Chapitre 1
De la « pauvreté en eau » à la « précarité sanitaire »
p. 37-60
Texte intégral
1Alors que l’accès à l’eau dans les pays du Sud demeure une question critique, dans les pays du Nord, dès le début du xixe siècle, on assiste à une démocratisation progressive de l’accès à l’eau potable grâce à des politiques de desserte généralisée des populations et à une réduction du coût marginal de production. En France, dès 1850, c’est d’abord dans l’espace public par les fontaines et les points d’eau en pied d’immeuble, puis à domicile, que l’eau est amenée dans les grandes villes (Goubert, 1984)1. Le tout-à-l’égout ne s’organise qu’à partir du milieu du xixe siècle (Jacquemet, 1979). De fait, aujourd’hui dans les pays riches, l’accès à l’eau du robinet, symbole de modernité, est considéré comme un acquis. Toutefois, le concept de « pauvreté en eau » qui émerge au début des années 1990 est révélateur de fracture et d’exclusion sociale dans l’accès à l’eau des populations, parallèlement à la montée de la pauvreté observée depuis les années 1970. La pauvreté en eau apparaît alors comme une déclinaison de la pauvreté en général, une forme particulière qui appelle des mesures politiques.
2Au début des années 1990, le Royaume-Uni se lance dans une vaste entreprise de libéralisation de son économie qui englobe le secteur de l’eau. Il s’ensuit un épisode sans précédent de coupures d’eau en série, résultant d’impayés de factures de ménages pauvres. Ce mouvement annonce les premiers signes du phénomène de « pauvreté en eau », notion qui tiendra lieu de nouvelle catégorie d’analyse des problèmes contemporains d’accès à l’eau, d’abord au Royaume-Uni, puis en France, dans d’autres pays européens et outre-Atlantique et, enfin, dans les pays du Sud.
3Cette notion de pauvreté en eau est alors mobilisée par des chercheurs et par les acteurs institutionnels du secteur de l’eau pour rendre compte d’un nouvel enjeu et diagnostiquer les problèmes d’accès à l’eau. Ce nouvel enjeu sera ensuite inscrit à l’ordre du jour de l’action publique pour lutter contre cette nouvelle forme d’exclusion sociale. Dans la première partie du chapitre, nous nous intéresserons à genèse et à la formalisation de la catégorie de pauvreté en eau. Nous verrons ensuite, dans la seconde partie du chapitre, comment, en parallèle des diagnostics territoriaux de la pauvreté en eau, la notion de précarité sanitaire, considérée comme éradiquée dans les pays du Nord, va resurgir. Dans une troisième partie, nous mettrons en évidence la portée heuristique du concept de pauvreté en eau mais également ses limites pour rendre compte de la nature des problèmes d’accès à l’eau auquel est confrontée la société contemporaine. Notre propos et notre analyse s’appuient sur une revue bibliographique et sur les retours d’une démarche de recherche-intervention menée auprès de trois collectivités locales en France2.
I. Genèse et diffusion de la catégorie de « pauvreté en eau »
4Le concept de pauvreté en eau3 apparaît donc au Royaume-Uni. Transposition d’un outil déjà à l’œuvre dans le domaine des politiques sociales en électricité : la précarité énergétique (fuel poverty), il permet de thématiser l’exclusion des populations vulnérables des services publics d’eau et d’analyser les inégalités sociales dans l’accès à ce service. La fuel poverty comme catégorie d’analyse émergente, désigne alors les ménages qui dépensent plus de 10 % de leur revenu net en énergie domestique pour maintenir leur logement à un niveau d’énergie acceptable. Le seuil de 10 % constituait la limite en deçà de laquelle on estimait que la facture d’énergie devenait insoutenable dans le budget des ménages pauvres.
5Les premiers articles sur la pauvreté en eau apparaissent au milieu des années 1990, et sont le fruit d’études réalisées à la demande de différents commanditaires ou pour appuyer des plaidoyers, dans un contexte de controverses sociales sans précédent. Ces textes s’insurgent notamment contre les coupures d’eau massives qui font suite à la libéralisation du secteur de l’eau au Royaume-Uni, en 1989. Dans un ouvrage au titre éloquent :Whose Utility ? The social impact of public utility privatization and regulation in Britain, John Ernst dresse un tableau préoccupant de la situation (Ernst, 1994).
6Entre l990-1991 et 1991-1992, les coupures d’eau passent de 7 673 à 21 286, soit une augmentation de 177 % (op. cit., p. 149). Dans une revue de santé publique, Ruth Lister (1995) explore les liens entre le nouveau phénomène de pauvreté en eau, l’aggravation de la pauvreté et la hausse du prix de l’eau4 résultant de l’escalade des coûts de fourniture du service d’eau. Elle souligne alors les implications sanitaires liées aux nouvelles mesures de comptage de l’eau et de coupures d’eau imposées aux ménages pauvres. S’appuyant sur le constat de l’amplification des difficultés des ménages pauvres à payer leurs factures d’eau, Meg Huby (1995) souligne les enjeux de politique sociale à affronter en termes de santé et de bien-être des ménages en raison de la faiblesse de leurs revenus et de leur insolvabilité. D’autres auteurs vont traiter de la pauvreté en eau par le biais du débat politique engendré par la marchandisation de l’eau en Angleterre et au Pays de Galles et des conséquences sociales de l’adoption du principe de l’efficience économique dans la régulation des services d’eau (Bakker, 2001).
1. Premières formalisations de la catégorie de pauvreté en eau
7En 2002, Martin Fitch5 et Howard Price entreprennent de mesurer l’ampleur du phénomène de pauvreté en eau en Angleterre et au Pays de Galles en reprenant des données d’enquête de l’Office for National Statistics (ONS) sur les dépenses des familles de 1988, et en reproduisant la méthode utilisée par le gouvernement pour définir la précarité énergétique, à savoir, la part moyenne du revenu consacrée aux dépenses en énergie par les ménages des trois déciles de revenus les plus bas (Fitch et Price, 2002). En parallèle, ils exploitent les données relatives aux aides consenties par des fondations caritatives connexes à deux compagnies d’eau6. Enfin, ils prennent en considération le cas de ménages allocataires de revenus sociaux.
8Les calculs réalisés par Martin Fitch et Howard Price mettent en évidence une part moyenne de revenu affectée aux dépenses d’eau atteignant 3 % pour les ménages qui se situent dans les trois déciles de revenus les plus bas. Ce chiffre de 3 %, qu’ils considèrent comme étant la limite à partir de laquelle il peut être établi que la dépense en eau est inaccessible, concerne alors environ 4 millions de ménages (1 ménage sur 6). Dans ce rapport destiné au gouvernement anglais et à la Water Services Regulation Authority ou Ofwat (l’autorité britannique de régulation des industries de l’eau), les auteurs proposent au gouvernement d’en faire un standard permettant de caractériser les ménages confrontés à la pauvreté en eau. À l’époque, il existe déjà un seuil similaire pour l’alimentation dans la série des indicateurs de développement durable, mis en place par le Department for Environment Food and Rural Affairs (le Defra, ministère de l’Environnement, de l’Alimentation et des Affaires rurales). La pauvreté en eau vient compléter la liste de ces indicateurs de développement durable.
9Martin Fitch et Howard Price dénoncent les inégalités sociales à l’œuvre dans le secteur de l’eau : « les ménages anglais situés dans les trois plus bas déciles de revenu dépensent en moyenne 3 % de leur revenu net pour payer leurs factures d’eau tandis que la dépense moyenne de l’ensemble des ménages n’est que de 1 %7 » (Fitch et Price, 2002, p. 3). Par extension, cette catégorie devient un indice d’exclusion sociale : « renier la gravité de ce problème national parce qu’il serait négligeable au regard de la situation critique des pays pauvres, reviendrait à ignorer la signification de la pauvreté en eau comme relevant d’un problème d’exclusion sociale » (Ibid., p. 8)
10D’autres statistiques relatives à la pauvreté en eau en Angleterre et au Pays de Galles sont publiées : le taux de pauvreté en eau de la population est estimé à 22 %, en 1994 et à 18 % en 1997-1998, soit plus de 4 millions de personnes. Ce taux était évalué à 22 % en 2004 et à 23,6 % en 2009-2010 (Huby, 1995 ; Huby et Bradshaw, 2012). En 2014, l’Ofwat indique que 24 % des usagers des compagnies d’eau dépensent plus de 3 % de leur revenu après les dépenses de logement (Ofwat,2015). En 2018, le chiffre de 24 % est encore celui qui est mentionné au seuil de 3 % (Consumer Council for Water, 2018).
11En France, les premières analyses abordent la question en termes d’incidence du prix de l’eau sur les dépenses des ménages, et ne font pas mention de la notion de pauvreté en eau. En 1999, Henri Smets indiquait, dans un rapport à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qu’en France, un ménage bénéficiant du Smic, (salaire minimum de croissance versé à l’époque à 2,4 millions de salariés) et consommant 120 m3 d’eau par an, consacre 2,6 % de son revenu à l’eau (Smets, 1999). Les articles d’Olivier Coutard (1998 ; 1999) établissent de premiers liens entre le Royaume-Uni et la France sur les difficultés d’accès à l’eau rencontrées par les ménages pauvres. La notion de pauvreté en eau en soi n’est pas évoquée mais les questions corollaires sont présentes : les impayés des ménages, les coupures, le droit à l’accès à ces services8.
12Au début des années 2000, la notion de pauvreté en eau est mobilisée comme indicateur des difficultés d’accès à l’eau des populations pauvres en France, dans un travail de recherche sur les enjeux de cohésion sociale dans le management et l’évaluation de la performance du service public de l’eau (Tsanga Tabi, 2003), puis sur le droit à l’eau et sa mise en œuvre (Smets, 2009 ; 2011). Les premières statistiques officielles de la pauvreté en eau en France apparaissent en 2006 dans un rapport d’Arnaud Reynaud, consacré à l’évaluation de l’impact de la régulation publique et la participation du secteur privé sur l’accessibilité des ménages pauvres à l’eau (Reynaud, 2006). Il y définit le ménage pauvre en eau comme celui dont la part du revenu total dédié aux dépenses en eau, est supérieure à 3 %. Selon ses calculs, en moyenne, 4,31 % des ménages français dépensaient plus de 3 % de leur revenu disponible pour régler leurs factures d’eau en 2001. Dans un second rapport paru en 2016, il estime sur la base d’une étude économétrique que les ménages du 1er décile de revenu doivent consacrer en 2011 en moyenne entre 1,8 et 2,1 % de leur revenu disponible si on considère les prix courants (Reynaud, 2016). En revanche, l’application du principe de recouvrement au coût complet, imposé par l’article 9 de la directive-cadre européenne de 2000, fait passer tous les ménages du 1er décile de revenu en ménages pauvres en eau.
2. La double facette de la pauvreté en eau
13L’interprétation du ratio de pauvreté en eau dans la littérature est double : on retrouve l’idée de water poverty que nous traduisons par « pauvreté en eau » et celle de water affordability qui désigne l’« accessibilité financière à l’eau ». L’une et l’autre notion se fondent sur la même mesure (part du budget disponible consacrée à la facture d’eau) mais leur interprétation diffère.
14La facette « pauvreté en eau » évalue la situation des ménages pauvres dans leur accès à l’eau à l’aune de la limite du seuil retenu. Elle comporte une dimension sociale explicite : « dans le cas des classes à faible revenu, être pauvre en eau signifie qu’une part importante du revenu total doit être dédiée à la facture d’eau pour assurer ses besoins humains fondamentaux » (Reynaud, 2006). La facette « accessibilité financière » n’induit pas de fait cette dimension sociale, même si elle est implicite. John. H. Sawkins et Valérie. A. Dickie (2002) considèrent que la notion d’accessibilité à l’eau a évolué pour devenir synonyme de capacité à payer des ménages. Pour autant, le sens que lui donnent les acteurs institutionnels anglais s’en éloigne. L’accessibilité à l’eau s’entend sur un plan financier quelle que soit la catégorie d’abonnés. Ce n’est pas un hasard si, dans les rapports d’activité des compagnies d’eau anglaises, l’accessibilité financière affichée est celle qui est calculée pour les ménages non pauvres. Elle laisse entendre que la facture d’eau dans le budget des ménages est très faible (autour de 1 %) et que de ce fait, l’eau est accessible. Le même argument est mis en avant en France par la majeure partie des acteurs de l’eau. De manière générale, les problèmes d’accès à l’eau sont posés d’abord en termes de water affordability. C’est ce que suggèrent les titres des nombreux rapports et documents officiels publiés par les acteurs institutionnels britanniques et internationaux, tels que le Department for Environment, Food and Rural Affairs (Defra), le Water Services Regulation Authority (Ofwat), l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et les services publics d’eau anglais.
15Cet affichage, par les acteurs, de la facette water affordability du problème rend compte en premier lieu d’une vision économique impliquant le recouvrement au coût complet du service et le devoir de règlement marchand des usagers qui en découle9. En effet, ce principe de recouvrement au coût complet du service de l’eau – par l’intermédiaire de tarifs de l’eau économiquement efficaces et durables – a été posé comme pilier de la politique européenne de l’eau. Aussi dans ce contexte, la responsabilité du problème de l’accessibilité financière du prix de l’eau relèverait des pouvoirs publics. Dans un rapport récent, la fédération européenne des gestionnaires publics de services d’eau, Aqua Publica Europea, déclarait que « l’accessibilité à l’eau ne peut être garantie uniquement par le moyen de l’outil tarifaire, elle implique un dispositif de politique sociale que seul l’État ou l’administration régionale est en mesure de fournir » (Aqua Publica Europea, 2017, p. 6).
3. La pauvreté en eau comme indicateur d’inégalités sociales dans l’accès aux services essentiels
16Outre l’idée d’une charge excessive à supporter d’un point de vue budgétaire par le ménage pauvre, le concept de pauvreté en eau renvoie à une autre dimension sociale de l’accès à l’eau : l’écart dans l’accès à l’eau entre les ménages pauvres et les ménages riches. Dans son dernier rapport10 qu’il a intitulé « Fair and affordable water », Martin Fitch soulignait : « pour ceux qui, parmi nous, se situent dans les déciles de revenu les plus faibles, le poids de la charge de la facture d’eau relativement au revenu est six fois plus lourd que la charge des ménages aux revenus les plus élevés » (Fitch, 2006, p. 7). C’est aussi ce propos que tient Arnaud Reynaud sur la situation en France : « en 2001, la part de revenu que les ménages pauvres sont obligés de consacrer à l’eau est en moyenne quatre fois plus élevée que celle de la population dans son ensemble (1,19 %) » (Reynaud, 2006, p. 16). L’écart est encore plus grand si on compare la part de revenu consacrée à l’eau par les 1 % de ménages les plus pauvres (4,8 %) avec la part de revenu consacrée à l’eau par les 1 % plus riches (0,37 %) (op.cit, p. 9).
17Des travaux récents menés en Angleterre et au Pays de Galles mettent en avant l’aggravation de la pauvreté en eau d’une partie croissante des ménages pauvres. Aujourd’hui, le seuil de 5 % est pris comme point de référence pour appréhender les situations de pauvreté en eau accrue des ménages (Huby et Bradshaw, 2012). Ainsi, si en 2010 il y avait 23,6 % de ménages pauvres en eau au seuil de 3 %, 11,5 % des ménages anglais étaient considérés comme relevant d’une situation de pauvreté en eau « sévère », estimée au seuil de 5 %. En 2014, c’est un ménage sur huit qui est pauvre en eau au seuil de 5 % (Ofwat, 2015). Autrement dit, l’écart entre la moyenne des dépenses en eau d’une fraction de plus en plus importante de ménages pauvres et celle des ménages aisés (1 %) tend à s’accroître. Ce standard nouveau de pauvreté en eau rend ainsi compte d’une aggravation des inégalités sociales en matière d’accès à l’eau : l’effort financier pour accéder à l’eau de plus de 10 % des ménages pauvres en Angleterre et au Pays de Galles est 5 fois plus élevé que celui d’un ménage riche.
18Ce nouveau seuil de pauvreté en eau et l’évolution des écarts d’accès à l’eau qu’il traduit entre ménages pauvres et ménages non pauvres, interrogent la pertinence et le sens à donner aux seuils retenus pour interpréter localement les problèmes d’accès à l’eau des ménages pauvres. Dans l’absolu, quelle est la limite juste qu’il convient de retenir pour différencier les pauvres en eau des non pauvres en eau ? En réalité, s’agissant d’un bien vital et essentiel tel que l’eau, il est difficile de juger dans l’absolu du caractère accessible ou pas de la dépense car cela implique un jugement de valeur qui relève de la notion de justice sociale (Fitch, 2006). Par ailleurs, convient-il d’agir sur l’écart entre riches et pauvres, ou s’agit-il de ramener les ménages pauvres juste en dessous du seuil des 3 % pour les faire passer dans le « camp » des ménages non pauvres en eau ? Ces interrogations de fond relèvent typiquement des questions à résoudre dans le cadre des politiques publiques de lutte contre la pauvreté en eau.
4. Les mesures de la pauvreté en eau et leurs impacts
19La question de la mesure de la pauvreté en eau n’est pas anodine car selon la nature et le contenu des données prises en compte, les résultats diffèrent, rendant le diagnostic hésitant.
20On peut considérer qu’il existe deux types de mesures. La première est une mesure « macro » qui estime la pauvreté en eau à partir de données macroéconomiques de coût de l’eau et de revenu des ménages. Certaines études ont recours à des méthodes d’estimation économétrique pour mesurer la pauvreté en eau à des échelles larges de territoire, en France (Reynaud, 2006 ; 2016) ou aux États-Unis (Mack et Wrase, 2017).
21La seconde est une mesure micro qui évalue la pauvreté en eau à l’échelle locale, sur la base des données individuelles disponibles de revenu et de facture d’eau des ménages pour établir le niveau de pauvreté en eau de chaque ménage sur un territoire donné. En raison du caractère privé des données sociales des ménages dont l’obtention est soumise à autorisation, dans la plupart des cas, la mesure de la pauvreté en eau à l’échelle locale relève d’un calcul théorique.
a. Les variables et les hypothèses de mesures prises en compte
22Si la détermination du dénominateur du ratio de pauvreté en eau, à savoir les revenus des ménages, est une étape délicate, il est aussi nécessaire de clarifier le contenu du numérateur : les dépenses en eau du ménage.
23Le montant de la facture d’eau est formalisé et renvoie à la composante de prix (l’eau potable, l’assainissement et les redevances des agences de l’eau, la taxe sur la valeur ajoutée) multipliée par le volume d’eau consommé. Pour une mesure à l’échelle macro, les enquêtes de l’Insee sur les dépenses des ménages en France métropolitaine et dans les départements d’outre-mer, permettent d’obtenir des données de factures d’eau des ménages.
24S’agissant du volume d’eau consommé, les études micro se fondent en général sur la définition d’un volume d’eau standard11 et renvoient à un calcul théorique de pauvreté en eau excluant les situations de surconsommation d’eau. Au Royaume-Uni, l’organisme régulateur du secteur de l’eau interroge cette définition et pose la question d’un volume d’eau standard qui différencierait les usages discrétionnaires des usages essentiels en eau des ménages (Ofwat, 2011). En France, nous retrouvons également sur le terrain ce type de distinction entre pauvreté en eau « fonctionnelle » et pauvreté en eau « économique », (Citexia et Fors Recherche sociale, 2015). La première se distingue de la seconde par l’existence de « surconsommation » d’eau attribuable à des équipements sanitaires vétustes ou à un usage non raisonné de l’eau du ménage12.
25La définition du revenu du ménage varie selon les auteurs. Partant du principe que la majorité des allocataires de minima ou prestations sociales recevait des montants nets, Martin Fitch et Howard Price (2002) avaient choisi de se baser sur une définition du revenu qui reflète la réalité budgétaire des ménages. Dans leurs premières estimations, John W. Sawkins et Valérie A. Dickie (2005) avaient pour leur part retenu le revenu brut plutôt que le revenu disponible des ménages. Ils reconnaissaient cependant que ce choix avait pour effet de réduire le nombre de ménages enregistré sous le seuil des 3 %. La définition du revenu retenue en France dans les bases de données statistiques de l’Insee (le dispositif FiLoSoFi13) pour les évaluations macro de la pauvreté en eau rejoint celles de John H. Sawkins et Valérie A. Dickie, puisque que c’est le revenu total disponible qui est utilisé.
26Le dernier élément qui intervient dans le calcul est le seuil de ratio retenu comme ligne de démarcation entre les ménages pauvres en eau et ceux qui ne le sont pas. Si le seuil de 3 % est celui qui est retenu à l’échelle européenne14 et même plus largement15, il existe d’autres conventions sur ce point. L’Agence de protection environnementale américaine se fonde sur l’idée selon laquelle les ménages ne devraient pas dépenser plus de 2 % pour l’eau et pas plus de 4,5 % pour l’eau et l’assainissement. En Belgique, les services d’eau de la Wallonie ont utilisé le seuil de 2 % pour chiffrer le nombre de ménages pour lesquels la facture d’eau est financièrement inaccessible en 2015. Ce seuil conduisait à estimer à 16 % les ménages en question contre 5,7 % si le seuil considéré avait été de 3 % (Aqua Publica Europea, 2017).
b. La pauvreté en eau : recherche des relations de cause à effet et analyse des conséquences
27Les analyses qui traitent de la pauvreté en eau sont diverses. Certaines cherchent à expliquer les causes de ce phénomène. Parmi les causes récurrentes, on retrouve la hausse du prix de l’eau, l’effet de la taille du ménage et la prégnance des bas revenus parmi les pauvres en eau (Huby, 1995, Fitch et Price, 2002 ; OCDE, 2003). L’existence d’un dispositif de comptage de l’eau dans les habitations peut avoir une influence sur la pauvreté en eau : « les problèmes de soutenabilité de la facture d’eau sont plus largement répandus parmi les ménages ne possédant pas de compteur d’eau (24 %) comparativement à ceux qui en ont un (8 %) » (Huby et Bradshaw, 2012). Deux types d’explications peuvent être avancés : le choix du ménage de passer à un comptage de l’eau intervient en général dans un contexte où la tarification au volume est plus avantageuse que le système d’indexation de la facture d’eau sur la valeur foncière du logement en usage au Royaume-Uni. En outre, on peut penser que le comptage de l’eau induit chez les ménages une plus grande conscience des quantités d’eau consommées et des comportements de réduction des volumes pour réduire le coût de la facture.
28D’autres analyses qui renvoient aux inégalités d’accès à l’eau entre riches
29et pauvres et à l’exclusion sociale qui en résulte, s’intéressent aux conséquences de la pauvreté en eau (Fitch et Price, 2002, cf. supra). On trouve également des études prospectives plus récentes qui modélisent l’évolution de la pauvreté en eau selon différents scénarios d’évolution du prix de l’eau. Dans cette perspective, Meg Huby et Jonathan Bradshaw (2012) ont étudié l’impact de la hausse du prix de l’eau sur la progression de la pauvreté en eau en Angleterre et au Pays de Galles et démontrent que si les factures d’eau augmentent de 1 % par an proportionnellement plus vite que les revenus des ménages, le taux de pauvreté en eau au seuil de 3 % atteindrait les 35 % d’ici 2033.
30Les études plus récentes (Reynaud, 2016 ; Mack et Wrase, 2017) insistent sur les conséquences à terme de la tarification au coût complet des services d’eau sur les ménages pauvres, et notamment sur le risque que « ces fournisseurs de service se retrouvent au final avec un petit nombre de consommateurs qui composent l’assiette couvrant les coûts fixes importants des services d’eau » (Mack et Wrase, 2017, p. 13).
31D’autres travaux encore étudient les politiques publiques de lutte contre la pauvreté en eau et font observer l’ambiguïté du principe de droit à l’eau dans sa mise en application (Tsanga Tabi, 2013 ; 2015 ; 2017), ou l’insuffisance des solutions mises en place (Smets, 2011). Ainsi, malgré le développement de tarifs sociaux de l’eau – notamment en Angleterre et au Pays de Galles où les 21 compagnies d’eau et d’assainissement les plus grosses ont mis en place un tarif social (Consumer Council for Water, 2018) –, le problème de la pauvreté en eau demeure non résolu. En France, où la loi Brottes16 a initié à l’échelle nationale l’expérimentation de dispositifs de tarification sociale de l’eau et d’aide au règlement des impayés de factures17, la pauvreté en eau reste à l’ordre du jour de l’agenda des politiques publiques locales.
II. Le recours à la catégorie des « pauvres en eau » dans la construction et l’expérimentation du droit à l’eau
32En France, l’idée de droit à l’eau est revendiquée officiellement comme réponse aux problèmes d’accès social à l’eau (article 1er de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006), mais le concept de pauvreté en eau n’est pas repris par les acteurs institutionnels. Toutefois, dans l’introduction de la proposition de loi Glavany de septembre 2013, finalement rejetée par le Sénat, et qui visait la mise en œuvre effective du droit humain à l’eau, il était fait référence au seuil de 3 % sans que la notion de pauvreté en eau ne soit mentionnée : « si la facture d’eau et d’assainissement représente 1,25 % du revenu disponible moyen d’un ménage, près d’un million de ménages n’ont accès à l’eau qu’à un prix considéré comme excessif par rapport à leur revenu et un consensus existe pour considérer que le prix de l’eau est inabordable lorsque cette facture dépasse 3 % des revenus effectifs du ménage18 ».
33On trouve également sur le site de l’Observatoire national des services publics d’eau et d’assainissement (Sispea) une représentation cartographique de 2012 montrant la part du revenu disponible moyen des ménages consacrée à la facture d’eau par région sur la base d’une échelle allant de « inférieure à 1,2 % », « entre 1,2 et 1,4 % » à « supérieure à 1,4 % »19. Ces cartes qui rendent compte des disparités géographiques en termes de prix locaux de l’eau et en termes de pauvreté des territoires suggèrent une lecture plutôt économique que sociale du ratio. En Angleterre et au Pays de Galles, où la pauvreté en eau est mesurée à l’échelle nationale et locale, un seul service d’eau identifié, Thames Water, s’y réfère pour cibler les ménages éligibles au tarif social (Kenway et Tinson, 2015).
1. Quelle analyse des problèmes d’accès l’eau à l’échelle locale ?
34Dans les lignes qui suivent, nous rendons compte d’observations issues d’études de terrain dans le cadre de partenariats de recherche-intervention, construits avec des collectivités locales françaises engagées dans des politiques sociales de l’eau. En effet, la référence au droit à l’eau dans l’État social français a donné lieu à de nombreuses lois, dont la loi Brottes qui prévoit l’expérimentation de dispositifs volontaires d’accès social à l’eau à l’échelle des services d’eau.
35La mise en œuvre de la loi Brottes dans le paysage des services publics de l’eau en France a été l’occasion inédite de se poser la question du ciblage des bénéficiaires du droit local à l’eau. La réponse à cette question appelait la réalisation d’un diagnostic socio-territorial des problèmes d’accès à l’eau, le plus souvent confié à des bureaux d’étude. Sur la période 2015-2017, nous avons observé successivement trois terrains que nous avons désignés par A, B et C pour des raisons de confidentialité. Un autre terrain (collectivité D), non observé directement mais pour lequel nous disposions d’un retour d’informations eu égard à la mesure de la pauvreté en eau, complète notre matériau d’analyse (tableau 1). Les collectivités observées ont toutes eu recours au critère de pauvreté en eau mesuré au seuil des 3 %20 pour objectiver l’étendue des problèmes d’accès à l’eau sur leur territoire.
Tableau 1. Caractéristiques sociotechniques des collectivités observées entre 2015 et 2017

36La mesure de la pauvreté en eau sur ces territoires locaux répondait à deux objectifs : estimer l’ampleur des problèmes d’accès à l’eau des populations pauvres sur le territoire, et ensuite identifier et définir les publics cibles.
37Cette opération de désignation et de connaissance des personnes et des ménages confrontés à des difficultés d’accès à l’eau n’est pas anodine, car elle sera une composante à part entière de la conception de l’action à décliner en matière de droit à l’eau sur les différents territoires. Le tableau 2 est un exemple de diagnostic socio-territorial des problèmes d’accès à l’eau des ménages.
Tableau 2. Diagnostic des problèmes d’accès à l’eau des ménages pauvres mené sur la collectivité A (2016)

38Sur la collectivité A, le diagnostic réalisé visait en premier lieu à produire des connaissances nouvelles rendant compte de réalités sociales invisibles pour le service d’eau. Une enquête qualitative confiée à un cabinet de recherche en sociologie permit de distinguer deux situations typiques des personnes et des ménages pauvres et de qualifier leurs besoins spécifiques (tableau 2) : ménages pauvres raccordés au réseau d’eau d’une part, et personnes marginalisées non raccordées d’autre part, à la présence desquelles les villes-centres sont de plus en plus confrontées : sans-abris, personnes occupant des squats, campements ou logements insalubres. Cette distinction fut l’occasion de mettre en débat la question de la responsabilité politique de l’accès à l’eau des personnes non raccordées au réseau d’eau. Si l’enjeu de justice sociale prit une place importante dans les débats, l’argument d’un principe de compétence de la collectivité excluant la prise en charge des publics non raccordés vint contrebalancer l’argument de justice et d’équité sociale21. Un montant d’enveloppe budgétaire à verser à une association locale, accueillant les personnes sans-abris pour leurs besoins en eau relatifs à l’hygiène, fut cependant décidé.
39Le diagnostic de la pauvreté en eau sur le territoire de la collectivité A a contribué, de fait, à une mise en visibilité d’une réalité non perçue jusque-là par l’ensemble des acteurs. En effet, les facteurs d’invisibilité sociale des personnes pauvres à prendre en charge dans le cadre de l’action publique sont multiples et variés (Baronnet, 2014). Dans le contexte particulier de l’eau où prédominent les rationalités techniciennes, les problèmes sociaux sont perçus par les gestionnaires des services au travers d’indices tels que les créances irrécouvrables ou les impayés qui, dans l’ensemble, sont plutôt faibles (moyenne de 0,7 % du chiffre d’affaire des services d’eau à l’échelle nationale (Sispea, 2016)22. La difficulté d’isoler par ailleurs les impayés ou les créances irrécouvrables à caractère social renforce cette invisibilité des problèmes sociaux de l’eau. L’autre facteur d’invisibilité à l’œuvre relève de l’existence de l’habitat collectif où les compteurs d’eau ne sont pas individualisés et où les ménages locataires en appartement ne sont pas les abonnés du service d’eau, le propriétaire de l’immeuble étant l’abonné du service.
40De même, alors que les statistiques sociales d’aide aux ménages en impayés dénombraient 675 ménages aidés en 2015 par le Fonds Solidarité Logement (FSL) et 242 ménages aidés par les Centres communaux d’action sociale (CCAS) entre 2014 et 2015, la mesure des pauvres en eau sur le territoire de la collectivité A au seuil de 2,5 % recensait 9 224 ménages, soit près de 6 % des abonnés du service d’eau. Aussi, le recensement des ménages pauvres en eau réalisé sur chacun des territoires donne une image des problèmes d’accès à l’eau d’une tout autre ampleur que celle des statistiques sociales officielles.
41Le tableau 3 présente, pour la collectivité A, les variations introduites par des seuils de calcul différents (3 % et 2,5 %), ainsi que la répartition des pauvres en eau selon la composition de la famille et, parmi eux, le nombre de bénéficiaires de minima sociaux.
Tableau 3. Mesure de la pauvreté en eau sur le territoire de la collectivité A aux seuils de 3 % et 2,5 % (2016)

42Pour la collectivité A, l’hypothèse du seuil de pauvreté en eau à retenir dans les calculs fut discutée au sein du comité de pilotage23. Sur ce territoire où les ménages sont en majorité de faible taille avec une présence importante de familles monoparentales à 2 enfants et de ménages à 1 personne, le calcul des ménages pauvres en eau au seuil de 3 % sous-estimait la part de ces populations connues par les services sociaux comme étant des familles déjà confrontées à d’autres formes de précarité (logement, énergie). Aussi, le seuil à 2,5 % fut considéré par les élus comme plus représentatif de la composition locale des ménages et plus équitable en termes d’attribution de droits à l’aide. En revanche, ce seuil à 2,5 % rehaussait significativement le nombre de ménages pauvres en eau (près de 3 fois plus) et multipliait par quatre le coût estimé du financement du dispositif.
43Dans le cas de la collectivité B, le nombre de pauvres en eau estimé par nos soins24 au seuil de 3 % faisait apparaître 1 432 ménages pauvres en eau, soit 13,58 % des ménages desservis, alors que les statistiques d’aides par le FSL affichaient seulement 115 ménages aidés en 2015 pour des impayés d’eau. Sur ce territoire où la taille moyenne des ménages est de 2,3 personnes, la mesure du ratio de pauvres en eau a mis en lumière l’impact du prix de l’eau sur les problèmes d’accès social à l’eau qui touchaient aussi les ménages de faible taille. Une analyse fine de la pauvreté en eau dans cette collectivité met en exergue une échelle de variation du ratio des ménages pauvres en eau concernés s’étendant entre un minimum de 3 % (le seuil retenu) et une valeur maximale de 71,6 % correspondant à des situations extrêmes de pauvreté. La valeur médiane du ratio atteignait 4,2 % et la valeur du 3e quartile 6 %. Par ailleurs, 99 % des ménages du 1er décile de revenu étaient pauvres en eau et 35 % se situaient dans le 2e décile de revenu. L’intégralité de ces ménages étaient allocataires de minima sociaux (le revenu de solidarité active : RSA socle et RSA activité) et 8 % percevaient une allocation adulte-handicapé (AAH). Parmi ces ménages, 8 % étaient des retraités pauvres percevant une allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA).
44Sur le territoire de la collectivité C, 855 aides ont été accordées par le FSL en 2013 sur les 275 000 ménages desservis par le service. La mesure de la pauvreté en eau au seuil de 3 % met en évidence l’existence de 6 852 ménages pauvres en eau. Toutefois, la mesure de la pauvreté en eau au seuil de 3 %, qui ne faisait apparaître que des ménages pauvres en eau d’au moins 3 personnes, aboutit à exclure du diagnostic local les ménages pauvres de faible taille (personnes et couples retraités, mères isolées ayant 1 enfant) pour lesquels l’hypothèse d’impayés d’eau ou de difficultés d’accès à l’eau est pourtant avérée. L’influence des bas revenus indépendamment de la taille du ménage sur le ratio de pauvreté en eau a ainsi été mise en évidence. Les estimations ont démontré aussi à quel point la mesure de ce ratio était sensible à la limite du seuil retenu. Un autre calcul effectué au seuil de 3 % avec les ménages à la CMU-C25 aboutit à la conclusion selon laquelle il n’y a pas de phénomène de pauvreté en eau sur le territoire. En effet, le faible montant de la facture d’eau estimée, résultant de la taille moyenne des ménages peu élevée sur ce territoire, conduit de fait à des ratios de pauvreté en eau calculés inférieurs au seuil de 3 % retenu. Or, le témoignage des services sociaux concernant ces ménages à la CMU-C rend compte d’impayés d’énergie qui pèsent déjà lourd dans leur faible budget, auxquels s’ajoutent de réelles difficultés à payer les factures d’eau.
45Ce débat sur la pertinence du seuil à retenir est pourtant nécessaire : en effet, ainsi que le fait remarquer Claire Milne du Public Utilities Access Forum (PUAF) au Royaume-Uni, « fixer des objectifs sur la base du niveau de dépense actuel des ménages les plus pauvres pourrait être interprété comme un signe d’approbation d’une situation insatisfaisante […]. Quels que soient les objectifs fixés, un équilibre raisonnable doit être trouvé » (Milne, 2015).
2. L’usage de la catégorie de pauvre en eau dans le dispositif local du droit à l’eau
46Sur les trois collectivités observées, les hypothèses de mesure de la pauvreté en eau et l’analyse qui en a été faite par les acteurs ont contribué au choix des solutions retenues. Dans chacune d’elles, on retrouve une solution adoptée en commun26 : l’allocation eau, qui consiste en une aide économique préventive allouée au ménage de manière automatique (i.e. sans que ce dernier n’en fasse la demande). L’attribution de cette allocation eau est conçue :
- pour ramener la facture d’eau du ménage pauvre en eau en dessous du seuil de 3 % et minimiser ainsi le nombre de pauvres en eau sur le territoire. Le montant de l’allocation eau correspond au différentiel entre la facture réelle du ménage et la facture théorique calculée au seuil de 3 % de pauvreté en eau.
- pour prévenir les situations d’impayés de facture de ces ménages pauvres en eau et leur conséquence financière pour le service d’eau.
47Les populations éligibles à cette aide sont les ménages allocataires de minima sociaux dont la facture d’eau réelle est supérieure ou égale à la facture théorique calculée au seuil de 3 % de pauvreté en eau. Pour la collectivité A par exemple, l’aide moyenne attribuée par bénéficiaire était estimée à 46 € et se situait dans une fourchette comprise entre 2 € et 241 € en 2017.
48L’allocation de ces aides associe la Caisse d’allocations familiales (Caf) détentrice des informations sociales permettant de faire le lien entre les ménages du fichier des abonnés du service d’eau et les ménages du fichier des allocataires de minima sociaux de la Caf. La combinaison des deux informations, facture d’eau du ménage d’un côté et revenu du ménage allocataire de minima sociaux de l’autre, permet alors de calculer le poids de la facture d’eau dans le revenu du ménage et de déterminer, au regard du seuil de référence de 3 %, ceux qui parmi ces ménages allocataires de minima sociaux sont pauvres en eau et seront bénéficiaires in fine de l’allocation eau.
3. L’impact du dispositif sur la pauvreté en eau
49Nous avons calculé le taux de couverture des ménages pauvres en eau par le dispositif de la loi Brottes là où cela était possible. Dans le cas de la collectivité A, ce ratio est de 41,4 % (3 823 bénéficiaires retenus sur les 9 224 ménages estimés au seuil de 2,5 %) en raison du critère d’attribution de l’allocation eau, restreint pour le moment aux seuils allocataires de minima sociaux gérés par la Caf. Les bénéficiaires d’autres minima sociaux (vieillesse notamment) ne sont pas pris en compte, tout comme les publics non-allocataires à faible revenu difficiles à identifier (étudiants pauvres par exemple).
50Dans le cas de la collectivité D, qui a estimé le nombre de pauvres en eau au seuil de 3 % sur son territoire à 12 000 ménages, la pauvreté en eau constitue également le critère d’attribution de l’aide. L’aide est plafonnée pour une consommation théorique normale de 40 m3/personne (le volume est dégressif pour les autres membres du ménage). La mesure sociale consiste en un abattement de la facture d’eau du montant de l’aide calculée, mais l’attribution de l’aide est déclarative, c’est-à-dire. non automatique : le recours au dispositif se fait à la demande du ménage et passe par les CCAS. Il en résulte un taux de recours au dispositif extrêmement faible.
III. Discussions et conclusion
51Née au Royaume-Uni il y a un peu plus d’un quart de siècle, la notion de pauvreté en eau a circulé au sein du monde de la recherche et s’est diffusée dans l’univers gestionnaire et institutionnel de l’eau en France, en Europe, dans les pays du Sud et aux États-Unis. L’intérêt de cette catégorie analytique pour thématiser, analyser et tenter de résoudre les difficultés d’accès à l’eau des populations pauvres est certain, mais elle ne raconte pas toute l’histoire de l’exclusion de l’eau des populations pauvres.
1. La portée heuristique et critique de la catégorie de « pauvre en eau » dans l’analyse des problèmes d’accès à l’eau
52D’un point de vue cognitif, la valeur ajoutée de la catégorie de pauvreté en eau est réelle à la fois pour le chercheur et pour les acteurs de l’eau. Son effet révélateur et de mise en visibilité de l’ampleur des enjeux sociaux inhérents aux missions de service public, mais trop souvent perdus de vue par les acteurs du monde de l’eau, est indéniable. Là où il est mobilisé, le concept de pauvreté en eau fournit une grille de lecture socioéconomique intéressante pour problématiser ces enjeux et mener une réflexion critique sur les obstacles à l’accès à l’eau des ménages vulnérables dans nos sociétés.
53Cette nouvelle catégorie qui s’inspire du concept de précarité énergétique et qui s’est construit par le bas, a aussi une portée opératoire. Pour les acteurs gestionnaires et ceux de la gouvernance des services publics d’eau, le temps du diagnostic socio-territorial des problèmes de l’accès à l’eau est un temps réflexif. L’usage de la notion de pauvreté en eau soumet les rationalités et les pratiques du secteur de l’eau à un examen critique qui donne à penser de nouvelles mesures d’action publique.
54En effet, dans le contexte actuel d’aggravation de la précarité d’une partie de la population, l’application sans discernement « du paradigme de l’accès marchand au service d’eau » (Tsanga Tabi, 2006) ne peut qu’exacerber les difficultés « de ménages enfermés dans des îlots de pauvreté en eau au sein de territoires, qui finissent par devenir un problème pour les systèmes approvisionnant en eau une part importante de ménages qui ne peuvent pas payer ce service » (Mack et Wrase, 2017, p. 1).
55Elizabeth A. Mack et Sarah Wrase ont cartographié les secteurs de recensement à risque et à haut risque du phénomène croissant de pauvreté en eau sur les différents territoires des États-Unis. Elles montrent que les prix de l’eau sont financièrement inaccessibles pour 11,9 % des ménages américains, et que ce phénomène est amené à s’amplifier dans le futur. En effet, si les prix de l’eau augmentent selon les montants prévus d’ici les cinq prochaines années, les estimations, même prudentes, montrent que la pauvreté en eau aux États-Unis triplera et passera de 11,9 % à 35,6 %. Ces constats méritent d’être mis en débat dans nos sociétés lorsqu’on sait que l’eau est un monopole naturel27 et que les intérêts économiques qui prédominent dans le fonctionnement du service rentrent de fait en conflit avec l’idéal de bien commun et d’intérêt collectif qui fondent l’existence de ces services. De la même manière, ces constats questionnent le sens à donner aujourd’hui à l’application du principe du recouvrement au coût complet du service d’eau, notamment pour la catégorie des ménages pauvres.
56Le constat d’un accroissement des inégalités sociales dans l’accès à l’eau entre ménages riches et ménages pauvres, renvoie à des questions de justice sociale et de solidarité qui ont à voir avec l’enjeu de cohésion sociale au cœur de la définition des services publics en réseau (Denoix de Saint-Marc, 1996) appelés à être, selon certains auteurs, des « institutions du commun » (Dardot et Laval, 2014). Notons que si le concept de pauvreté en eau a été repris par les acteurs institutionnels de l’eau, l’instrumentalisation de ce concept et son interprétation par les managers des services d’eau anglais se sont focalisées sur la dimension économique du ratio. Le principe de justice sous-tendu se conçoit avant tout au regard du principe du recouvrement des coûts et de son corollaire « paying for what you get » (Fitch, 2006). Vue sous cet angle, l’accessibilité au service se réfère d’abord aux ménages qui répondent à ce principe (les ménages solvables) et c’est bien pour cette raison que le ratio mesuré qui figure dans les rapports d’activité des services rend compte de l’accessibilité du service pour les ménages solvables. Le volet social de l’accès au service relève de démarches de responsabilité sociale de l’entreprise comportant la mise en place de tarifs sociaux, d’aides sociales et d’un volet de sensibilisation des ménages pauvres aux économies d’eau qui, cependant, peinent à régler les problèmes de justice et d’équité dans l’accès à l’eau. Or, les attendus normatifs d’une action entendue en termes de droits à l’eau sont plus ambitieux.
57Aux États-Unis par exemple, où les ménages pauvres en eau et en situation d’impayés de facture ne sont pas protégés par une loi comme au Royaume-Uni depuis 1999, et en France depuis 2013, les risques socio-sanitaires liés aux coupures d’eau engendrent chez les ménages pauvres un phénomène nouveau de précarité sanitaire. Cette précarité sanitaire, qui découle d’un non-accès à l’eau dû à une fragilité économique, renvoie à la fois aux conséquences de la privation d’eau sur la santé humaine (besoins hydriques vitaux non satisfaits), à la dégradation des conditions d’hygiène du ménage et à l’exclusion sociale qui en résulte. Si la précarité sanitaire s’observe dans le cas des ménages raccordés au réseau d’eau, les situations de sans-abrisme sont un facteur aggravant alors qu’aucune loi ne prévoit de protéger ceux pour qui, l’accès à l’eau est aléatoire.
2. Les limites de la catégorie de « pauvreté en eau »
58Dans les contextes où le prix de l’eau est relativement peu élevé et la taille des ménages est faible, il est apparu un effet de seuil dans le calcul du ratio de pauvreté en eau, conduisant à ignorer les petits ménages pauvres pourtant confrontés à de véritables difficultés pour payer leurs factures d’eau. Il existe en fait un écart entre le diagnostic des problèmes d’accès à l’eau issu du calcul théorique de la pauvreté en eau, et la réalité des problèmes d’accès à l’eau des ménages pauvres sur un territoire donné. En effet, le ratio de pauvreté en eau n’intègre pas la globalité des problèmes d’accès aux biens et services essentiels du ménage : il s’appuie sur une conception segmentée des inégalités qui se traduit par une approche sectorielle de l’action publique. Le problème à traiter étant la question particulière de l’accès à l’eau, la prise en compte de cet effet de seuil suppose alors de discuter et d’ajuster la convention établie à 3 % pour pouvoir faire du concept de pauvreté en eau une catégorie performative du droit à l’eau local. Le seuil de référence de 3 % établi en 2002 par Martin Fitch et Howard Price reflétait une configuration socioéconomique de ménages d’une certaine époque et propre au contexte du Royaume-Uni.
59Par ailleurs, que ce soit au Royaume-Uni ou en France, l’analyse de l’écart de la part de la facture d’eau dans le budget des ménages riches par rapport à celle des ménages pauvres est restée absente des débats, évinçant ainsi la question de la justice sociale et les discussions sur la pertinence du seuil de référence retenu pour qualifier les ménages pauvres en eau. C’est pourquoi Martin Fitch faisait remarquer que le fait « de confiner le débat à la question de l’accessibilité lorsqu’il s’agit de mesures sociales dans les services d’eau comportait le risque de perpétuer les injustices sociales. Ce risque étant d’autant plus probable que le seuil de référence retenu pour qualifier la pauvreté en eau était trop “pingre” et les mesures en faveur de l’accessibilité au service, inefficaces » (Fitch, 2006, p. 14).
60La seconde limite à l’usage du concept de pauvreté en eau dans l’analyse des problèmes d’accès à l’eau tient au lien factuel et implicite qui existe entre l’idée de pauvreté en eau et l’existence d’un logement. Ce lien d’interdépendance qui postule que le ménage est raccordé au réseau d’eau, de même que l’absence de contenu critique de ce concept vis-à-vis de la conception dominante de l’accès marchand à l’eau, ont pour conséquence de prolonger l’effet de compartimentation du raisonnement relatif à l’accès à l’eau.
61En effet, s’il est établi que la précarité énergétique est corrélée au logement, la corrélation entre le non-accès à l’eau et le sans-abrisme (absence totale de logement) est encore plus significative dans les sociétés occidentales28. Le calcul de la pauvreté en eau qui se fonde sur l’existence d’une facture d’eau exclut de fait les usagers non raccordés et non abonnés. Cette perception, dont la validité tenait à la généralisation de l’accès au logement et de l’accès à l’eau qui a suivi les Trente Glorieuses en France, a perdu de sa pertinence au xxie siècle. L’exclusion du logement induit de fait une exclusion de l’accès à l’eau et renvoie à une situation encore plus dramatique en termes de précarité sanitaire. Alors qu’en France, depuis avril 2013, l’accès à l’eau des ménages pauvres en eau est maintenu en raison de l’interdiction légale de coupure d’eau, ce principe réservé aux seuls ménages raccordés pose un problème de justice sociale pour les populations pauvres qui ne sont pas raccordées au réseau d’eau. Ce constat suggère la nécessité d’une vision élargie des problèmes sociaux de l’accès à l’eau et des nouveaux droits sociaux à attribuer, qui tienne compte d’une réflexion sur la dynamique de l’exclusion aux biens essentiels observée dans nos sociétés contemporaines.
62Le lien de complémentarité entre la catégorie analytique de pauvreté en eau et celle de précarité sanitaire pour décrire et comprendre la dynamique des problèmes d’exclusion aux biens essentiels est à construire. L’État social contemporain ne saurait concevoir la politique des droits aux services essentiels sans penser à leur nécessaire articulation comme le suggèrent Amartya Sen (2004) et Martha Nussbaum (2003) pour qui il devrait exister une liste de biens essentiels à la dignité des individus et à la restauration de leurs capacités citoyennes, à savoir au minimum un toit, de l’eau, de quoi se chauffer, de quoi manger.
63Aussi, ne pas tenir compte de l’écart grandissant entre les personnes raccordées à l’eau et non raccordées à l’eau dans les pays riches revient à penser les solutions de l’inclusion des personnes indépendamment de leur réalité sociale et de l’importance du besoin vital à satisfaire. Cela reviendrait également à placer les publics sans-abris en situation de non-droit du fait de l’absence de relation marchande qui les caractérise, par rapport au bénéfice de l’accès à l’eau. À cet égard, le besoin en eau à satisfaire pour les populations sans-abris a un caractère encore plus vital en raison de l’absence de logement qui matérialise le raccordement à l’eau dans nos sociétés modernes. La proposition de loi de septembre 2013 (dite loi Glavany) rejetée par le Sénat en février 2017, revendiquait une mise en œuvre effective du droit humain à l’eau et à l’assainissement en France et posait clairement le problème de l’accès à l’eau des sans-abri, constituant à cet égard une belle avancée29.
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Notes de bas de page
1 Au xixe siècle, le Royaume-Uni est aussi pionnier dans le domaine des politiques visant à offrir un accès à l’eau généralisé, voir le chapitre 5 dans le présent ouvrage.
2 Ces travaux de recherche empirique financés par les trois collectivités locales mentionnées et coordonnés par notre unité de recherche et la hiérarchie managériale des services d’eau respectifs, intervenaient dans le cadre de conventions locales d’accompagnement à l’expérimentation de la loi Brottes sur la période couvrant 2015 à 2017. Pour des raisons de confidentialité, l’identité des collectivités locales n’est pas révélée dans ce chapitre.
3 Nous n’intégrons pas dans notre analyse les problématiques de disponibilité de la ressource et de qualité de l’eau se référant à la notion « d’indice de pauvreté en eau », développée initialement par l’hydrologue suédoise Malin Falkenmark (1986) dans le contexte des pays du Sud. Pour plus de détails sur ce volet relatif aux problèmes de pénurie physique de la ressource en eau, voir les travaux d’Elias Salameh (2000) ou d’Eran Feitelson et Jonathan Chenoweth (2002).
4 Entre 1989 et 1994, le prix de l’eau a augmenté de plus de 66 % (National Consumer Council, 1994) et les coupures d’eau sur la même période passent de 8 426 ménages à 12 452 (Ofwat, 1993(d)). Statistiques tirées de l’article de Ruth Lister (1995).
5 Martin Fitch (1941-2006), militant des droits sociaux des travailleurs, fut de ceux qui inscrivirent la campagne de lutte contre la pauvreté en biens et services essentiels à l’agenda du politique en Angleterre et au Pays de Galles. Son engagement et ses travaux pionniers contre les coupures dans le secteur de l’énergie datent du début des années 1970. Il fut un ardent défenseur de la justice sociale dans les services essentiels et notamment dans le secteur de l’eau.
6 Les deux compagnies d’eau en question étant Severn Trent et Anglian Water.
7 Cette citation a été traduite par l’auteure de ce chapitre, comme toutes celles d’auteurs anglophones mentionnées dans le texte.
8 Dans leur enquête de terrain menée dans la région de Bruxelles-Capitale, Anne Delvaux et François Grevisse abordent ces questions corollaires qui font l’actualité des problèmes d’accès à l’eau des ménages pauvres en Belgique (voir le chapitre 10 dans cet ouvrage).
9 Dans le cadre de la politique européenne de protection et de préservation des ressources en eau, la législation européenne assigne des objectifs spécifiques aux services d’eau et notamment le principe du recouvrement au coût complet selon lequel l’ensemble des coûts du service (dont les coûts environnementaux) doivent être couverts par le prix payé par l’usager du service (article 9 de la directive-cadre européenne 2000/60/CE). Appliqué tel quel aux ménages pauvres, ce principe de recouvrement au coût complet rentre en contradiction avec l’idée de coût abordable des services essentiels à la vie établie par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. C’est précisément ce conflit de principes que relève Marie-José Schmitt (voir le chapitre 3 dans le présent ouvrage).
10 Martin Fitch est décédé en 2006.
11 Estimé en France à 40 m3 d’eau par an et par personne, soit l’équivalent de 110 litres/jour/personne.
12 Voir à ce sujet le chapitre 7 qui aborde cette question des normes sous l’angle de la prégnance des jugements en matière de « bons usages » de l’eau.
13 Le dispositif FiLoSoFi mis en œuvre par l’Insee est une base de données statistiques qui permet de disposer de données de niveaux de vie, d’inégalités et de pauvreté à un niveau local infra-départemental. Le revenu disponible d’un ménage retenu par l’Insee comprend les revenus d’activité (nets des cotisations sociales), les revenus du patrimoine, les transferts en provenance d'autres ménages et les prestations sociales (y compris les pensions de retraite et les indemnités de chômage), nets des impôts directs.
14 L’OCDE (2010) se base sur la tranche 3-5 % dans ses recommandations sur l’accessibilité des ménages aux services d’eau et d’assainissement.
15 Le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) proposait d’en faire une règle générale dans son rapport sur le développement humain de 2006.
16 Loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes, JORF n°0089 du 16 avril 2013.
17 Expérimentation qui a démarré en janvier 2015 et qui prend fin en avril 2021.
18 Proposition de loi n° 1375 visant à la mise en œuvre effective du droit humain à l’eau potable et à l’assainissement, acceptée par l’Assemblée nationale mais rejetée par le Sénat en février 2017 ; http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/propositions/pion1375.pdf.
19 Système d'information des services publics d’eau et d’assainissement (Sispea) ; http://www.services.eaufrance.fr/.
20 La collectivité A a également retenu le seuil de 2,5 %.
21 Sur ce point, voir les problèmes que pose sur un plan local l’identification de financeurs des mesures de lutte contre la précarité sanitaire résultant du non-accès à l’eau des personnes marginalisées dans le chapitre 4.
22 Les statistiques sur les difficultés de paiement des ménages pauvres sont mieux connues en Belgique et figurent dans les rapports d’activités des services publics d’eau. Ainsi, dans le chapitre 10, Anne Delvaux et François Grevisse font état de 28 000 cas de ménages concernés par un plan de paiement, et de plus d’un millier de coupures d’eau en 2018 sur la région de Bruxelles-Capitale.
23 Comité de pilotage constitué des représentants des différents acteurs impliqués dans la gouvernance de l’eau au niveau local (élus, directeurs du service de l’eau, structure ad hoc de soutien à la gouvernance de l’eau), de représentants des politiques sociales locales d’une part et d’une association d’accueil et de prise en charge sanitaire des sans-abris d’autre part.
24 Dans le cas de la collectivité B, à côté des estimations faites par le bureau d’études, nous avons effectué nos propres calculs et analyses de la pauvreté en eau grâce à un outil calculatoire conçu par notre équipe pour tester les effets de scénarios de tarifs d’eau sur un plan économique, social et environnemental.
25 La couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C), qui vise à faciliter l’accès aux soins, est accordée gratuitement aux personnes disposant de faibles ressources. Depuis 2019, elle a été remplacée par la complémentaire santé solidaire.
26 L’observation menée sur ces 3 collectivités nous amène à souligner l’influence du bureau d’études dans le processus décisionnel des acteurs. Dans les 3 cas, c’est le même bureau d’études qui est intervenu et c’est la formule de l’allocation eau qui a été promue.
27 Le monopole naturel auquel renvoient les secteurs de l’eau potable et de l’assainissement traduit la situation de lourds investissements exigés au départ du service mais à coût marginal faible, de telle sorte que le doublement des infrastructures pour desservir de manière concurrentielle les ménages d’un même territoire serait économiquement aberrant. Aussi, c’est le premier opérateur présent qui, de fait, dessert tous les usagers du territoire et domine sur le marché. Cette position dominante pouvant l’amener en l’absence de régulation, à en abuser en augmentant le prix du service à sa guise.
28 Comme le démontre Marie-José Schmitt dans le cas des populations Roms qui sont parmi les personnes les plus confrontées à cette problématique en Europe (chapitre 3).
29 Pour plus de détails sur cette proposition de projet de loi avortée, se reporter au chapitre 6 qui en expose les tenants et aboutissants.
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