Chapitre 6
Les unions
p. 145-163
Texte intégral
1Traditionnellement, le mariage a pour but de perpétuer la cellule familiale et son lignage par la procréation. En ce sens, l’union de deux individus, officialisée par le mariage, revêt une importance, aussi bien sur le plan sociologique que démographique ou encore génétique. À travers deux individus, ce sont deux familles qui s’allient, deux maisonnées qui se rapprochent et une descendance commune à venir.
2Or, dans toutes les sociétés, le choix du conjoint dépend de critères comme l’âge, le statut marital, l’apparentement, la proximité géographique, la religion, la réputation, le statut économique et social. Les traditions concernant le choix du conjoint peuvent avoir une influence déterminante sur l’évolution démographique et génétique d’une population, surtout lorsque ces règles sont fondées sur l’apparentement entre les époux (cette question et celle de la consanguinité sont approfondies dans le chapitre suivant).
3Entre les porteurs actuels connus et leurs couples fondateurs connus, il y a toute une masse d’individus identifiés. Les éléments accumulés dans la base de données généalogiques peuvent fournir des informations sur la date et le nombre des unions, mais aussi sur la profession des conjoints. Les lieux de naissance, mariage et décès sont également des indicateurs intéressants en termes de mobilité géographique.
4Il semble important d’explorer le contexte matrimonial et géographique dans lequel ont vécu ces familles qui ont dans leur descendance un nombre important de malades. Nous voulons vérifier si les ascendants des porteurs présentent des particularités au moment de leur union.
5Au niveau de l’interprétation analytique, il faut bien garder à l’esprit que ces corpus ne décrivent pas la population générale. Les différents groupes représentent les ascendants directs des porteurs. Ainsi, par exemple, un individu peut s’être marié plusieurs fois, mais ici ne sont renseignés que les mariages qui ont donné lieu à une descendance marquée par un malade. On tend donc à privilégier les liens consanguins lointains et à minimiser les bouclages généalogiques dans l’affinité.
I. Les caractéristiques des mariages
6Dans toutes les sociétés, le choix du conjoint dépend de critères endogènes comme exogènes. La généalogie représente un réseau de parenté dans lequel on peut lire les interdits religieux, des attitudes sociales, et des alliances préférentielles.
7De fait, depuis Bourdieu, les sociologues évoquent des stratégies matrimoniales plutôt que des règles de parenté. Ces stratégies dépendent de plusieurs facteurs. Que donnent à voir les alliances matrimoniales des familles du corpus ? Peut-on tracer une typologie des familles qui pourrait nous emmener sur la voie d’une différenciation ayant conduit à une transmission plus rapide ou plus facile des mutations ? Peut-on dissocier des modèles ?
1. L’âge au mariage
8L’âge au mariage dépend de nombreux facteurs, individuels ou collectifs tels que les coutumes, les contraintes économiques ou encore les lois civiles.
9En règle générale, les fiancés attendaient la majorité matrimoniale pour se marier. Cependant, sous l’Ancien Régime, l’âge nubile, c’est-à-dire l’âge à partir duquel il était permis de contracter un mariage, était de 12 ans pour les filles et 14 ans pour les garçons. Le 20 septembre 1792, l’Assemblée nationale fixa cet âge à 13 ans pour les filles, 15 ans pour les garçons. À partir du Code civil en 1804, il passe à 15 ans pour les filles et à 18 ans pour les garçons. La dernière modification est récente, elle date du 29 mars 2005, passant à 18 ans pour les filles et supprimant les dispositions du Code civil permettant aux parents d’autoriser le mariage de leurs enfants mineurs.
10En France, l’âge à la première union est historiquement plus élevé chez les hommes que chez les femmes. Mais il présente aussi des disparités régionales et temporelles, comme on peut le voir dans le tableau 11. Entre 1740 et 1909, les hommes se sont mariés à un âge plus avancé que les femmes. En effet, en moyenne, cet âge s’élève à 27 ans pour les époux. Au niveau des femmes, il est à près de 26 ans jusqu’en 1829 puis la tendance est à la baisse, cet âge moyen au mariage diminue, pour elles, à 24,5 ans et 23,9 ans pour la dernière période étudiée.
Tableau 11. Âge moyen des garçons et des filles de moins de 50 ans mariés entre 1740 et 1909

Source : Henry et Houdaille, 1979, p. 421.
11Une hypothèse peut être avancée pour expliquer cette diminution de l’âge au mariage des femmes. L’enquête de Louis Henry et Jacques Houdaille prend en compte l’ensemble des mariages. Or, l’espérance de vie n’a eu de cesse d’augmenter en France depuis 1740, notamment pour les femmes, grâce aux progrès médicaux.
12En effet, dans le passé, la mortalité maternelle était courante. Elle sanctionnait la très forte morbidité des âges de reproduction. Et, d’après Hector Gutierrez et Jacques Houdaille : « Le risque de décès maternel à la première naissance est nettement plus élevé qu’à la seconde » (Gutierrez, 1983, p. 986). Les femmes mariées très jeunes auraient donc été plus exposées à mourir en couches. Les progrès de la connaissance et de la prise en charge des grossesses et des accouchements ont eu pour effet d’augmenter l’espérance de vie des femmes (figure 64). Ainsi, si les femmes décèdent à un âge plus tardif, elles se remarient aussi moins. Et, de fait, l’âge moyen au mariage s’en trouve diminué. Autrement dit, l’augmentation de l’espérance de vie, par ses conséquences sur la diminution du nombre de mariages pourrait expliquer un âge moyen au mariage plus précoce.
13D’après Louis Henry et Jacques Houdaille, de 1740 à la Révolution, la courbe des deux sexes étant, en gros parallèle, on peut admettre, provisoirement, qu’il en était déjà ainsi auparavant. Et l’âge moyen des nouveaux mariés a augmenté du dernier quart du xviie siècle jusqu’à la Révolution. Pour les filles, l’augmentation en cent ans est de l’ordre de deux ans ce qui, pour un taux de fécondité proche de 0,5, courant de 20 à 25 ans, entraînerait une baisse de la descendance de presque un enfant.
Figure 64. Évolution de l’espérance de vie à la naissance en France depuis 1740

Source : France Meslé, Laurent Toulemon, Jacques Véron (dir.), Dictionnaire de démographie et des sciences de la population, Armand Colin, 2011, p. 137.
14La baisse de l’âge moyen des nouveaux mariés, amorcée sous la Révolution et l’Empire, se poursuit assez régulièrement chez les filles jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale. Chez les garçons, au contraire, elle s’interrompt et fait même place à une légère remontée sous la monarchie de Juillet. Ce n’est peut-être qu’un retour à la normale, après les perturbations dues aux guerres. Les pertes qu’elles provoquèrent auraient dû retarder le mariage d’une partie des femmes, mais les mariages hâtés par les conscriptions ont pu compenser ces retards. Sous le Second Empire, l’âge des nouveaux mariés a un peu baissé chez les hommes mais beaucoup moins que chez les femmes, de sorte que l’écart moyen d’âge entre les deux s’est constamment accru. De moins de deux ans à la fin de l’Ancien Régime, il est passé à près de quatre ans un siècle plus tard.
15Sur la même période, dans la base de données Généalogie et mucoviscidose (tableau 12), les âges moyens au mariage sont tous inférieurs. Mais l’écart se creuse surtout chez les femmes. En effet, les Bretonnes se marient en moyenne vers 23 ans alors qu’au niveau national, l’âge moyen des filles avoisine plutôt les 26 ans.
16Régulièrement sur l’ensemble de la base, l’homme se marie à un peu plus de 27 ans (27,5) et la femme à presque 24 ans (23,9). Examinons l’âge moyen au mariage résumé par groupe de mutations (tableau 13). On retrouvera en annexe 5 le détail des résultats pour les autres mutations.
Tableau 12. Âge moyen des garçons et des filles mariés à moins de 50 ans de 1740 à 1829

Source : base de données Généalogie et mucoviscidose.
Tableau 13. Âge moyen au mariage selon le sexe et la mutation

Source : base de données Généalogie et mucoviscidose.
17Il aurait été intéressant de mettre en relation cet âge au mariage avec la région géographique dans laquelle il a été célébré. Cependant, les études sur le sujet, dû à sa difficulté, sont rarissimes. Roger Leprohon a fait quelques calculs en Léon mais sur l’âge annoncé, dans les actes d’état civil, au mariage. Or, on sait bien que les écarts entre le déclaré et la réalité peuvent être très variables. En pays bigouden, dans le Centre Bretagne et le Trégor, a priori, aucune recherche sur ce sujet n’a été faite.
18Dans les différents corpus, même chez les non-porteurs, l’âge au mariage de la femme est avancé de 2-3 ans par rapport au reste de la France. On a donc, ici, plus une différence géographique et sociale qu’une différence génétique.
19Martine Segalen, dans son ouvrage Quinze générations de Bas-Bretons, avance une explication sociologique pour le pays bigouden : « l’étude des âges groupés par fratrie montre que le mariage est un peu plus tardif pour les journaliers ou les petits fermiers. Les plus aisés semblent marier leurs filles autour de 18, 20 ans au xixe siècle, les moins aisés deux années plus tard ; on observe le même décalage chez les garçons. Cet écart peut s’interpréter ainsi. Les fermiers les moins aisés garderaient leurs enfants plus longtemps auprès d’eux parce qu’ils leur serviraient de main-d’œuvre, et que la difficulté de trouver des fermes imposerait un délai d’attente supplémentaire ; les plus aisés au contraire pourraient remplacer la main-d’œuvre familiale par une domesticité rémunérée et posséderaient suffisamment de biens sur lesquels pourraient s’installer, plus jeunes, leurs enfants. L’âge au mariage apparaît comme une variable clé, au croisement des problèmes démographiques et des questions d’héritage » (Segalen, 1985, p. 68).
2. Le nombre d’unions
20En plus de l’âge au mariage, il nous a semblé intéressant de se pencher sur les remariages.
21Le phénomène du remariage est avant tout corrélé à celui de la mortalité. Aux xviie et xviiie siècles, en raison d’une mortalité élevée, les durées moyennes de mariage ne dépassaient guère vingt ans. De fait, jusqu’au xxe siècle, les veuvages sont monnaie courante. Mais cette rupture de l’union par décès est lourde de conséquences à des époques où les cellules familiales et professionnelles sont étroitement imbriquées. Un décès survient dans le foyer et c’est l’équilibre de la cellule qui s’en trouve perturbé.
22Dans la littérature portant sur les veuvages et remariages émerge un constat général : les hommes se remariaient davantage que les femmes (Segalen, 1981 ; Cabourdin, 1981 ; Beauvalet-Boutouyrie, 2001).
23L’étude de la durée des unions et de la tendance au remariage est difficile en raison du principe même de la reconstitution des familles, qui implique de travailler sur des familles stables. Or, notre corpus, construit en ligne ascendante, ne contient les remariages que si ceux-ci ont aussi donné naissance à des enfants qui ont dans leur descendance des malades atteints de mucoviscidose.
24Cependant, dans l’ensemble de la base de données, on a pu remarquer que les femmes sont un peu plus nombreuses à se marier une fois (50,7 %). En revanche, le remariage concerne majoritairement les hommes (tableau 14).
Tableau 14. Nombre de mariages par sexe

Source : base de données Généalogie et mucoviscidose.
25En effet, sur l’ensemble des remariages, soit 6347 remariages renseignés dans la base de données, 62,5 % concernent les hommes contre 37,5 % les femmes.
26Ces données confirment, une fois de plus, que le sexe influence considérablement la propension au remariage. En effet, on sait que les femmes mouraient, couramment, en mettant leur enfant au monde. Le veuf se remariait alors très vite pour assurer la viabilité de sa famille et de son exploitation. La forte mortalité inhérente à cette époque, comme la nécessité de vivre à deux pour pouvoir assumer la survie de la cellule familiale, expliquent le grand nombre de remariages pour les hommes comme pour les femmes. Cependant, l’âge au décès, au cours de la vie conjugale, présente une situation antinomique selon le sexe.
27Dans les premières années du mariage, on observe une surmortalité féminine liée aux conséquences sanitaires de la grossesse et de l’accouchement. D’après l’étude d’Hector Gutierrez et Jacques Houdaille fondée sur les reconstitutions de familles, « le nombre moyen d’enfants par couple était de l’ordre de 4,6 pour les couples formés de 1670 à 1769. Nous ne connaissons pas celui d’enfants par femme. Il devait être un peu plus élevé dans cette population où les remariages étaient fréquents. En admettant une moyenne de 5 enfants par femme, on peut estimer à : 1,2 x 5 = 6 % la proportion des femmes qui mouraient en couches ou des suites de couches » (Gutierrez et Houdaille, 1983, p. 988).
28Ces hommes jeunes qui se retrouvent veufs avec de jeunes enfants à charge se remarient généralement très vite. Ainsi, en début de vie maritale, les hommes sont plus souvent veufs, et ils se remarient beaucoup plus souvent que les veuves.
29À la fin de la vie conjugale, c’est le phénomène inverse qui se produit : ce sont surtout les hommes qui meurent, notamment, par manque de soins. Malgré la solidarité familiale, le soin aux enfants, aux bêtes, la cuisine, le travail des champs, la gestion de la maisonnée exigent le travail complémentaire d’un homme et d’une femme. La survie de la maisonnée, confondue avec l’exploitation, nécessite d’être en couple. En ce sens, un trop grand nombre d’enfants est autant une menace pour la survie de la famille que la solitude. Et la charge de travail d’une exploitation familiale peut se transformer en véritable malédiction, en cas de trop grande fécondité.
30Néanmoins, la condition de veuf ou de veuve variait aussi en fonction du sexe et de l’âge. L’âge au moment de leur veuvage joue un rôle essentiel dans les stratégies de remariages. Pour les femmes, d’après Martine Segalen, « jusqu’à 40 ans, leurs « chances », bien qu’inférieures à celles des hommes, existent ; au-delà de cet âge, elles en ont très peu » (Segalen, 2000 (1979), p. 50). D’où le proverbe provençal « Qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il tombe des glands, les femmes sont bonnes jusqu’à quarante ans ».
31En effet, au niveau de l’âge, 377 femmes se sont remariées après 40 ans contre 2155 hommes. Après 60 ans, 20 femmes se sont remariées contre 79 hommes. On peut ajouter que, malgré l’espérance de vie plus réduite des hommes, ces derniers se sont pourtant plus mariés que les femmes après 60 ans. Ainsi, l’âge et sans doute la présence d’enfant(s) sont, chez les femmes, associés à de plus faibles probabilités de prendre un nouvel époux.
3. L’isonymie
32L’isonymie matrimoniale décrit le fait que, dans un mariage, l’époux et l’épouse portent tous les deux un patronyme identique. C’est rarement dû au seul hasard, mais plutôt aux pratiques endogames ou homogames. On en déduit généralement que cette union s’effectue entre cousins apparentés puisque les ancêtres respectifs des époux portaient le même nom de famille.
33Dans la base de données Généalogie et mucoviscidose, sur l’ensemble des unions des ancêtres des 626 porteurs sains, soit 81 253 mariages, seulement 776 unissent des couples isonymes (0,95 %). Dans le corpus issu des individus non-porteurs sur 8 234 unions, 101 unissent des couples portant le même patronyme, soit 1,22 %.
34Ainsi, d’un point de vue quantitatif, les couples isonymes sont relativement rares. D’un point de vue génétique, on ne peut en tirer aucune conclusion car les données des deux groupes sont concordantes.
35Enfin, au niveau des évolutions temporelles de l’isonymie, c’est au xixe siècle que l’on retrouve plus de la moitié de ces mariages, mais c’est aussi à cette époque qu’ont été célébrées la majorité des unions.
36Cependant une question reste en suspens : les époux homonymes sont-ils apparentés ? 5 % de ces unions ont été examinées, soit les 39 premières par ordre alphabétique dans le corpus des ascendants des porteurs. Au final, trois couples sont apparentés au troisième degré, soit un peu plus de 8 %.
37Michel Prost a étudié cette pratique notamment dans les populations anciennes du Sud-Est de la France (1546-1899) (Prost, 2005). Il s’est interrogé principalement sur les déterminants qui président au fait que, dans un couple, les deux époux portent le même nom de famille. Au terme de son étude sur 264233 unions dans le Dauphiné, il conclut que les couples isonymes ne sont pas rares, que les paramètres géographiques interagissent avec ceux de la biodémographie. En effet, en altitude, l’isonymie se retrouve huit fois plus qu’en plaine. De même, dans la haute montagne alpine, la fréquence des paires isonymes ne varie que très faiblement d’un siècle à l’autre. En définitive, l’isonymie matrimoniale relève davantage d’une attitude ou d’une habitude culturelle pratiquée par des groupes familiaux au sein de chaque marché matrimonial. L’homogamie fait partie intégrante de ces habitudes culturelles.
II. L’homogamie
38Avant 1914, le mariage était régi par des règles strictes parce qu’il engageait tout l’avenir de l’exploitation familiale. De fait, il était l’occasion d’une transaction économique de la plus haute importance et il contribuait à réaffirmer la hiérarchie sociale et la position de la famille dans la hiérarchie. Il était l’affaire de tout le groupe, plus que de l’individu. C’est la famille qui mariait et l’on se mariait avec une famille (Bourdieu, 2002).
39Les ressources et capitaux (économiques, matériels, professionnels, culturels, etc.) étaient sûrement un prétexte à l’homogamie comme c’est encore le cas de nos jours. Cependant, la réussite économique était bien plus fragile et il suffisait d’une série de mauvaises récoltes ou d’une maladie pour que le paysan n’ait plus de capital sur lequel s’appuyer. C’était alors une descente sociale qui s’amorçait. Et, dès lors que le niveau social se nivelle par le bas, les stratégies matrimoniales se transforment : point n’est besoin de protéger, consolider son capital ; les parentèles peuvent s’ouvrir à d’autres alliances.
40Jusqu’au xxe siècle, le mode de production était fondé, essentiellement, sur l’activité manuelle. Dans la base de données Généalogie et mucoviscidose, 12224 professions sont renseignées.
41La grande majorité des ascendants labourait la terre. Cependant, marins et papetiers, travaillant auprès de l’eau, ne sont pas en reste. En Centre Bretagne, on pouvait aussi rencontrer des boisiers. Les métiers du bois sont régulièrement mentionnés car ils sont effectués par des nomades étrangers à la commune. De manière régulière, les professions apparaissent dans les actes de l’état civil à partir du xixe siècle ; mais, elles pouvaient être inscrites avant, s’il s’agissait de métiers spécifiques autres que cultivateur. Ainsi, les professions « honorables », comme notaire ou marchand, sont indiquées. Par ailleurs, certaines catégories sociales étaient stigmatisées.
42Ces métiers particuliers sont-ils le signe d’alliances préférentielles ? Y aurait-il une confusion entre activités productives et activités sociales ? Ces modes de vie auraient-ils engendré un nombre important de porteurs dans leurs descendances ?
1. La mer et les rivières
43Les marins sont très peu nombreux dans la base de données (345). Ils représentent 2 % des professions renseignées. En effet, bien que vivant sur un territoire bordé d’une façade maritime importante, les Bretons ont souvent tourné le dos à la mer. Les ressources maritimes étaient relativement secondaires par rapport à celles de la terre. Elles représentaient un complément. Un complément qui a, néanmoins, pu être bénéfique pour les ancêtres d’un point de vue nutritionnel, par un apport supplémentaire en iode, oligo-éléments et vitamines. Cette population est répartie tout le long des côtes bretonnes. Leurs enfants sont souvent marins pour les hommes ; quant aux femmes, elles ne sont pas spécialement mariées avec des marins. Les apparentements ne sont pas apparus plus présents dans cette corporation.
44Une autre profession est connue pour son endogamie professionnelle : les meuniers. Ils sont au nombre de 353 dans le corpus, soit 3 % des professions renseignées. Comme pour les marins, il n’a pas été relevé d’apparentements entre ces familles.
45Les rivières ont aussi été exploitées en Bretagne par une profession spécifique : les papetiers. Le développement de l’industrie de l’imprimerie au xve siècle a eu pour conséquence la création d’une nouvelle catégorie socioprofessionnelle : les papetiers. Originaires des évêchés d’Avranches et de Coutances en Normandie, ils sont arrivés en Bretagne au xvie siècle, à la recherche de moulins à papier. Ce métier, à haute technicité et aux revenus conséquents, est pratiqué par les descendants de ces couples normands implantés en Bretagne où ils vivent en cercle fermé. Et ils soutiennent qu’ils excluent leurs descendants de leur état s’ils s’allient à une personne qui pratique une autre activité. De fait, les unions entre papetiers sont nombreuses et presque exclusives. Il y en a 57 dans le corpus. Et des dispenses de consanguinité ont régulièrement été demandées. Ainsi, Yves Piton, de Ploudiry, et Jacquette Thépault de Pleyber-Christ, demandent une dispense au quart (4-4) en 1776 car ils sont tous deux « papetiers de nation et de profession ». Quant à Marie Françoise Bonel, la cause invoquée, lors de la demande de dispense pour un mariage avec son cousin éloigné Jean Marie Piton (4-4), est qu’« elle est née au sein d’une profession où ils sont tous parents et alliés, ce qui fait qu’elle ne peut trouver d’autre parti sortable ». Étant entendu que dans le cas contraire, elle « sortirait de son état et ferait perdre aux enfants qui lui pourraient naître le droit et l’espoir d’y rentrer jamais ».
46Cette endogamie professionnelle, caractérisée par des mariages entre apparentés, pourrait être une cause de l’engendrement de descendants porteurs de maladie. Or, dans le cas de la mucoviscidose, 6 porteurs sains sont des descendants de papetiers. C’est une minorité. Leur apparentement n’est pas significatif dans le sens où ils sont porteurs de 3 mutations différentes.
2. La terre
47Les sociétés paysannes demeurent hiérarchisées. De gros écarts socioéconomiques séparent la petite minorité de paysans riches, des nombreux journaliers : à partir des années 1670, le niveau de vie de ces derniers baisse car la main-d’œuvre est de plus en plus abondante, quand le nombre des emplois tend à diminuer. Entre ces deux catégories extrêmes se rangent les paysans aisés et les petits paysans qui combinent le travail agricole avec des travaux artisanaux tels que le blanchiment du fil, le tissage, ou avec la pêche et le ramassage du goémon (Élégoët, 2007).
48Au cours de son étude sur Saint-Jean-Trolimon, Mar tine Segalen a mis en avant le fait que la majorité des familles paysannes était amenée, au cours de leur existence, à occuper successivement plusieurs exploitations agricoles. La mobilité étant d’autant plus forte que le niveau économique du ménage concerné était faible. Elle notera que « la mobilité forge une mentalité de fermiers sans attachement symbolique à un lieu particulier » (Segalen, 1985, p. 42). Pourtant, elle nous fera remarquer qu’ils restent cantonnés dans le Sud du pays bigouden et qu’il n’y a pratiquement pas d’échanges matrimoniaux avec le Nord de la région. Autrement dit, les paysans bigoudens ne sont pas dépendants des terres mais plutôt de leur espace culturel, le Sud du pays bigouden. Ainsi, les journaliers ne sont pas attachés à la terre qui ne leur appartient pas. Les cultivateurs le sont un peu plus ; bien que liés à la terre par la location, ils peuvent être mobiles. Les propriétaires terriens, en revanche, sont attachés à un territoire. Cependant, on a pu noter que ce sont eux les plus mobiles, géographiquement. En effet, leur homogamie sociale les pousse vers une exogamie géographique, la consolidation du patrimoine nécessitant des alliances préférentielles qui ne peuvent se faire dans un espace géographique restreint. On a pu relever de nombreux apparentements entre paysans aisés. C’est le cas, par exemple, des échanges entre les familles Sparfel, Rosec et Le Duff dans la région de Plouescat au xviie siècle.
49La grande majorité des individus dont la profession est signalée dans le corpus, sont cultivateurs, mais quelques-uns travaillaient le bois.
3. Le bois
50Établis dans les bois et forêts, sabotiers et charbonniers vivent en marge de la société. Ce groupe itinérant ne se contente pas de fréquenter les grandes forêts bretonnes, mais un simple talus lui suffit, parfois, pour s’établir quelques semaines ou quelques mois. Ils sont, tour à tour, sabotiers, charbonniers, scieurs de long, bûcherons, fagotiers, boisiers mais aussi occasionnels, semi-sédentaires ou encore itinérants. Leurs déplacements incessants sont difficiles à suivre. Cette population a la particularité de vivre isolée du monde rural, et les mariages se font au sein des boisiers. Ils n’ont que peu de relations avec les gens du pays (Lopin-Le Bris, 2008).
51Les gens travaillant la forêt sont au nombre de 126 dans le corpus soit 1 % des professions renseignées : 83 sabotiers, 24 charbonniers, 13 scieurs de long, 4 boisiers, 1 fagotier, 1 forestier. Ils vivent, essentiellement, en Centre Bretagne.
52Ingrid Duguépéroux, dans le cadre de sa thèse en épidémiologie génétique, s’est penchée sur cette population (Duguépéroux, 2001). Selon elle, « la mutation W846X, quoique rare hors de la Bretagne, se retrouve en plus grande proportion dans la partie centrale de la région et semble être liée aux activités forestières » (p. 301). Cette hypothèse a pu être vérifiée en se fondant sur le corpus « généalogie et mucoviscidose ». Et, comme elle, aucun apparentement n’a été trouvé entre les ascendants des porteurs de cette mutation. Il y a bien quelques boisiers dans ces ascendances, mais dans les mêmes proportions que dans les autres. Et si l’on compare la carte des ascendants des porteurs de la mutation W846X (figure 65) à celle des bois et forêts de Bretagne, on ne retrouve pas d’équivalences (https://sabotiers.cgf.bzh/).
53Des mariages homogames entre boisiers ont bien été relevés. Mais on ne peut pas dire que la mutation W846X soit liée aux activités forestières.
Figure 65. Distribution des communes de mariage des ascendants des porteurs de la mutation W846X

Source : base de données Généalogie et mucoviscidose.
4. Autres milieux socioprofessionnels
54Les Juloded, étudiés par Louis Élégoët, sont un groupe social caractéristique de l’ancien diocèse de Saint-Pol-de-Léon (Élégoët, 1996). Paysans tanneurs, marchands de toile, ils constituaient une caste qui a connu son apogée vers 1680. C’est la révolution industrielle qui eut raison de leurs activités textiles et marchandes. Auparavant, ils étaient le symbole d’une certaine aristocratie rurale. La plupart de leurs généalogies donne des exemples de mariages homogames. D’après Louis Élégoët, « du fait de leurs activités artisanales et commerciales, les Juloded forment, sans conteste, un groupe social à part dans les campagnes. Les composantes économiques, sociales, familiales et religieuses de leurs alliances matrimoniales renforcent leur originalité. Il n’est pas surprenant, dans ces conditions, que cette aristocratie paysanne se soit érigée en véritable caste » (op. cit., p. 164). En outre, cette interconnaissance au sein du groupe social est demeurée jusqu’au milieu du xixe siècle. Malgré cette forte endogamie sociale, on ne relève pas de plus fort taux de malades dans leur descendance.
55D’autres mariages de raison se font entre individus vivant dans des communautés stigmatisées. C’est le cas, par exemple, des caquins, méprisés des paysans parce qu’ils seraient descendants de lépreux. Leurs ancêtres ont été atteints par la lèpre au Moyen-Âge ; depuis, ils supportent toujours, comme une malédiction, ce stigmate culturel. Les caquins ou, en breton, kakouchen (singulier : kakouz), étaient cordeliers ou tonneliers de père en fils depuis de nombreuses générations. L’ostracisme qui les frappait était tel qu’ils ne pouvaient se marier qu’entre eux. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que les caquins eussent à demander des dispenses de mariage une fois sur quatre, à la veille de la Révolution (Élégoët, 1990, p. 178). Ils sont seulement 31 tonneliers dans la base de données Généalogie et mucoviscidose. On ne peut pas dire que leur endogamie sociale ait eu un effet sur leur descendance d’un point de vue de la mucoviscidose.
56On a pu aussi remarquer que les meuniers (353), les boisiers (126) ou encore les papetiers (57) se mariaient entre eux. Cependant, il y en a très peu dans les corpus, composés essentiellement de paysans.
57D’une manière générale, on se marie dans son milieu géographique, professionnel ou social et seules, les élites de la noblesse et de la bourgeoisie pratiquent l’exogamie ; le mariage est, pour elles, un moyen d’élargir leurs alliances économiques et sociales. Dans les généalogies, il y a très peu de gens de la noblesse (776). Comme dans les corporations précédentes, leurs descendants ne sont pas spécialement marqués par la maladie étudiée.
58Boisiers, papetiers, Juloded, caquins, nobles, toutes ces alliances particulières liées à l’homogamie socioprofessionnelle n’ont pas eu pour conséquence de stimuler la diffusion du gène CFTR. Au contraire, cette stigmatisation a dû pousser les époux à se chercher au-delà des frontières locales du village. Ces pratiques matrimoniales contribuent à l’ouverture de l’univers géographique. Les gènes se sont donc délayés sur le territoire. Néanmoins, c’est une information significative, dans le sens où les mutations se sont diffusées dans une population travaillant la terre et vivant dans les campagnes.
59Si l’homogamie est le fait de se marier avec un conjoint qui nous ressemble socialement, les couples « homo-sociaux », c’est-à-dire dont les deux membres appartiennent à une même catégorie socioprofessionnelle, sont, de loin, les plus importants.
60Ainsi, dans les faits, l’hypothèse panmictique selon laquelle les mariages se font au hasard, n’est pas vérifiée.
III. Les conséquences du mariage sur la distribution génétique
1. La fécondité
61Globalement, en termes de fécondité, la Bretagne se distingue du niveau national. En France, la baisse de la fécondité a été amorcée dès la fin du xviiie siècle. La Bretagne n’a pas été épargnée par cette réduction (Houdaille et Henry, 1973 ; Belliot, 2004). Or, dans le cadre d’une étude portant sur les conséquences des comportements sociodémographiques sur des transmissions génétiques, les unions ne sont intéressantes que si elles sont fécondes.
62L’âge au mariage est un élément important à prendre en compte pour ses conséquences sur la fécondité. Nous l’avons vu, les caractéristiques de l’âge au mariage varient selon le sexe. Les femmes se marient plus jeunes que les hommes, en général, et plus encore dans nos corpus. Or, si une femme se marie jeune, en l’absence de contraception, sa vie féconde sera plus longue. Elle devrait donc, statistiquement, engendrer un nombre plus important d’enfants qu’une épouse tardive ; alors que la vie féconde d’un homme peut durer plus longtemps dans le temps. Cependant, si les parents sont porteurs sains de gènes mutés, plus ils ont d’enfants et plus les risques de transmission de ces mutations génétiques sont élevés. Autrement dit, l’âge au mariage des femmes peut avoir des effets importants dans la transmission de gènes mutés sur leur descendance.
63Dans les différents corpus, l’âge au mariage de la femme est avancé de 2-3 ans par rapport au reste de la France. Cet écart a pour conséquence une plus grande fécondité en Bretagne. Cette fécondité a été étudiée par Alain Croix : « c’est donc d’ailleurs, dans la durée de vie féconde, qu’il faut chercher l’explication d’un nombre de naissances relativement élevé » (Croix, 1981, p. 191). Ainsi, l’âge au mariage, par ses conséquences sur la fécondité, peut être une explication sur la diffusion importante d’un gène récessif.
64Dans la présente étude, et en paraphrasant Martine Segalen, on peut dire que l’âge au mariage apparaît comme une variable clé, au croisement des questions démographiques et des problèmes génétiques.
65Le nombre d’unions peut aussi avoir des conséquences sur la fécondité. Le nombre de remariages plus important chez les hommes et leur capacité à procréer plus longtemps, sont deux facteurs qui pèsent lourd, en termes de reproduction, dans la balance génétique. Autrement dit, les hommes ont plus de probabilités de transmettre leurs gènes car ils ont plus d’enfants que les femmes. Et, en effet, dans la base de données les hommes ont plus d’enfants que les femmes. Ils sont 133 124 à avoir des enfants contre 130 019 femmes.
66L’isonymie matrimoniale dans nos corpus n’est pas un signe de consanguinité, mais plutôt, une pratique liée à une endogamie territoriale.
67L’homogamie, utilisée de manière récurrente, apparaît plutôt comme une pratique culturelle du mariage.
68Les caractéristiques des mariages sont donc importantes dans leurs conséquences au niveau de la distribution génétique. C’est le cas de l’âge au mariage pour les femmes, des remariages pour les hommes et de l’homogamie.
69Cependant, il est important de noter que les liens entre la fécondité et la transmission génétique, s’ils sont réels, n’ont de répercussions qu’en cas de mutations génétiques aux conséquences négatives. Autrement dit, il faut que les porteurs de mutations délétères soient féconds sur plusieurs générations pour qu’augmente le nombre de naissances d’enfants malades car homozygotes.
2. La comparaison selon les corpus
70Une comparaison des caractéristiques au mariage est intéressante dans le sens où le groupe des ascendances des non-porteurs se différencierait. Pour l’analyse, nous nous pencherons sur les ascendants des mutations G551D, 1078delT en comparaison avec les non-porteurs.
71Le groupe des ascendants de porteurs de la mutation G551D compte 32 généalogies pour 40 malades. Dans ce corpus, 28 généalogies ont une profondeur de plus de 8 générations. La profondeur généalogique moyenne des ascendances, d’après le calcul de Marie-Hélène et Pierre Cazes (Cazes et Cazes, 1996), est alors de 13,3 générations.
72On a pu recenser, grâce au logiciel Puck, 9461 relations de mariage (9743 hommes, 9750 femmes). Dans ce corpus, on retrouve 5 composantes matrimoniales, c’est-à-dire 5 sous-réseaux connectés entre eux mais indépendants les uns des autres. La principale composante contient 18826 individus (96 %). Autrement dit, quasiment tous les individus de ce corpus sont interconnectés. Or, au point de départ, 28 généalogies ont été incluses dans l’analyse. Les caractéristiques des mariages dans ce groupe sont résumées dans le tableau 15.
Tableau 15. Caractérisation des couples du groupe des ancêtres des porteurs de la mutation G551D entre 1600 et 1949

Source : base de données Généalogie et mucoviscidose.
73La différence entre le nombre de Sosa cités et les individus réels et uniques provient des doublons. Une personne peut être présente dans plusieurs ascendances. Dans ce groupe, c’est très fréquent. En effet, si l’on cumule toutes les généalogies, on obtient 19 607 sosas et en retirant les doublons, on trouve 13 580 individus, soit près de 30 % de doublons. En soit, c’est déjà un signe d’interconnexions entre les généalogies. Il est à noter que dans ce groupe de généalogies, 21 femmes se sont mariées deux fois. Le remariage unique concerne 45 hommes. Un homme a contracté trois unions.
7473 % des mariages ont eu lieu dans la commune de naissance de la femme (quand celle-ci est renseignée).
75Le groupe 1078delT passé dans le logiciel Puck compte 26 généalogies et 30 malades. La profondeur généalogique moyenne est de 7,23 générations.
76On a pu relever, 9 237 relations de mariage pour un total de 19 078 individus (9530 hommes, 9548 femmes).
77Dans ce groupe, 20 femmes se sont mariées deux fois. 34 hommes se sont mariés deux fois. 7 composantes matrimoniales sont représentées. La présence d’un petit nombre de composantes de grande taille, la plus importante contient 14 806 individus (77,6 % des individus), témoigne d’un fort degré d’interconnexion au sein du réseau. Ici, l’âge au mariage est plus précoce chez les hommes et chez les femmes, par rapport aux autres groupes (22,82 versus 25,93). Les résultats sont détaillés dans l’annexe 5.
7876 % des mariages sont célébrés dans la commune de naissance de l’épouse, quand celle-ci est renseignée.
79Grâce au logiciel Puck, on sait que c’est à la dixième génération que l’on rencontre le maximum de mariages dits consanguins. En effet, 292 relations de mariage (3,05 %) interviennent dans 3478 circuits de 3369 types différents (fréquence moyenne 1,03) pour un total de 891000 relations de consanguinité dans ce corpus des ascendants de porteurs de la mutation 1078delT.
80La population témoin est représentée par le groupe des non-porteurs qui contient 101 généalogies. Dans ce corpus, il y a un peu plus de 8 000 mariages. Comme dans les groupes précédents, on se rend compte (tableau 16) qu’ils ont surtout été célébrés durant un siècle, entre 1650 et 1800, et dans la commune de l’épouse (75 %). L’âge moyen au mariage des femmes est, ici, un peu plus élevé puisqu’il est de près de 24 ans.
81Afin de pouvoir comparer les groupes G551D, 1078delT et celui des non-porteurs, un corpus de 27 généalogies de non-porteurs a été constitué. Ce nombre correspond, en moyenne, à celui des autres groupes. Ces généalogies ont été prises au hasard, ce sont les 27 premières selon le nombre aléatoire fourni par le logiciel Généatique.
Tableau 16. Caractérisation des couples du groupe des ancêtres des non-porteurs entre 1600 et 1949

Source : base de données Généalogie et mucoviscidose.
82Les 27 généalogies du corpus des non-porteurs ont une profondeur généalogique moyenne de 6,87 générations. Ce groupe comporte 15 717 individus et 7581 relations de mariage (7 841 hommes, 7847 femmes) ; 16 hommes se sont remariés une fois. Ici, 12 femmes se sont remariées une fois ; un homme s’est remarié deux fois. Les remariages sont moins importants proportionnellement que dans les groupes précédents.
83On relève 11 composantes matrimoniales différentes. La composante la plus importante contient 10471 individus. Ces composantes sont plus nombreuses que dans les groupes précédents et la composante maximale est numériquement plus faible. Autrement dit, c’est le signe d’une moindre connexion entre les individus. L’âge au mariage est comparable au groupe des ascendants des porteurs de la mutation G551D.
84Ainsi, la comparaison de trois corpus nous indique qu’il y a beaucoup de similitudes entre les populations. Elles se différencient sur les remariages et les liens de parenté entre individus.
85Voyons concrètement ce qu’il en est dans la famille Cossec-Mével.
3. L’exemple de la famille Cossec-Mével1
86Afin d’analyser au plus près les relations de mariage, le choix a été fait de se pencher sur les unions des ascendants d’une malade. Elle s’appellera ici Béatrice Cossec. Le choix s’est porté sur Béatrice car elle est porteuse de deux mutations caractéristiques de deux parties du Finistère. En effet, elle a hérité de la mutation G551D de son père (Cossec) et de 1078delT de sa mère (Mével).
87Sa généalogie a été reconstituée sur 16 générations. Elle contient 1 698 individus (849 hommes, 849 femmes) dont 814 unions (848 hommes, 847 femmes) et 847 mariages féconds (104 %).
88On retrouve deux composantes matrimoniales bien distinctes, autrement dit, dans la généalogie reconstruite, il n’y a pas de liens de parenté entre les deux parents.
89Cette double-composante est remarquable sur la figure 66 où chaque sommet (hommes : triangles, femmes : cercles) correspond aux individus et les lignes correspondent aux liens simples de parenté (mère, père : arcs orientés des parents aux enfants ; conjoint : arêtes).
Figure 66. Double-composante matrimoniale de la famille Cossec-Mével

Source : Données traitées sous Puck et oregraph réalisé grâce au logiciel Pajek
90L’exemple de ces composantes montre, une nouvelle fois, la segmentation des bassins génétiques. Si l’on regarde les lieux de vie des ancêtres paternels de Béatrice (figure 67), on les retrouve dans le Nord-Finistère. Quant aux ancêtres maternels recueillis, leurs lieux de vie se situaient dans le Finistère-Sud en Cornouaille (figure 68).
Figures 67 et 68. Lieux de vie des ancêtres du père (G551D) et des ancêtres de la mère (1078delT) de Béatrice Cossec

91En ce sens, on peut comprendre que les échanges matrimoniaux aient été inexistants entre les deux familles.
92En revanche, les liens entre les ascendants de M. Cossec père, et les autres ascendants de porteurs de la mutation G551D sont au nombre de 528 répartis sur 16 cousins. Mme Mével, pour sa part, a 9 cousins dans le groupe 1078delT pour un total de 1 391 liens de parenté.
93L’âge moyen à la première union dans la famille Cossec est de 29 ans pour les hommes, ce qui est relativement tardif, mais caractéristique du Finistère-Nord, et 23 ans pour les femmes.
94Cette généalogie a la particularité de dénombrer 9 unions homogames de papetiers mariés avec des filles de papetiers. Venus de Normandie, puis du Morbihan (Le Faouët, Montertelot), ils se sont installés dans le Finistère-Nord. Cependant, ces couples n’ont qu’un autre porteur de la mutation G551D recensé dans la base. Dans la famille Mével, l’âge moyen à la première union est de 23 ans pour les hommes, ce qui est relativement jeune mais caractéristique du Finistère-Sud, et 21 ans pour les femmes.
95En résumé, l’ascendance de Béatrice Cossec illustre bien les différentes particularités des unions dans les corpus. L’âge au mariage est précoce chez les femmes. Les remariages sont fréquents pour les hommes. D’une manière générale, par une approche portant sur un corpus de plusieurs milliers d’actes de mariages, on peut avancer que les ancêtres des Bretons actuels ont des attitudes matrimoniales centrées sur l’appartenance au terroir que représente la paroisse, voire le village. En outre, les mariages homogames sont largement majoritaires.
96En conclusion de ce chapitre sur les unions, on peut avancer que les alliances matrimoniales des différentes familles du corpus donnent à voir des caractéristiques particulières : un âge au mariage précoce et en corollaire, au niveau régional, des unions particulièrement fécondes, notamment pour les hommes, dans notre base de données. Ainsi, si on veut tracer un modèle des familles qui pourrait nous mener sur la voie d’une différenciation ayant conduit à une transmission plus rapide ou plus aisée des mutations, on peut sans doute mettre en avant la précocité de l’âge au mariage ainsi que les remariages et la fécondité, plus élevés chez les hommes. En outre, les unions endogames et homogames sont largement majoritaires.
97On voit, dès lors, que les caractéristiques socioculturelles d’une population ainsi que ses contraintes économiques se reflètent sur le comportement matrimonial de ses composantes et, à travers la reproduction qui découle du mariage, sur sa structure génétique. Mais qu’en est-il des mariages consanguins ?
Notes de bas de page
1 Les noms utilisés ici sont des noms fictifs.
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