Conclusion
p. 229-237
Texte intégral
1La mucoviscidose est une maladie ancestrale qui a connu une récente mise en lumière. Durant plusieurs siècles, le hasard et la fatalité ont été les seuls éléments explicatifs des décès en bas âge d’enfants au ventre ballonné, toussant et fiévreux. C’est sur la base de ces signes cliniques que la maladie a été nommée en 1944 par le docteur Farber. Son caractère héréditaire a, par la suite, été établi. La prise en charge s’est peu à peu organisée et l’espérance de vie des patients ne cesse d’augmenter. Dans les années 1980, avec l’avènement de la génétique, les causes microscopiques de ces symptômes ont été révélées, permettant de définir plus précisément la pathologie qui se conjugue, aujourd’hui, au pluriel. Dans le même temps, les progrès réalisés en matière de dépistage ont permis de repérer les enfants atteints, dès leur naissance, voire d’éviter la naissance ultérieure d’apparentés proches et malades.
2L’introduction de la génétique moléculaire dans la définition de la mucoviscidose a démontré que les maladies ne sont pas seulement liées aux mécanismes physiopathologiques, mais aussi à l’organisation biologique. Et c’est, précisément, le gène en tant que marqueur qui est à la base de cette recherche. Transmissible de génération en génération, il représente un patrimoine collectif, une archive qui parle de nous, mais aussi de nos ancêtres.
3En France, les porteurs sains du gène CFTR codant pour la mucoviscidose sont de plus en plus nombreux à mesure que l’on se dirige vers l’ouest du pays : un porteur sur 34 en France contre un sur 20 dans le Finistère. Bien souvent, les porteurs, s’ils n’ont pas eu de lien généalogique proche avec la maladie, ignorent leur statut génétique. En s’intéressant à cette population, il s’agissait de comprendre si les comportements sociodémographiques de leurs ancêtres pouvaient expliquer la fréquence et la répartition de la mucoviscidose aujourd’hui en Bretagne.
Une base de données exploitable
4Pour mener à bien les analyses, il s’est avéré nécessaire de restructurer et mettre à jour une base de données génétique et généalogique. C’est le fruit d’un travail collaboratif avec les familles, les centres de soins, les laboratoires de recherche en biologie moléculaire et les centres de généalogie. La base de données contenait, en janvier 2014, 1289 malades, 2 183 porteurs sains, 142 grands-parents non porteurs et plus de 265000 ascendants directs au statut non identifié.
5À visée pluridisciplinaire, elle peut fournir aux démographes, historiens, sociologues, mais aussi aux généticiens et biologistes de la population des champs d’expérience en grandeur réelle sur lesquels on peut observer, concrètement, l’action des forces et des mécanismes évolutifs ainsi que les effets qui en dérivent. Cette base est un outil unique qui mérite d’être développé et exploité à plus grande échelle. Les progrès dans le domaine de la recherche génétique, couplés au développement de l’informatique et des banques de données informatisées ouvrent de nouvelles perspectives d’application, y compris à des populations actuelles de grandes dimensions.
6Dans le cadre de cette recherche, et en parallèle à l’élaboration de la base de données, des outils d’exploitation ont été créés : cartes, descriptifs, calculs, tracés de liens de parenté. Ce sont eux qui permettent de donner un sens à cette masse de données, en retissant le lien entre le social et le biologique, entre hier et aujourd’hui.
7Et, dans cette démarche originale, la généalogie est apparue d’emblée comme une passerelle entre les disciplines, disciplines qui ont dû travailler ensemble pour répondre à une problématique commune : en quoi les comportements démographiques du passé expliquent-ils les caractéristiques et les niveaux de la maladie aujourd’hui ?
Une cartographie des lieux de vie des ancêtres
8En remontant les arbres généalogiques des porteurs sains, par mutation, une cartographie des lieux de vie des ancêtres communs aux porteurs a été dressée pour la première fois. Cette cartographie est riche d’enseignements.
9Elle a permis de mettre en exergue des bassins génétiques différenciés. Ainsi, on a situé les ancêtres communs des porteurs des mutations F508del et G551D dans les évêchés du Léon et de la Cornouaille. Une répartition territoriale différente se présente pour les ancêtres des porteurs de la mutation 1078delT où l’on trouve une forte concentration dans le Finistère-Sud et, notamment, dans les communes de la région de Plogonnec. Au niveau des ancêtres de la mutation 1717-1G > A, on peut avancer un effet fondateur dans le pays bigouden. En effet, tous les ancêtres des porteurs de cette mutation sont originaires des communes de Plouhinec ou Plozévet. Les ancêtres ayant le plus de porteurs de la mutation 4005+1G > A dans leur descendance, sont originaires d’Élliant. Le groupe des ascendants de la mutation W846X compte 4 généalogies de parents de 5 malades. Il n’a pas été trouvé d’ancêtre commun parmi les 1 624 ancêtres de ce groupe dont les ascendants vivaient surtout en Centre Bretagne autour de Coray, Scaër et Guiscriff. C’est à Plogonnec et Penmarch que l’on retrouve le plus d’ancêtres communs aux porteurs de la mutation N1303K. Le groupe des porteurs de la mutation G542X contient 3 généalogies pour 3 malades. C’est à Plestin-les-Grèves que vivent le plus d’ancêtres communs à ces porteurs, mais les couples qui ont le plus de porteurs dans leur descendance se répartissent aussi bien dans le Trégor qu’au Sud de la Cornouaille comme pour la mutation 1078delT. Les ancêtres communs du groupe G149R vivaient dans le Léon et le pays bigouden. Les 3 généalogies qui représentent le groupe des porteurs de la mutation 621+1G > T ont des liens de cousinages entre elles. C’est dans les Côtes-d’Armor, dans l’évêché de Saint-Brieuc, autour des communes de Plémy, Trébry et Meslin que l’on retrouve le maximum de leurs ascendants. La mutation I507del n’est portée, a priori, que par 2 parents de 3 malades en Bretagne. Ces porteurs sont apparentés par deux couples vivant à Gurunhuel et Louargat au xviie siècle. Tous leurs ascendants vivaient dans l’évêché de Tréguier. Les porteurs des autres mutations, pour qui des données généalogiques ont été recherchées, sont trop peu nombreux et hétérogènes, quant à la domiciliation géographique, pour trouver des ancêtres communs.
10En définitive, on note très clairement trois foyers : une population installée dans le Léon où l’on retrouve essentiellement des ancêtres de porteurs des mutations F508del et G551D, une autre installée en Cornouaille dans le cap Sizun et le pays bigouden (1078delT, 40 05+1G > A , N1303K , G542 X, G149R) et un troisième foyer dans le Trégor, au nord-ouest des Côtes-d’Armor (1078delT, G542X , 621+1G > T, I507del).
11Ces agrégations géographiques peuvent expliquer les fortes disparités locales des incidences actuelles. Cette distribution des individus indique aussi des sous-populations à risque.
12L’observation de foyers littoraux de concentration d’ancêtres des porteurs des mutations de la mucoviscidose pousse à évoquer une entrée maritime des mutations principales et non un refoulement de la population jusqu’aux limites terrestres du vieux continent.
13La proximité des données génétiques (G551D, G542X, 1078delT) vient renforcer l’hypothèse selon laquelle le patrimoine génétique des Bretons (des deux côtés de la Manche) a des similitudes et qu’il est le fruit d’un effet fondateur et d’une dérive génétique. La confirmation biologique de cette hypothèse pourrait probablement être donnée à la suite de cette recherche, par l’analyse des microsatellites pour les mutations concernées.
14En outre, cette cartographie peut sans doute renseigner sur la réalité historique et culturelle des évêchés en Bretagne. Les ancêtres communs des porteurs de la mutation F508del se situent essentiellement dans une zone qui paraît correspondre au territoire de l’ancienne civitas des Osismes, avant la territorialisation des évêchés de Léon et de Cornouaille (à l’époque carolingienne), et l’érection du siège épiscopal de Tréguier (autour de l’An Mil). En ce sens, ces différentes cartes intéressent grandement les historiens dont les sources se font rares jusqu’au ixe siècle. Dans son ouvrage D’une Bretagne à l’autre, le Pr Bernard Merdrignac a souhaité évoquer cette recherche sur la mucoviscidose (Merdrignac, 2012). Selon lui, les mythes d’origine sont parfois plus proches des conclusions de la génétique que des données hagiographiques. Les développements récents de la génétique moléculaire et de la démographie historique peuvent apporter un éclairage intéressant sur l’histoire du peuplement des Bretagnes situées des deux côtés de la Manche.
15Ainsi, on admet volontiers que la circulation des gènes est liée à celle des individus et que l’étude d’un marqueur génétique, comme celle des mutations du gène CFTR dans une population définie, renvoie aussi bien à l’étude des faits de nature biologique qu’à des phénomènes liés aux mouvements et aux structures sociales de la population.
16Mais il faut bien garder à l’esprit qu’on ne retrouve pas de correspondance absolue. En effet, la diffusion du patrimoine génétique est le fruit de la reproduction des êtres et de leur patrimoine culturel. Ainsi, l’impact d’un seul immigrant sur le patrimoine génétique de son groupe d’accueil peut être important si sa descendance est nombreuse. D’autres phénomènes sociaux peuvent avoir des effets multiplicateurs : les conséquences démographiques liées au mariage, la consanguinité et l’endogamie.
Âge au mariage et remariages pèsent dans la balance génétique
17Traditionnellement, le mariage a pour but de perpétuer la cellule familiale et son lignage par la procréation. En ce sens, l’union de deux individus, officialisée par le mariage, revêt une importance aussi bien sur le plan sociologique, que démographique ou encore génétique pour la descendance à venir.
18En France, « l’âge au mariage s’est élevé de façon continue entre le xvie siècle et le xviiie siècle. À la fin de la période, il est tardif aussi bien pour les hommes que pour les femmes, avec un âge moyen de 27-28 ans pour les garçons et de 25-26 ans pour les filles » (Beauvalet-Boutouyrie, 1999, p. 118). Dans les corpus, l’âge au mariage est resté relativement stable pendant 500 ans. En moyenne, l’homme se marie à 27 ans et la femme à 23 ans. Les mariages précoces des femmes ont eu pour conséquence d’allonger la période de fertilité du couple et une plus grande fécondité constatée en Bretagne. Ainsi, l’âge au mariage des femmes, de par ses conséquences sur la fécondité, peut être une explication sur la diffusion importante d’un gène récessif.
19En outre, veuvage puis remariage sont monnaie courante jusqu’au xxe siècle. Sur l’ensemble des remariages, soit 6 347 remariages renseignés dans la base de données, 62,5 % concernent les hommes contre 37,5 % les femmes. Au niveau de l’âge, 377 femmes se sont remariées après 40 ans contre 2155 hommes. Après 60 ans, 20 femmes se sont remariées contre 79 hommes. On peut ajouter que, malgré l’espérance de vie plus réduite des hommes, ces derniers se sont pourtant plus fréquemment mariés que les femmes après 60 ans.
20Ainsi, le nombre de remariages plus important chez les hommes et leur capacité à procréer plus longtemps, sont deux autres facteurs qui ont leur importance, en termes de reproduction, dans la balance génétique.
21En ce sens, on peut dire que l’âge au mariage des femmes ainsi que les remariages des hommes apparaissent comme deux variables clés en termes de fécondité, au croisement des problèmes démographiques et des questions génétiques.
Une consanguinité mythique
22Les unions entre apparentés, dites consanguines, représentent un aspect particulier du mariage. En ce qui concerne la mucoviscidose, elles sont souvent évoquées pour justifier sa fréquence en Bretagne. D’après nos calculs, aujourd’hui, la consanguinité n’intervient plus dans la population générale, comme facteur d’augmentation du niveau des risques, à partir d’un mariage au 4e degré, c’est-à-dire d’une union entre enfants de cousins dont les ancêtres communs se situent à la 4e génération. Sur les 490 malades dont la généalogie est complète sur au moins 4 générations, 7 sont issus d’une union entre cousins, petits-cousins ou arrière-petits-cousins (1,4 %). Autrement dit, la fréquence du nombre de malades atteints de mucoviscidose en Bretagne n’est pas due à des unions entre apparentés proches.
23En Bretagne, Martine Segalen a pu noter que « les mariages consanguins […] qui sont supposés caractériser le pays bigouden aussi franchement que la haute coiffe de ses femmes, sont numériquement faibles […] noués dans une consanguinité lointaine » (Segalen, 1985, p. 368). Lors de ses travaux sur la luxation congénitale de la hanche, c’est aussi le constat qu’avait fait Jean Sutter : « l’incidence des unions consanguines n’est pas plus élevée dans l’échantillon généalogique que dans la population générale » (Sutter, 1972, p. 137).
24La consanguinité est alors à considérer plus comme un phénomène d’endogamie géographique que comme un indicateur fondamental du système matrimonial. De même, au niveau des conséquences génétiques, il importe de distinguer entre la consanguinité proche qui augmente les risques d’être malade et les apparentements éloignés qui augmentent les risques d’être porteur.
Des cousins à la mode de Bretagne
25L’analyse des réseaux généalogiques a permis de vérifier qu’il existe des apparentements entre les porteurs partageant des caractéristiques génétiques identiques.
26Mais l’étude des généalogies a aussi permis de mettre en lumière le fait que les liens de cousinages sont également très fréquents dans l’ensemble de la base de données. Autrement dit, les cousins à la mode de Bretagne, ce n’est pas qu’une expression mais bien une réalité démographique. Les apparentements sont nombreux à partir de la 7e génération entre tous les porteurs, même ceux dont les caractéristiques génétiques sont différentes. Il faut donc être vigilant sur le raccourci fait entre apparentement et caractéristiques génétiques.
27D’une manière générale, la proportion des paires d’individus apparentés, partageant au moins un ancêtre en commun, augmente entre la 7e et la 11e génération. C’est dans le groupe des non-porteurs que l’on trouve le moins de paires d’apparentés ; à la 14e génération, 1 individu sur 10 est apparenté à un autre contre 2 dans le groupe 1078delT et près de 4 dans le groupe G551D.
28Ainsi, en Bretagne, les apparentements éloignés ont pu être déterminants dans l’expansion du gène CFTR et plus encore dans le Finistère, dans la mesure où celui-ci était déjà très présent dans la population. Malheureusement, on se heurte, ici, aux limites historiques des données et aux limites de la biologie moléculaire qui ne permettent pas de connaître la fréquence du gène CFTR aux siècles passés. En revanche, les cartographies élaborées ont montré de véritables agrégations géographiques par mutation. Ces territoires peuvent représenter un terrain propice au développement d’un gène délétère, en cas d’endogamie avérée de la population.
Une grande permanence sociale
29Dès que la mutation biochimique s’est produite sur un gène, ce sont des comportements sociaux presque banals qui sont responsables de la diffusion ou de la disparition de ce gène dans une population. Et c’est la concentration de personnes partageant le même allèle, dans un espace qui donne naissance à ce que l’on appelle un bassin génétique. Le bassin génétique d’une population, reflet de la diversité de ses origines et de son histoire, est fortement déterminé par sa dynamique démographique. Un faible rayon migratoire, une forte homogamie et des habitants présentant de nombreux liens généalogiques illustrent parfaitement la structuration de la population en un noyau stable. Ces ancêtres du bout du monde ont, en effet, connu plusieurs contraintes physiques et culturelles qui expliquent ce phénomène. Cet enracinement local a pour conséquence de réduire la diversification génétique par des apports extérieurs.
30Ainsi l’endogamie, plus que les mariages consanguins, tend à perpétuer le degré d’homogénéité génétique propre à cette population et à maintenir à un niveau relativement élevé le risque de certaines maladies génétiques comme la mucoviscidose et ce, jusqu’à une période récente.
Un avantage sélectif des porteurs sains
31Une autre hypothèse avancée pour expliquer le maintien d’un gène délétère est qu’il apporterait un certain avantage sélectif aux porteurs sains. Et plus le gène est présent dans une population, d’autant plus endogame, plus cet avantage est significatif. En effet, cette résistance aurait pour effet de répandre en plus grand nombre la fréquence du gène par la reproduction.
32D’après nos calculs, un avantage sélectif conféré aux porteurs sains pourrait expliquer le maintien de la fréquence des allèles pathologiques autour de 2 %. La survie due au hasard est donc à éluder. Différentes hypothèses de sélection naturelle face aux épidémies ou endémies ont été testées sans résultat probant. Dans la présente étude, l’avantage sélectif qu’aurait pu représenter le fait d’être porteur du gène CFTR a été testé lors de l’épidémie de typhus en 1776 à Kerlouan. Une égalité de mortalité des deux populations (base Généalogie et mucoviscidose contre base témoin) a été constatée ; autrement, dit le gène CFTR n’interviendrait pas dans le sens d’un avantage sélectif. Néanmoins, l’écart positif de l’âge moyen au décès, en faveur des ancêtres connus, permet d’envisager une plus forte résistance des porteurs face à d’autres maladies. Ainsi, le choix a été fait de prolonger cette recherche à une échelle temporelle plus large.
33Dans ce cadre, une étude comparative a été menée sur les conjoints du Finistère, mariés entre 1820 et 1840. L’écart d’âge moyen de décès est globalement de 5 ans entre la base Généalogie et mucoviscidose et la base témoin. On notera, aussi, que l’écart entre les hommes et les femmes est d’environ 4 ans dans les deux bases. Ce résultat pousse à évoquer l’hypothèse d’une différence due à la mortalité périnatale.
34De même, il serait intéressant de vérifier si cet écart s’est maintenu en période contemporaine sur des individus dont on sait qu’ils sont porteurs. En effet, les aléas de maladies, d’épidémies, de carences alimentaires auxquels sont confrontés les populations ne sont plus du tout les mêmes, et un avantage sélectif qui a pu servir, anciennement ne serait, actuellement, d’aucune utilité. Par ailleurs, ces évolutions sont très lentes et notre échelle historique est courte. L’étude mériterait d’être prolongée à une plus grande échelle, voire sur une population récente.
Hasard, coïncidence, prédestination
35Du côté des aïeux, la présence d’un gène associé à une forte fécondité, une population peu mobile, au marché matrimonial restreint, ainsi qu’un avantage sélectif des porteurs sains, permettent d’expliquer la fréquence et la répartition de la mucoviscidose à la pointe de la Bretagne aujourd’hui. En ce sens, cette recherche a démontré l’intérêt que des données historiques, matérialisées par des généalogies, peuvent apporter à la compréhension des processus de diffusion d’une maladie héréditaire sur une aire territoriale définie.
36L’existence de mutations locales spécifiques n’est pas due au hasard mais à l’histoire du peuplement de la région et aux comportements sociodémographiques des populations.
37Et aujourd’hui les coïncidences restent nombreuses. La mucoviscidose est toujours un héritage familial que l’on peut transmettre génétiquement car la structure de la population évolue peu socialement. En effet, les données démographiques actuelles montrent que la mobilité croissante, les métissages et la transformation des comportements familiaux n’ont pas gommé les spécificités génétiques de certaines populations.
38Au Québec, suite aux recherches sur l’effet fondateur, il a été démontré que les personnes dont les ancêtres proviennent du Saguenay-Lac-Saint-Jean ont une probabilité plus élevée d’être porteuses d’un gène défectueux pour l’une des cinq maladies héréditaires récessives suivantes : l’acidose lactique congénitale, l’ataxie récessive spastique de Charlevoix-Saguenay, la neuropathie sensitivomotrice héréditaire avec ou sans agénésie du corps calleux, la fibrose kystique et la tyrosinémie héréditaire de type 1. Pour ces personnes, la probabilité d’être porteur de l’une de ces maladies est élevée, même s’il n’y a jamais eu d’enfant atteint dans leur parenté ou leur famille immédiate. De fait, des tests de porteur pour quatre de ces maladies héréditaires récessives sont offerts aux personnes qui habitent au Saguenay1.
39En ce qui concerne la fibrose kystique, à l’automne 2009, il était question d’y joindre aussi un dépistage des porteurs sains. Depuis, Josée-Ann Moisan, coordinatrice des communications pour l’association Fibrose kystique Québec, a été interrogée. Elle a avancé qu’« il y a un test de dépistage qui se fait en clinique privée ou dans le système public. Le tout est une prise de sang […], suit une rencontre avec un spécialiste en génétique pour déterminer un arbre généalogique et l’incidence de la maladie dans la famille de la personne qui fait le test. […] Le grand public ne passe pas ce type de test, à moins qu’une personne ne reçoive le diagnostic dans la famille ou parmi des cousins. Il est gratuit avec la carte d’assurance maladie, mais coûteux pour le secteur privé. Habituellement, les personnes qui projettent d’avoir un enfant sont choisies en priorité. » (source : Fibrose kystique Québec, courriels des 20 et 21 avril 2011). Le test des porteurs sains du gène CFTR n’a pas fait partie du projet-pilote.
40Au Québec comme en France, seuls les apparentés peuvent bénéficier d’un test de dépistage. Or, par expérience, le Pr Claude Férec du laboratoire de génétique de Brest a pu remarquer que les apparentés proches (fratrie, neveux, nièces) se faisaient dépister, mais les apparentés éloignés (3 générations) ne se sentaient pas concernés.
41Ainsi, au niveau de la prédestination, la question reste posée. La prise de conscience du risque de transmission est avant tout fondée sur l’expérience familiale. Elle dépend de la manière dont une personne a vécu la maladie d’un membre de sa famille : son engagement, la souffrance vécue et partagée, le degré de proximité, la survenue d’un décès. La possibilité de recourir au test génétique dépend de la connaissance de cet héritage familial et du désir de l’apparenté. Et, s’ils n’ont pas eu de liens généalogiques visibles avec la maladie, puis de confirmation moléculaire, les porteurs sains ignorent leur statut génétique. Il y a aujourd’hui en France près de deux millions de porteurs sains de gènes mutés de la mucoviscidose qui s’ignorent. Or, c’est par eux que se transmet la pathologie. Dans ce genre de maladie où il y a des traitements, mais pas de guérison possible, la prévention prend toute son importance : si une personne a connaissance de malades dans sa famille et qu’elle souhaite avoir des enfants, elle peut se faire dépister afin de connaître son statut, ainsi que celui du conjoint. Deux porteurs sains ont un risque sur quatre d’avoir un enfant malade. Chacun doit être en mesure de faire un choix éclairé, en toute connaissance de cause et cela pour éviter d’avoir cette question lancinante : pourquoi ne me l’a-t-on pas dit avant ?
42Au-delà du travail de recherche, il semble opportun de restituer les résultats aux familles intéressées et d’analyser avec elles leurs représentations de la transmission des gènes. En effet, la prévention passe, aujourd’hui, par le dépistage des porteurs sains, d’où l’importance de la communication familiale auprès des parents et grands-parents.
43Lors de la présente étude, une simulation de diffusion des gènes a été réalisée. Elle consiste à utiliser les réseaux généalogiques tels qu’ils ont été reconstitués, et qu’ils s’enchevêtrent, et à poser statistiquement un coefficient et une mutation à chaque individu. Plus l’individu et la mutation sont présents dans les ascendances, plus le coefficient augmente en proportion. Bien sûr, la contribution génétique ne peut être mesurée qu’en termes probabilistes. La pondération exercée par l’approche génétique et générationnelle donne, néanmoins, l’idée la plus juste du poids génétique de chaque ancêtre. Comme la probabilité sur 100 générations sans recoupement tend vers 1, toutes les valeurs au-dessus de 1 sont dues aux recoupements par des ancêtres communs et amplifiées par le niveau de génération où on les trouve. Ces calculs ont été automatisés afin de pourvoir répondre à une question primordiale dans les familles : d’où vient le gène ? Pourquoi suis-je porteur de cette mutation ?
44Cette recherche a donné lieu à des réunions avec les familles pour leur faire part des résultats de l’étude. Au cours de ces réunions, il a été proposé de remettre gracieusement, après signature d’un consentement, un arbre généalogique à toute famille qui en ferait la demande. Ainsi, les personnes qui ont fait partie de l’étude peuvent obtenir, sur demande, le résultat de cette simulation, mais aussi la liste de leurs ascendants, la cartographie des lieux de mariage des ancêtres, la carte des patronymes montrant les lieux où ceux-ci sont les plus représentés et un résumé de la thèse (annexe 15).
45Informer les familles sur le caractère héréditaire et local de la maladie est primordial car c’est par elles que peut passer la prévention. En effet, permettre aux porteurs du gène CFTR de connaître leur statut génétique et de se situer dans un réseau généalogique, de remettre les histoires individuelles et douloureuses dans une perspective régionale et historique, c’est apporter un élément supplémentaire à la compréhension et au traitement de la mucoviscidose.
46En effet, une meilleure information place le sujet comme acteur de la maladie, en lui donnant les moyens de prendre les décisions nécessaires (sur ses unions et sa descendance) afin d’éviter la transmission.
47Enfin, la base de données de généalogies, ainsi que les modèles d’analyse, pourraient être extrapolés à d’autres maladies héréditaires ou à composantes génétiques, comme l’hémochromatose ou la luxation congénitale de la hanche, dans d’autres régions françaises, voire dans d’autres pays.
Notes de bas de page
1 www.santesaglac.gouv.qc.ca/genetique/offre_tests.html.
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