La table de mortalité de Deparcieux et ses suites
p. 123-155
Texte intégral
Introduction : les techniques de présentation utilisées
1Comme le lecteur de l’Essai peut s’en rendre compte, le travail de Deparcieux déborde largement sa table de mortalité fondée sur les rentiers tontiniers. Deparcieux ne fabrique pas moins de cinq autres tables de mortalité relatives à des religieux et religieuses et, dans l’Addition, une table relative à des paroisses normandes. Il semble donc intéressant de faire ce qu’aurait certainement fait Deparcieux s’il en avait eu les moyens conceptuels et techniques : comparer la table des rentiers avec ces autres tables. On peut même aller plus loin et tenir compte, d’une part de la « descendance » de ladite table durant le xixe siècle et, d’autre part, des nombreux travaux effectués à l’Ined sur la mortalité française au xviie siècle1. Ces comparaisons systématiques utilisent deux outils.
• La courbe des quotients de mortalité en fonction de l’âge
2Cette courbe résume l’information apportée par une table de mortalité. Rappelons que le « quotient de mortalité » est le rapport du nombre de décédés durant une période de temps (1 an, 5 ans, 10 ans…) au nombre de vivants en début de période. Ce coefficient représente la probabilité de décéder durant la période à venir. Le mathématicien anglais Benjamin Gompertz (1779-1865) a proposé en 1825 « la loi de mortalité » qui porte son nom, dans laquelle le nombre de survivants à un âge donné suit une fonction exponentielle dont le quotient de mortalité est l’exposant. Il s’ensuit qu’une figure, dans laquelle les logarithmes des quotients figurent en ordonnée et l’âge correspondant en abscisse, fait apparaître une ligne droite (pour les âges adultes), appelée « fonction de Gompertz ». Une telle figure est devenue l’instrument usuel des démographes. La pente de la droite mesure le taux de vieillissement de la population mais, surtout, la courbe permet de visualiser la plus ou moins grande longévité de la population étudiée. Plus la courbe « bascule » vers la droite, plus les individus vivent longtemps.
• Second outil : les comparaisons « formelles » par des tests statistiques des tables de mortalité
3Il s’agit d’utiliser l’ensemble de l’information apportée par les tables – en l’occurrence le nombre de décédés à chaque âge – afin de savoir si deux tables correspondant à deux échantillons reflètent la mortalité de deux populations différentes ou bien, au contraire, d’une même population. Pour ce faire, il existe deux tests possibles.
4Le plus ancien et le plus connu est le test de χ2 . Ce test a été inventé au tout début du xxe siècle par un mathématicien statisticien anglais, Karl Pearson (1857-1936). Il est couramment utilisé pour savoir si une distribution donnée suit (ou non) une distribution théorique, par exemple, la loi normale. Ici, il est utilisé dans une variante un peu moins courante, la comparaison de deux distributions observées. L’intuition derrière ce test est simple : on mesure l’écart (écart symbolisé par la lettre grecque χ) de chaque distribution observée avec la distribution (« théorique ») qu’elle aurait suivie si elle était issue de la population constituée par les deux distributions réunies ; la somme de ces écarts élevée au carré (d’où le deux), afin de supprimer la compensation des écarts négatifs par les écarts positifs, est comparée au coefficient théorique de la loi du χ2 établie par Pearson, coefficient qui dépend du nombre de classes utilisées. Si le coefficient calculé est inférieur au coefficient théorique, on peut dire que les deux distributions observées proviennent d’une même population ; si le coefficient est supérieur, elles sont issues de deux populations différentes.
5Malgré sa popularité, utiliser ainsi le test du χ2 pose un problème dans la mesure où la robustesse de ses résultats est non symétrique. Si le χ2 rejette l’hypothèse de la provenance d’une même population, ce rejet est « statistiquement certain »2. Par contre, si le test accepte l’hypothèse inverse, c’est-à-dire l’identité de la population d’origine, il existe une certaine « incertitude » (non mesurable) sur ce résultat. En effet, on a démontré que le test du χ2 pouvait « accepter » l’hypothèse d’une même population d’origine dans le cas de deux distributions générées chacune par une loi différente – donc provenant de deux populations différentes ! Cela peut arriver si le hasard fait que les deux distributions observées sont très proches l’une de l’autre. C’est pourquoi certains statisticiens recommandent l’utilisation d’un autre test inventé par deux russes, le test de Kolmogorov-Smirnov3. Le principe ici est de mesurer l’écart maximum (en valeur absolue) des deux distributions cumulées. Cet écart, corrigé par l’importance des effectifs, est comparé au coefficient théorique de la loi de Kolmogorov-Smirnov (au seuil de 5 %)4.
6En conséquence, tous les tests de comparaison entre les tables de mortalité – au nombre supérieur à la centaine – ont été faits deux fois, une fois avec le χ2 et une fois avec le Kolmogorov-Smirnov : les résultats sont identiques, à quatre exceptions près. Et, sur les 77 comparaisons finalement utilisées, il n’y a que deux cas où les tests se contredisent. Dans ces conditions, les résultats de ces comparaisons sont présentés sur la base du test du χ2 auquel les auteurs sont habitués.
7À l’aide de ces deux outils – le graphique des tables et les résultats de ces tests formels – les comparaisons suivantes sont présentées en quatre sections : les tables sur les religieux ; les tables relatives à l’environnement de Deparcieux au xviiie siècle ; la table « concurrente » de Duvillard et, enfin, la succession de la table de Deparcieux.
I. – Les tables de mortalité de Deparcieux sur les religieux
8Deparcieux aurait pu arrêter ses recherches avec sa table de mortalité des tontiniers. Il n’en fait rien pour la raison suivante :
« On rencontre tous les jours des gens qui avec beaucoup d’esprit et de jugement, ne peuvent pas se persuader qu’il y ait quelque ressemblance entre les ordres de mortalité de plusieurs nombres de personnes différentes, ou que la mortalité des habitans d’un même endroit conserve quelque uniformité en des tems différens, ou bien en même temps et en différens quartiers d’une même Ville. Je rapporte ici cinq Tables de la mortalité réelle des Religieux et Religieuses de différens Ordres, qui feront voir ce qu’on doit penser de cette uniformité : j’avoue qu’elle a passé mon attente […]. Je veux seulement faire comparer entre eux les ordres de mortalité de plusieurs nombres de Religieux différens ; […] [on jugera] de la ressemblance qu’il doit y avoir entre les ordres de mortalité de plusieurs nombres de personnes différentes prises en un même lieu et en des tems différens, ou en même tems et dans une même Ville ou dans un même pays »5.
9L’argumentation avancée par Deparcieux paraît curieuse car elle est en contradiction flagrante avec sa compréhension que sa table des tontiniers n’est valable que pour un groupe social spécifique et son intuition que la mortalité dépend des niveaux et des styles de vie, il suffit de lire ce qu’il dit des nourrices…
10Quelle que soit sa motivation profonde (nous le créditerions plutôt du sentiment d’avoir trouvé une « niche » intellectuelle méritant d’être approfondie et développée), Deparcieux se retrouve devant le problème des observations de base : avoir une population fermée et stationnaire dont il puisse suivre la durée de vie depuis la naissance jusqu’au décès et qui soit d’une taille suffisante pour que les irrégularités annuelles se compensent. Il a l’idée totalement inédite de s’adresser aux couvents de religieux parce qu’ils tiennent un registre matricule des moines, indiquant l’âge du novice à sa profession de foi – c’est-à-dire au moment, non de son entrée au monastère, mais au moment de ses vœux – et sa date de décès.
Les sources religieuses de Deparcieux
11Au milieu du xviiie siècle, Paris est couvert de « maisons » de religieux ou de religieuses réguliers, composées d’abbayes, de monastères, mais aussi de modestes prieurés ne regroupant que quelques membres, de séminaires, de collèges, d’hôpitaux…6. En 1790, au moment de leur fermeture par la Constituante, on ne dénombre pas moins de 156 établissements de réguliers : 113 couvents, 9 hôpitaux et 34 séminaires et collèges7. À eux seuls, les ordres les plus importants représentent 24 familles religieuses réparties dans 38 couvents8.
12Deparcieux s’adresse d’abord aux « maisons-mères » des ordres les plus importants afin d’observer une population qui soit la plus grande possible9.
131. Les bénédictins de la congrégation de Saint-Maur ont pour siège l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés depuis 1633. Ils proviennent d’une réforme qui a renforcé la Règle qui se relâchait, et surtout, qui a remplacé le travail manuel par le travail intellectuel10.
142. On a pu dire de l’ordre de Saint Benoît que « c’était un tronc avec beaucoup de branches ». Aussi Deparcieux fait-il le tour des autres « branches » bénédictines, comme les bénédictins des Blancs-Manteaux, les bénédictins anglais (réfugiés en France à cause de Cromwell), les cisterciens…
153. Les « génovéfains » sont des chanoines réguliers, c’est-à-dire des prêtres, qui suivent la règle de Saint Augustin. Ils proviennent d’une réforme initiée en 1622 par le cardinal de La Rochefoucauld qui a réuni, de manière plus ou moins forcée, tous les groupements de chanoines réguliers sous la tutelle d’une maison-mère, l’abbaye Sainte-Geneviève. Ces moines ont une solide réputation intellectuelle grâce à une longue formation (7 ans de théologie, d’histoire et de mathématiques). Ils se consacrent à la recherche scientifique et à l’enseignement (dont l’actuel lycée Henri IV qui est installé clans les bâtiments de l’abbaye). Ce « monastère-université », selon la formule de Thomas Beckett, nous a légué sa bibliothèque forte de 112 000 volumes et 3000 manuscrits. Avant de disparaître avec la Révolution, il nous a également légué sa monumentale église, le Panthéon.
164. Mais ces grands ordres ne suffisent pas à Deparcieux qui court les rues de Paris pour collecter les données relatives à neuf autres congrégations d’hommes (dans dix monastères) et – ce qui est plus intéressant – dix-neuf congrégations de religieuses situées dans vingt-huit couvents (p. 76).
17Deparcieux ne s’est pas donné tout ce mal pour rien, car sa récolte statistique est fructueuse :
Bénédictins de Saint-Maur : | 1592 |
Autres bénédictins : | 2837 |
Génovéfains : | 1471 |
Divers religieux : | 2298 |
Total religieux : | 8198 |
Religieuses : | 1519 |
18soit un total général de 9717 observations, tout à fait comparable aux 9 261 tontiniers étudiés.
19Non seulement Deparcieux a de nombreuses observations – même s’il se plaint que certaines maisons lui aient dénié l’accès11 – mais elles sont de bonne qualité12 13, même si, dans certains cas, cette dernière pourrait, selon lui, être améliorée (p. 77).
La construction des tables d’expérience des religieux
20Le problème technique, pour Deparcieux, est d’avoir une « population » dont les individus sont tous décédés. Sinon, comme il l’explique clairement (p. 80), les résultats seraient biaisés par une surmortalité artificielle, soit des « vieux », soit des « jeunes » selon la composition de ladite population. Pour résoudre ce dilemme, Deparcieux utilise deux méthodes différentes.
21Pour les religieux de Saint-Maur, il applique une variante de la technique utilisée pour les tontiniers : il comptabilise la durée de vie de tous les moines qui ont « fait leur profession [de foi] entre 1607 et 1669 et dont le dernier est mort en 1745 »14 (p. 77-78). Il les regroupe en neuf « classes » en fonction de leur âge lors de la profession de foi (17 à 25 ans) puis il comptabilise les durées de vie des intéressés. En d’autres termes, chaque classe d’âges de profession est composée d’individus nés à des dates différentes.
22Plus inattendue est la technique employée pour les quatre autres congrégations, même si c’est celle utilisée par Halley. Deparcieux observe les religieux décédés entre 1685 et le « milieu » de 1745. Il calcule « à reculons » : de l’année de décès, il remonte à l’âge de la profession de foi qui sert à nouveau de critère de regroupement – en dix classes à cause d’une première classe pour les professions à 16 ans. Deparcieux ne donne aucune explication sur les raisons du choix de cette méthode qui est beaucoup moins évidente que la première. On ne peut pas conjecturer qu’il s’agisse de la solution à une disposition différente des données à saisir dans les nécrologes des autres congrégations car cela revient rigoureusement au même. Le tableau ci-dessous prouve que, avec quelques années d’écart, les deux méthodes analysent la longévité d’individus ayant vécu durant la même période historique. En faisant l’hypothèse que la profession de foi est faite à 25 ans au plus tard et en remarquant dans les tableaux fournis par Deparcieux (tableaux viii à xii) que la durée de vie maximale des religieux est de 95 ans et de 98 ans pour les religieuses, les périodes de naissance suivantes sont obtenues15.
Tableau 1. – Obtention des chiffres des tables relatives aux religieux
Technique de dépouillement | Déduction de l’année de naissance | Effectif observé |
Première méthode | Naissance entre 1582 et 1644 | 15192 |
Deuxième méthode | Naissance entre : | 6606 |
23À partir de ses cinq tables d’expérience (fournies au lecteur par les tableaux viii à xii), Deparcieux construit la table de mortalité pour chacun des ordres (ou groupes d’ordres) étudié et calcule leur espérance de vie tous les cinq ans. Comme il veut les comparer à la table des tontiniers, il commence à 20 ans et, surtout, choisit pour racine de ses tables de religieux le nombre de vivants (à 20 ans) de la table des rentiers (soit 814).
La curieuse longévité des religieux hommes
24La comparaison graphique de ces tables pose un problème de lisibilité : elles sont trop proches les unes des autres pour pouvoir être présentées sur une même figure. Heureusement, le test du χ2 nous dit que toutes les tables des religieux (hommes) sont issues d’une même population16. Il devient donc légitime de regrouper ces quatre tables en une seule. En conséquence, la figure 1 (p. 130) ne présente que deux courbes de mortalité, celle de l’ensemble des religieux hommes et celle des rentiers.
25Manifestement, ces deux groupes d’individus ne suivent pas la même loi de mortalité. En fait cette différence qui, a priori, n’étonne pas, possède une particularité tout a fait curieuse : les quotients de mortalité des religieux sont inférieurs à ceux des rentiers entre 20 et 35 ans.

Figure 1. – Deparcieux et la mortalité des religieux (Ensemble des religieux Hommes)
26Deparcieux s’est évidemment aperçu de cet étrange phénomène (cf. p. 83-85), mais il nous est possible d’aller plus loin que lui, en dépassant la seule comparaison avec les tontiniers et en observant la situation de la population « d’ensemble ». Pour ce faire, nous avons deux sources à notre disposition : la table de la population normande dont Deparcieux disposera quinze ans plus tard pour la rédaction de son Addition à l’Essai (table présentée plus loin) et la table de mortalité (définitive) des Français de 1740 à 1749 calculée par l’Ined (elle aussi présentée plus loin)17.
27En fait, cette sous-mortalité des religieux par rapport à celle de la population totale est non seulement très prononcée mais continue jusqu’à 60 ans, comme le prouve la comparaison des espérances de vie indiquées dans le tableau 2.
28En arrondissant les espérances, à 20 ans les religieux ont sept ans de plus que les paysans normands et quatre ans de plus que les Français dans leur ensemble ; à 40 ans, ils ont encore un avantage de presque trois ans et dix-huit mois respectivement ; à 60 ans, les espérances se rapprochent mais les religieux ont encore une avance de deux mois sur les Normands.
Tableau 2. – Espérances de vie comparées des religieux, des Normands et de la population masculine française de 1740-1749 (années et mois)

29Évidemment, cette sous-mortalité dure moins longtemps quand la comparaison est effectuée par rapport à la population triplement privilégiée (aisée, urbaine et qui prend soin d’elle) que forment les rentiers. Grâce aux moyens techniques modernes, il est possible d’agrandir la partie de la figure décrivant les quinze ans durant lesquels les décès sont plus nombreux parmi les rentiers que parmi les religieux (figure 2).
30Certes, chacune des tables est fondée sur un nombre relativement réduit d’observations (environ 200) et des variations accidentelles peuvent ne pas avoir été compensées. Cela étant, on s’aperçoit que de 20 à 30 ans la sous-mortalité est très nette pour les quatre ordres et qu’elle continue même jusqu’à 35 ans pour le groupe des bénédictins (autres que ceux de la congrégation de Saint-Maur et celui des « divers religieux »). En revanche, un phénomène de surmortalité par rapport aux rentiers analysés par Deparcieux apparaît à partir de 30 ans et ne fait que s’accentuer ensuite.

Figure 2. – Deparcieux et la mortalité des religieux (hommes) : agrandissement entre 20 et 45 ans
31Deparcieux explique cette évolution par deux raisons. Au départ, la sélection à l’entrée. Les couvents n’acceptent pas les novices en mauvaise santé : comme pour certaines assurances-vie, les impétrants passent une visite médicale. Et le noviciat sert ensuite à tester les corps autant que les vocations. La seconde raison entraîne la surmortalité à partir de 35 ans. Les conditions de vie sont trop dures : « les abstinences, les jeûnes forcés, le chant, les veilles, des austérités souvent outrées, et […] le manque de soins pour l’extérieur de leur corps » (p. 84). Ces arguments sont moins convaincants parce qu’ils peuvent expliquer la situation des religieux par rapport aux tontiniers, mais non par rapport aux Français de l’époque. Malgré son ascétisme, la régularité de la vie monastique est saine ; si l’alimentation est frugale, elle existe même en période de crise frumentaire car les monastères ont des réserves. De même, les Maisons sont partiellement à l’abri de la contagion des épidémies et les moines à l’abri des accidents car ils voyagent peu. Quant à leur hygiène corporelle, elle est certainement très inférieure à celle des rentiers mais supérieure à celle du Français « moyen » de l’époque. De toutes manières, les religieux sont soignés en cas de maladie, tout couvent possédant une infirmerie. Bref, il n’est pas certain que les conditions et le style de vie des religieux soient complètement défavorables par rapport à celles de la bourgeoisie – dont beaucoup provenaient18. La dernière raison avancée par Deparcieux est évidente : les religieux un peu plus âgés pourraient gagner en longévité « s’ils avoient dans les Couvents mille petites douceurs qu’ils n’ont pas, et que les gens du monde trouvent chez eux… » (p. 84).
La longévité des religieuses
32Décidément, les religieux recèlent des surprises : on pourrait penser que les religieuses auraient un comportement devant la mort très différent de celui des rentiers. D’une part, parce qu’il s’agit de femmes ; d’autre part, parce que ce sont des religieuses avec, parmi elles, des observations prises dans des ordres très ascétiques. Il n’en est rien, comme la figure 3 le montre et comme le test du χ2 le mesure19 : les tontiniers et les religieuses ont une même courbe de mortalité.

Figure 3. – Deparcieux et la mortalité des religieuses
33En conclusion, la satisfaction de Deparcieux devant ses résultats est inappropriée. Certes, il a démontré que les quatre ordres de religieux ont un « ordre de mortalité » identique. Mais ce qui importe est ce qu’il ne dit pas : qu’il existe des différences de mortalité selon les niveaux et les styles de vie.
II. – La table de Deparcieux dans son environnement français
34Un grand chantier de démographie historique dirigé par Louis Henry a mobilisé pendant vingt ans une équipe de chercheurs de l’Ined. Le résultat d’une telle entreprise – dont le succès n’était nullement assuré au départ – est prodigieux. Grâce à elle, nous avons maintenant une excellente connaissance à la fois de la longévité de l’ensemble des Français du xviiie siècle mais aussi de certaines catégories sociales. C’est donc à ces tables que la table de Deparcieux est maintenant comparée.
35En fait, il existe deux tables sur les Français du XVIIIe siècle : une table fournie par Deparcieux lui-même et la table de Henry et Blayo.
La longévité des Normands
36Deparcieux explique dans l’Addition à l’Essai (p. 20-23) qu’un « curé des frontières de la Normandie et du Perche » a dépouillé sur un siècle les registres des huit paroisses de l’endroit et a comptabilisé les durées de vie de 8172 personnes (malheureusement sans distinguer les sexes). Ce curé utilise la même méthode que Deparcieux pour les religieux : les décédés à chaque âge sont l’addition d’individus nés à des dates différentes20. Deparcieux est obligé de corriger ces chiffres car il s’aperçoit du problème posé par les déclarations approximatives de l’âge des décédés par leurs proches, ce qui entraîne un phénomène de nombres ronds aux « dixaines et demi-dixaines »21.
37La figure 4 présente quatre courbes de mortalité : celle des Normands, qui nous intéresse ici ; celle de Deparcieux et – en anticipant sur le paragraphe suivant – la mortalité « Hommes » et « Femmes » des Français entre 1740 et 1749.
38Si le lecteur permet cette expression empruntée au monde du sport, « il n’y a pas photo » ! Les courbes indiquent des mortalités totalement différentes. Évidemment, ce résultat est corroboré par les tests statistiques22 et se reflète dans des différences dramatiques d’espérance de vie.
Tableau 3. – Espérances de vie à différents âges (années et mois)


Figure 4. – Deparcieux et la mortalité du xviiie siècle : France entière et Normandie
39L’inégalité devant la mort entre ces paysans normands et ces bourgeois parisiens – en simplifiant – est criante : dix ans jusqu’à 20 ans, sept ans encore à 40 ans ; ce n’est que vers 60 ans que les espérances de vie commencent de se rejoindre mais la moyenne bourgeoisie a encore un avantage d’environ deux ans et demi ; et encore ces chiffres ne prennent-ils pas en compte la mortalité infantile (celle de la première année pour les Normands, celle des deux premières années pour Deparcieux).
40Les différences sont évidemment moindres entre ces paysans et l’ensemble de la population puisque les premiers en représentent 80 % ! Mais l’écart est néanmoins sensible : il est de plus de deux ans pendant toute leur durée de vie, avec, à 20 ans, une pointe de quatre ans.
41Pour terminer cet aspect des recherches de Deparcieux, soulignons que, au moment de sa mort, il allait commencer une grande étude : avec l’aide des évêques concernés, collecter sur seize ans les états des décédés de 162 paroisses des diverses régions de la France23 !
La longévité de la population française
42Louis Henry et Yves Blayo ont reconstitué la population française de 1740 à 186024. À partir de leurs tableaux de décès, ils ont calculé les tables de mortalité afférentes à chacune des décennies de cette période de cent-vingt ans – dont les années 1740 à 1749 qui nous intéressent ici25. On se référera ici à la figure 4 page précédente.
43Le premier étonnement est la remarquable similitude des deux courbes « hommes » et « femmes » – à l’exception du curieux décrochage des hommes à 60 ans (leur quotient de mortalité est 180 alors que celui des femmes est 160). Cette similitude est attestée par le test du χ2. Évidemment, les auteurs s’attendaient à une surmortalité féminine liée aux accouchements entre 20 et 45 ans mais cette dernière « n’apparaît pas clairement ». Les auteurs de conclure que, entre 20 et 34 ans, qui sont les âges où la fécondité est la plus élevée, « les risques courus par les hommes, à l’armée ou dans l’exercice de leur profession, étaient presque aussi importants que les risques de maternité »26.
44Sinon, l’enseignement de cette figure est clair : la longévité des rentiers tontiniers est bien supérieure à celle de la population française dans son ensemble à la même époque. Cela ne saurait surprendre pour toutes les raisons énumérées par Deparcieux lui-même.
La longévité différenciée des classes sociales au XVIIIe siècle
45Le lecteur a sans doute apprécié la remarque la plus savoureuse de Deparcieux concernant les souscripteurs de rentes tontinières :
« Ceux qui se font des Rentes viageres, ne sont pas pour l’ordinaire, ni les grands Seigneurs, ni les misérables, dont la santé est souvent ruinée dans un âge peu avancé ; aux uns par trop d’abondance de toute maniere, aux autres par trop d’indigence : ce sont les bons Bourgeois qui tiennent un honnête milieu entre toutes ces extrémités, qui se font des Rentes viageres ; et ce sont ceux-là qui deviennent ordinairement vieux » (p. 62).
46Il est possible de tenter un début de vérification de cette affirmation extrêmement tranchée. Pour ce faire, il existe deux études, l’une sur la noblesse de robe, l’autre sur les ducs et pairs.
La longévité des rentiers et de la noblesse de robe
47J. Ho a étudié la noblesse de robe parisienne27. L’auteur utilise les trois dictionnaires publiés par J.-F. Bluche sur les membres du Parlement de Paris (942 notices), sur ceux du Grand Conseil (533 notices) et sur ceux de la Cour des Monnaies (237 notices)28, soit un échantillon assez conséquent de 1712 personnes, dont la taille permet de distinguer les individus nés avant 1700 – ceux qui sont comparables aux tontiniers – de ceux qui sont nés après. Le résultat est donné dans la figure 5.

Figure 5. – mortalité des rentiers et de la noblesse de robe
48On n’a pas besoin du test pour voir que la mortalité des tontiniers et de la noblesse de robe est identique29. Cette ressemblance est tout de même étonnante. Certes, de nombreux Parlementaires ont souscrit aux deux emprunts tontiniers30 mais la population des rentiers est beaucoup plus mélangée. La noblesse de robe est beaucoup plus homogène en style et en niveau de vie. La similitude de longévité est frappante et corrobore une fois de plus l’affirmation de Deparcieux sur la « bonne santé » présente et anticipée des souscripteurs de tontines.
La longévité des rentiers et de la très haute noblesse
49Claude Lévy et Louis Henry ont analysé la longévité « des grands Seigneurs », en l’occurrence celle des plus grands, les ducs et pairs31. Ils étudient 59 familles comptant au moins un duc et pair parmi leurs membres et dont le mariage a eu lieu entre 1650 et 179932. Heureusement pour notre propos, ces 150 ans sont découpés en trois tranches de 50 ans, dont les années 1650-1699 qui correspondent approximativement à la période historique des tontiniers.
50Comparer la longévité des ducs et pairs pose un (petit) problème technique car les quotients de mortalité portent sur des périodes de dix ans et non de cinq ans. Il faut donc transformer les quotients quinquennaux de Deparcieux en quotients décennaux33. Le résultat est présenté dans la figure 6.

Figure 6. – Mortalité des rentiers et des ducs et pairs (quotients décennaux)
51Compte tenu de la faiblesse des effectifs, à côté de la courbe représentative de la génération 1650-1699, la courbe de l’ensemble de la période étudiée (1650-1799) figure aussi. Ce qui ne change rien aux résultats : sauf à 30 ans où les quotients sont très proches, la mortalité de cette très haute noblesse est dramatiquement plus forte ; et ceci est le cas à chaque âge ! Les deux auteurs ont, évidemment, remarqué cette différence et comparent l’espérance de vie à 20 ans des ducs et pairs (sur l’échantillon total) qui est de 34 ans à celle des rentiers pour qui elle est de 40 ans. Les auteurs jugent que la mortalité des ducs et pairs adultes « apparaît plutôt forte pour l’époque ; de plus, l’état sanitaire de ce milieu ne paraît pas faire de progrès au cours du xviiie siècle contrairement à ce qu’on a observé dans d’autres milieux socialement privilégiés »34. Comme la mort au combat aurait été signalée par les auteurs si elle était apparue de manière significative, il est vraisemblable que l’assertion de Deparcieux est fondée.
III. – La table « concurrente » de Duvillard
52Soixante ans après Deparcieux, une autre table de mortalité française est présentée par un certain Duvillard. Comme cette table sera, concurremment avec celle de Deparcieux, utilisée par les compagnies d’assurance durant tout le xixe siècle, elle mérite d’être présentée. Mais, auparavant, faisons brièvement connaissance avec son auteur.
Duvillard (1755-1832)
53Curieux personnage que Emmanuel-Etienne Duvillard dont la vie privée nous est totalement inconnue et dont la vie professionnelle est remplie de zones d’ombre35.
54Duvillard naît à Genève en 1755. À 17 ans, il vient à Paris et, de 1775 à 1776, il travaille au Contrôle général des finances sous Turgot. Après un retour à Genève où il réfléchit sur les emprunts et les rentes, il revient en France. À la Révolution, au sein du Club 89, il se lie et travaille avec Condorcet qui le nomme « calculateur en chef » au Trésor public, responsable des calculs concernant les biens nationaux et la dette publique. Il est chargé ensuite (en 1793) de la liquidation des rentes viagères. En l’an VIII, il est nommé député au Corps législatif, d’abord pour le Leman puis pour Paris. « Il est devenu un véritable expert financier […] mais au Corps Législatif il ne se conduit pas très bien, il veut ‘voter selon sa conscience’[…] et en l’an XI on ne renouvelle pas son mandat »36. Il obtient – avec peine – un modeste poste de sous-chef de bureau de la statistique au ministère de l’intérieur en novembre 1805. Il ne parvient pas à se faire élire à l’institut – dont il est correspondant depuis 1796 – ni à se faire nommer « Professeur de mathématiques sociales » au Collège de France, deux échecs qu’il attribue à Laplace « demeuré hostile à Condorcet et à ses doctrines et [qui] ne tolérait personne dans son domaine »37. Mis à la retraite en 1815, il se retire dans une petite propriété à Montmorency et meurt du choléra en 1832. Bref, une carrière ratée.
55Pourtant, Duvillard était sans conteste un grand esprit : « c’était un savant passionné par les calculs appliqués aux matières administratives et sociales »38.
56Suivons l’énumération par Guy Thuillier des principaux thèmes et thèses étudiés par Duvillard et qui ont des résonances très modernes :
l’utilité économique et sociale de la collecte de la petite épargne par des Caisses de prévoyance ;
la nécessité de fonder la statistique de la France sur un véritable travail scientifique signifiant la critique et le contrôle systématique des chiffres communiqués par les administrations ;
la nécessité d’un travail mathématique de type actuariel pour déterminer les retraites des fonctionnaires ainsi que tous les produits touchant à la prévoyance39.
57À quoi attribuer ce décalage entre la pertinence et la modernité des thèmes abordés et la sous-utilisation de ces grandes qualités intellectuelles ? Guy Thuillier y voit trois raisons40. D’une part, le fait que Duvillard s’était certainement fait des ennemis lors de la liquidation des rentes viagères et, surtout selon nous, son incapacité à se faire des amis ou des protecteurs. Curieusement, ceux qui l’ont fait travailler, Gaudin, Crétet, Mollien, n’ont pas soutenu ses demandes de poste. D’autre part, son caractère difficile (encore célèbre chez les actuaires d’aujourd’hui !) :
« Il a des formes rugueuses, le goût de la revendication, il parle toujours des services qu’il a rendus Il se croit toujours brimé, persécuté, méconnu, méprisé, on ne reconnaît pas assez ses mérites… »41. Enfin, sa grande idée, d’enseigner aux futurs administrateurs « l’arithmétique politique » n’était pas bien vue de la communauté scientifique ; appliquer les mathématiques à des matières administratives […] était considéré comme une discipline inférieure »42.
58Le rapport sur lequel le Collège de France se fonde pour lui refuser une chaire en 1814 est très clair : ses problèmes de mathématiques sociales relèvent du lycée ! À ces trois raisons, on peut, nous semble-t-il, en ajouter une quatrième : son complexe de persécution conduit Duvillard à ne pas publier ou bien, quand il publie, à être le plus succinct possible de peur que ses idées lui soient volées ou qu’il soit plagié. Comment s’étonner, dans ces conditions, qu’il n’apparaisse pas dans le chapire « xviiie siècle » des ouvrages d’histoire de la pensée ou de l’analyse économiques43.
La table de mortalité de Duvillard
59Heureusement pour sa notoriété, Duvillard a publié la table de mortalité qui porte son nom. Comme tous ses devanciers, il ne s’intéresse pas à la démographie en tant que telle. Son objectif est de montrer l’utilité de la vaccination contre la terrible maladie infantile de l’époque, la variole (appelée alors « petite-vérole »). Un certain docteur Jenner a démontré la possibilité d’immuniser, on devrait dire « mithridatiser », les enfants en leur inoculant la maladie atténuée. Duvillard s’enthousiasme pour cette idée et veut démontrer ses conséquences bénéfiques pour la population. Pour ce faire, dans un premier tableau, il montre la loi de mortalité avant l’introduction du vaccin. Ensuite, à l’aide de toute une série de tableaux, il montre l’effet de l’éradication de la variole sur la loi de mortalité et sur la population totale44.
60La table de Duvillard est la table de mortalité avant l’introduction du vaccin et sera republiée en 1808 dans l’Annuaire du bureau des longitudes.
61Ces deux textes sont très imprécis quant à la construction de ladite table, Duvillard se contentant de dire « qu’il a rassemblé les faits les plus authentiques qui ont été observés sur la mortalité en France et à Genève »45. Grâce aux recherches effectuées par un jeune chercheur belge sur les manuscrits déposés à la Bibliothèque nationale, les sources de Duvillard sont maintenant connues46.
62Contrairement à Deparcieux, Duvillard s’intéresse à la « population générale » et non à une population spécifique telle que celle des rentiers. Il collecte donc les tableaux de décès disponibles dans les travaux des « arithméticiens politiques » – en l’occurrence six tables d’expérience :
les 8712 décès normands publiés par Deparcieux, individus vivant entre 1660 et 176047 ;
7 099 décès survenus dans onze paroisses situées dans différentes provinces ;
5944 décès de huit paroisses de l’île de Ré (ces deux derniers groupes vivaient de 1675 à 1775 et les chiffres ont été publiés par Moheau) ;
10 805 décès et 13 189 décès provenant respectivement de douze paroisses de campagne et trois de Paris, les individus ayant vécu de 1650 à 1750 (chiffres publiés par Buffon et Dupré de Saint-Maur), soit un total de 45 749 Français ;
26 476 décès d’hommes et 29 317 décès de femmes habitant Genève, soit un total de 55 793 Genevois et un total général de 101 542 observations, sur la base desquelles il construit sa table selon la méthode de Halley.
63Le grand avantage de ces six tables d’expérience est de donner à Duvillard une population respectable de plus de 100000 individus. Néanmoins, plusieurs reproches peuvent lui être faits. D’abord, celui d’observer des individus vivant à des périodes différentes, ce reproche n’étant pas totalement pertinent. Il y a certes un risque de dérive, mais intrinsèque à la méthode des décès. Globalement, les 46 000 Français étudiés vivent dans le même temps historique, entre 1650 et 1770. Ensuite, et c’est plus ennuyeux sous l’angle théorique, il y a le fait que les populations étudiées ne sont nullement stationnaires mais au contraire en croissance. Enfin, sous l’angle pratique, plus de la moitié des observations concerne des Genevois. Si on admet – comme Duvillard le fait – que « la mortalité est différente pour chaque âge, pour chaque sexe ; et [que] le climat, les mœurs, le genre de vie, les professions, les habitudes influent sur la loi de mortalité et la diversifient »48, la table de Duvillard représente au moins autant la mortalité de la ville de Genève au xviiie siècle que celle de la population française49.
64L’importance historique de cette table de Duvilllard est telle qu’il faut s’arrêter sur ses sources.
Les sources françaises
65La figure 7 présente les cinq courbes de mortalité françaises. Aux deux extrémités, avant 10 ans (mortalité infantile) et après 60 ans (« vieillesse »), la mortalité est très proche, sinon identique. Mais il n’en est rien entre 10 et 60 ans : les différences sont criantes, les cinq courbes étant encadrées par les ruraux des 12 paroisses étudiées par Buffon dont la mortalité est nettement plus forte que celle des Normands de Deparcieux et par la courbe représentative des huit paroisses de l’île de Ré, étudiées par Moheau. Cette relative « sous-mortalité » des îliens est a priori inattendue ; est-ce le résultat d’une alimentation plus riche en protéines grâce au poisson et à l’isolement de maladies contagieuses ? Ces différences sont vérifiées par les tests du χ2 entre ces cinq séries de décès. Les dix tests croisés apportent tous la même réponse : les données recueillies correspondent à cinq régimes différents de mortalité. Pour nous, cette différence est un atout : Duvillard veut mesurer la mortalité des Français dans leur ensemble. Le seul moyen est d’avoir des séries d’échantillons représentatifs des divers régimes de mortalité qui existent en France. L’essentiel est que les échantillons soient bien « statistiquement » représentatifs. Compte tenu des sources disponibles à l’époque, le choix (forcé) de Duvillard est certainement acceptable, même s’il nous paraît loin de répondre aux critères actuels de représentativité.

Figure 7. – Mortalité des tables d’expérience française utilisées par Duvillard
66Ce qui pose problème est la présence de la moitié « étrangère » de l’échantillon. Le test du χ2 est à cet égard formel : l’ensemble des Français et l’ensemble des Genevois ne proviennent pas d’une même population.
Les sources genevoises
67La figure 8 présente les courbes de mortalité des Genevois et des Genevoises. De la naissance à 60 ans, la différenciation des sexes est forte et est validée par le χ2 : surmortalité (relative) masculine et sous-mortalité (relative) féminine.

Figure 8. – Mortalité des tables d’expérience genevoises utilisées par Duvillard

Figure 9. – Mortalité des tables d’expérience française et genevoise et table de Duvillard

Figure 10. – Les tables de Deparcieux et de Duvillard
La table de Duvillard
68La figure 9 (p. 145) présente la table finale et ses deux tables d’expérience regroupées, l’ensemble des Français et l’ensemble des Genevois50. Évidemment, la table de mortalité se retrouve « au milieu » des deux tables d’expérience. Elle donne même l’impression d’être « tirée » vers les Genevois entre 20 et 40 ans.
Les tables de Duvillard et de Deparcieux
69Il reste à comparer les deux tables, ce que fait la figure 10 (p. 145). Manifestement, il s’agit de deux populations différentes, population « totale » versus bourgeoisie rentière, qui n’ont nullement le même régime de mortalité. Ce qui est vérifié par un χ2 très élevé.
IV. – La difficile succession de la table de Deparcieux
70On sait que les compagnies d’assurance sur la vie sont créées sous la Restauration. Elles ont, évidemment, besoin de tables de mortalité mais elles n’ont pas le choix puisqu’il n’en existe que deux : celle de Deparcieux et celle de Duvillard. C’est ainsi que, malgré quelques réserves, le Conseil d’État homologue les statuts de la Compagnie d’assurances générales dont l’article 7 prévoit l’utilisation de la table de Duvillard. De même, des Ordonnances de 1820 autorisent cette compagnie à utiliser pour les rentes viagères la table de Deparcieux51. De manière inattendue, ces deux tables vont connaître une longévité exceptionnelle puisqu’elles seront utilisées jusqu’à la fin du xixe siècle !
71En fait, la situation de ces deux tables est radicalement différente.
72Devant la rapidité des décès selon la table de Duvillard, les compagnies d’assurance l’utilisent pour tarifer les contrats en cas de décès. Comme le niveau sanitaire et de vie s’améliore durant le xixe siècle – surtout sous le Second Empire avec les travaux d’adduction d’eau initiés par Haussmann dans Paris –, l’âge au décès s’élève, alors que les primes sont calculées sur des âges au décès plus jeunes. En conséquence, les compagnies réalisent des bénéfices « techniques » créés par l’utilisation d’une table surestimant le risque couvert.
73Mais c’est évidemment le phénomène inverse qui se produit pour la table de Deparcieux qui est utilisée pour tarifer les contrats en cas de vie, essentiellement les contrats de rentes viagères puisque c’est la méthode « classique » à l’époque pour financer la retraite.
74Pourtant, très vite, les compagnies s’aperçoivent du décalage qui existe entre la mortalité réelle des rentiers du xixe siècle et celle des tontiniers des xviie et xviiie siècles. On peut donc se demander pourquoi elles ne cherchent pas rapidement à élaborer une table plus pertinente. La raison – proposée par Guy Thuillier52 – est institutionnelle. Le ministère du Commerce a la tutelle des compagnies d’assurance et a « homologué » les tables de Deparcieux et de Duvillard. En conséquence, faire viser un nouveau contrat utilisant l’une de ces tables ne pose aucun problème. Alors que proposer un contrat fondé sur une autre table demande, au préalable, que cette nouvelle table soit « homologuée » à son tour, ce qui signifie un processus long et surtout aléatoire. C’est ce qui explique que les tables proposées par Demonferrand en 1838 ne soient guère utilisées.
75Les compagnies obvient à ce problème de plusieurs manières. Tout d’abord, seuls les contrats jusqu’à 57 ans sont fondés sur Deparcieux. Au-dessus, les contrats sont négociés de gré à gré, car les erreurs apparaissent à partir de 60 ans. Seconde manière, plus critiquable : selon Dormoy en 1880, les compagnies font homologuer leurs tarifs sur la base d’une de ces deux tables « en étant bien décidées à ne pas les appliquer »53 ! En 1878, un effort est fait, la table de Deparcieux est corrigée à l’aide des résultats fournis par l’expérience des trois compagnies (cf. ci-dessous)54.
76L’État, quant à lui, est plus « franc » mais cette franchise s’exerce aux dépens du contribuable. En 1849, l’Assemblée législative vote la création d’une Caisse de retraites pour la vieillesse, orientée vers la petite épargne, tout spécialement celle des ouvriers. L’idée est de réaliser dans le domaine des retraites l’équivalent des Caisses d’Epargne qui connaissent un grand succès populaire : il s’agit de capitaliser de petites sommes et, ensuite, de transformer le capital accumulé en rente viagère. Pour cette transformation, il est décidé d’utiliser la table de Deparcieux. Et vingt ans plus tard, en 1872, la décision est réitérée55. Mais, malgré des rapports officiels déclarant que « l’emploi raisonné de la table de Deparcieux prévenait l’État de tout préjudice », l’État est rapidement obligé d’intervenir et de combler le déficit de la Caisse nationale des retraites. Ce déficit se serait élevé entre 1875 et 1885 à plus de 40 millions de francs, sans compter 24 millions de pertes d’intérêt !56.
77Dans ces conditions, il est tout à fait étrange que les compagnies aient tant de mal à s’entendre et mettent tant de temps à mettre sur pied une commission travaillant « en coopérative ». Pourtant l’étranger montre l’exemple, à commencer par la patrie de l’assurance57. En Angleterre, dès 1843, dix-sept compagnies mettent en commun leur expérience pour faire dresser par l’Institute of Actuaries une table spécifique pour la tarification des contrats en cas de décès. En 1869, l’Institute établit la célèbre table « Hm » sur la base des observations réunies par vingt autres compagnies. En 1868, l’actuaire Finlaison construit une table à partir des rentiers viagers du Gouvernement anglais.
78À leur suite, en France, en 1876, six compagnies – les Assurances générales. l’Union, la Nationale, le Phénix, la Paternelle et l’Urbaine – décident d’établir une table de mortalité pour les rentiers viagers à partir de la mise en commun de leurs dossiers. La direction du chantier est confiée à l’actuaire des Assurances générales, M. de Kertanguy. Il est décidé de mettre sous forme de cartes à trous toutes les polices vendues depuis 1819 jusqu’au 31 décembre 1877. L’histoire se corse : l’insuffisance des moyens matériels dont dispose la Commission rend très long le travail de confection et de dépouillement des cartes qui n’est terminé qu’en 1887, soit dix ans plus tard.
79Comme la grande Exposition « centenaire » (1889) approche, la commission (réduite à quatre compagnies) décide d’y présenter une seconde table concernant les contrats en cas de décès à partir des polices souscrites entre 1819 et fin 1887. La pression psychologique de l’Exposition réussit là où « l’intérêt des compagnies » avait échoué : les deux tables des rentiers français (RF) et des assurés français (AF) sont présentées et reçoivent un Grand prix et quatre médailles d’or pour les actuaires responsables. Avant d’être publiée, la table RF est complétée par les observations portant sur les polices vendues de 1878 à 1889 et l’ajustement utilise la formule de Makeham. Enfin, ces deux tables sont publiées en avril 1892. Bref, il a fallu 17 ans pour fabriquer la table succédant à celle de Deparcieux ! Cette table des « Rentiers Français » est fondée sur 67 000 têtes et 36 000 décès.
80La figure 11 présente la table des « rentiers français » et celle de Deparcieux. Évidemment, la différence en 150 ans est énorme58. La mortalité infantile a été divisée par deux et toutes les classes d’âges, surtout entre 20 et 40 ans, voient croître leur espérance de vie. À partir de 60 ans, les courbes sont très proches « à l’œil ». Mais cela ne doit pas faire illusion. Quand il s’agit de tarifer des rentes, une petite variation peut avoir une forte influence financière. Ainsi, Kertanguy donne l’exemple suivant59 : la Caisse de retraite, utilisant la table de Deparcieux, a vendu 1000 rentes viagères de 500 francs annuels à 50 ans, sur la base de 797 survivants à 60 ans. En d’autres termes, elle s’attend à payer 398 000 francs. Mais l’expérience des Compagnies montre une mortalité moins forte. Il restera, en fait, 853 survivants à 60 ans, ce qui obligera la Caisse à verser 426 500 francs de rentes. Soit une perte « technique » pour la Caisse de retraite de 2 800 francs, à ajouter aux autres pertes antérieures…

Figure 11. – Deparcieux et la mortalité à la fin du xixe siècle
Conclusion : un siècle pour rattraper la mortalité des tontiniers du XVIIIe siècle
81En conclusion de cette analyse, un fait mérite notre attention : combien de temps a-t-il fallu pour que la mortalité de l’ensemble des Français soit celle d’une classe semi-privilégiée de la moitié du xviiie siècle ?

Figure 12. – Deparcieux et la mortalité française de 1820-1829
82La figure 12 prouve qu’il a fallu un siècle pour que la mortalité de l’ensemble de la population française corresponde à celle des rentiers du début du xviiie siècle.
83La France entière est représentée par les courbes de Henry et Blayo déjà rencontrées. Après avoir essayé les courbes de différentes périodes, la similitude la plus frappante est obtenue avec ces courbes représentatives pour 1820-1829. Cette similitude est attestée par les tests du χ2 qui ne détectent pas de différence entre ces trois tables de mortalité60. Une exception inattendue mérite d’être notée : le quotient de mortalité à 5 ans en 1820-1829 pour l’ensemble des Français est trois fois plus élevé que pour les enfants des tontiniers. Inversement la mortalité des rentiers est un peu plus forte de 10 à 40 ans. Ensuite les trois courbes sont presque confondues, avec un léger avantage aux rentiers du xviiie siècle de 60 à 90 ans. Nous avons ici un exemple étonnant du fait que l’accroissement de la durée de vie est un phénomène de très long terme qui dépend certes des progrès des sciences, mais tout autant des habitudes, des mœurs, de l’attitude vis-à-vis de la maladie et de la mort : bref de l’attitude vis-à-vis de la vie.
Annexe
Annexe I. Résumé des tests du χ2 effectués
Cinq remarques techniques :
• Le test s’effectue sur les données regroupées en classes, celles-ci pouvant être d’amplitude inégale ; il faut toutefois que ces classes contiennent un nombre minimum d’observations, ce qui oblige parfois à des regroupements.
• Le coefficient théorique dépend du nombre de classes qui détermine ce que l’on appelle les degrés de liberté (ddl).
• Ce test ne demande pas de comparer des effectifs de même taille (avantage technique).
• Ce test ne demande pas d’hypothèses spécifiques quant à la nature des lois qui gouvernent les deux échantillons.
• La réponse à la question « populations identiques ou bien différentes » appartient au domaine des lois de probabilité ; un niveau de 5 % de chances de se tromper (c’est-à-dire que la « vraie » réponse serait « l’autre ») est systématiquement adopté.
(Voir tableaux 3, 4, 5 et 6 pages suivantes.)
Tableau 3. – Résumé des tests du χ2 sur les ordres religieux cités par Deparcieux

Tableau 4. – Tests du χ2 concernant Deparcieux dans son environnement français

Tableau 5.– Tests du χ2 concernant Duvillard

Tableau 6. – Tests du χ2 relatifs à la succession de Deparcieux

Annexe II. Résumé des tests de Kolmogorov-Smirnov qui contredisent les tests du χ2
Remarques techniques
1. Les données de base sont les classes d’âges et leurs effectifs.
2. Les calculs sont très simples. On calcule la « fréquence » de chaque classe et on cumule ces fréquences afin d’obtenir « la fonction de répartition » des distributions observées. On calcule ensuite l’écart en valeur absolue de la fonction de répartition pour chacune des classes.
3. Le test compare (comme pour le χ2) le coefficient K-S observé, qui est l’écart le plus grand (corrigé par une formule qui tient compte des effectifs totaux pris en compte) avec le coefficient K-S théorique.
4. Ce coefficient K-S théorique ne dépend que du risque de se tromper en acceptant le « rejet » alors qu’il faudrait accepter l’hypothèse d’une provenance identique. À 5 %, ce K-Sth = 1,36.
Tableau 7. – Comparaison des deux tests
Table versus | Table | K-S à 5 % | X2 |
1. Tontiniers | Divers religieux | 1,338 vs 1,36 ACCEPTATION | 27,8 vs 23.-1 REJET |
2. Normands | France 1740-49 H | 1,696 vs 1,36 REJET | 26,27 vs 27,59 ACCEPTATION |
Commentaires
1. Le test du χ2 est « robuste » dans le cas du rejet. Il n’y a donc pas de raison de ne pas l’accepter, d’autant plus que cela correspond à la logique.
2. Ce cas est plus complexe. Le χ2 « accepte » la même origine mais c’est le cas où sa réponse n’est pas « robuste ». C’est la situation où le K-S lui est théoriquement supérieur et c’est donc le résultat de ce dernier qu’il faut adopter.
Notes de bas de page
1 Cette comparaison ne prend pas en compte les tables étrangères citées par Deparcieux, ces dernières étant bien connues grâce aux travaux de J. Dupâquier (cf. Histoire de la démographie, Perrin, Paris, 1985, 462 p. ; cf. aussi ses articles spécifiques dans Population ou dans Annales de Démographie Historique).
2 Sous réserve du risque – pour nous de 5 % – que ce « rejet » soit erroné.
3 Un grand merci à notre collègue Nicolas Zamfirescu qui a attiré notre attention sur ce problème du χ2 et sur le test de Kolmogorov-Smirnov.
4 Cf. Siegel, Non parametric statistics for the behavioral sciences. Mc Grawhill, London, 1956, 312 p. [cf. les p. 127-136 et la table M. (p. 279)]. Medelis Ray : Statistical Handbook for Non-Statisticians, Mc Grawhill, London, 1975, 162 p. (cf. p. 86-87).
5 Op. cit., p. 74-75.
6 Cf. le plan de Paris avec l’indication des principaux couvents, in : B. Plongeron, Les réguliers de Paris devant le serment constitutionnel, 448 p., J. Vrin, Paris, 1964, [Thèse de doctorat].
7 Chiffres compilés à partir de l’annexe II de P. Pisani, L’Église de Paris et la Révolution. A. Picard & fils, Paris, 1909 [Tome I, p. 310-323], Cette annexe donne le relevé topographique de ces établissements et précise leur devenir jusqu’à nos jours.
8 Ibid., p. 23 et p. 249-251.
9 Les renseignements qui suivent sont empruntés à Agnès Gerhards, Dictionnaire historique des ordres religieux, Fayard, 1998, 622 p.
10 Ils jouent un rôle important dans le développement de l’histoire, de la philosophie positive et de l’érudition (cf. « travail de bénédictin »). Ils publient des éditions critiques et, en 1681, Dom Jean Mabillon pose les règles de la critique des documents dans De Re Diplomatica. Leur suppression donnera à la Bibliothèque nationale 49387 volumes imprimés (le catalogue faisant 12 volumes) et 7072 manuscrits (Abbé J.-B. Vanel, cf. infra).
11 Sa remarque laisse penser qu’il a contacté toutes les congrégations parisiennes !
12 Cf. l’article de H. Le Bras et D. Dinet, « Mortalité des laïcs et mortalité des religieux : les bénédictins de Saint-Maur aux xviie et xviiie siècles », Population, 1980, 347- 384]. Ces auteurs mettent leurs pas dans ceux de Deparcieux, ré-exploitant les nécrologes des bénédictins de Saint-Maur sur la même période que lui, et la continuant jusqu’en 1789, soit 8700 observations. Ils montrent (p. 349-351) la qualité des informations contenues et recueillies. Comme les raisons de cette qualité sont également valables pour les autres congrégations, il n’y a pas de raison de penser que leurs matricules sont de moins bonne qualité.
13 À titre d’exemple, cf. abbé J.B. Vanel, Nécrologe des religieux de la congrégation de Saint-Maur décédés à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, Champion, Paris, 1896.
Il s’agit de l’édition d’un manuscrit de la Bibliothèque nationale comprenant 266 notices biographiques. Elles sont en ordre chronologique, la première du 28 mai 1632 et la dernière du 18 mai 1792. Ce nécrologe est exhaustif : la vie du plus grand intellectuel (Dom Mabillon par exemple) ou du plus effacé des clercs est décrite.
14 Ces tables de religieux ont donc été construites à l’extrême fin de la rédaction de l’ouvrage puisque, fin juillet 1745, les deux rapporteurs (Nicole et Buffon) nommés par l’Académie royale des sciences avaient déjà fait leurs rapports.
15 Ce résultat nous rappelle une évidence : afin d’avoir des vies « entières », de la naissance au décès, il faut analyser une période d’un siècle !
16 Voir la 2e « partie » du tableau 1 en annexe.
17 Les auteurs précités, H. Le Bras et D. Dinet, ont également remarqué ce phénomène. Ils comparent leur table de tous les bénédictins à celle des Français (France H 1740- 49) ainsi qu’à celle de Halley (cf. leur graphique 11). Curieusement, ils font porter l’essentiel de leur comparaison sur la table de Halley alors qu’il semble plus pertinent de s’intéresser aux tables françaises relatives à la même époque.
18 Nous renvoyons le lecteur à l’analyse de H. Le Bras et D). Dinet (loc. cit. p. 371- 374) des raisons de l’évolution (sous- puis surmortalité) de la mortalité des Bénédictins, à laquelle plusieurs arguments ci-dessus ont été empruntés.
19 Le X2 indique une très forte identité avec les tontiniers et une forte différence avec France Femmes 1740-49 (cf. l’annexe chiffrée).
20 Le lecteur peut admirer la clarté de Deparcieux quand il explique – pour faire naître des vocations – la procédure utilisée (cf. p. 21).
21 Ibid. p. 22 ; même clarté pour la méthode de correction par « les différences » (p. 23).
22 La comparaison entre les Normands et les Français (H) 1740-49 est un des deux cas où les deux tests se contredisent. Le X2 conclut à l’acceptation et le Kolmogorov-Smirnov au rejet. Comme l’« acceptation » par le X2 est « incertaine », il faut adopter le résultat du K.S. Ce qui signifie que la population « normande » étudiée devait être uniquement paysanne, et donc « différente » de la « population totale ».
23 Deparcieux l’annonce dans une lettre à Wargentin [dans H. Westergaard, Contributions to the History of Statistics, Londres, 1932, p. 62]. Cité par M. Ptouka, 1938, loc. cit.
24 Dans « La population de la France de 1740 à 1860 », Population, n° spécial, 1975.
25 Dans « La mortalité en France de 1740 à 1829 », ibid., p. 123-141.
26 Sur ce problème de l’existence ou non d’une surmortalité féminine, voir l’article de L. Henry : « Mortalité des hommes et des femmes dans le passé ». Annales de Démographie historique, 1987, p. 87-118.
27 J. Ho, « La mortalité de la noblesse de robe à Paris aux xviie et xviiie siècles ». Population, 1970, p. 637-641.
28 L’auteur fait évidemment attention aux double-emplois, c’est-à-dire aux cumuls de charges. En ce cas, la date la plus ancienne sert d’entrée en observation. Les chiffres ci-dessus sont nets des cumuls. L’auteur ne précise pas la taille du sous-échantillon « avant 1700 ».
29 Le test du X2 confirme le coup d’œil.
30 Les Parlementaires représentent 9 % des souscripteurs des 6e et 14e classes de l’emprunt de 1689. Mais la répartition par activité est sujette à caution (statistiquement parlant) à cause d’un sondage trop petit. Cf. tableau 2 dans le chapitre précédent « Aux sources… ».
31 Dans « Ducs et pairs sous l’ancien régime, caractéristiques démographiques d’une caste », Population, 1960, n° 104, p. 807-830.
32 Par la nature de l’échantillon choisi, les observations sont peu nombreuses : 170 individus. Par contre, les dates pertinentes sont connues avec précision.
33 Les quotients des ducs commencent à 20 ans.
34 Loc. cit. p. 821. Les auteurs font référence à des familles régnantes, aux familles ducales anglaises et à la bourgeoisie de Genève dont les espérances de vie (arrondies) sont – à 43 ans et pour la période 1650-1699 – respectivement de 35 ans, de 33 ans (1680- 1779) et de 40 ans et demi. À l’exception des Genevois (des bourgeois !), ces espérances sont toutes nettement inférieures à celles des tontiniers.
35 Nous renvoyons le lecteur intéressé à l’introduction (p. 1-24) de G. Thuillier, « Le premier actuaire de France : Duvillard, 1755-18321 », Comité d’Histoire de la Sécurité Sociale, Paris 1997, 528 p.
Voir aussi : G. Thuillier, « Tables de mortalité et compagnies d’assurance au xixe siècle », Etudes & Document, V, cheff, 1993, p. 137-153.
36 G . Thuillier, op. cit., p. 11.
37 Ibid. p. 15.
38 Ibid. p. 20.
39 Ibid. p. 20-21.
40 Ibid. p. 21-23.
41 Ibid., p. 22.
42 Ibid. p. 22.
43 D’où l’intérêt de l’ouvrage précité de G. Thuillier. À partir du fonds « Duvillard » disponible au Département des manuscrits de la Bibliothèque nationale, cet auteur a sélectionné les textes (rapports, lettres…) les plus intéressants de Duvillard, qui sont ainsi publiés pour la première fois. À une exception notable : les textes concernant la table de mortalité n’y figurent pas (cf. infra).
44 E.E. Duvillard, « Analyse et Tableaux de l’influence de la Petite-vérole sur la mortalité à chaque âge et de celle d’un préservatif, tel que le Vaccin, peut avoir sur la population et la longévité », 1806, 210 p.
45 « Notice des travaux de M. Duvillard » par l’Académie des sciences, cité par W. Jonckheere (cf. infra), p. 866.
46 W. Jonckheere, « La table de mortalité de Duvillard », Population, 1965, p. 865-874.
47 Sa lecture de la table d’expérience « normande » (non la table « ajustée ») de Deparcieux est erronée : la table débute à un an et les 2098 décès qu’il attribue aux « ans 0-1 » correspondent en fait aux « ans 1-2 ». Ses classes sont imprécises. Il faut lire « 2 à 10 », « 11 à 20 », « 21 à 30 » et ainsi de suite.
48 Dans Jonckheere, loc. cit., p. 869.
49 Ce qui est confirmé par le test du X2 : les deux sous-échantillons d’ensemble, les Français versus les Genevois ne proviennent pas d’une même population.
50 Voir R. de Kertanguy, « La table de mortalité de Deparcieux et les tarifs de rentes viagères de la Caisse de la Vieillesse », Journal des Actualités Françaises, 1876, p. 229-267.
51 Cf. G. Thuillier, « Tables de mortalité… », loc. cit., p. 138-139.
52 Loc. cit., p. 146.
53 Dormoy, Journal des actuaires, 1880 (p. 64) cité par G. Thuillier, loc. cit., p. 146.
54 In G. Hamon, Histoire générale de l’Assurance en France et à l’étranger. L’assurance moderne éditeur, Paris, 1896 (cf. p. 560).
55 Cf. R. de Kertanguy, « La table de mortalité de Deparcieux et les tarifs de rentes viagères de la Caisse de la Vieillesse », Journal des actualités françaises, 1876, p. 229-267.
56 Estimation de P. Librez, La caisse nationale des retraites pour la vieillesse, thèse de droit, 1906, p. 52, citée par G. Thuillier, loc. cit., p. 146.
57 Nous suivons ici G. Hamon (op. cit.) p. 561-562.
58 Les tests du χ2 sont formels.
59 Loc. cit., p. 254. Rappelons qu’il critique la mauvaise tarification de la Caisse de retraite.
60 Rappelons que les tests se font sur les décès à chaque âge de la table (et non sur les quotients de mortalité).
Auteurs
Professeur à l’Université d’Orléans, Directeur adjoint du Laboratoire d’économie d’Orléans (LÉO), Professeur associé à l’Université libre de Bruxelles (École de commerce Solvay).
Maître de conférences à l’Université d’Orléans, chercheur au Laboratoire d’économie d’Orléans (léo).
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