Introduction
p. 15-20
Texte intégral
1Qu’avons-nous hérité de nos ancêtres ? Des yeux bleus, des cheveux roux mais aussi, sûrement, des gènes délétères… Or, en termes d’héritage génétique, il semble que les populations humaines soient inégalement marquées. En Bretagne, plus qu’ailleurs, on rencontre de nombreuses personnes atteintes d’hémochromatose (surcharge en fer), de luxation congénitale de la hanche, de mucoviscidose... Est-ce un hasard, une coïncidence ? Y a-t-il une prédestination de la population bretonne à présenter ces maladies ?
2D’une manière générale, nous avons tous en nous quelques gènes défectueux qui, par le hasard de nos histoires familiales, font de nous des malades ou des bien-portants. Plus que le hasard, c’est l’histoire démographique des populations qui va nous intéresser.
3Pour l’avoir expérimenté, de près ou de loin, chacun d’entre nous sait que la survenue d’une maladie est avant tout une souffrance individuelle où tous les espoirs sont tournés vers la guérison. Cependant, qu’importe la pathologie, l’annonce d’une maladie génétique héréditaire affecte également les membres de la parenté d’un point de vue émotionnel, organisationnel, mais aussi identitaire. En effet, quand l’affection se révèle héréditaire, les membres de la famille proche considèrent la maladie sous un angle différent, le leur. Cette hérédité interpelle.
4À l’origine de ce projet se trouve une maladie familiale et deux questions : pourquoi moi ? et, d’où ça vient ? N’obtenant pas de réponse, ce projet de thèse a été développé dans un centre de soins, le Centre de Perharidy à Roscoff et s’est construit, dès le départ, avec l’aide d’une équipe soignante et d’un laboratoire de recherche en génétique.
5La problématique peut se résumer en une question simple : pourquoi y a-t-il encore tant de malades de la mucoviscidose et de porteurs sains ? ou encore : en quoi les comportements démographiques du passé expliquent-ils les caractéristiques et les niveaux de la maladie aujourd’hui ?
6Le but de cette recherche est bien de comprendre l’origine et la diffusion des mutations des gènes de la mucoviscidose présentes dans la population bretonne en analysant les parcours de vie repérés dans les généalogies. L’analyse prend appui sur une base de données généalogiques et génétiques, des données riches et peu valorisées jusqu’à ce jour. Le contexte de la recherche se présente alors dans le cadre des interactions entre démographie et génétique des populations humaines. Ces deux disciplines ont toutes deux pour objectif d’analyser la structure des groupes humains, les modalités avec lesquelles ils se constituent, se renouvellent, se distribuent dans l’espace et se perpétuent dans le temps.
Une histoire de famille
7À la base de ce travail il y a des malades atteints de mucoviscidose soignés et/ou dépistés dans le Finistère et les Côtes-d’Armor. Pour qu’un enfant soit atteint de mucoviscidose, ses parents biologiques doivent être chacun porteur d’une mutation (on les qualifie de porteurs sains) qu’ils ont transmise à leur enfant. Ce dernier est alors porteur de deux mutations et développe de ce fait la maladie.
8Sur le territoire français, c’est en Bretagne occidentale que l’on retrouve le plus de porteurs sains. En partant du principe que nos gènes parlent de nous, mais aussi de nos parents, de nos ancêtres et de leur histoire et en se fondant sur des résultats actuels de biologie moléculaire, il s’agit ici de remonter le chemin des porteurs par le biais des généalogies ascendantes. Cette mise en évidence des effets fondateurs a pour objectif d’expliquer les identités génétiques observées. On sous-entend alors que les patients apparentés doivent avoir les mêmes caractéristiques génétiques, c’est-à-dire une concordance des mutations du gène de la mucoviscidose.
9En effet, la mucoviscidose, du fait de sa composante héréditaire, ne mobilise pas seulement le patient mais tout un système familial et social. Si les progrès médicaux ont permis une nette amélioration de la durée et de la qualité de vie des malades de la mucoviscidose, les études concernant l’enfant et surtout la famille restent peu nombreuses.
10En outre, pour le malade et sa famille, la mise en perspective historique de la maladie permet une approche collective et non plus individuelle de la pathologie. L’arbre généalogique est aussi un outil support de communication au sein des familles. Dans les centres de soins, la base de données contribue à améliorer la qualité du dossier médical des patients en mettant à disposition un arbre généalogique. Ce dernier peut également servir de support d’information lors du conseil génétique et du dépistage des apparentés. Les généalogies familiales ainsi reconstruites alimentent la chronique de la reproduction sociale et génétique notamment à travers celle des formes de l’alliance. En outre, elles ont le pouvoir de resituer le singulier dans le plus collectif. Gérard Bouchard, au cours de ses recherches sur l’origine des maladies héréditaires au Québec, a pu noter que « ce problème possède un caractère collectif, dans la mesure où il est inscrit dans le patrimoine génétique d’une population. Les gènes qui en sont la cause sont très répandus ; ils sont transmis d’une génération à l’autre et ils seront encore présents dans cinq, dix ou vingt générations. » (Bouchard et de Braekeleer, 1992, p. 34). On sait en effet qu’une fois la mutation survenue dans un gène, son sort dans la population dépend essentiellement des comportements des personnes qui le portent. La mutation est alors intéressante en tant que marqueur.
11La compréhension des comportements démographiques (nuptialité, fécondité, mortalité, migrations) établis à partir de l’analyse des généalogies rend compte de la dispersion territoriale d’un certain nombre de mutations en Bretagne ainsi que des niveaux de prévalence observés.
12La question centrale est bien de comprendre le paradoxe d’îlots familiaux atteints et plus généralement du faible déclin de la prévalence de la mucoviscidose dans le contexte actuel de mélange de population et de fécondité basse. En d’autres termes, le maintien de l’appartenance de l’individu à un collectif génétique, malgré le brassage des populations et l’individualisation des modes de vie.
13L’objectif est de situer le gène dans un contexte plus large que la famille, celui d’une dynamique de population ; l’enjeu est de mieux comprendre la distribution actuelle de la mucoviscidose en Bretagne. Par ailleurs, les données historiques, matérialisées par des généalogies, sont un apport majeur à la compréhension des processus de diffusion d’une maladie génétique sur une aire territoriale définie.
Remonter le temps
14On recense 1 cas de mucoviscidose sur 4 754 naissances en France, 1 sur 2 903 en Bretagne, 1 sur 2 354 dans le Finistère : pourquoi ? La problématique repose sur le fait que les comportements sociodémographiques des ancêtres des malades pourraient expliquer la fréquence et la répartition de la mucoviscidose aujourd’hui en Bretagne. Peut-on situer dans le temps et dans l’espace un effet fondateur ?
15L’étude des générations passées peut apporter un éclairage nouveau sur cette affection héréditaire. En effet, le gène est assujetti par l’acteur social : à une extrémité, ses comportements et ses choix (matrimoniaux, migratoires, reproductifs) en déterminent la diffusion, le sort de la population ; à l’autre, ses normes et ses interdits en règlent l’expression par le biais de politiques en matière de prévention (Bouchard et de Braekeleer, 1990).
16Les mariages de ces ancêtres ont-ils des particularités en termes de consanguinité, d’alliances familiales qui pourraient présenter des pistes de diffusion des gènes ? Que donnent à voir les apparentements entre les malades ? A-t-on affaire à des ancêtres isolés géographiquement, à des porteurs sains qui auraient un avantage sélectif ? Voilà quatre pistes qui pourraient expliquer la situation épidémiologique aujourd’hui observée.
17Pour répondre à ces questions, une approche pluridisciplinaire s’est révélée nécessaire. Elle a associé la sociologie, la démographie historique, l’histoire et la culture bretonne mais aussi la génétique, l’informatique et les statistiques. En effet, « en analysant les aspects démographiques d’une population et les ressorts de sa dynamique, la démographie met en évidence des comportements, des évolutions, des disparités, dit Catherine Rollet. Par interdépendance les résultats de l’analyse démographique ne peuvent être interprétés qu’en référence aux caractéristiques sociales, économiques et culturelles de la société observée » (Rollet, 2005, p. 7). La transmission génétique est un phénomène biologique et humain si complexe que chacune des sciences sociales n’en révèle qu’une facette. Les comportements matrimoniaux, reproductifs et migratoires des hommes définissent, de manière indélébile et à long terme, la fréquence de certains gènes ; et ce sont des règles sociales, des stratégies de prévention qui peuvent, par la suite, influencer son incidence. En ce sens, le génotype est bien, pour reprendre l’expression de Gérard Bouchard, « l’archive du social ».
Quatre hypothèses de recherche
18La première hypothèse stipule qu’il existe des effets fondateurs que l’on peut dater et situer géographiquement. Pour la mutation 1078delT, comme pour les autres, existe-il un couple fondateur que l’on peut situer dans le temps et dans l’espace ? Ce couple est-il unique pour tous les malades ?
19Dans un deuxième temps, il s’agit de se pencher sur un comportement socio-démographique lourd de conséquences au niveau de la transmission génétique : le mariage. Dans la population étudiée, quelles sont les particularités des unions ? Peuvent-elles expliquer la fréquence élevée de l’allèle (différentes versions d’un même gène) muté dans la population ? La consanguinité est-elle particulièrement élevée ?
20La troisième hypothèse met en avant que les patients atteints de mucoviscidose et ayant des caractéristiques génétiques communes sont apparentés. Autrement dit, on retrouverait des liens de parenté entre porteurs d’une même mutation. Par exemple, les porteurs de la mutation G551D seraient apparentés. Il en irait de même pour toutes les mutations présentes dans la base de données Généalogie et mucoviscidose. Pour ce faire, les arbres généalogiques des patients en ascendance directe ont été développés aussi loin que possible dans le temps et dans l’espace afin de vérifier ces liens de parenté. Sont-ils présents ? Sont-ils réservés aux seuls porteurs d’une mutation ? Sont-ils fréquents ?
21Enfin, une quatrième hypothèse développe le fait que les différentes mutations se seraient développées en milieu endogame, dans des zones géographiques limitées, et s’y seraient maintenues jusqu’à une période récente.
22Il s’agira, notamment, de se pencher sur les lieux de vie aux moments de la naissance, de l’union et du décès afin de dresser des cartographies. La mobilité est-elle une norme ? Est-elle territoriale ? Socioprofessionnelle ? Quelles sont ses conséquences, sur la diffusion du gène CFTR ? Les porteurs sains vivent-ils plus vieux ?
23Ces questions peuvent se poser pour d’autres pathologies. Ainsi, ce modèle peut être extrapolé à d’autres maladies héréditaires ou à composante génétique, dans d’autres régions françaises et même dans d’autres pays.
Une base de données génétique et généalogique
24En quoi les comportements démographiques du passé expliquent-ils la fréquence et la répartition de la mucoviscidose aujourd’hui en Bretagne ? Répondre à cette question nécessite de réaliser une analyse démographique et historique des réseaux généalogiques et des structures familiales des patients atteints de mucoviscidose en Bretagne. Cette étude s’appuie sur la base de données généalogiques hébergée au centre de ressources et de compétences de la mucoviscidose (CRCM) de Roscoff et placée sous la responsabilité du service d’information médicale. La base contient 1 289 malades de la mucoviscidose, 2 183 porteurs sains et 265 823 ascendants directs (janvier 2014). Entièrement informatisés, les renseignements disponibles permettent l’analyse comme pour une population fermée. Le recueil de ces données est le fruit d’un travail collectif de la part des familles de malades, des médecins, et surtout des généalogistes bénévoles (plus de 250). Chaque étape du travail a été l’occasion d’une collaboration avec les généticiens, les centres de généalogies et les informaticiens qui ont permis d’exploiter cette masse de données.
25Dans un premier temps, les arbres généalogiques des porteurs sains ont été reconstitués jusqu’au maximum des données fournies par l’état civil. L’objectif étant de se pencher sur l’origine de la maladie. Il s’agit alors de rechercher s’il existe un couple commun à tous les porteurs d’une même mutation, un couple qui pourrait être à l’origine de la diffusion de la mucoviscidose sur le territoire. À défaut d’un couple, les lieux de vie de ces ancêtres en bout de branches qui ont généré de nombreux malades dans leur descendance pourraient être localisés. Cette analyse par mutation, même pour les plus rares, permettra alors de dessiner, pour la première fois, une cartographie des lieux de vie des ancêtres des porteurs actuels.
26Une fois les généalogies reconstruites, l’analyse démographique des unions a été prônée. En effet, le mariage, s’il donne la vie à des enfants est un acte social lourd de conséquences d’un point de vue génétique. L’intérêt est alors de rechercher dans la population étudiée des particularités (âge au mariage, fécondité, homogamie, unions entre apparentés, etc.). L’objectif étant de vérifier si des mariages atypiques dans les familles de malades peuvent expliquer la fréquence élevée de l’allèle (l’une des versions d’un même gène) muté dans la population.
27Dans un troisième temps, il a fallu vérifier si les patients atteints de mucoviscidose et ayant des caractéristiques génétiques communes sont apparentés. Dans quelle mesure « les cousins à la mode de Bretagne » font partie de la même famille génétique ? Et, où s’installe la limite entre consanguinité et apparentement ? Dans cette optique, les réseaux de parenté ont été examinés afin de déterminer si leurs points communs peuvent être un facteur de transmission génétique.
28Autre explication possible du phénomène épidémiologique observé : l’endogamie. Les différentes mutations se sont développées dans des zones géographiques limitées et s’y seraient maintenues jusqu’à une période récente. Les Bretons ont, en effet, plusieurs contraintes physiques et culturelles qui pourraient expliquer des pratiques matrimoniales endogames. Les conséquences de cette particularité sociale, au niveau génétique, peuvent être aussi bien positives que négatives, il s’agira d’y regarder d’un peu plus près...
29L’ouvrage restitue cette démarche de recherche avec, dans un premier temps, une présentation du cadre général. Que recouvre le patrimoine génétique d’une population, quelle peut être son évolution et en quoi cela permet-il de déterminer la prégnance et la diffusion d’une maladie génétique telle que la mucoviscidose, notamment en Bretagne ?
30Dans un deuxième temps, l’étude détaille la population concernée et la méthodologie suivie, à savoir la constitution d’un corpus généalogique et d’une base de données correspondante, à partir des dossiers médicaux des patients. La gestion d’un fichier génétique et généalogique est un travail de longue haleine qui a nécessité de mobiliser des outils spécifiques, aptes à répondre aux contraintes de ce type de recherche et à pouvoir les intégrer dans une étude démographique.
31La troisième partie est consacrée aux problématiques sociodémographiques qui pourraient avoir contribué à l’accroissement de la fréquence des mutations données dans la population bretonne. Quelle est l’origine de la mucoviscidose en Bretagne ? Des pratiques matrimoniales et les alliances familiales peuvent-elles être la cause de cet état de fait ? Les malades sont-ils tous cousins et quel rôle a pu jouer le phénomène de consanguinité ? Qu’en est-il de la mobilité de leurs ancêtres et de leurs pratiques migratoires ? Et y a-t-il un avantage à être porteur sain ?
32Le poids de l’histoire, des pratiques culturelles, des caractéristiques économiques et sociales, l’étude des lieux de vie et des traditions professionnelles ancestrales de cette population, peuvent apporter des éléments de réponse.
33Parallèlement, au Québec, de nombreuses études ont été menées, grâce à la généalogie, sur des maladies héréditaires et sont évoquées tout au long de l’analyse pour étudier d’éventuelles similitudes et permettre une approche plus globale.
34Ces recherches croisées, à la fois démographiques, génétiques et généalogiques doivent permettre de mieux cerner les comportements démographiques passés des familles de malades Ces connaissances apportent un nouvel éclairage sur les spécificités épidémiologiques encore mal connues d’une maladie pourtant ancestrale et devraient pouvoir améliorer davantage la prévention et le conseil génétique offerts aux populations concernées.
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