Chapitre 2
La mucoviscidose
p. 47-63
Texte intégral
I. Description de la pathologie
1Dans les temps anciens, on ne savait pas ce qu’était la mucoviscidose et parmi les populations où beaucoup d’enfants souffraient de troubles respiratoires et digestifs, on évoquait alors le « baiser salé » ou le « baiser de la mort ». Par expérience, on savait que si on embrassait son enfant et qu’il avait la peau salée, c’était un très mauvais présage. Les proches pressentaient par tradition familiale que l’enfant risquait de mourir. Il existait donc une sorte de pré-connaissance et de tradition populaire sur le fait que l’enfant avait cette anomalie, qu’il allait être malade et, à terme, décéder assez rapidement.
1. Une maladie au goût salé
2D’après le Dr Roland Busch, la plus ancienne publication connue à ce jour et faisant état de la sueur salée date de 1606 (Busch, 1984). Elle est l’œuvre de Juan Alonso y de Los Ruyzes de Fontecha (Alonso y de Los Ruyzes de Fontecha, 1606). Dans ses Dièz previlegios para mujeres preñadas, nous pouvons lire : « une femme honorable dit qu’elle connaît des ensorcelés chez lesquels on sent aussitôt sur les doigts un goût salé, lorsqu’on leur frotte le front » (p. 212).
3Le goût salé qu’avait le front de certains enfants faisait spéculer sur le fait qu’ils étaient ensorcelés, ou victimes de mauvais sorts. C’est une superstition qui a traversé les siècles. Michael Welsh cite un vieil adage du folklore de l’Europe du Nord (Welsh et Smith, 1996) : « malheur à l’enfant qui laisse un goût de sel lorsqu’on l’embrasse sur le front. On lui a jeté un sort et il mourra bientôt » (p. 66).
4Le mauvais sort expliquait la destinée funeste. Cette conception primitive de la maladie permettait de lui donner du sens dans un système de santé où la seule référence est l’ordinaire et où la maladie représente l’« extra-ordinaire ».
5Selon le Dr Busch, la sueur salée se trouve mentionnée dans la littérature médicale, dès 1595 (Busch, 2005). Un rapport d’autopsie rédigé par le professeur d’anatomie Peiter Pauw, à Leyde aux Pays-Bas, décrit une patiente chétive supposée ensorcelée et présentant un pancréas particulier. « Le 16 janvier 1595, […] j’ai procédé à l’autopsie d’une fillette de onze ans qu’on disait ensorcelée ; elle présentait depuis huit ans des symptômes étranges. À l’intérieur du péricarde, le cœur de la fillette baignait dans une eau empoisonnée, d’une couleur verte comme l’eau de mer. Le décès avait été causé par le pancréas, qui était particulièrement tuméfié […]. En l’extrayant, on a pu en observer l’intérieur, d’une couleur brillante, et ayant l’aspect d’une masse durcie, blanche et visqueuse. La fillette était décharnée, épuisée par une fièvre hectique [fièvre prolongée] » (p. 29).
6En Bretagne, jusque dans les années 1970, on a associé la maladie à la tuberculose qui avait mauvaise presse. D’après nos informateurs, on disait alors de ces enfants « ar re zo tub » (ceux-ci sont tuberculeux). On craignait alors la contagion (après sa naissance, en 1952 une enfant devenue malade poussa le voisinage à ne plus laver le linge dans le lavoir commun). De fait, la maladie restait un sujet sensible, tabou. La tendance jusqu’à un temps encore proche était de « cacher » les anomalies physiques visibles ou invisibles à cause d’une certaine gêne, voire une honte et pour ne pas avoir à répondre aux questions parfois malveillantes.
7Dans l’intimité, les parents se l’expliquaient simplement par la fatalité. Ils s’en remettaient alors, par l’intermédiaire du saint local, à la seule puissance connue : Dieu, afin de demander un mieux-être pour l’enfant malade et bien sûr qu’il ait une « mort douce », faute de pouvoir en faire plus. On disait alors « hep kaout feiz ne c’hell den harpañ ouzh poan hag ouzh an anken » ou encore : sans foi, personne ne peut résister au mal et à l’angoisse. Quand il était trop tard, on pouvait alors entendre « a re man zo daoned », « ceux-ci sont condamnés », autrement dit, sous l’emprise du démon. Signe d’un temps où l’on ne mourrait que par la volonté de Dieu.
8Philippe Adam et Claudine Herzlich ne disent pas autre chose quand ils avancent que « la maladie constitue toujours un état pourvu de significations sociales : être malade ou bien-portant n’est pas socialement équivalent » (Adam et Herzlich, 2004). La bonne santé s’identifie ainsi à la norme. Or, « penser sa maladie c’est déjà faire référence aux autres » disait Marc Augé (Augé et Herzlich, 1983). La maladie est donc à considérer dans sa dimension sociale et culturelle.
9Toutes les sociétés ont ainsi développé des modalités de réponse au malheur que constitue la maladie et organisé des formes de prise en charge des malades (Bourdelais et Faure, 2005). Les épidémies du passé ont largement marqué l’imaginaire collectif. Face à l’impuissance de la médecine, à la contagion, les mesures de protection ont consisté en un isolement des malades (Bardet et al., 1989). Par manque de moyens de transport, mais aussi de praticiens, les consultations médicales étaient encore rares après la Seconde Guerre mondiale dans les campagnes bretonnes. Ces lacunes laissaient libre place aux rumeurs, aux représentations et à l’ignorance.
10Puis, peu à peu, grâce à la prise en charge sanitaire à un niveau plus local, l’usager va cesser de percevoir la maladie comme un mal sur lequel il n’a pas de prise. La résignation va s’effacer devant la volonté de connaître, d’agir et de nommer.
2. Un mucus encombrant
11Il faudra attendre le début du xxe siècle pour qu’apparaissent les plus sérieuses observations associant maladie pulmonaire, diarrhée chronique et anomalie pancréatique avec plusieurs cas dans la même famille. En 1944, suite aux descriptions du Pr Sydney Farber, de maladie exclusivement pancréatique, elle devient alors une affection touchant l’ensemble des glandes à mucus, d’où la dénomination de « mucoviscidosis » qu’il propose cette même année (Farber, 1944).
12Ce terme est constitué de deux mots : mucus et visqueux, ainsi que du suffixe « ose », lequel renvoie à la maladie. Le terme de mucoviscidosis reste très employé dans le monde, et notamment en France. Les termes « cystic fibrosis » (CF) ou fibrose kystique sont utilisés dans les pays anglo-saxons.
13Néanmoins, jusqu’à la moitié du xxe siècle, les observations cliniques de cas de mucoviscidose étaient rares. En effet, les nourrissons décédaient encore très rapidement et, de fait, les auscultations étaient quasi inexistantes et la maladie encore peu connue.
14Après la Seconde Guerre mondiale, les recherches médicales connaissent un certain essor, conséquence, entre autres, de la découverte et de l’utilisation de la pénicilline. Utilisée pour soigner les blessés pendant la guerre, elle a ensuite servi à traiter les infections. Grâce à elle, les nourrissons atteints de mucoviscidose ont pu vivre un peu plus longtemps et les effets de la maladie ont ainsi pu être étudiés. On pouvait alors observer des enfants toussant beaucoup, fiévreux, maigres, présentant un ventre ballonné et une sueur salée. En effet, dans sa forme typique, la mucoviscidose se caractérise par des atteintes respiratoires et digestives.
15Les premiers symptômes apparaissent, le plus souvent, rapidement après la naissance. L’atteinte broncho-pulmonaire est une des caractéristiques les plus visibles : elle est également l’élément primordial du pronostic et la cause la plus fréquente du décès.
16Le mucus, rendu trop épais notamment par une hydratation insuffisante, progresse plus lentement dans les poumons et se trouve alors difficile à évacuer. L’obstruction progressive des petites voies respiratoires provoque une inflammation des lésions pulmonaires, auxquelles s’associent des infections bronchiques et pulmonaires récurrentes. Les atteintes de l’appareil reproducteur sont également très fréquentes.
17Plus de 95 % des patients masculins sont stériles, en raison d’une azoospermie obstructive par absence bilatérale des canaux déférents qui transportent les spermatozoïdes des testicules vers les vésicules séminales. Ces patients peuvent cependant engendrer une descendance, d’une part, parce que la fonction testiculaire endocrine est préservée permettant une activité sexuelle normale (la testostérone est normalement sécrétée), d’autre part, du fait du recours possible, après réflexion du couple, à une technique de procréation médicalement assistée : l’ICSI (intra-cytoplasmic sperm injection) qui permet le prélèvement chirurgical de spermatozoïdes fonctionnels au niveau du testicule, suivi de leur insémination chez la partenaire.
18Les femmes peuvent avoir une fertilité diminuée en raison d’une glaire cervicale épaisse et visqueuse, ou d’un état de dénutrition lié à l’évolution de la maladie. Néanmoins, avec l’amélioration de la qualité et de l’espérance de vie des malades, les grossesses sont de plus en plus nombreuses. Ainsi il naît, aujourd’hui, des enfants de femmes ou d’hommes atteints de mucoviscidose.
19Les malades atteints de mucoviscidose présentent des pertes excessives de sels de chlore et de sodium, d’où le « goût salé » de la peau des enfants, signe de la mucoviscidose. Le mauvais fonctionnement d’une protéine entraîne une concentration élevée en chlorure de sodium dans la sueur. Les pertes sont particulièrement importantes en cas de forte chaleur, de fièvre, d’activité physique intense, de diarrhée, de vomissements ; elles peuvent entraîner un état de déshydratation particulier, dit hyponatrémique, éventuellement sévère voire mortel et communément dénommé « coup de chaleur ». Les recommandations et l’éducation thérapeutique des patients et des parents ont permis de diminuer considérablement sa fréquence et sa mortalité.
3. Symptômes et traitements
20Au niveau du traitement, le désencombrement bronchique a été la première préoccupation des médecins. Par un système physique de drainage, le but est de désencombrer les bronches et les bronchioles obstruées par un mucus abondant et visqueux, véritable « bouillon de culture » pour les infections bactériennes. Les exercices sont « passifs » chez les tout-petits (exercices de variation des volumes ventilés) et de plus en plus « actifs » avec l’âge. Un kinésithérapeute intervient, mais les séances peuvent être auto-administrées chez les adultes. Leur rythme varie de une à trois séances par jour, en dehors des périodes d’exacerbations bronchiques.
21Le traitement des infections pulmonaires repose aussi, en grande partie, sur l’antibiothérapie. À l’origine, administrées par voie intraveineuse durant une hospitalisation, ces médications le sont, de plus en plus souvent, en ambulatoire ou en hospitalisation à domicile. Aujourd’hui, les antibiotiques sont donnés par voie orale ou par voie intraveineuse quand les médicaments utilisables par voie orale ne sont pas suffisamment efficaces.
22L’antibiothérapie par aérosol est très utilisée : elle vise à apporter directement l’antibiotique sur le site de l’infection, en évitant les effets secondaires indésirables de ces derniers lorsqu’ils sont administrés par voie veineuse.
23L’une des difficultés majeures à laquelle est confronté le thérapeute est l’existence de multirésistances des germes aux antibiotiques, ce qui réduit d’autant l’arsenal thérapeutique et son efficacité. Les fluidifiants bronchiques, utilisés en aérosols, agissent soit par fragmentation des constituants des sécrétions purulentes, soit par hydratation des sécrétions. L’objectif est de diminuer l’obstruction des voies aériennes en favorisant le drainage.
24La prise en charge nutritionnelle et digestive, quant à elle, a pour but de corriger la maldigestion due à l’insuffisance pancréatique et de lutter contre la malnutrition. Un apport en enzymes digestives est nécessaire, afin de favoriser l’assimilation des graisses et des compléments vitaminiques liposolubles pour pallier les multiples carences. S’ajoute un régime hypercalorique sans restriction de lipides. Les apports énergétiques doivent être de 30 % à 50 % supérieurs à la normale pour compenser, d’une part, la mauvaise assimilation des nutriments et les diarrhées, d’autre part, l’augmentation des pertes et la diminution des apports énergétiques liées à l’inflammation et à l’infection chroniques (qui provoquent à la fois une augmentation du métabolisme de base et une diminution de l’appétit et des ingestats spontanés). Au-delà des recommandations diététiques, le recours à des suppléments caloriques oraux, voire à une nutrition entérale (par sonde naso-gastrique ou gastrostomie), peut s’avérer nécessaire pour rétablir ou maintenir un état nutritionnel optimal.
25Enfin, la transplantation ou greffe (du bloc cœur-poumons, des poumons, du foie ou, éventuellement, une greffe multiple) reste le traitement ultime, lorsque l’organe concerné est trop altéré pour assurer un fonctionnement compatible avec la vie.
26Bien qu’elle soit un recours ultime, la transplantation nécessite d’être abordée et préparée avec le patient relativement tôt dans l’évolution de sa maladie pour que l’état général du malade, au moment de la greffe, soit optimal. Une codification stricte et une inscription sur liste d’attente de transplantation sont inhérentes à cette thérapeutique.
27De fait, elle ne peut pas être considérée comme une véritable thérapie. Le patient greffé est toujours mucoviscidosique, avec un nouvel organe non atteint. Il doit prendre un traitement immunosuppresseur anti-rejet à vie.
4. Une double transmission parentale
28La mucoviscidose se révèle sur un mode de transmission autosomique récessif (figure 5). Le gène défectueux n’étant pas situé sur un chromosome sexuel, la maladie touche indifféremment hommes et femmes. Pour être malade, un individu doit recevoir deux copies du gène délétère. Une personne qui en possède un unique exemplaire n’est pas atteinte, elle est dite hétérozygote, transmetteur, conductrice ou encore porteuse saine.
Figure 5. Modèle de transmission d’une maladie héréditaire récessive

29Dans le cas d’un couple où les deux partenaires sont porteurs sains du gène muté, la probabilité de donner naissance à un enfant atteint de mucoviscidose à chaque conception est de 1 sur 4. Elle est de 2 sur 4 d’avoir un enfant porteur sain et de 1 sur 4 de mettre au monde un enfant sans mutation du gène.
a. Des progrès récents dans la prise en charge
30Le 24 août 1989 est une date importante dans l’histoire de la mucoviscidose. Le docteur Lap-Chee Tsui, de l’hôpital des Enfants malades de Toronto (Canada), accompagné de ses deux collègues, le Dr John Riordan, et le Dr Francis Collins, de l’université du Michigan (États-Unis), annonce, lors d’une conférence de presse à Toronto, que le gène responsable de la mucoviscidose a été identifié, séquencé et cloné (Rommens et al., 1989 ; Riordan et al., 1989). De nouvelles perspectives s’ouvrent alors, tant dans la compréhension de la maladie que dans sa prise en charge.
31La maladie est due à des mutations sur un gène du chromosome 7. Ce gène, nommé Cystic Fibrosis, code pour la synthèse d’une protéine appelée Cystic Fibrosis Transmenbrane Conductance Regulator, c’est-à-dire « régulateur de la conductance transmembranaire dans la mucoviscidose » (CFTR). Sous sa forme normale, cette protéine régule les passages d’eau et d’ions chlorure à travers les membranes épithéliales, notamment digestives et respiratoires. Sous sa forme mutée, lorsqu’elle est transmise par les deux parents, elle provoque des dysfonctionnements qui, bien qu’hétérogènes, ont été réunis sous le nom de mucoviscidose.
32On connaît actuellement 1 993 mutations1 sur le gène CFTR codant pour la protéine CFTR, responsables de la mucoviscidose.
33Un patient atteint de mucoviscidose peut être homozygote (porteur de la même mutation CFTR sur les deux allèles du gène CFTR) ou hétérozygote composite (porteur de deux mutations CFTR différentes). Dans le langage courant, on utilise le terme homozygote pour les malades et hétérozygote pour les porteurs sains. Le spectre de distribution des mutations dans ce gène est très particulier puisqu’une seule mutation, la délétion F508del, est observée très fréquemment. On la retrouve dans environ 70 % des cas de mucoviscidose dans le monde et dans presque la moitié des cas à l’état homozygote.
34On rencontre, à côté de cette mutation majoritaire, toute une pléiade de mutations qui ne sont présentes qu’en quelques exemplaires, voire en un seul exemplaire, à travers le monde. Le Consortium international d’Étude des Mutations du Gène de la Mucoviscidose révèle que seulement cinq anomalies ont une fréquence qui dépasse le seuil de 1 % : F508del (70 %), G551D (4 %), G542X (2,4 %), N1303K (1,3 %) et W1282X (1,2 %).
35Les mutations rares ont une fréquence inférieure à 0,1 % et constituent la quasi-totalité des mutations. Ainsi, la fréquence des mutations CFTR peut varier considérablement d’un groupe ethnique ou géographique à l’autre. On notera, par exemple, que la mutation majoritaire (F508del) présente un gradient décroissant nord/sud : elle est par ticulièrement fréquente en Grande-Bretagne, au Danemark (82,7 %) ainsi qu’en Bretagne ; alors qu’en Espagne et en Italie, elle n’est identifiée que sur 50 % des chromosomes (Estivill et al., 1997).
36La France, de par sa situation à mi-chemin entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud, a une position intermédiaire dans ce gradient (Des Georges M. et al., 1998). La fréquence de cette mutation parmi les malades y est d’environ 70 %, avec des variations régionales allant de 61 % dans la région Languedoc-Roussillon à 80 % en Bretagne occidentale. Par ailleurs, cette mutation n’est associée qu’à 30 % des allèles mutés dans les populations juives ashkénazes (Abeliovich et al., 1992). Actuellement, en France, le diagnostic de la mucoviscidose chez l’adulte est le résultat de la combinaison de symptômes d’appel, tels que des bronchites à répétition, des selles abondantes, une hypofertilité, un retard staturo-pondéral, un antécédent familial, puis d’un test de la sueur positif et de l’identification des mutations du gène CFTR.
b. Une meilleure connaissance des populations touchées
37Aux États-Unis, dès 1955, les malades et leur famille se sont regroupés en association afin d’encourager la recherche, d’aider au quotidien les patients et leur famille et de former les professionnels de santé. En France, l’Association française de lutte contre la mucoviscidose (AFLM) est créée en 1965 et prend le nom, en 2001, de Vaincre la mucoviscidose.
38Au fil des ans, ces associations ont créé un vaste réseau de bénévoles et de partenaires, acquérant par-là même une solide expertise en collecte de fonds ainsi qu’en représentation publique (Rabeharisoa et Callon, 1999). L’association a créé en 1992, sur proposition des docteurs Gilles Rault et Armelle Sautegeau, l’Observatoire national de la mucoviscidose. L’objectif est de recueillir des données épidémiologiques et démographiques afin de mieux connaître les caractéristiques de la population atteinte de mucoviscidose et ainsi d’améliorer les soins et l’organisation de la recherche clinique. Ces données sont exploitées en collaboration avec l’Ined depuis 1998 (Rault, 1998). Elles sont compilées dans un registre qui a été labellisé en janvier 2009 par le Comité national des registres-maladies rares. Cette qualification en tant que Registre national français de la mucoviscidose est une reconnaissance de l’exhaustivité et de la qualité du traitement des données des patients atteints de mucoviscidose.
39Le registre est alimenté via un questionnaire rempli une fois par an par les centres de soins. Il permet de collecter, pour l’année échue, des informations sur l’état civil des malades (leur identification, indirectement nominative, demeurant anonyme), les éléments fondant le diagnostic de mucoviscidose, les événements médicaux qui les ont affectés au cours de l’année, les modalités de prise en charge thérapeutique, le poids, la taille, les caractéristiques fonctionnelles respiratoires, bactériologiques, évolutives et, dans un registre différent, les données socio-familiales. En 2011, 6 046 patients ont été recensés par le Registre français (Bellis et al., 2013).
40D’un point de vue géographique, il existe des disparités entre les départements métropolitains (figure 6). La majorité des malades (plus de 58 %) se concentre sur un arc Nord-Ouest (régions Nord-Pas-de-Calais, Normandie, Bretagne, Pays de la Loire), en second lieu, sur un arc Est (régions Lorraine, Alsace, Franche-Comté, Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur).
Figure 6. Prévalence de la mucoviscidose par département, DOM compris (nombre de patients pour 100 000 habitants)

Source : Bellis et al., 2013, p. 8.
41La prévalence est dite aussi prévalence « instantanée ». Elle indique le nombre de personnes souffrant d’une affection déterminée à un moment donné.
42Pour la mucoviscidose, la prévalence est en moyenne de 7,8 malades pour 100 000 habitants sur l’ensemble du territoire français. Mais elle présente de fortes variations selon les départements. On notera les effectifs importants dans toute la région bretonne.
43L’incidence est généralement calculée à la naissance. Elle correspond au nombre de naissances d’enfants atteints de mucoviscidose rapporté à la totalité des naissances, pendant une période donnée. Du point de vue de l’incidence, la mucoviscidose est la plus fréquente des maladies autosomiques récessives graves dans les populations d’origine européenne. En effet, au niveau européen, elle touche un nouveau-né sur 2 500, ce qui permet d’évaluer à 1/25 les individus transmetteurs car porteurs sains. Cependant, la fréquence de l’affection varie selon l’origine géographique et ethnique des patients.
44Au niveau mondial, les incidences les plus élevées ont été calculées dans quelques populations de tailles réduites : 1/313 dans une communauté huttérite de l’Alberta-Canada (Fujiwara et al., 1989), 1/377 dans le canton de Berven-Plouzévédé dans le Finistère (Bois et al., 1978), 1/569 dans une congrégation Amish de l’Ohio aux États-Unis (Wood Klinger, 1983) et 1/902 au Saguenay-Lac-Saint-Jean dans la province de Québec au Canada (Daigneault et al., 1992).
45En France, l’incidence globale depuis le début du programme de dépistage, de 2002 à 2012, est d’environ 1 nouveau-né sur 4 754 naissances, en tenant compte des formes classiques et des formes frontières ou 2,1 pour 10 000 (AFDPHE, Bilan d’activité 2012). Ainsi, bien que dite « rare », c’est parmi les maladies génétiques graves de l’enfance, la plus fréquente en France (≈ 6 000 malades). Et il y a environ 2 millions de Français à pouvoir transmettre la mutation responsable de la maladie (soit 2,9 % de la population). Autrement dit, 1 Français sur 34 est porteur sain d’une mutation du gène CFTR.
46Au niveau du génotype des malades, la mutation la plus fréquemment rencontrée est F508del. En effet, près de la moitié des malades français sont porteurs en deux exemplaires de cette mutation (48,9 % des génotypes identifiés), 38,9 % en un exemplaire couplé à une autre mutation. Ces génotypes sont répartis inégalement sur le territoire.
5. Les apports de la thérapie génique
47À ce jour, il n’existe pas encore de traitement pouvant guérir la maladie, d’où l’espoir suscité par les génothérapies.
48La thérapie génique, face à cette maladie chronique, concentre de nombreuses recherches. L’objectif est d’introduire du matériel génétique dans les cellules dans un but thérapeutique.
49La mise au point récente des modèles génétiques de la mucoviscidose permet de tester différentes approches de la thérapie génique. Leur vocation est de fournir une copie normale de l’allèle muté aux cellules qui en sont dépourvues, afin que l’ADN introduit dans les cellules cibles déclenche la synthèse de la protéine normale et corrige l’anomalie biochimique responsable de la mucoviscidose. L’un des problèmes rencontrés est celui du moyen utilisé afin d’amener un gène fonctionnel dans les cellules.
50En 2011, le laboratoire Vertex Pharmaceuticals a publié les résultats d’un essai clinique, randomisé (tirage au sort entre le produit testé le VX770 et le placebo), en double aveugle (ni le patient ni son médecin ne savent quel est le produit tiré au sort), sur 170 patients de 12 ans ou plus, porteurs d’au moins une mutation G551D. Son objectif est de corriger directement une anomalie de la protéine responsable de la mucoviscidose.
51Les résultats, très encourageants, montrent dans le groupe de patients traités par rapport au groupe recevant le placebo : une bonne tolérance du produit testé, une forte diminution (40 %) de la concentration des ions chlorure dans la sueur, une évolution de la différence de potentiel nasal dans le sens d’une restauration partielle de la sécrétion, une amélioration très sensible des débits pulmonaires, une prise de poids, une diminution des hospitalisations et du recours aux antibiotiques. Ces résultats suscitent un grand espoir même si les malades porteurs de la mutation G551D qui peuvent en bénéficier représentent moins de 5 % des 60 000 patients recensés à ce jour dans le monde. Vertex Pharmaceuticals a engagé des essais cliniques visant à étudier l’efficacité de molécules de la même famille (seule ou en association) chez les personnes atteintes de mucoviscidose porteurs de la mutation la plus fréquente.
52En parallèle, des efforts sont développés pour améliorer la qualité de la prise en charge des malades par les centres de soins spécialisés (CRCM) avec les moyens actuellement disponibles. C’est la position stratégique et pionnière adoptée par l’association américaine de lutte contre la mucoviscidose (United States cystic fibrosis foundation) qui a choisi d’investir des sommes importantes à la fois dans la recherche de nouvelles molécules capables de restaurer le fonctionnement du canal chlore déficient et dans la mise en œuvre d’un Programme d’Amélioration de la Qualité des soins.
53Ces démarches sont, en effet, complémentaires : mieux seront utilisés les moyens thérapeutiques actuellement disponibles, plus nombreux seront les patients en état de bénéficier des traitements curatifs à venir.
54En l’absence d’une thérapie de guérison, le dépistage précoce de la maladie (diagnostic prénatal ou néonatal systématique) et la création de réseaux de soins et de santé ont permis la coordination interdisciplinaire de professionnels hospitaliers ou de ville, travaillant en étroite collaboration avec les patients et les familles dans le but d’améliorer l’espérance de vie et la qualité de vie des personnes atteintes de mucoviscidose.
55Conjuguée aux progrès des traitements, l’amélioration de la prise en charge s’est traduite par une augmentation régulière de la proportion de malades adultes. En France, elle est proche actuellement de 50 %. En 2011, l’âge moyen au décès était de 26 ans. Mais sur la période tri-annuelle 2008-2009-2010, l’espérance de vie à la naissance était estimée à 49 ans (Bellis et al., 2013).
56Progressivement, la mucoviscidose a perdu son qualificatif de maladie « pédiatrique » pour devenir une maladie d’enfants et d’adultes. La population des adultes oblige à de nouvelles approches de prises en charge (équipes mixtes pédiatre/médecin spécialisé…) mais soulève, également, de nouveaux problèmes et défis : insertion professionnelle et sociale, accès aux prêts bancaires, vie de couple et reproduction…
II. La mucoviscidose en Bretagne
1. Historique des travaux
57En 1964, alors que la maladie reste fort méconnue au niveau national, le Centre hélio-marin de Roscoff (CHM) dans le Finistère compte parmi les rares établissements qui organisent une prise en charge des malades. Ainsi, des enfants souvent considérés comme condamnés à court terme ont pu être accueillis au sein d’un service de soins spécialisé dans la mucoviscidose. Cette organisation a apporté aux malades un meilleur suivi et aux professionnels une connaissance accrue des manifestations de la maladie. Des patients arrivaient alors de toute la France. En effet, c’était un des seuls endroits, avec l’hôpital de Giens, où des spécialistes avaient une véritable connaissance de la mucoviscidose. Mais, de fait, ils devaient le plus souvent faire face à des situations médicales dramatiques.
58Le nom de la pathologie était, jusque dans les années 1980, inconnue pour beaucoup de médecins. Le problème des patients et des parents était, alors, de pouvoir trouver un médecin qui connaisse la mucoviscidose. Les soignants du CHM, eux, se sont spécialisés dans la prise en charge de cette maladie. Le Dr Michel Jéhanne, pédiatre au CHM, participait aux conférences internationales sur le sujet et s’est impliqué dans la recherche et la publication d’articles (Hennequet et al., 1968), (Jéhanne et al., 1972, 1974, 1976). Rapidement, il s’est rendu compte qu’il semblait y avoir une fréquence particulièrement élevée de la maladie en Bretagne.
59Effectivement, une des premières études épidémiologiques, réalisée par Josué Feingold et al. sur la partie nord du département du Finistère (arrondissements de Morlaix et de Brest), a mis en évidence une incidence de 1/1787 naissances vivantes. Leur étude por tait sur des sujets nés entre 1965 et 1972 (Feingold et al., 1974).
60Suite à ces résultats, en 1975, le Dr Yves Runavot soutient une thèse de médecine intitulée « Étude de la fibrose kystique dans la région de Plouzévédé (Nord-Finistère) » (Runavot, 1975). Une reconstitution généalogique a été entreprise, en vue de préciser l’incidence de la maladie et les facteurs ayant pu favoriser la concentration dans le canton de Plouzévédé du gène pathologique responsable de cette maladie. M. Runavot a relevé une fréquence de 1/376 naissances vivantes dans le canton de Plouzévédé et 1 porteur sain sur 10. Il a cherché à vérifier si les 19 malades nés entre 1946 et 1971 dans cette région étaient issus d’un ancêtre commun et si la distribution du gène s’est effectuée au hasard. En conclusion, il note : « une fréquence si élevée de la maladie (un malade pour 376 naissances, si l’on considère les naissances domiciliées dans le canton) ne peut s’expliquer entièrement par un avantage sélectif des hétérozygotes. (…) L’étude des généalogies jusqu’au xviiie siècle (10 générations), n’a pas montré l’existence d’ancêtres communs » (p. 34). Néanmoins, il ajoute que « l’isolement relatif de cette population au cours des siècles a été nécessaire pour conserver ce gène pathologique à une fréquence importante, non pas par la consanguinité, mais en évitant sa « dilution » dans la population générale » (p. 33). En 1978, il publie avec Étienne Bois et al. les résultats de leur étude mettant en avant des apparentements vérifiés entre 8 familles sur 10 (Bois et al., 1978).
61En 1979, Florence Demenais et al. se sont aussi intéressés au Finistère-Sud et au département du Morbihan sur la même période (Demenais et al., 1979). Comme on peut le voir sur la figure 7, ils ont réajusté l’incidence du Finistère-Nord à 1/1 679 soit 6 naissances d’enfants malades pour 10 000 naissances vivantes.
Figure 7. Répartition de la mucoviscidose en Bretagne : nombre de sujets atteints pour 10 000 naissances vivantes

Source : Demenais et al., 1979, p. 9.
62Sur la base de ces études épidémiologiques, en 1988, s’est mis en place, quelques années après la Normandie, un dépistage néonatal systématique (DNS) en Bretagne.
63Convaincus de son intérêt, et malgré l’absence de consensus entre les experts, le professeur Claude Férec (généticien au laboratoire de biologie moléculaire de Brest), le docteur Gilles Rault (pédiatre au Centre de Perharidy) et monsieur Bernard Laurent (délégué territorial de l’association Vaincre la Mucoviscidose) mobilisent un petit groupe de personnes. Elles sont déterminées à mettre en avant les avantages d’un dépistage dans une région à forte incidence : possibilité de diagnostic précoce, bénéfice thérapeutique présumé du fait de la rapidité de la prise en charge et de son organisation, proposition de dépistage anténatal.
64La mise en place du DNS (le 1er mai 1988 dans le Finistère puis étendu aux trois autres départements bretons en 1989) va s’avérer possible grâce au soutien local des professionnels, des familles et de la société civile. Les autorités nationales de santé, alors hésitantes, mettent en place un programme expérimental sur huit régions, dont la Bretagne, afin d’évaluer l’opportunité du DNS de la mucoviscidose. Mais, en raison de failles de la méthode, le financement de ce programme est abandonné en 1991. L’« Opération Télégramme » va mobiliser le grand public et recueillir quelque 760 000 € pour permettre la poursuite du dépistage en Bretagne.
65En 2000, les médecins bretons publient un premier article sur les bénéfices thérapeutiques du DNS et sur la justification de son extension (Scotet et al., 2000). Cette expérience contribuera fortement à la décision de généraliser, en 2002, le dépistage néonatal systématique à l’ensemble de la France.
66Cette aventure avait alors, comme le dit si bien Joëlle Vailly « la vie comme enjeu, la souffrance comme signe, et le gène comme vecteur » (Vailly, 2011).
67Le dépistage a permis de mettre en avant des particularités régionales au niveau de la fréquence et de la répartition des principales mutations du gène CFTR.
68Ainsi, un projet de reconstitution des généalogies des patients mucoviscidosiques de Bretagne a débuté vers 1990 sous l’égide d’André Chaventré. Sa motivation découlait du fait que trois mutations avaient des fréquences élevées dans la population d’origine celtique de la Bretagne alors qu’elles étaient rares dans les autres populations. Le projet global a été rédigé ; des données généalogiques ont été collectées mais elles ont été très peu exploitées, notamment parce que le corpus n’avait pas encore été déclaré à la Cnil.
69En parallèle, Ingrid Duguépéroux a commencé une thèse de doctorat en sciences de la vie et de la santé. Sa thèse, soutenue en 2001, présente l’épidémiologie génétique de trois mutations du gène CFTR (G551D, 1078delT, W846X), particulièrement fréquentes en Bretagne (Duguépéroux, 2001). Elle y a étudié les corrélations génotype-phénotype mais aussi les généalogies. Pour ce faire, elle a rassemblé 27 malades porteurs d’au moins une mutation G551D, 32 porteurs d’au moins une mutation 1078delT et 16 pour la mutation W846X. Les reconstitutions généalogiques ont montré que d’un point de vue historique, de la géographie humaine et génétique, ces trois mutations du gène CFTR se comportent différemment. La mutation G551D se situe en plus grande proportion sur la côte septentrionale de la péninsule bretonne. Cette distribution est à replacer dans le contexte des mouvements de populations en Bretagne armoricaine. La mutation 1078delT se retrouve principalement sur la bordure méridionale de la région. Cette distribution peut être expliquée par le contexte historico-économique de la Bretagne durant l’époque contemporaine. Enfin, la mutation W846X, quoique rare hors de la Bretagne, se rencontre essentiellement dans la partie centrale de la région et semble être liée aux activités forestières.
70En épidémiologie, Virginie Scotet a soutenu en 2001 une thèse intitulée « Épidémiologie moléculaire de la mucoviscidose en Bretagne » (Scotet, 2001). Elle y a développé un bilan de dix années d’expériences du dépistage néonatal et du diagnostic anténatal de mucoviscidose, mais aussi une étude épidémiologique de la mucoviscidose en Bretagne de 1960 à 2000. Le but de ce travail était double. Il s’agissait de recenser l’ensemble des patients nés en Bretagne, mais également de disposer de leur date et lieu de naissance, afin de pouvoir consulter ultérieurement les actes de naissances, qui fourniraient les informations nécessaires à l’analyse de la distribution de la maladie et de ses mutations.
71Les variables recueillies regroupaient : des données sociodémographiques (sexe, date de naissance, lieu de naissance et de résidence du patient, de ses parents et grands-parents) ; des données génétiques (génotype, origine paternelle et maternelle des mutations, antécédents familiaux) ; et des données sur l’état de santé (date de diagnostic, statut vital, date de décès). La population de l’étude recensait 520 patients nés et résidant en Bretagne au moment de leur naissance entre le 1er janvier 1960 et le 31 décembre 1999. Parmi ces 520 patients, 203 personnes sont nées dans le Finistère, 111 en Ille-et-Vilaine, 113 dans le Morbihan et 93 dans les Côtes-d’Armor. Ces 520 patients appartenaient à 450 familles distinctes.
72L’incidence de la maladie en Bretagne sur cette période où il y a eu 1533003 naissances est alors estimée à 1/2 948 naissances vivantes dans la région. Virginie Scotet a remarqué que cette incidence observée au niveau régional marque des variations selon les départements mais aussi selon le temps (tableau 2).
73Cette distribution a été analysée à différents niveaux de découpage géographique : administratif (départements, arrondissements, cantons), mais également ecclésiastique (évêchés). Au total, elle a pu identifier 62 mutations différentes chez les 448 patients nés en Bretagne entre le 1er janvier 1960 et le 31 décembre 1999 et chez qui une analyse moléculaire a été réalisée. Cette thèse a permis, entre autres, « d’étudier la distribution spatiale de cette maladie dans la région et d’identifier avec précision les agrégats de cas. On retrouve, notamment, une concentration de cas dans le Sud du Finistère (où l’on retrouve la mutation 1078delT), dans le Nord du Finistère également (où l’on retrouve de nombreux allèles G551D), ainsi que dans le Centre Bretagne » (p. 213).
Tableau 2. Incidence de la mucoviscidose en Bretagne par département et par décennie (patients nés et domiciliés en Bretagne)

* Dénommé Côtes-du-Nord jusqu’en 1990.
Source : Virginie Scotet, Inserm Brest, U1078.
74En 2004, la sociologue J. Vailly publie un article intitulé « Une politique de santé ’a priori ’. Le dépistage néonatal de la mucoviscidose en Bretagne » (Vailly, 2004). Elle met en avant le fait que les « comptes » des cas de mucoviscidose ont joué un rôle important dans la construction, non pas de la maladie, mais de « l’idée » de la mucoviscidose chez les Bretons et dans la justification du dépistage néonatal. Autrement dit, les données chiffrées ont joué un rôle majeur dans la reconnaissance d’un problème social.
2. Quelques chiffres
75L’incidence varie chaque année en fonction des naissances. En Bretagne, si l’on calcule l’incidence cumulée depuis le début de la généralisation du dépistage néonatal systématique, c’est-à-dire sur la période 1989-2011, on observe un taux d’une naissance d’enfant atteint de mucoviscidose pour 2903 naissances vivantes observées.
76Néanmoins, comme on peut le constater sur la figure 8, il existe des variations selon les départements. Autrement dit, les enfants naissant à la pointe de la Bretagne sont plus exposés à cette maladie.
Figure 8. Incidence cumulée de la mucoviscidose en Bretagne par département pour la période 1989-2011

Source : Inserm U1078, Brest ; car tographie : Granite-Muco.
77Dans la région, statistiquement, 1 personne sur 28 est porteuse d’une mutation du gène CFTR. Le Finistère étant le département présentant le plus fort taux français avec 4,2 enfants malades qui naissent sur 10 000 (= 1/2354), ce qui représente 1 porteur sain sur 25 finistériens. Au niveau régional, on observe toujours un gradient ouest/est de l’incidence.
78Au niveau de la prévalence, la Bretagne est, à ce jour, la région française la plus touchée par la mucoviscidose (figure 6). Malgré tout, il est important de noter que l’on observe une baisse de l’incidence de la mucoviscidose en Bretagne depuis les années 1970. Concrètement, le nombre de malades nés chaque année a baissé, passant de 18,6 à la fin des années 1970 (période 1975-79) à 11,6 aujourd’hui (période 2005-09). Le taux d’incidence correspondant est alors passé de 1/1 983 à 1/3268, ce qui représente une baisse de 39,3 % entre ces deux périodes. Il est maintenant stable depuis le début des années 1990. Cette diminution serait consécutive à la disponibilité d’un diagnostic prénatal et d’un test de dépistage dans les familles concernées (Scotet, 2012). En effet, depuis la mise en place du diagnostic prénatal de la mucoviscidose, à la fin des années 1980, 105 grossesses ont été interrompues en Bretagne. Si elles avaient été menées à terme, le taux d’incidence aurait été, sur la période 1986-2009, de 1/2 169 au lieu de 1/2946. En incluant les interruptions de grossesse dans les calculs, le taux d’incidence aurait été de 35,8 % supérieur à celui observé.
79Autrement dit, les stratégies de prévention, comme le diagnostic anténatal et le dépistage des porteurs sains dans les familles touchées par la maladie, conduisent à une modification de l’épidémiologie de la mucoviscidose.
80Ces quelques chiffres mettent en lumière des caractéristiques et des niveaux différentiels de la maladie selon sa répartition géographique (voir annexe I pour un exemple appliqué de calcul).
3. La population touchée par la maladie
81La population de référence de cette étude est composée de personnes nées en Bretagne, parents d’au moins un enfant malade de la mucoviscidose suivi au centre de soin de Roscoff ou dépisté dans le Finistère ou les Côtes-d’Armor avant janvier 2009. Il est nécessaire pour l’analyse que leur ascendance présente une profondeur généalogique complète d’au moins trois générations. Ce corpus est contenu dans une base de données généalogiques prenant pour point de départ les malades.
82La population de base est donc représentée par les patients mais la population de référence pour cette étude est constituée à partir des porteurs sains c’est-à-dire des personnes porteuses en un seul exemplaire d’une mutation du gène CFTR. En effet, les porteurs sont à l’origine de la diffusion de la maladie puisque le principe élémentaire veut que le premier malade soit né de deux parents porteurs. Par ailleurs, le malade est porteur de deux mutations, une qu’il a héritée de son père, l’autre de sa mère. Ces deux mutations peuvent être différentes. C’est la raison pour laquelle le choix s’est porté sur les porteurs sains comme population de référence.
83D’un point de vue territorial, la Bretagne est intéressante de par sa situation épidémiologique. C’est la région française la plus marquée par la mucoviscidose. Par ailleurs, la mobilisation associative pour la lutte contre la maladie y est d’un dynamisme exceptionnel et prend sa source dans les traditions de solidarité d’une région à forte culture paysanne et maritime : les manifestations qui y sont et/ou ont été organisées (Opération Télégramme pour la Mucoviscidose et Course Pierre Le Bigaut notamment) ont eu un impact considérable qui a dépassé les limites de la région. En ce sens, la mucoviscidose bénéficie d’un écho particulier dans la société civile d’autant qu’elle a reçu le soutien fidèle et appuyé du journal de la pointe de la Bretagne, Le Télégramme de Morlaix et de Brest. Nous pouvons aussi prendre appui sur le Centre de Perharidy, situé dans le Finistère-Nord, qui fut, à la fin des années 1960, l’un des premiers établissements de santé de France à organiser une unité spécialisée de soins pour ces patients et compter sur le laboratoire de génétique dirigé par le Pr Férec (Inserm Unité 1078).
84Ainsi, des informations précises, aussi bien d’ordre clinique que familial, pouvaient être obtenues auprès des centres de soin, du laboratoire d’analyse moléculaire mais aussi auprès des familles de malades.
85Au terme de cette présentation de la maladie à travers l’évolution des connaissances, on se rend bien compte que la mucoviscidose est un mot nouveau pour une maladie ancestrale. Une maladie dont les premiers signes et symptômes physiques ont vite été complétés d’une connaissance génétique et de la mise en place d’une logistique de prise en charge. Ainsi, en moins d’un demi-siècle, le concept de mucoviscidose a évolué vers le pluriel. La prise en charge est aujourd’hui globale (orientée vers la santé physique, psychologique et sociale) et interdisciplinaire.
86Étudier le patrimoine génétique d’une population à travers les caractéristiques individuelles nécessite donc de mobiliser des connaissances bien différentes (génétique, généalogique, statistique, informatique, etc.) et de créer les outils d’exploitation des données. Cependant, exploiter des généalogies dont la base est l’information génétique permet de comprendre les caractéristiques de la transmission héréditaire et d’expliquer ainsi les caractéristiques et les niveaux de la maladie visibles aujourd’huis.
Notes de bas de page
1 Tsui L.C., Cystic fibrosis mutation database, à consulter via : http://www.genet.sickkids.on.ca/StatisticsPage.html
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