Comparaison du nombre d’habitants en Suède avec la taille du pays1
p. 265-268
Texte intégral
1.
1Suivant quelques rapports, le nombre des habitants de notre chère patrie se monte à 2, selon d’autres à 3, et selon d’autres encore à 4 millions. Comme il est mieux, comme en toute autre chose, de s’en tenir en cela à un milieu, j’ai élaboré un calcul que j’ai effectué aussi exactement que ce dessein le demandait et qu’il m’était possible de le faire ; et j’ai trouvé par là que les habitants de la Suède et de la Finlande étaient un peu plus de 3 millions.
2.
2En Suède et en Finlande, nous devons avoir à peu près 80 000 domaines (manse2). En comptant 20 personnes sur chacun de ces biens, le nombre des paysans avec femmes, enfants et domestiques doit se monter à 1 600 000, faisant ainsi à peu près la moitié du peuple du royaume. Et comme il est rare de trouver un paysan qui puisse fournir, par an, autant de biens alimentaires qu’il en utilise dans son propre ménage, il s’ensuit que, avec pareille disposition, il ne reste que peu ou pas du tout d’espoir de nous nourrir tous avec ce que notre pays produit. Et il apparaît aussi que, en comptant 8 tonnes de semence par domaine et autant de bonne terre, et si le paysan met de côté le 8e grain, ce qui arrive toutefois rarement et en peu d’endroits, cela donnerait dans le royaume une venue annuelle de 5 120 000 tonnes de grains ; mais ce nombre important de tonnes ne fournirait toutefois, pour 3 millions de gens et après déduction de la semence, pas une tonne et demie et chacun ne gagnerait que la moitié de son pain.
3.
3Dieu nous a donné un pays étendu et une terre ainsi constituée que, sans grand effort, elle pourrait être propre à nourrir plusieurs fois plus d’habitants qu’elle n’en fait aujourd’hui subsister mal et avec peine. Cela, non seulement chacun le voit de ses yeux dans le pays même, mais encore chaque personne qui, voulant considérer avec un peu de réflexion la carte de la Suède, trouverait facilement que ses frontières renferment 10 000 lieues carrées de terrain. Et quoiqu’une partie s’en retranche pour les lacs intérieurs, les fleuves, les marais et les montagnes, cela serait entièrement et plus encore compensé par les îles fertiles qui, au nombre de plusieurs milliers, parsèment nos lacs.
4.
4En supposant que l’on trouve 81 fermes par lieue carrée pour lesquelles on compte 2 000 aunes complètes ou 1/9 de lieue carrée de champs, de pré, de forêts et de parties communes pour chaque bien, il est facile de calculer que nous devrions avoir 810 000 domaines, et donc 10 1/8 de plus que ce que nous avons à présent. La Suède pourrait alors nourrir 30 millions de personnes au lieu de 3. La seule Uppland, qui depuis longtemps n’est pas autant cultivée qu’elle pourrait l’être, contient déjà, outre 7 villes, 6 780 fermes quoiqu’elles n’aient pas même 170 lieues carrées de terrain. Alors, et pour peu que la Suède entière soit cultivée comme l’est aujourd’hui l’Uppland, nous possèderions 398 823 fermes et serions ainsi cinq fois plus riches en grain et en peuple que nous ne le sommes à présent.
5.
5On voit bien aujourd’hui, avec une particulière satisfaction, des paroisses entières s’étendre sur une lieue carrée et posséder tout ce dont elles ont besoin pour leur nécessaire. Mais, avec d’autant plus de peine, on trouve en d’autres endroits de petites paroisses pauvres qui s’étendent sur des surfaces pareilles à d’autres fermes, et telles que l’habitant doit parcourir plusieurs lieues avant d’atteindre un voisin. Des paroisses de 70 fermes et moins encore sont, ici et là, aussi étendues que toute la Hollande, quoiqu’elles ne contiennent parfois qu’à peine autant de misérables huttes qu’il y a de villes ailleurs. Des exemples n’en sont pas rares au Nordland, en Finlande et en Botnie orientale.
6.
6Comme notre chère Suède paraît au premier regard rude et inconfortable, je me permets de dire que chaque région du royaume, les bonnes comme les mauvaises, aurait la capacité de faire subsister à peu près un même nombre d’habitants, et que les provinces désertes de Suède, du Nordland et de Finlande pourraient être aussi peuplées que le Schonen ou le West-Gothland. En effet, ce qui manque parfois en fertilité des champs, la Nature le compense, ici par un surplus de prés, là par des forêts jamais détruites, ailleurs par la pêche et la chasse. Que n’aurions-nous pas, si l’art s’y ajoutait et était convenablement consacré à l’amélioration de ces avantages naturels !
7.
7On me concédera aussi qu’aucune sorte de terrain n’est entièrement impropre à quelque usage. Les différences entre les fruits de la terre sont aisément modifiables avec du zèle, des efforts et une prévoyance modérés ou plus grands, lorsqu’on s’y consacre comme il faut ; l’expérience montre aussi que, dans une contrée, le froid diminue, l’air devient plus doux lorsque les forêts sont défrichées et les marais circonscrits. Aucune mousse, aucune bruyère n’est assez riche en semence pour n’être pas coupée. Aucun marais, aucun étang n’est assez profond pour n’être pas circonscrit et bientôt, voire plus tard, asséché. Aucun tas de sable ou couche argileuse n’est assez rébarbatif ni assez rebelle qu’il ne soit dompté par une culture appropriée. Il suffit d’y consacrer des moyens, de l’application et de la science.
8.
8Mais nous pouvons aussi, si nous le jugeons bon, laisser cette peine à la postérité. Les contrées fertiles de notre patrie, encore abandonnées aux bêtes, sont plus que riches et attendent que l’on se préoccupe de les cultiver. Et si, par tous ces moyens faciles et une application appropriée au terrain, nous avons rendu la Suède plusieurs fois plus riche, plus puissante et plus peuplée qu’elle n’est à présent, nos descendants seront du coup en mesure d’achever le travail, l’inapte sera rendu apte et ce qu’il y a d’impossible sera rendu possible.
9.
9Mais comment cela sera organisé et effectué est plus long et difficile que je ne puis le proposer ici ; peut-être y parviendra-t-on mieux en un autre temps.
Notes de bas de page
1 Ce texte est paru pour la première fois en suédois sous le titre « Jämförelse emellan Landtbrukarenas antal i Sverige, ock Landets rymd ock vidd », in Carl Fredric Mennander, Kungl. Wetenskaps Academiens Handlingar, Jul. August. Sept, vol. 4, 1743, p. 227-232 [NdT].
2 Voir note 32, Wargentin, Mémoires de 1754-1755, Troisième pièce [NdT].
Auteur
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