Aux sources de Deparcieux : les deux premiers emprunts tontiniers de 1689 et 1696
p. 105-122
Texte intégral
1Construire une table de mortalité longitudinale n’est pas difficile dans son principe : il faut une population « fermée » (c’est-à-dire sans émigration ni immigration) et « stationnaire » (dans laquelle les naissances sont égales aux décès) ; en posséder un échantillon représentatif et suivre la vie de chaque membre de l’échantillon afin de connaître son âge à son décès.
2Le problème est d’avoir cet échantillon d’individus à étudier. Et c’est ici que se trouve la trouvaille de Deparcieux grâce à laquelle il est passé à la postérité, à la fois pour la théorie – dans l’histoire des sciences – et pour la pratique puisque sa table sera utilisée par les compagnies d’assurances françaises pendant près d’un siècle. Il a eu l’idée d’utiliser les informations apportées par les premiers emprunts tontiniers, appelés « tontines », émis en France sous Louis XIV.
3Antoine Deparcieux présente ses résultats dans une partie de son ouvrage dont le titre – Essai sur les probabilités de la durée de la vie humaine – est homonyme de l’ouvrage lui-même. Le texte est découpé, avec plus de deux cents ans d’avance, comme une thèse de doctorat actuel. En introduction, le « panorama » critique les travaux antérieurs ; puis les sources et la méthode utilisée ; enfin les résultats obtenus et leur analyse critique ; en annexe les tableaux de données et de calculs ainsi que – mais aujourd’hui il serait dans le texte – le tableau de résultats, le tableau XIII, où figure la table de mortalité de Deparcieux encadrée, à gauche, par deux tables anglaises et une table hollandaise et, à droite, par les tables obtenues à partir de données relatives à des religieux et religieuses.
4La première originalité de Deparcieux est d’utiliser des données individuelles non sur des rentiers « viagers » mais sur des rentiers « tontiniers ». L’idée de travailler sur des rentiers viagers est dans l’air puisque, quasiment en même temps, deux travaux hollandais l’utilisent1. Au lieu de s’intéresser aux rentiers viagers purs, qui existent en France depuis 1693, il s’intéresse aux rentes viagères en « tontines ».
5Présentons ce que sont ces rentes viagères en « tontines », et en quoi elles sont une source remarquablement adaptée au problème de Deparcieux.
I. – L’organisation d’un emprunt tontinier
Définition
6Un emprunt tontinier2 est une émission de rentes viagères par l’État, les souscripteurs étant regroupés en classes d’âges, avec réversion totale ou partielle des arrérages annuels des décédés sur la tête des survivants à l’intérieur de chaque classe. C’est-à-dire que les arrérages des décédés sont répartis entre les survivants de la classe – « les accroissements »– jusqu’au décès du dernier souscripteur de chaque classe, qui éteint la dette de l’État (vis-à-vis de cette classe)3.
7Il s’agit donc d’une variante de la rente viagère. Contrairement au cas d’une rente viagère « pure » dans lequel l’État n’a plus à verser les arrérages promis à partir du décès du souscripteur, dans une tontine, il est obligé de verser jusqu’à l’extinction totale de la classe. Pour le souscripteur, l’emprunt tontinier s’apparente à une loterie dans laquelle les « petits lots » sont représentés par les accroissements annuels et le « gros lot » par le fait d’être le dernier survivant de sa classe d’âges puisque « le dernier vivant de chaque classe reçoit seul le revenu entier du capital des Rentes de sa classe » (Préambule de l’édit de l’emprunt de 1689). La caractéristique de cette loterie est d’avoir un aléa fondé sur la durée de la vie humaine. En fait le souscripteur court deux aléas, celui de la durée de vie de ses co-souscripteurs qui détermine le montant des « accroissements » annuels et sa propre durée de vie qui détermine le nombre d’années durant lesquelles il bénéficie des « accroissements » et qui conditionne la rentabilité effective de son placement. Ce second aléa conditionne également la perception du « gros lot ».
La double caractéristique d’un emprunt tontinier
8Dix emprunts tontiniers sont émis en France entre 1689 et 1759. Pour sa collecte de données, Deparcieux a à sa disposition les cinq premiers emprunts tontiniers, ceux de 1689, 1696, 1709, 1733 et 17344. il serait amusant de savoir s’il a souscrit lui-même ! Malheureusement, les Listes de Rentiers nominatives ont disparu à l’heureuse exception de celles des deux premiers emprunts.
9Mais comme il l’explique (p. 47-49), il a été obligé de se limiter essentiellement aux deux premiers emprunts, ceux de 1689 et de 1696. En effet, l’émission de l’emprunt de 1709 – comme nous le verrons – a duré cinq ans (!), ce qui empêche de déterminer l’âge réel des souscripteurs. Quant à l’emprunt de 1733, il est inutilisable parce que les classes d’âges ne sont plus de cinq mais de dix ans. Deparcieux utilise par contre la tontine de 1734 qui ne lui fournit que huit années de données mais qui lui permet de suppléer partiellement aux données qui lui manquent, les quatorze premières années des deux dernières classes d’âges du premier emprunt.
10Cette limitation aux deux premiers emprunts nous facilite la tâche parce que leur double nature (à la fois rente viagère et tontine) est quasiment la même.
Les caractéristiques d’une rente viagère
11Ce sont les classes d’âges et des taux d’arrérages croissants.
12Les souscripteurs sont répartis par classes d’âges afin d’égaliser les chances : « Et pour établir un ordre plus naturel et juste parmi ceux qui viendront prendre et lever lesdites rentes » (art. 4)5. En 1689, il y a quatorze classes d’âges allant de cinq en cinq ans. La première classe regroupe les enfants « jusqu’à l’âge de cinq ans accomplis », la seconde de cinq à dix ans, et ainsi de suite jusqu’à « la quatorzième et dernière Classe, de soixante-cinq ans jusqu’à soixante-dix ans et au-dessus ». En 1696, il y en a une quinzième : la quatorzième classe regroupe les rentiers de soixante-cinq à soixante-dix ans et la quinzième les rentiers de plus de 70 ans.
13Ce regroupement en classes d’âges de cinq ans explique l’obligation dans laquelle se trouve Deparcieux de déterminer un « centre de classe » (cf. Essai, p. 44 et 45). En effet, il ignore la date de naissance des rentiers. Évidemment cette date figure, sous la forme de la date de baptême, dans le contrat de constitution (c’est-à-dire de souscription) passé chez le notaire par l’épargnant. Mais cette date, curieusement, n’est pas indiquée dans la « Liste des Rentiers à vie » (cf. infra) qui donne l’adresse et la profession. En conséquence, Deparcieux n’a aucun moyen de connaître cette donnée cruciale pour son propos. Il est obligé de décider des centres de classe et son raisonnement est tout à fait moderne et judicieux car fondé sur l’aléa moral de ce type d’emprunt (cf. ses pages 44 sq.).
14La seconde modalité de l’émission d’une rente viagere – l’augmentation du taux d’arrérage annuel avec la classe d’âges – est sans intérêt pour le calcul de la durée effective de vie que veut faire Deparcieux.
Les caractéristiques d’une tontine
15Comme tout emprunt public, l’Hôtel de Ville de Paris est le maître d’œuvre du service de la dette. Mais ce nouveau type d’emprunt pose un problème inédit, celui de la nécessité de connaître les décès et de calculer les accroissements revenant aux survivants de chaque classe. Il faut remarquer que l’État émetteur n’a aucune raison de se préoccuper de ces accroissements : il doit verser la totalité des arrérages à chacune des classes tant qu’il y a un survivant ! Le problème des accroissements est un problème strictement interne au groupe des souscripteurs.
16La solution adoptée est, en fait, l’application au cas d’espèce de la méthode habituelle à l’époque : l’auto-organisation des intéressés qui créent un « corps intermédiaire », souvent composé de « titulaires d’office » qui versent des « gages » à l’État et reçoivent en contrepartie un intérêt annuel.
Les syndics
17Dans le cas de l’emprunt tontinier, cette auto-organisation prend la forme suivante (art. 12). Le Prévôt des Marchands choisit dans chacune des classes « trente des plus notables et qualifiés desdits rentiers », ou des pères ou tuteurs des mineurs constituant les cinq premières classes. Ces notables se réunissent à l’Hôtel de Ville de Paris pour élire un Syndic Honoraire « le plus qualifié de ladite Classe » et un Syndic Onéraire, « le plus capable d’agir et de veiller aux intérêts de la Classe » (art. 2). Ces syndics onéraires doivent avoir acquis au moins dix titres, c’est-à-dire avoir investi au minimum 30 000 livres. Cette formule est très logique puisqu’elle assure la convergence des intérêts du syndic onéraire avec ceux de ses co-rentiers. Ce travail à temps partiel est très convenablement rémunéré : 1500 livres de salaire annuel par classe, payées par l’État.
18En pratique, tant pour l’emprunt de 1689 que pour celui de 1696, le choix des « trente notables » est extrêmement limité parce que les souscriptions égales ou supérieures à 3 000 livres sont très peu nombreuses et, parmi celles-ci, un certain nombre de détenteurs devaient être inéligibles de facto (par exemple les femmes, les prêtres, les militaires, les provinciaux…). Ce qui doit expliquer qu’au lieu de quatorze (ou de quinze en 1696) syndics onéraires, seulement trois sont élus : un pour les classes des mineurs (un à cinq) plus la sienne (sixième classe) ; un pour les classes sept à dix et un pour les dernières classes.
La fonction de syndic onéraire
19Il y a intérêt à ce que le syndic onéraire soit « le plus capable », car son rôle est crucial ! En fait, tout le système repose sur lui. C’est lui qui tient le registre nominatif des souscripteurs de la classe indiquant, entre autres, la date du contrat de constitution et l’enregistrement de la quittance de la souscription. Il dresse la liste datée du versement des arrérages (art. 13). C’est lui qui reçoit les plaintes des rentiers (art. 14). Et surtout, c’est lui qui calcule les accroissements annuels consécutifs aux décès de l’année précédente, qui les ordonnance et qui contrôle leur paiement effectué par le Payeur de l’Hôtel de Ville assigné à sa classe.
20En ce qui concerne Deparcieux, la fonction du syndic est triple.
1) La liste des souscripteurs
21À la clôture de la souscription, le syndic onéraire dresse la liste nominative des membres de la classe (par ordre alphabétique du prénom !), qualité et adresse. Curieusement, comme cela a déjà été mentionné, le renseignement qui aurait été le plus important pour Deparcieux – l’âge ou la date de naissance – n’y figure pas. La liste des souscripteurs de l’emprunt tontinier de 1689, qui souscrivent en 1690, est publiée en 16926 et celle du second emprunt de 1696 en 1699.
2) Les listes annuelles, source spécifique de Deparcieux
22Seconde tâche du syndic onéraire et la plus importante : chaque année, en janvier, il publie la Liste annuelle (art. 20) pour chaque classe de sa responsabilité. C’est un document d’une à deux pages recto-verso contenant un tableau et un texte7.
23La première partie de la Liste annuelle – le tableau – fournit l’information que recherche Deparcieux. Il s’agit de la liste des décédés de la classe durant l’année : nom, date de décès et nombre d’obligations détenues. Avec cela, le problème de Deparcieux est résolu : compte-tenu de l’âge attribué au centre de la classe considérée et de l’année du décès, il peut calculer l’âge au décès de chaque tontinier.
24Le seul problème technique pour Deparcieux est de se procurer toutes ces listes annuelles. Malheureusement, il ne nous donne aucune indication. Il s’est vraisemblablement adressé directement aux six syndics onéraires concernés. Quoi qu’il en soit, il a eu de la chance puisqu’il a collecté quasiment toute l’information disponible : les listes concernant les quatorze classes de l’emprunt de 1689 sur 52 ans et les quinze classes de l’emprunt de 1696 sur 46 ans. Seules manquent les quatorze premières années des deux dernières classes du premier emprunt8. Deparcieux dispose donc du chiffre respectable de 1390 listes. Auxquelles il faut ajouter les huit années des quinze classes de l’emprunt de 1734, soit 120 listes d’appoint.
3) Le calcul de l’accroissement annuel
25La seconde partie de cette liste est sans intérêt pour Deparcieux mais est fondamentale pour les membres survivants de la classe : le syndic onéraire présente le détail de son calcul de l’accroissement annuel ; ce qui va aux héritiers des décédés de l’année et ce qui va aux membres survivants de la classe.
26Évidemment, le problème essentiel du syndic onéraire comme celui des souscripteurs est d’être informé rapidement et précisément des décès. À cet effet, les édits de création énumèrent toute une série de mesures, soit incitatives, soit punitives. Ces mesures assurent que les informations collectées sont de bonne qualité.
II. – Les emprunts tontiniers utilisés par Deparcieux
27Ces emprunts tontiniers, sources de la première table de mortalité française, méritent d’être brièvement présentés.
Le premier emprunt tontinier de 1689
28En 1689, la France de Louis XIV lutte contre la ligue d’Augsbourg qui réunit la quasi-totalité de l’Europe, les Provinces Unies (Hollande), l’Angleterre, l’Empire des Habsbourgs, l’Espagne, la Savoie et les plus importants États allemands. Comme d’habitude, les caisses du Royaume sont vides et le Contrôleur général des finances, Louis Phélipeaux, comte de Pontchartrain, tente de les remplir en créant des offices parfaitement inutiles mais qui flattent la vanité de ceux qui les achètent, en augmentant les gages des titulaires d’offices et en émettant des rentes perpétuelles. Comme c’est insuffisant, il faut trouver quelque chose de novateur.
29On assiste alors à un exemple stupéfiant de « mémoire administrative » et à une preuve extraordinaire de la qualité des conservateurs des archives du ministère des Finances : les commis de Pontchartrain exhument le projet de « Tontine Royalle » proposé à Mazarin 36 ans plus tôt par un Florentin, Lorenzo Tonti. Mazarin s’était enthousiasmé pour cette idée et un édit de création avait été pris en novembre 1653. Mais le projet avorte en raison du refus du Parlement de l’enregistrer. Pontchartrain reprend l’essentiel du projet de 1653 en le corrigeant du défaut qui avait motivé l’opposition des parlementaires, le fait que le taux d’arrérage était constant au lieu de croître avec l’âge, comme l’équité le demande. L’édit de création est signé à Versailles en novembre, est enregistré par le Parlement le 2 décembre et est « crié par les rues le dimanche 4 décembre »9.
30L’émission est ouverte le 6 décembre et semble d’abord bien accueillie par le public mais très vite l’enthousiasme retombe et les souscriptions se font attendre. Ce qui oblige de proroger de fin avril à fin juillet la date de clôture de l’émission. Malgré cette prolongation, c’est un échec pour le ministre : un peu moins de 6 000 personnes souscrivent 12 000 titres au lieu des 65 000 prévus et apportent 3 610 800 livres au lieu des 19 600 000 livres espérées. Soit un pourcentage de réalisation de 18,4 %10.
31Il faut souligner soit le courage intellectuel soit l’inconscience des promoteurs de l’emprunt qui ne disposent pas de la formule mathématique permettant de calculer un taux d’arrérage annuel actuariellement équitable, puisque c’est justement Deparcieux qui la présentera dans la première partie de son Essai, 56 ans plus tard ! Le taux actuariellement équitable est le taux qui, à la fois, rembourse le capital versé sur la durée de vie probable du souscripteur11 et lui procure le taux d’intérêt promis (qui, au xviie siècle, aurait été au moins 5 %, celui de la rente perpétuelle « normale »)12.
32L’échec de l’emprunt s’explique facilement par le fait que les épargnants ont eu finalement le sentiment que les taux d’arrérage proposés étaient trop faibles pour leur permettre d’espérer obtenir une rentabilité « normale » de leur placement. Ce en quoi ils avaient parfaitement raison ! L’utilisation des techniques actuarielles et de l’ordinateur permet de calculer l’espérance de rendement d’un souscripteur parmi les souscripteurs de sa classe, compte-tenu de ses probabilités annuelles de décès données par la table de mortalité de Deparcieux. Les résultats sont impressionnants :
trois classes ont une espérance de rentabilité négative (les deux premières et la dernière) ;
la moyenne des espérances des quatorze classes est 0,81 % par an ;
le maximum est un taux de 3,25 % par an pour la neuvième classe ;
en conséquence, toutes les classes sont très loin du taux de 5,5 % offert par les rentes perpétuelles émises en novembre 1689.
33Cet échec du premier emprunt tontinier se termine par un paradoxe : sur la pression d’épargnants qui regrettent de n’avoir pas souscrit en 1689, le premier emprunt viager pur est émis en août 169313.
L’emprunt de 1696, copie conforme du premier
34La guerre de la ligue d’Augsbourg continue et les besoins financiers de la Couronne aussi. En 1696, Pontchartrain émet un second emprunt tontinier avec un objectif un peu moins ambitieux que le précédent : quatorze millions de livres contre dix-neuf millions14. Cet emprunt est la copie conforme du premier à trois différences près : une quinzième classe des plus de 70 ans est instituée, le taux d’arrérage des six premières classes est réévalué, des subdivisions sont créées.
35Cette idée est intéressante : chaque classe d’âges est subdivisée en quatre parties de 20 000 livres de rentes. Cela permet au souscripteur de diversifier le risque de décès de ses co-souscripteurs tout en l’incitant à souscrire dans plusieurs subdivisions, donc à acquérir plusieurs titres et non un seul comme l’ont fait les souscripteurs de l’emprunt de 1689. Par contre, la gestion de cette bonne idée est mauvaise car la souscription dans une subdivision ne peut se faire qu’après le complet remplissage de la subdivision précédente ! Ceci doit expliquer l’insuccès du système puisque seules les onzième, douzième et treizième classes ont des subdivisions, 4, 2 et 3 respectivement.
36Malgré cette innovation et malgré deux arrêts de prolongation qui font que la souscription durera finalement neuf mois, d’avril à décembre 1696, l’échec est de nouveau au rendez-vous : un peu moins de 4000 souscripteurs souscrivent 9765 obligations. L’État collecte 2 929 500 livres au lieu des 14 320 000 livres escomptées, soit un taux de succès de 20,5 % !
L’emprunt de 1709 et l’impossibilité de l’utiliser
37Les années 1708-1709 sont « terribles »15. La guerre de succession d’Espagne dure depuis six ans. La France est envahie et subit des désastres. À ces maux infligés par les hommes, la nature ajoute les siens : l’hiver 1708-1709 est tellement rigoureux que les semailles d’automne sont gelées en terre, entraînant deux ans de famine. Des négociations de paix sont rompues car les exigences des alliés sont « également contraires à la justice et à l’honneur du nom de français »16.
38Le Contrôleur général des finances, un neveu de Colbert, Desmarets, fait feu de tout bois et utilise tous les expédients et tous les montages financiers possibles pour renflouer le Trésor, dont un emprunt tontinier. Compte-tenu de l’échec des deux précédents, l’objectif de l’emprunt est modeste : 6 millions de livres de capital pour 2 millions d’arrérages.
39Pour le rendre plus attractif, plusieurs modifications sont apportées. La première concerne les souscripteurs et aurait gêné le travail de dépouillement de Deparcieux s’il avait pu utiliser cet emprunt pour sa recherche : les étrangers peuvent souscrire et il devient également possible de souscrire sur la tête d’un tiers non apparenté (mais avec son accord). Le nombre de classes d’âges passe à seize avec une classe pour les plus de 75 ans. Mais, surtout, le montage financier proposé est tout à fait original : chaque obligation de 600 livres de nominal est composée de deux titres au nominal de 300 livres, « un titre de rente perpétuelle de 30 livres annuelles » et un titre de « rente viagère avec accroissement » de 20 livres d’arrérages annuels. Seconde originalité : le taux d’arrérage de la rente tontinière (6,66 %) est unique ; il est le même quel que soit l’âge et donc la classe du souscripteur.
40Ce taux d’arrérage unique est évidemment inéquitable mais le montage ne semble pas a priori défavorable. Si on meurt très vite, perdant de ce fait la rente viagère, il reste néanmoins la rente perpétuelle et le taux du placement est 5 % (30 livres pour 600 livres aliénées). Ce taux est faible pour les circonstances mais représente le taux « historique » ou de référence à l’époque. Inversement, si on survit un certain temps, on reçoit chaque année 8,33 %, taux très élevé, sans compter les accroissements.
41A posteriori, les rentiers ont préféré recevoir moins mais de manière certaine. Ils ont apporté leurs liquidités aux émissions de rentes perpétuelles qui ont lieu le mois suivant : à 5,55 % d’abord, puis à 6,25 % avec de surcroît une possibilité de conversion. L’Administration est donc contrainte d’entrer à nouveau dans le jeu des arrêts de prolongation successifs. Et ceci pendant trois ans, jusqu’en 1712 !
42Desmarets, qui ne manque pas d’ingéniosité, utilise alors l’échec de sa tontine pour tenter de résoudre un de ses nombreux problèmes, celui de la dette flottante de l’État qui, à cause des guerres, a démesurément grossi et représenterait 372 millions de livres en 170817. Il décide d’une consolidation forcée : les créances sur l’État doivent être rapportées au Trésor Royal afin que le principal et les intérêts dus (et non payés depuis plusieurs années !) servent à souscrire un des nombreux emprunts publics ouverts, le créancier devant en plus verser une partie en numéraire ! Comme cela ne suffit pas, le pire arrive en 1713 : une banqueroute partielle de l’État. Selon la date d’acquisition, le capital souscrit des (seules) rentes perpétuelles est réduit du quart ou de moitié ! Les deux premiers emprunts tontiniers sont intouchés.
43Cette consolidation forcée, ainsi que cette sorte de « privilège », font que les classes de l’emprunt tontinier finissent par se remplir, plus exactement que l’objectif recherché est à peu près atteint, les classes sursouscrites compensant les classes sous-souscrites. Et finalement, un arrêt du Conseil en 1714 – soit presque cinq ans après l’ouverture de la souscription – décrète la fermeture (définitive) de l’emprunt.
44On comprend pourquoi Deparcieux n’a pas pu utiliser les Listes de ce troisième emprunt : la durée tout à fait anormale de souscription fait que les différentes classes d’âges regroupent des individus ayant jusqu’à neuf ans d’écart. Par exemple, un souscripteur de la septième classe des 30-35 ans, qui avait 34 ans en 1709, a 39 ans en 1714 quand un « jeune » de 30 ans y souscrit. Le système du centre de classe de 32 ans utilisé par Deparcieux perd toute signification. Deparcieux s’en est aperçu et en a tiré la conséquence qui s’imposait.
L’emprunt composite de 1734
45En 1733, la France de Louis le Bien-Aimé est de nouveau en guerre, celle de la succession de Pologne. Cette dernière se terminera bien puisque, en 1738, le traité de Vienne donne à terme la Lorraine à la France. En outre, elle est peu coûteuse en hommes et elle est courte puisque les hostilités cessent dès 1735. Mais il faut quand même la financer.
46Deux emprunts tontiniers ont participé à ce financement : un en 1733 – qui rencontre un gros succès – mais dont l’organisation en classes de dix ans et non de cinq le rend inapte aux besoins de Deparcieux. Ce succès pousse le Contrôleur général à recommencer l’année suivante. L’organisation est celle des premiers emprunts : quinze classes d’âges de cinq en cinq ans. La technique des subdivisions est reprise car elle a fait la preuve de son efficacité l’année précédente. Par contre, le taux d’arrérage est nettement plus élevé, de 8 à 13 %, ce qui conduit l’État à reprendre d’une main ce qu’il accorde de l’autre : un quart des « accroissements » vont à l’État, les tontiniers survivants ne se partageant que les trois quarts restant. C’est la première tontine « composite » selon l’heureuse expression de Deparcieux, mi-rentes viagères pures, mi-rentes tontinières ; ici un quart-trois quarts.
47Cette émission est un très grand succès puisque l’État recueille un peu plus des 15 millions de livres recherchées. Toutefois, ce qui importe à Deparcieux n’est pas l’aspect « financier » de ces emprunts mais le nombre et la représentativité des souscripteurs.
III. – La population de rentiers étudiée par Deparcieux
Les souscripteurs des emprunts
1) Les souscripteurs des deux premiers emprunts tontiniers
48La souscription est ouverte « à toutes sortes de personnes, indistinctement de quelque âge, sexe, qualité ou condition ».
49Deux conditions existent néanmoins : le souscripteur doit être sujet du roi (« regnicole ») et doit résider dans le royaume. Cette exclusion des étrangers et des non-résidents est vraisemblablement moins liée aux difficultés de paiement des arrérages, entre autres en période de guerre, puisque les étrangers pouvaient souscrire aux rentes perpétuelles depuis 1674, qu’aux risques accrus de fraude quant à la date du décès du rentier.
50Cette éligibilité restrictive est une aubaine pour Deparcieux : son échantillon est exclusivement composé de Français résidents répartis sur tout le Royaume. Les faiblesses méthodologiques – départs du lieu de naissance, présence trop importante d’étrangers, étude limitée à une ville – qu’il reproche aux tables anglaises, lui sont automatiquement évitées.
51Autre aspect important pour la représentativité de son échantillon : la diminution du montant minimal à placer. Au lieu des 2 000 livres des rentes perpétuelles, la souscription unitaire aux emprunts tontiniers est seulement de 300 livres. L’échantillon de Deparcieux devrait être un très bon reflet de la population épargnante, c’est-à-dire inclure à côté de la « grande », la petite et moyenne aristocratie et bourgeoisie.
2) Les souscripteurs de 1734
52La population des souscripteurs de 1734 est moins « pure » : les étrangers peuvent souscrire et l’ont fait. Seconde « impureté » : une surreprésentativité vraisemblable de la très grande aristocratie par rapport aux deux premiers emprunts. Les souscripteurs ont la possibilité de souscrire sur la tête d’un tiers sans lui demander son autorisation. Évidemment, l’obligation de faire la preuve que la personne est en vie pour toucher l’arrérage annuel oriente le choix vers les personnalités les plus en vue : le Roi, la Reine, les Princes… En outre, les souscripteurs peuvent avoir le sentiment que le statut et la richesse de ces personnalités les protègent des aléas de la vie, tout spécialement des famines et des problèmes de santé et sont un gage de longévité, comme ils peuvent le constater avec Louis XIV18.
53Cela étant, voici l’aspect quantitatif des souscripteurs étudiés par Deparcieux.
Les deux échantillons de Deparcieux
54Le tableau 1 (p. 118) présente la répartition par classes d’âges des souscripteurs sur lesquels Deparcieux a construit sa table de mortalité.
55Deparcieux analyse les durées de vie effectives des 9 261 personnes qui ont souscrit aux deux premiers emprunts tontiniers pour établir sa table de mortalité. Cet échantillon semble d’autant plus important19 qu’il faut se rappeler que toute la collecte et les calculs, individuels d’abord, puis par regroupement d’âges, ont été effectués à la main.
56Le gros échantillon d’environ 18 000 souscripteurs de l’emprunt de 1734 ne sert qu’à titre accessoire. Les huit années de données de 1734 à 1742 (arrêt des calculs) représentent évidemment une période trop courte pour être utilisée pour la construction de la table de mortalité. Deparcieux calcule seulement les taux de décès glissants sur 5 ans, taux qu’il appelle « rapports » (cf. p. 48-49) pour les comparer aux mêmes rapports calculés à partir du regroupement des deux populations tontinières de 1689 et de 1696 afin de vérifier si ces derniers rapports sont bien « cohérents » et « acceptables ». En effet, ces rapports sont importants car ils servent à « lisser » les données brutes. Cette vérification semble positive puisque ce sont bien les rapports issus des deux premiers emprunts tontiniers qui « lissent » la table de mortalité.
Tableau 1. – Nombre de souscripteurs étudiés par Deparcieux

La représentativité de la table de mortalité de Deparcieux
57La première qualité d’une table de mortalité doit être de bien représenter la population qu’elle est censée décrire. Quelle est la population réelle étudiée par Deparcieux, indépendamment du fait qu’il s’agit d’épargnants ?
58Les Listes des Rentiers à vie des souscripteurs des deux premiers emprunts permettraient d’avoir une excellente photographie de cette population si, soit un sondage portant sur l’ensemble des souscripteurs, soit – encore mieux – une compilation exhaustive analysait les informations que ces-dites Listes contiennent. Nous sommes obligés de nous contenter d’une analyse beaucoup plus modeste : un sondage portant sur le quart des souscripteurs des deux classes extrêmes des majeurs du premier emprunt. Les 317 souscripteurs de la 6e classe (25-30 ans) et les 218 de la quatorzième classe (plus de 65 ans) fournissent les renseignements suivants.
Tableau 2. – Caractéristiques socio-économiques des souscripteurs des sixième et quatorzième classes de l’emprunt de 1689

59Deux tiers des souscripteurs sont des hommes. La sous-représentation des femmes s’explique probablement par le fait qu’au xviie siècle (comme aujourd’hui) les décisions financières relèvent en pratique de l’époux ; peut-être faut-il incriminer également la fausse perception d’une excessive surmortalité féminine (au moins pour les classes d’âges comprises entre 14 et 30 ans)20.
60La grande majorité des rentiers provient de « la bourgeoisie » du Tiers-État, qu’elle en possède le titre comme le quart d’entre eux, ou non. Les membres de la noblesse représentent néanmoins 20 % des souscripteurs, soit un poids très élevé par rapport à leur poids dans la population totale ou par rapport au Tiers. Ces souscripteurs donnent tort à la première partie de la savoureuse affirmation de Deparcieux :
« Ceux qui se font des Rentes viagères ne sont pour l’ordinaire, ni les grands Seigneurs, ni les misérables, dont la santé est souvent ruinée dans un âge peu avancé ; aux uns par trop d’abondance de toute manière, aux autres par trop d’indigence » (Essai, p. 62).
61On constate que la Haute Noblesse comme la Haute Administration ont souscrit, peut-être par goût du jeu car les souscriptions consistent souvent en un seul titre, peut-être aussi en tant que « leader d’opinion », c’est-à-dire pour participer à cette innovation financière, ou bien au titre du « devoir d’état ».
62Malgré l’effort de l’administration pour faciliter au maximum les souscriptions provinciales, moins du tiers en proviennent et les souscripteurs sont essentiellement des Parisiens. Dans la mesure où il s’agit de la population des « épargnants », ce biais est moins grave qu’il ne paraît : au xviie siècle, comme aujourd’hui, l’essentiel des revenus et des richesses se trouve dans la capitale.
63Du point de vue des activités, on trouve les professions rémunératrices de la bourgeoisie, y compris la « petite bourgeoisie » : les titulaires d’offices royaux dont presque la moitié sont des membres des parlements, de Paris ou de province ; les juristes, avocats, huissiers, notaires ; de nombreux marchands mais aussi des artisans, des artistes de la Cour du Roi. Parmi les provinciaux, il y a des représentants de la noblesse terrienne, propriétaires fonciers.
64Le plus inattendu est la présence d’un nombre, qui pourrait être statistiquement significatif, de militaires en activité – alors même que la France est en guerre ; deux d’entre eux seront d’ailleurs tués dans les opérations aux Pays-Bas en 1790 comme en témoigne une indication en marge sur la Liste des souscripteurs de 1789.
65Finalement ce (trop petit) sondage confirme ce que l’on sait. La table de Deparcieux ne représente pas la mortalité de la population française dans son ensemble. Les agriculteurs sont exclus et, de manière plus générale, les ruraux, à l’exception des propriétaires fonciers ; de même, on peut supposer que les représentants de la petite bourgeoisie sont essentiellement des Parisiens ; les femmes sont sous-représentées. Par contre, cette table est certainement une tres bonne représentation de la population « épargnante » de la France à la fin du xviie siècle, sous réserve – peut-être – de l’insuffisante représentation des femmes en tant que gérantes de leur propre patrimoine. Comme Deparcieux le déclare :
« Ce sont les bons Bourgeois qui tiennent un honnête milieu entre toutes ces extrémités, qui se font des Rentes viagères ; et ce sont ceux-là qui deviennent ordinairement vieux » (Essai, p. 62).
La longévité des tontiniers
66La lecture des données d’expérience collectées par Deparcieux met en lumière un phénomène inattendu : la longévité de ces rentiers. Deparcieux ne trouve pas moins de 35 souscripteurs qui dépassent les 92 ans dans chacune des deux tontines, dont un centenaire dans la douzième classe de l’emprunt de 1689. Cette longévité a d’ailleurs surpris Deparcieux qui insiste sur ce fait.
67Le tableau 3 (p. 122) présente l’âge au décès probable du dernier tontinier des classes pour laquelle il nous a été possible de trouver cette information. Cet âge est certes connu avec un peu d’incertitude puisque l’âge de départ est le centre de classe choisi par Deparcieux. On peut d’ailleurs supposer que le dernier tontinier a toujours été un des plus jeunes de sa classe lors de la souscription : en ce cas il faut retirer une ou deux années aux chiffres présentés.
68La longévité de ces rentiers est étonnante ! Même s’ils sont vieillis arbitrairement de deux ans, ils dépassent tous allègrement les 85 ans ! Et sur les dix tontiniers pour lesquels nous avons des informations, huit dépassent de manière certaine 91 ans et l’un deux est même quasi centenaire21. Nous avons ici la preuve que, lors de la première émission de rentes tontinières, l’aléa moral du viager22 a joué : les épargnants qui ont souscrit pensaient être en bonne santé et vivre longtemps. En 1770, les deux premières classes existent toujours, ce qui signifie que les survivants ont un âge compris entre 81 et 85 ans !
69Pour conclure, soulignons que Deparcieux est parfaitement conscient qu’il établit une table de mortalité, non pour la population française dans son ensemble, mais pour une catégorie spécifique, les rentiers tontiniers assimilés aux rentiers et épargnants en général23.
Tableau 3. – La longévité des derniers tontiniers de l’emprunt de 1689

70Il est, par contre, beaucoup trop modeste pour qualifier la qualité de son travail. Cette qualité est pourtant corroborée par son utilisation par les compagnies d’assurance pendant près d’un siècle. Ce faisant, il escamote, sans avoir l’air d’y toucher, le problème philosophico-religieux de l’objectif avéré de ces tables de mortalité à l’époque – objectif qu’il précise au début de son travail en reprenant la formule de Halley – celui d’établir la table « du genre humain ».
Notes de bas de page
1 • Nicolas Struyck, Inleiding tot de Algemeene Geographie (« Introduction à la géographie universelle », dans l’appendice), Amsterdam, 1740.
• Willem Kersseboom, Tweede Verhandling (« Second Traité »), Amsterdam, 1742.
2 La terminologie est importante. Nous suggérons l’utilisation systématique de l’expression « emprunt tontinier » pour différencier les tontines qui ont financé les États durant le xviiie siècle des tontines privées du xixe siècle qui ressortissent de l’assurance-vie(a) comme des groupements actuels d’épargnants appelés « tontines » en Afrique et en Asie(b).
(a) Cf. l’article « Tontine », Dictionnaire des finances de Léon Say, pp. 1415-1420.
(b) Cf. M. Lelart « Tontines africaines et tontines asiatiques », Afrique contemporaine ; n 176, oct-déc. 1995, p. 75-86.
3 Cf. G. Gallais-Hamonno et J. Berthon, « Un financement public original au xviiie siècle : les emprunts tontiniers », dans Trois siècles de marchés financiers français, (G. Gallais-Hamonno et al., coord.) à paraître en 2003, publié par le Comité pour l’histoire économique et financière de la France (cheff), Paris. L’essentiel des informations qui suivent sont tirées de cette étude.
4 Page 49 de son Essai, Deparcieux cite les émissions qui ont lieu durant sa rédaction (entre 1742 et 1745, date de l’approbation de l’Académie et de celle du Censeur royal) : les loteries-tontines de janvier et février 1743 et l’emprunt de 1744.
5 Les citations en italiques et les références à des articles se réfèrent à l’édit d’émission du premier emprunt tontinier de 1689 (cf. infra, note 8 pour les références).
6 « Liste des Rentiers à vie de l’Hôtel de Ville de Paris en exécution de l’Édit du mois de novembre 1689 », Paris, F. Léonard, 1692. (L’édit de création figure en introduction.)
La BN en possède deux exemplaires :
Lf 80 (1) 4°, 1689 et
Lf 80 (1) 4°, 1689 double. [Cette seconde cote est imprécise ; ce volume contient l’édit et la liste nominative des souscripteurs des deux premières tontines, celle de 1689 et celle de 1696].
Un second exemplaire du premier ouvrage existe également dans le bureau du Conservateur de la Bibliothèque administrative de l’Hôtel de Ville de Paris.
7 Les emprunts tontiniers couvrent les années 1690-1769, soit 80 années de fonctionnement. Malheureusement, l’ensemble de ces listes annuelles ne semble pas exister en France. La BN possède des recueils factices dans lesquels sont regroupées les listes de tous les emprunts tontiniers en cours pour une année donnée :
a) Liste des rentiers à vie sur l’Hôtel de Ville de Paris. (Lf 80 (1) 4°), (5 années sur 91).
b) Liste des rentes viagères dites Tontines, année 1738 à 1769, (Lf 80 (2) Gd. Folio), (24 années sur 91).
c) Accroissement de chacune des actions des tontines, (Lf 80 (3) Gd. Folio), (9 années sur 91). Il s’agit du tableau récapitulatif des seuls accroissements des classes des différentes tontines. Ce tableau figure à la fin des ouvrages indiqués en a et b.
8 L’appel direct aux syndics onéraires semble logique et probable mais n’explique pas la contradiction suivante. Deparcieux n’a pas trouvé les listes relatives aux 14 premières années des classes 13 et 14 de l’emprunt de 1689. La raison pourrait être le décès en 1703 du syndic onéraire à l’origine, le sieur De Courcelles qui avait 52 ans en 1689 et la difficulté d’avoir accès à ses archives. Mais De Courcelles s’occupait aussi des 11e et 12e classes dont Deparcieux possède les listes…
9 Cf. La collection des Actes Royaux à la BN : F 23614 (653, 654, 653). Note manuscrite sur le troisième exemplaire (655). Cette annotation se poursuit par « Et on l’appelle communément la tontine parce qu’un nommé Tonti proposa ce dessein il y a quelques années ».
10 Curieusement, les rares études sur les tontines – qui ne donnent aucun chiffre – prétendent que ce fut un succès et qu’il fallut rationner les demandes…
11 Attention à la terminologie. À l’époque, la vie « probable » est la vie « médiane »– âge auquel la moitié d’une classe d’âges est décédée – par opposition à la vie « moyenne » qui est notre « espérance de durée de vie ». Ici, l’acception moderne est évidemment utilisée.
12 Ceci est la définition dans le cas de la rente viagere pure. Elle est identique dans le cas de l’annuité (constante) d’un emprunt amortissable sur une période de temps défini. Dans le cas d’un emprunt tontinier. la formule est plus complexe car il faut tenir compte des accroissements.
13 « Édit portant création de rentes viagères à fonds perdu… . », août 1693 [BN : F 23614656].
14 « Édit… portant création de 1 200 000 livres de nouvelles rentes viagères dites rentes de la tontine » 1696, 8 p. [BN F 23616 (17), (18) ; F 21282 (21)].
15 Desmarets, Compte-Rendu au Régent, cité par A. Vührer, Histoire de la dette publique en France, Paris, Berger-Levrault, 1886, tome 1, p. 128.
16 Circulaire de Louis XIV publiée dans toutes les paroisses et expliquant pourquoi les pourparlers de paix n’ont pas abouti.
17 Selon A. Vührer, op. cit, p. 132.
18 Cf. cette anecdote. Les bulletins de souscription à l’emprunt de 1733 sont conservés aux Archives nationales. On trouve dans la première classe un bulletin auquel plusieurs documents sont joints et qui permettent de reconstituer le cas suivant. Il s’agit d’un bourgeois de Bruges qui a manifestement fait le raisonnement suivant : « je veux un enfant de bonne famille, riche, qui peut payer le médecin… ». Son choix se porte sur le prince de Sardaigne, qui est le fils du duc de Milan… et qui décède avant la clôture de la souscription ! Notre bourgeois demande au Syndic de pouvoir souscrire sur un autre enfant puisque, s’il avait été informé en temps utile, il aurait eu la possibilité de modifier sa souscription. Nanti de la permission et faisant le même raisonnement, il souscrit derechef sur la tête de Madame Quatrième, Marie-Adélaïde, quatrième fille de Louis XV, née en mars 1732 et qui a donc un peu plus de un an. Ce second essai est le bon : Marie-Adélaïde vivra 68 ans. Elle mourra en 1800 à Trieste, soit 30 ans après que les héritiers de notre bourgeois aient subi la banqueroute de Terray en 1770. Cette banqueroute sonne le glas des emprunts tontiniers de l’État en France : de nouvelles émissions sont interdites et les emprunts tontiniers en cours sont convertis en rente viagère pure avec comme montant d’arrérages le taux de rente tontinière atteint grâce aux « accroissements ».
19 Il est néanmoins petit par rapport aux « plus de 50 000 personnes » étudiées par Kersseboom à la même époque (cf. W. Kersseboom : Essais d’Arithmétique Politique contenant trois traités… », Paris, Ined, 1970, 171 p.)
20 Toutes les tables de l’époque basées sur les rentiers ont ce même défaut, mélanger les hommes et les femmes (à l’exception de Struyck, op. cit). Deparcieux s’aperçoit trop tard de la possibilité d’une mortalité différente selon les sexes (p. 97).
21 Cf. cette anecdote racontée par La Grande Encyclopédie, à l’article « Tontine » : « La veuve d’un chirurgien de Paris fut la dernière survivante des 2 [premières] tontines, elle mourut à 96 ans. Dans la dernière année, elle avait reçu 73500 livres ».
22 A. Deparcieux suppose cet aléa moral pour déterminer ses centres de classes (cf. supra).
23 Contrairement à Kersseboom, par exemple, qui travaille sur des rentiers mais pense avoir établi la table de la population hollandaise (cf. M. Van Haaften, op. cil. p. 157).
Auteur
Professeur à l’Université d’Orléans, Directeur adjoint du Laboratoire d’économie d’Orléans (LÉO), Professeur invité au Collège Solvay (Université Libre de Bruxelles).
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