Chapitre 7 ■ Les violences dans le cadre des études supérieures
p. 263-287
Texte intégral
1La dénonciation des violences en milieu universitaire est un phénomène relativement récent, lié notamment à la massification des études supérieures et à l’entrée des femmes dans des filières prétendument masculines. Certaines formes de violences vécues dans le cadre des études étaient ainsi tolérées comme relevant du rite de passage, d’intégration au groupe ou d’un mode de gestion du stress lié aux études. Intégré à la vie des filières sélectives des universités (médecine) ou de certaines grandes écoles, le bizutage était souvent défendu par l’institution et la hiérarchie comme une tradition permettant la constitution d’une communauté d’élèves. Longtemps perpétrés dans un entre-soi très, voire exclusivement, masculin, ces rituels pouvaient prendre la forme de brimades, de moqueries répétées, d’humiliations publiques, mais aussi de violences physiques parfois très graves et de violences à caractère sexuel dans un contexte de consommation excessive d’alcool, et de mises en scène du corps et de la sexualité (Larguèze, 1995). La loi n° 98-468 du 17 juin 1998 a cherché à mettre fin à ces rituels d’intégration, les assimilant à des violences interpersonnelles, souvent aggravées par la force du groupe et l’héritage de la tradition et les constituant en délits. L’arrivée croissante de jeunes femmes dans des filières sélectives a probablement contribué à mettre en lumière ces rituels et leur potentiel sexiste et violent (Madelin, 2004 ; Bryon-Portet, 2011). Cependant, ces rites de passage demeurent largement tolérés dans certaines filières où ils ont été rebaptisés « week-end » ou « soirées d’intégration » et font, parfois encore, des victimes, malgré les interventions répétées des instances ministérielles. De façon plus générale, les soirées étudiantes, mais aussi les associations étudiantes et les lieux de loisirs sont régulièrement dénoncés comme des espaces propices au sexisme et aux violences.
2Mais les études supérieures ne sont pas seulement le lieu de violences entre étudiant·e·s, parfois tolérées ou encouragées par l’institution. Le début des années 2000 a ainsi été marqué par une timide reconnaissance des relations de pouvoir existant parfois entre un directeur ou une directrice d’études et les étudiant·e·s qu’ils supervisent, conduisant à révéler les situations de harcèlement sexuel pouvant se produire dans ce contexte. En 2002, la création du Collectif de lutte contre le harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur (Clasches) par un groupe de doctorantes constitue l’aboutissement d’une mobilisation collective par les personnes concernées autour de la problématique des violences sexuelles et des rapports de pouvoir (Potte-Bonneville, 2002). Ces mobilisations ont permis de mettre au jour la faiblesse des procédures internes de prise en charge des situations de harcèlement et violences sexuelles et de diffuser les recours possibles (Hamel, 2008). La dénonciation, par des enseignant·e·s, de faits de harcèlement sexuel commis par leurs pairs (Anef, 2014) a également constitué une rupture face au silence complaisant sur les « intimités » entre élèves et directeurs de mémoire ou de thèse, qui invisibilisait les rapports de pouvoir à l’université.
3Ce changement de perspective sur les violences dans le cadre universitaire s’est accompagné d’une reconnaissance institutionnelle croissante. Le 4e Plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes1 comprend un volet visant à prévenir les comportements sexistes et les violences sexuelles dans le milieu universitaire. La charte pour l’égalité entre femmes et hommes dans les établissements d’enseignement supérieur et de recherche2 et la loi pour l’enseignement et la recherche de juillet 2013 prévoient la nomination d’un·e référent·e pour l’égalité femmes/ hommes, la production de statistiques sexuées, des actions en faveur de l’égalité professionnelle mais aussi la lutte contre les violences et le harcèlement sexuel (Cromer et Hamel, 2014).
4Contrairement aux études nord-américaines, les recherches en sciences sociales sur les violences rituelles entre étudiant·e·s, ou sur les situations de harcèlement sexuel impliquant des étudiant·e·s, des enseignant·e·s ou des personnels administratifs demeurent peu nombreuses en France (Bergeron et al., 2018). Dans l’hexagone, les recherches sur les violences dans le cadre des études se sont concentrées sur les situations, largement médiatisées, de violence et de harcèlement scolaire (Mabillon-Bonfils, 2005), impliquant des enfants ou des adolescents et pouvant conduire, à la suite de violences physiques et psychologiques graves ou de situations de rackets, au suicide des victimes. Des enquêtes de victimation ont ainsi été menées sur les violences à l’école, mettant en évidence le caractère collectif de ces violences, mais aussi la grande difficulté pour les enfants victimes d’en parler à leurs parents ou aux enseignants (Debarbieux, 2004).
5L’enquête Enveff (Jaspard et al., 2003c), avait déjà intégré la question des études à son questionnaire mais les faibles effectifs de personnes en études au moment de l’enquête ne permettaient pas d’analyser en détail ces violences. Dans ce contexte, l’équipe de l’enquête Virage a cherché à développer l’investigation des violences dans le cadre des études supérieures. Un module spécifique a été passé auprès des enquêté·e·s en cours d’études durant les douze derniers mois pour évaluer l’ampleur du phénomène, analyser ses contours, contextes et conséquences sur les personnes touchées.
6Virage est ainsi la première enquête nationale réalisée en France qui comporte un module dédié aux violences subies dans l’enseignement supérieur3. En outre, elle s’est dotée d’un dispositif spécifique à destination des universités afin de documenter de façon plus détaillée les violences qui s’y déroulent. Si ce dispositif comporte une dimension expérimentale qui en limite la portée, il permet de proposer des résultats inédits que le présent chapitre s’efforce de synthétiser.
7Quelles proportions d’étudiant·e·s sont touché·e·s par les violences ? Quelles formes prennent-elles ? Quels en sont les auteurs ? Leur gravité ? Est-ce que ces violences touchent plus spécifiquement certaines catégories d’étudiant·e·s ? Est-ce que les étudiant·e·s en parlent ? Quels dispositifs saisissent-ils pour les dénoncer ? Pour ce faire, les données mobilisées sont celles de l’enquête réalisée en population générale combinées à celles des enquêtes menées dans deux universités, l’une située dans la région parisienne, l’autre en province.
I. Enquêter sur les violences subies dans le cadre des études
8Dans l’enquête Virage, les violences subies dans le cadre des études supérieures ont fait l’objet de deux modes d’interrogation. Le premier est inclus à l’enquête réalisée par téléphone auprès de la population générale vivant en ménage ordinaire (« Virage PG »). Les personnes en études lors de l’enquête (ou qui l’avaient été au minimum quatre mois dans les douze mois précédents) étaient identifiées et ont répondu à un module consacré aux violences subies au cours des douze derniers mois dans le cadre des études. Au total, dans l’enquête en population générale, 1120 étudiant·e·s (610 femmes et 510 hommes) ont répondu au questionnaire.
9Les enquêtes par téléphone en population générale atteignent difficilement les personnes étudiantes et, plus généralement, les plus jeunes. Les étudiant·e·s et les jeunes adultes sont en effet souvent absents du domicile parental, quand celui-ci est leur domicile principal, ou résident en proportion importante dans des résidences universitaires ou des foyers et sont, de ce fait, exclus du champ de l’enquête4. Le choix de n’interroger que des personnes âgées de plus de 20 ans excluait de surcroît une part importante des jeunes suivant des études supérieures.
10L’enquête a donc fait l’objet d’une déclinaison en direction des universités afin d’étudier plus spécifiquement les violences vécues par les étudiant·e·s. Quatre universités partenaires (université Paris Diderot et Institut de physique du Globe de Paris, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, université de Bretagne Occidentale et université de Strasbourg) y ont participé5. Bien que ne permettant pas de toucher les jeunes adultes étudiants en dehors de l’université, ce dispositif complémentaire, incluant des jeunes à partir de 18 ans, a permis de collecter des informations inédites sur les violences vécues par les étudiant·e·s. Ce volet de l’enquête, complémentaire au volet réalisé en population générale, a conduit au recueil de 6448 questionnaires supplémentaires (Lebugle et al., 2018), dont 3900 sont analysés ici.
1. Un dispositif spécifique pour les étudiant∙e∙s
11Dès le lancement de l’enquête Virage, le souhait de recueillir des informations détaillées sur les populations étudiantes avait été formulé. Afin de répondre à cet objectif scientifique, il a été proposé à plusieurs équipes universitaires de rejoindre le dispositif et de le décliner au sein de leurs universités. Les quatre universités ayant participé au projet comptaient en leur sein des équipes qui étaient soit directement liées à l’enquête, soit travaillant sur les violences ou les enquêtes sociodémographiques.
12Le questionnaire a été légèrement adapté pour enregistrer des informations relatives aux filières et niveaux d’études des personnes interrogées et reste, ceci mis à part, strictement identique au questionnaire de l’enquête en population générale. Il était auto-administré sur ordinateur. Ce mode de passation favorise l’intimité, comparativement au téléphone qui implique une interaction avec un enquêteur, ce qui peut engendrer une déclaration plus facile des violences subies, mais a pour inconvénient de favoriser également les abandons en cours de questionnaire, en l’absence d’un enquêteur pour relancer l’enquêté·e.
13Dans chaque université, une équipe locale, en lien plus ou moins étroit avec les observatoires de la vie étudiante6 locaux, était chargée du suivi de la collecte. Les enquêtes Virage-Université incluaient toute la population étudiante âgée de 18 ans ou plus à la date de clôture de l’enquête, et susceptible de fréquenter régulièrement l’université durant l’année académique. Seul·e·s celles et ceux qui étaient inscrit·e·s sous des régimes très spécifiques (habilitation à diriger des recherches, dispositifs d’enseignement à distance, formations à l’étranger ou formations spécifiques dédiées aux avocats par exemple7), impliquant une trop courte durée de présence dans l’établissement, ont été exclu·e·s du champ de l’enquête. Enfin, pour éviter les doublons, lorsque les étudiant·e·s étaient inscrit·e·s dans plusieurs cursus, seule l’inscription principale était prise en compte.
14Un mail d’invitation à répondre à l’enquête (contenant un lien, un identifiant unique et un mot de passe à changer lors de la première connexion) a été envoyé aux étudiant·e·s éligibles via les adresses électroniques récupérées dans le fichier des inscriptions administratives. Ce sont des adresses institutionnelles, c’est-à-dire des adresses email du domaine universitaire créées au moment de l’inscription des étudiant·e·s. Un grand nombre d’étudiant·e·s ne consultant les messages envoyés aux adresses mail institutionnelles que très rarement, voire jamais, en particulier lorsqu’ils arrivent en cours de cursus, il a donc été envisagé d’envoyer le mail d’invitation à répondre à l’enquête aux adresses personnelles. Toutefois, l’accès, qui aurait sans doute permis un meilleur taux de contact, a été refusé à plusieurs équipes. Seules deux universités ont envoyé l’email de contact ou au moins un email de relance aux adresses institutionnelles et personnelles. Les deux autres universités ont envoyé ces emails aux seules adresses institutionnelles. Un email donnant un accès sécurisé au questionnaire a été envoyé à l’ensemble des étudiant·e·s inclus dans le champ des enquêtes universitaires, soit entre 18046 et 45668 emails selon les universités. Il n’est cependant pas possible de savoir combien n’ont pas ouvert ces emails, soit parce qu’ils ne se connectent pas à leurs adresses universitaires, ou bien parce que ces emails ont atterri dans les boîtes dédiées aux spams/pourriels ou encore parce que les étudiant·e·s les ont effacés sans les lire, comme souvent dans le cas d’emails revêtant un aspect de communication institutionnelle. Lorsque les étudiant·e·s se connectaient ils avaient la possibilité de remplir le questionnaire en plusieurs fois. La procédure d’anonymat était cependant respectée puisque seul·e·s les étudiant·e·s avaient connaissance de leur identifiant et de leur mot de passe. Lorsque le mot de passe était oublié, un système de récupération automatique était proposé sans qu’aucune information ne transite par les équipes en charge de la réalisation de l’enquête. Selon les universités, les étudiant·e·s ont reçu 3 à 4 emails de rappels, spécifiquement formulés selon qu’ils s’étaient déjà connectés au moins une fois, pour les inciter à terminer le questionnaire, ou qu’ils n’avaient jamais activé leur lien. L’enquête a été clôturée entre début mai et fin juillet 2016, au bout de quatre à six mois de collecte.
2. Des échantillons universitaires à visée documentaire
15Finalement, les taux de réponse bruts au sein des universités varient de 3,7 % à 7,7 %, et le nombre de questionnaires recueillis d’environ 1400 à près de 2200. Les variations de taux de réponses s’expliquent par les moyens mis en œuvre pour la communication autour de l’enquête, mais aussi par la démographie particulière de chaque université. Certaines équipes ont, par exemple, obtenu des moyens pour organiser la communication au sein de leur université : campagne d’affichage, réalisation de plaquette de présentation, etc. Selon la taille des équipes et les moyens disponibles, les matériels de communication ont été diversement investis. Plusieurs universités sont en effet disséminées sur différents sites, tous ne pouvant être également touchés par la campagne de communication. En outre, les enquêtes en milieu étudiant ont depuis longtemps montré que les propensions à répondre à des enquêtes sociodémographiques varient fortement selon le niveau et la filière. Les étudiant·e·s en sciences sociales ont ainsi généralement des taux de réponses plus élevés que dans d’autres disciplines. Enfin, la consultation des emails institutionnels reçus sur les adresses universitaires ou personnelles n’est pas similaire selon les lieux et les cursus et a pu affecter les taux de réponses enregistrés.
16Ces éléments conduisent ainsi à nuancer le constat d’un faible taux de réponse. De nombreux étudiant·e·s n’ayant pas ouvert ni même vu les emails d’invitation, on ne peut clairement affirmer qu’ils aient refusé de répondre à l’enquête. Il faudrait plus d’éléments sur les pratiques de consultation des messages universitaires selon les caractéristiques sociodémographiques et les cursus, afin de pouvoir évaluer la proportion d’étudiant·e·s n’ayant jamais eu connaissance de l’enquête, de ceux ayant lu l’email mais choisi de ne pas donner suite, et de ceux qui se sont connecté·e·s une première fois et ont abandonné l’enquête en cours de route.
17Ces considérations conduisent à deux observations concernant la population touchée par les enquêtes universitaires. D’une part, cette population n’est probablement pas représentative de la population étudiante dans son ensemble car l’échantillon constitué ne possède pas le caractère aléatoire que l’on a pu obtenir dans l’échantillon contacté par téléphone. Bien qu’une pondération ait été construite pour chaque université, en comparant les caractéristiques des personnes ayant répondu à l’enquête à celles de l’ensemble de la population ciblée par les emails, les faibles taux de réponse ne permettent pas d’interpréter les résultats pondérés comme donnant à voir la proportion de personnes victimes de violences dans le cadre des études à l’échelle de l’université. D’autre part, l’ensemble de la population étudiante ayant été contactée pour chaque université, on ne peut pas non plus le considérer comme un échantillon classique fondé sur le volontariat. En effet, ce n’est pas l’intérêt pour les thèmes de l’enquête qui a constitué l’unique levier de réponse pour les enquêté·e·s. Contrairement à l’enquête auprès de la population LGBT par exemple, où campagnes d’information et bouche-à-oreille ont fait l’essentiel de la constitution de l’échantillon, dans le cas des enquêtes universitaires, d’autres facteurs sont intervenus, tels que la propension à ouvrir un email institutionnel et à y donner suite. Réciproquement, le fait de ne pas avoir répondu à l’enquête n’indique pas nécessairement un manque d’intérêt pour les thèmes de l’enquête ou une faible intégration à la « communauté universitaire », mais peut être lié à des pratiques numériques et à des modes de socialisation spécifiques.
18Ainsi, les échantillons obtenus dans les différentes universités constituent-ils des entités intermédiaires entre échantillons aléatoires et cliniques8 qu’il est difficile de caractériser sur le plan méthodologique. Il a cependant été choisi de les intégrer au présent chapitre dans la mesure où ils donnent accès à un nombre important de questionnaires de personnes étudiantes au moment de l’enquête, et donc à des éléments de contexte détaillés des violences pouvant se produire en milieu étudiant. Les réponses sont ainsi envisagées comme des éléments documentaires plus que comme des données permettant de calculer des proportions de victimes au sein des établissements. C’est donc avec l’ensemble de ces réserves méthodologiques qu’il faudra aborder les résultats proposés, sans toutefois se priver de la richesse de ces données.
19Ce chapitre s’appuie donc sur les données du module « Études » de l’enquête en population générale et sur l’exploitation des bases universitaires. Ces bases ne peuvent être fusionnées les unes avec les autres. En effet, les pondérations de chaque base universitaire étant fondées sur des données internes aux universités (concernant notamment la filière, l’âge et le sexe des personnes enquêtées), il n’est pas possible de construire une pondération commune tenant compte notamment de la situation géographique de chaque université. Pour présenter les résultats relatifs à ces universités tout en maintenant leur anonymat, il a été choisi d’illustrer les premiers résultats de l’enquête en population générale en indiquant ceux obtenus dans l’une des universités parisiennes et l’une des universités de province. Pour les résultats qui concernent la forme et le contexte des violences, et non les caractéristiques des étudiant·e s qui déclarent des violences, une base non pondérée regroupant les réponses obtenues par les enquêtes universitaires a été exploitée afin de disposer d’effectifs suffisants pour mener des analyses fines. Étant donné l’ensemble de ces considérations méthodologiques, l’ensemble des analyses relatives aux enquêtes universitaires revêt donc un caractère plus qualitatif que pour l’enquête en population générale et ne peut en particulier pas être interprété en termes de prévalences.
3. Les caractéristiques sociodémographiques des étudiant·e·s interrogé·e·s
20En population générale, les personnes en études au moment de l’enquête, ou l’ayant été au moins quatre mois au cours des douze mois ayant précédé l’enquête, répondaient au module « Étude » dédié aux violences subies dans le cadre des études au cours des douze derniers mois. Ce choix de durée repose sur plusieurs arguments. D’abord, la collecte ayant eu lieu de février à novembre 2015, il s’agissait d’intégrer les personnes qui avaient terminé leurs études sur le temps de la collecte, notamment en juin. Mais aussi, ne pas s’en tenir aux seuls étudiant·e·s en études au moment de la collecte permettait d’intégrer les personnes ayant arrêté leurs études en cours de route, sans les avoir terminées. Or, il est possible que l’un des effets de violences graves subies dans le cadre des études soit l’arrêt de celles-ci. Enfin, le choix de la durée minimale de quatre mois s’est imposé, comme pour les relations de couple (cf. chapitres 5 et 6), afin que les personnes aient une expérience suffisamment importante pour pouvoir répondre aux questions posées dans le module.
21Dans l’enquête réalisée auprès des universités, la question de la durée de vie en études au cours des douze derniers mois ne se posait pas, puisque les étudiant·e·s étaient contacté·e·s via leurs universités d’appartenance au cours du deuxième semestre. Les étudiant·e·s ayant arrêté leurs études en cours d’année n’ont probablement pas répondu au questionnaire.
22Les caractéristiques des personnes en études ayant répondu à l’enquête diffèrent ainsi dans les deux volets de l’enquête (module « Études » de l’enquête en population générale et enquêtes universitaires). En particulier, celles de l’enquête en population générale ne fréquentent pas toutes les universités, ni d’ailleurs des établissements d’enseignement supérieur. L’enquête en population générale ne spécifiait en effet pas un type d’étude ou d’établissement particulier. Ainsi, une faible partie des personnes en études de l’enquête en population générale ne fréquente pas l’enseignement supérieur, ce que révèle le fait qu’une partie d’entre eux ne soit pas titulaire du baccalauréat (tableau 1). Ces personnes fréquentent vraisemblablement des lycées, le plus probablement d’enseignement professionnel puisque le baccalauréat professionnel s’obtient à un âge plus élevé que les baccalauréats technologiques ou généraux. Pour les titulaires du baccalauréat, le type d’établissement fréquenté n’était pas demandé, mais on peut supposer que certains d’entre eux fréquentent des lycées, classes préparatoires aux grandes écoles ou sections de technicien supérieur, ou d’autres établissements d’enseignement supérieur.
23En dépit de l’inclusion des moins de 20 ans dans le volet université, les étudiant·e·s de l’enquête en population générale sont globalement plus jeunes : un tiers est âgé de 20 ans et la moitié de 21 ans ou moins. Dans le volet université, ces proportions sont inférieures et ce sont les moins de 20 ans et les 25 ans et plus qui sont les plus nombreux. Ces répartitions sont de fait plus proches des répartitions par âge obtenues dans l’enquête sur les conditions de vie des étudiant.e.s menée par l’Observatoire national de la vie étudiante en 20169. On ne peut exclure des taux de réponse variables liés à des rapports et des usages différents de l’adresse universitaire.
Tableau 1. Caractéristiques sociodémographiques de la population en études au cours des douze derniers mois selon le sexe et le volet de l’enquête

24Plus jeunes, les personnes en études dans l’enquête en population générale sont aussi moins diplômées que celles du volet université, où elles sont environ deux fois plus nombreuses à avoir un diplôme validant au moins quatre années d’études supérieures. Notons qu’environ 15 % des étudiant·e·s sont en reprise d’études, que ce soit en population générale ou dans le volet université. Cette distribution différente du niveau d’études est liée à la différence du mode de collecte. En population générale, les personnes en études ne sont pas forcément dans une formation universitaire. Elles peuvent suivre des formations courtes, en particulier des formations professionnalisantes, voire être encore au lycée, ce qui explique la proportion de personnes n’ayant aucun diplôme dans ce groupe.
25Dans l’enquête en population générale, un tiers des personnes interrogées sont en études sans stage ni contrat de travail, un quart sont en stage et moins d’1 sur 5 ont un contrat de travail parallèlement à leurs études. Cette proportion de personnes qui travaillent en plus de leurs études monte à 30 % si on inclut les petits boulots. Enfin, on note une proportion importante de personnes ayant répondu au module mais qui ne sont plus en études au moment de l’enquête, la plupart occupant un emploi. En comparaison, dans les enquêtes universitaires, tous les étudiant·e·s sont toujours en études au moment de l’enquête et ils sont beaucoup plus nombreux qu’en population générale à occuper un emploi parallèlement à leurs études. On peut supposer que le cumul emploi-études est plus fréquent chez les étudiant·e·s des universités, parce qu’ils·elles sont plus âgé·e·s, mais aussi parce que les personnes en études en dehors de l’université ont des emplois du temps plus contraignants.
26Enfin, les personnes en études de l’enquête principale vivent en majorité chez leurs parents, avec leurs partenaires ou encore vivent seul·e·s dans leur logement. Dans les volets universitaires, la part des étudiant·e·s vivant avec leurs parents est moindre, en particulier chez ceux qui étudient dans l’université de province, où les loyers sont moins élevés qu’en région parisienne. Ils sont ainsi beaucoup plus nombreux à vivre seuls que dans l’enquête en population générale. Cela est en partie dû à l’âge plus élevé des personnes interrogées dans les deux enquêtes universitaires, mais aussi au fait que l’enquête en population générale est restreinte aux personnes vivant en ménage ordinaire, c’est-à-dire hors cité universitaire ou foyer, qui sont en revanche enquêtées dans les enquêtes universitaires.
27Finalement, les personnes enquêtées et dont les déclarations fondent ce chapitre fournissent un tableau assez complet de la population en études au moment de l’enquête ou dans les douze mois ayant précédé l’enquête. Ceci permet de saisir dans leur diversité les personnes susceptibles d’avoir été confrontées à des violences dans le cadre des études.
II. Les violences subies dans le cadre des études
28Comme pour les violences s’étant produites dans d’autres contextes, l’enquête Virage investigue les violences subies dans le cadre des études sur deux temporalités différentes : un module « Études » portant sur les violences vécues au cours des douze mois et un module « Tous contextes, hors famille et proches » concernant les faits vécus avant cette période et pouvant s’être déroulés pendant les études.
29Le module « Études », auquel ont répondu les personnes en études décrites précédemment pour l’enquête en population générale et les étudiant·e·s des universités enquêtées, porte sur les violences au cours des douze derniers mois. Une phrase introductive permettait de circoncire les violences concernées par le module : « Les questions suivantes concernent des faits qui ont pu se produire dans le cadre de vos études, au cours des douze derniers mois ». Avec ce complément si l’enquêté·e déclarait également une activité professionnelle : « Si vous travaillez en plus de vos études ou êtes en stage, nous parlerons uniquement des faits liés à vos études, en dehors du stage. Les faits concernant votre activité professionnelle seront déclarés plus loin », c’est-à-dire dans le module suivant celui des études qui était dédié aux violences dans la sphère professionnelle.
30Au total, 13 faits de violence (encadré 1) ont été énoncés, relevant de violences psychologiques (5 faits), physiques (2 faits) ou sexuelles (6 faits). Les violences psychologiques incluent les insultes, les moqueries, les intimidations ainsi que les atteintes au travail, comme son appropriation par autrui, et les mises à l’écart des autres étudiants. Les violences physiques comprennent les brutalités physiques et les tentatives de meurtre. Enfin, les questions portant sur les violences sexuelles se décomposent : en propos et attitudes à caractère sexuel ; propositions sexuelles insistantes ; exhibition et voyeurisme ; pelotage ; attouchements du sexe, viols et tentatives de viol ; autres pratiques sexuelles imposées.
31Pour chacun des faits, une question portait sur leur fréquence de survenue au cours des douze derniers mois : 1 fois, quelques fois, souvent, et, pour certains faits, presque toutes les semaines. Puis par groupe de faits, des questions étaient posées sur leur gravité ressentie, les auteurs des violences et le contexte de survenue des faits, notamment le lieu. Dans un second temps, il était demandé quel fait, parmi ceux déclarés, était considéré comme le plus marquant, et un ensemble de questions sur le contexte et les conséquences de ces violences était alors posé.
1. Des expériences différenciées selon le sexe
32L’enquête réalisée en population générale permet de mesurer l’ampleur des violences subies dans le cadre des études au cours de l’année écoulée. Au total, 16 % des femmes et 15 % des hommes ayant répondu au module sur les violences dans les études10 ont déclaré au moins un fait de violence au cours des douze derniers mois dans le cadre des études (tableau 3).
Encadré 1. Les 13 faits de violence investigués dans le module « Vie étudiante » de l’enquête en population générale et des enquêtes en milieu étudiant
La partie du questionnaire consacrée aux violences survenues pendant les études au cours de douze derniers mois suivait les modules consacrés aux caractéristiques sociodémographiques et à la santé. Il s’agit donc du premier module portant directement sur les violences vécues. Seules les personnes ayant été en études plus de quatre mois au cours des douze mois précédant l’enquête passaient par ce module, qui était introduit de la façon suivante : « Les questions suivantes concernent des faits qui ont pu se produire dans le cadre de vos études, au cours des douze derniers mois. Si vous travaillez en plus de vos études ou êtes en stage, nous parlerons uniquement des faits liés à vos études, en dehors du stage. Les faits concernant votre activité professionnelle seront déclarés plus loin. »
Au cours des douze derniers mois…
Violences psychologiques
S’est-on moqué de vous, vous a-t-on donné un surnom méprisant, vous a-t-on rabaissé·e ou humilié·e, en face-à-face, au téléphone ou sur Internet ?
Vous a-t-on insulté·e en face-à-face, au téléphone ou sur Internet, est-ce que quelqu’un a sali votre réputation, répandu des rumeurs sur vous, ou a tenté de le faire ?
A-t-on cherché à vous intimider par des menaces ou en hurlant, en tapant du poing ou en cassant des objets ?
Est-ce que quelqu’un a, malgré vous, fait disparaître, s’est approprié abusivement votre travail (cours, rapport, mémoire) ou vous a forcé·e à faire une partie de son travail ?
Avez-vous été tenu·e à l’écart des autres étudiants, des activités collectives ou festives ?
Violences physiques
Est-ce que quelqu’un a lancé un objet contre vous, vous a secoué·e brutalement ou vous a frappé·e ?
Vous a-t-on menacé·e avec une arme, a-t-on tenté de vous étrangler, de porter atteinte à votre vie ou de vous tuer ?
Violences sexuelles
A-t-on eu à votre égard des propos ou attitudes à caractère sexuel qui vous ont mis·e mal à l’aise, par exemple questions sur la vie privée, remarques salaces, mime de gestes sexuels, diffusion d’images pornographiques ?
Vous a-t-on fait des propositions sexuelles insistantes malgré votre refus ?
Avez-vous eu affaire à un exhibitionniste ou à un voyeur, dans les toilettes ou les vestiaires par exemple ?
(Aux femmes) Quelqu’un a-t-il contre votre gré, touché vos seins ou vos fesses, vous a coincée pour vous embrasser, s’est frotté ou collé contre vous ?
(Aux hommes) Quelqu’un s’est-il contre votre gré frotté ou collé contre vous ?
Vous a-t-on forcé·e à faire ou à subir des attouchements du sexe, a-t-on essayé ou est-on parvenu à avoir un rapport sexuel avec vous contre votre gré ?
Vous a-t-on forcé·e à d’autres actes ou pratiques sexuels ?
Tableau 2. Proportions de personnes ayant vécu chaque fait de violence au moins 1 fois selon le volet de l’enquête et le sexe au cours des douze derniers mois

Tableau 3. Situations de violence déclarées selon le sexe et le volet de l’enquête durant les douze derniers mois (%)

33Cependant, les faits déclarés par les femmes et les hommes ne sont pas de même type (tableau 2). Pour les femmes, les faits le plus souvent rapportés sont les propos et attitudes à caractère sexuel (5,5 %), suivis des propositions sexuelles insistantes (2,9 %) et de l’appropriation abusive du travail (2,7 %). Les hommes, quant à eux, font le plus souvent part d’insultes (6,4 %), de moqueries (6,0 %) et d’appropriation abusive de leur travail (3,2 %)11.
34Afin d’identifier les grandes catégories de violences vécues dans le cadre des études, une typologie des situations de violence prenant en compte l’ensemble des faits subis, leur fréquence et leur gravité a été créée en recourant à une classification ascendante hiérarchique. Cette méthode permet de regrouper les individus ayant fait des déclarations similaires (faits, fréquences et gravité) et de les distinguer des personnes ayant vécu des expériences de violences qui s’en éloignent.
35Les résultats de cette classification ont mis en évidence le caractère spécifique, voire unique de certaines situations de violence, notamment celles d’étudiant·e·s ayant déclaré des cumuls de violences très graves. Ces situations graves de cumuls, qui ne concernent souvent qu’un seul étudiant, ont été réintégrées aux autres groupes représentant des situations plus « communes ». Ainsi, plutôt que d’isoler des étudiant·e·s ayant déclaré des situations rares et particulières, ils ont été traités avec les groupes plus importants rassemblant des faits de même nature et des situations proches. Cette démarche a permis de dégager deux niveaux de subdivision. Le premier distingue les agressions et violences à caractère sexuel des autres formes de violences. Le deuxième permet de distinguer trois situations parmi les violences sexuelles (harcèlement sexuel, atteintes et agressions sexuelles et violences sexuelles très graves) et trois situations différenciées de violences psychologiques et physiques (violences psychologiques modérées, violences physiques modérées et violences physiques ou psychologiques graves).
36Cette classification raisonnée des situations de violence conduit à un regroupement des étudiant·e·s principalement selon la nature des faits les plus graves déclarés, sans que cela corresponde à une catégorie juridique particulière. Les situations de violence ainsi déterminées tiennent compte du continuum des violences et de l’imbrication des catégories. Les violences psychologiques sont les plus diffuses : lorsqu’elles sont cumulées à d’autres types de violences, elles ne sont pas prépondérantes dans la définition des violences. La catégorie « violences psychologiques modérées » n’inclut pas de cumuls avec des faits d’une autre nature, alors que dans les autres catégories, on retrouve des étudiant·e·s qui ont déclaré des violences de ce type. Les étudiant·e·s qui sont dans la catégorie « atteintes et agressions sexuelles » ont également déclaré des formes de violences psychologiques ou de harcèlement sexuel. De même, les personnes qui déclarent des violences sexuelles très graves rapportent aussi des violences psychologiques et des formes de harcèlement ou d’atteintes et agressions sexuelles.
37Les situations qualifiées de harcèlement sexuel regroupent les propos et attitudes à connotation sexuelle et les propositions sexuelles insistantes qui n’ont pas été jugées très graves, cumulées ou non à des atteintes psychologiques. On retrouve également les personnes qui ont été confrontées à un exhibitionniste ou un voyeur. Les personnes de la catégorie « atteintes et agressions sexuelles » ont été exposées à du pelotage, jugé le plus souvent peu grave, ainsi qu’à des faits de harcèlement sexuel (y compris des faits d’exhibition ou de voyeurisme) et des atteintes psychologiques. Enfin, les violences sexuelles graves correspondent aux faits d’attouchements, de viols, de tentatives ou d’autres pratiques sexuelles imposées, cumulés ou non à d’autres faits de violence sexuelle ou de harcèlement psychologique modéré.
38Les violences psychologiques modérées correspondent à des faits de violence psychologique le plus souvent isolés ou peu fréquents, et jugés assez graves ou pas graves. Les violences physiques modérées incluent les brutalités physiques isolées et jugées assez graves, auxquelles s’ajoutent parfois des faits psychologiques, jugés également assez graves. Enfin, les violences physiques ou psychologiques graves correspondent à des situations de cumuls d’actes, souvent répétés et jugés graves ou très graves.
39Près d’une étudiante ou ancienne étudiante sur deux, ayant déclaré au moins 1 fait, est confrontée à des violences sexuelles (tableau 3). Dans la plupart des cas, il s’agit de harcèlement sexuel. Viennent ensuite les violences psychologiques. Pour les hommes, plus de la moitié de ceux ayant déclaré au moins 1 fait au cours des douze derniers mois déclarent des violences psychologiques modérées, près d’1 étudiant sur 5 a été confronté à du harcèlement sexuel, 1 sur 10 à des violences physiques et 3 étudiants sur 10 déclarent une forme ou une autre de violences sexuelles.
40Finalement, l’enquête en population générale établit qu’environ 1 personne en études sur 6 a déclaré au moins 1 fait de violence au cours des douze derniers mois. Les personnes ayant vécu des violences rapportent des situations de violences variées selon la nature, le cumul et la gravité des faits. Si femmes et hommes rapportent des violences dans des proportions très proches, les violences auxquelles ils sont exposés varient fortement. Les femmes rapportent pour près de la moitié des violences à caractère sexuel, les hommes étant davantage exposés aux insultes, harcèlement psychologique et brutalités physiques.
2. À l’université, femmes et hommes ne déclarent pas les mêmes violences
41Pour rendre compte de la pluralité des situations de violences, selon la même méthodologie que celle développée dans le volet en population générale, nous avons procédé à des regroupements des déclarations de violences. La classification ascendante hiérarchique prenant en compte les fréquences de l’ensemble des faits et les gravités associées (voir supra) a permis de mettre en évidence les principales situations de violences. Les classes dégagées sont similaires à ce qui avait été obtenu pour l’enquête en population générale. Ainsi, malgré des déclarations plus fréquentes dans les enquêtes dans les universités, les types de violence évoqués par les étudiant·e·s des universités sont les mêmes que ceux que l’on retrouve en population générale. Le surinvestissement vraisemblable de l’enquête par des étudiant·e·s confronté·e·s à des violences ne conduit pas à faire émerger des types de violences spécifiques, que l’on ne retrouverait pas dans l’enquête en population générale.
42La principale situation de violence dans les deux universités est celle des « violences psychologiques modérées », qui concerne 6 étudiants sur 10 et près de la moitié des étudiantes (tableau 3). Les proportions d’étudiant·e·s concerné·e·s sont nettement plus élevées dans l’université parisienne que dans l’université de province. Le harcèlement sexuel constitue la deuxième situation de violence évoquée par les femmes comme les hommes. Les violences physiques modérées concernent 7 % des étudiants.
43En revanche, les situations d’« atteintes et agressions sexuelles » sont bien plus fréquentes dans les deux universités qu’en population générale, en particulier pour les femmes. Les étudiantes sont deux fois plus nombreuses dans cette situation de violence dans l’université parisienne et près de trois fois plus nombreuses dans l’université de province. De façon générale, les violences sexuelles concernent environ 3 hommes sur 10, et environ 1 femme sur 2.
44Les types de violences déclarés dans les différents volets de l’enquête varient plus pour les femmes que pour les hommes, chez qui on observe une importante stabilité dans les répartitions entre les différentes catégories de violences. Les écarts entre les taux de prévalence obtenus pour les différents volets de l’enquête peuvent être dus aux différences de méthodologie, les étudiantes des universités enquêtées confrontées à des faits de violences sexuelles graves ayant probablement répondu plus fréquemment que les autres. On peut également supposer l’existence d’écarts de perception et d’exposition aux violences selon le type d’études et l’âge des répondant·e·s, l’espace des grandes universités étant potentiellement plus propice à la survenue de violences que d’autres lieux d’études comme des lycées ou des écoles spécialisées de plus petite taille.
45Les enquêtes réalisées dans les universités ne permettent pas de mettre au jour des profils sociaux spécifiques de victimes de violences dans le cadre universitaire. À caractéristiques individuelles identiques (sexe, âge, dernier diplôme, reprise d’études, situation de couple), les femmes ont un risque deux fois plus élevé que les hommes d’être touchées par des violences sexuelles. Les autres variables n’ont pas d’effets significatifs sur les violences.
3. Les enquêtes Virage-Université : un espace de dénonciation ?
46Les déclarations de violences dans les enquêtes des universités sont plus élevées que celles observées en population générale, aussi bien pour les femmes que pour les hommes. Ainsi, 26 % des étudiantes de l’université parisienne et 33 % de l’université de province ayant répondu à l’enquête, ainsi que 20 % et 26 % des étudiants ayant répondu à l’enquête ont déclaré au moins un fait au cours des douze mois ayant précédé l’enquête (tableau 3). La répétition des faits déclarés est relativement fréquente, en particulier pour les femmes. Dix pour cent des étudiantes ayant répondu à l’enquête d’une université et 14 % de l’autre déclarent plus de 2 faits, dont l’un au moins est survenu souvent au cours de l’année écoulée, contre respectivement 6 % et 11 % des hommes ayant répondu à l’enquête. L’importance des déclarations des faits de violences dans le volet de l’enquête passé dans les universités est peut-être liée au caractère partiellement volontaire de la participation. Le bouche-à-oreille concernant le contenu du questionnaire a probablement incité les étudiant·e·s victimes de violences à davantage répondre à l’enquête que les autres et à remplir le questionnaire en entier. Il est possible aussi que les étudiant·e·s les plus jeunes, majoritairement en premier cycle (premières et deuxièmes années de licence en particulier), soient plus fréquemment confronté·e·s à des violences que des personnes plus âgées et plus avancées dans leurs études. En outre, les enquêtes dans les universités ont eu lieu après la création de pages Internet dédiées à la dénonciation des violences sexistes et sexuelles à l’université, qui ont potentiellement contribué à légitimer ce thème parmi les étudiant.e.s, en initiant des discussions et des prises de conscience. Enfin, la passation du questionnaire par ordinateur est peut-être plus à même de favoriser les déclarations de certaines violences que la passation par téléphone.
47La plus forte déclaration de violences des étudiant·e·s des universités s’observe pour tous les faits, à l’exception des brutalités physiques et des intimidations qui concernent une proportion moindre d’étudiants dans l’université parisienne qu’en population générale (tableau 2). Le fait le plus souvent déclaré par les femmes est le même qu’en population générale, soit les propos et attitudes à caractère sexuel, déclarés par 10,7 % des étudiantes de l’université parisienne et 14,5 % de l’université de province. Puis viennent la mise à l’écart (7,3 % et 11 %), les moqueries et les insultes. Les propositions sexuelles insistantes sont déclarées par 6,8 % des étudiantes de l’université de province et 3,7 % de l’université parisienne, contre 2,9 % des étudiantes de l’enquête en population générale.
48Les faits le plus souvent signalés par les hommes sont les moqueries (5,9 % des étudiants de l’université parisienne et 8,6 % de l’université de province), la mise à l’écart (respectivement 5,8 % et 8,4 %) et les insultes (respectivement 5,2 % et 10,5 %). Les propos et attitudes à caractère sexuel sont dénoncés par environ 5 % des étudiants des deux universités, soit un peu plus qu’en population générale, mais 2 fois moins que les étudiantes de l’université parisienne et 3 fois moins que celles de l’université de province.
III. À l’université, des contextes de survenue des violences variables selon leur type
49Il est possible d’analyser les contextes de survenue des violences dans le cadre des études à partir du volet de l’enquête auprès des étudiants des universités partenaires car le nombre de déclarations de faits de violences y est plus élevé qu’en population générale. On suppose alors que les modalités de participation à l’enquête n’ont pas d’incidence sur les contextes de survenue des violences dans les études et que les faits déclarés dans ce volet de l’enquête ne diffèrent pas de l’ensemble des faits subis par les populations étudiantes. Il faut cependant noter que les éléments présentés ici ont un caractère illustratif et ne peuvent être considérés comme présentant de façon représentative et exhaustive les contextes de survenue des violences à l’université.
50Le contexte des violences varie selon leur type et dépend du sexe des personnes touchées. Pour les violences les plus fréquemment déclarées, il est possible d’étudier leur répétition et, pour les faits jugés graves, le sexe et la caractérisation des auteurs. Les violences psychologiques modérées déclarées par les femmes sont plus souvent que pour les hommes des faits isolés qui n’arrivent qu’une seule fois. Pour les hommes, ces violences sont souvent répétées, et régulièrement perpétrées par un même groupe de personnes. Environ trois quarts des femmes et des hommes concernés par ces violences ne les considèrent toutefois pas graves. Dans la majorité des cas, ce sont d’autres étudiant·e·s qui sont auteurs de ces violences. Lorsqu’elles sont à l’encontre de femmes, les auteurs sont un groupe composé de femmes et d’hommes ou d’autres femmes ; et lorsqu’elles sont à l’encontre d’hommes, ces violences sont le fait d’autres hommes ou d’un groupe d’hommes et de femmes.
51Les contextes de survenue des violences sexuelles diffèrent selon qu’il y a eu contact physique ou non. Par rapport aux violences psychologiques, les violences sexuelles arrivent plus souvent une seule fois dans l’année, ou lorsqu’elles sont survenues plusieurs fois, elles sont le fait d’auteurs différents. On note toutefois que près d’un tiers des étudiantes de l’université parisienne déclarent des situations de harcèlement sexuel répétées par le ou les même(s) auteur(s). Les étudiant·e·s déclarent dans une large majorité que ces violences sont le fait d’hommes. La majorité des auteurs sont des étudiants, mais aussi, dans des proportions importantes, des personnes classées dans une catégorie « autre » qui ne sont donc ni des étudiant·e·s, ni des enseignant·e·s, ni des personnels administratifs mais vraisemblablement des personnes présentes sur les campus ou aux abords, – promeneurs, passants, etc. –, ceux-ci étant ouverts au public. Ces violences ont souvent eu lieu dans les espaces publics (généralement en dehors des espaces de cours) ou dans des lieux de sociabilité étudiante.
1. Des violences sexuelles fondées sur le sexisme
52Si les caractéristiques sociales des femmes et hommes qui déclarent des violences ne révèlent pas de profils types de victimes dans le cadre universitaire, les motifs de ces violences renseignés par les étudiant·e·s des deux universités indiquent leur dimension fréquemment discriminatoire. Nous avons ainsi analysé les motifs cités par les étudiantes et étudiants selon le type de violence subi, lorsqu’ils concernent plus de 100 personnes des deux universités. Les motifs qui pouvaient être évoqués par les étudiantes et étudiants sont les mêmes que ceux analysés dans le chapitre 9 (consacré aux violences dans les espaces publics), et il était possible de citer plusieurs motifs.
53Parmi ces motifs, 3 sont le plus souvent déclarés par les femmes. D’après leur perception, 1 étudiante sur 3 ayant subi au moins 1 fait de violences au cours des douze mois pense que c’est simplement parce qu’elle est une femme, plus d’1 sur 4 parce que l’auteur voulait affirmer sa force, et pour 1 sur 4 ces violences sont survenues au hasard, juste parce que l’étudiante était présente. Il faut noter que pour 1 étudiante sur 4 également, aucune des raisons proposées n’explique les violences subies.
54Si le sexisme est souvent mentionné comme motif de violences par les femmes, son ampleur varie selon la situation de violence subie : plus de la moitié des étudiantes confrontées à du harcèlement ou une agression sexuelle l’évoque, 1 sur 10 lorsqu’il s’agit d’atteintes psychologiques. Aussi, pour les violences sexuelles, il est rare que les étudiantes n’évoquent aucun motif : 1 sur 9 évoquent leur orientation sexuelle, réelle ou supposée, 1 sur 8 la santé et 1 sur 6 l’âge. À l’inverse, près de la moitié des étudiantes déclarant des violences psychologiques modérées n’attribuent pas de motif à ces violences.
55Chez les étudiants, ce sont environ deux tiers des étudiants ayant subi au moins 1 fait de violence au cours des douze derniers mois qui n’identifient pas de motif aux violences subies. Ceux qui ont subi des violences psychologiques modérées évoquent dans 3 cas sur 10 la volonté de l’auteur d’affirmer sa force, son pouvoir, sa virilité. Certains estiment avoir été visés par ces violences psychologiques par hasard, simplement parce qu’ils étaient présents à ce moment-là. Pour environ 1 sur 8 en revanche, des motifs sont explicitement identifiés : la santé et l’aspect physique ou l’âge. Parmi l’ensemble des étudiants ayant subi un fait de violence au cours des douze derniers mois, 1 sur 8 l’attribue à l’orientation sexuelle réelle ou supposée, 1 sur 10 à la santé ou au handicap, et 1 sur 20 à la couleur de peau et l’origine sociale.
56Si les femmes, notamment dans le cas de violences sexuelles, attribuent les violences à des dynamiques sexistes (y compris lorsqu’elles mentionnent l’âge, bien plus souvent évoqué par les femmes que par les hommes), pour les hommes, les violences les plus graves surviennent souvent en lien avec des discriminations liées à des rapports sociaux d’origine ou de couleur de peau, de classe ou de santé. Il faut toutefois noter que pour 3 étudiant·e·s sur 10, les violences sont survenues sans raisons identifiées.
2. Les violences dans le cadre universitaire s’inscrivent dans la durée
57Si dans l’enquête en population générale, les étudiant·e·s sont trop peu nombreux à avoir déclaré des violences graves durant les études pour permettre de dégager des informations significatives sur la durée des violences subies, le dernier module, qui interroge l’ensemble de l’échantillon sur les faits de violence survenus avant les douze derniers mois, montre une certaine continuité entre le fait d’avoir subi des violences dans le cadre scolaire durant l’enfance ou l’adolescence et le fait d’en subir au cours des études supérieures. Les informations détaillées qui permettent de situer dans le temps les violences graves subies durant les études révèlent qu’elles sont récurrentes et qu’elles s’inscrivent dans la durée. Ces informations sont disponibles pour les étudiant·e·s ayant déclaré au moins 1 fait grave au cours des douze derniers mois, soit 240 étudiantes et 64 étudiants des deux universités.
58Pour un peu plus d’un tiers des étudiantes, les violences dans les études ont démarré avant les douze derniers mois. Cette ancienneté varie selon la situation de violences. Les violences psychologiques modérées sont celles qui s’inscrivent le plus souvent dans la durée : 4 étudiantes sur 10 déclarent en avoir déjà vécues avant les douze derniers mois. Une étudiante sur 10 déclare que les violences ont commencé au moins cinq ans auparavant, et ce, quelle que soit la situation de violence. Les étudiants sont également nombreux, près de la moitié, à déclarer un début des violences avant les douze derniers mois et la part de ceux qui subissent des violences depuis au moins cinq ans est élevée. Cela touche 1 sur 7 étudiants qui ont déclaré des violences graves.
59En outre, si les violences subies à l’université ont démarré parfois avant l’année écoulée, elles peuvent aussi perdurer au moment de l’enquête. En effet, 1 étudiante sur 10 qui a déclaré des faits graves mentionne que les violences se poursuivent au moment de l’enquête, et près d’1 sur 2 estime qu’elles pourraient se reproduire quand bien même elles se sont arrêtées. C’est en particulier le cas des violences psychologiques. Cette inscription dans la durée des violences psychologiques peut expliquer en partie le nombre élevé de déclarations de ce type de violences. Si chaque fait pris isolément peut sembler peu grave, voire relativement banal, le fait que ces actes se répètent, se cumulent, et se reproduisent année après année les rend suffisamment insupportables pour faire l’objet d’une dénonciation. Ceci permet en outre d’illustrer les phénomènes médiatiques de harcèlement en milieu scolaire. Ce harcèlement que l’on pourrait qualifier « de basse intensité » peut correspondre à des faits relativement rares mais suffisamment récurrents pour produire des situations d’insécurité pour celles et ceux qui y sont exposés, qui ne peuvent être certain·e·s que ces faits ne se reproduiront pas à l’avenir.
60Ces violences ont de plus des conséquences qui peuvent être lourdes sur le parcours des étudiant·e·s. Une étudiante sur dix déclare que les faits se sont arrêtés parce qu’elle a changé d’orientation ou d’établissement. Cette proportion est plus importante lorsqu’il s’agit de violences sexuelles.
61L’inscription dans la durée des violences n’est pas uniquement une réalité pour les femmes. Ainsi, un tiers seulement des étudiants disent que les faits déclarés dans le cadre universitaire se sont arrêtés. Ils sont par ailleurs plus nombreux que les femmes, 1 sur 6, à indiquer que les violences se sont arrêtées parce qu’ils ont changé d’orientation ou ne sont plus dans le même établissement. Les violences vécues sont ainsi susceptibles d’affecter fortement les trajectoires d’études des femmes et des hommes qui y sont exposé·e·s, soulignant de nouveau l’enjeu de les prendre en compte et en charge au sein des établissements.
3. Des étudiant·e·s qui parlent des violences mais entreprennent peu de démarches
62Contrairement à d’autres formes de violences, les violences vécues dans le cadre universitaire restent rarement tues. La quasi-totalité des étudiant·e·s ayant déclaré des violences en ont parlé. Pour beaucoup, cette parole reste cantonnée à la sphère de l’intime : on en parle principalement à ses amis, à un partenaire ou à un membre de la famille. Toutefois, les dénonciations auprès de l’institution ne sont pas rares : 1 sur 7 a parlé des faits au corps enseignant, à l’administration, à la direction ou à un syndicat ou une association étudiante. Et près d’1 étudiante sur 8 a évoqué les violences lors d’un rendez-vous médical, plus fréquemment en dehors de l’établissement. C’est bien moins souvent le cas des étudiants, vraisemblablement en raison des catégories de violences différentes auxquelles femmes et hommes sont exposés. Les violences sexuelles ayant des implications sur la santé sexuelle, reproductive et psychique de celles et ceux qui en sont victimes, on peut en effet supposer que les victimes sont plus susceptibles d’en parler à un médecin. En outre, les femmes consultent plus souvent des médecins et ont donc plus d’occasions d’en parler. Un nombre très réduit d’étudiant·e·s a en revanche indiqué avoir entamé des démarches auprès de la police. Il s’agit exclusivement d’étudiant·e·s ayant subi des violences physiques.
63Finalement, l’analyse des réponses des étudiant·e·s à l’enquête dans les universités montre que les violences vécues en milieu universitaire sont rarement des faits isolés et s’inscrivent le plus souvent dans la durée. Les violences psychologiques, surtout celles déclarées par des hommes, et les harcèlements sexuels sont le plus souvent répétés, et sont généralement le fait d’un ou plusieurs hommes. Pour seulement la moitié des étudiant·e·s qui déclarent des violences à l’université au cours des douze derniers mois, ces violences ont débuté au cours de l’année, pour les autres ils peuvent perdurer depuis de nombreuses années. En outre, une moitié des étudiant·e·s qui évoque des violences y sont encore exposés au moment de l’enquête. Très peu de démarches sont entreprises par les étudiant·e·s pour faire connaître ces violences auprès de l’institution, du monde médical ou de la police, mais le milieu universitaire semble favoriser la parole, notamment dans le cadre du cercle amical.
IV. Au cours de la vie, des violences plus souvent déclarées par les personnes en études
64Le module revenant sur les violences vécues avant les douze derniers mois porte sur des faits pouvant s’être produits dans n’importe quel contexte à l’exception de la famille et des relations avec les proches : dans le cadre des études (de l’école à l’université), du travail, du couple ou des espaces publics (cf. chapitre 1). Ce sont les questions sur les auteurs des violences qui permettaient de resituer a posteriori les violences dans leur contexte de survenue. Il est ainsi possible de repérer les violences perpétrées par un camarade (élève ou étudiant), un enseignant ou encore un membre de la communauté scolaire.
65En population générale, seuls 5 % des femmes et hommes âgé·s de 20 à 69 ans ont déclaré un fait avant les douze derniers mois dans le cadre de leurs études et de leur scolarité. Ces taux de déclaration paraissent relativement faibles au regard des déclarations faites sur les douze derniers mois. Il est vraisemblable que les questions portant sur les violences subies avant les douze derniers mois, n’étaient pas adaptées pour repérer les violences subies dans les études, en particulier les faits de harcèlement psychologique ou sexuel.
66Au-delà de la formulation des questions, cette faiblesse relative des déclarations est sans doute due à la grande distance dans le temps entre le moment de l’enquête et les périodes d’études, enfance, adolescence et jeunesse. Des faits pouvant paraître insupportables au moment où ils sont vécus peuvent être minorés, voire oubliés au fil des années et au fur et à mesure que la vie adulte se construit, notamment dans les espaces professionnels. Cette hypothèse est soutenue par les résultats qui montrent que les plus jeunes, et particulièrement les personnes en études au moment des enquêtes, rapportent bien plus de violences avant les douze mois ayant précédé l’enquête que les autres. La population en études dans l’enquête en population générale rapporte ainsi plus de 2 fois plus souvent des violences que l’ensemble des enquêté·e·s, les étudiant·e·s des universités 4 à 5 fois plus souvent. Les écarts sont particulièrement marqués pour les violences psychologiques, indiquant soit une moindre remémoration de ces faits par les moins jeunes, soit une transformation des seuils de tolérance parmi les générations les plus récentes, les actes de harcèlements en milieu scolaire étant récemment devenus inacceptables.
67Parmi l’ensemble des enquêté·e·s en population générale, 4,4 % des femmes et 5,2 % des hommes ont indiqué qu’un fait de violence s’était produit dans un cadre scolaire. Plus de la moitié d’entre eux ont rapporté des faits de harcèlement psychologique. Parmi eux, la moitié des hommes ont rapporté au moins 1 fait de violences physiques, et plus d’un tiers des femmes des violences sexuelles. Chez les personnes en études au moment de l’enquête12, on retrouve des tendances identiques : 9,2 % des femmes et 13,4 % des hommes ont déclaré au moins un fait, dont environ les deux tiers des violences psychologiques, la moitié des hommes (7,1 % de l’ensemble) des violences sexuelles et un peu moins d’un tiers des femmes (2,9 % de l’ensemble) des violences physiques. Finalement, les plus jeunes rapportent des violences à un niveau bien plus élevé, et la part des violences psychologiques y est un peu plus importante.
68Au sein des universités, environ 1 étudiant·e sur 5 a rapporté des violences avant les douze derniers mois, en milieu scolaire ou universitaire, ce qui est cohérent avec les résultats montrant que pour beaucoup d’entre eux, elles ont débuté bien avant cette période. Parmi les étudiant·e·s ayant déclaré des violences avant les douze mois, plus de 8 sur 10 signalent des violences psychologiques, 1 étudiante sur 10 et 1 étudiant sur 2 des violences physiques, et 1 étudiante sur 4 des violences sexuelles.
Conclusion
69Les étudiant·e·s ou élèves de l’enseignement supérieur sont souvent largement intégrés à l’institution universitaire : ils fréquentent assidument les lieux de cours et les bibliothèques, mais aussi les lieux de sociabilité étudiante (cafétérias, bars, soirées étudiantes) voire les lieux de vie (restaurants ou résidences universitaires). Un grand nombre d’étudiant·e·s construisent ainsi leur cercle amical, voire leur couple, parmi les camarades qu’ils sont amenés à fréquenter de façon régulière. Ce mode de vie, la vie étudiante, est ainsi particulièrement propice à la survenue de violences. Les relations quotidiennes, proches des relations professionnelles, sont susceptibles de produire des formes de harcèlement, moral ou sexuel. En outre, la plupart des lieux d’études ou campus étant ouverts sur la ville, ils se rapprochent des espaces publics où les jeunes peuvent être particulièrement exposés aux violences.
70L’enquête Virage, de par son dispositif innovant, permet d’apporter un éclairage inédit sur les violences se produisant dans le cadre des études ou de la vie universitaire. Malgré un défaut de représentativité inhérent au mode de collecte, le volet Virage-Universités a permis de recueillir les déclarations de plusieurs milliers d’étudiant·e·s sur certaines violences auxquelles ils et elles sont exposé·e·s dans le cadre de la vie étudiante.
71Si l’on s’en tient à l’enquête en population générale, ce sont 15 % ou 16 % des étudiant·e·s interrogé·e·s qui rapportent avoir été exposé·e·s à au moins 1 fait de violence au cours des douze mois ayant précédé l’enquête, soit des niveaux un peu inférieurs pour les femmes et équivalents pour les hommes à ceux observés dans les espaces publics et dans la sphère professionnelle. Les violences auxquelles étudiantes et étudiants sont exposés ne sont pas spécifiques au cadre universitaire mais traduisent plutôt la pluralité des modes d’investissement de cet espace : rapports quasi professionnels, susceptibles de faire émerger du harcèlement moral et sexiste et des violences psychologiques telles que la destruction ou l’appropriation du travail ; espace de sociabilité, avec les violences physiques ou sexuelles que l’on peut retrouver dans les relations avec les proches mais aussi certaines violences liées aux loisirs dans les espaces publics ; harcèlements et insultes de la part de personnes qui n’appartiennent pas à l’université mais la fréquentent au même titre que certains espaces publics (parcs ou bibliothèques par exemple).
72Cette diversité des situations est illustrée par le cumul relativement fréquent des différents types de violences, ainsi que par la pluralité des auteurs qui commettent ces violences. Les conséquences des violences vécues dans le cadre universitaire peuvent être importantes, et se rapprochent de ce que l’on observe dans la sphère professionnelle, avec notamment des ruptures dans les parcours d’études, de nombreuses personnes rapportant avoir changé d’établissement ou de cursus suite aux violences. Cependant, l’espace universitaire se distingue des autres par la sociabilité amicale qui s’y crée, permettant aux victimes, plus qu’ailleurs, d’évoquer les violences subies.
Notes de bas de page
1 https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/wp-content/uploads/2013/11/4e-planVFF_221120131.pdf.
2 https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/Charte_egalite_femmes_hommes/90/2/chartes_dossier_couv_239902.pdf.
3 L’Enveff questionnait les violences subies dans le cadre des études avec les violences dans la sphère professionnelle.
4 Seuls les ménages ordinaires, autrement dit ceux résidant dans des habitats non collectifs, ont été inclus dans l’enquête en population générale.
5 L’équipe Virage et les autrices du présent chapitre tiennent à remercier toutes les personnes et structures ayant contribué à rendre les enquêtes universités possibles, et en particulier le pôle Égalité Femmes-Hommes de l’université Paris-Diderot, et sa vice-présidente, Anne Kupiec, pour leur implication dans la réalisation de l’enquête-pilote.
6 L’Observatoire de la vie étudiante pour Paris-Sorbonne et Paris-Diderot, DEVE (Direction de l’évaluation et la vie étudiante) à l’université de Bretagne Occidentale et Oresipe (Observatoire régional de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle des étudiants) à l’université de Strasbourg.
7 Les formations exclues du champ peuvent varier légèrement d’une université à l’autre.
8 Un échantillon clinique est constitué de personnes concernées par une caractéristique, souvent d’ordre médical. Contrairement à l’échantillon aléatoire, il est construit de façon à sélectionner des individus qui possèdent cette caractéristique, par exemple le fait d’avoir vécu des violences.
9 Conditions de vie des étudiant·e·s, Données sociodémographiques et académiques, mars 2017 ; http://www.ove-national.education.fr/enquete/enquete-conditions-de-vie/.
10 Soit 94 femmes et 87 hommes sur les 1120 étudiant·e·s de l’enquête.
11 Les faibles effectifs d’étudiant·e·s déclarant des faits de violence dans les douze mois ne permettent pas d’explorer plus en avant les caractéristiques des violences subies et leurs contextes.
12 Pendant quatre mois ou plus durant les douze derniers mois.
Auteurs
Démographe, actuellement responsable de l’observation sociale et sanitaire à l’Observatoire du Samusocial de Paris. Auparavant, elle a occupé un poste de chercheuse contractuelle à l’Ined et participé au projet de l’enquête Virage. Dans ce cadre, elle a collaboré aux différentes étapes de réalisation de cette enquête, de la conception du projet aux recherches de financement et du suivi de la collecte aux traitements statistiques des données. Elle a plus spécifiquement analysé les violences subies dans les espaces publics et dans le cadre universitaire.
Sociologue et statisticienne, est maîtresse de conférences à l’université de Strasbourg, membre du laboratoire Sociétés, acteurs, gouvernement en Europe (Sage/CNRS) et chercheuse associée à l’unité Démographie, genre et sociétés de l’Ined. Spécialiste des violences sexuelles, elle travaille plus généralement sur les violences, le genre, la sexualité et la santé. Coresponsable de l’exploitation de l’enquête Virage, elle a également codirigé l’enquête Virage-Unistra et participe aux travaux de l’enquête Virage-DOM. Elle est co-responsable du parcours « Inégalités, discriminations, terrains, enquête » du master de sociologie de l’université de Strasbourg.
Démographe et travaille au sein de l’Ined dans l’unité Genre, sexualité et inégalités. Elle est assistante de coordination de l’enquête Virage et a participé à l’exploitation et l’analyse de ses données. Ses travaux ont porté sur les violences au sein de la sphère conjugale et dans le cadre des études. Elle travaille également comme chargée d’études sur l’enquête Virage Outre-mer.
Démographe, enseignante-chercheuse à l’université Paris Diderot-Paris 7, au département de sciences sociales, institut Humanités, sciences et sociétés (IHSS). Elle est principalement rattachée à l’unité de recherches Migrations et sociétés (Urmis/CNRS/IRD). Chercheuse associée à l’Ined (unité Demosud), elle développe des projets de recherches sur les dynamiques familiales en Afrique du Nord et dans le monde arabe. Ses travaux portent notamment sur la fécondité, le mariage, le célibat et les rapports de genre au Maghreb. Elle a coordonné l’enquête Virage-Université dans sa phase test et définitive à l’Observatoire de la Vie étudiante, a fait partie du groupe d’exploitation et a participé à l’analyse du volet études de l’enquête.
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Trajectoires et origines
Enquête sur la diversité des populations en France
Cris Beauchemin, Christelle Hamel et Patrick Simon (dir.)
2016
En quête d’appartenances
L’enquête Histoire de vie sur la construction des identités
France Guérin-Pace, Olivia Samuel et Isabelle Ville (dir.)
2009
Parcours de familles
L’enquête Étude des relations familiales et intergénérationnelles
Arnaud Régnier-Loilier (dir.)
2016
Portraits de famille
L’enquête Étude des relations familiales et intergénérationnelles
Arnaud Régnier-Loilier (dir.)
2009
Inégalités de santé à Ouagadougou
Résultats d’un observatoire de population urbaine au Burkina Faso
Clémentine Rossier, Abdramane Bassiahi Soura et Géraldine Duthé (dir.)
2019
Violences et rapports de genre
Enquête sur les violences de genre en France
Elizabeth Brown, Alice Debauche, Christelle Hamel et al. (dir.)
2020
Un panel français
L’Étude longitudinale par Internet pour les sciences sociales (Elipss)
Emmanuelle Duwez et Pierre Mercklé (dir.)
2021
Tunisie, l'après 2011
Enquête sur les transformations de la société tunisienne
France Guérin-Pace et Hassène Kassar (dir.)
2022
Enfance et famille au Mali
Trente ans d’enquêtes démographiques en milieu rural
Véronique Hertrich et Olivia Samuel (dir.)
2024