Chapitre 8
L’endogamie et la répartition de la maladie
p. 193-211
Texte intégral
1L’apparentement peut être accentué par les pratiques d’endogamie. L’endogamie se définit comme le fait, pour un individu, de choisir son conjoint dans le groupe auquel il appartient. Il peut s’agir de groupes territoriaux (tels des isolats géographiques), de groupes dont les individus ont le même statut social (endogamie de caste), ou des groupes de parenté (mariages préférentiels entre cousins).
2Dans ce chapitre, c’est le phénomène de l’endogamie territoriale qui sera traité à travers la mobilité géographique. Où sont nés les époux ? Où se marient-ils ? Et où meurent-ils ? La mobilité est-elle de mise ?
3Les généalogies permettent de suivre les différents chemins empruntés par les porteurs de mutations CFTR d’hier à aujourd’hui. Il a été vu précédemment que la consanguinité proche n’influe pas sur le nombre de malades de la mucoviscidose en Bretagne, mais qu’il faut, plutôt, regarder vers les apparentements éloignés. Ainsi, l’objectif est de vérifier si la population concernée par des descendants atteints de mucoviscidose a été marquée par un isolement géographique, économique ou même linguistique, dans le sens où ces contraintes pourraient favoriser les unions entre apparentés éloignés dans un milieu endogame.
4En d’autres termes, les généalogies familiales vont être un outil pour appréhender, à travers la connaissance de la mobilité géographique, le contexte dans lequel les mutations se sont diffusées. Les conséquences de l’endogamie sur la diffusion des gènes vont aussi être étudiées. L’endogamie, sur un territoire donné, peut être fonction de critères géographiques, physiques comme culturels. La commune de Kerlouan servira d’exemple dans le chapitre suivant.
I. La localisation des unions
1. La tradition
5Loin de nos références contemporaines, le mariage était autrefois représentatif d’une société paysanne très ancrée dans les traditions. Traditions qui se développent elles-mêmes à travers un mode de vie où sont imbriqués divers facteurs sociaux, historiques, économiques, religieux et culturels. Ainsi le mariage n’est pas seulement le fait de ceux qui vont se prendre pour mari et femme, mais c’est aussi celui des milieux qui, en cercles concentriques et serrés, les accompagnent tout au long de leur vie.
6Il y a, en premier lieu, la famille. À cause de l’intérêt patrimonial, elle décide de l’union ou, au moins, par ses conseils pressants, l’oriente.
7En Bretagne, bien avant les lois actuellement en vigueur, et en raison de l’Ancienne Coutume de Bretagne, le partage égal entre frères et sœurs était institué dans les héritages, contrairement à d’autres régions françaises. Par ailleurs, le domaine congéable, mode d’exploitation des terres s’étendant sur une majeure partie de la Basse-Bretagne, exigeait un seul responsable sur les tenues qui ne pouvaient être divisées. Le successeur du chef d’exploitation devait donc régler en argent les parts de ses co-héritiers, aussi nombreux qu’ils soient. Il était donc de son intérêt de les rembourser le plus rapidement possible, afin d’éviter le partage des revenus de la tenue dus à chacun, tant que l’indivision n’était pas levée. Dans ce contexte, si les alliances consanguines permettaient de capter plusieurs parts, celles renchaînées permettaient des « échanges » de parts entre les deux familles.
8Ces nécessités économiques sont une des raisons avancées pour expliquer la permanence sociale perpétuée par les unions.
9Ensuite, la paroisse, surtout rurale, n’est pas indifférente au projet d’union. En effet, ce sont les parents, les alliés, les patrons, les voisins qui scrutent les comportements, espionnent les fréquentations, mais aussi jugent de la pertinence et de l’équilibre de l’échange. Il s’agit avant tout d’éviter une mésalliance. Le mariage d’un « étranger » avec une « fille du pays » notamment est ressenti comme un tort fait à la communauté toute entière. Cette forte endogamie correspondrait à un sens très aigu de la communauté rurale.
10Enfin, l’Église, soucieuse de la double dimension sociale et religieuse du problème, le réglemente scrupuleusement à travers les statuts diocésains. Le mariage, cérémonie religieuse et acte civil tout à la fois, a fait l’objet d’une réglementation précoce, tant ecclésiastique que royale.
11Les publications des bans se font dans les paroisses d’origine des deux conjoints, à trois reprises. La mention est, en principe, obligatoire dans les actes de mariage. Il est toujours possible, moyennant finances, d’obtenir la dispense de publication de deux bans sur trois. Au xviie siècle, dans le pays du Léon, on a assez fréquemment recours à cette possibilité (Leprohon, 1984). On attribue, en général, cet usage à de futurs conjoints pressés de convoler « en justes noces » en raison de relations prénuptiales fécondes. En outre, la date du mariage devait tenir compte des interdits religieux que l’évêque pouvait lever, toujours moyennant finances. Mais, elle dépendait aussi des travaux agricoles.
12On peut donc avancer que le mariage s’inscrit dans une continuité et le choix du conjoint est guidé par un ensemble de mécanismes sociaux. En toile de fond apparaissent la famille, l’organisation sociale et les structures de production.
13L’observation de nombreuses généalogies bretonnes met en lumière que la norme de référence en la matière est la proximité dans l’espace social, géographique ou dans la parenté.
2. Les lieux de circulation des échanges matrimoniaux
14L’hypothèse d’une constitution « au hasard » des unions n’est pas envisageable. En effet, le choix du conjoint est fonction du marché matrimonial. Celui-ci est généralement limité et le mariage unit le plus souvent deux jeunes gens d’une même commune ou de deux paroisses voisines.
15En France, d’après François Lebrun, « on choisit généralement son conjoint dans sa propre paroisse ou, sinon, dans l’une ou l’autre des paroisses limitrophes ou très voisines ; il est exceptionnel que soit dépassé un rayon de 10 km » (Lebrun, 1975, p. 27). Comme en témoignent, d’ailleurs, les données chiffrées de trois paroisses rurales ayant valeur d’exemple (tableau 26).
Tableau 26. Origine géographique des époux dans trois paroisses rurales

Source : Lebrun, 1975, p. 27.
16Notre recherche porte sur les départements du Finistère et des Côtes-d’Armor. Ces deux entités administratives, relativement récentes, datent de la Révolution française (1790). Par une étude cartographique, on a pu voir que ce sont surtout les évêchés qui, au niveau du territoire, segmentent la population. Les échanges matrimoniaux ont majoritairement lieu au sein de son évêché. En effet, on note des différences culturelles, vestimentaires et linguistiques au sein de chaque diocèse.
17Les généalogies reflètent, avant tout, une reproduction sociale à travers les formes d’alliance et l’immobilisme géographique, d’autant plus que les migrations n’ont, pour la plupart, pas été relevées par manque d’information. Et quand on a pu les noter, c’est une migration familiale qui est apparue, toujours liée à des besoins économiques. On l’a observé, notamment lors des mariages entre papetiers ou encore sabotiers (Lopin-Le Bris, 2008), voire pour les migrants outre-Atlantique (Fournier, 1987). On les trouve aussi dans les familles socialement plus aisées, comme les marchands de lin dans le Léon (Élégoët, 1996).
18Martine Segalen, dans son étude en pays bigouden, publiée dans l’ouvrage Quinze générations de Bas-Bretons, relève que la majorité des familles paysannes était amenée, au cours de leur existence, à occuper, successivement, plusieurs exploitations agricoles. De fait, « la mobilité était grande jusque dans les années 1930, mais restait enclose au sein de la Bigoudennie Sud, sans émigration extérieure » (Segalen, 1985, p. 11-12). Dans le village de Saint-Jean-Trolimon, il n’y avait pratiquement pas de conjoint du pays bigouden Nord.
19Dans les corpus issus de la base Généalogie et mucoviscidose, c’est aussi ce qui a été relevé ; les échanges se font au sein de la communauté de vie. De fait, ils maintiennent un immobilisme social et génétique dont l’histoire est inscrite dans un lieu comme dans les registres d’état civil ou dans les gènes.
20Il semble intéressant de savoir si ce phénomène est encore présent de nos jours. A priori, les données publiques les plus récentes sont celles présentées dans la base de données Censo-net (www.genealogie22.com/censonet/accueil.pl, consultée le 4 janvier 2014) développée par le centre généalogique des Côtes-d’Armor. En 1906, lors du recensement de la population, la part de personnes natives de la commune se situait entre 70 et 80 %. Ainsi, par exemple, 74 % des résidents de Plestin-les-Grèves en 1906 y sont nés.
21Cependant, dans les villes, ces taux sont bien inférieurs. Citons Saint-Brieuc où 58,4 % des résidents en 1906 sont nés ailleurs ; à Lannion, ce sont 48,9 % des résidents qui sont nés hors de leur ville de résidence ; 56,7 % à Guingamp et 60,2 % à Dinan.
22L’étude des communes d’origine des personnes natives du Finistère résidant dans les Côtes-d’Armor en 1906 nous renseigne sur les migrations départementales (figure 85). On retiendra que Brest (540 migrants) et Morlaix (345) arrivent en première position en tant que villes d’origine des migrants. Ensuite, on retrouve, essentiellement les communes frontalières (Guerlesquin, Poullaouen, Plouégat-Moysan, etc.). De même, en ce qui concerne les lieux de résidence de ces immigrés, en 1906, ils demeurent surtout dans les grandes villes : Saint-Brieuc (692), Lannion (219), Guingamp (214) et les communes limitrophes : Plestin-les-Grèves (379), Carnoët (276), Plounérin (158), etc.
23Le recensement de 1906 montre que, pour la période contemporaine, une faible mobilité géographique, quand elle existe, marque l’attirance des grandes villes entre elles et des communes limitrophes. Néanmoins, il faut bien garder à l’esprit que la population recensée comprend aussi bien les religieux, les personnes âgées que les célibataires.
Figure 85. Communes d’origines des migrants du Finistère (en jaune) et leurs lieux d’implantation dans les Côtes-d’Armor (en vert) lors du recensement de 1906

Source : CG22, Censo-net.
24D’après Louis Élégoët, cette faible mobilité a perduré dans le Léon où : « jusqu’aux années 1950, voire plus tard, les paysans léonards quittaient peu leur hameau. Ils en sortaient le dimanche pour se rendre à la messe, puis, éventuellement, aux vêpres ; ce qui leur permettait de rencontrer leurs « compatriotes », de faire le point des nouvelles et d’affermir le sentiment paroissial » (Élégoët et Le Clech, 2006, p. 20).
25Ainsi, de toutes les contraintes qui pèsent sur le choix du conjoint, la plus évidente est de nature géographique : la possibilité de choix est en effet conditionnée par la possibilité de rencontre. De fait, la plupart des mariages se concluent dans un rayon limité.
3. Le lieu du mariage
26La cérémonie a lieu, traditionnellement en Bretagne, comme partout en France, dans la paroisse de la jeune fille. Roger Leprohon, dans son étude démographique des Bretons sous Louis XIV, a aussi étudié les lieux d’origine des époux (tableau 27).
Tableau 27. Lieu du mariage selon le sexe dans huit communes finistériennes

Source : Leprohon, 1984, p. 73.
27Il en conclut que « dans le Léon du xviie siècle, le mariage est célébré huit fois sur dix dans la paroisse de la fille et que, sur ces huit mariages, cinq unissent une fille à un garçon de la paroisse » (Leprohon, 1984, p. 73).
28Dans le fichier « généalogie et mucoviscidose » 43698 unions sont complètes, c’est-à-dire que le lieu du mariage est connu ainsi que les lieux de naissance des deux conjoints. Sur ces unions, 76,4 % des femmes se sont mariées dans leur commune de naissance et 60 % des hommes. On peut donc dire que la tradition est ici respectée. En outre, 47,2 % des mariages ont lieu entre conjoints nés dans la même commune et mariés dans cette même commune. Au niveau de l’évolution temporelle de cette pratique, on remarquera qu’elle diminue au fil du temps mais que la tradition perdure (tableau 28).
Tableau 28. Évolution temporelle des mariages célébrés dans la commune de naissance

Source : base de données Généalogie et mucoviscidose.
29Ces résultats témoignent en faveur d’une stabilité géographique au moment des noces. Dans les paroisses étudiées par Roger Leprohon, les conjoints étrangers représentent entre 21 % et 29 % des époux. Mais les étrangers ne viennent pas de bien loin, comme nous le montre son étude cartographique représentant, à partir de la commune de mariage, des cercles distants de 5 kilomètres jusqu’à 25 (p. 210-218). Ce procédé a permis d’illustrer, de façon parfois frappante, le caractère resserré du réseau de déplacements prénuptiaux. Au vu de ces résultats, Roger Leprohon ne peut que constater que « les échanges les plus denses se font dans un rayon ultra-limité de 5 à 10 kilomètres » (p. 220).
30Néanmoins, tous les généalogistes savent qu’il faut rester vigilant face à cette stabilité apparente car les individus mobiles sont souvent moins bien renseignés dans les généalogies, du fait de la difficulté à retrouver leurs actes d’état civil qui sont éparpillés (Barry et Gasperoni, 2008).
II. L’immobilisme géographique
1. Les frontières physiques
31Les frontières géographiques, en Bretagne, se heurtent à des limites physiques. Or, les structures spatiales ont d’autant plus d’importance qu’une population a des limites finies, qu’elle occupe un espace déterminé.
32Et, en dépit de sa double façade maritime, la Bretagne est restée, au xviie siècle, fort peu pénétrée par les influences étrangères, à plus forte raison par les hommes eux-mêmes. Les registres paroissiaux permettent, tout au plus, de rencontrer, çà et là, des Irlandais, comme à Ploudalmézeau, où le recteur, cité par Roger Leprohon, « affirme que le jour dixièsme de Janvier Mil six centz quarante cinq s’est accouché d’un filz une femme étrangere de lad paroisse de Ploudalmezo ou en Environ, accompaignee de son mary […] se distantz être hirlandais natifs de la ville et Evesche de Croque e hybernia ou hirlande… » (Leprohon, 1984, p. 224).
33Autrement dit, les frontières maritimes naturelles de la Bretagne limitent les migrations au nord, à l’ouest et au sud.
34Comme il a été analysé précédemment, les ancêtres de porteurs vivaient essentiellement sur la frange littorale de la région. Albert Jacquard rappelle que « la plupart des nouveaux groupes humains ont été ainsi fondés par un petit nombre d’individus séparés de leur souche, soit pour trouver ailleurs de meilleures conditions d’existence, soit par révolte. Les gènes qu’ils emportent avec eux, source du patrimoine biologique de la nouvelle population, ne sont qu’un échantillon des gènes du groupe initial, échantillon d’autant moins représentatif que ces fondateurs sont moins nombreux » (Jacquard, 1978, p. 39). Or, le bord de mer peut constituer un lieu de vie aux conditions d’existence plus intéressantes pour les hommes grâce, notamment, à la douceur du climat, pour les cultures par l’absence de gel et pour la nourriture grâce aux produits de la pêche.
35L’endogamie provoquée par des frontières physiques est bien sûr évoquée en milieu insulaire. Et on y retrouve un nombre important de demandes de dispense de consanguinité pour cause d’isolat géographique : 40 cas à l’île de Batz, 19 à Molène entre 1745 et 1788 mais seulement 4 à Ouessant où, nous dit Didier Rousvoal, « il y a moitié plus de filles que d’hommes » (Rousvoal, 2011, p. 9). Pourtant, sur les îles bretonnes, on retrouve très peu d’ancêtres de malades. En effet, seules 64 unions présentes dans le corpus ont été célébrées en milieu insulaire : 50 à l’île de Batz, 5 à Tudy, 4 à Sein, 3 à Bréhat et 2 à Molène. Sur ces mariages, seuls 6 couples sont communs à plus de deux malades.
36L’isolement des lieux a aussi pu être mis en avant auprès de l’évêque pour justifier une demande de dispense de consanguinité. Ainsi, François Bian-Poudec et Marie Berthou, évoquent dans leur demande, en 1777, à Plounéour-Trez, la « difficulté de trouver conjoint ni parent, ni allié, ni lié par l’affinité spirituelle dans une Armorique où presque personne ne veut habiter que celles qui y ont pris naissance ». La paroisse est petite, les sols pauvres donc aucun étranger n’y vient. Or, à Plounéour-Trez se sont mariés de nombreux ancêtres communs à plusieurs malades (230).
37Jean Sutter et Léon Tabah, lors d’une étude sur l’évolution des isolats dans les départements du Loir-et-Cher et du Finistère, ont pu noter pour ce dernier : « l’endogamie se trouve presque entièrement localisée sur les zones côtières du Sud et de l’Ouest » (Sutter et Tabah, 1955, p. 655). Et ils ont démontré qu’une « forte endogamie a pour effet d’augmenter la fréquence des porteurs » (p. 667).
38Ainsi, des contraintes physiques comme une façade maritime, l’insularité, des communes petites ou encore des possibilités de communication réduites, sont des facteurs qui concourent à développer une endogamie. Cependant, il faut bien se garder de faire un parallèle entre les migrations de personnes et les flux génétiques. Car, bien que les gènes survivent aux individus par le biais de la procréation, ils ont leur histoire propre. Ainsi, l’impact d’un seul immigrant sur le patrimoine génétique de son groupe d’accueil peut être important si sa descendance est nombreuse (Vu Tiên Khang et Sevin, 1977).
39Pour les communes littorales, le choix se réduit encore géographiquement à cause des limites spatiales. Or, les communes littorales sont celles où l’on rencontre le plus d’ancêtres communs aux malades.
2. Les frontières culturelles
40D’après Albert Jacquard, les « isolats », ou groupes humains de faible effectif ayant vécu durant une longue période dans une situation d’isolement génétique, l’ont été pour des motifs plus souvent liés à la culture qu’à la géographie (Jacquard, 1978).
41Ainsi, par exemple, dans le pays bigouden, Martine Segalen a pu noter que la séparation entre Nord et Sud n’est pas seulement le produit des représentations mentales, mais est bien inscrite dans les pratiques sociales (Segalen, 1985). En effet, la mobilité était importante jusque dans les années 1930, mais restait enclose au sein de la Bigoudennie Sud, sans émigration extérieure. Circonscrites dans cet espace bien spécifié, les généalogies familiales reconstruites alimentent la chronique de la reproduction sociale, notamment à travers celle des formes de l’alliance. En effet, elle a pu noter que plus de 80 % des couples se trouvent associés les uns aux autres par le biais d’un « renchaînement d’alliance ». Elle a révélé l’existence de parentèles particulièrement intégrées par des renchaînements nombreux à l’intérieur des lignées qu’elles enserrent.
42Louis Élégoët nous fait remarquer que « si le Léon est un agrégat de mondes clos, la Paganie est le monde clos par excellence. En 1911, seuls 8,4 % des habitants de Plounéour-Trez ne sont pas nés dans cette commune ; à Kerlouan, ce taux descend à 6,4 % et à 6,1 % à Plouguerneau. À Plouider, voisin immédiat du pays pagan, le taux monte à 25,2 % ; il est de 29,5 à Ploudaniel, et de 40 % à Kernouës. Les taux qui concernent ces trois communes de la Paganie surprennent encore plus quand, en elles, on distingue l’arvor du ménez. Dans la section maritime de Tréménac’h en Plouguerneau, en 1911, 12 personnes seulement sur 1 097, soit 1,1 %, ne sont pas nées à Plouguerneau. […] Dans les quartiers maritimes du Théven et de Garreg-hir, en Kerlouan, ce sont seulement 4 habitants sur 215 qui ne sont pas nés dans cette commune. Dans ces conditions, il apparaît que la Paganie forme un territoire particulièrement endogame. Sur les 204 mariages célébrés à Plouguerneau, entre 1895 et 1900, 83,3 % unissent des Plouguernéens. En affinant la recherche, on en conclut que, le plus souvent, les unions matrimoniales unissent deux conjoints de la même section, notamment dans l’arvor » (Élégoët, 2007, p. 201).
43Or, on retrouve ces données dans les généalogies des familles de porteurs. Et l’endogamie très forte du pays pagan n’est pas unique en Finistère jusqu’au milieu du xixe siècle. Néanmoins, elle est caractéristique dans le sens où elle s’y est maintenue plus longtemps : de 1670 à 1907, le taux de mariage à Kerlouan comprenant un conjoint non originaire du pays pagan est resté stable, entre 9 et 12 % (annexe 9). Alors que les communes du Léon s’ouvraient à la circulation des personnes, le pays pagan est resté isolé au moins 50 ans de plus. Cette endogamie de territoire, liée sans doute à des conditions climatiques et physiques satisfaisantes, est accentuée par des motifs culturels qui favorisent les unions homogames. Ainsi, pour l’Homme, des facteurs sociologiques ont pu avoir sur l’isolement des groupes un effet plus puissant que l’isolement géographique.
44La démarche généalogique systématique permet de confirmer l’enracinement régional des familles de malades. Grâce à elle, des relations ont pu être établies entre les mutations et leur enracinement territorial accentué par des phénomènes d’endogamie.
45Là encore, on se rend bien compte que « plus que les obstacles géographiques, les barrières édifiées par l’esprit limitent la fluidité des communications entre les hommes » (Segalen et Jacquard, 1973, p. 551).
3. Né, marié et décédé dans la même commune
46Les données renseignées dans la base Généalogie et mucoviscidose, concernant la mobilité géographique, sont limitées. Elles se résument aux registres d’état civil ou paroissiaux (avant la Révolution) dans lesquels sont retranscrits les actes de naissance (baptême), mariage et décès (sépulture) qui peuvent nous renseigner sur des lieux géographiques. Malheureusement, à partir de cette base, il est très délicat de saisir les mouvements de population. D’autant plus que négliger les lacunes documentaires amènerait à surestimer la sédentarité et la stabilité sociale. Et pourtant, connaître la mobilité des hommes est utile pour mieux comprendre l’histoire sociale, démographique et donc génétique d’une région.
47En ce sens, une analyse statistique des individus nés, mariés et décédés dans la même commune peut s’avérer intéressante. Pour 50 276 personnes, ces trois lieux sont renseignés. S’il est identique pour ces trois événements biographiques, on peut conclure à un certain enracinement local, tout en gardant bien à l’esprit que la cérémonie du mariage s’effectue, la plupart du temps, dans la paroisse de l’épouse.
48D’un point de vue temporel, on peut dire que ce phénomène s’est amoindri au fil des siècles (tableau 29). D’un point de vue géographique il concerne surtout certaines paroisses (figure 86).
Tableau 29. Évolution temporelle des individus nés, mariés, décédés dans la même commune

Source : base de données Généalogie et mucoviscidose.
Figure 86. Distribution des personnes nées, mariées et décédées dans la même commune

Source : Granite-Muco.
49La carte des ascendants des porteurs de la mutation G551D, nés, mariés et décédés dans la même commune, fait ressortir deux communes : Plouescat et Plabennec (figure 87).
Figure 87. Répartition des communes dans lesquelles les ascendants des porteurs de la mutation G551D sont à la fois nés, mariés et décédés

Source : Granite-Muco.
50Cette même approche, pour toutes les mutations, permet de voir des communes où l’enracinement local des ascendants de malades est particulièrement important. Le parallèle est évident avec la carte des lieux de vie des couples qui ont le plus de porteurs dans leur descendance.
51Cette superposition des cartes montre une présence localisée très ancienne des mutations.
52Mais si l’on examine la carte des non-porteurs, bien que la répartition territoriale des communes soit plus large, c’est-à-dire moins circonscrite sur des aires territoriales restreintes, on retrouve des communes à forte endogamie. Et ce sont, bien souvent, les mêmes que dans les différentes cartographies. On l’a bien vu, les apparentements entre ascendants de non-porteurs et de porteurs sont très présents. Il faut donc en conclure que l’endogamie est une pratique culturelle. Et l’exode rural des Bretons étant relativement récent, car lié à l’arrivée du chemin de fer (xixe-xxe siècles), leurs pratiques matrimoniales ont pu favoriser des mariages endogames.
53La ségrégation paroissiale se traduisait encore au début du xxe siècle par des manifestations telles que le ruban-barrière tendu sur le passage du cortège nuptial si l’époux venait d’une commune différente et l’obligation de payer à boire, en échange, aux jeunes gens.
54Quand on fait l’analyse au niveau des familles, on se rend bien compte que le phénomène est encore plus localisé. Ces conclusions rejoignent alors celles de Roger Leprohon : l’endogamie paroissiale, c’est-à-dire le choix du conjoint à l’intérieur de la paroisse, fut la norme dans le corpus du xve au xxe siècle. Cet enracinement local a pour conséquence de réduire la diversité génétique par des apports extérieurs.
55Dans ce cadre, comme le disent Alain Bideau et Guy Brunet, la consanguinité est ainsi une « super-endogamie » puisque, non seulement le conjoint est pris dans l’entourage, mais également dans la famille (Bideau et Brunet, 2007).
56Et, dans les campagnes, l’obligation d’exogamie est effective tant que l’interdit religieux sévit et que le souvenir perdure ; dès lors que les souvenirs et les prohibitions s’éteignent, le mariage entre parents éloignés devient envisageable, voire inévitable.
57Sitôt que cessent les interdits, on épouse selon le principe de prédilection, pour ce qui concerne l’origine des futurs époux, entre le « très proche et le pas trop loin » (Zonabend, 1981). Le choix du conjoint est alors orienté dans un sens précis : l’homogamie.
58Concrètement, on se rend bien compte que sur le marché matrimonial, les choix sont restreints. Ils dépendent du lieu de résidence, du nombre de célibataires auquel on retire les proches apparentés, de l’âge des proposants, de leur statut économique, professionnel… ; dans de telles conditions, le choix du conjoint reste limité. Mais ses conséquences sont invariables : ils maintiennent la structure sociale existante et, en corollaire, sa structure génétique.
59Le travail de Guy Brunet sur la maladie de Rendu-Osler a permis de décrire les régimes démographiques dans la vallée de la Valserine et leurs évolutions pendant trois siècles. Il a, par exemple, constaté que le choix du conjoint et la mobilité géographique, éléments importants de la concentration locale de la maladie, étaient différents entre le Nord et le Sud de la vallée. Dans la partie nord, plus encaissée et plus difficile d’accès, les conjoints se recrutaient plus souvent sur les plateaux du Sud du département du Jura (plateau des Bouchoux, Septmoncel), où l’on trouve, encore aujourd’hui, de nombreuses familles concernées par cette maladie ; tandis que dans la partie sud de la vallée, plus ouverte sur la grande voie de communication reliant Lyon à Genève, les conjoints avaient des origines plus diversifiées. La mobilité y est, d’ailleurs, plus importante que dans la partie nord (Bideau et Brunet, 2007, p. 314). Ainsi, le choix du conjoint et la mobilité géographique sont des éléments importants de la concentration locale de la maladie.
60Le présent travail a mis en évidence une stabilité géographique (permanence d’au moins un individu par génération) et des comportements en termes de choix du conjoint, notamment avec une pratique du mariage entre apparentés éloignés, qui résultent de cette endogamie de territoire. Suite à une étude sur le choix du conjoint et l’homogamie, Martine Segalen fait remarquer que cette tendance à l’homogamie est très marquée et reste encore caractéristique de la structure des mariages contemporains (Segalen et Jacquard, 1971). L’une des conséquences de l’homogamie pourrait être l’accroissement de la fréquence des mariages consanguins. Martine Segalen et Albert Jacquard l’ont étudiée sur la population de Vraiville et ils en déduisent que « la fréquence des mariages consanguins (et par conséquent le taux moyen de consanguinité de la population qui en est une mesure) ne semble donc pas une caractéristique bien significative » (p. 497). En conclusion, ils affirment que « les isolats n’ont plus la même définition mais ils subsistent » (p. 498).
61La structure du marché matrimonial étant géographiquement limitée, cet écart face à la panmixie peut être lourd de conséquences. Autrement dit, l’endogamie géographique, plus que les mariages consanguins, tend à perpétuer le degré d’homogénéité génétique propre à cette population et à maintenir, encore aujourd’hui, à un niveau relativement élevé, le risque de transmettre le gène CFTR.
62Cette recherche a montré l’existence de certains noyaux d’endogamie relatifs à des mutations. Qu’en est-il au fil des générations ?
III. L’exemple de Kerlouan
63Kerlouan est une commune littorale située dans le Finistère-Nord (figure 88). Avec les communes de Plouguerneau, Guissény, Goulven, Brignogan (créée en 1934 à la suite du démembrement de Plounéour), Plounéour-Trez, et Goulven, Kerlouan fait partie du pays pagan.
Figure 88. Kerlouan et les communes du pays pagan

Source : Granite-Muco.
64Outre leurs caractères communs qui est, entre autres, de vivre de la terre et de la mer, ces communes forment une presqu’île délimitée par deux cours d’eau : la Flèche à l’est et l’Aber-Wrac’h à l’ouest. Louis Élégoët avance même que « La position péninsulaire du Pays pagan y a déterminé un isolat humain qui n’a pas son équivalent dans le Léon » (Élégoët, 2012, p. 14).
65Le choix, à titre d’exemple, s’est porté sur la commune de Kerlouan car au niveau des registres, elle est relativement bien renseignée ; sa taille est raisonnable (17,8 km2) et, comme dans tous les villages littoraux, de nombreux ancêtres du corpus y sont répertoriés.
1. Les paroisses d’origine des époux
66Nommons « taux d’implication » le rapport entre le nombre d’individus du corpus et celui des relevés issus des registres paroissiaux et d’état civil (base Récif). Il nous servira de référence au cours de l’analyse.
67La base de données Récif (http://recif.cgf.asso.fr/cgf.php) compile tous les relevés systématiques d’état civil réalisés par les bénévoles du centre de généalogie du Finistère (CGF). 4 762 unions y sont recensées, à Kerlouan, entre 1670 et 1907. Dans le corpus, 822 mariages sont enregistrés, soit un taux d’implication de 17,3 %.
68Il a semblé intéressant, dans un premier temps, de vérifier dans quelle mesure l’endogamie territoriale se retrouve au cœur des unions célébrées à Kerlouan (tableau 30). Afin, dans un deuxième temps, de savoir si les individus présents dans ce corpus présentent des taux d’endogamie plus importants. Autrement dit, y aurait-il une endogamie plus forte dans les secteurs où se trouvent de nombreux ancêtres communs ascendants de patients ?
Tableau 30. Paroisse d’origine des époux lors des mariages célébrés à Kerlouan entre 1670-1907

Source : base Récif du CGF.
69Sur 4701 mariages célébrés entre 1670 et 1907, dans 4 176 cas (89 %), l’épouse est née dans la commune. Dans le reste des cas, c’était une fille, née ailleurs, mais résidant à Kerlouan qui se mariait dans sa commune de résidence. Par ce tableau, on se rend compte que près de 89 % des époux mariés sont originaires de la commune. D’ailleurs, 63,45 % des mariages célébrés à Kerlouan unissent deux individus nés à Kerlouan ; et 88,07 % des unions se font entre deux personnes originaires du pays pagan (annexe 12).
70La matrice d’origine des époux a montré qu’ensuite, dans 7,42 % des cas, au moins, un des époux est né hors du pays pagan, mais à moins de 12 kilomètres de Kerlouan.
71Si l’on compare ces données à celles présentées par Jean Quéniart dans La Bretagne au xviiie siècle, 1675-1789 (Quéniart, 2004), on aboutit aux conclusions suivantes : il n’y a pas plus d’endogamie jusqu’en 1850 à Kerlouan qu’ailleurs, voire plutôt moins.
72En effet, d’après l’auteur « dans 60 %, et plus souvent 70 à 80 % des mariages, les Bretonnes épousent un garçon de leur paroisse » (p. 167). Or, avec 61 % entre 1700 et 1800, Kerlouan se situe dans le bas du tableau.
73Jean Quéniart cite la commune de Sérent dans le Morbihan, comme exemple représentatif : « à Sérent 85 % des hommes ont parcouru moins de 10 km pour se marier ; 97 % moins de 20 km » (p. 167). Pour Kerlouan, on obtient 95 % à moins de 12 kilomètres. Ces proportions sont bien la norme dans l’ancien régime matrimonial en Bretagne.
2. Une commune impliquée
74La consanguinité est aussi intéressante à analyser dans le sens où c’est un signe fort d’endogamie puisque les conjoints sont recrutés dans l’entourage familial. Or, d’après Jean Quéniart, nombre de paroisses ont des taux de dispense inférieurs à 5 ou 7 % des couples (p. 169). À Kerlouan, au xviiie siècle, on compte 15 dispenses citées dans les actes de mariages ; des recherches aux archives départementales (série G) ont permis d’en répertorier 9 autres. Ainsi, sur 1984 mariages, 24 dispenses ont été demandées. Même à supposer qu’une partie importante des dispenses ait été omise, on est loin des 5 %. Autrement dit, il n’y aurait pas plus de consanguinité à Kerlouan qu’ailleurs, voire moins.
75En revanche, on retrouve un taux d’implication important des mariages dans le corpus issu de la base Généalogie et mucoviscidose, en référence aux actes relevés par le centre de généalogie du Finistère : 1 739 personnes mariées à Kerlouan sont identifiées dans le corpus sur 9 402 époux, soit 18,5 %. Ceci donne 1 chance sur 5,4 à une personne identifiée dans ce corpus d’en épouser une autre.
76Il faut considérer que ce taux d’implication ainsi calculé (1670 à 1907) est un taux moyen sur une longue période (figure 89). Dans les communes « fondatrices », telle Kerlouan, ce taux augmente en remontant dans le temps, d’une part, parce que le nombre d’ancêtres de patients double à chaque génération et que le nombre moyen de mariages annuels ne varie pas beaucoup, d’autre part, parce que les communes « fondatrices » viennent se rattacher à des parents d’ancêtres issus d’autres communes. Les implexes, parents communs, pondèrent, toutefois, une progression qui, autrement, serait géométrique. Cette situation se constate dans de nombreuses communes littorales.
Figure 89. Évolution de l’implication du corpus Généalogie et mucoviscidose sur Kerlouan

Source : base de données Généalogie et mucoviscidose.
77On remarque que l’implication est très forte à la fin du xviie siècle : 39 % des mariés se retrouvent dans ce corpus. Il est regrettable que l’absence de registres paroissiaux n’ait pas permis de poursuivre l’étude plus en avant. Puis, la dilution génétique fait lentement décroître le taux d’implication.
78Ainsi, la forte présence d’ancêtres communs aux malades, sur les paroisses littorales, provient sûrement de la présence importante, dans ces zones, de personnes identifiées et probablement porteuses. L’endogamie, par la suite, multiplie les chances d’unions identifié/identifiée, et donc la répercussion sur les générations futures.
79Finalement, comme il a été dit précédemment, les unions n’avaient rien d’aléatoire.
3. Endogamie et bassin génétique
80Au Québec, d’après Anne-Marie Laberge, l’isolement linguistique, religieux et sociopolitique des Canadiens français avant et après la conquête anglaise, a favorisé l’endogamie (Laberge, 2007). Les apparentements entre conjoints ont augmenté au fil des générations, à cause de la taille limitée de la population de départ et de la mobilité réduite des individus sur le territoire. Elle ajoute que « cette consanguinité éloignée n’est pas plus fréquente qu’en Europe à la même époque, où la mobilité géographique et sociale était aussi limitée » (p. 998). Or, d’après nos observations, les proportions sont bien différentes entre le Québec et la Bretagne.
81Pour Marc de Braekeleer, l’endogamie, la parenté, et les études isonymiques réalisées au SLSJ ont prouvé que la présence et la fréquence des désordres héréditaires étudiés dans cette région du Nord-Est du Québec n’est pas la conséquence des niveaux élevés d’endogamie, mais, plutôt, le résultat de l’effet fondateur et de la dérive génétique (de Braekeleer, 1995).
82Dans la vallée de la Valserine, Alain Bideau et Guy Brunet ont pu identifier une double structuration de la population. D’un côté, on retrouve un noyau stable constitué d’individus peu mobiles et possédant de nombreux liens généalogiques entre eux, et d’un autre, une frange mobile constituée, à l’inverse, d’individus bien moins implantés dans la vallée, arrivés, sans doute plus récemment, et beaucoup plus instables (Bideau et Brunet, 2007).
83L’existence d’un tel phénomène d’émigration différentielle a des conséquences à la fois anthropologiques et génétiques. Tout d’abord, elle est à l’origine de cette structure duale qui favorise la ségrégation géographique des caractères ancestraux et la forte diffusion des caractères les plus récemment introduits.
84En outre, toute l’immigration enregistrée dans la vallée n’est pas efficiente du point de vue génétique, puisque de nombreux gènes réintroduits à chaque génération dérivent d’ancêtres originaires de la vallée, dont une partie des descendants est demeurée sur place. Si l’on ajoute à cela le fait que parmi ces immigrants, certains sont apparentés entre eux, on comprend bien que le fonctionnement des populations humaines est complexe.
85Néanmoins, les porteurs du gène délétère à l’état d’homozygote pour la maladie de Rendu-Osler appartiennent, de manière privilégiée, au groupe de lignes familiales marquées par une implantation locale ancienne.
86Afin de vérifier cette implantation locale ancienne, il a semblé intéressant de regarder, par mutation, où sont nés les descendants des ancêtres communs ayant le plus grand nombre de malades de la mucoviscidose référencés dans le corpus.
87Prenons, par exemple, le couple ancestral qui a le plus de porteurs de la mutation F508del dans sa descendance (figures 90 à 101). Il s’est marié à Plouescat vers 1480 et a au moins 84 porteurs sains de la mutation F508del dans sa descendance et 82 malades.
Figures 90 à 101. Localisation, par génération, des lieux de naissance, mariage et décès des descendants du couple commun 20010/22626 jusqu’aux parents de malades

Source : Granite-Muco.

Source : Granite-Muco.
88On s’aperçoit que les porteurs, identifiés dans la base de données, à la génération 3, vivent toujours dans le Finistère-Nord. C’est l’exogamie récente qui a dispersé un peu les porteurs actuels sur le territoire. Néanmoins, sur 10 générations, la mobilité a été très faible : moins de 50 kilomètres éloignent les porteurs (répertoriés dans la base) les plus lointains, du lieu de vie de leur couple ancestral commun.
89L’introduction de ces mutations est certainement très ancienne. La profondeur généalogique des données n’est pas suffisante pour démontrer l’effet fondateur. Nous sommes donc en présence de foyers séculaires de populations sédentaires. Ainsi, on note, très clairement, des agrégations géographiques qui peuvent expliquer les fortes disparités locales des incidences actuelles.
90Cette distribution des individus permet de voir aussi des sous-populations à risque dans une Bretagne où la mobilité géographique est encore faible. En effet, aujourd’hui encore, 71,5 % des Finistériens sont nés dans le Finistère (source Insee, recensement de la population, 2011).
91Marc Tremblay et al. ont étudié ce phénomène d’endogamie dans la population de la région du Saguenay (Tremblay et al., 2000). À l’aide d’informations sur les lieux de résidence des conjoints, ils ont comparé l’endogamie des parents à celles de leurs enfants afin de faire ressortir les conséquences génétiques dans le choix du conjoint d’une génération à l’autre. Leur mesure de l’endogamie s’effectue en comparant les lieux de mariage et de résidence des conjoints et de leurs parents. Et ils en concluent qu’il existe plusieurs niveaux d’endogamie, selon les lieux et les individus qui sont comparés. « Les comparaisons intergénérationnelles montrent qu’une grande proportion des couples endogames ont des parents qui sont aussi endogames, mais pas nécessairement dans le même lieu de référence » (p. 142). Autrement dit, l’endogamie peut être élevée, à la fois, du côté des conjoints et parmi leurs parents, mais cela ne veut pas dire que les parents des conjoints endogames proviennent du même endroit. Les conséquences génétiques sont alors brouillées.
92Au Québec, les conjoints sont apparentés à cause d’un effet de structure de la population qui s’explique par l’histoire démographique et qui fait que tous les individus de la population partagent des ancêtres et donc des gènes (Vézina et al., 2004). Or, dans le contexte de mutations rares telles que celles qui sont responsables de maladies héréditaires récessives, la fréquence de certaines mutations augmente d’abord à cause de l’effet fondateur initial ; puis, au fil des générations, sous l’effet de l’endogamie, la consanguinité éloignée devient de plus en plus importante, entraînant un risque accru que des conjoints soient porteurs de la même mutation reçue des ancêtres fondateurs et qu’ils la transmettent à leurs enfants. Il y aura donc plus d’individus atteints de ces maladies, non pas parce que les membres de la population portent plus de gènes récessifs, mais parce qu’ils portent les mêmes gènes récessifs, ce qui permet l’expression de la maladie.
93C’est exactement ce qui s’est passé sur les côtes bretonnes où l’isolement de la population, au sens génétique, s’est concrétisé par une endogamie qui se poursuit depuis plusieurs siècles. Cette vieille endogamie permet aux mutations du gène CFTR de prospérer en terrain déjà conquis et fertile.
94Et, en termes de conséquences génétiques, cette mobilité géographique réduite jusqu’à une période récente, peut avoir des effets importants. En effet, la circulation des gènes est liée à celle des individus. Or si les populations ne se mélangent pas, les gènes, s’ils sont présents, à des niveaux élevés, survivent aux individus par la procréation. Ainsi, ils peuvent être la cause de l’augmentation du taux de porteurs en cas de forte endogamie. Cette dernière a donc des conséquences directes sur la répartition, la structure et l’hétérogénéité du bassin génétique.
95C’est bien le terrain endogame qui favorise certains types d’unions préférentielles (affinité ou consanguinité), mais c’est avant tout la présence sur le territoire d’un fort taux de gènes mutés qui a des conséquences sur la prévalence de la maladie.
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