Chapitre 3.
Sources et procédé employé. Critique
p. 25-38
Texte intégral
1Les sources qui constituent la base de l’analyse qui va suivre sont fort simples. Il s’agit d’un dictionnaire généalogique des Canadiens – français composé par Monseigneur Tanguay, abbé canadien, à qui ce travail colossal a valu le titre qui l’honore.
2Nous examinerons dans une première section le travail accompli par Mgr Tanguay, les difficultés qu’il a dû surmonter, la forme sous laquelle se présente son ouvrage et donnerons enfin un aperçu des erreurs qui devaient fatalement se glisser dans un tel ouvrage. La deuxième section comprendra la description et la critique du procédé que nous avons employé pour réunir et ordonner les matériaux qui ont servi à établir les calculs des chapitres qui suivent.
3Il n’a pas été fait, à notre connaissance, d’étude analogue à notre analyse, basée sur un nombre statistiquement valable d’histoires de ménages et ayant trait à une population possédant une fécondité naturelle1.
4Comme ces recherches apportent – du moins nous le croyons – des renseignements nouveaux sur le comportement démographique d’hommes vivant en régime naturel, il importe de connaître la valeur des sources et l’utilisation qui en a été faite. Le peu de saveur de certaines parties de ce chapitre ne devrait donc pas en détourner le lecteur désireux de contrôler la validité des résultats et de connaître la nature des matériaux.
5Nous tenons à attirer l’attention sur l’imperfection disséminée dans l’ouvrage de Mgr Tanguay. Quelques erreurs et beaucoup d’omissions invitent à interpréter les données et les résultats avec une grande circonspection. La prudence conseillait de ne pas se jeter tête baissée dans cette floraison luxuriante de données. Aussi a-t-on procédé en faisant un tri aussi impitoyable que possible, tout en sauvegardant le caractère représentatif de l’échantillon, c’est-à-dire en évitant d’introduire toute sélection pouvant avoir un rapport avec le phénomène étudié.
I. – SOURCE
Le travail de Mgr Tanguay ; les difficultés qu’il a rencontrées
6La collection des documents nécessaires à la première partie de son travail (période 1621-1700) a demandé à Mgr Tanguay la visite de 50 paroisses. La deuxième partie (1700-1800) a allongé cet itinéraire de 111 autres paroisses. La Québec, l’Ontario le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Ecosse, les îles de golfe Saint Laurent, Détroit, la vallée du Mississipi, bref, la moitié de l’Amérique du Nord fut sillonnée et fouillée par cet infatigable chercheur. Tanguay a également scruté des greffes de notaires, les recensements français, les ouvrages de Champlain, Charlevoix, Ferland, Faillon, etc., les archives du dépôt de la Marine, à Paris, et maints diocèses de France.
7Vingt-cinq ans de sa vie furent consacrés à ce labeur ; les résultats en sont contenus dans deux ouvrages d’inégale importance : le "Dictionnaire généalogique des familles canadiennes", en 7 volumes, publiés à Montréal par les soins d’Eusèbe Senecal et fils, de 1871 à 1890 ; et "A travers les registres", petit livre de 276 pages où l’auteur a consigné les observations, les traits de mœurs, les curiosités, les menus faits, les anecdotes, quelques statistiques, que ses recherches l’ont amené à glaner ici et là.
8Toutes les familles canadiennes-françaises ont ainsi leur ascendance. Jamais, semble-t-il, pareil travail n’a été fait, et il n’existe assurément aucun autre peuple actuellement qui possède sa généalogie complète2. Les anciens Juifs avaient, paraît-il, des tablettes généalogiques très exactes. Mais celles-ci ont disparu. L’Islande possède aussi les généalogies de ses principales familles, dont quelques-unes remonteraient à une dizaine de siècles !
9Ces recherches n’allèrent pas sans difficulté. Nous en donnons ici un aperçu afin que l’on soit averti des obstacles qui se sont dressés, dont quelques-uns peuvent être des causes d’erreurs, et aussi parce que ces difficultés nous donnent l’occasion de voir avec quel soin et quelle patience Tanguay les a abordées et, le plus souvent, résolues. Les incendies et les pillages des Iroquois ont parfois entraîné la destruction de registres ; dans ce cas Tanguay avait la ressource des greffes de notaires ou de recoupements possibles grâce à d’autres actes enregistrés plus tard, ou dans d’autres paroisses, et dont le texte faisait mention des premiers. Quelquefois, l’humidité, des encres de mauvaise qualité avaient rendu la lecture impossible. Certains actes avaient été transportés dans une paroisse autre que celle où ils avaient été établis ; les missionnaires, allant de paroisse en paroisse, transportaient quelquefois avec eux les actes qu’ils avaient enregistrés dans les diverses paroisses visitées. Ils abandonnaient finalement leur cahier dans la paroisse où ils s’arrêtaient. Voilà, en tout cas, l’explication que donne Tanguay à cette anomalie.
10La coutume des surnoms, très vivace chez les Canadiens à cette époque, a certainement causé les plus grandes difficultés. Tanguay signale dans l’introduction du septième tome que le surnom de Jolicoeur a été donné à 48 individus dont les noms véritables étaient tous différents, qui l’ont transmis à leurs familles respectives soit comme surnom, soit comme nom propre. "... dans certaines familles, on prenait tantôt le nom, tantôt le surnom, tandis que dans quelques autres, on trouve deux branches distinctes dont l’une garde le nom patronymique et l’autre le surnom". Tanguay cite le cas d’un père ayant le surnom de Jolicoeur. Des recherches l’ont amené à trouver son nom : Georgeteau, nom du grand-père. Mais il s’aperçut que Georgeteau n’était pas encore le véritable nom, mais la fusion d’un prénom, Georges, avec un nom qui était, lui, le véritable : Hosteau. Mentionnons encore l’empressement des seigneurs à adopter, au lieu de leur nom, celui de leur fief précédé de la particule.
11Pour composer son dictionnaire, voici comment Mgr Tanguay a procédé : il a d’abord classé "dans un ordre méthodique" les documents qu’il avait amassés (1.226.230 actes environ) puis il a réuni les membres épars d’une même famille sur une fiche, ce qui a donné 122.623 bulletins.
12Qu’il nous soit permis de rendre ici un hommage reconnaissant à cet ardent chercheur. Pour arriver à démêler les subtilités des empêchements aux mariages et aussi pour donner à un peuple sa généalogie, il a fouillé deux continents pendant 25 ans utilisant un million et quart d’actes de baptême, de mariage et de sépulture.
Le "Dictionnaire généalogique".
13L’auteur a divisé son travail en trois parties chronologiques : la première couvre les familles dont les actes ont été enregistrés entre 1621 (date de l’ouverture des registres) et 1700 ; la deuxième, celle qui concerne le XVIIIe siècle sous le régime français (1700 à 1763) ; enfin la troisième devait rassembler les familles ayant vécu entre 1763 et l’époque où Mgr Tanguay a fait son travail (vers 1870). Malheureusement, la troisième partie n’a pu être faite. La date (1700) qui sépare les 2 premières périodes n’est pas absolument rigide. Pour la commodité des recherches, il y a des empiètements de part et d’autre de cette frontière. La première partie tient dans un seul volume, la deuxième dans six. Le tout fait environ 4.200 pages (inquarto). Ce sont les six volumes de la deuxième partie qui nous intéressent.
14L’ensemble de la matière contenue dans ces six volumes est classée de la façon suivante : ce sont les ménages (époux, épouse, enfants) qui constituent ce qu’on peut appeler les unités généalogiques. Ces unités sont d’abord regroupées, en ordre alphabétique, d’après le nom de l’époux. Puis, chaque groupe de ménages ayant le même nom est ensuite ordonné chronologiquement d’après la date du mariage qui a constitué le ménage. Les mariages successifs d’un même homme s’inscrivent l’un à la suite de l’autre.
15On trouvera à la page suivante un exemple qui illustrera la méthode observée par Tanguay pour disposer les renseignements concernant chaque famille et chaque individu. C’est l’exemple qui sert à l’auteur pour expliquer la "clef" de son dictionnaire.
16L’exemple reproduit se lit comme suit :
D’abord, la date et le lieu du mariage (l’exposant 5 signifiera toujours Québec).
Sur la ligne suivante, les nom et prénom de l’époux précédés de son rang de filiation. Au bout de la ligne : les prénom et rang de son père. Suivent les dates et lieux de baptême (manquant ici) et de sépulture de l’époux,
"1 " signifie : "premier mariage à". Mêmes renseignements pour l’épouse que pour le mari (ici baptême et sépulture manquent).
Puis viennent les enfants issus de cette union du mari à sa première femme. Pour chacun, le prénom, les dates et lieux de baptême, mariage et sépulture sont donnés.
Vient ensuite la date du second mariage de Louis Couillard III, et les suivants. Lorsqu’une femme est veuve, Tanguay donne le nom de son premier mari. Si elle se remarie dans la suite, la date de ce mariage et le nouveau mari sont, en principe, indiqués.
1680 (23 oct.) Québec5
III- COUILLARD, Louis (LOUIS II)
s. 15 mai 1728, à St-Pierre-du-Sud
1° VAUDRY, Marie (CHARLES I)
Marie-Anne, b. 1681 ; s.5 2 mai 1689,
Louis, b. 6 mars 1686, au cap St-Ignace3 ,
s. 313 avril 1686
1688 (4 mai) Québec5
2° FORTIN, Marie (FRANÇOIS I)
Geneviève, b.5 18 juillet 1689,
Elizabeth, b. 17 avril 1691 à St-Thomas8,
Louise, b.8 16 nov. 1692 ; s.8 22 nov. 1693,
Louis, b.8 6 févr. 1694 ; m.8 17 nov. 1721, à Marthe COTÉ, etc.
1712 (31 janv.) St-Thomas8
3° BÉLANGER, Marguerite, (LOUIS II)
1719 (31 janv.) Islet4
4° NOLIN, Louise (JACQUES I)
veuve de Joseph Langlois
Marie-Anne, b, ... ; m.4 22 juin 1739, à Louis MARGANNE DE LA VALTRIE.
Il y a quelques signes conventionnels dont voici la signification : b : baptême ; m : mariage ; s : sépulture.
Les chiffres romains placés avant un nom ou après un prénom indiquent l’ordre dans la filiation masculine. Par exemple, I signifie qu’il s’agit du colon qui est passé de France au Canada ; II désigne son fils ; III son petit-fils, etc. Cette précision s’imposait, étant donné la coutume de ce temps qui voulait que l’on donnât â l’un des enfants le prénom du père. De même pour les filles. Les petits chiffres ayant l’allure d’exposants désignent la paroisse où un acte a été enregistré ; ils sont précédés du nom de la paroisse qu’ils remplacent, lorsque cette paroisse est mentionnée pour la première fois dans l’article.
17Ces renseignements ne nous intéressent pas tous. Ecartant l’aspect proprement généalogique, nous ne nous préoccupons que d’histoires de ménages isolés, c’est-à-dire que nous négligeons tout ce qui concerne l’aspect ascendance-descendante d’une famille. Ainsi, l’exemple cité nous fournit quatre histoires de ménages.
18On peut facilement constater que les lacunes ne sont pas rares. Dans l’exemple donné, pour 12 personnes concernées, on compte au moins 15 omissions de renseignements.
Critique et vérification.
19Que faire devant une telle masse de renseignements... et d’omissions ? Quelle est la proportion des erreurs ?
20A moins de pouvoir refaire, au moins en partie, le travail de l’opiniâtre Mgr Tanguay, il est difficile de répondre avec une précision absolue à la dernière question. Ce n’est cependant pas une raison pour abandonner tout effort permettant de se faire une idée assez juste du degré de fidélité de l’œuvre.
21Si les erreurs sont toujours fâcheuses, il n’en est pas toujours ainsi des omissions. Celles-ci peuvent n’avoir aucune conséquence quant à l’exactitude des calculs. Si, par exemple, on n’a pas la date de naissance d’une femme, on ne pourra se servir de celle-ci pour le calcul de son âge au mariage et à la naissance de ses enfants, mais cela n’a rien d’inquiétant. Au contraire, l’omission d’un enfant dans une famille ne va pas sans fausser la détermination du taux de fécondité, à moins que l’on ait pu dépister cette lacune et éliminer cette famille des calculs. Nous verrons plus loin comment on a tenté de neutraliser l’effet de ces omissions, en particulier pour les calculs relatifs à la fécondité des ménages.
22Le cas des erreurs contenues dans le "Dictionnaire" est plus grave. Cependant, on n’est pas entièrement à court de moyens en face de celles-ci. En effet, on arrive, par certains recoupements, à en dépister un certain nombre : ce qu’on sait sur la durée de la période de fertilité chez la femme permet par exemple d’éliminer des naissances se produisant à un âge de la mère trop fantaisiste (ces cas ont été très rares : 5 dans l’échantillon) ; une même personne pouvant apparaître en deux endroits dans le dictionnaire (chez ses parents et à son mariage), on peut ainsi vérifier les cas qui semblent anormaux ou douteux. Mais là n’est pas le plus intéressant. Il y a en effet des indices plus rassurants quant au crédit que l’on peut accorder aux données de Tanguay. Nous y reviendrons dans la deuxième partie de ce chapitre.
23Voyons d’abord les erreurs que l’on a effectivement rencontrées dans le "Dictionnaire généalogique".
24Dans les quelque 1.100 familles examinées, on a trouvé 5 cas où, vraisemblablement, des enfants ont été attribués à leurs grands-parents au lieu de leurs parents. Selon le "Dictionnaire", la mère, après être restée inféconde pendant plusieurs années aurait eu un ou plusieurs enfants à des âges aussi peu probables que 52, 53... et même 63 ans !3. Nous avons évidemment éliminé ces prétendus enfants.
25Une autre difficulté se présentait : parfois, la même famille apparaît à deux endroits dans le dictionnaire, sous deux noms différents (nom et surnom de l’époux) ; et même s’il est clair qu’il s’agit bien de la même famille, l’auteur, tout en signalant la correspondance de ces deux familles (même date de mariage, même prénom du père, même nom de la mère, mêmes dates de baptême, enfants de même nom nés aux mêmes dates, etc.) et en renvoyant le lecteur de l’une à l’autre, ne donne pas toujours pour chacune d’elles, une série exactement semblable d’enfants. Sous un nom, la famille a un ou deux enfants de plus que sous l’autre nom, les autres enfants étant incontestablement les mêmes. Cette anomalie semble être une fantaisie de l’auteur ou, plus exactement, le résultat d’un trop grand scrupule. Dans ce cas, nous avons complété les renseignements donnés à un endroit par ceux qui n’étaient donnés que sous l’autre nom du père. Ces cas se sont cependant limités à une trentaine. Il n’y avait, en tout cas, aucune probabilité appréciable de prendre deux fois la même famille.
26C’est plutôt par omission que Tanguay, ou plus exactement les registres, ont péché. Certaines paroisses semblent n’avoir fourni à l’auteur du "Dictionnaire" que des registres bien incomplets ; Verchères, Varennes et Boucherville se signalent à ce point de vue. Montréal même, trois fois ravagé par un incendie et soumis plus que tout autre poste au pillage des Iroquois, fournit des renseignements assez incomplets. Il s’agit ici d’omissions et l’on a vu que celles-ci ne faussent les résultats de nos recherches qu’en ce qui concerne la fécondité.
27Nous avons pu opérer une espèce de contrôle très grossier de l’ouvrage de Tanguay. Voici en quoi il a consisté : il s’agissait de savoir si les conjoints qui se sont unis à une certaine époque apparaissaient également, vingt ou trente ans auparavant, chez leurs parents. Cela devait nous donner une idée de l’omission des enfants chez leurs parents. On a procédé de la façon suivante : les enfants des familles qui composent notre échantillon se sont mariés pour la plupart entre 1745 et 1765. On a choisi au hasard un soixantième des mariages célébrés entre ces deux années ; 354 époux furent retenus, dont les parents étaient précisément ceux qui ont formé les ménages qui nous intéressent. Il était facile, dès lors, de voir la proportion de ces époux que l’on ne retrouve pas chez leurs parents comme enfants. Inversement, on pouvait ainsi avoir une idée de l’importance des omissions d’enfants, du moins pour les enfants qui se sont mariés.
28On a trouvé les résultats suivants :
0,6 % des enfants masculins sont omis chez leurs parents.
2,4 % des enfants féminins sont omis chez leurs parents.
29ce qui donne une moyenne de 1,5 %. Mais cela ne concerne que les enfants qui, dans la suite, se sont mariés. On peut penser que ceux-ci avaient plus de chances, du fait de leur acte de mariage, d’être retrouvés par Tanguay.
30Voilà comment se présente la matière. Elle n’est pas parfaite, comme c’est le cas d’ailleurs pour celle que nous présentent plusieurs statistiques modernes. Les registres paroissiaux anciens ne fournissent pas des statistiques moins précises ni moins sûres que les statistiques modernes. Nous estimons qu’en faisant un certain choix, qui n’entraîne pas d’erreur systématique importante, les renseignements fournis par Tanguay peuvent conduire à une image assez fidèle de la réalité. Ajoutons que la reconstitution des familles à l’aide des registres paroissiaux donne plus de renseignements sur la fécondité que les statistiques modernes habituelles.
31Voyons quel procédé a été employé pour constituer et étudier l’échantillon des ménages canadiens tirés du "Dictionnaire" de Mgr Tanguay.
II.– PROCEDE
Tirage au sort des ménages.
32Il n’était pas question d’utiliser les 120.000 ménages dont le "Dictionnaire" contient l’histoire. D’autre part, il a semblé intéressant de se limiter à une période qui ne fût pas trop perturbée par la guerre, ou par une structure anormale de la population. Nous avons donc décidé d’utiliser les ménages formés entre 1700 et 1730, ceux-ci produisant des enfants dont les naissances se sont échelonnées, pour la plupart, entre 1700 et 1750.
33Il y eut 6.847 mariages durant les 31 années 1700-1730. Le septième de ceux-ci a paru être un échantillon suffisant. On les a tirés au hasard, en prenant, toutes les sept pages4, les mariages répondant aux conditions suivantes :
34A – Sur les pages déterminées de la façon qu’on vient de dire, on a pris tous les "premiers"5 mariages célébrés pendant les années 1700 à 1730.
35B – La disposition du "Dictionnaire" donnant tous les mariages successifs d’un même homme à la suite, on a pris automatiquement tous les remariages qui suivaient les mariages déjà pris en A, même si ces remariages tombaient sur la page suivante, ou avaient été célébrés après 1730.
36C – Par contre, on n’a pas pris, au début des "bonnes" pages, les remariages qui suivaient un premier mariage appartenant à la page précédant la "bonne" page, même si ces remariages avaient été célébrés entre 1700 et 1730.
37Cette méthode permet d’avoir un échantillon représentatif en ce qui concerne les remariages des hommes. Elle ne devait cependant pas donner un échantillon dont le nombre fût égal au septième des 6.847 mariages célébrés entre 1700 et 1730. En effet, de ces 6.847 mariages, on a retranché les remariages suivant un premier mariage célébré avant 1.700 ; et on a ajouté les remariages célébrés après 1730, lorsque ceux-ci suivaient des premiers mariages célébrés entre 1700 et 1730. Comme à ce moment, le nombre annuel des mariages croissait rapidement, l’élément ajouté est plus important que l’élément retranché, de sorte que notre échantillon est le septième d’un nombre un peu plus grand que 6.847.
38On a ainsi tiré au sort 1131 ménages6. Pour ceux-ci, on a relevé les renseignements suivants7, dans la mesure où ils étaient fournis par le "Dictionnaire" :
A – Epoux : | année et lieu de baptême ; |
B – Enfants : | sexe ; |
Utilisation des fiches.
39Comme on peut s’y attendre, le déchet a été important : paroisses éliminées, renseignements manquant. Mais il restait un nombre de données suffisant pour représenter la population canadienne. Bien sûr, un plus grand nombre de fiches eût permis parfois de pousser plus loin une analyse plus détaillée. On verra que le dépouillement des 1131 fiches a donné des résultats qui semblent satisfaisants et qui ne manquent pas d’intérêt.
40Les données recueillies permettent de connaître l’âge au mariage des Canadiens de cette époque, leur âge à la naissance de leurs enfants, de calculer à peu près tous les taux classiques relatifs aux naissances, de calculer la mortalité infantile et de se faire une idée de la mortalité générale.
41Un problème grave s’est posé : pouvait-on, en pratique, prendre pour la date de la naissance, celle du baptême ? A priori, il est permis de penser que ces gens à la foi ardente, pressés par leurs pasteurs auxquels ils étaient soumis, et craignant à juste titre une mort prématurée de leur enfant, devaient se hâter de faire baptiser leurs enfants. Mais encore fallait-il que cela fût possible. Si l’on ondoyait sur-le-champ les nouveaux-nés que la mort menaçait, peut-être attendait on, assez longtemps parfois, qu’un prêtre fût là pour baptiser les bien portants ?
42On peut, sur ce plan, se perdre longtemps en conjectures. La statistique vient élégamment résoudre le problème. On voit en effet que la distribution des baptêmes des premiers-nés, au cours des mois qui suivent le mariage, correspond à la distribution normale des premières naissances chez d’autres populations pour lesquelles nous connaissons cette distribution9. Durant les mois 0 à 8, on enregistre quelques naissances ordinairement en progression croissante (naissances résultant de conceptions anténuptiales et naissances prématurées) ; au mois 9, il y a un sommet très prononcé et ensuite une décroissance régulière, d’abord rapide puis allant en s’atténuant. C’est surtout le sommet du mois 9 qui importe. Un retard du baptême eût fait passer le sommet au mois 10 ou, au moins, donné une importance extraordinaire à celui-ci. Or il n’en est rien.
43On peut donc, en pratique, considérer la date du baptême comme étant celle de la naissance. Sans doute y a-t-il des exceptions. Ce qu’on vient de dire démontre qu’elles sont négligeables. Ne l’eussent-elles pas été que beaucoup de calculs fussent restés valables. Mais cette coïncidence est intéressante, car elle permettra en particulier de calculer la fécondabilité et de mesurer avec plus de précision les intervalles entre les naissances.
Classement des fiches relatif à l’étude de la fécondité.
44Il va de soi que, pour l’étude que nous entreprenons, le compte des enfants doit être exact, c’est-à-dire que tous les enfants qui ont fait partie d’une famille devraient avoir été relevés par Tanguay et que, de plus, aucun enfant ne devrait avoir été attribué à une famille qui n’était pas la sienne. Or, rien n’est moins certain que l’intégrité absolue des familles reconstituées dans le "Dictionnaire", ce qui, nous l’avons vu, n’a rien d’étonnant.
45Il est probable que les omissions et les additions d’enfants sont loin de se compenser et que l’ouvrage de Mgr Tanguay pèche beaucoup plus par défaut que par excès. Dans certains cas, cette omission d’enfants semble être beaucoup plus importante : nous avons vu que les familles ayant migré entre les naissances des enfants avaient environ 12 % d’enfants de moins que les familles restées sédentaires pendant la période durant laquelle les enfants sont nés. Sans doute, les familles ayant migré ont – elles été plus difficiles à reconstituer. On voit donc que ces erreurs ne s’appliquent pas à toutes les familles également et l’on peut essayer de dégager celles qui présentent un minimum d’erreurs possibles.
46Nous avons d’abord cherché des critères permettant de retenir les familles dont on pouvait tenir pour certain que Tanguay n’a pas perdu la trace durant leur période de fertilité. Cependant, plusieurs de ces critères sont fondés sur l’existence d’enfants et il a fallu les abandonner car ils entraînent automatiquement l’élimination des familles stériles ou peu fécondes. Ainsi, si l’on retient comme critère de sélection le décès de l’un des parents immédiatement après la naissance d’un enfant, ou bien la naissance d’un enfant à un âge avancé de la mère, il est évident que les familles devenues stériles, ou celles qui l’ont-toujours été, se trouvent éliminées. De plus, ces critères ne nous disent rien sur l’intégrité des familles reconstituées, mais nous renseignent seulement sur la longueur de la période d’observation. Restaient les critères ne faisant pas intervenir les enfants. Ils tiennent à peu de choses et, à l’examen, se sont révélés d’une faible efficacité
47Le procédé que nous avons employé est celui du classement des fiches en plusieurs catégories Cela a permis, selon le phénomène que l’on voulait mesurer, de n’utiliser que les fiches de familles pouvant fournir les renseignements nécessaires, sans que, pour cela, il y eût élimination systématique de ménages exceptionnellement fertiles ou pratiquement stériles. Le classement des fiches, tel qu’il a été fait, n’introduit donc, dans quelque catégorie que ce soit, aucune sélection de nature à fausser les phénomènes analysés. Voici comment il a été fait :
48On a d’abord classé les fiches en deux groupes :
fiches défectueuses : celles qui contiennent au moins un enfant dont l’année de naissance n’est pas indiquée ; elles sont au nombre de 508,
fiches utilisables celles sur lesquelles toutes les années de naissances sont indiquées ; on en compte 623.
49Les fiches défectueuses, contenant un ou plusieurs enfants qu’on ne peut placer ni selon le rang de naissance, ni selon l’âge de la mère à la naissance, ont été éliminées des calculs relatifs à la fécondité.
50Toutes les fiches relatives à des actes enregistrés dans les paroisses de Boucherville, Varennes et Verchères, ainsi qu’en Acadie, ont été éliminées en bloc, parce que les registres de ces paroisses contiennent incontestablement trop d’omissions pour représenter, même de loin, la réalité.
51Les éliminations ainsi limitées, il en résulte que les fiches où tous les enfants avaient une date de naissance ont été considérées, en pratique, comme utilisables. Les résultats ont montré que l’admission d’une telle hypothèse nous conduit assez près de la vérité
52Voilà pour le caractère défectueux ou utilisable des fiches, On a de plus opéré le classement suivant, en vue des calculs qui seront établis dans la suite. Trois sortes de familles ont été définies, selon les renseignements qu’on possède sur la durée du ménage, en termes d’âge de la mère :
familles complètes : celles dont on sait qu’elles ont été rompues (par le décès de l’un des conjoints) alors que la femme était âgée de 50 ans et plus. Le classement dans cette catégorie exige que l’on connaisse le destin des deux époux, au moins jusqu’au moment de la rupture. Ces familles sont caractérisées par des femmes qui ont vécu jusqu’à la fin de la période de fertilité normale, dans l’état du mariage10 ;
familles incomplètes : celles dont on sait qu’elles ont été rompues avant que la femme ait atteint l’âge de 50 ans. Ici, la période de fertilité normale a été interrompue par le décès de l’un des conjoints ;
familles inconnues : ce sont celles qui, en réalité, devraient entrer dans l’une ou l’autre des deux catégories mentionnées ci-dessus ; mais les renseignements que nous avons sur elles ne nous permettent pas de savoir à quel moment le ménage a été rompu. Le destin de l’un au moins des époux reste ignoré.
53Pour les raisons qui viennent d’être exposées, on ne s’est pas servi des naissances pour déterminer ces catégories, afin de ne pas introduire de sélection liée à la fécondité.
54Après élimination des fiches défectueuses, notre échantillon compte :
– 79 familles complètes,
– 165 familles incomplètes,
– 379 familles inconnues.
55C’est la cohérence qui se dégage de tous les calculs qui vont suivre, qui constitue la meilleure preuve de la validité des données de notre échantillon. Quelques recoupements permettront de l’illustrer de façon saisissante11. On notera aussi la régularité de certains phénomènes, comme celui du taux de stérilité selon l’âge des femmes. Certaines caractéristiques sont de véritables tests : proportion des sexes à la naissance, proportion des accouchements multiples, etc. Signalons encore la vraisemblance du mouvement saisonnier des premières naissances, de l’ensemble de celles-ci et des mariages. D’autres caractéristiques sont tout à fait conformes à ce que l’on sait de ces phénomènes dans d’autres populations : diminution de la fécondité avec l’âge de la mère, âge moyen de la mère à la naissance des enfants, etc.
56Voilà autant de raisons de croire que les sources dont nous avons pu bénéficier et la méthode que nous avons employée, présentent un degré de validité largement suffisant, en général ; cela ne dispense tout de même pas d’une certaine prudence dans l’interprétation des résultats.
Notes de bas de page
1 Nous savons cependant que M. Louis HENRY, de l’Institut national d’études démographiques, fait en ce moment une étude à peu près identique pour le village de Crulai, en Normandie.
2 Le travail de TANGUAY a été poursuivi et révisé par l’Institut généalogique DROUIN, à Montréal. Cet institut vient d’entreprendre la publication d’une série de volumes devant contenir la généalogie mise à jour des familles canadiennes françaises.
3 Des recoupements ayant confirmé l’exactitude de la date de naissance de ces enfants, il s’agit donc très probablement d’erreurs d’attribution de ces enfants à leurs véritables parents.
4 Dans les volumes II, III, IV, V, VI, et VII, on a commencé respectivement aux pages 2, 5, 2, 6, 6, 4.
5 Premiers, c’est-à-dire ceux qui étaient, pour le mari, le premier de sa vie.
6 Nous emploierons indifféremment, au cours de cette étude, les mots "ménage" et "famille" ; les deux termes seront interprétés comme désignant un couple et ses enfants s’il y en a.
7 L’indication d’un remariage ultérieur permet de savoir, à défaut de la date de sépulture, que les conjoints sont décédés l’un avant, l’autre après la date de ce remariage.
8 Pour une certaine proportion des fiches seulement.
9 Voir, dans le chapitre V, l’étude de la fécondabilité, pour la distribution des baptêmes. Pour celles des premières naissances concernant d’autres populations, voir Louis HENRY : "Etude statistique de l’espacement des naissances", Population, n° 3, 1950.
10 On rencontre en effet très peu de femmes ayant un enfant après l’âge de 50 ans.
11 Par exemple la concordance entre le taux de fécondité légitime générale des couples fertiles et l’intervalle intergénésique moyen.
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