Des Rentes viagères
p. CXI-CXXXVIII
Texte intégral

1LE mot de Rentes viageres, semble se faire assez entendre par lui-même, pour n’avoir pas besoin d’autre explication ; mais comme il y a deux sortes de Rentes viagères principales, il ne sera peut-être pas inutile d’en faire la distinction, afin d’éviter toute équivoque.
2Quand on dit simplement Rentes viageres, on doit entendre les Rentes qui restent entiérement éteintes à la mort de ceux sur qui elles sont constituées.
3Les Rentes viageres en Tontine, ou Rentes en Tontine, sont celles qui sont constituées sur plusieurs personnes de même âge ou approchant, qui le sont pour ainsi-dire associées ensemble, à condition qu’à la mort de chaque Associé la rente qu’il avoit se répartît aux survivans de la Société, en tout ou en partie, jusqu’au dernier vivant, qui jouit seul de toute la rente de la Société, ou de toutes les parties de rentes qui étoient reversibles aux survivans, ce qui fait distinguer deux sortes de Tontines, l’une simple, & l’autre composée, ainsi qu’on le verra ci-après.
Déterminer la valeur des Rentes purement viagères, pour tous les âges.
4Ceux qui auront bien compris ce qu’on entend par vie moyenne, & le principe ou formation de la Table IV. qui montre ce qu’il faut donner par an pour acquitter en tel nombre de payemens égaux qu’on veut, un prêt de 100 livres avec les intérêts, penseront d’abord qu’un Rentier dont la vie moyenne seroît, par exemple, de 10 ans, devroit recevoir une rente telle qu’au bout de 10 ans il ne lui fût rien dû ni de son fonds, ni des intérêts, c’est-à-dire, qu’il fût payé de fon prêt, capital & intérêts, en dix payemens égaux ; parce qu’en supposant que plusieurs Rentiers, par exemple, de l’âge de 67 ans, dont la vie moyenne est de 10 ans, prêtâssent chacun 100 livres pour en être payés, intérêts & capital, en dix payemens égaux, il arriverait que ceux qui mourroient avant l’âge de 77 ans, ou pendant les dix premieres années, laisseroient autant de payemens ou d’années de rente à recevoir, qu’en recevroient ceux qui vivroient au-delà de 77 ans. Ainsi ces gens-là pour leur prêt de 100 livres devroient recevoir 12 liv. 19 s. par an, si les intérêts étoient comptés sur le pied du denier 20 ; ou bien 13 liv. 6 s. si on comptoit les intérêts sur le pied du denier 18 ; ou enfin 13 liv. 15 f. si on partoit du denier 16, ainsi qu’on le voit par la Table IV. il en seroit de même pour les autres âges. Mais cette manière de regler les rentes viageres, ne donneroit pas aux Rentiers tout l’avantage qu’ils doivent avoir, quoiqu’elle paroisse d’abord simple & équitable [21] ; car le débiteur devroit être censé faire valoir les rentes annuelles de ceux qui ne vivroient pas le tems marqué par leurs vies moyennes depuis leurs échéances jusqu’à la fin de la vie moyenne, auquel tems un autre Rentier commenceroit à prendre sa place, parce que jusques-là ce dernier auroit été payé de son propre fonds ou intérêt.
5Voici la manière de déterminer les rentes purement viageres, ensorte que les Rentiers ayent tout l’avantage qu’ils peuvent espérer de leur prêt.
6Supposons premierement que les 560 Rentiers de l’âge de 52 ans, veuillent constituer les fonds nécessaires pour faire recevoir 100 livres par an à chacun d’entre eux qui vivront pendant cinq années seulement.
7On voit par le quatrieme ordre de mortalité de la Table XIII. que si la rente de 100 livres ne devoir être payée qu’à ceux qui vivent à la fin de chaque année, les 560 Constituans de l’âge de 52 ans, n’auroient à donner que les fonds nécessaires pour faire recevoir 100 livres à 549 personnes à la fin de la premiere année ; à y 38 à la fin de la seconde année ; à 526 à la fin de la troisieme année ; à y 14 à la fin de la quatrieme année ; & enfin à 502 à la fin de la cinquieme année. Mais ceux qui meurent dans le courant de chaque année, doivent recevoir une partie de rente proportionnée au tems qu’ils ont vécu dans le courant des années où ils sont morts ; or les uns meurent au commencement de l’année, d’autres au milieu, & les autres à la fin. On peut donc supposer qu’ils meurent tous au milieu de l’année, ou bien (ce qui revient au même) supposer que la moitié meurt au commencement de l’année, & l’autre moitié à la fin ; ainsi les 560 Rentiers de l’âge de 52 ans, doivent constituer les fonds nécessaires pour faire recevoir 100 livres à 554 personnes à la fin de la premiere année,1 à 543 personnes à la fin de la seconde année, à 532 à la fin de la troisieme année, à 520 à la fin de la quatrieme année, & enfin à 508 à la fin de la cinquieme année.
8Supposons qu’on veuille compter les intérêts sur le pied du denier 20, on voit, Table II. que pour qu’il soit dû 100 livres au bout d’un an, il faut prêter 95 liv. 4 s. 9 d. que pour qu’il soit dû 100 livres au bout de deux ans, il faut prêter 90 liv. 14 s. 1 d. &c. Prenez donc les cinq premiers prêts, & les multipliez avec ordre par les cinq nombres de Rentiers qui doivent recevoir chacun 100 livres au bout d’un, de deux, ou de trois ans, &c. ainsi qu’il suit :

9Ajoutez les cinq produits ensemble pour avoir la somme 230554 liv. 12 f .5 d. qui est le fonds que doivent fournir ensemble les 560 Rentiers de l’âge de 52 ans, afin que tous ceux d’entre eux qui vivront, puissent recevoir 100 livres à la fin de chaque année, pendant cinq ans seulement ; & divisant la somme ci-dessus 230554 liv. 12 f. 5 d. par les 560 Rentiers constituans, le quotient 411 liv. 14 s. 1 d ; est la part que chacun d’entre eux doit fournir.
10Il est maintenant aisé de voir que si au lieu de ne vouloir la rente que pour cinq ans, comme ci-devant, on la vouloir pour tout le tems qu’il y aura quelque Rentier vivant, il faudroit prendre les prêts suivans de la Table II.

11Et les multiplier avec ordre par les nombres de Rentiers qui doivent recevoir la rente à la fin de la sixieme, de la septieme, de la huitieme années, &c. sçavoir, 495, 482, 469, &c. jusqu’au dernier Rentier vivant. Ayant fait toutes les multiplications, on ajoutera, comme ci-dessus, tous les produits ensemble ; & on en divisera la somme par les 560 Rentiers constituans : le quotient sera ce qu’une personne de l’âge de 52 ans doit fournir pour avoir 100 livres de rente viagere. Il en est de même pour tous les autres âges.
12C’est par cette méthode, qu’on a formé la Table XIV. elle montre ce que les Rentiers de tous les différens âges doivent donner de capital pour avoir 100 livres de rente viagere, soit qu’on compte les intérêts sur le pied des deniers 20, 18, ou 16. Ainsi, si on compte les intérêts sur le pied du denier 20, les Rentiers de l’âge de 15 ans doivent donner 1594 liv. pour avoir 100 livres de rente ; ceux de l’âge de 40 ans doivent donner 1362 livres ; ceux de l’âge de 70 ans doivent donner 636 livres, &c.
13Si on retranche les deux derniers caracteres de la rente de 100 livres, & de ce que les Rentiers de chaque âge doivent donner pour l’acquerir, on verra ce que les Rentiers doivent donner pour avoir une livre de rente, ce qui exprime le denier d’intérêts qu’on doit leur donner. Ainsi en partant du denier 20, les Rentiers de l’âge de 3 ans doivent avoir le denier 15(1/2) ; ceux de l’âge de 5 ans doivent avoir le denier 16 ; ceux de l’âge de 10 ans, le denier 16(1/4) ; ceux de l’âge de 21 ans, le denier 15(1/2), comme s’ils n’avoient que 3 ans ; ceux de l’âge de 28 ans, le denier 15 juste ; ceux de l’âge de 37 ans, le denier 14 ; ceux de l’âge de 43 ans, le denier 13 ; ceux de l’âge de 57 ans, le denier 10, &c. On observeroit la même chose, si on vouloit partir des deniers 18 ou 16.
14La même Table fait voir ce qu’on doit rembourser pour acquitter une rente viagère, lorsque le Créancier & le Débiteur en conviennent. Supposons pour exemple qu’en 1728 un Maître en mourant ait laissé une rente viagere de 100 livres à un de ses Domestiques, qui étoit alors âgé de 46 ans ; c’est la même chose que si le Maître lui avoit laissé 1243 livres une sois payées, comme on le voit par la Table XIV. Supposons qu’en 1745 l’héritier qui paye la rente de 100 livres propose au Domestique de lui rembourser le fonds de la rente, & que ce dernier l’accepte ; on demande ce qu’on doit lui donner. Il est aisé de voir qu’on doit lui payer ce qu’il devroit donner lui-même pour acquerir une pareille rente de 100 livres. En 1745 ce Domestique doit avoir 63 ans ; & l’on voit, Table XIV. qu’on doit lui payer 843 livres pour le remboursement de sa rente de 100 livres ; si la rente étoit moindre ou plus grande que 100 livres, on seroit une Règle de trois pour trouver ce qu’on doit rembourser.
15La Table XV. montre ce que les personnes de tous les différens âges doivent avoir de rente viagere pour 100 livres de capital ; elle a été aisée à calculer, au moyen de la Table précédente, & des simples Regles de trois.
16Que l’on compare maintenant les valeurs de la Table XIV. aux valeurs de la premiere page de la Table III. ou bien les valeurs de la Table XV. à celles de la Table IV. prises pour un même denier d’intérêt ; & on verra, par exemple, qu’un Rentier de l’âge de 17 ans, doit payer, pour acquérir une rente viagere, autant que s’il étoit assuré de vivre encore 32 ans, parce que par la Table XIV. on voit qu’il doit fournir 1578 livres pour avoir une rente viagere de 100 livres ; & par la Table III. on voit que celui qui prête 1580 livres, qui est presque la même somme, doit recevoir 100 livres par an pendant 32 ans : ou bien par la Table XV. on voit qu’il doit avoir 6 liv. 6 s. 9 d. de rente viagere pour un fonds de 100 livres ; & par la Table IV. celui qui prête 100 livres pour en être payé, intérêt & capital, en trente – deux payemens égaux, doit recevoir à la fin de chaque année 6 liv. 6 s. 7 d. ce qui est à peu près la même chose que ci-dessus. On voit de la même maniere, qu’une personne de l’âge de 26 ans doit payer comme si elle étoit assurée de vivre encore 29 ans ; qu’une personne de 60 ans doit payer comme si elle étoit assurée de vivre ençore 12 ans 1/2 ou environ, On doit faire attention à ces comparaisons, parce qu’on s’en servira dans la suite lorsqu’il faudra regler les rentes viageres constituées sur deux personnes, ou trois, ou quatre, &c.
17On objectera peut-être que cette maniere de regler les rentes viageres, fait que le Débiteur rend les fonds à ceux qui les lui ont prêtés, & que l’idée de rente viagere (telle que tout le monde l’a) porte que le fonds doit rester à celui qui paye la rente. Mais si on y fait attention, on verra aisément que le Public s’est toujours fait une fausse idée des Rentes viagères ; car comment voudroit-on appeller ce que le Rentier reçoit à la fin de la premiere année au-delà de 5 pour 100 ? Celui qui paye la rente doit être censé avoir fait un emploi des 100 livres qu’on lui a prêtées, qui ne lui auront rapporté au bout de l’année que 5 pour 100 ; il donne pourtant davantage : ce qu’il donne au-delà est donc une partie du capital ; & on ne sçauroit le prendre autrement dès qu’on est convenu qu’il doit payer les rentes perpétuelles à 5 pour 100 : l’intérêt dû à la fin de la seconde année, devient par consequent plus petit, puisque ce capital est diminué ; le Débiteur paye pourtant autant que la premiere année ; il donne donc une autre partie du fonds un peu plus grande que la partie qu’il a donnée à la fin de la premiere année, &c. le Débiteur rend donc les fonds aux Rentiers, soit aux uns, soit aux autres.
18La Table XVI. montre ce que les Rentiers de toutes les Classes de 5 en 5 ans doivent avoir de rente pour 300 livres de capital, qu’on nomme communément une Action. Cette Table est si aisée à faire au moyen de la Table XV. qu’il auroit été inutile de la mettre ici, si elle ne servoit à faire entendre la formation des Tables XVIII. & XIX. qui suivent.
Déterminer la valeur des Rentes viageres, en Tontines Simples.
19On appelle Tontines simples, celles où toute la rente des Rentiers décédés se distribue aux survivans de la Société ou de la Classe, comme on fait aux Tontines créées en 1689, 1696, 1709,1733, & 1744.
20Lorsque le nombre des Rentiers de chaque Classe doit être considérable, on le divise en plusieurs Sociétés ou Subdivisions, en assignant une quantité de rente à chaque Société ou Subdivision ; & chaque Rentier de la Classe peut, si bon lui semble, se mettre de toutes les Sociétés de la Classe, en donnant les fonds nécessaires.
21Chaque Subdivision ou Société, est ordinairement composée d’environ 150 ou 200 Rentiers, si ce n’est aux deux premières Tontines, où tous les Rentiers de chaque Classe ne faisoient qu’une seule Société.
22Quoique le nombre des Rentiers de chaque Subdivision ne soit que de 150 ou 200 Rentiers, on doit regarder comme certain qu’il y en aura quelqu’un dans chaque Société ou Subdivision, qui vivra jusqu’à l’âge de 92 ou 93 ans ; cela est prouvé par les Classes éteintes des premières Tontines, comme on peut le voir aux Tables VI. & VII.
23Il est vrai que les Classes éteintes des Tontines de 1689 & 1696, étoient au commencement composées de plus de 150 ou 200 Rentiers, & qu’ils étoient tous au-delà de l’âge de 40 ans. Aux dernieres Tontines les Subdivisions des Classes des jeunes gens, ne sont que d’environ 150 ou 200 Rentiers : ces nombres feront beaucoup diminués lorsqu’ils feront parvenus aux âges qu’avoient en 1689 & 1696, les Rentiers des Classes qui sont aujourd’hui éteintes, & il n’y a par conséquent pas les mêmes probabilités pour que les Subdivisions d’aujourd’hui subsistent jusqu’à un âge aussi avancé. Mais on doit considérer qu’on ne les suppose ici aller que jusqu’à l’âge de 92 ou 93 ans, tandis que la plûpart des Classes éteintes de 1689 & 1696, ne l’ont été qu’à l’âge de 95 ou 96 ans & plus ; & qu’à l’âge de 92 ou 93 ans, il y avoit encore quatre ou cinq Rentiers vivans : d’ailleurs s’il arrive qu’il s’éteigne quelque division avant l’âge de 92 ans, il arrivera aussi qu’il y en aura qui subsisteront jusqu’à l’âge de 95 ou 96 ans & plus ; ainsi les Rentiers de ces divisions-ci retireront & au-delà, ce qu’auront laissé les divisions éteintes avant l’âge de 92 ans ; & lorsqu’on fera attention à ce qui restoit de Rentiers vivans aux Classes éteintes aux âges de 87 ou 88 ans, eu égard à ce qu’il y en avoit au commencement, on verra qu’il n’est gueres probable qu’il y ait de Sociétés ou Subdivisions éteintes avant l’âge de 89 ou 90 ans, & qu’il s’en éteindra beaucoup moins avant l’âge de 92 ou 93 ans qu’après. On laisse donc encore l’avantage du côté des Rentiers, en supposant toutes les Sociétés s’éteindre aux âges de 92 ou 93 ans. Or comme il est indifférent à celui qui paye la rente, que tous les Rentiers d’une Société ou Subdivision vivent jusqu’à l’âge de 92 ou 93 ans, ou qu’il n’y en aille qu’un, puisque la rente de ceux qui meurent se distribue aux Survivans de la Société jusqu’au dernier ; au lieu de regler la rente des Rentiers de chaque Classe par les vies moyennes, ou par les probabilités de la vie de chacun en particulier, il faut la regler sur le plus grand âge qu’il peut y avoir dans chaque Société.
24Ainsi que de la premiere Classe, dont les Rentiers ont trois ans lors de la constitution, il y en ait un qui vive jusqu’à l’âge de 92 ou 93 ans, ce qui doit communément arriver, on voit que la rente de chaque Société des Rentiers de cet âge sera payée tout au moins pendant 90 ans ; les Rentiers de cette Classe doivent donc être payés de leurs prêts, intérêt & capital, en 90 payemens égaux. La rente des Associés de la seconde Classe sera payée tout au moins pendant 85 ans, puisqu’ils sont plus âgés de 4 ou 5 ans que les Rentiers de la premiere Classe ; la rente des Associés de la troisieme Classe sera payée pendant 80 ans, & ainsi des autres Classes, en diminuant toujours de cinq ans. On voit donc par la Table IV. que si on compte les intérêts sur le pied du denier 20, la rente de la premiere Classe doit, être de 5 liv. 1 s. 3 d. pour un prêt de 100 livres ; que la rente de la seconde Classe doit être de 5 liv. 1 s. 7 d. celle de la troisieme Classe de 5 liv. 2 s, 1 d. & ainsi des autres, comme on le voit à la colonne du denier 20 de la Table IV. Si on vouloit compter les intérêts sur le pied du denier 16, la rente de la premiere Classe seroit de 6 liv. 5 s. 6 d. la rente de la secondé Classe seroit de 6 liv. 5 s. 9 d. celle de la troisieme Classe seroit de 6 liv. 6 s. &c. C’est en suivant ce principe, qu’on a formé la Table XVII. elle montre ce que les Rentiers de chaque Classe doivent avoir de rente en Tontine simple pour une Action ou prêt de 300 livres.
25Il n’est pas étonnant que les premiers faiseurs de plans ayent mal déterminé la quantité de rente purement viagere qu’on devoir donner aux Rentiers de chaque âge pour un fonds quelconque : avant M. Hallei, personne (que je sçache) n’avoit parlé des probabilités de la vie, appliquée aux rentes viageres.
26Il n’en est pas de même pour les rentes en Tontine il n’étoit pas plus rare alors qu’à présent, de voir mourir des gens âgés de 94 ou 95 ans, & même au-delà ; ainsi on devoir conclure que d’un nombre de Rentiers un peu grand, comme 100 ou 150, âgés, par exemple, entre 60 & 65 ans, il y en auroit probablement quelqu’un qui vivroit jusqu’à l’âge de 94 à 95 ans : il étoit aisé de voir par là que toute la rente qu’on assignoit à une Société de gens de cet âge, seroit payée pendant 32 ou 33 ans tout au moins ; & voulant laisser tout l’avantage du côté des Rentiers, on n’a voit qu’à supposer qu’elle seroit payée seulement pendant 30 ans, après lequel tems le Débiteur & les Créanciers devant rester quittes, l’idée de la Table IV. qui montre la valeur des payemens selon le nombre qu’on en veut faire, devoit se présenter naturellement à l’esprit, si ces donneurs de projets avoient sçu faire autre chose qu’une addition ou une multiplication. Celui qui fait un plan, doit le faire vrai & selon l’équite ; c’est ensuite à la sagesse & à la prudence des Ministres, à y ajouter ce qu’ils jugent convenable, selon que l’argent est plus ou moins rare, & que l’Etat en a plus ou moins besoin.
Des Rentes viagères en Tontine composée.
27On nomme Tontines composées celles où une partie de la rente que rapporte chaque Action, reste éteinte à la mort du Rentier sur qui elle étoit constituée, comme celle de 1734, dont un quart de la rente de chaque Action s’éteint à la mort du Rentier qui la possede. La Tontine de 1743 est aussi composée, parce que la moitié reste entierement éteinte à la mort de chaque Rentier.
28Pour avoir la rente que doit rapporter une Action d’une Tontine, comme celle de 1734, on doit considérer qu’un quart de l’Action a été constitué en rente purement viagere, puisque le quart de la rente s’éteint à la mort de l’Actionnaire ; & que les autres trois quarts du prix de l’Action, ont été constitués en Tontine simple, puisque les trois quarts de la rente de chaque Action le distribuent aux Survivans de la Classe ou Société ; par là la rente que doit rapporter chaque Action, doit être composée de deux parties.
De ce que doit rapporter le quart du prix de l’Action placé en rente purement viagere, qu’on prendra Table XVI.
De ce que doivent rapporter les trois quarts du prix de l’Action, suivant le plus grand âge qu’il doit y avoir dans la Classe qu’on prendra Table XVII. C’est par ce moyen qu’on a formé la Table XIX.
29La Table XVIII. a été formée en prenant la moitié des rentes de la Table XVI. & la moitié des rentes de la Table XVII. Tout cela est aisé à entendre.
Remarque.
30On doit conclure de tout ce qu’on a dit jusqu’ici, que les rentes viagères de quelque maniere qu’elles soient faites, sont des Jeux ou Loteries, où l’on parie à qui vivra le plus. Celui qui prend l’argent pour en payer la rente, doit être regardé comme le dépositaire de l’enjeu, qui se charge de faire valoir l’argent qu’on lui dépose, & de tenir compte aux Joueurs du bénéfice qu’il en tire, puisqu’il leur paye à la fin de chaque année une partie des capitaux, avec les intérêts des parties de capitaux dont il étoit resté débiteur au commencement de la même année,
31A la plûpart des Jeux ou Loteries, l’avantage est pour celui qui tient le jeu, & le desavantage pour les Joueurs. Ici c’est le contraire en tout.
A tous les Jeux on s’expose à manquer souvent du nécessaire : ici on s’assure du bien pour le reste de sa vie.
A tous les Jeux & Loteries ; l’argent est mort pour les Joueurs pendant tout le tems qu’il est hors de leurs mains : ici l’argent travaille ou rapporte au profit des Joueurs tant qu’il y a des fonds dans les coffres du Dépositaire, ou tant qu’il y a quelques Rentiers vivans.
Enfin ceux qui ont permission de tenir ces tripots, de quelque espece qu’ils soient, vivent largement aux dépens des Joueurs, sur les fonds desquels ils prennent toujours une partie assez considérable, & aussi hardiment que s’ils leurs rendoient un service important : ici bien loin que le Dépositaire prenne aucun bénéfice sur le fonds des Joueurs, il se charge de payer tous les frais.
32Après cet examen il me semble qu’il faut vouloir être dupe, pour s’exposer aux Jeux de hazard, soit Dez, Roue de fortune, &c. où il y a tant de désavantage, préférablement à un Jeu où il y a tout à gagner. C’est cependant ce qu’on voit tous les jours.
Sur les Loteries où il y a des lots en Rentes viagères.
33Quand on fait des Loteries où il y a des lots en Rentes viageres, on doit supposer qu’ils feront tous placés sur des personnes âgées entre 5 & 10 ans, qui sont ceux qui doivent avoir le moins de rente pour un fonds déterminé ; & dans cette supposition, voir quelle quantité de rente on doit faire, eu égard au fonds qu’on reçoit, & au denier d’intérêt dont on veut partir. La quantité de rente qu’on peut faire étant déterminée, on la distribuera en lots comme on voudra, & on donnera ensuite une augmentation aux lots que les Gagnans voudront placer sur des personnes d’un autre âge, proportionnellement à la diminution de leurs probabilités de vie.
34La Table XX. fait voir l’augmentation qu’on doit donner selon les âges ; ainsi celui qui a reçu le fonds convenable pour faire 100 livres de rente viagere à une personne âgée entre 5 & 10 ans, peut pour le même fonds donner 104 liv.1 s . à une personne âgée entre 0 & y ans, ou 132 liv. 10 s. 6 d. à une personne âgée entre 4 y & 50 ans ; ou 297 liv. 7 s. 4 d. à une personne âgée entre 72 & 75 ans, &c.
35La formation de cette Table est aisée à entendre, lorsqu’on fera attention que les lots doivent augmenter pour les différens âges, dans les mêmes rapports que les valeurs de la Table XV.
Manière de déterminer les rentes constituées sur deux personnes.
36On peut faire des rentes viagères qui soient constituées sur deux personnes à la fois, comme le mari & la femme, deux freres, deux amis, &c. pourvû que les personnes soient de même âge ou approchant ; chacun de ces Associés jouit de sa rente propre tant qu’il vit : mais à la mort de l’un des deux le Survivant jouit des deux rentes le reste de sa vie, après quoi les deux rentes restent éteintes ; par-là toute personne en état de le faire, peut assurer du bien à celui qu’il aime, & en jouir lui-même pendant sa vie, sans craindre d’en être privé par la mort de celui à qui il a voulu faire du bien. Ces rentes ne donnent pas tant d’espérance que les Tontines ; mais elles ont quelque chose de plus accommodant pour la Société. Elles doivent tenir, comme on le voit, un milieu entre les rentes purement viageres, & les rentes en Tontines. Voici comment on doit raisonner pour les déterminer.
37Supposons que deux personnes de l’âge de 32 ans veuillent constituer sur leurs deux têtes, on voit par l’ordre de mortalité des Rentiers, qu’il doit y en avoir encore une vivante à l’âge de 67 ans. Si cette personne de l’âge de 67 ans mettoit en rente purement viagere, elle devroit payer comme si elle devoir vivre au moins 9 ans, c’est-à-dire, comme si elle devoir vivre en tout 76 ans ; d’où ôtant 32 qu’elle avoir lors de la constitution, reste 44 ans que la rente de la Societé doit être communément payée ; ainsi c’est la même chose que si ces gens-là prêtoient pour être payés de leurs prêts avec les intérêts en 44 payemens égaux : & par la Table IV. ils doivent avoir 5 liv. 13 s. 3 d.si les intérêts sont comptés sur le pied du denier 20 ; ou 6 liv. 2 s. 5 d. si les intérêts sont comptés sur le pied du denier 18 ; & 6 liv. 14 s. 4 d. s’ils sont pris sur le pied du denier 16.
38Si l’on demandoit pendant quel tems on doit payer une rente constituée sur trois têtes de l’âge de 20 ans ; prenez dans l’ordre de mortalité des Rentiers le tiers des personnes qui correspondent à l’âge de 20 ans, ce tiers est 271 ; voyez à quel âge il correspond, vous trouverez que c’est à 72 ans ; c’est-à-dire que de trois personnes vivantes à l’âge de 20 ans, il doit y en avoir encore une vivante à l’âge de 72 ans. Or une personne de 72 ans qui veut acquerir une rente viagere, doit payer comme si elle étoit assurée de vivre encore 7 ans, ce qui mene à 79 ans ; d’ou ôtant 20 ans qu’avoient les personnes constituantes, reste 59 ans, qui est le nombre d’années qu’on doit payer la rente constituée sur 3 têtes de l’âge de 20 ans.
39Il sera aisé en suivant la même méthode, de trouver le tems qu’on payera les rentes constituées sur quatre, cinq, six têtes, &c.
40On auroit pû se servir de cette méthode pour déterminer les rentes viageres en Tontines ; mais celle qu’on a donnée ci-devant est plus simple.
41S’il s’agissoit de déterminer la valeur présente d’une rente constituée sur deux personnes de différens âges, il faudroit, ainsi qu’à la page 54, trouver toutes les probabilités que ces deux personnes ont de vivre ensemble un an, deux ans, trois ans, &c. jusqu’à la fin. On chercheroit ensuite, comme en la page 110, la valeur actuelle d’une rente viagere d’après cette suite de probabilités ; il est aisé de voir que ce seroit la valeur d’une rente qu’on ne devroit payer que jusqu’au décès de l’une des deux personnes.
42Prenant alors, Table XIV. les valeurs actuelles de la même rente constituée séparément sur chacune de ces deux personnes, & les ajoutant ensemble, on ôteroit de la somme la valeur actuelle de la rente qu’on ne devroit payer que jusqu’au décès de l’une des deux personnes, le reste seroit la valeur actuelle de la rente constituée sur les deux personnes ensemble, ou qu’on devroit payer jusqu’à la mort du dernier.
43On pourroit se servir de cette méthode pour trouver la valeur présente d’une rente constituée sur deux personnes de même âge ; mais la premiere est plus courte & plus aisée.
Autres Rentes Viagères
44On croit communément que la Banque de Venise prenoit autrefois les constitutions qu’on vouloit faire sur des enfans naissans, à condition de n’en payer aucune rente pendant 10 ans, après lequel tems tous ceux qui vivoient devoient avoir autant de rente viagere qu’on avoit constitué de fonds sur leurs têtes. Je m’en suis fait informer ; & il n’est pas vrai que ces sortes de rentes viageres ayent jamais existé que dans l’idée du public. Je vais montrer comment elles devroient être faites ; c’est-à-dire que je vais faire voir combien les Rentiers de chaque classe ou âge devroient être de tems sans rien toucher, pour avoir le reste de leur vie autant de rente qu’ils auraient constitué de capital ; par où l’on pourra juger du désavantage que la Banque auroit trouvé à emprunter à de pareilles conditions, quoique la vie moyenne des enfans naissans soit bien plus courte que celle des personnes qui sont hors des dangers ausquels les enfans sont sujets.
45Nous supposons ici qu’on veuille compter les intérêts sur le pied du denier 20, & que les 758 Rentiers de l’âge de 27 ans donnent chacun 100 liv. il faut trouver le tems pendant lequel ils ne doivent rien recevoir, afin qu’au bout de ce tems le fonds total avec les intérêts, & les intérêts des intérêts, fassent le fonds que devroient donner ensemble tous ceux qui resteront vivans à la fin de ce tems, pour avoir 100 liv. de rente viagere chacun. Supposons qu’ils attendent 32 ans, on voit par la Table I. qu’au bout de ce tems 100 liv. sont devenues 476 liv. 10 s. le fonds total des 758 Rentiers sera donc devenu 361187 liv. mais au bout des 32 ans les Rentiers qui avoient 27 ans lors de la constitution en auront 59, & des 758 Rentiers constituans, il n’en doit rester que 476, chacun desquels devroit donner 950 liv. pour avoir 100 liv. de rente viagère, comme on le voit Table XIV. lesquelles 950 liv. étant multipliées par les 476 Rentiers de l’âge de 59 ans, le produit 452 200 liv. est ce qu’ils devroient fournir entr’eux pour avoir chacun 100 liv. de rente viagere ; mais la constitution des 758 Rentiers de l’âge de 27 ans, n’est alors devenue que 361187 liv. ils doivent donc attendre plus long-tems.
46Supposons maintenant qu’ils attendent 34 ans, au bout de ce tems 100 liv. sont devenues 525 liv. 6 s. 8 d. le fonds des 758 Rentiers constituants sera donc devenu 398 202 liv. 13 s. 4 d. les Rentiers auront alors 61 ans, il n’en doit rester que 450, chacun desquels devroit fournir 898 liv. pour avoir 100 liv. de rente ; les 450 Rentiers restants devroient donc fournir 404100 liv. ils n’ont donc pas encore assez attendu, puisque leur fonds est encore un peu moindre que ce qu’ils devroient donner. Mais parce que la différence est peu de chose, & voulant toujours laisser l’avantage du côté des Rentiers, on doit conclure que les Rentiers de l’âge de 27 ans, doivent attendre 34 ans pour que leur constitution soit devenue égale à ce qu’ils devroient fournir alors pour avoir autant de rente qu’ils auront constitué de capital ; & comme l’on ne doit recevoir une rente viagere qu’un an après la constitution, il s’enfuit que les Rentiers de l’âge de 27 ans doivent rester 35 ans sans rien toucher.
47C’est en suivant ces principes que la Table XXI. a été formée ; elle montre le tems que les Rentiers de chaque classe doivent rester sans rien toucher pour avoir le reste de leur vie autant de rente qu’ils auront constitué de capital, soit qu’on veuille compter les intérêts sur le pied des deniers 20, 18 ou 16.
48On pourroit par la même méthode trouver le tems qu’il faudroit attendre pour avoir en rente la moitié, ou le tiers, ou le quart, & c, de la constitution.
49On pourroit encore faire des rentes viagères qui sussent en forme de Tontines, en donnant un accroissement déterminé, à mesure que les Rentiers avanceraient en âge, sans qu’ils fussent obligés de l’attendre de la mort de leurs confreres. Cette maniere de faire des rentes seroit assez attrayante pour les Rentiers ; mais le Débiteur ne sçauroit jamais la quantité de rente qu’il aurait à payer par année, pouvant y en avoir tantôt plus & tantôt moins, selon le plus ou moins de Rentiers morts.
50Il y a encore plusieurs autres manieres de faire des rentes viagères dont nous ne parlerons pas, étant plus de Spéculation que de pratique, & qu’il seroit d’ailleurs bien difficile de mettre à la portée de tout le monde, comme on a tâché de faire à l’égard de ce qu’on a vû jusqu’ici. On n’a eu en vue dans cet Essai, que les sortes de rentes viageres qui peuvent être d’usage.
51La derniere Table contient les différentes valeurs actuelles des rentes purement viageres, calculées par MM. Simpson, de Moivre, & Kerseboom d’après les différens ordres de mortalité établis. Je les mets ici, parce que trouvant dans un même Ouvrage tout ce qui a été fait sur cette sorte de rente, on en fera plus aisément les comparaisons. M. Simpson ne les a calculées que depuis l’âge de 6 ans jusqu’à l’âge de 75 ans ; M. de Moivre, depuis l’âge d’un an jusqu’à 84ans, l’un & l’autre d’année en année ; & M. Kerseboom depuis la naissance jusqu’à 70 ans, seulement de 5 en 5 ans ; au moins n’en trouve-t-on pas davantage dans la Bibliotheque raisonnée d’Amsterdam, aux trois premiers mois de 1743. Les Valeurs calculées par M. Simpson, ne sont que pour une rente viagere de 10 livres par an ; mais on n’a qu’à supposer un zéro par tout, & ces valeurs feront alors semblables tant à celles qui ont été calculées par M. de Moivre, qu’à celles de M. Kerseboom, & à celles de la Table XIV. qui sont toutes pour une rente viagere de 100 livres par an.
52F I N.
Notes de fin
1 On néglige les fractions en faveur des Rentiers.
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