Chapitre 11 ■ Violences et migration
p. 391-441
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Texte intégral
1Les recherches sur les migrations se sont longtemps focalisées sur les « problèmes sociaux » que rencontrent les immigré·e·s (difficultés dans le processus d’intégration, conditions de logement dégradées, ségrégation du marché du travail, etc.) (Sayad, 1999). Dans la liste de ces « problèmes sociaux », les questions relatives aux inégalités entre les femmes et les hommes dans la famille ont toujours fait l’objet d’une attention relative : elles sont relevées mais rarement étudiées en tant que telles, si ce n’est à partir de la question des unions mixtes. L’idée d’une fréquence plus élevée des violences commises à l’encontre des femmes et des filles au sein des familles immigrées et, par extension, dans les quartiers d’immigration est ainsi peu documentée scientifiquement, alors qu’elle est couramment soutenue dans le débat public, comme le rapporte l’ouvrage collectif Violence against women and ethnicity à travers de multiples exemples en France et en Europe (Thiara, Condon et Schröttle, 2011). Tel fut le cas en France, en particulier au début des années 2000, avec les mariages forcés (Hamel, 2011a) ou les « viols collectifs » alors appelés « tournantes », perçus comme un phénomène nouveau, propre aux « jeunes des banlieues », autrement dit aux enfants d’immigré·e·s (Hamel, 2003 ; Mucchielli, 2005).
2Les données statistiques ont invalidé l’idée que les jeunes issus de l’immigration seraient davantage enclins à commettre des viols que les hommes de la population majoritaire (Hamel, 2003). Cette idée d’un « sexisme extraordinaire », comme le nomme Christine Delphy (Delphy, 2006 ; 2008) perdure cependant. Le débat social revient régulièrement. Les législations et les traditions de certains pays dont ces familles sont originaires, Maghreb, Turquie, Afrique subsaharienne, Afghanistan, Inde… sont défavorables aux femmes et concourent à formuler l’hypothèse d’une transmission intrafamiliale de normes et de valeurs qui seraient plus sexistes que celles existant en France. Même si dans certains de ces pays, des évolutions juridiques récentes témoignent de changements en cours très importants. Par exemple, en Tunisie, une loi a été votée en 2017, abolissant la possibilité pour l’auteur de viol de se marier avec sa victime mineure pour éviter les poursuites judiciaires2.
3Les recherches démographiques sur les violences commises contre des femmes dans les pays du Maghreb donnent aussi matière à cette hypothèse d’un sexisme plus prononcé dans certains pays d’origine, puisque les prévalences y paraissent nettement plus élevées qu’en France : par exemple l’Enquête nationale sur la prévalence des violences à l’égard des femmes au Maroc, conduite en 2009 auprès de 9534 femmes, selon une méthodologie identique à celle de l’Enveff en France en 2000, révèle que 22,6 % des femmes marocaines ont subi des violences sexuelles au cours de leur vie et 35,3 % des violences physiques après l’âge de 18 ans (Haut commissariat au plan, 2009), contre 11 % de violences sexuelles au cours de la vie et 17 % de violences physiques depuis l’âge de 18 ans en France, selon l’Enveff (et donc selon des indicateurs strictement identiques). Les prévalences sont ainsi deux fois plus élevées au Maroc qu’en France.
4Les enquêtes démographiques et de santé3 qui interrogent les femmes sur la légitimité des violences conjugales vont dans le même sens. Si l’on reprend le cas du Maroc, il apparaît que 63,9 % des femmes considèrent légitime que le mari « batte sa femme » dans le cas où elle « refuse d’avoir des rapports sexuels » et 50,8 % quand elle « discute ses opinions » (EPSF, 2003- 2004). Si les questions d’opinion nécessitent une certaine prudence dans leur interprétation, ce résultat montre a minima qu’il paraît fort difficile de remettre en cause ouvertement l’autorité du mari dans une enquête conduite par les services de l’État. Les enquêtes démographiques et de santé sur les pays d’Afrique subsaharienne, la Turquie, l’Inde… présentent des résultats du même ordre.
5L’hypothèse d’une prévalence plus élevée des violences contre les femmes peut cependant être nuancée par d’autres : la volonté de fuir ces normes jugées trop rigides peut avoir été un facteur de la migration au niveau individuel. Il peut aussi être logiquement entendu que la résidence sur le territoire français depuis plusieurs décennies a modifié les normes et pratiques en matière d’égalité entre les sexes, comme on peut le constater avec par exemple le déclin des mariages forcés au fil des générations parmi les personnes immigrées résidant en France (Hamel, 2011a).
6Les recherches sur la violence et l’immigration ne sont que très rarement fondées sur des productions statistiques qui permettraient d’objectiver et de valider ou infirmer ces hypothèses. Les recherches qualitatives se situent quant à elles dans une tension entre la volonté de ne pas stigmatiser certaines populations et celle de ne pas occulter les violences qui existent réellement (Thiara et al., 2011).
7En outre, renvoyer la violence envers les femmes à des groupes minoritaires repose souvent sur la mise en exergue de formes de violences qui obèrent les comparaisons, en se focalisant par exemple sur des types de violences qui n’existent que dans ces familles (excision, mariages forcés, crimes d’honneur, etc.) (Hamel, 2006). La majorité des recherches se concentrent sur les violences vécues par les femmes immigrées au sein de leurs relations de couple ou familiales, sans tenir compte des violences vécues dans d’autres contextes, conduisant à occulter ou sous-documenter les expériences de violences, ainsi que leur articulation avec le racisme et les discriminations que sont susceptibles de vivre ces femmes et ces hommes dans les contextes de travail ou dans l’espace public (Gonçalves et Matos, 2016). Ainsi, ces représentations sous-tendues par l’idée d’un sexisme plus fort dans les familles et les cultures d’origine étrangère se diffusent sans que des données quantitatives permettent d’attester ou d’infirmer ces affirmations, et encore moins d’expliquer ce qui pourrait en être la cause.
8L’enquête sur les violences envers les femmes en France (Enveff), qui date de l’année 2000, fait figure d’exception. Les femmes immigrées y déclarent davantage de violences que les femmes non immigrées dans l’espace public, dans la sphère du travail mais aussi dans le couple (Jaspard et al., 2003). Cependant, le faible effectif de femmes immigrées parmi les enquêtées fragilise ces résultats dont la solidité statistique est moins forte que pour l’ensemble des femmes enquêtées. Par ailleurs, les femmes immigrées résident en majorité dans les très grandes agglomérations, une caractéristique qui, d’après l’enquête, surexpose aux violences quel que soit le contexte où elles se produisent (rue, travail, couple) et cela indépendamment de l’origine des femmes. La forte corrélation entre le fait de vivre en ville et d’être immigrée rend dès lors les interprétations difficiles quant aux causes de cette surexposition des femmes immigrées aux violences.
9L’un des objectifs de l’enquête Virage était de dépasser les incertitudes produites par les résultats de l’enquête Enveff sur les populations minoritaires, en augmentant considérablement l’effectif de personnes enquêtées, afin de tenter de répondre aux questionnements qui s’expriment sur cette éventuelle surexposition des femmes immigrées et de leurs filles aux violences machistes. De 7000 femmes enquêtées dans l’Enveff, leur nombre a plus que doublé dans Virage.
10L’une des hypothèses testée ici est donc que l’impact des cultures d’origine pourrait se traduire par une prévalence plus importante des violences intrafamiliales correspondant aux pays d’émigration où les législations relatives au statut des femmes sont plus inégalitaires qu’en France. Il en est de même pour le statut des enfants dans la famille. Les individus peuvent être porteurs de ces normes, en particulier les hommes, et les pères et les mères en tant que parents et adultes, mais aussi leurs descendant·e·s devenu·e·s adultes.
11Le présent chapitre entend apporter des éclairages à cette discussion en répondant aux questions suivantes : y a-t-il plus de violences dans les familles immigrées et si oui, certaines origines migratoires sont-elles davantage concernées ? Comment expliquer cette différence et pourrait-elle s’expliquer par d’autres caractéristiques sociodémographiques que l’origine proprement dite ? Les mêmes interrogations seront appliquées aux personnes originaires d’un département d’outre-mer, quand bien même ces personnes ne sont pas « immigrées » au sens administratif du terme, puisqu’elles sont Françaises sur plusieurs générations. Cependant, la discontinuité territoriale et la prévalence plus élevée des violences dans les régions d’outre-mer en comparaison de la métropole, établies par les réplications de l’Enveff dans ces territoires dans les années 2000 (Brown, 2012 ; Brown et Lefaucheur, 2012, Hamelin et Salomon, 2004 ; 2007) de nouveau confirmées par les réplications de l’enquête Virage à La Réunion et en Martinique en 2018 (Condon et al. 2019a ; 2019b ; 2019c), justifient ce questionnement.
12La seconde piste de travail suivie dans ce chapitre concerne les violences dans l’espace public. Lors de la conception de l’enquête Virage, la volonté scientifique d’étudier le continuum entre les violences et les discriminations subies par les personnes minorisées, c’est-à-dire socialement stigmatisées et rejetées comme le sont les personnes immigrées ou les homosexuelles, était très présente. Nous voulions explorer les liens entre la condition minoritaire et l’expérience des violences subies. C’est pourquoi l’échantillon et le questionnaire de l’enquête Virage ont été conçus pour permettre d’identifier ces populations minoritaires et d’atteindre des effectifs suffisants pour mener des analyses plus solides que celles de l’Enveff.
13L’hypothèse suivie est que le racisme et les discriminations construisent des expériences de violences spécifiques selon les origines migratoires des personnes, certaines origines s’avérant plus exposées que d’autres au racisme. Tel était le résultat de l’enquête Trajectoires et origines réalisée en 2008 : il apparaissait effectivement que les personnes originaires du Maghreb, d’Afrique subsaharienne et de Turquie, et plus encore leurs descendant·e·s né·e·s en France, étaient les plus exposé·e·s aux discriminations dans l’emploi et les plus exposé·e·s aux « propos et comportements ouvertement racistes » dans l’espace public (Hamel, Lesné et Primon, 2016). Les descendant·e·s d’immigré·e·s d’Asie du Sud-Est étaient très fortement exposé·e·s aux comportements ouvertement racistes dans l’espace public, sans être discriminé·e·s dans l’emploi. Quelle que soit l’origine, les hommes se révélaient davantage ciblés que les femmes. Mais l’enquête ne permettait pas de déterminer la nature des comportements racistes subis dans l’espace public. L’enquête Virage permet d’approfondir ces constats, en apportant des informations complémentaires.
14Dans l’espace public, le racisme et les discriminations peuvent prendre la forme de violences physiques ou verbales. Essayer de repérer le caractère raciste de ces violences apporte un élément de compréhension au contexte de leur survenue. Le questionnaire de l’enquête Virage est assez innovant pour mener de telles analyses dans la mesure où il permet de recueillir l’avis des enquêté·e·s sur les causes éventuelles des violences qu’ils/elles ont subies : sexisme, racisme, homophobie. Par conséquent, une attention particulière est portée aux caractéristiques individuelles plus ou moins visibles qui peuvent générer des formes de stigmatisation comme la religion, la couleur de peau, le quartier de résidence… Le présent chapitre s’emploie ainsi à analyser la manière dont les violences de genre se combinent avec les violences racistes dans l’espace public.
15Après avoir présenté la manière dont Virage permet d’appréhender et de caractériser les populations immigrées et leurs descendant·e·s selon les pays d’origine, nous décrivons les caractéristiques sociodémographiques pour chaque origine. Puis nous analysons les violences vécues dans la famille pendant l’enfance et ensuite dans l’espace public.
I. Identifier et interroger les immigré·e·s et leur descendant·e·s dans une enquête en population générale
1. Classification et terminologie
16Le pays de naissance et la nationalité à la naissance des enquêté·e·s et de leurs parents ont donc été recueillis. Ces informations permettent de construire des groupes en fonction du lien à la migration (être né·e à l’étranger ou sur le territoire français) et de l’origine (le pays d’émigration). Une classification en 5 catégories a été établie selon le pays de naissance des enquêté·e·s4 et de leurs parents (encadré 1).
17Il s’agit de :
la population majoritaire ;
les Français·e·s de naissance sur deux générations au moins (hors DROM, avec une histoire migratoire) ;
la population née dans un DOM ou un TOM ou de parents nés dans un DOM ou un TOM (regroupée dans la catégorie « originaire d’un DROM5) » ;
les immigré·e·s ;
les descendant·e·s d’immigré·e·s.
18La population dite « majoritaire » l’est certes au sens numérique du terme mais elle l’est aussi et surtout au sens donné par la sociologue Colette Guillaumin dans son analyse du racisme (Guillaumin, 1992 ; 2002). Les groupes « majoritaire » et « minoritaire » sont respectivement et mutuellement constitués par un rapport social de domination, qui se traduit par la confrontation régulière du groupe minoritaire au racisme, aux discriminations et à la stigmatisation. Les termes « minoritaire » et « majoritaire » sont entendus comme des positions sociales hiérarchisées. Dans nos analyses statistiques, le groupe majoritaire sert de point de comparaison car il incarne précisément la norme sociale dominante et une position privilégiée.
Encadré 1. Classification des liens à la migration et au pays d’origine
1. La population dite « majoritaire » correspond aux personnes nées Françaises sur le territoire métropolitain et dont les deux parents sont nés Français en métropole. Ce groupe est ainsi majoritaire numériquement (76 % de la population des 20-69 ans), en plus de l’être socialement, puisque la quasi-exclusivité des personnes de ce groupe ne subit ni racisme ni discrimination liés à l’origine. Il s’agit en effet d’une population sans ascendance migratoire directe (sur deux générations). Elle ne compte que 1 % de personnes de religion musulmane (possiblement converties ou arrière-petits enfants d’immigré·e·s) et 0,3 % de personnes de confession juive (annexe V).
2. Les personnes françaises de naissance nées de parents Français de naissance, ayant une histoire migratoire dans leur famille que l’on identifie par le fait qu’elles sont nées avec la nationalité française à l’étranger ou que leurs parents sont nés à l’étranger avec la nationalité française. Ces personnes représentent 3,5 % de la population des 20-69 ans. Les deux tiers de ces personnes ont un lien avec l’Algérie qui apparaît comme le pays de naissance de l’individu ou plus fréquemment celui d’un de ses parents, et qui est étroitement connecté à l’histoire coloniale de la France sur ce territoire. Il s’agit donc majoritairement de descendant·e·s de rapatrié·e·s d’Algérie. Les rapatrié·e·s sont d’une part, les personnes d’origine européenne communément appelées « pieds-noirs », d’autre part les harkis de confession musulmane ayant fait le choix de l’Algérie française, et enfin les juifs séfarades qui furent déclarés citoyens français par le décret Crémieux de 1865. Leurs enfants nés en France métropolitaine ou leurs petits-enfants (compte tenu des tranches d’âges de l’enquête) représentent 3,5 % des 20-69 ans. Ils comptent plus de 60 % de catholiques, 11 % de musulmans et 4 % de juifs.
3. Les « originaires d’un DROM » sont les personnes natives d’un DOM ou un TOM et leurs descendant·e·s. Il s’agit :
- d’une part, des personnes nées avec la nationalité française, dans l’un des départements d’outre-mer (Guyane, Guadeloupe, Martinique et La Réunion), un territoire d’outre-mer, et dont un ou les deux parents sont nés dans un DOM ou un TOM (ou assez rarement dans un autre pays) ;
- d’autre part, des personnes nées en métropole dont l’un ou les deux parents sont nés dans un DOM ou un TOM.
Les personnes originaires d’un DOM ou un TOM et leur descendant·e·s sont rassemblés en une seule catégorie, quel que soit leur lieu de naissance, alors qu’elles sont distinguées dans l’enquête Trajectoires et origines, cela pour des raisons d’effectifs. Elles représentent 1 % des 20-69 ans. Les personnes originaires d’un TOM sont très minoritaires. Les deux tiers sont nés dans un DROM, l’autre tiers en métropole. (Notons que quelques individus nés dans un DROM, ont des parents nés en métropole, et n’ont grandi que quelques années dans ce DROM. Ils sont très peu nombreux et correspondent à des enfants de métropolitains partis vivre dans un département d’outre-mer et revenus alors que leur enfant était assez jeune, ce que l’on repère dans l’enquête en regardant l’âge d’arrivée en France métropolitaine de l’enquêté·e et de ses enfants. Ce retour correspond le plus souvent à l’âge de début de scolarisation. Ces enquêté·e·s ont été placé·e·s dans le groupe majoritaire.)
4. Les personnes immigrées sont définies selon les classifications retenues par l’Insee. Il s’agit des personnes nées étrangères à l’étranger. Dans la tranche d’âges des 20-69 ans, elles représentent 11 % de la population.
5. Les descendant·e·s d’immigré·e·s sont les personnes nées en France métropolitaine dont au moins l’un des parents est immigré. Il s’agit de personnes adultes, étant fils ou filles d’immigré·e·s. Ce groupe représente presque 9 % de la population des 20-69 ans.
Les données du recensement de l’Insee fournissent des informations sur la population immigrée en France métropolitaine : en 2014, presque 6 millions d’immigré·e·s vivaient dans un ménage ordinaire sur le territoire métropolitain, soit 9,1 % de la population, toutes catégories d’âges confondues. La combinaison des données du recensement, de l’enquête Emploi en continu et de l’enquête Trajectoires et origines, permet quant à elle d’estimer le nombre de personnes nées en France d’un ou deux parents immigrés à 7,3 millions (dont 3,3 millions ont leurs deux parents immigrés), soit 11 % de la population. Au total, les personnes immigrées et issues de l’immigration représentent ainsi près de 20 % de la population résidant en France ce qui explique que ces populations n’ont pas fait l’objet d’un échantillonnage spécifique ni de surreprésentation dans l’échantillon.
19Si l’objectif de l’échantillonnage est d’être représentatif de la population générale résidant en France métropolitaine, les personnes immigrées s’avèrent sous-représentées à l’issue de la collecte, parmi les répondant·e·s de l’enquête Virage (respectivement 6,1 % au lieu des 10,9 % attendus, tableau 1). Ce biais d’échantillonnage se retrouve dans toutes les enquêtes téléphoniques comme en face-à-face et a fait l’objet d’une rectification par l’application d’une pondération (dont la construction est précisée dans le chapitre 2).
20Cette différence peut être liée au fait que le questionnaire n’a été passé qu’en français : il avait été envisagé de le traduire en anglais et en arabe, les langues étrangères les plus courantes en France, et de recruter des enquêteurs et enquêtrices bilingues. Mais le coût généré par ces adaptations s’est révélé prohibitif. Les non-francophones ne pouvaient donc pas participer à l’enquête. En outre, les questions sur l’origine et sur la religion ont suscité des abandons en cours de questionnaire (voir chapitre 2).
2. Distinguer et classer les origines géographiques
21Pour mener les analyses en fonction de l’origine, des regroupements ont été opérés, qui permettent de rendre compte de la diversité des origines et de l’hétérogénéité des trajectoires migratoires, tout en veillant à préserver des effectifs suffisants pour mener les analyses. Le tableau 2 présente la composition de chaque groupe et les effectifs correspondants. Les groupes construits reprennent, à quelques différences près, les regroupements déjà effectués par l’enquête Enveff pour les immigrées et les descendantes d’immigré·e·s, mais grâce à des effectifs deux fois plus importants, l’enquête permet d’en préciser la composition.
22Les immigré·e·s en nombre plus important sont originaires du Maghreb (plus de 30 %), suivi·e·s de près par ceux originaires d’Europe du Sud (20 %). Parmi les Maghrebin·e·s, l’effectif des Algérien·ne·s est aussi plus important que celui des Marocain·e·s, tandis que les Tunisien·ne·s sont une petite minorité. Parmi les personnes originaires d’Europe du Sud, les Portugais·e·s sont trois fois plus nombreux que les Italien·ne·s et les Espagnol·e·s. Les pays d’émigration les plus représentés parmi les arrivant·e·s d’Europe de l’Ouest sont ceux limitrophes de la France : pour moitié, les pays francophones (Belgique, Suisse, Luxembourg) et, pour l’autre moitié, l’Allemagne et le Royaume-Uni. Nous avons regroupé dans la catégorie Europe de l’Est, les pays de la partie orientale de l’Union européenne (qui représentent les trois quarts de ce groupe) et ajouté la Russie et l’Ukraine qui constituent le quart restant. Les immigré·e·s originaires de Pologne forment un quart de ce groupe. Ces pays ont en commun d’avoir appartenu au bloc soviétique, avant l’intégration de la plupart d’entre eux dans l’Union européenne. Les immigré·e·s du continent asiatique et du Moyen-Orient forment un ensemble composite, très large géographiquement, dans lequel les personnes originaires de Turquie, du Liban et le trio des pays asiatiques anciennement colonisés par la France (Vietnam, Laos et Cambodge) sont les plus nombreux. Les immigré·e·s d’Afrique subsaharienne viennent essentiellement des pays du golfe de Guinée. Des répartitions relativement similaires s’observent parmi les descendant·e·s d’immigré·e·s (tableau 3).
Tableau 1. Distribution de la population enquêtée selon l’origine

Tableau 2. Distribution de la population immigrée dans l’enquête Virage

Tableau 3. Distribution des personnes descendantes d’immigré·e·s dans l’enquête Virage

23Dans la mesure où les effectifs de certains groupes (immigré·e·s et descendant·e·s d’immigré·e·s d’Amérique, immigré·e·s d’Europe de l’Est) ne sont pas toujours suffisants pour que des résultats soient statistiquement solides, ils sont indiqués pour information sans être systématiquement commentés.
II. Des populations hétérogènes selon leur situation migratoire et socioéconomique
24Des questions permettent de caractériser dans l’enquête Virage la trajectoire migratoire des individus (âge à la migration, nationalité, statut administratif…) et leurs caractéristiques socioéconomiques (situation d’activité, niveau de qualification, degré de maîtrise de la langue, etc.). Les conditions de vie et les parcours migratoires sont très hétérogènes selon les pays de provenance. Les conditions d’accès à la nationalité et au droit au séjour divergent aussi assez fortement selon que les individus viennent de pays de l’Union européenne ou non.
25Les groupes d’origine se distinguent d’abord par l’âge des individus qui le composent et par l’ancienneté de l’installation en France depuis l’après-guerre (voir annexe I). Les immigré·e·s d’Europe du Sud sont les plus âgé·e·s et les plus anciennement arrivé·e·s : la proportion de personnes déjà retraitées est nettement plus élevée que pour les autres groupes. Inversement, les immigré·e·s et descendant·e·s d’immigré·e·s du Maghreb et d’Afrique subsaharienne sont relativement jeunes, avec parmi les immigré·e·s une part croissante de jeunes adultes venus pour poursuivre leurs études supérieures. La migration en provenance de ces pays n’est ainsi plus une migration de travail comme dans les années 1970. En termes socioéconomiques, ce sont parmi les personnes originaires des DROM (et leurs descendant·e·s) et les immigré·e·s d’Afrique subsaharienne que l’on compte le plus d’ouvrier/ère·s et d’employé·e·s, notamment chez les femmes. Les immigré·e·s d’Europe du Sud et du Maghreb font aussi davantage partie des classes « populaires » que les personnes de la population majoritaire. Les taux de chômage les plus élevés se rencontrent parmi ceux qui sont originaires des DROM et parmi leurs descendant·e·s, et dans une moindre mesure parmi les immigré·e·s d’Afrique subsaharienne et leurs descendant·e·s.
26Les immigré·e·s et descendant·e·s d’immigré·e·s résident de manière massive dans les grandes agglomérations, en particulier les immigrées d’Afrique subsaharienne qui sont bien plus nombreuses que les autres à résider en Île-de-France, tout comme le sont aussi les femmes originaires des DROM. Les personnes immigrées vivent dans leur ensemble nettement plus souvent en Île-de-France et dans les grandes villes que la population majoritaire.
27Les descendant·e·s d’immigré·e·s présentent des caractéristiques proches des immigré·e·s de même origine. Les écarts à la population majoritaire distinguent cependant les origines et sont nettement moins prononcés que pour les immigré·e·s. Alors que les descendant·e·s d’immigré·e·s d’Europe du Sud, plus âgé·e·s que les autres, ont des caractéristiques proches de la population majoritaire, à l’instar des personnes originaires d’Europe de l’Ouest et leurs descendant·e·s, les descendant·e·s d’individus originaires du Maghreb sont celles et ceux qui présentent les professions et catégories socioprofessionnelles les moins qualifiées et les plus éloignées de celles de la population majoritaire, tant pour les hommes que pour les femmes : moins souvent diplômé·e·s du supérieur, plus souvent au chômage (15 % pour les hommes et 19 % pour les femmes), plus souvent inactifs ou inactives (7 % et 21 %), et plus souvent ouvrier·e·s ou employé·e·s. Les descendant·e·s d’Afrique subsaharienne présentent un profil plus jeune avec un niveau de qualification élevé, surtout pour les hommes. Environ 20 % des femmes et 27 % des hommes de ce groupe sont étudiant·e·s.
28Les immigré·e·s, en particulier ceux qui sont originaires du continent africain (Maghreb compris) ainsi que les personnes issues des DROM, viennent de familles qui étaient généralement composées de très grandes fratries, et où la religion avait une forte importance dans l’éducation reçue en tant qu’enfant, ce qui les distingue assez fortement des immigré·e·s européens et de la population majoritaire (annexes, tableaux V et VI).
III. Les violences sur mineur·e·s et jeunes adultes par des membres de la famille ou des proches
1. Les violences pendant la période de jeunesse
29Les violences parentales et intrafamiliales déclarées pendant la période de jeunesse sont étudiées à partir de l’indicateur synthétique de violence construit dans le chapitre 4 mais en élargissant l’analyse aux violences intrafamiliales subies ayant débuté avant l’âge de 25 ans. Cet indicateur regroupe les violences psychologiques, sexuelles et physiques en distinguant trois niveaux de sévérité : « très sévère », « sévère » et « peu sévère » (tableau 4). Le niveau est « indéterminé » quand la fréquence ou l’appréciation du degré de gravité des faits déclarés n’ont pas été renseignés par l’enquêté·e. À la différence du choix opéré dans d’autres chapitres, il a été décidé de conserver cette dernière modalité de l’indicateur synthétique dans les analyses, car les personnes qui n’ont pas voulu ou su répondre à ces questions sont précisément des personnes immigrées dont la proportion peut dépasser les 2 % d’un groupe donné.
Tableau 4. Violences subies dans l’enfance déclarées par les femmes selon le lien à la migration et l’origine (%)

30Les femmes originaires d’un DROM, ainsi que les Françaises sur deux générations avec une histoire migratoire déclarent plus souvent que toutes les autres femmes avoir vécu des violences parentales et intrafamiliales durant l’enfance ou la période de jeunesse, avec des taux respectifs de 30 % et 29 % qui se conjuguent avec des niveaux de sévérité particulièrement élevés : le niveau « très sévère » avoisine les 10 %.
31Nous avons vu que les Françaises sur deux générations avec une histoire migratoire sont des personnes dont la trajectoire est très liée à la colonisation et à la guerre d’indépendance de l’Algérie. Les DROM sont aussi des territoires marqués par l’histoire coloniale et l’esclavage. Ainsi, les femmes les plus exposées aux violences parentales et intrafamiliales correspondent à des flux migratoires qui ont été fortement marqués par la colonisation et les guerres d’indépendance.
32On note qu’à l’inverse, les femmes nées Algériennes en Algérie, à la différence de celles nées Françaises en Algérie, sont celles qui déclarent le moins de violences pendant l’enfance (10 % pour l’indicateur global contre 29 %, résultat non-présent dans le tableau) et que ce résultat se maintient si l’on considère l’ensemble des femmes immigrées venues du Maghreb (12,2 % indiqué dans le tableau). Il faut dire que les premières, bien qu’étant originaires du même pays, ne sont pas venues en France dans les mêmes circonstances ni certainement à la même époque6.
33Si dans leur ensemble, les femmes immigrées ont été un peu plus souvent confrontées aux violences parentales et intrafamiliales que celles de la population majoritaire, l’écart entre les deux groupes s’avère assez faible : 19 % contre 17 %, alors que les filles d’immigré·e·s (nées en France) sont nettement plus nombreuses à y avoir été confrontées avec un taux de 25 %, ce qui reste néanmoins un taux inférieur à celui des femmes originaires d’un DROM et à celui des Françaises de naissance sur deux générations avec histoire migratoire. Les filles d’immigré·e·s sont également nombreuses à rapporter des violences qualifiées de « très sévères » en comparaison des femmes de la population majoritaire (8,6 % versus 5,6 %) ou « sévères » (7,5 % versus 5,1 %). Et l’on est surpris de constater que les descendantes d’immigré·e·s du Maghreb sont davantage confrontées aux violences que les femmes immigrées de même origine. Il faut rappeler que les immigrées interrogées dans l’enquête sont venues dans les quarante dernières années, et n’ont donc pas le même profil ni le même parcours que les mères des descendantes d’immigré·e·s maghrébin·e·s interrogées. Les mères de ces dernières sont venues dans le contexte postcolonial qui a immédiatement suivi les indépendances. Ainsi les descendantes d’immigrées du Maghreb se rapprochent-elles davantage des Françaises sur deux générations avec une histoire migratoire, par le contexte historique vécu par leurs parents.
34Les filles d’immigré·e·s originaires du Maghreb et d’Europe de l’Ouest sont les plus nombreuses à avoir subi des violences parentales et intrafamiliales (respectivement 27,7 % et 26,3 %), avec des taux très élevés de niveaux « très sévères » (respectivement 8,1 % et 11,6 %). Si le contexte socio-historique du pays d’origine peut apparaître comme une explication plausible à ces taux élevés pour les filles d’immigré·e·s du Maghreb7, où le droit de la famille demeure assez distinct de celui des pays du Nord de la Méditerranée, cette hypothèse semble moins pertinente pour les filles de familles immigrées venues d’Europe de l’Ouest (qui sont pour moitié de Belgique, Suisse et Luxembourg, pour un quart d’Allemagne et des pays nordiques, et pour un quart du Royaume-Uni), région où les codes civils et les droits des femmes sont très similaires à ceux de la France.
35Ces résultats tendent à invalider nos hypothèses de travail initiales sur le rôle des cultures d’origine et invitent à prendre en considération les contextes d’émigration plutôt qu’une « culture » associée à un pays.
36En outre, avoir grandi en France dans une famille immigrée, quel que soit le pays d’origine des parents, européen ou extra-européen, est associé pour les descendantes à une plus grande fréquence des violences intrafamiliales débutée avant 25 ans, par rapport à ce qu’ont déclaré les femmes immigrées ou les femmes de la population majoritaire8. Le fait que, dans le pays d’origine, les violences intrafamiliales soient plus fréquentes ou similaires au contexte français ne paraît donc pas être le déterminant des violences dans les familles immigrées qui ont élevé leurs enfants en France. C’est sans doute davantage dans les conditions de formation des couples qui ont eu leurs enfants en contexte migratoire et dans les questionnements sur l’éducation des enfants qu’il faut chercher les causes d’une plus forte prégnance des violences intrafamiliales.
37Il n’est pas impossible que le projet migratoire des parents (qui oscille fréquemment entre s’installer définitivement en France ou repartir un jour), soit un facteur générateur de tensions intrafamiliales qui pourraient se traduire par un contrôle accru sur les enfants, en particulier les filles, dont les parents peuvent craindre qu’elles ne construisent leur vie dans le pays d’installation quand eux-mêmes sont encore tentés de retourner dans leur pays d’origine. Ce phénomène est largement documenté par la sociologie de l’immigration dans les familles originaires du Maghreb (Guenif Souilamas, 2000 ; Hamel, 2008) et en particulier quand les couples parentaux sont mixtes, mais il n’existe pas de travaux sociologiques sur les familles originaires d’Europe de l’Ouest, si bien qu’on ne peut dire avec certitude que le même phénomène s’y produit. On peut en revanche souligner que les taux de mixité des couples sont très élevés au sein de ces groupes d’origine (annexe, tableau VI).
38Pour les hommes, le niveau de violence dit « indéterminé » a été conservé dans nos analyses comme pour les femmes, mais à la différence de ces dernières, ce niveau indéterminé correspond uniquement à des violences psychologiques, alors qu’il comprenait aussi pour elles des violences physiques et sexuelles. Le constat pour les hommes est d’abord celui d’une moindre exposition aux violences parentales et intrafamiliales, quelle que soit l’origine et le lien à la migration (tableau 5 versus tableau 4) en comparaison des femmes. Celles-ci déclarent de surcroît des violences de niveau « sévères » ou « très sévères » plus élevés, ce qui est lié à une plus forte prévalence de violences sexuelles incestueuses subies avant 18 ans dans les déclarations des femmes. Le « niveau modéré » plus souvent déclaré par les hommes est essentiellement constitué de violences de nature psychologique comme le niveau « indéterminé ».
39Si les femmes dans tous les groupes d’origine sont plus nombreuses que les hommes à avoir été violentées dans leur enfance ou la période de jeunesse, la différence de traitement entre les sexes varie selon l’origine, avec des écarts d’amplitude assez contrastés.
40Dans la population majoritaire, les hommes sont 12,3 % à déclarer des violences intrafamiliales, contre 17,3 % des femmes, soit un écart de 5 points, et le niveau « très sévère » est 2 fois moins important pour eux que pour elles (2,1 % versus 5,2 %). Pour les immigré·e·s, cette différence entre hommes et femmes est un peu moins forte (15,9 % pour eux versus 19,1 % pour elles, soit 3,2 points). Les hommes descendants d’immigré·e·s sont 17 % à déclarer des violences dans l’enfance ou dans la période jeunesse, contre 25,3 % des femmes descendantes d’immigré·e·s, soit un écart de plus de 8 points qui s’avère ainsi plus prononcé que celui de la population majoritaire. Les hommes originaires d’un DROM et leurs descendants sont ceux qui déclarent le moins de violences parentales et intrafamiliales (12,3 %), à l’inverse des femmes de même provenance qui sont celles qui en déclarent le plus (30 %). L’écart de genre s’avère ainsi particulièrement fort entre filles et garçons venu·e·s des Outre-mer et entre leurs descendant·e·s (17,7 points), et cet écart de genre est encore renforcé par le fait que les hommes ont rarement été confrontés au niveau de violences intrafamiliales dit « très sévère » à la différence des femmes. Notons que les trois DOM (hors Mayotte et la Guyane) sont représentés en proportions égales dans ce groupe : un tiers pour la Martinique, un tiers pour la Guadeloupe et un tiers pour l’île de La Réunion.
Tableau 5. Violences intrafamiliales subies dans la jeunesse déclarées par les hommes selon le lien à la migration et l’origine (%)

41Dans ce tableau général, les hommes descendants d’immigré·e·s du Maghreb sont, comme les filles de même origine, les plus nombreux à avoir rapporté des violences intrafamiliales pendant leur jeunesse (23,1 %), y compris pour les violences « sévères » et « très sévères ». Ils y ont été 2 fois plus souvent confrontés que les hommes de la population majoritaire et 2 fois plus souvent que les hommes immigrés venus du Maghreb. À nouveau, il faut souligner que les parents des descendants d’immigré·e·s ne sont pas de la même génération que les immigré·e·s enquêté·e·s dans Virage : les immigrés enquêtés ne sont pas les parents des descendants interviewés. En outre, si les taux concernant les descendants d’immigré·e·s maghrébins restent inférieurs à ceux des filles, ils n’en sont que modérément éloignés (27,7 %, soit 4,6 points), à la différence de ce qui s’observe pour les hommes et femmes originaires des DROM où l’écart de genre est maximal (17,7 points).
42Ces observations concernant les descendants d’immigré·e·s maghrébins s’appliquent aussi aux hommes français sur deux générations, avec une histoire migratoire (qui rappelons-le ont un lien avec la décolonisation de l’Algérie dans les deux tiers des cas) : un taux élevé de violences parentales et intrafamiliales (21,9 %), comparé à 29,3 % pour les femmes du même groupe ; soit, là aussi, des déclarations quasiment 2 fois plus élevées que celles des hommes de la population majoritaire et que les immigrés du Maghreb.
2. Les facteurs associés aux violences intrafamiliales subies durant la période de jeunesse
43Nous avons posé pour hypothèse en introduction que des caractéristiques sociodémographiques (telles le lieu de résidence, la génération, etc.) pouvaient peut-être favoriser l’émergence des violences et se trouver en même temps corrélées avec certaines origines, ce qui expliquerait les variations que nous venons de présenter. Pour aider à comprendre cela, des analyses par régression logistique permettent d’identifier les caractéristiques des familles où il y a eu des violences sur les enfants et de voir si l’appartenance à une origine donnée est liée à d’autres caractéristiques qui pourraient influer sur les déclarations. Si l’on suppose par exemple qu’être âgé·e favorise l’oubli et induit une moindre propension à déclarer des violences anciennes, et s’il s’avère que la proportion de personnes plus âgées est importante dans un groupe d’origine donné, alors le taux de violences déclarées dans ce groupe serait automatiquement plus faible, sans que l’on puisse en déduire que les personnes de cette origine auraient été véritablement moins confrontées aux violences intrafamiliales. On pourrait formuler cette hypothèse à propos des immigré·e·s d’Europe du Sud, dont on a vu qu’ils et elles sont plus âgé·e·s que le reste de la population.
44La méthode d’analyse par régression logistique (tableau 6) permet ainsi de comparer les groupes d’origine à la population majoritaire en neutralisant les effets de composition des groupes de ce type (ici selon l’âge). Elle permet d’ajouter d’autres caractéristiques possiblement explicatives et de déterminer si l’origine a un impact en soi ou si ce sont plutôt d’autres caractéristiques sociodémographiques qui favorisent l’émergence de ces violences intrafamiliales. On peut ainsi espérer répondre à notre questionnement de départ sur l’impact des contextes socioculturels des pays d’origine et également comprendre le résultat inattendu de la moindre déclaration de violences intrafamiliales par les femmes immigrées que par les descendantes d’immigré·e·s.
45Pour mener ce type d’analyse, nous avons choisi de modéliser le risque d’avoir déclaré des violences dans la période de jeunesse, par rapport au risque de ne pas en avoir déclaré, en utilisant l’indicateur global de violences intrafamiliales et en incluant des informations sur l’enquêté·e et sur ses parents. Ce risque relatif est un coefficient exprimé en odds ratio (OR), dans le tableau 6. Cinq modèles ont été développés (M1 à M5).
46Le modèle 1 combine le rôle de l’origine et le fait d’être un homme ou une femme, ce qui correspond aux informations présentées dans les tableaux de la section précédente. On constate à nouveau qu’à origine identique, les femmes sont soumises à un risque plus fort d’avoir déclaré des violences dans l’enfance plutôt que de ne pas en déclarer, OR qui s’avère une fois et demie supérieure (OR = 1,5) au risque des hommes. Ce risque relatif reste stable et très significatif dans tous les modèles suivants, si bien que l’on peut conclure que ce sur-risque pour les personnes de sexe féminin de déclarer de violences intrafamiliales dans l’enfance vaut pour toutes les origines, à âges et milieux sociaux identiques. On constate, comme dans les tableaux précédents, que les personnes descendantes d’immigré·e·s du Maghreb, les Français·e·s sur deux générations et ceux originaires d’un DROM ont un risque relatif de déclarer des violences pendant l’enfance deux fois plus important que pour la population majoritaire (OR = 2 ; OR = 2 et OR = 1,7). Pour les filles d’immigré·e·s d’Europe de l’Ouest et d’Europe du Sud, le risque relatif est une fois et demie supérieur (OR = 1,6 et OR = 1,5). Il l’est aussi pour les personnes immigrées d’Europe de l’Est, d’Afrique subsaharienne, d’Asie et du Moyen-Orient (OR = 1,4 et 1,5). On retrouve un moindre risque de déclarer des violences dans l’enfance pour les personnes immigrées du Maghreb et immigrées d’Europe de l’Ouest par rapport à la population majoritaire puisque l’odds ratio est inférieur à 1 et significatif (respectivement, OR = 0,8 et OR = 0,9). Les odds ratios de ce premier modèle vont maintenant être examinés dans leur évolution quand on ajoute d’autres informations sur l’enquêté·e expliquant possiblement les violences déclarées.
47Dans le modèle 2, nous avons inclus l’âge de l’enquêté·e en 2015, au moment de la collecte des questionnaires. L’hypothèse d’une moindre déclaration de violence dans l’enfance avec l’avancement en âge de l’enquêté·e n’est que partiellement confirmée : elle ne s’observe qu’à partir de 60 ans. L’odds ratio de la tranche d’âge 60-69 ans, prise en modalité de référence a la valeur 1, tandis que les tranches d’âge inférieures à 60 ans ont un odds ratio plus élevé (1,5) : les personnes âgées de moins de 60 ans ont donc un risque de déclarer des violences dans l’enfance supérieur à celles qui ont plus de 60 ans. On peut en déduire que les violences dans l’enfance sont des faits suffisamment marquants pour qu’ils impriment la mémoire durablement et que l’effacement des souvenirs n’advienne qu’avec le vieillissement et son corollaire, la perte de mémoire. Même si les immigré·e·s d’Europe du Sud sont globalement plus âgé·e·s que le reste de la population au sein des 20- 69 ans, cela n’est ainsi pas un élément d’explication à leur moindre déclaration de violences intrafamiliales dans l’enfance, car l’impact de l’âge est en fait limité aux âges atteints par les 60-69 ans. Parmi les moins de 60 ans, les odds ratios ne varient pas et restent fixés à 1,5 ou 1,6, quelle que soit la tranche d’âges, ce qui signifie que les individus inclus dans les tranches d’âges 20-29 ans, 30-39 ans, 40-49 ans et 50-59 ans, qui déclarent des violences dans l’enfance, les ont subies dans des proportions identiques. Quel que soit l’âge de l’enquêté·e, et donc de l’époque à laquelle il ou elle a été élevé·e, les violences intrafamiliales dans l’enfance sont rapportées dans des proportions qui restent identiques.
Tableau 6. Risque relatif de déclarer des violences intrafamiliales durant la période de jeunesse (en odds ratio, OR)


48Dans le modèle 3, nous avons ajouté la profession du père et de la mère de l’enquêté·e à ses 14 ans9. La profession paternelle, prise en catégorie de référence, est celle d’agriculteur exploitant, où le taux de déclaration de violences commises sur les enfants est le plus bas. Seule cette catégorie socioprofessionnelle se distingue significativement des autres. La prévalence des déclarations de violences dans les autres milieux sociaux est plus élevée et cela dans une proportion identique (tous les OR sont autour de 1,5). L’inactivité des mères ne favorise pas les violences envers les enfants, à la différence de l’inactivité des pères qui s’avère être le seul indicateur socioprofessionnel agissant sur les violences intrafamiliales. La prise en compte des catégories socioprofessionnelles des parents ne fait pas varier les odds ratios associés aux catégories ni d’origine, ni d’âge, ni de sexe de l’enquêté·e. La situation de dépendance économique des hommes envers leurs compagnes se révèle donc être un facteur favorisant des violences, peut-être en raison du stress financier que cela implique et d’une masculinité mise à mal par la difficulté de ne plus pouvoir endosser le rôle de breadwinner.
49Le modèle 4 introduit la religion des parents et l’importance accordée à cette dernière dans l’éducation prodiguée à la personne enquêtée lorsqu’elle était enfant ou adolescente. Lorsque les parents avaient des religions différentes, c’est la religion minoritaire qui a été retenue pour définir la religion parentale, ce qui signifie qu’en cas de mixité religieuse du couple parental, ces situations sont englobées dans la catégorie religieuse numériquement la moins importante. Avoir eu des parents « sans religion » (athées ou agnostiques) ou ne pas savoir quelle était la religion de ses parents est associé à une plus faible déclaration de violences parentales et intrafamiliales, tandis que l’affiliation des parents à une religion augmente la déclaration des violences subies étant enfant. Cependant, toutes les religions n’agissent pas de la même façon. Dans les familles de religion catholique ou musulmane, les déclarations de ces violences apparaissent dans des proportions identiques (les odds ratios sont pareillement de 1,3) : la religion musulmane n’augmente pas davantage les violences intrafamiliales que la religion catholique, en comparaison du fait d’avoir eu des parents sans religion. En revanche, les autres religions, plus minoritaires (juive, orthodoxe, protestante ou autre) sont associées à une augmentation de la proportion de victimes de violences intrafamiliales, plus importante que celle observée pour les deux religions catholique et musulmane (puisque les odds ratios des religions les plus minoritaires sont proches de 2, contre 1,3 pour les deux premières). Outre la religion en elle-même, l’importance que lui accordaient les parents pour éduquer leurs enfants agit différemment. Lorsque l’enquêté·e déclare que ses parents, bien que « croyants », n’ont accordé « aucune importance » à la religion pour son éducation, on constate une fréquence des violences supérieure à celle rencontrée quand l’enquêté·e déclare de ses parents qu’ils ont accordé « un peu » ou « assez d’importance » à la religion comme référence éducative. À l’inverse, conférer « beaucoup d’importance » favorise nettement l’émergence des violences. L’introduction de la religion dans l’analyse fait légèrement baisser les odds ratios associés aux origines, en particulier des descendant·e·s d’immigré·e·s maghrébins et européens, ainsi que des immigré·e·s de ces mêmes origines et des Français·e·s sur deux générations avec histoire migratoire, de même que des personnes venues des DROM et de leurs descendant·e·s. Cela signifie que ces catégories d’origine de l’enquêté·e et de religion des parents sont partiellement reliées entre elles. En examinant ces interactions, on remarque aussi qu’elles sont reliées à un nombre important de frères et sœurs.
50Le modèle 5 prend en compte, de façon approfondie, d’autres éléments potentiellement liés à l’origine et à l’émergence de violences : notamment la taille de la fratrie qui se révèle particulièrement corrélée à la déclaration de violence dans l’enfance et l’adolescence. Être un enfant unique est protecteur. À l’inverse, au fur et à mesure que le nombre de frères et sœurs augmente, la déclaration de violences intrafamiliales augmente de façon très progressive. De fait, 10,5 % des enquêté·e·s enfant unique ont rapporté ce type de violences, 13,4 % avec 1 seul frère ou 1 seule sœur, puis 16 % avec 2, 17,5 % avec 3 ou 4, et 20,7 % avec 5 ou plus. Cette introduction de la taille de la fratrie dans le modèle fait diminuer les odds ratios associés à l’origine et réduit ainsi l’écart entre la prévalence des violences intrafamiliales parmi les personnes de la population majoritaire et celles dont les parents sont immigrés, pour des individus ayant grandi dans des familles de même taille. Ainsi, ce n’est pas tant la culture d’origine que le nombre d’enfants qui influe sur la violence intrafamiliale. L’une des explications majeures à la surexposition des enfants d’immigré·e·s maghrébins aux violences durant l’enfance tient au fait qu’ils ont plus souvent grandi dans des grandes fratries : 51 % ont au moins 4 frères et sœurs, contre 19,9 % dans la population majoritaire (annexes, tableau VI). Ce critère fait même baisser l’odds ratio associé à la position de chômeur du père. On voit là qu’à situation d’emploi identique, avoir de nombreux enfants, ou avoir un enfant unique joue un rôle important sur l’émergence de violences. Le revenu du ménage atteint alors des seuils critiques qui favoriseraient la survenue de ces violences. Il n’est pas à exclure que des parents se sentent en quelque sorte « dépassés » dans leur rôle parental et/ou que la violence s’exerce au sein de la fratrie. Si la profession ne joue pas sur les violences intrafamiliales, le chômage ou l’inactivité du père de famille, qui réduit le revenu du ménage, est un facteur explicatif.
51On entrevoit ici que les aides sociales aux familles nombreuses (aide au logement et prestations familiales) constituent certainement un facteur important de prévention des violences envers les enfants, en particulier quand le père vit des périodes de perte d’emploi.
52Nous avons enfin ajouté dans ce modèle 5 la configuration familiale dans laquelle l’enquêté a grandi : « avec ses deux parents », « avec sa mère seule et ses frères et sœurs », « dans une autre configuration », en prenant le fait d’avoir grandi avec ses deux parents comme point de référence. Avoir grandi « avec sa mère seule et ses frères et sœurs » ou dans une « autre configuration » plutôt qu’« avec ses deux parents » accroît fortement le risque d’avoir déclaré des violences durant l’enfance plutôt que de n’en avoir pas subi (OR = 2,2 pour « mère seule » et OR = 3,6 pour « autre configuration »). Cela indique une corrélation forte entre la séparation des parents et les violences déclarées par l’enquêté·e dans l’enfance : en effet, la part de personnes déclarant des violences intrafamiliales est de 13 % parmi les enquêté·e·s ayant grandi avec leurs deux parents, de 25 % parmi celles et ceux ayant grandi avec leur mère seule et leurs frères et sœurs, et de 35 % parmi celles et ceux ayant connu une autre configuration familiale (avec les grands-parents, une tante, un oncle, y compris placement en foyer ou famille d’accueil). Et les aides sociales aux mères peuvent constituer un outil d’accompagnement social auprès d’enfants pour lesquels la probabilité d’avoir été victimes de violences avant une séparation est assez forte. Là encore, on voit que les aides sociales aux mères isolées peuvent venir en aide à des enfants dont la séparation parentale est liée à des violences sur les enfants. L’existence de ces aides est importante, car elle rend les séparations moins dramatiques d’un point de vue matériel.
53Pour compléter ces analyses sur le lien entre séparation parentale et violences sur les enfants, des modèles complémentaires (non reproduits ici) ont été réalisés en sélectionnant, d’une part, les personnes immigrées et, d’autre part, les personnes descendantes d’immigré·e·s.
54Pour les immigré·e·s, en plus des variables déjà mentionnées dans le modèle 5, ce nouveau modèle intègre l’âge à l’arrivée sur le territoire métropolitain, avec pour hypothèse qu’arriver en France durant l’adolescence pouvait intervenir dans le sens d’une plus forte manifestation de violences intrafamiliales envers les jeunes immigrées, puisque l’on observe dans les statistiques descriptives, que les filles d’immigré·e·s ont davantage déclaré des violences intrafamiliales que les femmes immigrées. Pour étudier le lien éventuel avec l’âge d’arrivée (« avant 12 ans », « entre 12 et 18 ans », « entre 19 et 25 ans » et « après 26 ans »), les personnes immigrées ont été comparées entre elles, en prenant pour point de comparaison les femmes d’Europe du Sud, dans la mesure où le taux de violence intrafamiliale les concernant est quasi identique à celui des femmes de la population majoritaire. Être arrivée en France avant 18 ans, et particulièrement entre 12 et 18 ans, par rapport au fait d’avoir atteint l’âge adulte dans le pays d’origine avant de migrer, augmente le risque d’avoir déclaré des violences intrafamiliales dans l’enfance pour les femmes, mais cela n’a pas impact pour les hommes. Ainsi, le fait d’avoir à s’adapter à la société d’accueil pendant l’adolescence semble favoriser les tensions intergénérationnelles, avec les filles, mais pas avec les garçons.
55Pour les descendant·e·s d’immigré·e·s, un autre modèle reprend toutes les variables déjà présentées, mais en intégrant en plus le fait d’avoir grandi dans un couple mixte (composé d’un parent immigré et d’un autre issu de la population majoritaire). Cette configuration familiale a un impact seulement lorsque l’on retire du modèle le fait d’avoir grandi « avec sa mère seule » ou une « autre configuration qu’avec ses deux parents ». Il existe en fait une surreprésentation des situations de séparation parentale parmi les parents en couple mixte par rapport aux parents de même origine : 13 % contre 7 %. La séparation du couple parental étant souvent associée à des violences dans l’enfance, il apparaît que les enfants d’immigré·e·s ayant déclaré des violences dans leur enfance sont davantage issus de couples mixtes que de couples non mixtes (27 % versus 20 % pour les femmes et 21 % versus 13 % pour les hommes). Les différences culturelles créent des tensions entre les partenaires (sur les choix en matière de prénom, de religion transmise à l’enfant, etc. ; Collet et Santelli, 2003), et les couples mixtes ne sont pas forcément toujours bien acceptés par les belles-familles respectives (Brouard et Tiberj, 2005), si bien qu’il pourrait s’ensuivre un risque plus fort de séparation et de tensions se répercutant sur l’enfant. On notera qu’il s’agit davantage de couples parentaux où c’est la mère qui est immigrée et le père qui fait partie de la population majoritaire. Cela va dans le même sens des résultats de l’enquête Enveff qui mettaient au jour le fait que les femmes immigrées en couple mixte étaient davantage concernées par les violences conjugales que les autres immigrées (Jaspard et al. 2003, p. 202). Il n’est pas impossible que parmi les hommes de la population majoritaire choisissant une compagne immigrée, il existe une attente de soumission associée à des imaginaires sociaux sur les femmes étrangères supposées plus soumises que les femmes « françaises », tandis qu’à l’inverse des attentes de comportements masculins plus égalitaires soient agissantes chez les femmes immigrées ayant fait le choix d’un compagnon non-immigré. Ces imaginaires sociaux et espérances semblent se heurter à une réalité probablement différente. Depuis quelques années, divers travaux mettent en cause l’idée selon laquelle le couple mixte serait un indicateur d’intégration en comparaison du couple endogame, le premier étant le signe supposé d’une ouverture aux valeurs de la société d’accueil, ainsi qu’un signe de « modernité » (Rodríguez-García, 2012). Ces résultats sur les violences déclarées par les enfants de femmes immigrées et de conjoints de la population majoritaire, comme d’autres cités par Rodríguez-García, ainsi que la moindre réussite scolaire des enfants issus de couples mixtes, mettent en question cette approche du couple mixte, pourtant très courante dans les représentations sociales et aussi en démographie, comme le souligne Gabrielle Varro dans son histoire sociopolitique de l’usage de cette notion en sciences sociales (Varro, 2012). Dans la lignée des travaux conduits par Béate Collet et Emmanuelle Santelli, ces résultats sur les violences invitent à considérer les couples mixtes et les enfants qui en sont issus comme une diversité de situations familiales plutôt que comme un ensemble homogène où les pratiques individuelles auraient une signification sociale unique à l’échelle de la société (Collet et Santelli, 2003 ; 2012).
56En synthèse de cette analyse, on gardera à l’esprit que les répondant·e·s qui ont rapporté des violences intrafamiliales sont davantage des femmes, mais aussi des hommes, qu’il s’agit plutôt de personnes ayant grandi dans des familles nombreuses, et que la perte d’emploi de leur père a constitué un facteur aggravant. Le nombre important de frères et sœurs est généralement associé à une « grande importance » accordée à la religion dans l’éducation, ce qui explique d’ailleurs sans doute aussi ce nombre élevé d’enfants, configuration qui favorise les violences et qui est plus fréquente pour certaines origines migratoires, sans que ces configurations ne se limitent à ces origines. Provenir de zones géographiques anciennement colonisées est également un facteur de surexposition pour les familles qui ont eu à connaître les périodes de colonisation et de décolonisation, mais pas forcément pour les familles qui se sont constituées ultérieurement. On remarque que la séparation parentale est fréquente en cas de déclaration de violences sur les enfants.
IV. Les violences dans les espaces publics
57Dans l’enquête Virage, les violences dans les espaces publics sont définies en introduction du module du questionnaire consacré à ce thème. Il s’agit des faits se produisant dans la rue, le voisinage, les commerces, les restaurants, les discothèques, les transports publics, mais aussi les cabinets médicaux ou encore les situations où un professionnel (comme un plombier ou un médecin par exemple) se rend au domicile de l’enquêté·e. Il est précisé que les violences commises dans les espaces publics par un membre de la famille, par le ou la conjointe ou ex-conjoint·e ou encore par des collègues ou des co-étudiant·e·s, ne sont pas incluses dans le périmètre investigué dans cette partie du questionnaire10.
58Il est montré dans le chapitre du présent ouvrage consacré à l’espace public que les femmes y déclarent davantage de violences que les hommes et qu’elles les considèrent plus souvent comme graves ou très graves. Les violences dans l’espace public touchent particulièrement les personnes les plus jeunes et celles qui habitent dans les grandes villes (Lebugle et al., 2017 ; et chapitre 9 de l’ouvrage), ce qui corrobore les résultats qui avaient déjà été produits dans l’enquête Enveff en 2003. La notion d’« espaces publics » en milieu rural n’a évidemment pas la même réalité. Parce qu’elles appartiennent aux classes populaires et qu’elles vivent plus souvent dans les grandes villes (Insee, 2012 ; Brutel, 2016 ; Safi, 2009), les familles immigrées sont plus présentes au sein de l’espace public, notamment dans la rue et dans les transports en commun, et donc plus exposées aux violences qui s’y déroulent. Les tableaux en annexe de ce chapitre montrent que 14 % des personnes de la population générale vivent en Île-de-France, contre plus de 50 % des personnes immigrées ou descendantes d’immigré·e·s et que ce taux peut monter à plus de 60 % pour certaines origines comme les personnes issues de l’immigration subsaharienne. En outre, le racisme et les discriminations raciales peuvent prendre la forme de violences physiques ou verbales, ce qui expose a priori ces personnes à un surcroît d’agressions. Analyser les causes possibles des agressions telles qu’elles sont perçues par les personnes interrogées permet d’établir dans quelle mesure ces violences sont rapportées au sexisme, au racisme ou à d’autres types de discriminations envers les populations minoritaires.
1. Des minorités surexposées aux violences
59Dans le chapitre consacré aux violences dans les espaces publics, les réponses aux différentes questions posées aux enquêté·e·s ont fait l’objet d’une analyse par classification ascendante hiérarchique, dont a découlé une catégorisation des situations d’agressions vécues dans les espaces publics. Nous reprenons ici (dans le tableau 7 et les suivants) la typologie des situations de violences ainsi élaborées. Les réponses aux questions sur les agressions au cours des douze derniers mois y sont classées en 5 types de configurations : les insultes isolées11, les comportements isolés de drague insistante malgré le refus manifeste12, le harcèlement sexuel et atteintes sexuelles13, puis dans des niveaux de gravité plus importants, on trouve les situations de violences sexuelles impliquant des attouchements du sexe, des tentatives de viols et des viols14 et enfin les violences physiques15.
60Tous types confondus, les femmes déclarent globalement plus de violences que les hommes dans les espaces publics (25,4 % versus 14 %). Elles déclarent nettement plus souvent des situations de « drague importune » (14,8 %), de harcèlement et atteintes sexuelles (5,4 %), tandis que les hommes déclarent davantage d’insultes isolées (5,6 %) et des cas de violences physiques (3,9 %). Dans les deux cas, les auteurs de ces violences sont majoritairement des hommes, ce qui rappelle combien l’usage de la violence est socialement inscrit dans la construction de la masculinité et non dans celle de la féminité. Le fait qu’un quart des femmes soit confronté à ces agressions dans l’espace public montre à quel point celui-ci reste considéré par les hommes comme leur espace, et que les femmes en sont les cibles privilégiées.
Tableau 7. Violences dans les espaces publics au cours des douze mois, par sexe, lien à la migration et origine (%)


61L’expérience des violences connaît des différences très importantes selon les origines migratoires (tableau 7). Celles-ci avaient été documentées dans l’Enveff qui montrait que les femmes immigrées et leurs descendantes nées en France déclaraient davantage de violences dans les espaces publics que les autres femmes, notamment celles du Maghreb et d’Afrique subsaharienne, qui résident davantage en milieu urbain que la population majoritaire. L’enquête Virage nuance ces résultats, dans la mesure où l’indice global de violences déclarées par les femmes immigrées est identique à celui des femmes de la population majoritaire, mais confirme la très nette surexposition des descendantes d’immigrées. L’enquête Virage permet d’étendre ce constat de surexposition aux hommes immigrés et descendants d’immigré·e·s, même si les taux sont près de deux fois moins importants pour ces derniers que pour les femmes.
62Ce sont les personnes descendantes d’immigré·e·s, originaires d’un DROM ainsi que les Français·e·s de naissance sur deux générations qui déclarent les taux de violences les plus élevés, avec des taux qui avoisinent 37 % pour les femmes et 19 % pour les hommes. Pour les femmes de ces groupes, la « drague importune » est particulièrement importante. On retrouve ici les personnes des groupes d’origine qui s’avéraient être les plus touchées par les violences intrafamiliales pendant l’enfance. Il y a un effet d’âge car ce sont les plus jeunes qui subissent le plus de violences. Est-ce à dire que les femmes de ces groupes seraient dans l’espace public également malmenées par les hommes de leurs groupes d’origine, familles ou entourage ? Les femmes de ces groupes seraient-elles aussi davantage soumises à l’hostilité du reste de la population ? Si c’était le cas, il serait impossible de faire la part des choses à partir des données de l’enquête. Les deux phénomènes sont sans doute à l’œuvre, sans qu’il soit possible dans l’enquête de déterminer la part de chacun de ces deux processus. On note, comme pour les violences intrafamiliales dans l’enfance, que les descendant·e·s d’immigré·e·s sont davantage concerné·e·s que les immigré·e·s. Pour les hommes, ce surcroît de violence est, en outre, davantage le fait de violences physiques que d’insultes isolées. Le taux de violences physiques subies par les hommes descendants d’immigré·e·s est nettement plus important que celui des hommes de la population majoritaire (5,4 % versus 3,6 %) mais aussi que celui des hommes immigrés (4,5 %).
63L’indice global rapporté par les hommes immigrés est plus faible (17 %), se situant à un niveau intermédiaire par rapport à ceux déclarés par les hommes originaires d’un DROM (19 %) et par les hommes de la population majoritaire (13 %). Parmi les femmes, l’indice global rapporté par les immigrées est similaire à celui des femmes de la population majoritaire (23,5 %).
64Si l’on regarde les résultats, tous types de violences confondus, selon les origines migratoires, des différences méritent d’être soulignées. Parmi les immigré·e·s, les femmes et les hommes né·e·s dans un pays du Maghreb ou dans un pays d’Afrique subsaharienne déclarent significativement plus de violences (respectivement 25,2 % et 22,6 % pour les femmes et les hommes immigré·e·s du Maghreb, et 33,3 % et 18,3 % pour les femmes et les hommes immigré·e·s d’Afrique subsaharienne). Inversement, les femmes et les hommes né·e·s dans un pays d’Europe du Sud (Espagne, Italie, Portugal) en déclarent moins que la population majoritaire (respectivement 16,8 % et 7,3 % versus 23,5 % et 12,7 %).
65Les femmes et les hommes descendant·e·s d’immigré·e·s des mêmes origines déclarent aussi beaucoup de violences subies dans l’espace public et certains groupes d’origine s’ajoutent à la liste de ceux qui sont très exposés aux violences dans la rue : 56,5 % et 19,8 % respectivement pour les femmes et les hommes descendant·e·s d’immigré·e·s d’Asie et du Moyen-Orient ; 38,9 % et 23,2 % pour les femmes et les hommes descendant·e·s d’immigré·e·s du Maghreb ; 35,5 % et 20,2 % pour les femmes et les hommes descendant·e·s d’Afrique subsaharienne. Ainsi, immigré·e·s et descendant·e·s d’immigré·e·s du Maghreb et d’Afrique subsaharienne sont très touché·e·s par les violences dans les espaces publics de même que les femmes originaires d’un DROM, tandis que parmi les personnes ayant un lien avec l’Asie et le Moyen-Orient, seul·e·s les descendant·e·s sont particulièreent exposé·e·s. La population majoritaire est quant à elle moins touchée, mais hommes et femmes d’Europe du Sud le sont encore moins.
66En termes de types de violences, les descendantes d’immigré·e·s d’Asie et du Moyen-Orient, du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne ont les taux de harcèlement et d’atteintes sexuelles les plus élevés (respectivement 15,3 %, 14 % et 14 % versus 4,4 % pour les femmes de la population majoritaire), ainsi qu’une forte fréquence de situations de « drague importune » (33 %, 19,8 % et 17,2 %) alors que les femmes nées dans un DROM rapportent des taux élevés de « drague importune16 » (23,5 %) mais moins de harcèlement et d’atteintes sexuelles (8,9 %). La même observation vaut pour les Françaises sur deux générations ayant une histoire migratoire (24,3 % de « drague importune » et 7,8 % de harcèlement et atteintes sexuelles versus 14,2 % et 4,4 % pour les femmes de la population majoritaire). Parmi les hommes, les violences physiques concernent principalement les immigrés et les descendants d’immigré·e·s du Maghreb (respectivement 6,9 % et 7,9 %), d’Asie et du Moyen-Orient (6,7 % et 11,7 %) ainsi que les descendants d’immigré·e·s d’Europe de l’Ouest (7 %) et les Français sur deux générations ayant une histoire migratoire (5,9 % versus 3,6 % pour les hommes de la population majoritaire).
67Ce sont ainsi les minorités racisées qui déclarent le plus de violences et les faits les plus graves dans les espaces publics. Cependant, dans ce panorama général, le taux important de violences physiques subies par les hommes descendants d’immigré·e·s d’Europe de l’Ouest reste élevé (24,8 % versus 19,5 % pour l’ensemble des hommes descendants d’immigré·es). Ils sont probablement en but à une xénophobie dont les ressorts méritent, pour être saisis, que des recherches qualitatives soient conduites, car on constate une absence de travaux sociologiques sur ces populations qui rend l’explication de ces résultats difficile à formuler.
68Les variations selon l’origine de la proportion de personnes rapportant des violences trouvent probablement leur explication dans des registres distincts et spécifiques à chaque origine. Identifier les causalités respectives de ces variations nécessite alors d’identifier les différences sociodémographiques associées à chaque origine, ce que nous allons maintenant explorer.
2. Des violences qui touchent davantage les descendant·e·s d’immigré·e·s
69Nous avons pu constater que les descendant·e·s d’immigré·e·s, notamment celles et ceux qui appartiennent à des minorités racisées, déclarent plus souvent avoir subi des violences dans les espaces publics. Étant donné qu’ils et elles sont globalement plus jeunes et vivent essentiellement dans les grandes villes et que ces deux éléments entraînent une surexposition aux violences dans les espaces publics, on peut se demander si la sur-déclaration des violences dans ces groupes est liée à ces caractéristiques sociales uniquement ou si l’origine en soi explique cette surexposition.
70Pour répondre à cette question, nous avons effectué une régression logistique sur le fait d’avoir déclaré des violences subies dans les espaces publics au cours des douze derniers mois. On estime ainsi le risque de déclarer des violences subies au cours des douze derniers mois relativement au risque de ne pas en déclarer et le résultat est exprimé en odds ratio (risque relatif). La population majoritaire est prise en point de comparaison pour estimer l’ampleur éventuelle d’un sur-risque ou d’un moindre risque pour les autres origines. Les analyses ont été conduites séparément pour chaque sexe, étant donné les différences importantes observées entre les taux de violences déclarées par les femmes et par les hommes (tableau 8, modèles M1 à M3).
71Dans un premier modèle, seule la variable indiquant le lien à la migration et l’origine est prise en considération. On retrouve les observations issues des tableaux précédents. Pour les femmes, le risque relatif de subir des violences dans l’espace public au cours des douze derniers mois plutôt que de n’en pas subir est 4,2 fois plus élevé pour les descendantes d’immigré·e·s d’Asie et du Moyen-Orient que pour les femmes de la population majoritaire, résultat convergent avec ceux recueillis en 2008 pour ce groupe dans l’enquête Trajectoires et origines, qui explorait le fait d’avoir subi des propos explicitement racistes dans l’espace public (Hamel, Lesné et Primon, 2016). Ce risque relatif est présent pour d’autres origines, mais s’avère nettement moins prononcé : il est de 2,1 pour les descendantes d’immigré·e·s du Maghreb et pour les Françaises sur deux générations avec histoire migratoire, de respectivement 1,9 et 1,8 pour les descendantes d’immigré·e·s d’Afrique subsaharienne et pour les femmes originaires d’un DROM. Parmi les femmes immigrées, seules celles venues d’Afrique subsaharienne ont un risque relatif plus élevé que les femmes de la population majoritaire (OR = 1,6). Les femmes immigrées venues d’Europe ne sont pas plus exposées que les femmes de la population majoritaire (les OR sont proche de 1), et celles venues d’Europe du Sud ont même un moindre risque (OR = 0,7). Les descendantes d’immigré·e·s d’Europe du Sud ont à l’inverse un sur-risque comparativement à la population majoritaire puisque leur odds ratio est de 1,6, mais ce sur-risque les expose nettement moins que les descendantes d’immigré·e·s d’autres origines.
72Pour les hommes, les écarts avec ceux de la population majoritaire sont nettement moins prononcés que dans le cas des femmes et ne concernent pas tout à fait les mêmes groupes d’origines. Le risque relatif de subir des violences dans l’espace public au cours des douze derniers mois (plutôt que de n’en pas subir) est respectivement 2,3 fois et 2,1 fois plus élevé pour les descendants d’immigré·e·s d’Europe de l’Ouest et les descendants d’immigré·e·s du Maghreb, et 1,7 fois plus pour les descendants d’immigré·e·s d’Afrique subsaharienne et d’Asie ou du Moyen-Orient (bien que ce résultat soit moins solide statistiquement pour ces deux derniers groupes). Ce risque relatif est aussi 2 fois supérieur pour les hommes immigrés du Maghreb et 1,5 fois pour les immigrés d’Afrique subsaharienne. Il est 1,6 fois plus élevé pour les Français sur deux générations avec histoire migratoire et pour les personnes originaires des DROM. On constate à l’inverse que le risque relatif est 2 fois moindre comparativement aux hommes de la population majoritaire pour les immigrés d’Europe du Sud (OR = 0,5).
73Dans le deuxième modèle, ces résultats sont contrôlés en neutralisant les effets de l’âge des enquêté·e·s sur l’exposition aux violences. À âge identique, le risque relatif de déclarer des violences subies dans l’espace public reste-t-il supérieur pour les groupes d’origine qui présentent des taux de violences supérieurs à ceux des femmes et des hommes de la population majoritaire ? Le modèle 2 confirme l’effet de l’âge et montre qu’à origine identique chez les femmes, le risque relatif de déclarer des violences dans l’espace public est 6,7 fois plus élevé pour les 20-29 ans que pour les 50-69 ans pris en référence. L’écart se réduit progressivement quand on avance en âge. Chez les hommes, le phénomène suit les tendances observées chez les femmes mais il s’avère beaucoup moins prononcé (OR = 4,3 pour les 20-29 ans comparativement aux 50-69 ans). Pour les femmes comme pour les hommes, l’introduction de l’âge dans le modèle fait diminuer les odds ratios de tous les groupes d’origine qui s’avéraient surexposés aux violences, mais sans faire totalement disparaître l’effet de l’origine. À âge identique, leur surexposition à ces violences se réduit mais perdure. On note deux exceptions à ce constat global. L’odds ratio des descendant·e·s d’immigré·e·s d’Afrique subsaharienne tombe de 1,8 à 1,0, ainsi l’écart disparaît complètement. Cependant, on ne peut en déduire que le surcroît de violence initial ne soit dû qu’à leur jeune âge, car ce résultat relève d’une quasi-absence de personnes de plus de 50 ans dans ce groupe : les trois quarts ont moins de 40 ans (voir tableau II en annexe). On note aussi que la moindre exposition des femmes et hommes immigrés d’Europe du Sud, comparativement à la population majoritaire, disparaît (leur odds ratio qui était de 0,7 se rapproche de la valeur 1), ce qui révèle que leur moindre exposition n’est due qu’à la part importante des plus de 50 ans dans ce groupe et à la faible présence des moins de 30 ans (les trois quarts ont plus de 41 ans ; tableau I en annexe).
74Dans un troisième modèle, nous avons contrôlé les résultats selon l’origine et l’âge par de nouvelles informations sur les enquêté·e·s : la taille de leur ville de résidence, leur statut d’activité, leur diplôme, leur situation conjugale et leur orientation sexuelle étant donné que celle-ci est particulièrement importante pour les violences dans les espaces publics (voir chapitre 10). L’effet de la taille de la ville de résidence intervient différemment pour les femmes et pour les hommes. Pour eux, vivre dans une ville moyenne, dans une grande ville ou en Île-de-France ne change rien. Mais pour les femmes, vivre en Île-de-France double le risque relatif de déclarer des violences subies dans les espaces publics, comparativement au fait de vivre dans une ville moyenne, cela à âge et origine identique. Les personnes vivant en milieu rural déclarent moins de violences dans les espaces publics, car elles les fréquentent plus rarement.
75Toutes choses égales par ailleurs, le niveau de qualification de l’enquêté·e agit lui aussi différemment pour les femmes et pour les hommes. Il n’a aucun impact pour ces derniers, mais il est agissant concernant les femmes. Les moins qualifiées ont un moindre risque relatif de déclarer des violences subies dans l’espace public. L’origine étant contrôlée, cela vaut pour la population majoritaire comme pour les femmes des minorités immigrées et issues de l’immigration. Ce résultat est convergeant avec les observations issues de l’Enveff (Condon, Lieber et Maillochon, 2005). Est-ce à dire que les plus diplômées fréquentent davantage les espaces publics ou qu’elles y sont davantage repérées et, en quelque sorte, davantage « remises à leur place » ? Les deux processus agissent probablement de pair. Être en emploi protège, tandis qu’être au chômage expose aux violences dans l’espace public, en particulier pour les hommes pour qui l’inactivité expose également. Pour les femmes, plus que le chômage, c’est être étudiante qui surexpose en comparaison de la situation d’emploi. La situation conjugale n’a d’effet que pour les femmes. Celles qui sont célibataires sont encore plus confrontées aux violences que celles en couple, tandis que pour les hommes, la situation matrimoniale ne joue aucun rôle.
76Une fois l’ensemble de ces caractéristiques prises en compte et leurs effets contrôlés, les femmes immigrées du Maghreb, d’Afrique subsaharienne, d’Asie et du Moyen-Orient n’apparaissent plus être davantage touchées par les agressions extérieures que les femmes de la population majoritaire. Être jeune, et par suite encore célibataire et étudiante, et vivre dans une grande ville sont des caractéristiques qui rendent compte de leur surexposition aux agressions à l’extérieur. Les descendantes d’immigré·e·s, en revanche, restent davantage confrontées à ces violences. C’est le cas des descendantes d’immigré·e·s d’Asie et du Moyen-Orient (OR = 2,5), d’Europe du Sud (OR = 1,5) et du Maghreb (OR = 1,2). C’est le cas aussi des Françaises sur deux générations avec histoire migratoire.
77Concernant les hommes immigrés et descendants d’immigré·e·s du Maghreb, la surexposition aux violences persiste une fois que l’on a tenu compte des autres caractéristiques. C’est également le cas pour les Français sur deux générations avec histoire migratoire et pour les descendants d’immigré·e·s d’Europe du Sud et d’Europe de l’Ouest. Néanmoins, il ne s’agit pas du même type de violences, les descendants d’immigré·e·s du Maghreb sont parmi les plus concernés par les violences physiques.
78Les différences restant entre les origines renvoient à des modalités différenciées d’expression du racisme pour les immigrés et les descendants d’immigré·e·s d’Afrique subsaharienne et du Maghreb. Divers travaux de recherche soulignent que le racisme prend des formes d’expression plus ou moins manifestes selon les origines. Concernant les contrôles au faciès par exemple, les hommes originaires d’Afrique subsaharienne semblent moins exposés que ceux du Maghreb dès lors qu’ils sont plus âgés et habillés en tenue de ville (Jobard et al., 2012). Les craintes relatives à l’Islam dans un contexte socio-historique marqué par les attentats terroristes pourraient expliquer cette différence. Rappelons en effet que la collecte des données de l’enquête Virage a démarré avec l’attentat de Charlie Hebdo, en janvier 2015, et s’est terminée avec celui du Bataclan en novembre 2015.
79En conclusion de cette partie, nous voudrions rappeler que ce que nous venons d’analyser porte exclusivement sur le nombre, plus important en proportion, de personnes déclarant des violences au sein des différents groupes d’origine. Cela ne dit rien du nombre de fois où ces personnes ont subi ces violences dans une année ni de la manière dont elles l’ont été, à savoir avec des propos racistes ou sans de tels propos. C’est ce dernier point que nous allons explorer dans la partie suivante.
V. Misogynie, virilisme et racisme : des motifs spécifiques dans l’expérience des violences dans les espaces publics
80Mettre au jour le sens éventuellement raciste des violences dans l’espace public constitue un enjeu important. Les personnes ont été interrogées sur les raisons possibles de leur agression : orientation sexuelle, religion, origine, âge, genre, handicap. Lorsque plusieurs agressions ont été déclarées, il a été demandé à l’enquêté·e de bien vouloir se concentrer sur celle qui fut la plus marquante. L’insertion d’une question sur l’identification d’une attitude discriminatoire sous-jacente à l’action violente constitue une innovation dans les enquêtes de victimation. Ce questionnement était absent de l’enquête Enveff. Il vient des enquêtes sur l’étude des discriminations à caractère raciste comme Trajectoires et origines et s’est, à partir de l’enquête Virage, étendu aux enquêtes de victimation17. Le choix a été fait ici de ne pas reprendre la question telle qu’elle est classiquement formulée dans les enquêtes sur les discriminations. L’enquête pilote a effectivement conduit à la formuler comme ci-dessous, ce qui est apparu plus adapté au vécu des personnes :
Tableau 8. Risque relatif de déclarer des violences subies dans les espaces publics au cours des douze mois (en odds ratio, OR, ou coefficient de risque)


81« Selon vous, ces faits étaient-ils liés à… » (plusieurs réponses possibles) :
Votre orientation sexuelle, (réelle ou supposée) ?
Votre religion (réelle ou supposée) ?
Votre origine ou couleur de peau ?
Votre santé, un handicap, un aspect de votre physique, y compris problème d’alcool ou de poids ?
Votre âge (trop jeune, trop âgé·e) ?
Si femme : Au simple fait que vous êtes une femme ou au mépris des femmes ?
La volonté de l’auteur d’afficher sa force, son pouvoir, sa virilité ?
Votre milieu social ou le quartier où vous habitez ?
Vos opinions politiques ou syndicales ?
Une grossesse, un divorce ou autre situation familiale ?
Au hasard, juste parce que vous étiez là ?
82Les catégories de réponse renvoient, entre autres, à l’âge, à la religion, aux opinions politiques, à la couleur de peau mais aussi au quartier d’habitation, au milieu social, à la santé, ou encore à l’orientation sexuelle. Les modalités de réponse 6 et 7 remplacent la modalité « en raison de votre sexe », généralement utilisée dans les enquêtes sur les discriminations pour mesurer la perception du sexisme. Ces deux modalités de réponse ont été formulées comme telles à la suite de l’enquête pilote lors de laquelle nous avions pu constater qu’elles étaient mieux comprises par les enquêté·e·s, notamment par les hommes plus enclins à identifier un comportement viriliste chez l’agresseur qu’un défaut de virilité pour eux-mêmes. Ces modalités s’avèrent aussi plus adaptées à l’analyse des violences commises entre hommes et évitent enfin que soient considérées comme sexistes des violences contre des hommes, dont la cause se situe ailleurs que dans un supposé ordre social, où les femmes inférioriseraient les hommes en tant que groupe.
83Quel que soit le lien à la migration, les femmes qui ont subi des violences indiquent à plus de 50 % que le « mépris des femmes » a déclenché l’agression dont elles ont été l’objet, et à un peu plus de 30 % que c’est le virilisme de l’auteur qui était en cause. On voit ici que les femmes identifient clairement ce qu’elles ont subi comme un comportement misogyne ou machiste. Un peu moins de 50 % considèrent que le hasard y est pour quelque chose, signifiant sans doute par là qu’elles ne voient pas quel comportement particulier elles auraient eu et qui aurait été susceptible de déclencher cette hostilité. L’origine ou la couleur de peau sont quant à elles rapportées par 8,9 % des immigrées et 9,9 % des descendantes d’immigré·e·s ainsi que par 12,1 % des femmes originaires d’un DROM, contre 2,7 % des femmes de la population majoritaire. En outre, la religion, réelle ou supposée, est avancée comme motif de comportements violents par 2 % des immigrées et 7 % parmi des descendantes d’immigré·e·s contre moins de 1 % des femmes de la population majoritaire.
84Les femmes immigrées comme les descendantes d’immigré·e·s déclarent trois fois plus souvent que celles de la population majoritaire des motifs racistes à leur agression (tableau 9). Notons que parmi les personnes de la population majoritaire, il peut y avoir des petits-enfants d’immigré·e·s ou de natifs d’un DROM que l’enquête ne permet pas de distinguer au sein de ce groupe. Il s’ensuit qu’on ne peut considérer que les personnes de la population majoritaire seraient exclusivement des personnes blanches de peau.
85Quel que soit le lien à la migration, les hommes sont 2 à 3 fois plus nombreux (entre 25 % et 30 %) que les femmes à ne rapporter aucune raison à ces violences. Cependant, les hommes immigrés et descendants d’immigré·e·s identifient bien plus souvent un motif intentionnel aux violences qu’ils déclarent que les hommes de la population majoritaire. Pour un quart des descendants d’immigré·e·s, le virilisme de l’auteur est la cause de leur agression. Ce taux monte à 30 % pour les hommes de la population majoritaire. Le milieu social ou le quartier de résidence prend davantage d’importance que pour les femmes, mais reste moins déclaré que l’origine ou la couleur de peau. L’origine ou la couleur de peau sont rapportées par 15,7 % des immigrés et 13,1 % des descendants d’immigré·e·s contre 6,1 % des hommes de la population majoritaire. À nouveau, on ne peut dire ici qu’il s’agirait d’un racisme « anti-blanc » car il n’est pas exclu que des personnes de couleur soient présentes dans ce groupe. Par ailleurs, d’autres enquêtes ont pu mettre au jour que des individus déclarent avoir été insultés en raison de leur couleur de peau, précisément parce qu’ils étaient accusés d’être des personnes racistes (Hamel, Lesné et Primon, 2016 ; Scherr et Amrous, 2017). Être accusé de racisme est vécu comme une offense par des personnes qui n’appartiennent pas aux minorités racisées. Quant à la religion, elle est mentionnée par 5,9 % des immigrés et 4,4 % des descendants d’immigré·e·s contre 2,6 % des hommes de la population majoritaire.
86Alors que l’on n’observe pas de différences entre hommes immigrés et descendants d’immigré·e·s concernant la religion, il apparaît que parmi les femmes, celles qui sont d’ascendance migratoire déclarent davantage d’agressions en raison de leur religion que celles ayant migré. On peut supposer que la surmédiatisation des polémiques sur le foulard explique ce résultat et que l’exposition des descendantes d’immigré·e·s à des violences fondées sur leurs pratiques ou leur visibilité religieuse est plus grande.
Tableau 9. Motifs perçus des violences déclarées subies au cours des douze derniers mois dans les espaces publics, selon le sexe et le lien à la migration (%)

87Ces résultats sur la perception des motifs de violences convergent avec les résultats de la régression logistique présentée précédemment (tableau 8) et confortent donc l’affirmation selon laquelle il existe une dimension raciste à une part de ces violences et que celles-ci concernent particulièrement les personnes originaires d’un DROM, les immigrés et descendants d’immigrée·e·s.
Conclusion
88Les personnes immigrées et leurs descendant·e·s constituent des populations hétérogènes qui se caractérisent par une grande diversité de situations : les différentes populations envisagées dans ce chapitre sont issues des différentes vagues d’immigration que la France a connues ces soixante-dix dernières années. La migration est souvent associée à des troubles politiques et économiques dans les pays d’origine, mais ceux-ci s’avèrent plus ou moins prégnants dans les motifs de départ. D’une manière globale, la situation socioéconomique et les conditions de vie des personnes immigrées et de leurs descendant·e·s sont moins favorables que celles de la population majoritaire, qu’il s’agisse du taux de chômage, du taux d’inactivité ou du type d’emploi occupé, du lieu de résidence, des niveaux de qualification, même si une part des individus qui composent ces groupes échappent évidemment à ce constat. La situation de ces minorités issues de l’immigration est aussi très contrastée quant à l’éloignement (plus ou moins prononcé) de leur pays d’origine avec les normes de la société française, ainsi qu’au regard de l’exposition au racisme et aux stéréotypes discriminatoires sur les différentes origines. Ces divergences impactent différemment les individus dans leur degré d’exposition aux violences tant intrafamiliales que dans l’espace public à l’âge adulte, mais le constat général est celui d’une surexposition des individus des minorités issues de l’immigration à ces violences. Cependant, pour chaque groupe, les registres d’explication à cette surexposition varient. Des causes différentes produisent une même surexposition. Ces violences prennent aussi place dans un contexte français où il est avéré que les violences aux personnes dans le cadre familial sont très peu dénoncées par les victimes à la police et rarement sanctionnées par le système judiciaire.
89Concernant les violences subies pendant la période de jeunesse dans le cadre familial, nous n’avons pu montrer qu’il n’y a pas eu en France d’évolution de la fréquence de ces violences au cours des soixante dernières années. Les filles y ont été davantage confrontées que les garçons, en particulier en raison des violences sexuelles incestueuses. Ces violences ont lieu dans tous les milieux sociaux. Seul le milieu agricole semble constituer un contexte prévenant ces violences. Les facteurs associés à une surexposition aux violences parentales et intrafamiliales sont l’inactivité du père et un nombre d’enfants de 4 ou plus, ce qui correspond probablement à un revenu par membre du ménage qui devient insuffisant. Mais une fois ces facteurs contrôlés dans nos analyses, les personnes de ces minorités, et de certaines origines en particulier, demeurent davantage exposées. Ces éléments font que les familles migrantes font partie de celles où existe une exposition plus forte.
90Les personnes originaires d’un DROM et les Français sur deux générations sont les groupes les plus touchés. Ces deux groupes ont pour point commun d’avoir une histoire migratoire associée à la colonisation française. Les départements d’outre-mer sont ceux où les violences, d’une manière générale, et les violences intrafamiliales en particulier sont les plus fréquentes (Brown, 2012 ; Brown et Lefaucheur, 2012), comparativement aux départements du territoire métropolitain. Les hommes originaires d’un DROM sont ceux qui déclarent le moins de violences intrafamiliales, contrairement aux femmes de même provenance, ce qui traduit un écart de genre prononcé, phénomène qu’on ne retrouve pas dans les autres groupes d’origine. Les personnes originaires de ces départements présentent des déclarations élevées de violence. Divers travaux historiques et anthropologiques soulignent l’impact durable de l’esclavage et la déstructuration de l’organisation familiale induite par celui-ci dans ces territoires (Farmer et Scheper-Hugues, 2009). Dans la lignée des analyses ouvertes par Angela Davis (1983), Arlette Gautier a démontré, en rassemblant données démographiques et archives historiques, que l’organisation esclavagiste des plantations dans les Antilles, a façonné une virilité violente des hommes esclaves envers les femmes esclaves, du xvie au xixe siècle (Gautier, 2010). Les données de Virage montrent que ces marques historiques se perpétuent dans le temps au fil des générations. Et parmi les autres groupes, les descendant·e·s d’immigré·e·s du Maghreb déclarent eux aussi ces violences dans des proportions similaires. D’autres recherches sur les violences en temps de guerre produites par les anthropologues ou les historiens (Nahoum-Grappe, 2011 ; Branche et Virgili, 2011) indiquent que les contextes de graves troubles politiques et de violences meurtrières créent un climat d’impunité généralisée, qui constitue un terrain favorisant des passages à l’acte chez des individus qui se sentent alors protégés de toute sanction du fait du chaos ambiant, et indiquent encore que, bien que pénalement condamné comme crime de guerre, le viol systématique était largement admis par les armées. Que les descendants d’immigré·e·s du Maghreb connaissent des prévalences de violences intrafamiliales dans l’enfance aussi élevée que celle des Français sur deux générations avec histoire migratoire, tandis que les immigrés du Maghreb connaissent des taux certes importants mais moins élevés, n’est pas en contradiction avec cette interprétation. En effet les immigrés d’aujourd’hui sont venus dans un contexte postérieur à celui connu par les parents des descendants d’immigrés. Les immigrés maghrébins d’aujourd’hui ont vécu un contexte politique plus serein que celui des guerres d’indépendances, et les conditions d’entrée sur le territoire français se sont durcies et sont devenues plus sélectives aujourd’hui. Les migrants sont davantage qualifiés et on sait que la migration elle-même a un effet sélectif : par exemple, seuls ceux en bonne santé peuvent migrer (Hamel et Moisy, 2016). Il n’est pas impossible que le soutien de l’environnement familial, avec lequel il faut avoir de bonnes relations, constitue aujourd’hui un des déterminants de la migration. En d’autres termes, les migrant·e·s ne sont pas forcément à l’image de la population dans leur pays d’origine. Ainsi la violence vécue dans la société d’origine pourrait avoir deux types d’effets contradictoires au regard de la migration : les individus peuvent migrer pour fuir cette violence, qu’il s’agisse de troubles de guerre ou de violences intrafamiliales, et d’un autre côté migrer serait un processus dans lequel seules les personnes les mieux préparées et entourées par leurs proches peuvent s’engager. Cette hypothèse pourrait expliquer que les personnes immigrées, quelle que soit leur origine, s’avèrent davantage concernées par les violences dans l’enfance que la population majoritaire. On pourrait observer, comme dans le domaine de la santé, un effet de sélection par le fait de ne pas avoir subi de violences dans l’enfance. Si l’on peut soutenir que les parents des descendant·e·s d’immigré·e·s du Maghreb ont connu des troubles politiques ayant un impact sur leur manière d’être parents et d’user de la violence, cette explication ne tient pas pour les descendant·e·s d’immigré·e·s des autres origines venues d’Europe du Sud et d’Europe de l’Ouest. C’est un autre registre d’explication qui intervient dans leur cas, mais qui joue aussi un rôle pour les descendant·e·s d’immigré·e·s maghrébin·e·s : il s’agit de la mixité du couple parental qui semble constituer un élément pouvant générer des tensions qui se reportent sur les enfants. Parmi les descendant·e·s d’immigré·e·s, celles et ceux issu·e·s des couples mixtes rapportent davantage de violences parentales et intrafamiliales. Or la prévalence du couple mixte est très élevée dans ces trois groupes d’origine. Cela va dans le sens d’une observation déjà relevée par l’Enveff qui mettait au jour une plus grande exposition des femmes en couple mixte aux violences conjugales : ces dernières étant très fréquemment associées à des violences sur les enfants, un lien mixité du couple, violences conjugales et violences sur enfants est hautement probable (Jaspard et al., 2003, p. 202). Il est aussi possible que les attendus des conjoints de ces femmes soient ceux de femmes passives et dociles, et que la réalité s’avère différente. Ces couples peuvent aussi ne pas être bien acceptés par les familles respectives des conjoints. Le couple mixte peut encore être cible du racisme dans l’espace public comme cela a été démontré par l’enquête Trajectoires et origines (Hamel, Lesné et Primon, 2016). L’ensemble de ces éléments contribue sans doute à alimenter un climat négatif qui se traduit par une forte propension à la séparation.
91Concernant les violences dans l’espace public, les groupes d’origines le plus souvent confrontés aux agressions dans l’espace public sont les mêmes qu’en ce qui concerne les violences intrafamiliales. Non seulement, ils cumulent les caractéristiques sociodémographiques qui surexposent aux violences de la rue, mais une fois ces éléments neutralisés dans nos analyses, l’origine en soi continue d’être associée à une plus forte exposition. Il est possible que les femmes se trouvent malmenées par les hommes de leur groupe d’origine (famille ou voisinage) et qu’à cela s’ajoute l’hostilité d’autres groupes migratoires présents dans l’environnement immédiat. Ces mêmes femmes peuvent encore rencontrer le racisme de la population majoritaire. L’analyse de la perception des causes possibles des violences subies atteste que le racisme constitue l’un des éléments structurant de ces agressions. Les descendantes d’immigré·e·s du Maghreb mentionnent aussi davantage la religion que leurs homologues masculins. L’hypothèse que nous avions formulée en introduction de ce chapitre de l’existence d’un continuum entre les discriminations racistes et les violences extrafamiliales se confirme. Outre que, dans ces groupes, les victimes sont plus nombreuses en proportion que dans la population majoritaire, elles sont aussi confrontées à des nombres de faits subis plus élevés, ce qui n’est pas pris en considération dans les analyses présentées ici.
92Les femmes descendantes d’immigré·e·s vivent des situations de cumul de violences qui, de l’enfance dans la famille à l’espace public à l’âge adulte, forment un système où sexisme et racisme se mêlent, tandis que les descendants sont également surexposés mais moins fortement.
Annexes
Tableau I. Caractéristiques sociodémographiques des femmes immigrées selon l’origine

Tableau II. Caractéristiques sociodémographiques des hommes immigrés selon l’origine

Tableau III. Caractéristiques sociodémographiques des femmes descendantes d’immigré·e·s selon l’origine

Tableau IV. Caractéristiques sociodémographiques des hommes descendants d’immigré·e·s selon l’origine

Tableau V. Religion des parents de l’enquêté·e et importance de celle-ci comme référence éducative

Tableau VI. Configuration familiale dans laquelle l’enquêté·e a grandi et nombre de frères et sœurs

Notes de bas de page
1 Avec la collaboration de Bernard de Clédat, ingénieur d’études au service Enquêtes et sondages de l’Ined.
2 Ce texte de loi a été voté à l’unanimité par le parlement tunisien, ce qui témoigne du fait que tous les courants politiques du pays étaient indignés de la situation antérieure héritée du régime du président Ben Ali, avant la révolution. Voir Florence Richard, « La Tunisie se dote d’une loi historique contre les violences faites aux femmes », France 24, 27 juillet 2017 ; https://www.france24.com/fr/20170727-tunisie-loi-violences-femmes-parlement-belhaj-hmida-naziha-laabidi.
3 Les enquêtes démographiques et de santé (Demographic and Health Surveys) sont réalisées sous l’égide de l’ONU dans les pays qui ne peuvent dégager les moyens financiers pour la réalisation d’enquêtes quantitatives de grande envergure. Ayant un questionnaire strictement identique, elles permettent des comparaisons entre ces pays, mais pas avec les pays industrialisés où les enquêtes appréhendent la question de violences de façon très différente.
4 Elle est calquée sur le modèle de ce qui avait été fait dans le chapitre consacré à l’analyse du racisme dans l’ouvrage Trajectoire et origines : enquête sur la diversité des populations en France (Hamel, Lesné, Primon, 2016).
5 Département et région d’Outre-mer : les départements et régions d’Outre-mer comprennent la Guadeloupe, la Martinique, La Réunion, la Guyane et Mayotte. Les Collectivités et Territoires d’Outre-Mer (COM-TOM) comprennent Saint-Pierre-et Miquelon, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna.
6 Pour de futures enquêtes, il serait utile de questionner les enquêté·e·s sur l’âge de leurs parents, car cela permettrait de mieux caractériser le contexte d’arrivée de leurs parents et ainsi de rattacher leur enfance à des périodes historiques avec davantage de précision.
7 En 2004 et 2005, l’Algérie et le Maroc ont procédé à une refonte très conséquente de leurs codes de la famille respectifs. Ces réformes ont acté une nette progression du droit civil dans le sens de l’égalité entre les sexes, avec une avancée plus importante au Maroc qu’en Algérie. Ces évolutions rapprochent les législations du Maghreb de celles des pays européens. Par exemple, l’époux n’est plus le chef de famille et il n’existe plus de « devoir d’obéissance » de l’épouse envers son époux, évolution que les pays européens ont connu dans les années 1960 et 1970. Il demeure cependant des différences notables avec les pays du Nord de la Méditerranée, comme en matière de sexualité, où le mariage demeure la seule forme légale possible de vie en couple et d’exercice de la sexualité, faisant ainsi de toute relation sexuelle prémaritale ou externe au mariage, un acte juridiquement assimilé à la prostitution ; d’où l’existence de pressions parentales fortes sur la mise en couple et le choix du conjoint, y compris en contexte migratoire (Hamel, 2011a). En septembre 2019, des centaines de femmes marocaines ont signé ensemble une tribune parue dans la presse marocaine et française (Le Monde daté du 23 septembre 2019), affirmant qu’elles avaient enfreint la loi en ayant des relations sexuelles en dehors du cadre légal du mariage et en ayant eu recours à l’avortement, pour protester contre la législation. Elles réitèrent ce que les féministes françaises firent au début des années 1970 avec le « manifeste des 343 », liste de 343 femmes ayant avorté (Le Nouvel Observateur du 5 avril 1971). Les pays du Maghreb vivent aujourd’hui la situation connue dans les années 1960 en France avec la contestation du mariage par la jeunesse et une revendication de libération des mœurs.
8 Néanmoins, il peut y avoir des effets de génération et de représentation de la violence qui peuvent jouer entre les deux, du fait qu’elles n’ont pas grandi dans les mêmes endroits.
9 Quand l’enquêté·e a déclaré qu’il a été élevé par une autre femme que sa mère ou un autre homme que son père, c’est la profession de la personne qui l’a élevé·e qui a été prise en considération.
10 Il n’est cependant pas possible de distinguer précisément le lieu où se sont produites les violences (voir le chapitre 9).
11 L’enquêté·e n’a déclaré aucun autre type de fait que les insultes, subies une ou plusieurs fois.
12 L’enquêté·e a été sifflé·e ou interpellé·e sous prétexte de drague, une ou plusieurs fois, et sans déclarer aucun autre type de faits.
13 Le terme d’atteintes sexuelles, comme celui de harcèlement sexuel ne sont pas utilisés ici dans leur sens juridique. Il s’agit de faits à caractère sexuels, sans contact avec le sexe de la personne : avoir été « siflé·e ou interpellé·e sous le prétexte de drague », avoir eu affaire à un exhibitionniste ou un voyeur, avoir été suivi·e, et pour les femmes avoir été « embrassé·e de force » ou avoir subi des attouchements des seins et des fesses. Pour les hommes, cette catégorie correspond au fait qu’une personne s’est « collée ou frottée » contre lui.
14 Ces faits de violences sexuelles sont toujours cumulés à d’autres types de faits qui relèvent du harcèlement sexuel.
15 L’enquêté·e a subi des brutalités physiques (bagarres, brutalités, menaces et tentatives de meurtres), cumulées à des insultes ou au fait d’être suivi·e.
16 Pour définir la « drague importune » la question posée aux enquêté·e·s était la suivante : « Au cours des douze derniers mois, avez-vous été sifflé·e, interpellé·e ou abordé·e sous prétexte de drague ? ».
17 Lors de la conception de l’enquête Virage, des discussions ont été conduites avec l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) et avec l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) qui sont les concepteurs de l’enquête Cadres de vie et sécurité. Ces échanges ont permis d’inclure dans le questionnaire de l’enquête CVS une question nouvelle sur les motifs discriminatoires possiblement associés aux insultes, puis aux actes de violences. La question retenue, rédigée avant le test de l’enquête Virage, diffère de celle que nous avons utilisée. Les données de l’enquête CVS ont donné lieu à une publication (Guedj, 2017).
Auteurs
Sociologue, chargée de recherche à l’Ined, spécialiste des rapports sociaux de genre dans les populations minoritaires en France. Ses travaux ont notamment porté sur la sexualité et la gestion des risques d’infection par le VIH chez les jeunes d’origine maghrébine, sur la mise en couple et le choix du conjoint des descendants d’immigrés, et sur l’expérience du racisme et des discriminations. Elle a coordonné, avec Patrick Simon et Cris Beauchemin, l’enquête Trajectoires et origines, réalisée par l’Ined et l’Insee en 2008. Outre ses recherches sur les mariages forcés, les viols collectifs, les féminicides par le partenaire intime, le harcèlement sexuel à l’université, elle a initié et coordonné en 2011, l’enquête statistique Virage dont le présent ouvrage expose les principaux résultats. Elle est actuellement rattachée à l’Unité mixte de recherche sur les migrations (Urmis) du CNRS, où elle travaille à la mise en place de l’enquête ACADISCRI (enquête sur la mesure des discriminations et des violences dans le milieu universitaire).
Sociodémographe de formation, maîtresse de conférences à l’université de Strasbourg, membre du laboratoire Sociétés, acteurs, gouvernement en Europe (Sage/CNRS) et chercheure associée à l’équipe Sexualité et soins (Inserm/Ined). Ses recherches, qui mobilisent des données quantitatives, portent sur les enjeux de sexualité et de santé des populations migrantes. Elle travaille également sur les discriminations envers les populations minoritaires et sur les politiques de lutte contre les discriminations. Elle a participé à plusieurs enquêtes quantitatives sur la santé sexuelle et reproductive (Fécond, Parcours).
Ingénieure d’études, spécialisée dans les méthodes quantitatives, membre du laboratoire Sociétés, acteurs, gouvernement en Europe (Sage/CNRS). Les recherches auxquelles elle participe portent sur l’évolution des structures familiales, les élites européennes et la ville durable.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Trajectoires et origines
Enquête sur la diversité des populations en France
Cris Beauchemin, Christelle Hamel et Patrick Simon (dir.)
2016
En quête d’appartenances
L’enquête Histoire de vie sur la construction des identités
France Guérin-Pace, Olivia Samuel et Isabelle Ville (dir.)
2009
Parcours de familles
L’enquête Étude des relations familiales et intergénérationnelles
Arnaud Régnier-Loilier (dir.)
2016
Portraits de famille
L’enquête Étude des relations familiales et intergénérationnelles
Arnaud Régnier-Loilier (dir.)
2009
Inégalités de santé à Ouagadougou
Résultats d’un observatoire de population urbaine au Burkina Faso
Clémentine Rossier, Abdramane Bassiahi Soura et Géraldine Duthé (dir.)
2019
Violences et rapports de genre
Enquête sur les violences de genre en France
Elizabeth Brown, Alice Debauche, Christelle Hamel et al. (dir.)
2020
Un panel français
L’Étude longitudinale par Internet pour les sciences sociales (Elipss)
Emmanuelle Duwez et Pierre Mercklé (dir.)
2021
Tunisie, l'après 2011
Enquête sur les transformations de la société tunisienne
France Guérin-Pace et Hassène Kassar (dir.)
2022
Enfance et famille au Mali
Trente ans d’enquêtes démographiques en milieu rural
Véronique Hertrich et Olivia Samuel (dir.)
2024