La genèse du Tabellverket
p. 41-104
Texte intégral
1La Suède est, sans conteste, un pays pionnier dans la mise en place d’un système statistique à l’échelle d’une nation. Les premiers registres paroissiaux remontent au xvie siècle mais cette pratique s’est développée tout au long du xviie siècle si bien que, lorsque la loi ecclésiastique de 1686 rend la tenue de registres obligatoire, elle ne fait qu’entériner un usage qui n’a cessé de se diffuser. Des initiatives locales, menées par des évêques, ont contribué non seulement à développer les registres paroissiaux, mais aussi à mettre en place des instructions visant à uniformiser la collecte des informations. L’initiative de Johannes Rudbeckius1, évêque du diocèse de Västerås, est intéressante. En effet, en 1622, Johannes Rudbeckius demande aux pasteurs des paroisses de son diocèse de collecter des listes de naissances, mariages et décès. Et, soucieux de garder une histoire documentée de ces paroisses, il leur fait une requête supplémentaire. Aussi, demande-t-il aux pasteurs d’établir une liste devant rassembler toutes les personnes âgées de plus de 10 ans pour chaque famille.
2Au cours de ce siècle, ces initiatives se sont multipliées avec, toutefois, plus ou moins de succès : Isak Rothovius (évêque de Turku) en 1628, Johannes Botvidi (diocèse de Linkioping) en 1633, etc. Bien que sporadiques, elles furent autant de tests, autant d’expériences permettant de dégager, par la suite, quelques règles pratiques nécessaires à la bonne tenue des registres et, surtout, de pointer la nécessité d’avoir des instructions précises et claires pour les pasteurs2.
3La loi ecclésiastique de 1686 généralise ces initiatives à l’ensemble du pays (Finlande incluse). Cet édit confie aux pasteurs, sous surveillance des évêques et des prévôts, la responsabilité de tenir des registres spéciaux (kyrkoböckerna), non seulement pour les naissances, les mariages et les décès, mais aussi pour les changements de domicile de paroisse à paroisse. Un cinquième registre, husförhörslängd, établit la liste complète des habitants par maison et ménage. Contrairement aux quatre registres précédents qui synthétisent le « flux » des événements démographiques ou mouvement de la population, le husförhörslängd révèle l’état de la population de jure. Le caractère religieux de ces enregistrements pouvait, censément, laisser croire qu’une certaine frange de la population d’obédience non luthérienne était, de fait, omise des registres. Aussi faut-il préciser que l’Église évangélique luthérienne était (et demeura jusqu’en 1995) la religion d’État de la Suède3 et que la liberté de culte n’existait pas, ce qui permet de tempérer les craintes d’un sous-enregistrement significatif. Bien que gérés par les instances religieuses, les husförhörslängderna servirent d’éléments de contrôle aux registres de propriétés foncières et de ménages (mantalslängderna) tenus par les percepteurs.
4On ne peut, toutefois, véritablement parler de statistiques de population qu’à partir du moment où des données, collectées systématiquement et révélant une certaine uniformité, sont traitées comme des matériaux statistiques. Or, on n’a procédé à de telles exploitations qu’à partir du xviiie siècle. La grandeur politique et militaire suédoise étant fortement ébranlée suite aux guerres du Nord, les personnalités politiques et savantes de ce début de siècle se sont inquiétées du folkbrist, le « défaut de population » (Hecht, 1990, p. 285-322) et, par ailleurs, très soucieuses de développer la puissance et la grandeur du pays par quelque moyen que ce soit. La « population » devient alors une variable économique et politique clé4.
5Le Tabellverket puis la Tabellkommission5 à sa suite doivent beaucoup à une poignée d’hommes d’origines diverses. Le plus connu est, sans aucun doute, Pehr Wilhem Wargentin, qualifié dans différents travaux de « père de la statistique suédoise ». Certes, Pehr Wargentin a apporté une riche contribution à la science démographique, mais en lui donnant ce titre, on laisse dans l’ombre les artisans de la première heure, un réseau d’hommes qui ont œuvré, avec habileté et obstination, à la mise en œuvre du Tabellverket, c'est-à-dire à la mise en place d’une institution visant à recueillir, à centraliser et à analyser les données statistiques recueillies par les pasteurs. Jakob von Hökerstedt, Erik Benzelius, Jacob van Lantinghausen, Pehr Elvius : leurs noms sont peu connus, cependant, chacun de ces hommes a apporté sa pierre à l’édifice du Tabellverket, soit en mettant sur le devant de la scène politique la question de la mesure de la population, soit en œuvrant pour la mise en place d’une institution spécifique à la collecte de données relatives à la population. Mais, pour mieux comprendre le rôle de tous ces acteurs, il est nécessaire de retracer la scène politique suédoise aux lendemains de la défaite des guerres nordiques.
6Suite à la mort de Charles XII en décembre 1718, qui marque la fin de la grande guerre du Nord, la Suède a grand besoin de paix. Dans ce contexte, les membres du Riksdag, le parlement suédois, qui déplorent dans leur grande majorité les effets de l’absolutisme, envisagent d’élaborer une nouvelle constitution pour se garantir des abus du pouvoir royal. Or, simultanément se pose le problème de la succession au trône. Le roi défunt, Charles XII, n’ayant pas d’héritier direct, les prétendants à la Couronne sont Ulrika Eleonora et Karl Frederik de Holstein-Gottorp, respectivement sœur et neveu de Charles XII. En 1719, le parlement opte pour Ulrika Eleonora qui s’est engagée à se plier à de nouvelles règles en acceptant l’adoption d’une constitution libre. Toutefois, la reine, peu intéressée par la politique, abdique au profit de son mari, Fredrik de Hesse qui, en devenant roi de Suède le 14 mai 1720 sous le nom de Fredrik Ier, doit approuver une nouvelle révision de la Constitution accordant derechef plus de pouvoir aux quatre états (la noblesse, le clergé, la bourgeoisie, les paysans). Ainsi, les dispositions constitutionnelles de 1719 et 1720 jettent les bases d’un nouveau système politique qui assure « le triomphe du “constitutionnalisme” sur l’absolutisme, et plus concrètement, le pouvoir des états sur le Conseil et sur la couronne » (Carlsson, 1978a, p. 118-122 ; pour une synthèse en français voir Mousson-Lestang, 1995). Cette période est désignée dans l’historiographie suédoise comme étant l’« Ėre de la liberté » (frihetstiden) ou le « Temps de la liberté ».
7Le pouvoir réel est donc tout entier transféré au Riksdag auquel il appartient de légiférer, de fixer les impôts, de nommer les fonctionnaires, de décider de la paix et de la guerre, et même d’intervenir en matière judiciaire. L’exécutif est confié au Conseil (Rådet), émanation du parlement et responsable devant lui de l’exercice du gouvernement. Le Conseil, présidé par le roi, est composé de 18 conseillers d’État dont le plus important, le président de la Chancellerie (Kanslipresident), fait fonction de Premier ministre.
8De 1720 à 1738, le président du Conseil est Arvid Horn (1664-1742) qui, fort de son expérience d’officier et de fonctionnaire ayant servi sous Charles XII, est convaincu que la guerre est un malheur. Il s’ingénie donc à nouer de bonnes relations avec les puissances étrangères. D’où une politique très prudente, une politique de « bonnet de nuit » (nattmössa) diront bientôt ses adversaires, partisans de plus de virilité et de panache. Ainsi les deux courants qui se sont disputés le pouvoir pendant la période qui nous intéresse se sont trouvés baptisés : les Bonnets (mössorna) et les Chapeaux (hattarna). À partir des années 1730, le climat politique change notamment avec l’émergence du parti des Chapeaux, parti qui rêve d’une revanche suédoise sur la Russie et d’une restauration de la grande puissance de la Suède. En 1738, les Chapeaux accèdent au pouvoir et se lancent aussitôt dans une politique économique offensive qui se donne pour fin l’accroissement des richesses de la Suède et pour instrument un strict mercantilisme aux tendances protectionnistes plus poussées que jamais (Magnusson, 1987, p. 4). Le parti des Chapeaux voit en la science une arme capable d’imposer la grandeur de la Suède. On assiste donc à un déplacement des enjeux nationaux. Hier, la Suède était une grande puissance militaire, désormais l’objectif de grandeur nationale se focalise sur l’économique et le scientifique.
I. Les premières initiatives visant à mieux connaître la population du royaume
1. L’ambitieux projet de Jacob von Hökerstedt pour développer le commerce et l’industrie
9En 1723, Jacob von Hökerstedt, assesseur au Kommerskollegium, présente un mémoire sur la balance commerciale du royaume au parlement, fondé sur des calculs estimant la balance commerciale du pays depuis 1721. Durant la même session parlementaire, David Silvius (1663-1732) fait un compte rendu de ses réflexions sur « où » et « comment » établir les manufactures de façon à optimiser la production. À la suite de ces deux présentations, le parlement donne au Kommerskollegium, et en particulier à Jacob von Hökerstedt chargé de cette tâche, la responsabilité de calculer pour chaque année la balance commerciale. Selon Rolf Valerö, Hökerstedt ne s’est pas limité à ce travail6 : il monte, de fait, un projet plus ambitieux, inspiré par le travail de Davenant de 1699, An essay upon the probable methods of making a people gainers in the balance of trade, afin d’optimiser la balance commerciale et par conséquent l’économie du pays. Mais pour cela, il est indispensable de connaître certaines caractéristiques de la population, à savoir les statuts (noblesse, bourgeoisie, clergé, paysannerie) et les emplois occupés par les habitants du royaume. Ces données sont, selon lui, capitales pour établir une réelle balance commerciale. Il fait alors une proposition fondée sur une simulation afin de démontrer au roi la nécessité d’une telle statistique. Partant d’une cité idéale dans laquelle il définit un nombre déterminé d’habitants et la répartition de ceux-ci selon leur statut et leur emploi, il calcule ensuite, en fonction de cette répartition, la balance commerciale optimale. À partir de ce travail, il dépose devant le Conseil une proposition de loi visant à procéder à une énumération de la population totale en 17287. Cette proposition est critiquée et ridiculisée car jugée impossible à réaliser et comparée à la tâche du « roi David, voulant compter les Gens. » (Hjelt, op. cit., p. 7). Malgré tout, l’idée est lancée et cette graine semée aux quatre vents ne tarde pas à germer dans les esprits d’autres représentants du parti des Chapeaux qui, peu à peu, sont convaincus de l’utilité d’une telle entreprise.
2. 1734 : une année parlementaire riche en initiatives
10Au sortir des guerres nordiques, la Suède, se trouve dans une situation économique délicate qui perdure. Afin d’y remédier, le Riksdag lance, en 1734, l’idée d’une enquête générale sur l’état du pays et propose alors un projet de loi que le roi valide le 22 avril 1735 qui vise à faire un inventaire des ressources et des richesses du royaume et à connaître la santé économique des différentes régions. Il est donc demandé aux préfets (landshövdingar) d’établir des rapports annuels précisant l’état de la population, faisant le point sur la situation économique (en détaillant spécifiquement la situation des activités agricoles, minières, forestières, etc.). Non seulement les préfets doivent décrire la situation de l’année en cours, mais ils sont tenus de faire une présentation dynamique de l’état du land (département), c’est-à-dire estimer si la richesse économique et les ressources en hommes ont augmenté ou diminué.
11En sus, la même année, 1734, Erik Benzelius présente devant le Kammarkolegium une compilation de relevés tirés des registres paroissiaux (kyrkoböcker) de son diocèse. Benzelius, alors évêque du diocèse de Linköping, est aussi représentant du clergé lors de cette session parlementaire, il est donc présent lorsque le projet d’inventaire demandé aux préfets est exposé et débattu au Riksdag. Or, Benzelius est bien conscient de la richesse des registres paroissiaux. Il est, en outre, convaincu de l’utilité des données de population afin de connaître l’effectif et les caractéristiques de la population mais surtout de pouvoir mieux planifier l’économie du royaume et mettre en œuvre une politique active d’emploi. Il souhaite notamment stopper l’émigration vers le Danemark en améliorant les conditions de travail et en augmentant les salaires (Ryman, 1978, p. 193). Alors qu’il était évêque du diocèse de Göteborg (1726-1731), il avait, de son propre chef, collecté les données des registres des différentes paroisses, les avait agrégées et proposé quelques résultats. Fort de cette expérience, et ayant connaissance de l’intérêt du parlement pour ces questions, il présente donc devant le Kammarkolegium un relevé des naissances et des décès de toutes les paroisses du diocèse de Linköping où il est alors en fonction8. Il procède non seulement à une compilation du nombre de décès et de naissances des paroisses de son diocèse de 1730, mais réitère les calculs pour les années antérieures et présente ainsi une série de relevés sur dix ans – de 1721 à 1730 – sous le titre : « Listes qui montrent le nombre de ceux qui, à compter du début de l’année 1721 jusqu’à 1730 inclus dans l’évêché de Linköping, sont nés et morts et de combien est le surplus, après que ces derniers ont été déduits9 » (Hjelt, 1900, p. 8). Intéressé par la présentation d’Erik Benzelius, le Kammarkolegium commence consécutivement à travailler sur un projet visant à recueillir des tableaux de naissances et de décès de chaque diocèse à partir des registres paroissiaux et d’en tenir une statistique nationale. À partir de cette investigation, un projet de loi est déposé le 7 janvier 1736 et une loi adoptée le 29 janvier 1736. Cette loi oblige les pasteurs à envoyer, chaque année au roi, une liste des naissances et des décès afin de connaître le solde naturel (le surplus selon les termes de l’époque : överskott) et ainsi déduire le nombre d’habitants vivant réellement dans chaque diocèse. Il est décidé que les listes doivent débuter en 1721, cette date marquant le retour de la paix dans le royaume : « Quand Dieu donna au Royaume la paix nécessaire » (Hjelt, ibid., p. 9). Ainsi, les premières listes comprennent-elles des relevés de 1721 à 1735. Par la suite, seul un relevé annuel des naissances et des décès parvient au roi.
12Le fait que Benzelius présente son travail directement au Kammarkollegium, instance étatique en charge des finances de l’État ainsi que du bien-être du pays, et non au Riksdag, le parlement, instance politique ou les deux factions en présence, à savoir les Chapeaux et les Bonnets, s’opposent, peut avoir facilité l’adoption de cette réforme. D’autant qu’Erik Benzelius adhère aux idées des Chapeaux en termes de politique extérieure et de politique économique, mais est surtout un ardent opposant d’Arvid Horn10. Or le climat politique est assez délétère : la campagne de Finlande vient de s’achever peu glorieusement pour les Suédois, la politique étrangère inquiète – tensions dues à la succession du trône de Pologne – et conduit Arvid Horn à convoquer une session extraordinaire du Riksdag en 1734. Lors de cette session, Horn perd la présidence de la Sekreta utskottet (Commission secrète) (Carlsson, 1978b, p. 123-127), pouvoir exécutif du parlement alors que les Chapeaux gagnent de plus en plus de terrain sur l’échiquier politique et renforcent leur influence dans l’administration (Kammarkollegium et Kommerskollegium).
3. Erik Benzelius, esprit curieux, auteur polygraphe et évêque politicien
13La situation économique du pays et la mise en place progressive d’un programme économique mercantiliste soutenu par les membres du parti des Chapeaux, programme dans lequel les sciences jouent un rôle premier puisqu’elles sont en quelque sorte l’instrument de cette politique, explique certes l’intérêt des politiques pour la statistique. Mais d’où vient l’intérêt de Benzelius pour les registres paroissiaux ? Et, pourquoi a-t-il collecté et compilé des listes de naissances et de décès dès le début de son sacerdoce, à Göteborg ?
14Dans un article consacré à Erik Benzelius, Otto Grönlund décrit sa vie et souligne l’érudition de cet homme qui, pendant des années a été responsable de la bibliothèque de l’université d’Uppsala (de 1702 à 1723), puis professeur de théologie de 1723 à 1726 avant d’embrasser la carrière ecclésiastique (Grönlund, 1949a, p. 215-221). Alors qu’il est bibliothécaire, il fonde, en 1710, une société scientifique dans les bâtiments du Gustavianum. En cette sombre année d’épidémie de peste dans la ville d’Uppsala, l’université a dû fermer ses portes. Cette société scientifique, d’abord baptisée Collegium Curisorum, est reconnue par le roi et renommée Societas region literaria et scientiarum Sueciaeen en 1728. Elle compte notamment parmi ses membres, les célèbres Carl Linneus (anobli et rebaptisé alors Carl von Linné en 1757) et Anders Celsius (1701-1744) qui en devient par la suite le président.
15Outre ses contacts nationaux dans les cercles politiques et scientifiques, Benzelius entretient de nombreuses relations à l'étranger. Parti en voyage d'étude alors qu'il était encore jeune homme, il a voyagé de 1697 à 1700 en Allemagne, en Hollande, en France et en Angleterre (Oxford). Au cours de ces différents séjours, il fait la connaissance de Leibniz, Thomasius et Malebranche11. Selon Olof Dalin, qui a écrit et lu l’oraison funèbre de Benzelius pour l’Académie royale des sciences, Leibniz l’appréciait beaucoup. Du reste, les deux hommes ont entretenu une correspondance jusqu’à la mort du philosophe allemand. Leibniz, qui s’était intéressé aux questions de population dès 1680, soutenait la nécessité de construire une autorité statistique au service de l’administration et était parfaitement au fait de l’utilité des relevés des mariages, naissances et décès pour une meilleure connaissance de la population. Il semble donc possible de faire un lien entre les idées du philosophe et les travaux de Benzelius12.
16Homme de lettres, il correspond en anglais, français et latin avec de nombreux savants – bibliothécaires et hommes de sciences13. Il a, notamment en France, des contacts avec Jean-Paul Bignon (1662-1743), bibliothécaire du roi de France, directeur du Journal des savants, président de l’Académie des sciences et Jean Boivin (1656-1726), bibliothécaire à la Bibliothèque royale. Les centres d’intérêt d’Erik Benzelius sont très divers, parmi lesquels nous pouvons citer la littérature, les langues – il traduit et publie les manuscrits du philosophe Philon d’Alexandrie – mais nous avons aussi retrouvé son nom comme référence dans un article des Philosophical Transactions de Hans Sloane dont le sujet porte sur An Account on Elephants teeths and Bones Found under Ground.
4. Les données collectées par la Sundhetscommission
17En 1737, il est décidé que la Sundhetscommission (Commission de la santé) se charge de récolter via les préfets, les données relatives aux naissances et aux décès contenues dans les registres. Ainsi, ces lois adoptées successivement obligeant, d’un côté, les préfets et, de l’autre, les hommes d’Église à recueillir et à regrouper des données relatives à la population de tous les départements, ont permis de mettre en place une pyramide administrative et, in fine, une centralisation des données dont le tableau ci-dessous est le fruit. Toutefois, cela ne donne pas les résultats escomptés. En effet, les matériaux collectés par la Sundhetscommission ont une portée assez limitée puisque les données collectées et compilées ne sont pas homogènes et peuvent donc difficilement être comparées14.
18Voici le premier tableau compilant les données de tout le royaume (tableau 1). Ce tableau synthétique de la Sundhetskommissionen a été obtenu par l’agrégation des données envoyées par chaque préfet pour l’année 1737 (tableau constitué en 1738) :
Tableau 1. Le nombre de ceux, qui, dans le Royaume pour l’année 1737 et dans les préfectures ci-dessous sont nés et morts15

19De ce tableau, le surplus d’hommes et de femmes restant sur le territoire a été extrait chaque année (toutefois ils ne tiennent nullement compte des échanges migratoires). Cela pourrait paraître comme de maigres résultats au regard des espérances de Benzelius. Il faut plutôt y voir les premières pierres fixant les fondations de ce qui deviendra le Tabellverket. Ces expériences se sont révélées être de riches apprentissages. Elles ont en effet permis d’avoir une meilleure connaissance des matériaux disponibles, de pouvoir juger de leur qualité et de réfléchir à de meilleures méthodes de collecte. Ce sont donc des expériences inestimables à partir desquelles les continuateurs de cette œuvre ont pu travailler et tester de nouvelles idées. Par ailleurs, ces tentatives attestent d’une réelle volonté politique de mieux connaître et d’estimer la population du royaume. Mais il n’existe alors aucune instruction pour compiler ces données, aucune méthode pour qu'elles puissent être harmonisées et comparables, aucun formulaire pour guider les prêtres dans cette tâche. Conscients de ces lacunes, des scientifiques et des politiciens de haut rang vont tenter d’amender la procédure de collecte et plaider pour des réformes qui vont conduire à la création du Tabellverket puis de la Tabellkommission. L’Académie royale des sciences de Suède nouvellement constituée s’empare de cette question.
II. La politique des Chapeaux et l’Académie royale des sciences
20Durant les sessions parlementaires de 1738-1739, les Chapeaux prennent le pouvoir et imposent une politique mercantiliste agressive. De nombreux membres de ce parti occupent déjà des places stratégiques dans les différentes institutions clés telles que le Kommerskollegium et le KammarKollegium, ce qui leur permet d’asseoir rapidement leur politique. L’heure est au mercantilisme et, conséquemment, à toutes réformes contribuant à redresser la balance commerciale alors déficitaire16. Ils mettent donc en place un train de mesures visant à développer les manufactures et à soutenir les exportations. Pour stimuler la production industrielle, notamment celle fondée sur la transformation des matières premières, ils n’hésitent pas à voter des lois et des réglementations privilégiant ces activités, voire à les subventionner grâce à des fonds publics. En outre, soucieux de tout ce qui peut être économiquement utile, ils encouragent toutes nouvelles idées visant au développement industriel et pouvant avoir des retombées économiques. Ils échafaudent volontiers eux-mêmes de grandes visions, parfois irréalistes, où sciences, techniques et développement économique se conjuguent étroitement. Il est donc assez naturel qu’au sein de ce programme mercantiliste, les sciences jouent un rôle premier. Elles deviennent, en quelque sorte, l’un des instruments de cette politique puisqu’utiles à la société, elles lui permettent un développement bénéfique certain. C’est donc dans ce climat que l’Académie des sciences est créée en juin 1739, c’est-à-dire quelques mois seulement après qu’Arvid Horn ne perde le pouvoir.
1. Un réseau dévoué à la politique des Chapeaux
21La politique économique des Chapeaux a débuté avant même qu’ils ne détiennent les pleins pouvoirs. Ils ont construit pierre après pierre une forteresse renforçant progressivement leur position politique et établissant une base économique et financière solide à leur politique, qui suite à leur accession au pouvoir, est orientée pour servir l’intérêt de l’État mais sans toutefois négliger leurs intérêts personnels.
22L’histoire d’Erik Salander qui, nous le verrons plus loin, est l'un des premiers à publier un mémoire traitant d’économie politique et de population dans les Actes de l’Académie des sciences, permet d’illustrer comment les intérêts politiques, économiques et personnels s’entremêlent. Salander est nommé en 1731 directeur de la manufacture Barnängen à Stockholm, alors propriété de Riddarhuset (la maison des nobles) puis il en devient propriétaire – principal actionnaire – en 1734. La même année, alors qu'il représente les industriels au parlement, on lui confie la mission de préparer un texte de loi visant à réglementer le droit des manufactures à s’établir et à déterminer les privilèges de l’État qui pourraient leur être octroyés. La proposition établie par ses soins est acceptée par le parlement durant les sessions parlementaires de 1738-1739 et entérinée par une loi en 1739. Salander, bien que lui-même industriel, est chargé de veiller au respect de cette loi. De fait, la politique mercantiliste défendue par les Chapeaux est une politique protectionniste qui soutient, à travers les subsides de l’État, des industries dont la production est susceptible d’avoir un impact bénéfique sur la balance commerciale. Mais ils peuvent aussi par ce fait étendre leur influence économique, sous la houlette du Kommerskollegium dont Daniel Niclas von Höpken (1669-1741) est président depuis 172717, en créant et en contrôlant les institutions chargées de délivrer les droits, monopoles et privilèges aux manufactures.
23Salander est aussi un ami proche de Jonas Ahlströmer, autre industriel représentant des Chapeaux au Riksdag et membre fondateur de l’Académie des sciences en 1739. Ahlströmer est à la tête des industries Alingsås Manufakturverk à Alingsås, petite cité près de Göteborg qui, suite à l’installation de cette manufacture, a vu sa population passer de 300 à 1 800 habitants. Cette manufacture est également aux mains de personnalités de premier plan, tous membres du parti des Chapeaux : Carl Gyllenborg (leader des Chapeaux dans les années 1730 puis en 1738), Daniel Niclas von Höpken, Axel von Fersen, Carl Gustaf Tessin, Jacob von Hökerstedt (auteur de la proposition de 1728 de compter la population du royaume), Olof von Törne, Erland Broman, Reinhold Strömfelt et Erik Salander (Carlsson, 1981, p. 137).
24Ce réseau mêlant étroitement politiciens et industriels est à l’origine de l’Académie des sciences en 1739 et de la première chaire d’économie à Uppsala en 1741.
25Il n’est pas étonnant que l’Académie des sciences voit le jour en juin 1739 : elle est non seulement l’instrument de la politique mercantiliste du moment, mais aussi le fruit de cette politique et d’un puissant réseau de personnalités dont la grande majorité sont des sympathisants du parti des Chapeaux et, pour certains, des membres influents de ce parti. Ainsi, outre Alströmer et Anders Johan von Höpken, on trouve parmi les membres fondateurs de l’Académie, Sten Carl Bielke (homme politique supportant Arvid Horn du parti des Bonnets), Mårten Triewald (industriel et célèbre ingénieur, sympathisant des Chapeaux), Carl Wilhelm Cederhjelm (absent lors des premières réunions) et, last but not least, Carl von Linné. La part des hommes de sciences est bien maigre à côté de celle des industriels et politiciens. Le réseau s’étoffe rapidement mais la composition des membres de l’Académie garde ce caractère hétéroclite. Au cours du premier mois, ils se réunissent à six reprises. Dès leur première rencontre, il est décidé d’informer Anders Celsius et le mathématicien Samuel Klingenstierna18 de leur décision de créer cette nouvelle Académie et de leur proposer d’en devenir membre puis, lors de leur deuxième rencontre (le 6 juin), treize nouveaux membres dont Christopher Polhem, Pehr Elvius et Augustin Ehrensvärd sont cooptés19. Lors de ce deuxième rendez-vous, la question du financement de la jeune académie est posée. Ahlströmer donne 100 dahler en pièces d’argent – ce qui sans être une fortune est une somme raisonnable –, von Höpken et Bielke chacun 50 pour financer les dépenses de correspondance. Mårten Triewald promet de fournir le cuivre.
26Lars Salvius, lettré proche du cercle des chapeaux qui devient par la suite un imprimeur réputé, est aussi convié dès les premières rencontres en qualité d’élève, et se voit confier la responsabilité de prendre des notes (minutes) au cours des différentes réunions de l’Académie, de les éditer et de les publier : ce sont les Vetenskaps Academiens Protocol (« notes du protocole de l’Académie »). Salvius est aussi chargé de publier les Vetenskaps Academiens Handlingar (« les actes de l’Académie »). Suite à un tirage au sort, Linné est nommé président de l’Académie des sciences et von Höpken secrétaire lors de la première réunion qui a lieu à la Riddarhuset le 2 juin 1739 (Svenska vetenskapsakademiens, 1918, p. 3-5). Le président changeant à chaque session (c’est-à-dire, à l’exception de la première année, tous les trois mois), le secrétaire de l’Académie a un poste clé car plus stable. Il est, en quelque sorte, le représentant officiel de l’Académie.
27L’année même où Linné est nommé professeur de médecine à l’université d’Uppsala est créée, dans cette même université, la première chaire d’Économie suédoise : Jurisprudentia, oeconomiae et commercium. Cette chaire, imposée par les partisans des Chapeaux contre l’avis des instances de l’Université20, vise d’une part, à confirmer le statut de science à l’économie et, d’autre part, à faire reconnaître les futures sciences économiques (nationalekonomi) comme discipline académique. Anders Berch qui brigue cette chaire, obtient le poste de professeur et en devient le premier titulaire. D’aucuns pensent qu’elle a été, dans une certaine mesure, créée spécialement pour lui.
28Olle Sjöström note que ce poste a été financé par le réseau mercantiliste (Sjöström, 1998, p. 402). Karl Petander, auteur de la biographie de Berch, ne mentionne pas ce point mais explique que l’une des deux chaires de droit de l’université d’Uppsala était vacante – faute de moyens suffisants pour payer un salaire de professeur – et que cette chaire a alors été transformée en chaire d’économie (Petander, 1922, p. 319-320). Cependant, Petander ne précise pas l’origine des fonds qui ont permis l’ouverture de ce poste. Il indique toutefois que l’ami d’enfance de Berch, Edvard Carleson (qui sera plus tard responsable du Tabellverket et membre de la Tabellkommission), l’a présenté à Daniel Niclas von Höpken et Alströmer, et que Berch a commencé sa carrière au Kommerskollegium. Il ne semble donc pas hasardeux de penser que Berch est proche du réseau politico-financier de von Hökerstedt, Salander et Alströmer. D’autant plus qu’il est membre du parti des Chapeaux et que, comme professeur, il a défendu ardemment leur politique économique.
29La plupart des professeurs d’université n’ont pas vu d’un bon œil la création de cette chaire d’économie, d’une part parce qu’elle leur a été imposée, d’autre part parce qu’elle a promu l’économie domestique, propre aux paysans, comme science21, mais aussi parce que, dans leur grande majorité, ces professeurs étaient gagnés à la cause des Bonnets (Johannisson, 1988b, p. 129). Tant et si bien que la position de Berch au sein de l’université est relativement délicate. Néanmoins, une autre arène lui est ouverte : l’Académie royale des sciences.
30Cette prestigieuse Académie a donc joué le rôle de plateforme où hommes politiques et savants, industriels et ingénieurs pouvaient se rencontrer et publier leurs travaux.
2. Les visées utilitaristes et économiques de l’Académie royale des sciences
31Prenant comme référence le Discours préliminaire de d’Alembert, dans lequel le mathématicien français affirme que « la pensée scientifique repose sur les principes du rationalisme et de l’empirisme » et donc jette « les bases d’une critique des superstitions », Tore Frängsmyr souligne que les sciences et leurs desseins étaient appréhendés d’une manière bien différente en France et en Suède (Frängsmyr, 1999). Cet historien des sciences précise :
En Suède, […] sans doute parlait-on souvent de la mission des sciences de la nature, mais exclusivement en termes économiques et religieux. Le rôle de la science était de manifester la grandeur du Créateur et d’être utile á l’économie, rien de plus (Ibid., p. 85).
32De fait, tout au long de l’ère des libertés, les sciences ont été au service de l’économie. Dès la première réunion du 2 juin 1739, les desseins de la future Académie royale des sciences sont clairement affirmés22. La première tâche dont ces hommes se sont acquittés a été de décider d’un nom et de déterminer les fondements de leur association. La grande majorité des propositions relatives au nom de la future académie comprennent l’adjectif « économique » dans le titre comme, par exemple, Oeconomisk Wetenskaps Societet (Société des sciences économiques) et Oeconomisk Wetenskapsgille (Assemblée des sciences économiques). Mais in fine les membres fondateurs, se rangeant au point de vue de Celsius qui avait envoyé une lettre à leur attention afin de les encourager dans cette entreprise, retiennent le nom de Wettenskaps Academien (Académie des sciences)23. Bien que n’apparaissant pas dans son nom, l’économie reste bien la mission première de l’Académie des sciences puisque son objectif était :
[…] de débuter des réunions longtemps désirées à Stockholm afin de faire prospérer et propager les sciences, qui avec l’assiduité au travail et la ténacité engendrent la fortune des louables travaux manuels et de l’économie24.
33Ainsi, une vague d’utilitarisme s’est-elle abattue sur le pays et elle se fait fortement sentir dans la politique scientifique25. L’Académie des sciences accueillant en son sein de nombreux sympathisants du parti des Chapeaux et comptant, parmi ses fondateurs, des membres influents de ce même parti, il est peu étonnant de retrouver dans les textes fondateurs les préceptes de cette politique. La mission de l’Académie est donc de rassembler et de promouvoir les connaissances scientifiques dans le domaine des mathématiques, des sciences de la nature, de l’économie, du commerce, des arts utiles et des manufactures. Les thématiques abordées s’élargissent progressivement mais la sélection des disciplines opérée par les membres fondateurs est assez révélatrice de leurs desseins. De même, le fait que l’Académie compte parmi ses membres des entrepreneurs et des ingénieurs dont le rôle est jugé central pour le développement de l’économie, atteste de cette même volonté d’en faire le sanctuaire de l’utilité pratique et sociale. Outre le choix des disciplines ou des membres, cette volonté est perceptible via le choix des thèmes, la sélection des textes publiés dans les Actes de l’Académie des sciences. Cette préoccupation est, en outre, proclamée, revendiquée dans les nombreux mémoires traitant de l’histoire des sciences26.
34Linné publie dans la première édition des Actes de l’Académie un texte intitulé Pensées sur les fondements de l’économie à travers les connaissances naturelles et la physique (Linnaeus, 1740). Dans ce texte consacré à la mission des sciences dans la société, Linné montre la nécessité de connaître la nature pour mieux servir l’industrie et l’agriculture. Il reprend et approfondit ce thème dans d’autres écrits illustrant par des exemples concrets les réalisations que la science a permises. Il cite volontiers des exemples de la vie de tous les jours afin de démontrer que les sciences peuvent certes contribuer à de grandes choses mais qu’elles sont aussi destinées à améliorer le quotidien, l’économie domestique.
35Selon Tore Frängsmyr, « la science devait servir l’utilité pratique, tel était le credo de l’ère de la liberté » (Frängsmyr, op. cit., p. 86). La prégnance de ce thème dans les écrits de l’Académie ou dans les choix mis en œuvre par ses membres illustre parfaitement cette assertion. Mais les visées utilitaristes de l’Académie ne se limitent pas à une brillante rhétorique, elles s’illustrent aussi dans la pratique à travers différentes entreprises :
36– les actes publiés, rédigés en suédois, sont destinés à faire œuvre d’éducation populaire, ce qui explique le tour concret, voire étroitement utilitariste, de nombreuses contributions. Il s’agit de diffuser le plus grand nombre possible de résultats d’expériences en matière industrielle, économique ou agricole (Frängsmyr, 1989, p. 7). Certains membres de l’Académie s’en plaignent, tel l’astronome Melanderhjelm (qui appelle de ses vœux des travaux plus théoriques et écrits en latin, la langue des doctes). L’Académie se tourne vers le grand public et s’ouvre aux profanes qui sont invités à collaborer. Amateurs doués ou dilettantes, ceux qui répondent à cet appel sont en général issus de la bourgeoisie ou de la petite noblesse, bref de la classe moyenne dont l’influence politique et économique est grandissante.
37– En 1747, l’Académie des sciences reçoit le droit exclusif de la publication de l’almanach dont la première édition organisée par l’Académie date de 1749. Publier l’almanach permet à cette institution, dont les membres ont fait vœu de faire connaître et de diffuser la science au peuple, de toucher une population peu familière avec les écrits académiques. Outre les informations traditionnelles et attendues, à savoir le calendrier avec les jours de la semaine, les horaires de lever et coucher du soleil, les phases de la lune, les prédictions météorologiques, le répertoire de toutes les autorités et administrations du pays, l’Académie ajoute une section destinée à la publication d’un essai rédigé par l'un de ses membres dans son domaine d’expertise – médecine, hygiène, agriculture, etc. – et visant l’instruction du public27. Le nombre d’exemplaires publiés passe de 135 000 en 1747 à 294 000 en 1785, ce qui à l’échelle de la Suède est assez considérable (Eriksson, 1989, p. 73). La charge de la publication de l’almanach suédois permet, non seulement à l’Académie de pourvoir à l'une de ces missions – diffuser la science – mais elle lui offre aussi une bonne assise économique. Ce droit exclusif donné à l’Académie, ce privilège octroyé par le roi, constitue une forme indirecte de subvention de l’État.
38L’Académie des sciences joue un rôle d’avant-garde dans le monde académique suédois, d’une part parce qu’elle offre un cadre propice à l’expérimentation et, d’autre part parce qu’elle jouit d’une plus large liberté que les universités où la censure s’exerce. En effet, à l’ère des libertés, l’université est toujours régie par les statuts de 1655, et la philosophie de Wolff (avec sa structure mathématico-logique) qui y domine n’est guère faite pour stimuler l’expérimentation au sens moderne du terme (Frängsmyr, 1989b). Pourtant, à l’inverse de ce que l’on observe dans la plupart des pays européens, il existe une complémentarité et non une opposition entre l’université et l’Académie. Et cette harmonie entre Stockholm et Uppsala a été sans nul doute profitable à la vie intellectuelle du pays.
3. La montée en puissance des écrits d’économie politique traitant des questions de population
39En 50 ans, plus de 45 mémoires abordant des questions liées à la population ont été publiés par l’Académie des sciences, véritable plateforme centralisant les idées de l’époque sur ce sujet. D’aucuns présentent les données contenues dans les registres paroissiaux, d’autres s’intéressent à la croissance naturelle de la population ou réfléchissent à la quantité de personnes que la Suède peut nourrir en son sein. Le premier mémoire traitant de questions de population publié dans les Actes de l’Académie des sciences porte sur ce dernier thème. Ce mémoire (Mennander, 1743, p. 227-232)28 signé de Carl Fredric Mennander, met en relation le nombre de fermiers en Suède et la taille du pays. Mennander part de l’hypothèse qu’il y a 3 millions d’habitants dans le royaume. À partir de ce nombre, il déduit le nombre de fermiers et évalue leurs productions en grains. Mais ce résultat ne le satisfait pas car Dieu a donné à la Suède de bonnes terres capables de nourrir plus d’habitants. Partant cette fois-ci d’une évaluation de la superficie des terres cultivables, il estime que la Suède pourrait nourrir 30 millions d’habitants.
40L’année suivante, l’entrepreneur économiste Erik Salander poursuit ces réflexions sur le lien entre la croissance de la population et les ressources d’un État. Son mémoire porte le titre explicite d’Essai : la Suède peut nourrir ses habitants avec ce qu’elle produit ? (Salander, 1744, p. 62-64). Salander tente ainsi d’estimer la surface des terres cultivables et multipliant cette surface avec le rendement des grains, il obtient ainsi la capacité productive du pays :
[…] il vient annuellement 120 millions de tonnes de grains. Si l’on en ôte encore un grain pour les semailles, et en même temps suivant la coutume, un grain pour la subsistance du bétail, il y a encore 80 millions de reste ; si l’on compte 4 tonnes par an et par personne, grande et petite, on parvient à 20 millions pouvant subsister, autant qu’en France (Ibid, p. 63).
41Reconnaissant probablement que cette estimation est haute, il modère ensuite quelque peu ses propos :
Et si quelqu’un croit que ce calcul est trop élevé, je vais immédiatement en négliger la moitié en espérant que l’on accordera assez de subsistance pour 10 millions. Et si quelqu’un y trouve encore de l’incertitude, je vais en négliger une autre moitié et ne plus tenir pour douteux que l’on me concédera la subsistance pour cinq millions de personnes (Ibid, p. 63).
42Le propos de Salander est donc de montrer que le royaume peut nourrir 5 millions de personnes alors qu’à cette période, il est nécessaire d’importer des grains de l’étranger pour subvenir aux besoins des 2,5 millions de Suédois (dixit Salander). Pour conclure, il encourage le développement des villes car « la prospérité du laboureur repose sur la croissance et le soutien des villes » (Ibid., p. 63) soulignant ainsi le rôle de l’industrie et des manufactures dans l’économie globale du pays.
43Ces mémoires doivent être replacés dans un contexte plus large, celui des écrits économiques de l’ère des libertés. Comme nous l’avons vu précédemment, dès la fin des guerres du Nord, les discussions portant sur les thématiques économiques telles que : l’augmentation de la productivité agricole, la balance commerciale déficitaire à équilibrer, le manque de manufactures et la nécessité de développer et soutenir l’industrie à peine naissante, la production à relancer etc., ont connu une vitalité nouvelle. Il faut reconstruire le pays. Après avoir été une puissance militaire, la Suède doit se transformer, à l’instar de l’Angleterre, en un Ėtat florissant, en une puissance économique indépendante. Ces discussions, qui synthétisent les controverses politiques du moment, se traduisent par une littérature foisonnante29 où les travaux à tonalité mercantiliste prolifèrent. Dès 1720, Christopher Polhem publie Oeconomie och commercen uti Sverige (« L’économie et le commerce en Suède »). Si l’on compte un nombre assez conséquent de traités et de pamphlets d’économie durant les années 1720-1730, le rythme de ces publications semble s’accélérer après l’accession des Chapeaux au pouvoir. Les mémoires de Mennander de 1743 et de Salander en 1744 s’inscrivent donc dans ce courant littéraire. Dans nombre de ces écrits de politique économique, la population est une variable non négligeable. L’article d’Edward Hutchinson, Swedish Population Thought in the Eighteenth Century, confirme bien la prégnance de ce thème dans les écrits de l’époque.
44Un autre mémoire traitant de la population est publié dans les Actes de l’Académie des sciences en 1744. Signé de Pehr Elvius, il a une teneur quelque peu différente puisqu’il aborde des questions tenant à la fois de l’économie politique et de l’arithmétique politique. De fait, Elvius, devenu secrétaire de l’Académie royale des sciences, ne tente pas d’estimer la taille de la population du royaume mais vise à montrer la qualité et l’utilité des registres paroissiaux à partir d’un exemple : les registres d’Uppsala.
III. L’Académie royale des sciences ou la gestion scientifique des données de population
45L’intérêt de l’Académie des sciences pour les questions de population est tangible dès la constitution de l’Académie et tout au long du xviiie siècle. Otto Grönlund suggère dans l’un de ses articles que les questions touchant à la population étaient une tâche dévolue au secrétaire de l’Académie. Cette hypothèse sous-entend que cette tâche revient donc naturellement à Elvius puis à Wargentin lorsqu’ils deviennent secrétaires perpétuels de l’Académie mais aussi aux secrétaires précédents, c’est-à-dire à Anders Johan von Höpken et Jacob Faggot. S’il est certain que tous ces secrétaires se sont intéressés à ces questions et qu’ils se sont impliqués à un degré ou à un autre dans ce qui allait devenir le Tabellverket, rien ne nous permet, toutefois, d’étayer ou de réfuter cette thèse. En effet, nous n’avons trouvé aucune trace dans les protocoles d’une telle responsabilité.
46En revanche, il est remarquable qu’Elvius, puis Wargentin à sa suite, publient, peu de temps après leur nomination comme secrétaires de l’Académie, des mémoires relatifs à la population intégrant leurs connaissances scientifiques et astronomiques à une question sensible de l’économie politique. Mais ils n’ont pas été les seuls à porter ce flambeau. Erik Benzelius, devenant membre de l’académie en 1740, fait part de son travail et de son expérience à ses nouveaux collègues, à partir des registres le 20 juin 1741, avant de disparaître en 1743.
1. Standardiser et harmoniser les données relatives à la mortalité
47Le 20 juin 1741, Benzelius présente donc devant l’assemblée de l’Académie, composée notamment de von Höpken, Triewald, Faggot, Polhem, « une liste des naissances et des décès dans le diocèse de Linköping du début à la fin de l’année 174030 ». De ces relevés, il déduit un solde naturel de 459 personnes (459 personnes de plus qui sont venues au monde que celles qui sont décédées). Suite à cet exposé, il demande si l’Académie serait intéressée à publier ses tableaux. Les membres présents lors de cette assemblée refusent, objectant que les relevés de mortalité devraient être faits de manière plus rigoureuse, qu’il était nécessaire d’avoir un formulaire à partir duquel ces relevés seraient faits. Von Höpken se porte volontaire pour établir un tel formulaire et le soumettre plus tard à l’Académie, promettant de même de présenter des tableaux standardisés. Cet épisode laisse penser que dès 1741 – et peut-être même avant –, les membres de l’Académie ont conscience de la nécessité d’harmoniser et de standardiser la collecte des données : l’idée du Tabellverket est bien déjà dans leur esprit. L’initiative de Benzelius était certes intéressante mais insuffisante à leurs yeux.
48Le fait que von Höpken, premier secrétaire de l’Académie, se charge de cette besogne est intéressant à plus d’un titre et n’est certainement pas sans conséquences pour les questions qui nous occupent. Bien qu’il ne publie aucun mémoire sur ce thème dans les actes de l’Académie, von Höpken est un fervent défenseur de la politique mercantiliste des Chapeaux, et convaincu de l’enjeu que représente la population.
49De même, Mårten Triewald est un personnage non dénué d’importance. Jeune, il séjourne dix ans en Angleterre où il travaille comme inspecteur dans une mine de charbon à Newcastle. Là, il étudie la mécanique et s’intéresse grandement aux machines à vapeur. Il développe de nombreux contacts avec des savants anglais et devient membre de la Royal Society puis, de retour en Suède, est élu membre de la Société royale des sciences d’Uppsala en 1729 (fondée par Benzelius en 1710) avant d’être nommé kapten-mekanikus (capitaine des Mécaniques). Il garde des contacts avec la Royal society dont il reçoit les Actes. Il entretient une correspondance avec certains membres de cette société et soumet des essais qui sont publiés dans les Philosophical Transactions (Triewald, 1729-1730, p. 39-43 ; 1731-1732, p. 79-81 ; 1735-1736, p. 377-383 ; 1737-1738, p. 231-238 ; 1742-1743, p. 115-116) sur des sujets relativement divers. Il a notamment publié un texte dans l’édition même où fut présenté un extrait du travail de Kersseboom traduit par John Eames (volume 40 des Philosophical Transactions) et la réponse de Maitland (Triewald, 1737-1739, p. 231-238 ; Kersseboom, 1738, p. 401-406 ; Maitland, 1738, p. 407-412). Triewald est sans aucun doute l'un des vecteurs qui a permis de diffuser les publications de la fameuse société au sein de l’Académie suédoise, et peut-être même de faire connaître les essais de Kersseboom et de Maitland. Cependant, il ne faut pas oublier que Triewald n’est pas le seul membre de l’Académie à avoir des contacts étroits avec l’Angleterre : von Höpken y a vécu quelque temps, en 1730-1732, avant de partir en voyage d’études en France et en Italie. Celsius a aussi séjourné dans ce pays, avant de participer à l’expédition de Maupertuis31. De même, Alströmer et le mathématicien Samuel Swedenborg ont fait de longs séjours en Angleterre32.
2. Inventaire pour mieux connaître les ressources du royaume
50En 1741, Jacob Faggot présente devant l’Académie un mémoire intitulé Pensées sur la connaissance et la description de la mère Patrie, dans lequel il souligne la nécessité de décrire la mère patrie et ses ressources afin de procéder à un inventaire complet et bien documenté des ressources du pays (Faggot, 1741, p. 1-29). Dans ce mémoire, il encourage ses concitoyens à envoyer des rapports de toutes les régions de Suède. Le mémoire est divisé en douze chapitres, soit douze thèmes se déclinant chacun en différents points numérotés. Ce mémoire est donc une instruction précise et bien structurée, une véritable enquête venant compléter le travail du géomètre :
Si maintenant, après les cartes toutes les petites villes ou villages étaient décrites de par leurs situations et leurs réels états, alors l’utilité du travail des cartes serait plus grande et plus sensée33.
51L’inventaire porte sur des thèmes aussi divers que la pêche, les verreries, les coutumes, le charbon, les minéraux, les forêts, les montagnes, les différentes sortes d’eau et à quoi et pourquoi elles sont utilisées, etc.
52Le onzième chapitre est intitulé « Des contributions des compatriotes, construction, économie, moyens de subsistances et coutumes et à la fois apparence extérieure du pays34 ». C’est dans ce chapitre, et notamment dans le point 156, que Faggot pose quelques questions sur la population :
Où les habitants mangent-ils plus ou moins de nourriture salée, viande ou lait, fromage ou beurre, où sont-ils plus ou moins féconds, où élève-t-on les enfants négligemment avec le bâton et sans le lait de leur mère, où utilise-t-on du lait de femme, pourquoi les enfants dans leur majorité meurent-ils et pourquoi les mères n’allaitent-elles pas les enfants, quelles maladies ont coutume de se diffuser dans chaque localité, et quels remèdes et potions médicinales sont habituellement et efficacement utilisés. Dans quels lieux, en ville ou à la campagne, la maladie de l’amour ou les maladies vénériennes s’enracinent, attristent la meilleure jeunesse du royaume et menacent le pays avec une affreuse vitesse ; avec quelles mesures un tel danger, malgré la débauche dans les plus grandes villes, peut-être prévenu à temps, avant que notre noble pays et notre peuple subissent une catastrophe incurable35.
53L’idée de faire un inventaire du royaume n’est pas nouvelle, l’historien Jean Ehrard l’apparente à la volonté de tendre à l’inventaire de la création et à la conception traditionnelle de l’histoire naturelle : « science faite de patientes observations et de descriptions minutieuses, science de collectionneurs où la piété du chrétien vient soutenir la curiosité du savant (Ehrard, 1994, p. 186) ». Au tournant des xviie et xviiie siècles, cette idée se retrouve notamment en France dans l’œuvre de l’abbé Pluche (1688-1761) ou en Angleterre avec les enquêtes sur l’Oxfordshire et le Staffordshire du naturaliste Robert Plot (1640-1696). En Suède, le médecin Urban Hiärne (1641-1724) ainsi que Anders Kempe (1622-1689) avancent l’idée qu’il est de la responsabilité des hommes de résoudre les mystères de la nature, d’en révéler ses zones d’ombres et de les mettre en lumière à la connaissance de tous (Hiärne, 1694 ; Kempe, 1694). Leur objet est aussi de décrypter les codes économiques et spirituels de la nature et, pour ce faire, Urban Hiärne, féru de géologie, tente de faire un inventaire des minéraux36 tandis que Anders Kempe plaide en faveur des voyages et des excursions scientifiques afin de collecter des informations sur la faune et la flore de Suède. Les voyages et l’œuvre de Linné relèvent de cette même volonté d’accumuler les connaissances. Linné a alors l’ambitieux projet d’inventorier et de renseigner toutes les ressources du royaume de Suède puis, ces connaissances sont systématisées, ordonnées, classifiées afin d’être utiles.
54Le programme initié par Jacob Faggot relève tout autant de la géographie, de la topographie, de l’ethnographie ou de l’économie que des sciences naturelles, de la biologie et de la médecine. Il conduit à la mise en place d’un réseau de correspondants, en majorité des pasteurs, dévoués à l’idée de contribuer à l’inventaire de la création37. En 1747, le pasteur Torsten Wassenius envoie un rapport à Daniel Juslenius son évêque, et ce dernier le transmet à l’Académie. Ce mémoire est publié avec pour titre : « Acroissement de la communauté de Vassandå par les naissances et les mariages, et son décroissement par les décès, durant un quart de siècle, soit 25 ans, du 9 juillet 1721 au même mois de l’année 1746 » (Wassenius, 1747, p. 261-264). Ce rapport contribue à une meilleure connaissance des informations contenues dans les registres paroissiaux en suivant les recommandations de 1736, à savoir en commençant les relevés en 1721. Après avoir exposé dans deux tableaux le nombre des naissances par sexe, le nombre de mariages ainsi que les décès par groupes d’âges de 10 ans, Wassenius tente d’apprécier les résultats obtenus et décrit ainsi, sommairement, les mouvements de la mortalité, de la natalité et de la nuptialité. Ce texte n’est rien d’autre qu’un commentaire des tables de données. Cependant, les appréciations circonstanciées relatant les évènements historiques majeurs de cette période, autorisent une mise en perspective des données brutes prélevées dans les registres.
55Vingt-cinq ans plus tard, Torsten Wassenius envoie directement son rapport à l’Académie des sciences qui publie ainsi un second volet des mouvements démographiques de la population de Wassendå, avec cette fois des relevés sur quarante ans (Wassenius, 1747, p. 261-264).
56Jacob Faggot participe lui-même à ce « dénombrement » des richesses du royaume et publie en 1750 un mémoire présentant la paroisse de Pernå. Notons que le paragraphe présentant les données relatives à la population de Pernå n’est pas le fait de Faggot mais est fondé sur les relevés du pasteur Habermann. Le tableau présenté est particulièrement intéressant : en effet, les classes d’âges sont quinquennales à partir de 5 ans. Avant 5 ans, on trouve trois classes : « plus jeunes qu’un an », « entre 1 et 3 » et « entre 3 et 5 » (Faggot, 1750, p. 265), alors que dans le mémoire précédemment publié dans les actes de l’Académie des sciences – le mémoire de Wassenius – les classes d’âges étaient de 10 ans et que, dans les mémoires antérieurs, il n’y a pas de tableau ou de résultats détaillant les âges. Ce mémoire datant de 1750, soit un an après la création officielle du Tabellverket, il est probable que Faggot, avec l’aide du pasteur Habermann, ait utilisé dès 1750 les tables préparées par ledit Tabellverket que nous présenterons plus loin.
57Dans ce texte, Faggot souligne que : « Les forces économiques d’un pays provenant d’un grand nombre de peuple et de son emploi diligent, il faut porter la réflexion sur l’avancement de ces deux situations» (Ibid., p. 264), revenant ainsi sur les raisons de l’entreprise lancée en 1741 par ses soins. Il ajoute un peu plus tard, commentant le tableau ci-dessus mentionné :
Il serait d’ailleurs souhaitable de pouvoir rassembler de tels relevés des personnes, ainsi que les registres des nés et des morts, chaque année et dans toutes les régions du Royaume ; ainsi, non seulement l’histoire naturelle atteindrait sa perfection dans cette perspective, mais on pourrait encore bâtir sur des fondements solides la préoccupation que l’on doit avoir de la multiplication et du travail du peuple, et prévenir les maladies et autres accidents qui empêchent ou perturbent habituellement son accroissement (Ibid. p. 265).
58En 1754, Gustaf Hedin envoie à l’Académie un mémoire présentant la paroisse de Kräklinge, il l’intitule « Description de la paroisse de Kräklinge en Nerike, d’après l’instruction du modèle donné dans les Mémoires de l’Académie royale des Sciences de 1741 » (Hedin, 1764, p. 109-142) se référant aux instructions données par Faggot. Le mémoire de Hedin n’aborde donc pas uniquement des questions ayant trait à la population mais traite aussi de l’agriculture, décrit la faune et la flore de la paroisse, etc., reprenant scrupuleusement les principaux thèmes recommandés par Faggot38. De même l’année suivante, Tiburtius envoie une description de monastère de Vreta situé dans la région de l’Öster-Göthland. Le premier volet de ce texte, publié en deux parties, fait aussi référence aux indications de Faggot39. De nombreux rapports ont été envoyés dans les années suivantes principalement par des membres du clergé tel Pehr Högström, Hans Hederström, Jonas Fischerström, Elias Lagus, mais aussi par des géomètres et administrateurs. Ces mémoires ont été reçus et publiés par l’Académie royale des sciences plus de dix années après la publication du mémoire de Faggot. Mais le contexte est alors différent et le climat probablement plus propice à la fermentation de tels écrits : la campagne de Russie est finie, le Tabellverket est en place (depuis 1749) et Wargentin a entamé la publication de son mémoire en six parties (1754-1755).
59Ainsi, l’entreprise lancée en 1741 par Faggot, et dont la publicité a été assurée grâce aux actes de l’Académie des sciences, est une tentative pour décrire les différentes facettes de la société suédoise. Cette entreprise complète les travaux de Linné et de ses disciples, ces récits de voyage dont le champ ne se limite nullement à la description de la flore et de la faune. Wargentin mentionne ce point dans une lettre écrite à Condorcet, secrétaire de l’Académie des sciences française, pour lui annoncer la mort de Linné en février 1778 :
Ses ouvrages suédois [ouvrages de Linné], particulièrement le voyage de Gothlande, celui de Westrogothie et celui de Scanie, contiennent des observations de toute espèce, sur l’histoire naturelle, l’économie et les antiquités de ces provinces. Il fit ces voyages par ordre du Roi et à ses dépens. Ses disciples en ont fait de pareils, dans presque toutes les provinces du Royaume. On a cru, que le premier pas pour rétablir l’économie du Royaume est de connoitre les productions naturelles du pays, et de les cultiver préférablement40.
60Les mémoires reçus par l’Académie suédoise des sciences répondent aussi à cette volonté de décrire et de répertorier les productions naturelles du royaume. L’ensemble fournit une description empirique, non seulement du peuple suédois, mais aussi des structures de la société suédoise. À la lecture des mémoires, il apparaît que le travail – les occupations des membres de la société suédoise – est une variable clé. Pour ces auteurs, la population est envisagée dans une dimension dynamique à la fois par sa croissance mais aussi par le travail qu’elle produit. Cette dynamique est analysée et reliée aux facteurs naturels et sociopolitiques qui influent sur la population, facteurs causals de la croissance ou de la décroissance de la population et de la production. La population est donc une variable économique et sociale endogène.
61Le fait que ce programme présenté par Faggot, qui devient secrétaire de l’Académie quelques mois après y avoir exposé ce texte, ait été publié dans les actes de l’Académie royale des sciences et que, par la suite, les textes reçus le soient aussi, ne nous semble pas anodin. Il est des plus probables que cette entreprise ait été un vecteur de la politique soutenue par l’Académie royale des sciences afin de mieux connaître le royaume. Faggot n’aurait pas sollicité l’Académie comme organe permettant la publicité de son enquête et de ses résultats sans que ce travail ne participe aux intérêts de cette même académie. D’autant que les mémoires étaient lus puis discutés au cours des sessions. Comme nous l’avons vu précédemment, cette nécessité de décrire et donc de connaître par le menu détail toutes les richesses nationales avait en effet été déjà clairement exposée par de célèbres prédécesseurs41.
62Plus tard, dans la série de mémoire publiés par Wargentin de 1754 à 1756, Observations sur l’utilité des relevés annuels des nés et des morts dans un pays, les données qui en sont issues sont monopolisées comme autant de références ou de cas d’étude à partir desquels l’auteur peut asseoir ses réflexions. Wargentin est tout à fait conscient de la richesse de ces matériaux. Il souligne à ce propos l’intérêt de multiplier les relevés locaux afin de comparer les expériences et ainsi d’obvier, en partie, aux limites des études fondées sur une ville ou une région précise puis généralisées à un royaume ou à un État. Néanmoins, bien qu’il puisse s’appuyer, grâce aux mémoires reçus et publiés à l’Académie, sur des exemples provenant de diverses régions de Suède et de Finlande, il souligne qu’il est difficile de tirer des enseignements généraux de ces situations. Ainsi Wargentin soulève une question importante : celle de la représentativité des résultats d’études locales à l’échelle du royaume. Mais déjà, avant Wargentin, ce problème avait été abordé et servit d’argument pour appuyer et défendre la mise en œuvre du Tabellverket.
63Si l’appel de Faggot est entendu, il semble, en revanche, que peu de choses se soient passées suite à la proposition d’Anders Johan von Höpken de 1741 de prendre soin des formulaires. En effet, il n’existe aucune trace de contacts entre von Höpken et la Sundhetskommission ni de brouillon de formulaires dans les archives de cet homme. Cependant, il ne faut pas oublier que les années 1741-1743 sont des années de troubles politiques, la Suède étant en guerre contre la Russie. Les Chapeaux, majoritaires parmi l’ordre de la noblesse et de la bourgeoisie ainsi qu’à la Sekreta utskottet, rêvent de revanche. Profitant du désordre de la succession de la tsarine Anna Ivanovna, ils attaquent la Russie le 28 juillet 1741. Eihensvärd étant alors appelé sur le front, il laisse sa place de secrétaire de l’Académie, confiée à von Höpken qui redevient alors secrétaire de l’Académie des sciences.
3. Présentation et lecture du mémoire de Pehr Elvius devant l’Académie des sciences en 1744
64Ce n’est donc qu’en 1744, alors que le climat se fait plus stable, que le secrétaire nouvellement nommé, Pehr Elvius présente un travail de grande qualité, alliant collecte et analyse de données tirées des registres paroissiaux de la ville d’Uppsala, ville où il a passé la plus grande partie de sa vie. Il fait un relevé systématique et méthodique des listes de naissances de 1694 à 1743 puis en entreprend un réel dépouillement, et à partir de ces données, élabore un mémoire à teneur politique et scientifique. L’intérêt d’Elvius pour ces questions est relativement nouveau, toutefois il a publié, quelques années auparavant, un essai dans les Actes de la Société des sciences d’Uppsala, portant sur les probabilités et intitulé : Solutio problematis ad doctrinam combinationum pertinentis (Grönlund, 1949b, p. 4).
65Elvius présente ce mémoire à deux reprises à l’Académie : d’abord le 11 août 1744, puis quelques mois plus tard le 24 novembre 1744. Suite à la première lecture de son mémoire, Triewald déclare qu’un tel mémoire ne peut pas être publié dans les annales de l’Académie car il porterait à la connaissance des étrangers le nombre des habitants du royaume42. Or, cette information, jugée stratégique tant d’un point de vue militaire que commercial, ne peut être diffusée. Il semble raisonnable de penser que la publication ultérieure de ce mémoire avec, comme seule mention de lieu, l’initiale du nom de la ville d’Uppsala, résulte d’un compromis entre les deux hommes43. Triewald n’est pas le seul à réagir à la présentation d’Elvius. En effet, Evald Ribbe fait remarquer que la « Sundhetscommission reçoit annuellement des listes de la sorte sur les naissances et le décès, dans lesquelles l’âge des décédés est indiqué44 ». Cette observation a pour conséquence de reporter la décision de publier ou non le mémoire d’Elvius, le temps de vérifier auprès de la Sundhetscommission la nature et la qualité des données collectées par cette institution. Lors de l’assemblée suivante, soit le 24 novembre, les listes des naissances de la ville d’Uppsala sont présentées à nouveau. Dans l’intervalle, ont pu être vérifiées – probablement par Ribbe – les données collectées par la Sundhetscommission. Or, ces listes ne sont pas complètes et les âges au décès approximatifs. Ils sont en effet reportés dans deux colonnes, l’une pour les personnes de moins de 50 ans, l’autre pour ceux de plus de 50 ans. L’assemblée décide que de tels relevés ne sont pas suffisants pour le projet de l’Académie. Ils autorisent donc la publication du mémoire d’Elvius qui, selon eux, est un modèle à suivre à l’avenir45, et décident de faire une proposition visant à institutionnaliser la collecte des données issues des registres paroissiaux. Ils chargent alors von Höpken et Elvius de cette tâche :
Le catalogue a donc été remis à l’attention de M. le Baron Höpken, en outre par lui et le Secrétaire doit alors être mis sur pied à cette fin une méthode à la demande de l’Académie royale46.
66Elvius ne fait pas le choix de travailler à partir des registres paroissiaux par défaut. Ce choix est, explicitement, un choix politique. Il n’est pas non plus étrange qu’il ait restreint son étude aux registres des naissances puisque, dès 1741, les membres de l’Académie avaient pointé la nécessité de recourir à des formulaires standardisés lors de la présentation faite par Benzelius des relevés des naissances et décès du diocèse de Linköping.
67Le mémoire d’Elvius est donc publié dans le quatrième numéro des Actes de l’Académie des sciences pour l’année 1744, sous le titre : « Relevé du nombre annuel d’enfants venus au monde dans la ville d’U… ces dernières 50 années. Avec une introduction à ces observations » (Elvius, 1744, p. 293-300). Dans cet essai, Elvius mentionne l’intérêt de l’Académie pour les données des registres paroissiaux :
Cela donnera en outre à l’Académie royale des sciences une satisfaction particulière de se voir adresser de tels relevés afin qu’ils puissent être appliqués à un usage général et achevé (Ibid.).
68De même qu’il insiste sur le bénéfice de systématiser la collecte de telles informations dans tout le pays pour améliorer la gestion du royaume :
Il serait donc bon, si l’on devait tirer de tels relevés des registres paroissiaux dans tout le royaume, que cela serve, non seulement à apaiser une simple curiosité, mais encore que le Gouvernement en retire une instruction afin d’observer différentes choses de la plus haute utilité (Ibid., p. 294).
69Conscient de la taille modeste de l’échantillon qu’il présente, il relativise l’apport de son propre travail mais invite toute personne ayant accès à ces données et disposant d’une autorité compétente à envoyer des extraits des registres paroissiaux à l’Académie. Et l’exploitation de ces registres serait par la suite confiée « à d’autres qui ont des opportunités de découvrir ce qu’ils ont de profitable» (Ibid., p. 293). Cette requête renforce l’appel de Faggot de 1741 et encourage certainement des pasteurs à prendre volontiers la plume.
70Outre les aspects de politique intérieure à l’Académie des sciences, ce mémoire contient aussi une analyse sérieuse des données collectées. Elvius n’a pas seulement retranscrit le nombre de naissances de 1694 à 1743, il a aussi tenté d’indiquer ces naissances selon le sexe. Dès lors que cette donnée n’était alors pas clairement mentionnée dans les registres, il tente de déduire le sexe des enfants à partir de leurs noms. Malheureusement, la mention du prénom manque parfois si bien que le total de la colonne enfants correspond rarement à la somme des deux colonnes « garcons » et « filles ». Mais Elvius est tout à fait conscient de cette lacune et la signale dans son texte (Ibid., p. 293).
71Alors que de nombreux auteurs à cette époque se lancent volontiers dans l’étude de la mortalité, Elvius semble accorder plus d’importance à l’étude de la natalité qui permet selon lui de voir si :
Les habitants du Royaume doivent toujours augmenter de manière naturelle, s’ils ont diminué durant quelque temps, si des causes extérieures, comme la guerre, les épidémies communes, la famine, et autres semblables par lesquelles l’espèce humaine est ruinée et détruite, y contribuent la plupart du temps, toutes choses que l’on verrait aisément en comparant de tels relevés à l’histoire (Ibid., p. 294-295).
72Ainsi l’analyse de la natalité conjuguée à une bonne connaissance de l’histoire du pays permet, selon lui, de mieux comprendre l’influence des guerres et des épidémies sur la population. De même, il note qu’à partir du nombre de naissances survenues dans le royaume, il est possible de déduire le nombre d’habitants. Mais il semble se rétracter et revient à une échelle plus modeste, soulignant toutefois tout l’intérêt d’évaluer de façon fiable le nombre d’habitants des villes et de divers lieux et de comparer ces résultats. Peut-être la perspective de collecter ces données à l’échelle du royaume est-elle utopique ou trop éloignée dans le temps ?
73Fort de cette conviction quant à l’intérêt des relevés des naissances, il se lance dans des calculs de moyennes afin d’apprécier « la croissance naturelle de l’espèce humaine » et « l’accroissement moyen » (Ibid., p. 295).
74Dans cette étude, Elvius fait référence aux travaux de William Maitland publiés dans les Philosophical Transactions en 1737-1738 (Maitland, 1737-1738, p. 407-412), et notamment au paragraphe où l’Anglais discute de la taille de la ville de Londres et utilise la méthode du multiplicateur. Même s’il loue la méthode utilisée dans cet article, Elvius ne reprend pas ces résultats pour les appliquer à Uppsala, objectant que :
Cette proportion peut être différente selon les endroits puisqu’elle se rapporte à des âges inégaux auxquels les gens se marient aussi bien qu’ils meurent, et cela se fonde également sur les différentes manières de vivre et les différents climats des pays (Elvius, op. cit., p. 299).
75Elvius réfléchit donc à la manière de calculer la proportion, le rapport entre le nombre d’habitants du royaume et le nombre de naissances annuel propre à la Suède. Mais, pour calculer un multiplicateur selon la méthode établie par ses prédécesseurs, il est nécessaire de connaître, non seulement le nombre de décès, mais aussi les âges au décès. Or, nous l’avons vu, dès 1741, les membres de l’Académie avaient critiqué la qualité des listes de décès et condamné le non-report systématique des âges. Elvius arrête donc là son analyse faute de données de qualité, mais insiste cependant sur le fait que de telles données pourraient être aisément disponibles puisqu’il a lui-même constaté, lors de la collecte nécessaire à ce travail, que certains pasteurs précisent sur les registres paroissiaux l’âge du défunt (Ibid., p. 298-299).
76Pour terminer, Elvius entreprend de calculer à partir de ses données le rapport entre le nombre des garçons et celui des filles (rapport de masculinité) et il conclut en analysant le nombre de naissances hors mariage et la moyenne de ces naissances sur la période étudiée (Ibid., p. 299-300).
4. Le projet de l’Académie des Sciences de 1746
77Il est donc patent qu’en 1744 – et peut-être même avant si l’on se réfère aux réactions des membres de l’Académie présents lors de la présentation de Benzelius, le 20 juin 1741 – l’Académie des sciences a déjà une vision claire de ce qui va devenir le Tabellverket. Ce projet est son projet et il a été nourri en son sein. La tâche d’élaborer une proposition revient donc à von Höpken, dont nous avons déjà vu le rôle déterminant au sein de l’Académie, et à Elvius, en tant que secrétaire.
78Elvius se met donc au travail et rédige une proposition de loi visant à expliquer la nécessité et les avantages d’une méthode de collecte systématique des données contenues dans les registres paroissiaux. Cette proposition est connue sous le nom de Svenska Vetenskapsakademins betänkande angående folkmängden i Sverige och Finland47. Cette proposition est lue et approuvée lors de l’assemblée des membres de l’Académie le 8 novembre 174648.
79Pour bien servir son propos et surtout prouver l’utilité de la mise en place d’une institution collectant systématiquement ces données, Elvius tente d’estimer la population du royaume dans sa totalité – à savoir Suède et Finlande ensemble – mais aussi en fonction des âges, du sexe et de la répartition géographique. Il est, cette fois, bien conscient que ces données sont jugées essentielles pour améliorer à la fois la balance commerciale, la richesse nationale et les conditions de vie des Suédois. Il utilise pour cela, non seulement les données qu’il a lui-même collectées à Uppsala, mais aussi les matériaux rassemblés suite à la loi de 1735, consécutive à la présentation de Benzelius en 1734, et plus particulièrement les données de Falun, en Dalécarlie49. Ces données, présentées comme fiables, servent de référence.
80Les chercheurs, historiens ou démographes (Hjelt, 1900, p. 16-19), qui se sont intéressés successivement à cette étude n’ont eu de cesse de souligner à la fois la surprenante exactitude de l’estimation de la population du royaume effectuée par Elvius et le fait que la méthode employée reste encore aujourd’hui mal connue. August Hjelt, par exemple, compare les résultats obtenus en 1749, date du premier dénombrement effectué par le Tabellverket, et ceux d’Elvius :
Le dénombrement donna, en 1749, pour la Suède 1 746 449 et pour la Finlande 408 886 ou ensemble 2 155 335 personnes, ce qui veut dire seulement 58 335 de plus que le nombre compté par Elvius. Cette différence est pleinement motivée par l’augmentation de la population entre 1745-1749 (Ibid., p. 25).
81Outre la rigueur et l’exactitude des calculs d’Elvius, la proposition traite d’autres points tout aussi intéressants, que nous détaillerons dans les pages qui suivent, et couvre ainsi divers horizons. Il faut garder à l’esprit que cette proposition est écrite dans le but de montrer comment les données collectées peuvent être utilisées afin d’estimer la population du royaume et que, très probablement, l’idée est de prouver qu’avec de meilleures instructions sur la manière de compiler les données statistiques régionales, il est possible d’appréhender plus exactement le nombre de la population dans son ensemble.
82Le texte débute en replaçant la Suède dans le contexte européen où des tentatives de la sorte ont déjà été faites, afin de mieux faire comprendre aux membres du Sekreta utskottet – à des hommes d’État donc – tout l’intérêt de l’exercice qui va suivre :
On a dans les Villes et places d’Europe les plus richement peuplées depuis longtemps commencé de publier des Listes sur le nombre annuel de naissances et décès pour, d’une part, telle une compétition interne, comparer la puissance de chacun en terme de nombre d’habitants et, d’autre part, s’assurer d’une croissance du nombre des habitants qu’une activité économique étendue a permise à travers le temps50.
83Deux idées – centrales dans la politique mercantiliste à l’œuvre – motivent donc cette proposition : premièrement, la taille de la population conditionne la puissance d’une ville ou d’un État et, deuxièmement, des politiques économiques bien planifiées et soutenant le commerce, les manufactures et les industries peuvent influer sur la croissance de la population. Par conséquent, les variables population et économie sont fortement corrélées l’une à l’autre. Ainsi, voulant mieux connaître les possibilités du royaume et sachant qu’à l’époque même l’état de la population est assez déplorable du fait des guerres et des mauvaises moissons, l’Académie souhaite explorer et collecter ce que la nature peut offrir et dans quelle proportion le royaume peut s’enrichir d’un tel savoir (Hjelt, op. cit., p. 70). Cette initiative s’inscrit indubitablement dans la continuité des travaux commandés et menés par l’Académie des sciences. Par ailleurs, pour bien montrer la détermination des membres de cette dernière et leur profonde conviction de la nécessité de collecter, de rassembler et d’analyser les données recueillies par les pasteurs dans les registres paroissiaux afin de poser les bases d’un tel système, il est précisé que :
L’Académie a maintenant, de la même manière, commencé aussi de collecter les mêmes listes dans le Royaume, pas seulement pour les années en cours mais aussi loin que nos registres paroissiaux le permettent (Ibid.)51.
84Tout au long de cette étude, le terme « nous » est utilisé pour Svenska Vetenskap Akademi52. La signature au bas de la proposition renforce cette idée de travail collectif assumé puisqu’elle est ainsi formulée : « Suivant l’ordre de l’Académie royale des sciences, fait par Pehr Elvius – son secrétaire perpétuel53 » (Ibid.)
- Après cette introduction des plus rationnelles, une courte description de la proposition met en valeur la méthodologie et les données empiriques sur lesquelles ce travail se base. Ce premier point débute donc par un tableau, une liste des naissances dans les trois principales régions (voir tableau 2), les trois royaumes de Suède, à savoir Svea Rike (comprenant 6 sous-divisions administratives, équivalentes à nos départements), Finlande (4 départements) et Götha Rike (12 départements). Suivant les données du tableau ci-après, le nombre d’enfants nés en Suède (et en Finlande) s’élève donc à 69 100 par an. Ce nombre est arrondi à 70 000. Ces données sont, en fait, le fruit d’une moyenne des années pour lesquelles cette information a pu être collectée : « Comme une année peut être plus fructueuse que l’autre, il faut donc prendre un nombre moyen54 » (Ibid.).
Tableau 2

85Partant du fait qu’il naît plus d’enfants dans la région de Götha Rike que dans les deux autres réunies, il en est déduit qu’il y a aussi plus d’habitants dans cette région.
- Le deuxième point traite du rapport de masculinité. Puisque les données nationales ne contiennent pas d’informations sur le sexe des nouveau-nés, cette partie ne traite que d’Uppsala et de Falun. Dans ces deux communautés, il est constaté qu’il y a un nombre supérieur de naissances de garçons : 29 garçons de plus sur 4 924 enfants à Uppsala et 136 sur 11 528 à Falun. Ces résultats sont interprétés comme confirmant les résultats d’études similaires faites à l’étranger où un ratio de 18 garçons pour 17 filles a été trouvé. Cette différence est ici interprétée comme étant le moyen que la nature a trouvé pour compenser le manque d’hommes auquel les guerres conduisent.
- Poursuivant sur le thème de la guerre et de ses effets sur la population, le troisième point compare Uppsala, qui fut très engagée dans les guerres du début du xviiie siècle, à Falun, en revanche peu touchée. Cette comparaison montre alors clairement que les guerres se traduisent par une diminution de la population, visible notamment par un faible nombre de naissances à Uppsala. Ce nombre de naissances est faible comparé à Falun, non seulement durant les périodes de combat, mais aussi dans les années qui suivent immédiatement la paix55. Par conséquent, tandis que Falun connaît une croissance stable de la population, Uppsala enregistre une différence entre les périodes d’avant-guerre et d’après-guerre.
- Ces observations concernant les effets des guerres nous conduisent au quatrième point. Partant du constat que la Nature semble à nouveau vouloir contrebalancer l’effet des guerres, puisque dans le cas d’Uppsala, il y a une augmentation importante des naissances quelques années après la fin des guerres56, elle s’interroge sur les facilités d’intégration de ce surplus de jeunes. En effet, si ces derniers ne peuvent trouver une place au sein de l’économie existante et s’il n’y a ni guerre ni épidémie, ces jeunes devront alors quitter le royaume pour trouver un emploi. Or, depuis la défaite de Charles XII, l’émigration est régulièrement pointée du doigt puisque, en affaiblissant le pays en hommes, elle affaiblit la puissance de la nation. Ces craintes sont donc réaffirmées ici.
- Faisant lien avec l’objectif d’augmenter la taille de la population du royaume, le cinquième point souligne que les données collectées suite à la décision parlementaire de 1734 sont insuffisantes pour servir de base de calculs à une estimation de la taille de la population et de la future croissance de cette dernière. Toutefois, l’Académie royale des sciences souligne la qualité des résultats de certaines régions, notamment les régions de Malmö, Christianstad, Blekinge, Halland et Göteborg où les données des années 1742 à 1744 semblent être complètes et indiquent un surplus de naissances. Néanmoins, elle tempère ce résultat faisant l’hypothèse qu’une proportion importante de ce surplus de naissances est perdue du fait de l’émigration. Elle reconnaît aussi la qualité exceptionnelle des données de Falun. C’est d’ailleurs pourquoi ces données, ainsi que celles collectées par Elvius lui-même, sont utilisées comme référence pour estimer la population totale du royaume. Mais, pour conclure ce point, elle note que le nombre des naissances à Falun va diminuant et que la mortalité est supérieure à la natalité.
- Ce constat fait transition avec le sixième point où il est recommandé de classer les décès par groupes d’âges. L’Académie royale des sciences insiste en faisant de ce classement par âges la condition sine qua non pour pouvoir comparer les données régionales et ainsi comprendre les phénomènes en cours. Pour illustrer ce point, elle procède ici à la comparaison des données de Falun avec celles des régions de Malmö, Christianstad, Blekinge, Halland et Göteborg. De cette comparaison, elle conclut que, dans une même population, il meurt deux fois plus d’individus entre 20 et 30 ans à Falun que dans les régions citées ci-dessus. Il y a aussi une différence notable dans les groupes d’âges 10 à 20 ans et 30 à 40 ans où les décès à Falun sont notablement plus élevés (voir tableau 3 ci-dessous). Cette surmortalité à des âges relativement jeunes est expliquée par le fait que la population de Falun travaille en grande partie dans les mines de cuivres. À l’époque, Falun abrite les plus importantes mines de cuivre du Nord de l’Europe.
Tableau 3

- Partant des données exposées dans le premier point où il est entendu qu’en moyenne il naît 70 000 enfants par an en Suède (et en Finlande), le septième point combine ce résultat avec les observations relatives à la mortalité faites à Malmö, Christianstad, Blekinge, Halland et Gothenburg d’un côté et celles faites à Falun de l’autre. L’Académie royale des sciences pose l’hypothèse que le nombre de naissances est équivalent au nombre de décès chaque année. Par conséquent, la Suède (avec la Finlande) enregistre, en moyenne, 70 000 décès par an qui peuvent être répartis en groupes d’âges de la même façon que dans les provinces du Sud, puisque dans ces régions la mortalité n’est pas affectée par des facteurs extérieurs, contrairement à Falun.
Tableau 4

86Elle souligne que des recherches faites en ayant opté pour une classe d’âges inférieure à 10 ans dans les premières années de la vie ont permis d’observer : premièrement, que les enfants qui meurent avant l’âge de 3 ans constituent la moitié du nombre total des décès de l’année ; deuxièmement, qu’un tiers des enfants meurent avant l’âge de 3 ans ; troisièmement, que la moitié de ceux qui survivent les trois premières années meurt avant 47 ans, quatrièmement, par conséquent, que la moitié de ceux qui survivent les trois premières années meurt à un âge supérieur à 47 ans ; cinquièmement, que les âges de 15 à 20 ans ont la plus faible mortalité (1/30 de ceux qui ont survécu à l’âge de 3 ans) et que, sixièmement, les âges de 50 à 60 ans ont la plus forte mortalité de ce groupe (1/8 des décès).
- Dans le huitième point, l’Académie indique que : « Sur cette base le nombre de la population du Royaume entier a été calculé d’après une méthode spécifique que l’Académie rendra publique plus tard dans ses publications, et qu’elle a, en outre, donné ce nombre dans chacune des classes d’âge suivantes57 ».
Tableau 5

87Ainsi, selon les calculs d’Elvius58 la population du Royaume de Suède s’élevait à 2 097 000 personnes. Puis partant de ce résultat global, il revient sur la répartition par sexe et par âge de la population. Partant de l’hypothèse que la répartition par sexe est égale, il estime que la Suède compte un million d’hommes et un million de femmes. Par ailleurs, le nombre d’enfants et de jeunes de moins de 15 ans, individus conséquemment non enregistrés dans le Mantalslängd, s’élevait à 700 000, et les personnes de plus de 60 ans qui, elles, devaient être rayées de ce registre, dépassaient les 100 000, ce qui signifiait que l’on pouvait compter sur 1 300 000 personnes actives, soit 650 000 hommes et 650 000 femmes.
88Puis il est noté que les groupes d’âges suivants : les enfants de moins de 11 ans, les jeunes, c’est-à-dire entre 11 et 25 ans, l’« âge moyen59 » étant entre 25 et 50 ans, et les personnes âgées de plus de 50 ans, représentent la même proportion de la population. Cette assertion est des plus curieuses car, comme le précise Hjelt en note de bas de page (Hjelt, op. cit., p. 76, note 1), mais cela est visible à partir du tableau fourni dans le corps même de cette proposition et reporté ici (tableau 5), le dernier groupe ne compte pas plus de 275 000 personnes.
- Finalement, le neuvième et dernier point de la proposition est une estimation de la population dans les différentes régions. Cette estimation est calculée à partir du nombre des naissances enregistrées dans chaque région et reporté dans le premier point.
Tableau 6

89La proposition se conclut sur ces mots :
Bien qu’il ne soit pas promis que ce calcul donnera le nombre de la population du Royaume aussi exactement qu’une inscription sur les rôles du recensement dans tout le Royaume le ferait, ce qui en outre coûterait incomparablement plus d’efforts et de travail, cela paraît probablement être néanmoins suffisamment précis pour le gouvernement dans toutes sortes de propositions de lois, qui de quelque manière que ce soit a besoin du nombre des habitants comme base. Et de quelque façon que ces calculs puissent être améliorés grâce à une collection plus parfaite et de plus d’années des registres des décès et des naissances dans le Royaume, sur lesquels ils sont basés, l’Académie ne manquera pas d’employer son zèle quand le temps et les occasions le permettent60.
90Cette proposition, dont von Höpken et Elvius ont eu la charge, a été d’abord présentée à l’Académie des sciences où elle est favorablement accueillie par l’assemblée. Puis ce texte est envoyé au nom de l’Académie à la Sekreta utskottet, organe central du Riksdag, à la fin de l’année 1746. Cette décision n’est peut-être pas sans lien avec le fait que de nombreux membres de l’Académie sont eux-mêmes membres de ce comité où qu’ils y ont des proches, des alliés politiques. Toutefois, la raison officielle, indiquée dans l’introduction de la proposition, est que les données sont trop sensibles pour être rendues publiques. Le résultat de cette étude qui, in fine, a fait sa renommée, est l’estimation de la population du royaume. Selon les calculs d’Elvius, cette population s’élevait donc à 2 097 000. Or, selon les critères de l’époque, ce résultat se révèle être plus que modeste et peu flatteur pour ces hommes qui rêvent de revanche et de grandeur économique. Quant à la méthode de calcul, nous l’avons vu, l’Académie a bien pensé la publier mais elle a remis à plus tard cette entreprise. Malheureusement, Elvius décèdant en 1749, les détails de ce calcul n’ont jamais été publiés. Dans les archives du Tabellverket, plusieurs documents laissent à penser qu’Elvius avait entrepris d’expliquer sa méthode. Dans un premier document, il relate que, suite à son mémoire publié en 1744, l’Académie l’a chargé d’explorer les registres :
L’Académie m’a alors donné le motif et l’ordre d’examiner ce que les registres pourraient contenir à ce sujet. Le surplus des naissances et des décès était annuellement envoyé à la Commission royale Sundhets. L’Académie m’a aussi donné l’ordre de demander à quelqu’un d’une paroisse ou d’une autre de faire un relevé des registres paroissiaux selon une méthode préétablie61.
91Elvius poursuit :
J’ai alors informé moi-même sans délai la Commission royale Sundhets à propos de ces listes existantes et de combien, qui ont été reçues durant les trois dernières [années], j’ai fait des relevés à la fois sur les naissances et les décès. Mais puisque le nombre de décès de ces listes ne comprend que trop peu de classes [d’âges] pour conclure quelque chose avec suffisamment de certitude, j’ai alors décidé que je devais chercher une autre manière, et c’est pourquoi j’ai fait la demande aux paroisses de faire de tels extraits qui pourraient contenir un nombre annuel de décès selon différentes classes62.
92Dans un second document (encadré 1), il explicite la méthode qu’il a suivie pour calculer le nombre des habitants à partir des décès.
Encadré 1
L’une des principales utilités qu’on peut tirer des listes de la mortalité, c’est d’en pouvoir conclure le nombre des habitants d’un pays dont on sait le nombre de ceux qui meurent annuellement de chaque âge ; par exemple de dix mille hommes qui meurent chaque année il y en a
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Pour que le nombre des habitants soit toujours égal et la succession uniforme, il faut que le nombre des enfants au-dessous de dix ans soit moindre que 10 fois 10 000 mais plus grand que 10 fois 5 810 (10 000 – 4 190), en prenant donc un milieu entre ces deux nombres, 10 000 et 51 900 [58 100], il y a 79 050 ((100 000 + 51 900 [58 100])/2) pour le nombre des enfants qui sont au-dessous de 10 ans.
De même, pour ceux qui ont rempli leurs dix ans mais n’ont pas encore vingt, il faut qu’il soit moindre que 10 fois 5 190 mais plus grand que 10 fois 4 850 (5 190 – 340)a. Prenant donc un milieu, il y a 54 700 [50 200] ((51 900 + 4 850 [48 500])/2) pour la jeunesse entre dix et vingt ans, et ainsi de reste comme on le voit dans la table suivante.
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Source : Riksarkivet Arninge, Archives du Tabellverket.
a. Dans tous ces calculs, l’auteur procède comme s’il y avait 5 190 décès entre 0 et 10 ans, et non 4 190.
93Cette proposition ne mentionne jamais la nécessité de mettre en place une institution dédiée à la collecte et à l’analyse des données. En revanche, elle souligne à de nombreuses reprises comment et pourquoi les données collectées suite à la résolution de 1734 sont insuffisantes et demandent à être améliorées. Le propos de l’Académie est véritablement d’améliorer la qualité des données collectées : que les données soient complètes, plus exactes et harmonisées. L’Académie recommande davantage de méthode et insiste quant à l’utilité et aux possibilités offertes par un relevé systématique et organisé des données de naissances et de décès.
IV. La mise en œuvre du Tabellverket
94En décembre 1746, la Sekreta utskottet n’a pas reçu un mais deux mémoires soulignant l’importance de connaître la population du royaume et s’inquiétant de la qualité des relevés de population existants. Le premier, que nous avons étudié précédemment, émane de l’Académie royale des sciences, le second de Jakob Albrekt von Lantinghausen, un gentilhomme suédois membre du Riksdag ayant passé de nombreuses années en France. Hjelt indique que le mémoire envoyé par Lantinghausen a été rédigé en français puis traduit par les bons soins de Olof von Dalin (Hjelt, op. cit., p. 30). Cependant Hjelt précise que seul le texte traduit est consultable dans les papiers de Lantinghausen au Riksarkivet (Archives nationales). Nous avons recherché des brouillons ou des bribes de ce mémoire en français dans les archives de Lantinghausen, en vain. Nous n’avons trouvé que qu’un brouillon en suèdois (cf. ci-dessous) parmi la correspondance de Lantinghausen disponible à la bibliothèque Carolina Rediviva (la bibliothèque de l’université d’Uppsala)63 :
Photographie du brouillon en suédois retrouvé dans la correspondance de Lantinghausen

© Photographie de l’auteur. Source : Carolina Rediviva, Correspondance de Lantinghausen (Boîte F 273 m).
95Les deux mémoires ont véritablement été les déclencheurs d’un processus mettant en branle diverses institutions du pouvoir central afin d’établir la structure, d’assurer la gestion et de garantir la rigueur nécessaire à la mise en œuvre de ce qui allait devenir le Tabellverket.
1. La proposition de Jakob Albrekt von Lantinghausen
96En 1746-1747, Lantinghausen est membre du Riksdag et aussi délégué du comité chargé des affaires, de l’économie et du commerce (Cammar, Oeconomie och Commercie Deputation). À ce titre, il lui revient d’entendre les préfets (Landshövdingar) des différentes régions du royaume présenter leurs rapports, dont ils ont la charge depuis la loi de 1734. Il est alors surpris de par la nature des exposés faits par ces hommes et, plus spécifiquement, par l’hétérogénéité des données présentées. En effet, certains préfets font mention de la somme des naissances et des décès enregistrés dans leur région depuis la dernière session du Riksdag, d’autres présentent des relevés annuels et, parfois même, ces données sont inexistantes. Il s’inquiète donc de savoir s’il existe des instructions accompagnant la collecte de ces données : n’y a-t-il pas une procédure spécifique, des règles établies, bref, un réquisit de cette démarche politico-scientifique ? En outre, quelle que soit la méthode retenue par les préfets, Lantinghausen déplore qu’aucun d’eux ne soit à même de présenter des données utiles pour la politique, la gestion et l’économie du royaume :
Mais aucun d’eux ne procède à un calcul exact dont Sa Majesté et le Riksdag pourraient avoir un usage utile et toujours être capables, après qu’une telle liste ait été faite, de connaître le nombre exact des habitants des Royaumes64 et de juger, par leur croissance, de la richesse et de la force de toutes les régions du pays, et aussi par leur possible décroissance, des fautes dans les actions et dans la manière de gouverner qui doivent nécessairement être corrigées (Hjelt, op. cit., p. 78)65.
97Lantinghausen est conscient de la valeur de telles données pour administrer au mieux et de la façon la plus juste le pays :
Puisque la connaissance de la croissance et décroissance du nombre des habitants d’un pays est le fondement des mesures qu’un gouvernement doit prendre pour leur bien-être, alors rien ne saurait être plus urgent que de proposer, le plus rapidement possible, une claire structure, après que des comptes rendus au Roi soient élaborés dans ce but (Ibid.)66.
98Il ajoute, convaincu :
Par conséquent, je retiens comme principe qu’une connaissance propre et exacte du nombre des sujets est indispensable pour le pouvoir du corps législatif, non seulement pour connaître ses forces eu égard à l’agriculture, au commerce et à la défense, mais aussi pour corriger ses démarches et ses intentions (Ibid., p. 79)67.
99L’argument essentiel de son action est de montrer l’utilité d’une meilleure connaissance des caractéristiques des habitants du royaume et la nécessité d’un système homogénéisé. Cette utilité est entendue comme étant au service de l’État pour répondre aux besoins du royaume. Il s’agit donc de l’utilité commune ou de l’utilité publique telle qu’Antoine de Montchrestien l’énonce dès le xviie siècle (de Montchrestien, 1924). Lantinghausen semble autant concerné par l’économie et les moyens pour trouver des solutions adéquates à la situation locale que par la justice et la quête d’une certaine équité sociale. Nous retrouvons là certaines des préoccupations de Vauban qui n’a cessé de clamer tout l’intérêt des dénombrements pour la gestion et l’administration du royaume de France (Hecht, 1977, p. 45) ou celles des Anglais Samuel Hartlib et William Petty68. Pourvu de ces connaissances utiles, le souverain ou le gouvernement peut alors mener une politique sociale et économique adaptée et donc efficace.
100À la fin de son mémoire, Lantinghausen insiste sur les liens entre le bien-être de la population, son augmentation et la croissance de la richesse, qu’il associe par analogie à la conquête de nouveaux territoires :
Veiller au bien-être des sujets de cette manière est certes la même chose que d’augmenter leur nombre, comme un Roi avec une main victorieuse conquiert de nouvelles terres, quand il laisse cultiver des champs non exploités et les fait fructifier. Nous augmentons nos biens lorsque nous les utilisons correctement, et l’homme se multiplie quand il sait comment se préserver des dangers (Hjelt, op. cit., p. 83)69.
101La dimension politique et économique d’une connaissance dynamique de la population – croissance/décroissance – est soulignée à de nombreuses reprises. Mais plus que la croissance et la décroissance de la population d’une région, c’est la causalité d’un tel résultat qui interpelle Lantinghausen car il voit dans la décroissance de la population le signe d’une mauvaise gestion ou d’une mauvaise politique.
102De même, il se montre peu empressé d’évaluer l’effectif total de la population du royaume dont il juge que « l’utilité est assez maigre comparée à celle que l’on peut tirer des deux autres70 » (Ibid., p. 79). En revanche, il est beaucoup plus avide de connaître les caractéristiques, et plus particulièrement les caractéristiques sociales de la population qui, selon son opinion, renferment des informations précieuses pour améliorer la qualité de vie des habitants du royaume et mettre en place un relevé annuel du nombre des mariages ainsi que du nombre des garçons et de filles nés de ces mariages, afin de calculer les œuvres de la nature :
Comme tout est soumis aux calculs, les produits de la Nature ne peuvent pas y faire exception : Elle [la Nature] suit son chemin régulier dans toutes ses œuvres et ses conséquences répondent si mathématiquement à ses causes physiques d’où elles proviennent que l’on peut calculer avec une certaine certitude son œuvre renommée, sans peur de se tromper beaucoup et sans que cela vaille la peine de tenir les comptes des mesures divergentes (Ibid., p. 80)71.
103Pour appuyer son argumentation, il mentionne les résultats des calculs déjà effectués dans les pays étrangers, notamment en Angleterre et en Hollande72. Bien que Lantinghausen ne cite jamais Anders Berch, certains de ses arguments, notamment ceux plaidant en faveur d’une meilleure connaissance des caractéristiques de la population font écho à l’ouvrage publié la même année par le professeur d’économie d’Uppsala73.
104Le projet défendu par Lantinghausen consiste non seulement à multiplier les données collectées en affinant notamment les caractéristiques requises – ce qui permet de mieux connaître les sujets suédois – mais aussi à améliorer la qualité des relevés effectués dans toutes les régions en perfectionnant la méthode de collecte, c’est-à-dire en imposant des règles strictes et surtout en utilisant des formulaires identiques dans toutes les communes du royaume.
105Lantinghausen recommande alors trois moyens pour pallier ces inconvénients. Il s’agit, premièrement, de reporter le nombre total d’habitants dans chaque län afin de connaître le nombre de personnes en général ; deuxièmement, de respecter des groupes d’âges de 5 ans et de notifier dans chaque classe d’âges l’effectif de chaque sexe, ce qui aurait l’avantage de donner quelques informations quant à « la durée de vie d’un homme dans le climat ou nous vivons74 » (Hjelt, op. cit., p. 79) ; troisièmement, de distinguer « les divisions des habitants des régions selon leur état et leur condition : par exemple :
106Mariés
107Veufs
108Veuves
109Domestiques
110Étrangers75 » (Ibid., p. 79).
111Mais il faut que ces données soient fiables et surtout homogènes afin d’être comparables. Lanthinghausen recommande de mettre en place un système sérieux et plus fiable pour connaître la population du royaume. Il insiste donc autant sur les données qu’il juge importantes de collecter que sur la méthode même de cette collecte et, pour appuyer son propos, il adjoint à son texte quatre tables (tableaux 7 à 10 ci-après) pouvant servir de modèles à un dénombrement, et fournissant ainsi la structure et la rigueur dont il déplorait l’absence.
112La proposition vise donc à amender la loi de 1734 en affinant les informations recueillies et en organisant de façon méthodique et pratique la collecte à l’aide de quatre formulaires, listes préétablies accompagnées de quelques commentaires sur la manière de remplir et de tenir ces listes. En revanche, elle ne propose pas de recourir à une autre procédure de collecte. Les préfets ont donc toujours la charge de cette opération.
Tableau 7. Projet d’un état des naissances. État des Naissances provenues de deux cent cinquante mariage [sic] qui se trouvent dans la paroisse de N. N. pendant l’année de 1746, ainsi que le nombre de batars nés dans la dite paroisse pendant la même année.

Tableau 8. Projet extrait des Registres mortuaires de la paroisse de N. N. pour l’année 1746

Tableau 9. Projet d’une Formule de Dénombrement Général du Peuple, par classes d’âge. Dénombrement général par classes d’âge [sic] des habitants de la Paroisse de N. N. au Gouvernement de N. N. fait par ordre du Roy en 1747

Tableau 10. Projet d’un Etat de dénombrement g[én]éral du Peuple. Etat du dénombrement du Peuple de la Paroisse de N. N. fait par ordre du Roy en 1747

2. La session parlementaire de 1746-1747 et la préparation des formulaires
113Les propositions sont, toutes deux, adressées au roi Frédéric Ier de Suède et donc probablement présentées devant le Conseil d’État (Riksrådet) avant d’être confiées, compte tenu de leur nature, à la Sekreta utskottet, véritable organe exécutif du gouvernement76, à la fin de l’année 1746. Grâce à ces deux mémoires, les questions de population sont désormais au cœur des préoccupations du Riksdag et plus certainement encore de la Sekreta utskottet.
114La proposition de Lantinghausen est examinée par la Sekreta utskottet le 9 décembre 1746. Le préfet77 Gabriel Gyllegrip prend alors position contre cette proposition, estimant que les informations existantes sont suffisantes et que, par ailleurs, cet ambitieux projet est impossible à mettre en place. Or, parmi les membres de la commission se trouve Jacob von Hökerstedt à qui ces mots font écho, ce même argument ayant été mis en avant pour faire barrage à la proposition, qu’il avait lui-même faite lors de la session parlementaire 1726-1727, visant à développer les connaissances concernant la population. Après avoir remémoré cet épisode, il soutient l’idée qu’il faut améliorer la collecte des données. Détail non anodin, les membres de la commission sont majoritairement affiliés aux Chapeaux ou aux membres de l’Académie des sciences. Parmi les membres présents se trouvent Johan Brovallius (futur évêque d’Åbo), Cederhjelm, Lövenhjelm, Henric Benzelius, et von Horleman. La proposition de Lantinghausen a donc reçu un accueil favorable de la part d’une grande majorité de la Sekreta utskottet, et le Lantmarskalk78à la tête de la commission – qui n’est autre que Cederhjelm – recommande qu’elle soit examinée par la délégation d’État (statsdeputation) en charge de l’étude et de la préparation des projets de lois79.
115La proposition faite par l’Académie, par l’entremise d’Elvius, est étudiée par la même commission le 6 février 1747. Les arguments développés dans ce texte finirent de convaincre les membres de ladite commission, tant et si bien que la proposition est accueillie avec louanges et qu’une réforme de la collecte des données relatives à la population est désormais chose entendue. Il faut toutefois finaliser un projet de loi détaillant une méthode pour mettre en œuvre cette réforme, et qui soit signé par le roi (Hjelt, op. cit., p. 32-37). La délégation d’État se voit donc confier la responsabilité d’établir un plan drastique d’envergure nationale afin de standardiser la tenue des registres et de systématiser la collecte des données. Concrètement, elle doit donc résoudre trois problèmes :
- Comment sélectionner les informations nécessaires et établir les tables afin de collecter des données harmonisées.
- Comment résoudre le problème de la collecte, c’est-à-dire envisager la manière d'agréger les informations, les faire remonter de toutes les paroisses de Suède afin de les rassembler puis établir un traitement des matériaux une fois ceux-ci réunis.
- Comment financer et imprimer tant de tableaux.
116Bien que l’Académie ait à de nombreuses reprises démontré la nécessité d’établir des formulaires précis, la proposition envoyée au gouvernement ne contient aucun tableau ni aucun formulaire expliquant comment collecter les informations de façon pratique et méthodique. Cela ne relève pas d’une négligence de sa part ; dès 1746, elle avait demandé à Linné de faire une liste répertoriant les différentes maladies – en notifiant les noms des maladies en suédois – afin que les pasteurs puissent remplir le plus précisément possible la colonne des causes de décès contenues dans les registres. Cette liste devait donc servir d’assise à la table des décès. Linné a refusé de se lancer dans une telle entreprise arguant que les connaissances médicales des pasteurs étaient très insuffisantes et qu’il leur serait tout à fait impossible de reporter proprement les causes de décès (Sköld, 2001, p. 32-37). Il s’en explique dans une lettre datée du 13 décembre 174680 adressée à Elvius. Dans ce document, il illustre la difficulté de reporter dans les tables la cause de la mort en présentant l’exemple d’une classification sommaire des maux. L’intitulé des maux est en latin. En revanche, l’indication des symptômes ou causes est présentée en suédois.
117Le refus de Linné ne reflète nullement un désintérêt personnel à tout ce qui aurait trait aux causes de décès ou à la nosographie. En fait, cinq ans après la parution de son fameux ouvrage Systema naturae dans lequel 4 400 espèces animales et 7 700 espèces végétales sont répertoriées et classées, Linné publie en 1763 son Genera Morborum (Linné, 1763) où il propose une classification des maladies en onze groupes, puis en sous-divisions. L’index rapporte 325 maux ou maladies (Mackenbach, 2004, p. 225-22). Le système de Linné, qui repose sur l’élaboration de nomenclatures, se rapproche des travaux des médecins intéressés par la nosographie, comme François Boissier de Sauvages de Lacroix81 qui a entretenu une correspondance avec Linné et a donc pu être aisément adapté à la classification des causes de décès.
118La tâche d’établir la table des décès revient in fine à Abraham Bäck, un médecin en vue et ami de Linné82. Cet épisode nous laisse penser que l’Académie n’avait pas omis d’inclure dans sa proposition les tables nécessaires à la refonte du système de collecte des données de population, mais procédait méticuleusement et par étapes : cherchant d’abord à convaincre du bien-fondé d’une réforme puis œuvrant à sa mise en place. Bien que, comme le souligne Eva Nyström, peu de choses soient connues quant aux discussions et décisions relatives à l’élaboration des tables (Nyström, 1988), il semble que la délégation d’État et l’Académie aient réfléchi de concert et travaillé main dans la main pour mettre en place l’architecture de ce qui allait devenir le Tabellverket. La réalisation des tables a d’ailleurs été confiée à l’Académie83. Cette collaboration, orchestrée par Elvius, n’est peut-être pas si surprenante si l’on garde à l’esprit que parmi les seize membres de la délégation se trouvent Lövenhjelm, Cederhjelm, Benzelius ainsi que von Hökerstedt et un certain Petter Filenius (Hjelt, op. cit., p. 36, note 1). Ce dernier est alors le domprost de Linköping84 et, à ce titre, est monopolisé en tant qu’expert pour évaluer les possibilités de l’Église de participer à la collecte des données (Sköld, op. cit., p. 58-60). Il est au demeurant un membre en vue des Chapeaux et marié à la sœur de Benzelius (Hildebrand, 1966, p. 16-18).
119Le 12 décembre 1747, la délégation d’État remet un projet à la Sekreta utskottet. Les travaux de la délégation se soldent, d’une part, avec l’élaboration d’un plan de collecte des données et, d’autre part, avec l’instigation à fonder une institution capable de traiter les matériaux ainsi rassemblés : en d’autres termes, l’incitation à créer le Tabellverket. Le plan de collecte consiste à faire appel aux pasteurs à qui il est demandé de remplir trois formulaires, sous la forme de tables. Deux tables listent les évènements survenus au cours de l’année dans chaque paroisse, la troisième résume en fin d’année les évènements observés et doit être envoyée au mois de janvier suivant au prost de la circonscription (doyen des pasteurs)85. Le prost doit alors agréger les informations qu’il a reçues, en faire une copie, retourner les éléments reçus aux pasteurs puis envoyer le document établi à l’échelon supérieur de sa hiérarchie, à savoir le konsistoret/domkapitlet avant la fin du mois de janvier. Puis, les tables ainsi agrégées parviennent finalement à l’administration du län avant d’être transférées, fin mars au plus tard, au Kanslikollegium. Un tel système nécessite un nombre important de formulaires. Lors des discussions, il est demandé à la délégation d’évaluer le coût et la réelle possibilité d’imprimer des formulaires (tabeller) de qualité en quantité suffisante pour être distribués dans tout le royaume. Cette mission est confiée à Lars Salvius, éditeur officiel de l’Académie86, qui a, non seulement estimé le nombre de tables nécessaires, mais aussi établi une facture calculant leur coût de publication.
120Six jours plus tard, soit le 18 décembre, la délégation d’État présente devant la Sekreta utskottet de nouveaux éléments afin de compléter le projet présenté le 12 décembre.
121La photo ci-dessous, extraite des minutes de la Sekreta utskottet du 18 décembre, reprend les points essentiels du document établi par Lars Salvius :
Photographie des minutes de la Sekreta utskottet du 18 décembre

© Photographie de l’auteur. Source : Riksarkivet (Marieberg).
122Ce texte établit que, compte tenu du nombre de paroisses dans tout le royaume, d’autorités religieuses et d’administrations régionales (län) entre les mains desquelles les tables doivent passer, 400 tables sont nécessaires par an. Le coût est évalué à 5 980,14 silvermynt. La Sekreta utskottet émet dans ce document l’idée de confier à Lars Salvius la charge de publier les tables. Le document original de Lars Salvius avec tous les détails de son calcul a été inclus dans les minutes (voir photographie suivante). Dans ce document, Salvius propose différentes qualités de papier (taille et type de papier) et les coûts s’y reportant. Il est aussi intéressant de remarquer que la note de Salvius est datée du 9 décembre 1747, soit trois jours avant la réunion demandant cette information complémentaire.
Photographies de la « facture » établie par Lars Salvius, tirée des minutes de la Sekreta utskottet

© Photographie de l’auteur. Source : Riksarkivet (Marieberg).
123Le 23 janvier 1748, la Sekreta utskottet envoie au Conseil d’État la proposition visant à établir le Tabellverket. Celle-ci est présentée devant le Riksrådet le 3 février, date à laquelle elle est immédiatement acceptée. Si le travail parlementaire ouvrant la voie au Tabellverket s’achève au début de l’année 1748, le dispositif n’est opérationnel qu’en 1749. Les formulaires, ainsi que des instructions précises adressées aux pasteurs, sont alors distribués aux 2 500 paroisses du royaume. Le Tabellverket a alors bel et bien commencé !
Conclusion
124En 1749 débute donc le travail des tables ou tabellverket. Depuis le xviie siècle, les pasteurs, en sus de leurs fonctions sacerdotales, doivent tenir des listes se référant à la population de la paroisse dont ils ont la charge. À partir de 1749, ils ont désormais l'obligation de remplir trois Tables comprenant diverses informations :
La table I
125La première table synthétise les informations relatives aux naissances (baptêmes), décès, mariages en précisant les mariages dissous du fait du décès de l’un des conjoints. Le sexe des baptisés doit y être spécifié ainsi que le statut de leur naissance (naissance dans ou hors mariage). Le sexe des défunts est précisé mais l’âge au décès est uniquement enregistré selon trois modalités : « enfants en dessous de 10 ans », « adolescents et personnes non mariées », « personnes mariées ». En revanche, les mariages ne nécessitent aucune information complémentaire.
La table II
126La deuxième table se rapporte aux décès. Les pasteurs doivent, non seulement préciser le sexe et l’âge de la personne décédée, mais aussi enregistrer les causes de décès. Trente-trois modalités de causes de décès leur sont alors proposées. Des maladies sont bien identifiées : « rougeole », « maladie de poitrine ou phtisie », « coqueluche », « typhus », « peste », etc. Parfois les modalités proposées identifient plutôt des maux mal caractérisés (« maladie infantile non connue ») ou des morts accidentelles ou criminelles (« assassiné », « noyé », « mort sous la glace », « gelé à mort », « suicide », « condamné à la peine capitale »). Contrairement à ce que prescrit la table I, les âges doivent être enregistrés dans des classes d’âges plus conventionnelles : « en dessous de un an », « entre 1 an et 3 ans », « entre 3 et 5 ans », puis en classes d’âges de 5 ans jusqu’à « plus de 90 ans ». Soit au total vingt et une classes d’âges. Une information relative au statut social des décédés est aussi à compléter suivant ces modalités : « enfants en dessous de 10 ans », « adolescents et personnes non mariées », « personnes mariées ».
127Les informations collectées dans cette table sont proches de celles des registres anglais. En effet, au xviie siècle, les fameuses Bills of mortality de Londres consignaient le sexe et certaines causes de décès, notamment la peste qui très tôt fit l’objet d’un enregistrement ; l’âge au décès fut précisé à partir de 1728 (Rusnock, 2002, p. 19-24).
La table III
128La troisième table résume l’état de la population à la fin de chaque année, en précisant non seulement la taille de la population mais aussi sa composition, faisant appel, non seulement à la structure démographique – répartition par sexe, par âge (avec les mêmes classes d’âges que celles demandées dans la table II) et statut matrimonial –, mais aussi à la structure socioéconomique. En effet, les pasteurs devaient indiquer la profession et/ou l’état des personnes.
Photographie de la table III

© Photographie de l’auteur.
Source : Riksarkivet, Arninge : B1 C - 2 - Konceptabeller och beräkningar.
129Du point de vue des concepteurs, la tâche se résume, dans la plupart des cas, à faire un trait (ligne) dans la case ou colonne dévolue et est si simple qu’un enfant pourrait en être chargé. En effet, les instructions (anmärkningar) insérées à la droite de la table III (voir photo ci-dessus) font état qu’un enfant ayant appris à faire l’addition des sommes simples pourrait assumer cette mission. Outre les informations sur la procédure recommandée, ce texte souligne que les observations ainsi collectées seront d’un grand bénéfice dans différents domaines et notamment pour les épidémies et les maladies chroniques87.
130Dans la pratique, le travail des tables n’a pas été si aisé. Des problèmes d’enregistrement de divers ordres sont apparus, dus à des modalités manquantes, omises lors de la conception des tables, ou à une catégorisation mal définie. Ces incohérences dans la conception des formulaires ont été mises à jour dès les premiers enregistrements. Certes, des instructions ont été données, les tables imprimées et distribuées aux pasteurs mais ce qui semblait simple, bien préparé, bien organisé, s’est révélé complexe et requérant bien plus de moyens que prévu initialement. Le Tabellverket a alors de nouveau profité du formidable réseau du parti des Chapeaux et du soutien actif de l’Académie royale des sciences. Analysant tous les problèmes rencontrés en amont et dans les années qui ont suivi sa mise en place, il est légitime de s’interroger sur les raisons de tant d’opiniâtreté. Pourquoi avoir dépensé autant d’énergie à mettre en œuvre puis à soutenir le Tabellverket ? Pour les arithméticiens habitués aux petits échantillons, l’outil est providentiel et pour les hommes politiques c’est un instrument permettant de faire des choix avisés et, par conséquent, de mener une politique éclairée.
131Le rôle de l’Académie des sciences a été primordial dans l’histoire du Tabellverket. Cette institution a été le foyer d’un réseau de savants, souvent politiciens et, parfois même, membres ou à la tête d’administrations centrales de l’État, qui a œuvré avec persévérance pour la création et la pérennité du Tabellverket. En replaçant ce projet dans le contexte scientifique de l’époque, il n’apparaît pas incongru d'affirmer que l’Académie des sciences ait soutenu un tel programme car il participe au grand mouvement visant à déployer les connaissances dans tous les horizons possibles. Tels les encyclopédistes qui collectionnent les mots et les définissent, les botanistes qui inventorient les plantes et se prêtent à des typologies pour rendre compte des éléments du vivant, le Tabellverket s’inscrit dans ce mouvement visant à amasser toutes les informations disponibles avant de les répertorier et les classifier. À l’échelle de la Suède, différentes initiatives sont menées pour mieux connaître les richesses du royaume. Il y a bien entendu l’œuvre de Linné dont l'empreinte a marqué, non seulement les savants suédois, mais aussi toute l’Europe. Moins connu, le programme lancé par Jacob Faggot rencontre les mêmes desseins. Le Tabellverket participe à cette quête. Sa contribution est une description des richesses humaines. Le Tabellverket répond en outre aux préceptes de systématisation de la science, de rigueur de la classification et d’exhaustivité. C’est véritablement une « arithmétique de l’homme88 ».
Notes de bas de page
1 Les noms suivis d’une puce renvoient aux biographies en annexe.
2 Deux références incontournables (en suédois) : le premier est le livre d’August Hjelt, qui demeure depuis plus de 110 ans l’ouvrage le mieux documenté et le plus précis sur l’histoire du Tabellverket (Hjelt, 1900) ; le deuxième est le « jeune » livre de Peter Sköld qui retrace l’histoire de la statistique suédoise sur plus de 300 ans (Sköld, 2001). Sinon en anglais, sur la naissance et l’histoire de la statitistique en Suède, un article de Peter Sköld (Sköld, 2004), ou le texte d’Edvard Arosenius (Arosenius, 1918).
3 En 1686, le roi Charles XI (1672-1697) devint chef de l’Église luthérienne suédoise. À partir de cette date, l’Église et l’État furent si imbriqués qu’à moult occasions, orthodoxie et raison d’État se chevauchèrent, allant même jusqu’à se confondre.
4 Nathalie Le Bouteillec, « Population: a fundament for political economy in the age of liberty », communication présentée lors de Ekonomisk historiska mötet, Göteborg, (25-27 août 2011).
5 La traduction de ces deux termes est respectivement : « Travail des tables » et « Commission des tables » mais, étant donné que ces deux traductions littérales ne rendent pas entièrement compte du sens de ces mots, nous avons fait le choix de conserver les termes suédois.
6 Rolf Valerö a rédigé la notice biographique de Jacob von Hökerstedt (Valerö, 1971-1973, p. 711).
7 Rolf Valerö estime que cette proposition date de 1733 mais tous les ouvrages (dont ceux d’August Hjelt, 1900 et Peter Sköld, 2001) et les articles retraçant l’histoire des statistiques suédoises mentionnent l’année 1728.
8 Il devient évêque du diocèse de Linköping en 1731.
9 « Förtecknng, som utwisar antalet på dem, som ifrån början af åhr 1721 til och med 1730 uti Linköpings Stift födde och döde äro samt huru stort öfverskottet blifver, sedan de sednare blifvit afdragne » in August Hjelt, op. cit., p. 8.
10 Erik Benzelius est alors un homme politique de premier plan, une forte personnalité, un libre penseur. S’il a souvent été aux côtés des partisans des Chapeaux, il garde tout de même son libre arbitre : lorsque les Chapeaux, majoritaires, prennent le pouvoir lors de la session parlementaire 1738-1739, il s’écarte de la ligne du parti à moult occasions (voir Ryman, 1978).
11 Tore Frängsmyr décrit le voyage de Benzelius afin d’illustrer son propos sur l’importance des voyages d’étude, à but réellement éducatif et non touristique, pour la noblesse et l’importance de ceux-ci pour le développement de la science suédoise (lire Tore Frängsmyr, « L’activité scientifique en Suède au xviiie siècle dans son contexte international » in Battail, 1986, p. 45-47).
12 Jean-Marc Rohrbasser et Jacques Véron rappellent que les travaux de Leibniz de 1680 sont restés à l’état de manuscrit jusqu’au xixe siècle et donc inconnus de ses contemporains (Jean-Marc Rohrbasser, Jacques Véron, 1998).
13 Alvar Erikson a publié les lettres reçues par Erik Benzelius de savants étrangers. Ces lettres sont rassemblées dans deux volumes : le volume I contient les lettres reçues de 1697 à 1722, le volume II celles de 1723-1743 (voir Erikson, 1979).
14 La qualité des données était des plus douteuses. En effet, bien qu’il soit recommandé aux pasteurs de porter grand soin aux registres, tous ne se sentaient pas concernés par cette tâche, qui leur était certes assignée mais dont ils ne comprenaient pas toujours l’utilité. Par conséquent, ils ne déployaient aucun zèle à s’en acquitter. En outre, les préfets ne se prêtaient eux aussi pas toujours à cet exercice. Il semble en effet que certains d'entre eux n'aient tout bonnement pas compilé les données. Pour plus d’informations sur la qualité de la collecte et l’homogénéité des données se reporter à Sköld, 2001, p. 46.
15 « Antalet af dem, som här i Riket för förledit åhr 1737 och underskrefne Höfdingedömen blifve födde och döde. »
16 Pour une présentation des orientations du mercantilisme suédois, voir Magnusson, 1987, p. 4 ; 1999, p. 249-264.
17 Daniel Niclas von Höpken, l'un des membres les plus influents du parti des Chapeaux, est le père d’Anders Johan von Höpken, l'un des fondateurs de l’Académie des sciences en 1739.
18 Samuel Klingenstierna (1698-1765) est connu à la fois comme mathématicien et physicien. Il a été professeur à l’université d’Uppsala de 1728 à 1752.
19 La liste complète est : « Reuterholm, Pohleim, Cronstedt, Nordenberg, Stömmer, Elvius, Suab, Brandt, Roberg, Ehrenswerd, Stockenström, Wallerius, Tillas » in Wettenskaps Academiens Protocoll, 6 juin 1739, p. 8.
20 Il semble que lors de la session parlementaire de 1738-1739, suite à l’accession des Chapeaux au pouvoir, il y ait eu de nombreuses intrigues politiques autour de la désignation des professeurs. La science étant un enjeu central de la politique de ce groupe, ils ont voulu contrôler le choix des professeurs. La couleur politique – ou le choix du couvre-chef : Chapeau ou Bonnet – des postulants n’a pas été sans conséquence sur leur attribution ou non d’un poste de professeur. C’est le cas en 1741 lors de l’attribution de la chaire de médecine à Linné – l'un des plus grands scandales de l’histoire de l’université d’Uppsala – et de la nomination de Olof Celsius (le jeune) à la tête de la bibliothèque (la famille Celsius était alors connue comme gagnée à la cause des Chapeaux). Pour plus d’informations sur les intrigues de l’université d’Uppsala, voir Lindroth, 1976, p. 95-102.
21 « Hushållning, som hörer var bonde till » cité in Petander, 1922, p. 319.
22 La jeune académie a reçu l’estampille royale en 1741 et est alors rebaptisée Académie royale des sciences de Suède : Swenska Kungliga Vetenskaps Academi. Au xviiie siècle, les Suédois orthographiaient le terme Swenska (suédois), avec un « v » ou un « w », de même que l’on peut parfois lire Wetenskap ou Vetenskap ( sciences ). Le « w » a été progressivement abandonné au profit du « v ».
23 La raison selon laquelle ils ont laissé de côté le nom Oeconomisk Wetenskaps Societet tient au fait qu’une société des sciences (Vetenskaps Societet) avait déjà été fondée à Uppsala (en 1710 par Benzelius comme nous l’avons vu précédemment). En outre, sous l’influence de la langue française, parlée par les élites, le mot « Académie », devenant à la mode, est préféré au mot société. Cette Académie est donc la troisième à être fondée à Stockholm où il existe déjà une Académie de musique et une Académie de peinture. Voir Svenska vetenskapsakademi, op. cit., p. 4.
24 Ibid p. 3. « … få giöra en början af länge efterlängtade sammanräden i Stockholm till de vetenskapers förkofran och fortplantande, som jemte flit och idoghet alstra af sig lovärde slögders samt all hushåldnings upkomst ».
25 L’économiste et historien Eli Heckscher souligne que : « A new spirit descended upon the country. To an astounding degree, even by modern standards, all eyes were upon ‘utility’, all minds concerned with material improvement. The utilitarian craze undeniably created a narrow-minded, petty-bourgeois atmosphere; yet it was by no means incompatible with a genuine enthusiasm for the arts and sciences. The Swedish Academy of Science, founded in 1739, was one product of this intellectual climate with its seemingly contradictory components » (Heckscher, 1954, p. 131).
26 Tore Frängsmyr a dénombré une quarantaine de mémoires publiés dans les Actes de l’Académie des sciences de 1747 à 1763 sous la rubrique histoire des sciences. Notons qu'Elvius et, par la suite, Wargentin ont publié des mémoires entrant dans cette rubrique : Pehr Elvius, « Vetenskapernas historia » Kungl. Svenska Vetenskaps Academiens Handlingar, 1747; Pehr Wilhem Wargentin, « Vetenskapernas historia, om Thermometrar », Kungl. Svenska Vetenskaps Academiens Handlingar, vol. 10, 1749 ; « Fortsättning av vetenskapernas historia om jordens skapnad och storlek », Kungl. Svenska Vetenskaps Academiens Handlingar, vol. 10, 1749 ; « Fortsättning av vetenskapernas historia om jordens skapnad och storlek », Kongl. Svenska Vetenskaps Academiens Handlingar, vol. 11, 1750 ; « Vetenskap Historia », Kungl. Wetenskaps Academiens Handlingar, vol. 13, 1752.
27 Le premier essai, signé de Linné, portait sur la bière, ses usages et ses abus. Pour plus de renseignements sur l’almanach, lire Eriksson, 1989, p. 72-76.
28 Les mémoires mentionnés dans ce texte et suivis de deux puces sont dans le présent ouvrage.
29 Eli Heckcher a compté pas moins de 1 000 publications traitant d’économie durant la période 1720-1808 (voir Heckscher, 1942, p. 34-64).
30 « En förtekning uppå födde och döde uti Lindkiöpings stift ifrån början til slutet af år 1740 » in Svenska Vetenskapsakademiens, 1918, p. 331.
31 Pour plus d’informations, voir Nordenmark, 1936.
32 De nombreux intellectuels de l’époque font de longs séjours à l’étranger. Il n’est donc pas étonnant que les écrits d’auteurs anglais, français, allemands, etc., soient discutés dans les cercles intellectuels suédois. Pour plus d’informations sur les contacts internationaux des membres de l’Académie royale des sciences, voir Frängsmyr, 1989b, p. 7-10.
33 « Om nu efter Chartornas anledning hwar landsortblefwe beskrefwen til sin beskaffenhet och rätta tillstånd, så skulle nyttan av Charte-wärdet bli desto större och kännbarare » in Faggot, 1741, p. 3.
34 « Om Landtmannens Utskylder, Byggnad, Hushållning, Näring och seder samt som Landets utwärtes Skepelse », Ibid., p. 24.
35 « Hwarest Inbyggare äta mer eller mindre salt Mat, Kött eller Mjölk, Ost och Smör, hwarest de äro mer eller mindre afwelsamma; hwarest man wårdlöst föder up Barnen med Käppen, och utan Moders eller Qwinno-Mjölk, deraf Barnen mästedels dö bort, och hwarföre Mödrarna icke gifwa Barnen Dija. Hwilka Sjukdomar pläga i hwarje ort mäst gå i swang, och hwilka husmedel och läkedomar pläga deremot nytjas med wärkan. På hwilka orter, i Städer och på landet, Älskogs-Soten, eller Veneriska Sjukdomar inrota sig, förstämma rikets bästa Ungdom, och hota landet med hiskelig medfart; genom hwad mått en slik fahra, jämte sielfw Skörlefnaden i de större Städerne, må förekommas i tid, innan wårt ädla Land och Folk, råkar i en obotelig ofärd », Ibid., p. 24.
36 En 1694, Urban Hiärne, constitue un questionnaire qu’il envoie aux gouverneurs de province et aux autorités ecclésiastiques, parfois même directement aux pasteurs en les incitants à répertorier les minéraux de leur région.
37 En 1755, Wargentin mentionne dans son mémoire différents textes reçus à cette date (Wargentin, 1755, p. 5). Arosenius mentionne l’envoi de relevés venant de Järfsö (relevés sur 26 ans), Kuopio (25 ans), Råneå (24 ans), Ålem (25 ans), Fläckebo (24 ans) et Lerbäck (5 ans). Voir Arosenius, 1928, p. 29.
38 Le deuxième paragraphe décrit la géographie agricole de la paroisse, le troisième, ce qui concerne les pâturages, le quatrième, les bois et les communaux, le cinquième, l’élevage, le sixième, les animaux sauvages, le septième, les fleuves et la pêche, le huitième, les moulins, le neuvième, les beautés de la paroisse, le dixième, les subsistances et l’économie domestique, le onzième, les modes d’habillement, le douzième, le culte et la communauté. C’est dans ce dernier paragraphe que sont mentionnés les registres de population.
39 Tiburtius mentionne ce point dans le titre même de son rapport : Description du monastère de Vreta en Östergötland, en réponse aux actes de l’Académie Royale des Sciences 1741 page 5 (Tiburtius, 1755b, p. 188).
40 Lettre en francais citée in Nordenmark, 1939, p. 63.
41 Pour la France, nous pouvons citer Vauban et son agenda intitulé : « Pour faire l’instruction du dénombrement des peuples et la description des pays » in Virol, 2003, p. 145-146.
42 « Herr Triewald hölt före, at sådane Cataloguer ei borde publiceras uti Academiens handlingar; utländningarna skulle därigenom få en alrfor stor uplysning om wårt lands alt för ringa antal af Inwånare » tiré de Kungliga Vetenskaps Academiens protokoll, 11 augusti 1744, § 2, Archives de l’Académie des sciences.
43 Peter Sköld en vient à la même conclusion (voir Sköld, 2001, p. 55). Notons toutefois que, pour quiconque connaissant l’histoire du pays et plus particulièrement celle d’Uppsala (alors deuxième ville du pays), il n’était pas difficile de retrouver sous la plume d’Elvius le nom de la ville en question. En effet, Elvius mentionne notamment dans ce texte des évènements précis tels que le terrible incendie de 1702 ainsi que l’épidémie de peste en 1710.
44 « Sundhetscommission får årligen sådana Cataloger öfwer födda och döda, hwarwid de dödas ålder ärö anteknade. Detta upsköts til dess man skulle få widare underrätelse om dess a cataloguer », extrait de Kungliga Vetenskaps Academiens protokoll, 11 augusti 1744, § 2, Archives de l’Académie des sciences.
45 « […] det beslöts därfore at denna catalogue skulle införas uti detta quartals handlingar, såsom et modell, hwarefter flera Catalogue kunde inkomma », extrait de Kungliga Vetenskaps Academiens protokoll, 24 november 1744, § 2, Archives de l’Académie des sciences.
46 « Cataloguen remiterades därföre til H : r Bar. Höpkens öfwerseende, då därjämte af honom och Secreteraren skulle til den ändan upsättias en method tillika med begäran af Kungl. Academien », Ibid.
47 Le texte de cette proposition est intégralement reproduit dans Hjelt (1900).
48 Étaient présents à cette séance : Mejer, Ehrenpreus, Höpken, Bielke, Cronstedt, Faggot, Brandt, Plomgren, Meldecreutz, Stockenström, Palmstierna, Brovallius, Ekeblad, Rudenciold, Malmerfelt, Wrede, Ekström, Salander, Bäck, Hårleman, Leyel, Strandberg, Löfvenhielm, Blixenstierna, Acrel et Elvius. Voir Protocole du 8 novembre 1746 (archives de l’Académie des sciences).
49 Les données provenant de Falun restent énigmatiques. En effet, la source n’est jamais mentionnée et aucune allusion n’est faite quant aux circonstances ayant donné lieu à ces relevés. Toutefois, notons que Nils Reuterholm était le préfet de Dalécarlie, région incluant Falun. Linné fut commissionné par Reuterholm afin de mener en Dalécarlie une expédition de nature similaire à celle entreprise par Linné dans le Lappland. Accompagné de 10 étudiants, Linné explora les ressources naturelles de cette région du 3 juillet au 13 août 1734. Aucune étude ne s’attarde sur de potentiels relevés des registres locaux faits au cours de cette expédition. En revanche, Linné et ses disciples décrivent abondamment les conditions de vie des habitants de cette région, précisant leur occupation, la manière dont ils construisent leurs maisons, à partir de quoi sont faits leurs vêtements, notant les remèdes en cas de maladie, etc. Ils étudient aussi les conditions de vie difficiles des mineurs. Linné fait le récit de ce voyage dans son livre Iter Dalekarlicum
50 « Man har uti de folkrikaste Städer och orter uti Europa, ifrån någon tid tillbaka börjat utgifva Förteckningar öfver antalet af de årligen födde och döde, til at derigenom dels som en inbördes täflan jämföra hvars andras styrka i en tahlrik menighet, dels ock at hugna sig af en tilväxt uti Inbyggarenas antahl, som utvidgade Näringsfång ti ifrån anan tillåtit. » in Hjelt, op. cit., p. 70.
51 « Academien har nu också likaledes giordt en början, at insamla dylika förteckningar här i Riket, eij allenast för de nu framflytande åren, utan så långt tilbaka som våra kyrkoböcker tillåtit. »
52 Dans les paragraphes qui suivent, nous utiliserons le terme « elle » pour l’Académie royale des sciences afin de rendre compte de l’emploi du « nous » dans le texte de la proposition et de la signature collective de ce texte.
53 « Uppå Kongl. Vetenskaps Academiens befallning uppsatt af Pehr Elvius – Dess ständige Secreterare ».
54 « Och som det ena året kunnat vara fruktsammare än det andra, så har man härutinnan tagit ett medel-måttigt antal […] »
55 Mais elle précise que les données peuvent aussi avoir été affectées par la peste qui a ravagé Uppsala dans les années 1709-1710.
56 Notons ici que, selon August Hjelt, ces données ne correspondent pas à celles du mémoire d’Elvius publié en 1744. Hjelt, 1900, p. 73 (note 1).
57 « Uppå denna grund är nu antalet af hela Rikets meninghet uträknad, efter en särdeles Method som Academien framledes lärer göra allmän ibland dess Handlingar, som tillika gifvit detta antal i följande Classer efter åldrarna » (Hjelt, 1900, p. 75-76).
58 Si la proposition est bien le fait de l’Académie, les calculs sont, sans aucun doute ni ambiguïté, ceux d’Elvius.
59 En suédois « Medelåldrigt ». La traduction la plus proche est : « période du milieu de la vie ».
60 « Fast det ej kan lofvas, det denna Uträkning skall gifva antalet af Rikets meninghet så noga, som en värkelig Mantalsskrifning öfver hea Riket det skulle förmå, hvilken också deremot kostade oförlikneligen mera möda och arbete, så lärer den likväl förmodeligen vara af en tilräklig noghet för Regeringen uti hvarjehanda förslagers uprättande som på något sätt fordra Invånarnes antal til grund. Och i hvad mål som desse uträkningar ännu kunna förbättras igenom en Samling af fullkomligare och flere års Förteckningar öfver de i Riket födda och döda, hvaruppå de böra grundas, deruppå lärer Academien eij underlåta at använda sin flit, enär tid och tillfälle det medgivfva » (Hjelt, op. cit., p. 77).
61 « Academien gav mig då också anledning och befalning at efterse hvad de förteckningar i denna afsikten kunde innehålla, som årligen insändes til Kongl. Sundhets commision öfver födda och döda, eller ock at anmoda nogon uti et och annat stift at göra utdrag utur nogra kyrkoböcker efter en timlig föreskrifven method », Archives du Tabellverket, Arninge.
62 « Jag underättade mig därföre ofördrögeligen i Kongl. Sundhets commision om de der befintliga förteckningar och utav så många, som voro inkomne för de trenne sist förflutne åren gjorde jag utdrag både öfver födda och döda. Dock som de dödas antal uti dessa förteckningar inbegripas innom för få classer at endast derutaf sluta nogot med tillräckelig säkerhet, så har jag äfven trot mig böra söka ock andra utvägen ock derföre anmodat en ock annan i orterna at göra sådana utdrag som kunde begripa de årliga dödas antal innom flera classer », Archives du Tabellverket, Arninge.
63 Correspondance de Albrekt von Lantinghausen: (Boîite : F 273 m). Ce document ne comprend cependant pas les tableaux, projets de formulaires, inclus dans le mémoire original de Lantinghausen. C’est pourquoi nous nous réfèrerons ici aux annexes de l’ouvrage de Hjelt et non au document original retrouvé à la Carolina Rediviva.
64 La Suède était constituée de trois royaumes : Götha Land, Svea Land et Finland.
65 « men ingendera går in i en rätt uträkning, hwaraf Hans M :t och Rikzens Ständer kunna hafwa den påsyfftade nyttan och alltid wara i stånd, sedan dylik tilförlitelig förtekning en gång skiedt, at weta alla Rikzens Jnwånares rätta antal och döma af deras förökning om hwar och en landzorts wälstånd och styrka, så wäl som ock af deras händelsewis infallande förminskningar om de fel i anstalterne och Styrelsen, som oundgängeligen böra rättas. »
66 « som underrättelsen om et Landz Jnbyggares tiltagande och aftagande är grundwalen til de mått, som en regering bör taga til deras Sällhet, så är ingenting angelägnare, än at foreskrifwa ju förr ju hellre en ren ordning, hwareffter berättelserne til kungen i dette mål måga inrättas »
67 « Jag antager således för en grundsatz, at en ren och noga kunskap om undersåtarnes antal är omistelig för en Lagstiffande makt, så wäl til at käna sina kraffter i anseende til åkerbruk, handel och förswarswärk, som til at rätta dereffter sina steg och afsikter.
68 Sabine Reungoat souligne l’influence de Samuel Hartlib sur Petty, et notamment au sujet de l’utilité des statistiques pour « une étude globale des mécanismes de l’État et de la détermination d’une politique » (cité in Reungoat, 2004, p. 56). Puis, dans le chapitre intitulé « La démographie appliquée à la gestion des hommes », l’auteur présente pourquoi, selon Petty, connaître la population est un « instrument de gouvernement” » (Ibid., p. 153-176).
69 « At bewaka undersåtarnes wälfärd på sådant sätt, är alt det samma som at föröka deras antal, liksom en Konung med segrande hand intager nya länder, när han låter uptaga obrukade fält och giöra dem fruktbara. Wj förmere wår egendom, när wj den rätt anwände och menniskian föröker sig, när hon wet förwara sig från fahrligheter ».
70 « hwaraf dock nyttan är ganska måttelig emot den man af de twenne andra sätten kan hämta ».
71 « Som alting är uträkning underkastadt; så kunna naturens alster eij derifrån undantagas : Han går sin jämna wäg i alla sina wärkningar och hans Fölgder swara så mathematiskt emot hans Physiska orsaker, hwarifrån de herröra, at man med temmelig wisshet kan uträkna hans bekanta wärkan, utan fruktan at mycket bedraga sig och utan at det lönar mödan, at hålla räkning öfwer skiljemonen »
72 Il ne mentionne pas ses sources mais fait référence à la campagne anglaise et hollandaise où 100 mariages produisent 15 à 16 enfants par an, alors que dans les grandes villes commerçantes telles que Londres et Amsterdam, pas plus d’enfants ne naissent pour 108 mariages.
73 Anders Berch propose dans son livre un état des connaissances d’arithmétique politique citant les travaux de Graunt, Petty et King qu’il qualifie de « chefs-d’œuvre » et mentionnant Melon et Kersseboom. Berch est un lecteur assidu des Philosophical Transactions (il se réfère aux numéros 177, 183, 185, 196, 261, 328, 337, 402, 428, 450) et des Mémoires de l’Académie royale des sciences (il note les contributions de l’Isle en 1725 et Mairan en 1730). Il souligne dans ce traité les nombreuses observations qu’il est possible de faire grâce aux registres paroissiaux et ce qu’il est envisageable d’en tirer grâce à l’arithmétique politique (Berch, 1746).
74 « om menniskians lifslängd i den climaten wj bo ».
75 « wissa indelningar af alla Landzens Jnwånare i sina hwarjehanda stånd och wilkor : til exempel
I hionelag,
änklingar,
änkor,
ogiffte, ungdom och Barn,
husfolk,
främlingar. »
76 Pour mieux comprendre les différentes instances en présence lire Carlsson, 1978b, p. 123-127.
77 Rappelons que Lantinghausen critique la qualité des rapports des préfets dans sa proposition.
78 Les fonctions du Lantmarskalk ressemblent à celles du Premier ministre. Il est choisi par la noblesse dont il est le représentant et, à ce titre, préside la Sekreta utskottet.
79 La délégation d’État étant un organe de la Sekreta utskottet, les membres qui la composent en font également partie.
80 Archives de l'Académie royale des sciences (Kungliga Vetenskapsakademien), Correspondance de Linné à Elvius.
81 François Boissier de Sauvages de Lacroix (1706-1767) et Linné ont débuté leur correspondance en 1737. Linné eut connaissance du premier ouvrage de celui-ci (1731) alors qu'il était étudiant en médecine. Il publia, ensuite, en 1763, soit la même année que la publication de Genera morborum, un ouvrage de nosographie de référence. Pour plus de précision lire Frängsmyr et. al.., 1990, p. 98.
82 Le protocole du 8 novembre 1746 – c’est-à-dire lors de la session dans laquelle la proposition a été présentée à l’assemblée des membres de l’académie –, rapporte qu’Abraham Bäck a, à cette occasion, promis d’aider Elvius à constituer une liste des causes de décès : « hvaruti borde tagas iackt i hvad siuk domar de blifvit döde hvar uti H. Baeck lofvade at vara Secretaren behielpelig ». Protocole du 8 novembre 1746, p. 746 (Archives de l’Académie des sciences).
83 Lors de la présentation des tables au Riksrådet en 1748, la Sekreta utskottet spécifie que l’auteur des tables est l’Académie des sciences : « Sekreta utskottet uppgifver till den ändan några af Vetenskapsakademien författade tabeller » (Hjelt, op. cit., p. 37).
84 Les dom sont des divisions territoriales au sein de l’Église suédoise. Il y a 5 dom en Suède. Le domprost (prêtre du dom, en français : évêque) a donc une fonction élevée dans la hiérarchie ecclésiastique. Le domprost d’Uppsala est l’archevêque de Suède. Les domprost sont en charge des domkapitet. Au xvie siècle le terme « domprost » est remplacé par « konsistoriet ». Au xviiie siècle, les deux termes sont usités.
85 Le prost est généralement responsable de quatre ou cinq paroisses.
86 Lars Salvius a édité tous les documents publiés par l’Académie, à savoir les discours, les prix mais aussi les Actes de l’Académie.
87 Transcription des instructions de la table III : « I. PROBSTEN öfver Contractet, eller Härads-Skrifvaren, adderar på thenne sin 3dje Tabell alla Probsteriets Församlingars särkilte Siffre-Summor, ruta från ruta : Utaf hvilken et Ark, såsom ock af the 2ne förra et Ark, insändas årligen, i Januarii Månads slut, til CONSISTORIUM, tå et annat lika lydande Ark blifver qvar hos Probsten, inhäftat uti dess Tabell-Bok för Probsteriet, som lämnas till Successoren efter hans död ».
88 Nous empruntons ce terme à Jacques Véron, Arithmétique de l’homme : la démographie entre science et politique, Paris, Le Seuil, 1999.
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