Chapitre 9
La diffusion des mutations par l’avantage sélectif
p. 213-227
Texte intégral
1En général, un allèle qui confère un désavantage en termes de survie a tendance à disparaître. En effet, si les homozygotes meurent jeunes, sans descendance, la fréquence de l’allèle défavorable diminue dans la population. On appelle alors avantage sélectif un caractère héréditaire présent chez un individu qui lui permet de mieux survivre et donc de se reproduire plus que les autres, transmettant cet allèle à sa descendance.
2Dans la présente étude, il a semblé intéressant de vérifier qu’il existe bien un avantage en termes de survie à être porteur d’une mutation du gène CFTR. Nous analyserons quelques causes possibles à cette résistance. Et enfin, nous essayerons de répondre à la question : les porteurs sains vivent-ils plus vieux ?
I. Le solde naturel
1. Un excédent de population
3L’expansion d’un gène, en territoire endogame, peut être développée par un solde naturel positif. Cet excédent naturel de population est la différence entre le nombre de naissances et le nombre de décès enregistrés au cours d’une période. Les mots « excédent » ou « accroissement » sont justifiés par le fait, qu’en général, le nombre de naissances est supérieur à celui des décès.
4Le tableau 31, présenté par Louis Élégoët, fait apparaître les spécificités de mouvements naturels de population dans les années 1820.
5Les taux élevés de mortalité s’expliquent, surtout, par la virulence de certaines épidémies, ainsi que par les famines et les disettes. Sévissent essentiellement des épidémies de typhus, de variole, de choléra et de dysenterie. La « maladie de Brest », désignation populaire du typhus, exerce ses ravages depuis le milieu du xviiie siècle. Elle se montre particulièrement meurtrière en 1818, de 1821 à 1823, en 1826-1827…
Tableau 31. Mouvements naturels de population entre 1823 et 1832 (p. ‰)

Source : Élégoët et Le Clech, 2006, p. 77.
6C’est ainsi qu’en 1818, le taux de mortalité atteint les 57 ‰ à Plounévez-Lochrist. On y compte 207 décès, cette année-là, alors qu’entre 1803 et 1832, leur moyenne annuelle est de 115.
7L’histoire démographique du Léon rural se distingue de celle de la France et de la Basse-Bretagne à plusieurs points de vue. Outre que la densité y est sensiblement plus forte, elle se caractérise par un mouvement de départs qui apparaît nettement plus tôt que dans l’ensemble de la Basse-Bretagne. Si le taux de mortalité léonard est généralement plus élevé que celui de l’ensemble de la France, son taux de natalité reste important jusqu’à la fin des années 1930. Quand, à partir de la fin des années 1940, la natalité tend à s’aligner sur celle de la France et que l’exode rural se fait plus massif, la dépopulation de nombreuses communes léonardes est telle qu’il faudra attendre quelques décennies avant qu’elles ne parviennent à conjurer l’effondrement de leur population (Élégoët et Le Clech, 2006).
8Au niveau de la mortalité infantile (0-1 an), qui échappe à l’analyse du fait même de la nature des données, Roger Leprohon a relevé des taux importants (228 ‰ à Pleyber-Christ de 1693 à 1699, Sizun 307 ‰ de 1705 à 1724 par exemple). Après le lourd tribut payé à la mort par les nourrissons, il note que le sort des enfants de 1 à 5 ans est meilleur. Il se situe entre 140 ‰ et 170 ‰ (Leprohon, 1984, p. 122).
9Plus récemment, en analysant la carte de la mortalité infantile entre les deux guerres (période 1931-1935), Yves Blayo a fait remarquer que deux régions sont particulièrement marquées : la Bretagne et l’Auvergne. Et, plus que de la mortalité liée à des accidents obstétricaux ou à des malformations congénitales, il s’agit d’une surmortalité exogène des premières semaines de la vie que l’on peut attribuer, d’après lui, à des affections des voies respiratoires survenant principalement l’hiver (Blayo, 1967).
10En effet, ces taux élevés de mortalité infantile sont souvent attribués à la faiblesse de l’encadrement médical rural, à l’absence d’hygiène et de confort des habitations paysannes et ensuite, aux mariages consanguins.
11Comme il a été prouvé, les mariages consanguins sont faibles. Une partie de cette mortalité exogène pourrait être due à des enfants décédés de mucoviscidose.
2. L’avantage des porteurs sains
12Au-delà de la mortalité infantile, l’une des hypothèses avancées pour expliquer le maintien d’un gène délétère est qu’il apporterait un certain avantage aux porteurs sains.
13Cet avantage a été retrouvé, par exemple, chez les personnes atteintes de drépanocytose, le fait d’être porteur du gène HbS atténue l’expression et la gravité du paludisme : le parasite vecteur de cette maladie – le Plasmodium falciparum – qui détruit les globules rouges, ne parvient pas à se développer en présence d’hématies falciformées. Ainsi, dans les régions impaludées, les porteurs en un exemplaire du gène de la drépanocytose présentent un avantage adaptatif (Bellis, 1998).
14Ce mécanisme a pu jouer, ou joue encore, pour la mucoviscidose. La fréquence de cette maladie est trop élevée pour que les mutations à l’état hétérozygote aient pu compenser la perte de gènes m entraînée par la mort des enfants homozygotes (mm). Certes, de telles mutations se produisent parfois, mais leur fréquence est toujours extrêmement faible. On cherche donc à expliquer le maintien de la fréquence de m au niveau de 2 % que l’on peut constater.
15Cette fréquence résulte très probablement d’un avantage des porteurs sains (sous la forme, par exemple, d’une meilleure résistance à certaines maladies). Ainsi, un avantage très faible, si faible que sa mise en évidence directe serait impossible, suffirait cependant à expliquer cette fréquence. Autrement dit, cette hypothèse ne peut donc être pour l’instant ni prouvée ni réfutée.
16Mais elle permet d’expliquer qu’en vivant plus longtemps, les hétérozygotes, se reproduiraient plus et seraient ainsi à l’origine d’une fréquence élevée d’homozygotes.
II. La vérification de l’avantage sélectif en milieu endogame finistérien
1. Calcul de l’avantage sélectif, modèle théorique
17Existe-t-il un avantage à être porteur sain du gène CFTR délétère à l’état d’homozygote ? Afin de comparer les répercussions au niveau territorial, le choix a été fait de mesurer cet avantage en France, en Bretagne et dans le Finistère. Dans un premier temps, les différentes fréquences ont été calculées par région et par statut génétique pour l’année 2011 (tableau 32). La fréquence des malades est fournie par l’AFDPHE pour la France (AFDPHE, 2012, p. 70) et par le laboratoire Inserm de Brest (U1078), pour la Bretagne et le Finistère. Le nombre d’habitants est celui estimé au 1er janvier 2011 en France métropolitaine par l’Insee.
Tableau 32. Fréquences calculées, par statut génotypique et territoire* pour l’année 2011

* On considère ici que le gène CFTR ne comporte que deux allèles (M et m) alors que l’on sait qu’il existe plus de 1 993 mutations. Il s’agit donc d’une simplification par rapport à la réalité génétique de la mucoviscidose.
Source : calculs de l’auteur.
18En France, l’incidence de la mucoviscidose est de 1/5 329. La fréquence allélique q de l’ensemble des mutations est alors de : 0,01369.
19Face à ces résultats, on se rend compte qu’il est difficilement compréhensible qu’un tel allèle, létal, puisse encore demeurer à un niveau de fréquence de 1,37 % à 2,55 % et que le taux de porteurs puisse atteindre près d’un individu sur 20.
20« En effet, dit Jean-Louis Serre, si aujourd’hui la fréquence de l’allèle pathogène est égale à 2 %, il faudrait supposer qu’elle était égale à 4 % il y a 25 générations, soit 500 ans, puis à 8 %, 250 ans plus tôt, à 16 %, 125 ans plus tôt ce qui devient vite une solution impossible. » (Serre, 2006, p. 226.) Or, la dérive génétique ne peut pas hisser la fréquence à des valeurs comme 16 % si la population n’est pas très petite.
21En partant du postulat qu’une génération représente 25 années, pour réduire la fréquence allélique à 1 % en France, il faudrait 73 générations [1/q(m)], soit près de 1 827 années. Dans le Finistère, 39 générations suffiraient pour réduire la fréquence allélique à 1 %, soit 981 ans.
22Cet avantage théorique peut être calculé statistiquement. À titre d’exemple, le calcul sera fait pour la France puis, dans le tableau 33, les données seront présentées pour la Bretagne et le Finistère.
23Ainsi, on attribue aux porteurs sains (Mm) un coefficient de sélection : S2 = 0.
24Cela signifie que l’on considère que q(m) atteint une fréquence d’équilibre, ce que l’on écrit par ^q.
25Comme la sélection contre les homozygotes malades (mm) est maximale (puisque la maladie est létale), on leur attribue un coefficient de sélection : S3 = 1.
26On peut, à présent, déterminer la sélection qui s’exerce contre les homozygotes sains (MM), c’est-à-dire le coefficient de sélection :
S1= ^q S3/1-q = 0,0138.
27Au total, la valeur sélective des hétérozygotes (Mm) par rapport aux homozygotes (MM) est égale à : 1−S2/1− S1=1,0139.
28Ce résultat signifie que les hétérozygotes (Mm) sont avantagés par rapport aux homozygotes (MM) (puisque l’on a un facteur multiplicateur de 1,...) et que cet avantage est de l’ordre de : 0,0139 x 100 = 1,39 %.
29Pour une génération donnée, en France, ceci est à comprendre ici comme un avantage de 1,39 % environ qu’ont les hétérozygotes (Mm) par rapport aux homozygotes (MM) à transmettre leur patrimoine génétique à la génération suivante.
Tableau 33. Calcul de l’avantage sélectif des hétérozygotes (Mm) en France, en Bretagne et dans le Finistère

Source : calculs de l’auteur.
30En Bretagne, l’avantage serait de 2,08 % ; et dans le Finistère, les proportions augmentent encore puisque l’avantage calculé est de 2,67 %.
31La dérive génétique étant exclue, tout comme un effet fondateur récent, un avantage sélectif conféré aux porteurs sains (Mm) pourrait expliquer le maintien de la fréquence des allèles récessifs autour de 2 %. En effet, cette résistance aurait pour effet de répandre en plus grand nombre la fréquence du gène par la reproduction.
2. Hypothèses sur les causes de cet avantage
32Aux États-Unis, une recherche a été menée sur l’hyperfertilité des hétérozygotes (Jorde et Lathrop, 1988). Cette fécondité différentielle a été testée par une analyse de cohorte. 143 couples de grands-parents d’au moins un enfant malade de la mucoviscidose ont été sélectionnés et comparés à 20 autres issus des données généalogiques de l’Utah. L’hypothèse de départ a été rapidement réfutée.
33Néanmoins, en démographie génétique, Frédéric Austerlitz et Évelyne Heyer ont démontré que la taille des familles peut expliquer l’observation des fréquences élevées de certaines maladies héréditaires au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Or, le nombre d’enfants dépendrait d’une transmission sociale des comportements démographiques (Austerlitz et Heyer, 1998).
34Par ailleurs, des résistances à certaines maladies infectieuses ont été proposées comme étant la cause de l’avantage conféré aux hétérozygotes, porteurs sains du gène responsable de la mucoviscidose.
35Dès 1967, en basant leurs observations sur une étude clinique, Anderson et al. ont émis l’hypothèse d’un avantage sélectif et d’une résistance possible à la tuberculose (Anderson, 1967). En 1987, cette probabilité a été écartée suite aux résultats de l’étude menée par Meindl (Meindl, 1987).
36L’immunisation face à la grippe a été testée en 1979 par Shier et rapidement abandonnée (Shier, 1979).
37La toxine du choléra ayant besoin de la protéine CFTR pour fonctionner correctement, des auteurs ont proposé l’hypothèse que les porteurs hétérozygotes du gène CFTR bénéficient d’une résistance accrue vis-à-vis du choléra ou d’autres formes de diarrhées infectieuses (Gabriel et al., 1994). Mais cette hypothèse n’a pas été confirmée par la suite (Hogenauer et al., 2000). Et, bien qu’il s’agisse d’une maladie décrite depuis près de 2 500 ans, le choléra n’a atteint l’Europe que dans les années 1820 (Bourdelais et Raulot, 1987).
38L’entrée de Salmonella enterica typhi, agent responsable de la fièvre typhoïde dans les cellules, nécessite la présence de protéines CFTR normales, ce qui pourrait faire penser que les porteurs d’un gène mutant puissent être protégés contre la typhoïde. Les expériences menées sur la pénétration de cette bactérie dans des cellules intestinales de souris transgéniques ont permis de montrer que Salmonella enterica typhi pénètre plus difficilement dans les cellules présentant la protéine CFTR mutée (Pier et al., 1998). Lorsque S. typhi leur est administrée par voie orale, on constate que l’efficacité de la pénétration de la bactérie dans les cellules intestinales dépend de la présence ou de l’absence de l’allèle muté. Chez les homozygotes, en ce qui concerne l’allèle normal, de très nombreuses cellules intestinales sont infectées. La présence de l’allèle en un seul exemplaire chez les hétérozygotes conduit à une diminution de 86 % de la pénétration tandis que sa présence en deux exemplaires chez l’homozygote empêche la pénétration de la bactérie.
39Ainsi, si les résultats obtenus chez les souris transgéniques sont transposables à l’espèce humaine, cela signifie que la présence du gène CFTR, à l’état hétérozygote, confère une certaine résistance à la pénétration de S. typhi dans les cellules intestinales et donc à la typhoïde. Cette hypothèse pourrait être vérifiée sur un corpus généalogique.
40Plus récemment, les résultats d’une étude italienne ont été publiés ; ils portent sur la corrélation possible entre la mucoviscidose et l’intolérance au lactose (Modiano et al., 2007).
41D’autres auteurs, sur la base de modèles génétiques, démographiques et épidémiologiques, ont fait remarquer que les épidémies de choléra ou de fièvre typhoïde n’avaient pas pu exercer assez de pression sélective pour donner les chiffres actuels de prévalence de la mutation mais qu’en revanche la tuberculose a pu exercer une telle pression (Poolman et Galvani, 2007).
42Il semblerait qu’aucune recherche n’ait été faite sur le typhus. D’un point de vue démographique, il s’agira donc de tester l’avantage sélectif qu’aurait pu représenter le fait d’être porteur du gène CFTR en cas d’épidémie de typhus. L’étude se fondera sur les registres paroissiaux (BMS) de Kerlouan.
3. L’exemple de l’épidémie de typhus en 1776 à Kerlouan
43Le typhus est une maladie infectieuse due à des bactéries appartenant au genre Rickettsia. Le typhus exanthématique, ou typhus européen à poux, encore dit typhus historique, est transmis à l’homme par la piqûre ou les déjections du pou, animal vecteur, à partir d’un homme porteur de la rickettsie. C’est une maladie grave, jadis mortelle, responsable d’épidémies meurtrières lors d’importants regroupements humains dans des conditions d’hygiène défectueuses. Les mesures sanitaires ont considérablement réduit la fréquence de cette affection, aujourd’hui rare, mais néanmoins susceptible de se développer de nouveau.
44Introduit à Brest par des marins à partir de 1730, puis surtout en 1757-1758, le typhus devient quasi endémique en Bretagne. À Kerlouan, les décès passent d’une moyenne annuelle de 80 à 143 en 1774 et 233 en 1776. À Plounéour-Trez, village très proche, on passe de 60 décès à 105 en 1776, 128 en 1777 et 137 en 1779.
45L’objectif, avec Hervé Baudy, bénévole au centre de généalogie du Finistère, est de comparer une série générale d’individus, issue des registres paroissiaux, à une série généalogique d’ancêtres de patients atteints de mucoviscidose et mentionnés dans la base Généalogie et mucoviscidose, en ce qui concerne les décès, et cela, au moment où l’épidémie de typhus est la plus meurtrière, c’est-à-dire 1776.
46D’un point de vue méthodologique, une base de référence a été construite. Elle se scinde en 3 sous-bases :
La liste des mariages de Kerlouan de 1756 à 1775, soit 410 mariages et donc 820 conjoints ;
La liste des mariages de la même période tirés de la base Généalogie et mucoviscidose, et comprenant 104 couples, 208 conjoints ; cette base est, bien entendu, une partie de la base 1), dans laquelle les probabilités que les individus soient porteurs est plus forte ;
La base témoin diminuée de la base 2), dans laquelle la probabilité de porteurs est plus faible.
47Ces données ne représentent pas l’ensemble de la population, mais uniquement les personnes mariées, donc de plus de 20 ans à la date du mariage. La mortalité antérieure à 20 ans (environ la moitié des individus à cette époque) n’est donc pas abordée.
48Les informations renseignées sont les dates de décès et l’âge au décès. On prendra, malgré les approximations des registres paroissiaux, l’âge indiqué par le registre, sauf pour quelques cas manifestement exagérés, où la date de naissance sera recherchée (ex : « 105 ans » annoncé, « 88 ans » réellement).
49Les décès de 1776, année du pic du typhus, seront attribués à cette maladie, sans certitude, évidemment, mais il y a de bonnes chances qu’une personne de 30-40 ans décédée en 1776 à Kerlouan ou à proximité le soit du typhus. On gardera dans cette base brute, les décès de 1776 hors Kerlouan (tableau 34).
Tableau 34. Nombre de décès en 1776 dans la base de référence

* pourcentage calculé par rapport au nombre de personnes de la base dont la date de décès est connue.
Source : CGF et base de données Généalogie et mucoviscidose.
50La généalogie ayant ses limites, le taux de décès trouvés est d’environ 80 %. Les individus non renseignés seront exclus naturellement des calculs. Il reste aussi le problème des décès hors Kerlouan : certes, l’épidémie a sévi dans toute la région, et les conditions face à la maladie sont relativement identiques dans tout le secteur proche de Kerlouan, mais il se pourrait qu’un biais soit introduit par ces décès hors Kerlouan.
51Une base de contrôle servira de comparaison (tableau 35). Les mêmes statistiques y seront appliquées mais cette base contient uniquement les décès sur Kerlouan, et quelques décès extérieurs après 1776, quand le conjoint aura vécu principalement à Kerlouan. Cette base ne comporte plus que 281 couples, contre 410 en base brute.
Tableau 35. Nombre de décès en 1776 dans la base de contrôle (décès à Kerlouan uniquement)

* pourcentage calculé par rapport au nombre de personnes de la base dont la date de décès est connue
Source : CGF et base de données Généalogie et mucoviscidose.
52On remarque la similitude des résultats entre les deux bases. Les taux sont légèrement supérieurs dans la base de contrôle ; ce qui est logique, puisque le pic d’épidémie a eu lieu en 1776 à Kerlouan, et un peu décalé dans les communes voisines. Autrement dit, il n’y a pas d’écart face au typhus dans les deux bases donc le gène CFTR n’interviendrait pas, tout au moins dans cet exemple, dans le sens d’un avantage sélectif.
53Néanmoins, l’âge moyen au décès est apparu dans le tableau 36 comme significatif, d’autant plus que la structure des populations est identique.
Tableau 36. Âge au décès dans la base de référence

Source : CGF et base de données Généalogie et mucoviscidose.
54À la suite de ces calculs, on se rend compte que les ancêtres des malades de la mucoviscidose ont un âge moyen au décès supérieur à 2,5 années, soit près de 4 ans pour les hommes et un an pour les femmes par rapport aux autres individus.
55Sur la base de contrôle, l’avantage est toujours en faveur des ancêtres connus de la base Généalogie et mucoviscidose : décès retardés de 1,75 ans pour les hommes et 6 mois pour les femmes.
56Il est à noter qu’au fur et à mesure que l’étude progressait dans le temps, de 1756 à 1775, l’écart se modifiait : d’abord plus favorable aux femmes, puis aux hommes, mais toujours avec un écart positif en faveur des ancêtres des malades de la mucoviscidose.
57L’étude semble montrer une égalité de mortalité dans les différentes bases face au typhus. En revanche, l’écart positif de l’âge moyen au décès en faveur des ancêtres connus pourrait être le reflet d’une plus forte résistance des porteurs face à d’autres maladies que le typhus.
III. Les porteurs sains vivent-ils plus vieux ?
58Comme il a été démontré par le calcul, la théorie montre que si la fréquence de la mucoviscidose est encore importante aujourd’hui et ce, malgré le handicap d’une mortalité plus forte dans les premières années de la vie, c’est que les porteurs sains devaient avoir un avantage sélectif par rapport aux aléas communautaires et environnementaux : maladies, épidémies... Ils présenteraient un meilleur taux de survie et donc une plus longue longévité, ce que l’on peut vérifier en prenant appui sur la base généalogique des ancêtres de malades.
1. L’âge moyen au décès
59L’étude comparative, réalisée sur Kerlouan à propos de l’épidémie de typhus de 1776, a conclu à une égalité de mortalité des deux populations (base Généalogie et mucoviscidose et base témoin) en 1776 ; par conséquent, le fait d’être porteur sain ne procurait pas d’avantage face au typhus.
60Cependant, à l’occasion de cette recherche, il a été constaté une disparité d’âge moyen de décès entre les deux bases : 56,7 ans sur la base témoin, contre 59,1 pour la base Généalogie et mucoviscidose (hommes 58,3/62,2, femmes 55,1/56,2). Mais cette étude, assez limitée en nombre (191 individus de la base Généalogie et mucoviscidose) et géographiquement (Kerlouan) pouvait introduire un biais local et avait une fiabilité statistique moyenne, trop faible pour en tirer des conclusions générales.
61De fait, une recherche d’une portée plus générale a été mise en place, à savoir, une étude comparative sur les conjoints du Finistère mariés entre 1820 et 1840. L’objectif était de prendre dans la base Généalogie et mucoviscidose une période pour laquelle :
La recherche des dates de naissance et décès soit assez facile (la base Généalogie et mucoviscidose comporte principalement les dates de mariage) ;
Les « pics » de décès, correspondant à des épidémies, ou des restrictions alimentaires sont limités ;
L’impact des guerres n’est pas trop fort.
62La période des mariages entre 1820 et 1840, répondant assez bien à ces critères, a été choisie. Elle correspond à des durées de vie couvrant le xixe siècle, en évitant pour les individus masculins les guerres de l’Empire (trop jeunes) et celle de 1870 (trop vieux). Toutefois quelques décès en Crimée seront écartés, ainsi que des marins péris lors de naufrages.
63L’échantillon a dû être limité aux mariages du Finistère : en effet, les relevés généalogiques des Côtes-d’Armor et du Morbihan y sont moins renseignés, et ne permettent pas de retrouver aisément les dates de naissance et décès.
64La base Généalogie et mucoviscidose contient 6 187 individus mariés entre 1820 et 1840. Par tirage aléatoire (fonction « ALEA » sur Excel), un numéro a été attribué à chaque individu. Les individus ont été classés par ordre de numéro et les 1 000 premiers ont été retenus (tirage au 1/6) pour faire partie de l’échantillon de l’étude. Ont été conservés les mariages ayant eu lieu dans le Finistère, pour des individus nés à partir de 1790, en excluant des mariages tardifs ou remariages d’individus nés avant 1790, et donc soumis à des situations pouvant être différentes. Ont été retenus au final 587 individus sur 3 761 conjoints finistériens pour lesquels seront recherchées les dates de naissance et de décès, ce qui donnera, compte tenu des lacunes dans les bases généalogiques, 473 individus complètement renseignés en naissance et décès. Soit un échantillon supérieur à 12 %.
65N’oublions pas que la base Généalogie et mucoviscidose est constituée d’ancêtres de patients contemporains connus. Elle est donc plus fournie à mesure que l’on remonte les générations, en même temps qu’elle se concentre géographiquement vers des communes « fondatrices ». Étant composée d’ancêtres directs des patients, elle ne contient que des individus qui ont laissé une descendance ; par conséquent, ayant atteint l’âge de se marier, soit autour de 25 ans pour cette époque. La mortalité antérieure ne pourra être appréhendée, et l’on sait qu’elle était encore très importante au xixe siècle (plus de 40 % avant 20 ans dans la première moitié du xixe siècle).
66Cette base, lorsqu’on en prélève une « tranche » (ici les individus mariés entre 1820 et 1840), ne fournit, en aucun cas, une représentation de la population finistérienne de cette époque. En effet, la base a commencé sa concentration géographique vers les communes fondatrices, presque toutes situées sur le littoral. D’ailleurs, on y trouve très peu d’individus de grandes ou moyennes villes (Brest, Quimper, Morlaix...) où le brassage génétique a été plus fort. À l’inverse, certaines petites communes sont surreprésentées. Aussi, l’échantillon de la base Généalogie et mucoviscidose est-il le reflet de cette concentration particulière : il comporte, par exemple, 30 individus mariés à Cléder, 13 à Plouguerneau, 12 à Roscoff, contre 5 à Brest, 0 à Quimper et Morlaix (annexe 12).
67Le but de cette étude est de comparer la mortalité au sein d’un échantillon de la base Généalogie et mucoviscidose avec un échantillon de population témoin ne comportant pas d’ancêtres connus de patients contemporains.
68L’échantillon témoin est présent dans la base Récif du CGF (plus de 7 millions d’actes relevés). Mais il importe, obligatoirement, que les individus des deux groupes répondent à des critères identiques : un homme marié en 1828 à Cléder, issu de la base Généalogie et mucoviscidose (donc avec une probabilité d’être porteur) doit être comparé à un homme issu de la base témoin Récif, marié en 1828 à Cléder, et non présent dans la base Généalogie et mucoviscidose (donc avec une moindre probabilité d’être porteur). Ces deux individus auront vécu au même endroit, à la même époque et auront été soumis aux mêmes contraintes de maladie, d’épidémies, de régimes alimentaires, de mode de vie...
69On ne peut donc sortir au hasard de la base témoin un échantillon, il faut, obligatoirement, utiliser la méthode des quotas, et composer cet échantillon général de manière strictement identique à l’échantillon issu de la base Généalogie et mucoviscidose, individu pour individu (même sexe, même lieu et date de mariage).
70Ainsi le premier individu à rechercher est un homme marié en 1837 à Argol. Il serait possible de le tirer au hasard dans la liste des mariages célébrés en 1837 à Argol ; mais la base Récif, ne permet pas ce genre de requête. Il faut procéder de manière différente, tout en conservant un tirage aléatoire dans les « mariages 1837 Argol ». La méthode choisie est de sélectionner par le prénom. Le premier Jean marié à Argol en 1837, et ne faisant pas partie de la base Généalogie et mucoviscidose sera sélectionné : Jean Torillec.
71Le processus de sélection est le suivant : chaque individu de l’échantillon issu de la base Généalogie et mucoviscidose ayant défini le sexe, lieu et année de mariage :
requête sur la base Récif des mariages au lieu donné pour l’année N où le marié se prénomme Jean ou la mariée Marie, selon le sexe recherché (ou un prénom composé Jean+ ou Marie+) ;
le premier conjoint de la liste est choisi ;
il est vérifié que l’individu ne se trouve pas dans la base Généalogie et mucoviscidose, ou est né avant 1790. Si c’est le cas, l’individu suivant dans la liste est sélectionné ;
s’il n’y a ni Jean ou Marie dans les mariages pour ce lieu et cette année, on modifie la requête avec une liste prédéterminée de prénoms (Jean, Yves, François... et Marie, Catherine, Françoise...) ;
si aucun mariage ne correspond (2 ou 3 cas), la même requête est faite pour l’année suivante.
72De cette manière les quotas et le tirage aléatoire sont respectés dans la confection d’un échantillon de la base témoin.
73Ensuite, on a calculé un âge moyen au décès selon le sexe dans les deux échantillons. Les âges au décès des deux bases ont été rassemblés dans une matrice indiquant le nombre de décès par âge et par sexe (tableau 37).
Tableau 37. Comparaison des âges moyens au décès

Source : CGF et base de données Généalogie et mucoviscidose.
74Au niveau des résultats, il faut bien garder à l’esprit qu’ils proviennent de la comparaison des deux échantillons des individus mariés entre 1820 et 1840, donc d’individus ayant atteint et dépassé l’âge de 20 ans, et échappé à la mortalité supérieure à 40 % avant 20 ans. Ces résultats ne peuvent en aucun cas s’appliquer à la population générale du Finistère.
75L’écart d’âge moyen au décès est globalement de 5 ans entre la base Généalogie et mucoviscidose et la base témoin (annexe 13).
76Cet écart, compte tenu de l’importance de l’échantillon, peut être considéré comme fiable et significatif. L’intervalle de confiance à 95 %, portant sur l’écart entre les deux populations, est issu du test de Welch (annexe 14).
2. Un écart selon le sexe
77On notera que l’écart entre les hommes et les femmes est d’environ 4 ans dans les deux bases. Ce résultat est très probablement dû à la mortalité périnatale. Si l’on s’intéresse aux données médianes, c’est-à-dire l’âge que les conjoints ont 50 % de chances de dépasser, l’écart entre les deux groupes est de 5 ans pour les femmes et de 6 ans pour les hommes, au profit de la base Généalogie et mucoviscidose. Par ailleurs, les deux bases présentent une similitude : à l’âge où 10 % des conjoints hommes sont décédés (figure 102), 20 % des conjoints femmes le sont en même temps (figure 103). Autrement dit, 10 % des hommes et 20 % des femmes sont décédés avant l’âge de 43 ans dans la base Généalogie et mucoviscidose et avant 38 ans dans la base témoin. On retrouve, ici encore, cet écart de 5 ans entre les deux bases. Les séries d’âges de décès des deux échantillons ont été soumis aux tests de Student-Welch et Wilcoxon-Mann Whitney (annexe 14). Les résultats montrent une très forte significativité avec un indice P-value qui la confirme1.
Figure 102. Pourcentage des hommes en vie selon l’âge et le groupe

Source : CGF et base de données Généalogie et mucoviscidose.
Figure 103. Pourcentage des femmes en vie selon l’âge et le groupe

Source : CGF et base de données Généalogie et mucoviscidose.
78La figure 104 représente l’écart en pourcentage d’individus vivants selon l’âge et le sexe entre les échantillons de la base Généalogie et mucoviscidose et ceux de la base témoin. C’est dans cet écart, en faveur de la base Généalogie et mucoviscidose, que se retrouve un avantage. On notera qu’à 79 ans, les décès sont plus nombreux dans la base Généalogie et mucoviscidose que dans la base témoin (annexe 13) d’où le pourcentage négatif (8,97 % base muco et 9,52 % base témoin soit – 0,56 %).
Figure 104. Avantage en pourcentage de la base Généalogie et mucoviscidose sur la base témoin selon l’âge et sexe

Source : CGF et base de données Généalogie et mucoviscidose.
79On constate, aussi, que pour les hommes, l’avantage commence nettement à croître à 30 ans, alors que pour les femmes, l’écart se creuse dès 24 ans et redevient égal à celui des hommes vers 37 ans. On peut, alors, s’interroger sur le lien entre cet avantage et les risques périnataux.
80On remarque un pallier autour de 10 % pour les deux sexes, entre 40 et 50 ans, avant une nouvelle augmentation jusqu’à 14 %, chiffre atteint à 57 ans pour les hommes et à 66 ans pour les femmes.
81Après ce dernier pic, et à compter de 70 ans pour les deux sexes, l’avantage tombe brutalement à un très faible pourcentage. Les chiffres après 80 ans, concernant un petit nombre d’individus, ne sont pas très significatifs.
82En ce qui concerne les hommes, les décès sont plus importants sur la base témoin jusqu’à 60 ans, puis deviennent alors plus importants sur la base Généalogie et mucoviscidose (figure 105). Le pic de décès a lieu dans les deux bases dans la tranche 70-74 ans.
Figure 105. Pourcentage des âges au décès des hommes selon le groupe

Source : CGF et base de données Généalogie et mucoviscidose.
83Pour les femmes, les décès sont plus importants sur la base témoin jusqu’à 65 ans. Les pics de décès sont décalés de 10 ans : 60-64 ans dans la base témoin et 70-74 ans dans la base Généalogie et mucoviscidose (figure 106).
Figure 106. Pourcentage des âges au décès des femmes selon le groupe

Source : CGF et base de données Généalogie et mucoviscidose.
84En conclusion, on peut avancer que les porteurs sains vivent plus vieux de 5 ans environ. Les échantillons de cette étude sont suffisamment importants pour être fiables et l’écart est significatif.
85Mais, il s’agit ici des conjoints mariés entre 1820 et 1840 : rien ne prouve que cet écart se soit maintenu en période contemporaine : les aléas de maladie, d’épidémies, de carences alimentaires auxquels sont confrontées les populations ne sont plus du tout les mêmes, et un avantage sélectif qui a pu être favorable auparavant ne s’exprimerait, actuellement, probablement plus...
86Cependant, des questions sont soulevées. La persistance constatée de l’avantage de la base Généalogie et mucoviscidose jusque vers 70 ans, ne serait-elle pas la conséquence d’un avantage multiple, autrement dit, utile face à plusieurs maladies ? De même, l’avantage des femmes de la base Généalogie et mucoviscidose, entre 23 et 37 ans est supérieur à celui des hommes sur cette tranche d’âge (figure 94). Cela évoque une prédisposition sous la forme d’un avantage qui pourrait être lié à la mortalité consécutive à la grossesse ou aux accouchements.
Notes de bas de page
1 Les calculs ont été effectués sur la base statistique de Jussieu : http://marne.u707.jussieu.fr/biostatgv/?module=tests.
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