1982 ; Donahoe, 1999). Deux grandes questions ont affecté la mesure de l’emploi des femmes : les définitions utilisées et la manière dont elles sont utilisées dans la collecte des données (Langsten et Salem, 2006). Plusieurs auteurs ont souligné la nécessité et la difficulté d’inclure le travail domestique dans les définitions de l’emploi féminin ; d’autres chercheurs ont rappelé la sous-estimation de l’activité des femmes dans les secteurs agricole et informel.
50Le Bureau international du Travail (BIT) a dû changer certaines définitions, notamment par rapport aux emplois de type informel. La définition du travail, plus large, inclut désormais toutes les activités qui produisent « biens et services désignés comme éléments importants pour la richesse nationale et le développement économique » (Donahoe, 1999, p. 548). Des changements importants ont aussi eu lieu dans la collecte de données : les personnes enquêtées doivent être à même de comprendre la définition utilisée pour caractériser le travail.
51Les inconvénients que nous venons de rappeler ne manquent pas d’affecter les statistiques égyptiennes sur l’emploi féminin. Plusieurs auteurs ont souligné depuis longtemps l’inadéquation des définitions du BIT dans la collecte et la mesure des données qui concernent l’occupation féminine en Égypte (Hoodfar, 1997 ; Fargues, 2003 ; Ibrahim, 1983 ; Kulcwycki et Juàrez, 2003). En outre, les carences des statistiques sont accompagnées par des attitudes sociales qui sous-estiment l’activité féminine et la participation des femmes à la vie sociale. Fargues (2002) rappelle aussi que ce sont souvent les hommes qui répondent aux questions des recensements. Comme ils ne donnent pas de valeur au travail féminin, ils ont tendance à le sous-déclarer.
52Afin d’analyser la participation féminine au marché du travail en Égypte, on se servira de données qui proviennent de plusieurs enquêtes, à savoir : l’enquête Emploi de 1988 (Labor force Sample Survey, LFSS), effectuée par le Capmas ; l’enquête sur le Marché du travail égyptien de 1998 (Egyptian Labor Market Survey, ELMS) ainsi que celle de 2006 (Egyptian Labor Market Panel Survey, ELMPS), ces dernières ont été effectuées conjointement par l’Economic Research Forum (ERF) et par le Capmas11. Ces trois enquêtes adoptent deux sortes de définition de l’emploi, selon lesquelles il existe en Égypte : d’une part, la population active traditionnelle (PAM population active produisant pour le marché) qui comprend la population active produisant biens et services sur le marché en général et, d’autre part, la population active élargie (PAE) dont fait partie la population active produisant des biens et services destinés au marché de consommation domestique (Assad, 2002)12. Cette double définition permet de mieux appréhender les chiffres de l’emploi féminin en Égypte : en effet, il apparaît clairement qu’il existe un bon nombre de femmes actives dans le domaine agricole ainsi que dans le domaine privé, de façon non officielle.
53D’après le tableau 23, la population active totale aurait légèrement augmenté entre 1988 et 1996 selon les deux définitions de travail données auparavant. Si l’on examine la répartition du taux d’activité par sexe, on remarque qu’il a augmenté pour les hommes suivant les deux définitions entre 1998 et 2006, mais qu’en revanche, entre 1988 et 1998, il a baissé selon la définition élargie. Il n’y a d’ailleurs pas de grande différence dans la proportion d’hommes actifs selon les deux définitions (environ 79 % d’hommes actifs en 2006). Quant aux femmes, on peut remarquer que celles employées d’après la définition élargie sont presque le double de celles employées selon la définition de marché (46 % contre 27 % en 2006). En outre, on note une évolution différente selon les deux définitions de l’emploi : selon la définition traditionnelle, la proportion de femmes actives est passée de 21 à 27 % entre 1998 et 2006 tandis que selon la définition élargie, elle est passée de 42 en 1988 à 46 % en 2006, en enregistrant une certaine stabilité voire une légère baisse entre 1998 et 2006.
Tableau 23. Taux d’activité (15-64 ans) PAM et PAE, par sexe

Source : Assaad, 2007.
54L’évolution du taux de chômage (tableau 24) peut être mieux comprise si l’on considère la situation économique égyptienne pendant la même période : on en donnera une description approfondie dans le chapitre 5. Ici, il suffit de mettre en évidence que les effets de la crise économique des années 1980 et 1990 ont été très défavorables pour les femmes dans les années 1990. La montée de l’islamisme et la crise économique auraient été, en Égypte depuis les années 1970 et 1980, les freins majeurs au développement de l’activité économique féminine.
Tableau 24. Taux de chômage (15-64 ans) PAM et PAE, par sexe

Sources : LFSS, 1988 ; ELMS, 1998 ; ELMPS, 2006.
55Il y a eu une augmentation du chômage entre 1988 et 1998, puis une baisse entre 1998 et 2006. L’évolution par genre montre en revanche qu’il est 4 fois plus élevé pour les femmes par rapport aux hommes, selon la définition traditionnelle du marché du travail et presque le double selon la définition élargie. En ce qui concerne l’évolution du taux d’emploi masculin et féminin par âge, selon la définition de la population active de marché, on remarque chez les hommes une augmentation de la participation des jeunes âgés de 18 à 24 ans entre 1998 et 2006 (figure 25). Cela a été expliqué par Assaad (2007) par l’augmentation, durant cette période des diplômés des lycées techniques par rapport aux diplômés dans les lycées généraux. Ce changement aurait fait augmenter la proportion de jeunes qui entrent sur le marché du travail après le baccalauréat.
56Quant aux femmes, selon la figure 26, on remarque que d’après la définition classique du marché du travail, les changements principaux survenus entre 1998 et 2006 sont d’une part, une nette augmentation des femmes qui entrent sur le marché du travail après 25 ans et d’autre part, un retard dans l’entrée des jeunes femmes ; la conséquence immédiate étant que la participation des femmes atteint son niveau plus élevé plus tard qu’auparavant.
Figure 25. Égypte, taux d’emploi masculin par âge, PAM, 1998-2006

Sources : ELMS, 1998 ; ELMPS 2006.
Figure 26. Égypte, taux d’emploi féminin par âge, PAM, 1998-2006

Sources : ELMS, 1998 ; ELMPS, 2006.
57La figure 27 confirme la conclusion de nombreuses études socioanthropologiques (Amin et Al-Bassusi, 2004 ; Al-Bassusi et El-Kogali, 2004) selon lesquelles la décision de travailler pour les jeunes femmes ne serait qu’une stratégie en vue de préparer leur mariage et qu’elles arrêtent de travailler une fois mariées. Le passage à la vie matrimoniale correspond pour nombre de femmes égyptiennes à l’abandon de la vie active (Fargues, 2000). Le mari ne perçoit pas les avantages du travail de sa femme car, du point de vue de la loi islamique, la femme peut disposer librement de son argent et de ses biens propres. En outre, la femme n’est pas obligée de contribuer aux dépenses du ménage, même si elle a une activité économique qui lui permet de gagner son propre revenu. Le taux d’activité des femmes célibataires est en effet beaucoup plus élevé que celui des femmes mariées, veuves ou divorcées. Cependant, cette tendance a subi une évolution entre 1998 et 2006, avec une hausse des taux d’activité des femmes mariées, alors que ce taux reste stable pour les femmes célibataires. La plupart des femmes sont ainsi occupées dans des activités non rémunérées (figure 28).
Figure 27. Égypte, taux d’activité par classe d’âges et situation matrimoniale des femmes, PAM, 1998 et 2006

Sources : ELMS, 1998 ; ELMPS, 2006.
Figure 28. Emploi rémunéré/non rémunéré par sexe, 1988-2006

Sources : LFSS, 1988 ; ELMS, 1998 ; ELMPS, 2006.
58Nonobstant les contraintes auxquelles les femmes doivent faire face pour entrer sur le marché du travail et malgré la crise économique, le taux d’activité féminine a réalisé des progrès importants au cours des 30 dernières années. Les effets de l’augmentation de la participation scolaire commencent à se faire sentir chez les femmes des plus jeunes générations. La défense des droits des femmes par les organisations non gouvernementales et leur mobilisation grandissante donnent une contribution formidable au processus d’émancipation des femmes. Des changements dans la loi qui règle le statut personnel des femmes ont été réalisés, d’autres avancements dans ce sens pourraient contribuer à la fin du système patriarcal (Fargues, 2003). Le droit du travail a enregistré aussi des progrès importants comme la réduction des discriminations salariales, des primes pour les entreprises privées qui embauchent des femmes, des modifications dans les normes de genre qui poussent les femmes à travailler seulement dans certains secteurs jugés comme appropriés pour elles (El-Hamidi et Said, 2008).
4. Des contraintes structurelles
59Comme nous l’avons déjà souligné dans les paragraphes précédents, le rôle principal reconnu à la femme dans la société égyptienne est celui de mère et d’épouse. Les femmes égyptiennes, qui sont occupées activement sur le marché du travail, justifient ce choix par la situation de crise économique qui traverse le pays : les familles se trouvent face à un grand taux d’inflation ; en outre, le processus d’urbanisation a affaibli l’institution du mariage : en milieu urbain, les femmes qui appartiennent aux classes sociales les plus pauvres, se sentent presque obligées de travailler, puisqu’en cas de divorce, elles ne pourront pas être prises complètement en charge par leurs pères ou leurs frères comme le voudrait la loi islamique, à cause de la difficile situation économique.
60Les femmes travaillent dans tous les secteurs économiques (figure 29) : par rapport aux droits dont elles peuvent bénéficier, elles préfèrent les emplois du secteur public qui leur garantissent des horaires de travail compatibles avec leurs activités domestiques et davantage de protection en termes de congés de maternité et de sécurité sociale. Cependant, la part de femmes travaillant dans les emplois gouvernementaux et dans les entreprises publiques, a baissé constamment entre 1988 et 2006. Ceci est une conséquence du processus progressif de privatisation entamé par le gouvernement égyptien depuis les années 1980 (cf. chapitre 5) qui a entraîné une saturation des opportunités d’emplois dans le secteur public. Ce processus a davantage touché les femmes et il n’est pas limité au secteur public. Plusieurs études ont en effet évoqué la déféminisation des emplois non gouvernementaux en Égypte (Assaad, 2002 ; Assaad et Arntz, 2005 ; Nassar, 1998 ; El-Hamidi et Said, 2008). Ce phénomène est visible dans la figure 29 : les possibilités d’emploi des femmes dans le secteur privé ont diminué entre 1988 et 1998. Une légère hausse entre 1998 et 2006, n’a pas été suffisante pour atteindre le niveau de 1988. On peut avancer l’hypothèse que le marché du travail égyptien, caractérisé par plusieurs types de segmentation – notamment secteur public/secteur privé, marché formel/marché informel, emplois masculins/ emplois féminins – n’a pas été capable d’absorber les femmes dans le secteur privé (Moghadam, 1998).
Figure 29. Distribution des employés par secteur économique et par sexe, 1988-2006

Sources : LFSS, 1988 ; ELMS, 1998 ; ELMPS, 2006.
61Par rapport aux secteurs d’activités économiques, les femmes sont concentrées dans l’agriculture, l’éducation et les professions sociales (figure 30). Beaucoup d’entre elles travaillent aussi dans les petits commerces, sur les marchés ou dans des activités domestiques non rémunérées. D’après cette analyse, on voit comment les femmes subissent des discriminations dues à des facteurs culturels et économiques : du point de vue culturel, elles sont considérées comme des travailleuses moins fiables que les hommes, puisqu’elles sont par nature d’abord des mères et des épouses et le temps consacré à ces activités (par exemple la garde des enfants) peut affecter leur productivité. Du point de vue économique, elles sont discriminées car leur salaire est souvent plus bas que celui des hommes, bien que l’égalité hommes-femmes soit garantie par la loi ; et encore, fréquemment, dans le secteur privé, on préfère embaucher des hommes plutôt que des femmes (Moghadam, 1998).
Figure 30. Taux de féminisation par secteur d’activité (hors emplois gouvernementaux) 1988-2006

Sources : LFSS, 1988 ; ELMS, 1998 ; ELMPS, 2006.
62Pour comprendre les mécanismes complexes du marché du travail au féminin en Égypte, il faut regarder au-delà des choix individuels et observer le rôle des individus dans la société et les règles et les contraintes qui gouvernent la famille et la société. Ainsi, on peut comprendre que le choix des femmes égyptiennes, entre leur rôle traditionnel de mères, responsables du foyer, et l’exercice d’une activité économique ne soit pas toujours évident. Des contraintes d’ordres économique, social, légal, religieux et familial les portent à une longue réflexion avant de choisir d’être actives sur le marché du travail.
63La crise économique a accentué ces discriminations et encouragé leur stigmatisation, notamment mais pas uniquement, dans le discours des islamistes qui s’appuient sur les différences de genre et des responsabilités entre hommes et femmes pour justifier leur éloignement du marché du travail. Depuis les années 1980, et malgré son orientation laïque et une législation qui garantit amplement le travail féminin et l’égalité des sexes, l’État égyptien s’est fait garant des idées et des aptitudes patriarcales selon lesquelles les femmes « doivent s’adapter à une arène politique dessinée par les hommes » (Hatem, 2003, p. 252).
64Plusieurs lois destinées à garantir la participation active des femmes à la vie politique ont ensuite été déclarées anticonstitutionnelles, car elles allaient contre le principe d’égalité des sexes, comme par exemple celle qui garantissait la présence d’au moins 20 % des femmes dans l’Assemblée du Peuple et qui a été abrogée. Des femmes députées ont proposé en 1987 une loi qui prévoit le droit à la retraite anticipée pour les employées. L’identité « domestique » de la femme a été au centre des discours des islamistes depuis les années 1930 et des laïcs depuis la crise économique ; on a donc assisté à une convergence inattendue des pensées (Hatem, 2003). Dans les paragraphes précédents et dans d’autres recherches (Ambrosetti, 2006 ; Ambrosetti et al., 2009), on note tout de même les progrès réalisés vers l’égalité de genre en Égypte (indicateurs sociodémographiques, loi du statut personnel, du droit du travail, etc.). C’est un parcours long et délicat, alors que les femmes égyptiennes sont aujourd’hui sorties de l’impasse des années 1980 et 1990 et sont de plus en plus mobilisées.
5. Emploi des femmes et fécondité
65L’emploi donne aux femmes égyptiennes moins de chances d’avoir une famille très nombreuse : comme dans le cas de l’éducation, les femmes qui travaillent ont un accès meilleur aux moyens de contraception et ont tendance à se marier tardivement. En effet, dans le tableau 25, on observe que les femmes qui ont un emploi rémunéré se marient en moyenne 3-4 ans plus tard que les femmes qui ne sont pas actives ; on voit aussi que les femmes actives ont plus tendance à utiliser la contraception, même si au fil des années les inactives ont progressé plus rapidement dans ce domaine. Comme dans le cas des femmes ayant des niveaux d’éducation plus élevés, les femmes qui travaillent ont été pionnières dans la baisse de la fécondité : la fécondité complète des femmes entre 40 et 49 ans qui ont un emploi rémunéré est d’environ 2 enfants de moins que celle des femmes qui ne travaillent pas et qui n’ont pas d’emploi rémunéré. Par ailleurs, l’indice synthétique de fécondité des femmes qui ont un emploi rémunéré, est moins élevé que celui des femmes qui ne travaillent pas ou qui ont un emploi non rémunéré.
Tableau 25. Âge au mariage, contraception et fécondité selon le type d’activité de la femme 1988-2008

Sources : EDHS, 1988-2008.
66Cependant, si les femmes des milieux sociaux les plus dépourvus travaillent souvent dans les secteurs formel et informel, cela n’est pas souvent le cas de celles de la classe moyenne, lesquelles doivent faire face à une double contrainte : aller contre la volonté de leurs maris et travailler pour un salaire trop bas. Ce serait donc la crise économique plutôt que le travail féminin qui aurait contribué à la baisse de la fécondité, dans le sens où les revenus des ménages ne peuvent plus faire face à des familles nombreuses (Fargues, 2003).
III. Analyse multidimensionnelle
67Afin de mieux étudier les liens entre éducation, emploi féminin et fécondité, on a mené des analyses multivariées sur les données des enquêtes EDHS disponibles. On se sert du modèle de régression logistique : la variable dépendante de nature quantitative est le nombre d’enfants nés vivants, les variables explicatives sont des facteurs liés à la situation socioéconomique et culturelle des femmes, à leur rôle dans la société et à la prise de décisions dans le ménage sur l’utilisation du planning familial.
68On prend également en compte des variables liées à l’autonomie de la femme lors du choix du conjoint : la variable mariage avec un parent (cousin ou autre) et l’écart d’âges entre mari et femme (cette variable a été divisée en écart supérieur ou égal à 7 ans et écart inférieur à 7 ans). Ainsi, une variable qui exprime le désir d’enfant (nombre idéal d’enfants) et une variable sur l’utilisation actuelle du planning familial. Les variables retenues pour la situation socioculturelle de la femme sont le niveau d’éducation, l’emploi (avant et après le mariage), la résidence, la région de résidence, la région de résidence pendant l’enfance, la situation socioéconomique, la religion (disponible seulement pour les années 1988, 1992, 1995). L’âge au mariage est utilisé comme variable de contrôle. On a effectué des régressions logistiques pour chacune des années des enquêtes EDHS. Les variables utilisées ne sont pas exactement les mêmes, car elles ne sont pas toujours gardées d’une année à l’autre, ou bien la question a été posée seulement une année. On a limité l’analyse aux femmes entre 25 et 39 ans pour éviter de comparer la fécondité de générations trop distantes dans le temps, et aussi pour que leur histoire reproductive soit « suffisamment récente pour être expliquée par des variables relatives au moment de l’enquête » (Schoumaker, 2001, p. 132). Les résultats sont représentés dans les tableaux 5A à 5E (cf. annexe 5 en fin d’ouvrage).
69Ils amènent à la conclusion que l’éducation et l’emploi féminin, déterminants socioéconomiques de la fécondité, étudiées au cours de ce chapitre, ont une importance fondamentale dans le nombre d’enfants que la femme aura dans sa vie. Néanmoins, d’autres variables liées à l’autonomie de la femme revêtent aussi une grande importance : on pense ici au choix d’un partenaire en dehors de la famille et avec un petit écart d’âge, à la prise de décisions à l’intérieur du ménage sur le planning familial et sur les dépenses familiales… Des variables relatives à la situation socioculturelle de la femme, tels le lieu et la région de résidence, agissent aussi sur le nombre d’enfants. Enfin, parmi les déterminants proches de la fécondité, le rôle de la contraception et de l’âge au mariage est confirmé.
70L’évolution de l’éducation féminine a eu un effet positif dans le processus de baisse de la fécondité en Égypte, notamment chez les femmes les moins instruites qui ont été protagonistes d’une baisse très significative ; a contrario, l’interprétation des effets de l’emploi des femmes égyptiennes sur leur fécondité est plus controversée. Le recours à l’activité de travail est souvent le fruit de la nécessité économique, surtout dans la période qui suit le mariage ainsi que pendant les années de fiançailles. Des variables liées à l’autonomie des femmes et à la prise de décisions dans les ménages se sont aussi révélées être très importantes dans le processus de transition de la fécondité.
Notes de bas de page
1 « As a value in itself, education counts for developing human personality, self-learning ability, objectivity, tolerance, and the willingness to participate in all aspects of human development. As a means, education is a powerful instrument of achieving and sustaining economic growth, reducing poverty and enhancing equity. »
2 « What Europe is suffering from is the result of generalizing the education among all levels of society so they are involved… they have no chance of avoiding what happened. So if this is an example in front of us, so our duty is to just teach them how to read and write to a certain limit in order to accomplish satisfied work and not to spread education beyond this point. »
3 On se réfère ici au taux d’analphabétisme des adultes de plus de 15 ans.
4 Taux brut de scolarisation : effectifs scolaires d’un niveau d’enseignement donné, quel que soit leur âge, exprimé en pourcentage de la population du groupe d’âges théorique correspondant à ce niveau d’enseignement (Unesco, Education Glossary).
5 Taux net de scolarisation (TNS) : effectifs scolaires du groupe d’âges correspondant théoriquement à un niveau d’enseignement donné, exprimé en pourcentage de la population totale de ce groupe d’âges (Unesco, Education Glossary).
6 Dans l’analyse d’Easterlin, l’offre d’enfants indique le nombre d’enfants survivants qu’un couple peut avoir dans des conditions de fécondité naturelle, c’est-à-dire sans utiliser de méthodes contraceptives.
7 Voir par exemple El-Zeini, 2008 ; Casterline et Roushdy, 2007.
8 Ici on fait référence, du point de vue politique, à l’importance grandissante du rôle de l’État dans la vie des citoyens depuis Méhémet Ali, avec pour conséquence l’affaiblissement des autres institutions et notamment les corporations. Économiquement, on assiste, au cours du xixe siècle, au passage de l’artisanat à la production de coton pour l’exportation. Du point de vue social, on constate que la sphère publique, les réformes de l’éducation et du système de santé sont destinées aux hommes et n’impliquent pas la participation des femmes.
9 « Legislation is among the most important factors that influence the position of women in the labor market and must be appropriate for the social and economic conditions of the society concerned »
10 La loi sur l’enfance de 2008 a rétabli trois congés de maternité payés pour les femmes égyptiennes.
11 La comparaison de ces trois enquêtes est possible car l’ERF a conçu les questionnaires et l’échantillon de l’enquête ELMS, de façon qu’ils soient comparables à l’enquête LFSS en 1988. En fait, l’enquête ELMPS de 2006, de type longitudinale, n’est que la deuxième vague de l’enquête de 1998.
12 Cette double définition est adoptée dans les enquêtes 1998 et 2006, alors que dans l’enquête de 1988, on utilise seulement la population active élargie.
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