Avant-propos à la présente édition
p. IX-XI
Texte intégral
1Antoine Deparcieux, mathématicien et mécanicien, est conduit, pour des raisons que le lecteur trouvera exposées dans le présent ouvrage, à se préoccuper de la mortalité humaine en ayant pour objectif, partagé avec nombre de ses contemporains, d’établir un « juste prix » des rentes viagères simples, composées et en tontines. Le pasteur Süβmilch, en 1762, trace une esquisse historique de cette préoccupation1 :
« […] on s’est fort appliqué en Hollande à se mettre en quête de l’âge à la mort et, avant tout autre, Messieurs Struyck et Kersseboom, dont j’ai déjà souvent fait état, s’y sont distingués autour de 1740. Les savants d’Angleterre et de France n’y ont pas moins appliqué leur zèle. En 1746, Monsieur Deparcieux publia son essai, dans lequel on trouve presque tout ensemble de ce qui se rapporte au sujet. Outre les efforts de Messieurs Simpson et Smart, Monsieur Jacob Hogdson, membre de la Société des Sciences de Londres et directeur de l’École Royale de Mathématiques, publia également, en 1747, un petit ouvrage de 48 pages in quarto sous ce titre : The Valuation of Annuities upon Lives deduced from the London bills of Mortality by J. Hogdson. Tous deux, Monsieur Deparcieux comme Monsieur Hogdson, ont brièvement et clairement indiqué comment déterminer les rentes viagères. »
2L’ouvrage de Deparcieux est bien, comme l’écrit Süβmilch, eine Anweisung, une instruction, une méthode destinée à enseigner de quoi il s’agit et comment faire. L’objectif – à mon sens pleinement atteint – du mathématicien est pédagogique : le lecteur a entre ses mains un manuel. Et qui dit manuel dit simplicité et synthèse.
3Simplicité. Je donnerai l’exemple de la notion de « vie moyenne » telle que la présente Deparcieux. C’est « le nombre d’années que vivront encore, les unes portant les autres, les personnes de l’âge correspondant à cette vie moyenne2 ». Cette définition nominale est complétée, comme il se doit, par une définition extensive décrivant les procédures destinées à calculer cette vie moyenne3. Le même mode d’exposition est naturellement utilisé pour les rentes viagères.
4Synthèse. Outre des problèmes avec leurs solutions, Deparcieux fournit au lecteur tout ce qu’il est bon de savoir en amont et en aval sur le sujet, en prenant ce lecteur littéralement par la main, c’est-à-dire en exposant sans faillir sa propre démarche réflexive. Le lecteur refait ainsi sans trop de peine le chemin qu’a parcouru l’auteur, et, fût-il néophyte, le voilà devenu mathématicien et actuaire. Non content de cet aspect technique de sa pédagogie, Deparcieux prend la peine de fournir tout renseignement utile sur les sources qu’il met à contribution, sur les objectifs des rentes viagères, sur les notions touchant à la probabilité et au hasard ; il s’attarde enfin à justifier4 ces rentes du point de vue de l’intérêt de l’État comme de celui des particuliers qui y souscrivent5.
5Compte tenu de ces considérations rapidement rappelées – le lecteur en trouvera tout le développement nécessaire dans le présent volume –, il faut remercier et féliciter les chercheurs qui ont entrepris de mettre à la disposition du public cet incontournable classique qu’est l’Essai sur les probabilités de la durée de la vie humaine de 1746, avec son Addition de 1760.
6Le projet doit beaucoup à la sagacité et à la persévérance de Éric Brian, responsable des Collections historiques à l’Ined. Ce spécialiste du rapport qu’entretient à l’âge classique la science théorique de la population ou encore l’« arithmétique politique » – comme l’on disait à l’époque – avec la pratique concrète qu’elle engendre a inscrit et maintenu au calendrier des publications de l’Ined l’ouvrage de Deparcieux en tant qu’il est un des grands parangons de ce savoir et de ce savoir-faire.
7Pour mener à bien cette réédition, Éric Brian a réuni une poignée de spécialistes dont la tâche – lourde, modeste et indispensable – fut d’éclairer le texte et ses contextes, et ce non point parce que Deparcieux manquerait de clarté, mais parce qu’un guide s’impose pour aborder ces savoirs anciens dans les termes d’une histoire des sciences, non pas rétrospective, mais compréhensive. C’est un honnête homme de l’âge classique que Deparcieux entreprend d’éclairer. Il convient que, à son tour, l’honnête homme du xxie siècle trouve à son service pareilles lumières.
8Cem Behar – qui, responsable scientifique de cette édition, en a dressé le plan, a établi et annoté le texte de l’Essai, rédigé une biographie de Deparcieux et réuni sur lui une importante documentation : correspondance, gravures, autographes et reproductions, documents d’archives de l’Académie des sciences –, démographe, spécialiste des savoirs anciens sur la population, et particulièrement de ceux qui touchent aux tables de mortalité, Georges Gallais-Hamonno, Jean Berthon, Christian Rietsch, enseignants, économistes ou actuaires praticiens qui ne dédaignent pas de se préoccuper de l’histoire de leurs disciplines respectives, tous ont pour leur part, et sans ménager leurs compétents efforts, contribué à faire de ce volume une véritable initiation aux techniques démographiques et financières du xviiie siècle, tout comme à l’histoire de l’encore jeune science des populations à cette époque.
9Le service des Éditions de l’Ined s’est employé à faire de cet ouvrage, outre la reproduction la plus exacte et la plus minutieuse possible de ce qui y est consigné, le bel objet éditorial auquel la collection des « Classiques de l’économie et de la population » a dès longtemps accoutumé ses lecteurs.
10Cette parution est ainsi à saluer comme un événement en histoire de la science de la population, dont, en souffrît-elle, la légendaire modestie de Deparcieux ne peut que s’enorgueillir.
Notes de bas de page
1 Johann Peter Süβmilch, Ordre divin, II, XXIII, §. 498., p. 375. Berlin, 1762.
2 Antoine Deparcieux, Essai…., p. 56.
3 Ibid., p. 57-58.
4 Aussi bien pour ce qui est de leur Moralität, leur moralité comme dit Süβmilch. D’un point de vue moral et religieux, la légitimité du prêt à intérêt était encore largement mise en doute à cette époque.
5 Par exemple, Essai…, p. 120 : « Celui qui fait un plan, doit le faire vrai & selon l’équité ; c’est ensuite à la sagesse & à la prudence des Ministres, à y ajouter ce qu’ils jugent convenable, selon que l’argent est plus ou moins rare, & que l’Etat en a plus ou moins besoin. »
Auteur
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